V&c 16 spécial africités

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"Il est préférable d'allumer une bougie que de maudire l'obscurité"

Proverbe d'Asie

SOS Melvin Tchamba

Les communes appelées à lever des fonds sans s’endetter

587 JOURS DÉJÀ

DEVHOPE

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Edition internationale

Réc. N°023/RDOP/F35/SAAJP

Année 2 - N°016 Du 26 nov. au 09 déc. 2012 Tél: 33 10 61 11 villesetcommunes@gmail.com www.villesetcommunes.info

Prix : 1 000 Fcfa

Directeur de la publication : Kamdem Souop

La vitrine des municipalités

Partenariat

Africités 2012

Pndp et Feicom d’accord pour aider les Ctd

Le Programme national de développement participatif et le Fonds spécial d’équipement et d’intervention intercommunale ont signé le 01 novembre dernier une convention de partenariat.

Dalal ak jàmm ci Ndakaaru*

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Nécrologie Théophile Abéga rend son écharpe

Dans cette édition spéciale, Jean Pierre Elong Mbassi, Daby Diagne, Ousmane Sy, Abraham Okoko-Esseau, François Menguelé, Bachir Kanouté, Maurice Engueleguelé, Pape Mor Ndiaye et d’autres experts de l’Afrique locale ouvrent le débat sur un certain nombre de questions qui seront débattus lors de la 6e

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édition d’Africités qui s’ouvre le 4 décembre.

*Bienvenue à Dakar, en wolof

Cette publication est réalisée avec le concours de FORMATION - ACCOMPAGNEMENT - CONSEIL AUX COMMUNES Décentralisation - Gouvernance locale - Budgétisation - Transparence - ICT 4 Open Budget Siège: 1er étage Immeuble Face Camtel Biyem-Assi -Yaoundé

Tél: 00237 99 99 70 93

Le maire de Yaoundé IV s’est éteint le 15 novembre 2012 à Yaoundé des suites de maladie.

Mél: afroleadership@live.fr


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EN BREF FEICOM

Motif de satisfaction en 2012 Par Kamdem Souop

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e Centre Jean XXIII de Mvolyé a accueilli les 19 et 20 novembre 2012 les travaux de la conférence des services centraux et extérieurs, du Fonds spécial d’équipement et d’intervention intercommunale. Au cours des travaux qui ont révélé que la «Banque des communes» avait pour le compte de l’année 2012 atteint ses objectifs à 69%, Philippe Camille Akoa, le Directeur général, est revenu sur le prix UN-Habitat Scroll of Honour, attribué au Feicom en septembre dernier à Naples par Onu-Habitat. C’était, a fait savoir le jury, «en reconnaissance de l’action de l’organisme pour l’atteinte des Objectifs du millénaires pour le développement, notamment dans le domaine des établissements urbains». Le travail d’équipe qui a permis d’atteindre ces objectifs et gagné ce prix avait été salué par le conseil d’administration du Fonds réuni en session extraordinaire le 16 novembre. Ce qui n’a pas empêché M. Akoa de demander aux personnels de s’appliquer d’avantage pour l’atteinte des objectifs de 2013, année au cours de laquelle une nouvelle formule d’évaluation entrera en vigueur au Feicom.

YAOUNDE II

Des locaux neufs e bâtiment R+2 abritant désormais les services de la commune d’arrondissement de Yaoundé II a été inauguré le 15 novembre 2012. Situé face au Palais des Congrès, au quartier Tsinga, iI a été financé par le Fonds spécial d’équipement et d’intervention intercommunale, la Communauté urbaine de Yaoundé et la commune dirigée par Luc Assamba, l’ouvrage a coûté 743 millions de Fcfa. La cérémonie d’inauguration qui vient mettre un terme à un bail de plus de deux décennies a connu la participation ministres René Emmanuel Sadi, (Administration territoriale et décentralisation) Pierre Moukoko Mbonjo (Relations extérieures) et Grégoire Owona (Travail et sécurité sociale). A l’occasion de cette cérémonie, certains personnels de la commune ont reçu des médailles des mains de Grégoire Owona et de Jean Claude Tsila, le préfet du Mfoundi.

