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Conclusion

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Iconographie

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La culture créole orale dans le contexte indiaocéanique actuel perd peu à peu de sa complexité, de sa matière, pour se diluer, avant de finalement s’effacer du quotidien des familles créoles. Le passé douloureux de l’archipel des Mascareignes semble comme perpétuer une blessure immatérielle, invisible, bien que présente. Tandis que les parents ne parlent plus créole, les enfants finissent par demeurer dans l’ignorance de leur propre identité. Faudrait-il alors chercher à «guérir», bien que cela semble impossible, ceux qui ne font plus acte de transmission ? Cela passerait certainement tout d’abord par rendre cette blessure visible, matérielle, dans le but de faire prendre conscience de sa présence.

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Alors que l’objet a la capacité d’atteindre le corps, et par extension l’esprit, il est question ici de donner forme, matière à l’oralité créole présentant déjà un univers sensoriel tout particulier. Il ne s’agit pas de remplacer cette oralité, mais de la soutenir, l’accompagner, lui donner support. Et sûrement, de la déclencher. Nous pourrions partir des pistes matérielles qu’elle produit, entre imaginaire créole et Mandaré, afin de continuer cette extension. De donner à voir, à ressentir, à écouter, les paroles des nénènes, matantes, mères et grand-mères créoles. Il s’agit également de questionner la place du designer. Si le design est une forme de poésie, le.a designer serait alors fonnkézèr, fanmkézèr. Si le design fait acte de transmission, le.a designer serait alors nénène.

Car si la rupture engendre les fragments, la transmission n’est pas morte. Elle demeure, comme en misouk71, murmurée entre les fey sonj72, au creux des varangues. La culture créole ne s’est pas effacée, elle est parcellaire. Et si entre ces fragments demeure le vide, nous cherchons à le combler par nos poésies insulaires. Par nos fonnkèr.

Questionnement entre la parole et l’objet, ce mémoire, écrit, apparaît comme une transition. Il a d’abord été cathartique, comme étant ma propre guérison à moi, avant de pouvoir me permettre d’endosser, sûrement, le rôle de designer nénène. Il est une réaction face à l’absence, dans le but de tisser une présence. Il est une réaction face à l’urgence criante de faire,

71 Misouk : En secret, en cachette. 72 Fey Sonj : Feuille de songes, nom donné dans les Mascareignes à la plante du Taro.

de parler, de raconter, de guérir et enfin, de transmettre. De combler les silences de nos histoires lacunaires par nos voix habitées de nos mémoires et de notre identité.

Ce mémoire est également une volonté de faire rencontrer l’autre, par delà les mers et les horizons, afin d’apprendre des différences. D’équilibrer les échanges, de créer une circulation entre les récits, d’enrichir les imaginaires.

Tandis qu’aujourd’hui la créolité apparaît comme vivante, en constante évolution, les femmes créoles s’emparent de cette dernière. Le maloya s’hybride, pour devenir de l’électro-maloya ou de la pop-maloya, l’oralité s’inscrit dans de nouveaux repères, engendre de nouveaux codes. Et finalement, dans ce mouvement, le design pourrait probablement se greffer. Il pourrait proposer de nouvelles formes d’oralité, de transmission, de nouvelles façons de faire vivre la créolité indiaocéanique, parcourant ses richesses, tissant de nouveaux récits, à faire, sentir, et vivre.

Malo, Malo, Malo, Maloya Mwin la demand momon baba, akoz mi sant komsa Li la réponn a mwin baba, sa out zansèt la ba *

Malo, Malo, Malo, Maloya J'ai demandé à Maman pourquoi je chantais comme ça Elle m'a répondu : écoute mon enfant, ce sont tes ancêtres.

* Extrait de Christime Salem, une âme maloya, Julien Faustino, 2019.

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