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COOPERATION

L’UE à Meiganga

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éditorial

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Union Européenne vient d’affecter près de 220 millions de Fcfa, pour le financement des projets de développement de 22 villages riverains des régions de l’Adamaoua et de l’Est. Ce financement du 10ème Fonds européen de développement (Fed) agit pour l’amélioration des conditions de vies des populations riveraines, vivant le long de la nouvelle route Garoua Boulai-Nandéké en chantier, branche du corridor transnational reliant le Tchad-Rca-Cameroun. La construction de cette route est certes une ouverture pour le développement de ces villages et communautés, mais elle entraine aussi des conséquences parfois graves sur le quotidien des riverains: sécurité routière, Ist/Vih-Sida, problèmes environnementaux, etc. Elaboré par le consortium des Ong/associations Synergies-Développement (Sydev) basé dans la région de l’Adamaoua et chargé de piloter ce projet avec ses partenaires, le projet vise dans ses actions, le secteur du transport, de la santé, de l’éducation, de l’environnement et du développement. Il consacre à cet effet, la construction de salles de classe, des forages, des magasins de stockage, des lits d’hospitalisation et des moulins à écraser le maïs, entre autres. Source: Camnews

La voix de l’Afrique locale

e n’est certainement pas le cessez-le-feu décrété le 21 novembre dernier entre Israël et le Hamas qui fera oublier l’essentiel. Il se passe quelque chose au Proche-Orient qui est tout simplement inadmissible. Un peuple rendu apatride par la reconstruction de l’Etat d’Israël en 1948 s’exprime de tous les moyens possibles pour obtenir son droit d’exister et à jouir de la terre. La terre? Les «territoires occupés».On y est. La Palestine, enjeu majeur des religions révélées et qui a valu à l’humanité sa ration de sang (les enfants massacrés par Hérode, le Christ, les victimes des croisades, quelques Israéliens victimes de bombes et roquettes... beaucoup plus de Palestiniens victimes de la puissante armée israélienne) est dite sainte. Sans doute. Mais ce n’est pas ce qui s’y passe actuellement au plus haut degré de l’injustice qui la sanctifiera davantage. Voici que qu’écrivait Alain Gresh, le 27 janvier 2006 dans Le Monde diplomatique : «La victoire sans appel du Hamas aux élections législatives du 25 janvier 2006 a suscité bien des commentaires et des mises en garde indignées des EtatsUnis et de l’Union européenne, France comprise. [...] Le scrutin, tenu sous occupation étrangère, a suscité une très forte mobilisation de la population palestinienne. Plus des trois-quarts des électeurs se sont rendus dans les bureaux de vote. C’est incontestablement une victoire pour la démocratie et la preuve que les Palestiniens y sont attachés. Et les quelque 900 observateurs internationaux ont témoigné de la régularité du scrutin. Les électeurs ont exprimé leur rejet de la politique suivie par l’Autorité palestinienne et le Fatah sur [...] une condamnation de leur incapacité à créer des institutions solides, à éradiquer la corruption, à améliorer la vie quotidienne. Tout le monde en Palestine est conscient des contraintes permanentes d’une occupation qui se poursuit depuis bientôt quarante ans, mais, même en tenant compte de ces conditions, le bilan de l’Autorité apparaît négatif. Il l’est aussi dans le domaine des négociations avec Israël

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ELECTIONS 2013

La presse a un observatoire

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ean Vincent Tchienehom est le président du tout nouvel Observatoire de la couverture médiatique des élections au Cameroun. C’est ce qui ressort de l’atelier organisé le 16 novembre 2012 à Douala par Journalistes en Afrique pour le développement (Jade) et l’Union européenne. Le but que se fixe

Publié avec le soutien de

La voix de l’Afrique a besoin d’être entendue sur elle-même et sur le monde. Car sans ouverture, nous sommes condamnés à disparaître. depuis les accords d’Oslo de 1993. Tout le pari de M. Mahmoud Abbas, élu président de l’Autorité en janvier 2005, était qu’une position « modérée » de sa part relancerait le « processus de paix » ; il n’en a rien été. M. Ariel Sharon, qui avait longtemps affirmé que Yasser Arafat était l’obstacle à la paix, n’a rien offert à son nouvel interlocuteur : le retrait unilatéral de Gaza s’est accompagné – c’était tout le but de la manœuvre - de l’accélération de la colonisation et de la construction du mur de l’apartheid – malgré la condamnation du Tribunal international de La Haye». Comme quoi, il y a des situations où la démocratie ne suffit pas. Et les vieux démons refont surface. Mars 2007 : le Fatah et Hammas forment un gouvernement d'unité mais il est traversé de vives tensions. Juin 2007 : le Hamas prend le contrôle de la bande de Gaza (plus de 100 morts dans les combats) et chasse le Fatah. Les États-Unis, L'Union européenne et Israël organisent le blocus de Gaza. Décembre 2008:

cet Observatoire est de contribuer à une couverture équitable des élections et des activités des partis politiques. La tenue de ces travaux qui ont regroupé les journalistes et militants des droits de l’Homme s’inscrivait dans le cadre du programme d’appui aux processus électoraux au Cameroun (Pape) et précisément dans le cadre du projet relatif à la Mobilisation citoyenne pour les élections crédibles (Mocec). Selon Florence Lemoine-Minery du Gret, l’observatoire aura pour

Opération "plomb durci". Offensive dévastatrice sans précédent de l'armée israélienne sur Gaza. Plus de 1.400 morts Palestiniens majoritairement civils (13 soldats israéliens tués) sans compter les ruines. 31 mai 2010 : des commandos israéliens attaquent la flottille pour Gaza faisant 9 morts parmi les passagers. Octobre 2012 : élections municipales en Jordanie boycottées par le Hamas. Novembre 2012 : A partir du 14 novembre, assaut militaire israélien contre Gaza (plus de 140 morts Palestiniens). La communauté internationale si prompte à commenter les processus démocratiques en Afrique se découvre une subite et durable aphonie, avec la complicité des grands médias. On parle bien d’êtres humains qui ont le droit de se réfugier derrière la Charte du Mandé (ancêtre de la Déclaration universelle des droits de l’Homme) pour espérer du monde une compassion qu’on leur dénie au nom d’une souffrance éprouvée par le peuple hébreux et qui lui vaut finalement absolution de tous ses forfaits en Palestine. C’est à la faveur d’Africités qu’il me prend l’envie de faire le lien entre le vécu palestinien et l’un des débats qui aura cours à Dakar. Peut-on développer un territoire quand quelques principes universels sont bafoués: autonomie et démocratie, pour ne citer que ceux-là? L’Afrique aurait tord de ne pas s’exprimer sur ces questions. Certains peuvent croire que ces choses n’arrivent qu’aux autres, mais quand on voit ce qui s’est passé au Zimbabwé, en Libye ou en Côte d’Ivoire, on comprend que changer de statut, pour les individus, les territoires, les Etats et même les régions, dépend de si peu de chose. La voix de l’Afrique a besoin d’être entendue, sur elle-même et sur le monde. Car sans ouverture, nous sommes condamnés à disparaître. L’occasion d’Africités est trop belle. «Quand la maison de ton voisin prend feu, verse de l’eau sur la tienne», dit une sagesse africaine. Bonne lecture et qu’on entende la voix de l’Afrique des territoires.

rôle de « sensibiliser, informer largement les citoyens sur les programmes des candidats et partis, relayer la voix des citoyens, susciter le débat contradictoire pour aider à un choix éclairé des citoyens, surveiller le déroulement du processus électoral et observer les partis politiques, candidats et organisations de la société civile».En plus des médias, la structure devra aussi observer le déploiement du régulateur en période électorale. Ici, il sera question de «définir les règles du débat

Directeur de publication / Rédacteur en chef Kamdem Souop (+237 77 71 68 86) Rédaction Alain Biyong, Marcelin Angounou, Madeleine Assen, Honorine Ngangue, Martial Nepoue

A collaboré à cette édition Ngu Peter, Stéphanie Dongmo Consultants Charlie Martial Ngounou (Finances locales - Gouvernance)

Emeran Atangana Eteme (Décentralisation)

démocratique dans les médias, organiser le débat public dans les médias de service public, proposer des formations, séances d’information pour les journalistes, mettre en place une veille et en faire le bilan, rappeler à l’ordre si besoin, et veiller à l’équilibre des tendances exprimées dans les médias privés». Les différents éléments recueillis par l’observatoire, seront contenus dans des rapports qui seront publiés avant, pendant et après les élections. Source: journalducameroun.com Conseil en communication Creativa Commercial 98 21 56 06 Imprimerie Jv-Graf - Yaoundé Distribution Cameroun: Messapresse Africités: CGLUA


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L’Afrique et ses territoires

L’Etat au coeur du développement participatif Un communiqué de la Banque mondiale rendu public le 14 novembre 2012 fournit des extraits d’un rapport sur les résultats des projets de développement. a participation des populations locales aux décisions qui influent sur leur existence est essentielle au renforcement de l’efficacité du développement et peut transformer le rôle des pauvres en matière de développement en leur donnant la possibilité de se faire entendre et d’exercer une influence. Toutefois, il n’est pas facile d’introduire l’engagement citoyen dans les activités de développement, comme l’indique un nouveau rapport de la Banque mondiale portant sur les projets de décentralisation et de développement communautaire appuyés par l’institution et d’autres bailleurs de fonds. Le nouveau rapport, consacré à l’analyse des activités de développement participatif, montre que les projets de ce genre ne tiennent souvent pas compte de la complexité des situations locales — en ce qui concerne notamment les réalités sociales, politiques, historiques et géographiques — et laissent à désirer du point de vue des mécanismes de suivi-évaluation, ce qui entrave l’acquisition des connaissances. À l’aide de nombreux exemples, les auteurs démontrent que les projets participatifs ne peuvent se substituer aux États fragiles et que leur réussite exige au contraire un soutien solide au niveau central. Sur la base d’éléments concrets, le rapport décrit les enseignements tirés des difficultés auxquelles sont confrontés les organismes donateurs soucieux de promouvoir la participation — notamment la nécessité de traiter avec un État réceptif et de bien connaître la situation locale — et recommande plusieurs mesures, dont un engagement souple et durable et un suivi participatif, pour permettre aux bailleurs de fonds de soutenir efficacement les projets. «Pour promouvoir véritablement la participation citoyenne, il est nécessaire de prendre des engagements à long terme et de bien comprendre les forces sociales et politiques qui s’exercent à tous les niveaux de la société», déclare Ghazala Mansuri, économiste principale dans le Groupe Réduction de la pauvreté et équité de la Banque mondiale, co-auteur du livre avec Vijayendra Rao, économiste principal dans le Groupe de recherche sur le développement de la Banque. «Il est rare que l’on prenne sérieu-

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sement en compte le fait qu’il n’est pas facile d’organiser efficacement des groupes d’individus pour pallier les défaillances du marché et de l’État», déclare M. Rao. «En fait, cette démarche se heurte à de nombreuses difficultés, telles que le manque de coordination, les inégalités, le manque de transparence, la corruption, les comportements opportunistes et le manque de moyens. La meilleure façon de procéder en la matière est de promouvoir une participation partant de la base, étayée par une supervision partant du sommet ». La Banque ayant investi 85 milliards de dollars dans des projets participatifs locaux au cours des dix dernières années, tandis que d’autres bailleurs de fonds apportaient des milliards de dollars supplémentaires, Mme Mansuri et M. Rao disposaient de données abondantes pour déterminer les cas où les projets participatifs donnent ou non de bons résultats. Ils sont arrivés à la conclusion que la participation communautaire a permis d’améliorer quelque peu les résultats en matière de santé et d’éducation, mais qu’elle a moins réussi à réduire la pauvreté ou à renforcer les capacités nécessaires à une action collective. L’Etat incontournable Il existe des points communs entre les programmes communautaires qui sont parvenus à toucher les pauvres et à améliorer les services. L’un d’entre eux est la forte participation de l’État, comme dans le cas de l’initiative brésilienne Programa Saude da Famılia, qui fournit des services de santé gratuits et qui est gérée par les collectivités locales sous la supervision du ministère brésilien de la Santé. Les évaluations de ce programme indiquent qu’il a eu des effets substantiels en matière de santé, notamment au profit des nouveau-nés et des jeunes enfants. De plus, le programme présente un bon rapport efficacité/coût puisqu’il coûte environ 30 dollars par personne. Une autre clé de la réussite consiste à engager d’importants efforts pour renforcer les capacités au niveau local, comme le montre le projet ghanéen de santé communautaire et de planning familial. En outre, il est crucial d’accorder beaucoup d’attention au contexte et d’investir sérieusement dans des systèmes de suivi transparents, ainsi que le confirme le programme de développement indonésien des Kecamatan. Selon le rapport, trois enseignements majeurs se dégagent de l’analyse des observations et des défis plus généraux liés à la promotion de la participation : 1) Les interventions participatives sont plus efficaces lors-

Bon à savoir UCLGA to hold unity discussions ocal government on the African continent is faced with an untenable situation characterized by the existence of two bodies. One is based in Rabat, Morocco and the other in Tshwane, South Africa, both purporting to be the United Cities and Local Governments in Africa (UCLGA) and as a consequence the legitimate voice of local authorities and cities. Representatives of these two bodies have convene in Johannesburg to pursue talks to unify the UCLGA. The South African Local Government Association (SALGA) has been identified to play a constructive role in mediating the conflict between the parties. As a result, the Chairperson of SALGA, Cllr Thabo Manyoni has invited the Executive Committees of both parties to a facilitated meeting to be held from 9 – 10 November 2012. The aim of the meeting is to develop a roadmap towards the re-unification of local governments in Africa as it is preparing to convene the Elective Congress of the UCLGA in December 2012. Acknowledging that earlier mediation attempts at resolving the impasse engulfing the organisation have failed, both bodies have expressed a desire to forge unity within the UCLGA and committed themselves to participating in a process that is aimed at uniting the organisation to put an end to the current divisions and separate leadership structures

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L’Etat appelé à faire de la foule un acteur mobilisé et réfléchi

qu’elles sont appuyées par des pouvoirs publics réactifs. Il n’est pas nécessaire que l’État soit démocratique, même si cela contribue grandement au succès de la démarche. En revanche, là où l’intervention est mise en œuvre — au plan communautaire ou à l’échelle du quartier —, il est crucial que l’État soit sensible aux besoins de la collectivité. 2) Le contexte, local et national, est très important. Les résultats des interventions varient énormément d’une collectivité à l’autre ; l’histoire, la géographie et les inégalités locales, la nature des relations sociales, les réseaux et les systèmes politiques exercent une forte influence. Les différences de situation sont parfois telles et leurs effets sont si imprévisibles que les projets performants sont ceux qui intègrent de solides mécanismes d’apprentissage et une grande sensibilité et adaptabilité à l’évolution du contexte. 3) Une participation citoyenne efficace ne se développe pas de façon prévisible. Il est plus probable qu’elle progresse par àcoups, au rythme d’une alternance de périodes d’apparente tranquillité suivies de changements intenses et souvent tumultueux. Les projets participatifs pilotés par les bailleurs de fonds suivent généralement une trajectoire moins houleuse. Soumis à des impératifs bureaucratiques, ils promettent souvent la réalisation de résultats précis, mesurables et généralement optimistes dans un délai déterminé. Le risque est que ces projets déçoivent non pas en raison des résultats obtenus sur le terrain mais du fait des attentes irréalistes qu’ils suscitent. Un meilleur suivi/évaluation La Banque mondiale et les autres bailleurs de fonds doivent prendre plusieurs mesures pour veiller à appuyer des projets présentant les caractéristiques suivantes :

(i) La structure des projets doit changer pour encourager une participation souple et durable. La patience est une vertu. (ii) La conception des projets et les études d’impact doivent reposer sur des analyses politiques et sociales en plus des analyses économiques. (iii) Le travail de suivi-évaluation doit être pris beaucoup plus au sérieux et peut être énormément facilité par le recours à de nouveaux outils basés sur les technologies de l’information et de la communication et présentant un meilleur rapport coût/efficacité. Il est nécessaire de créer des mécanismes clairement définis de retour d’information ainsi que des systèmes participatifs de suivi et de recours. Surtout, il est nécessaire de créer la possibilité de retours d’information honnêtes pour faciliter l’acquisition des connaissances plutôt que de se laisser aller à des jugements précipités, conjugués à la peur de l’échec. Du fait de sa complexité, le développement participatif exige que l’on soit prêt à tolérer l’échec et que les responsables de projets soient clairement incités à en rendre compte. Les revers sont parfois la meilleure façon de découvrir ce qui fonctionne vraiment. C’est uniquement dans un environnement où l’échec est toléré qu’il est possible d’innover et de prendre des décisions stratégiques basées sur des données probantes. Le présent rapport est le dernier d’une série de Rapports consacrés à la recherche sur les politiques (Prr) préparés par le Département de la recherche de la Banque mondiale. Les Prr visent à alimenter le débat sur les politiques publiques propices aux économies en développement. Le rapport de cette année, basé sur l’examen approfondi d’environ 500 études, définit le cadre conceptuel et le socle théorique du développement participatif.

Une banque centrale panafricaine en 2025 e gouverneur de la Banque des Etats de l’Afrique centrale (Beac), Lucas Abaga Nchama, a indiqué dans un entretien le 15 novembre 2012 avec la Pana à Paris que l’Association des banques centrales africaines (Abca) travaille pour la création d’une banque centrale panafricaine unique à l’horizon 2025. «Nous travaillons dans le cadre de l’Association des banques centrales africaines (Abca) et récemment nous avons eu une réunion à Alger pour la création d’une banque centrale panafricaine. Ce projet est piloté par l’Union africaine. C’est très important pour accroître les échanges inter-africains que cette banque voie le jour et nous travaillons vraiment pour cela», a affirmé Luca Abaga Nchama. «Le mois passé (octobre), nous avions décidé qu’à l’horizon 2025, cette banque centrale pourrait voir le jour et pourquoi pas une monnaie commune, pas nécessairement une monnaie unique, mais une monnaie commune puisqu’on pourrait garder les monnaies nationales pendant un temps», a ajouté le gouverneur de la BEAC. Au-delà des difficultés techniques inhérentes à ce type de projet, M. Nchama a estimé que les travaux avancent très bien, tout en rappelant que les Européens ont mis 50 ans pour avoir une monnaie unique. «Nous pensons par contre qu’il y a beaucoup d’avancées depuis la conférence de Lagos en 1982 où l’intégration était devenue une priorité pour les Africains. On connait déjà plus ou moins là où sera le siège et nous y travaillons pour que tous les Etats puissent y adhérer», a-t-il conclu. Source: Pana

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Les institutions de l’Afrique locale

Caddel: Les experts au travail L’histoire de cette institution est étroitement liée à Africités, l’événement phare des Cités et gouvernements locaux unis d’Afrique.

Bon à savoir Clin d’oeil: ALGOT vivifie l’histoire de la gouvernance locale

Par Martial Nepoue est en 2000 à Windhoek (Namibie) lors de la deuxième édition d’Africités, événement phare de Cités et gouvernements locaux unis d’Afrique (Cglua), que l’idée de créer un cadre formel de concertation et d’échanges d’expériences entre ministres africains en charge des collectivités territoriales décentralisées a pris corps. Cette volonté a été réitérée lorsque les ministres se sont rencontrés une nouvelle fois dans le cadre d’une Assemblée constitutive en marge du Sommet «Africités III» à Yaoundé au Cameroun en 2003. Mandat fut alors donné au Cameroun de présider aux destinées de la Conférence africaine de la décentralisation et du développement local (Caddel), mais aussi et surtout d’initier le processus d’arrimage de l’institution aux structures de l’Union africaine (Ua). C’est ainsi qu’après la signature de la Déclaration de Yaoundé, qui rappelle les objectifs et engagements des Ministres africains de la Décentralisation, la Caddel est devenue, en 2007, un Comité technique spécialisé (Cts) de l’Union africaine pour les questions de décentralisation et de gouvernance locale. En 2008, lors de la 1ère Conférence ordinaire, une première mouture des statuts de la l’institution sera adoptée. Ces statuts seront révisés en 2010 à l’occasion de la 1ère Conférence Extraordinaire, et à cette occasion sept importantes résolutions visant à consolider le cadre institutionnel et à définir des orientations stratégiques de la Conférence seront adoptées. L’Accord de Siège qui sera signé en juillet 2011 entre le gouvernement de la République du Cameroun et la Caddel donnera une assise institutionnelle définitive avant le passage de témoin entre le Cameroun et le Mozambique en Août 2011, à l’occasion de la 2ème Conférence ordinaire à Maputo. Rencontre qui a tracé les grandes lignes du plan d’action stratégique 2011-2026 et entériné la désignation d’un Secrétaire exécutif permenant. Ce changement à la tête de la Conférence marquera également le début de la mise en oeuvre des orientations stratégiques arrêtées en 2010. Par ailleurs, en sa qualité de Cts, la Caddel a présenté son rapport d’activités au 18ème

La Caddel entend soumettre trois outils à l’appréciation des ministres en charge de la décentralisation présents à Dakar.

C’

Une des retraites techniques de la Caddel Sommet des Chefs d’Etats de l’Union africaine tenu du 23 au 30 janvier 2012 à Addis Abeba. A l’issue de ce Sommet, l’Union africaine a entériné par voie de Décision EX.CL.Dec 677 (XX) quatre décisions de la 2ème Session ordinaire de la Caddel portant notamment sur l’élaboration d’une charte africaine sur les valeurs et principes de la décentralisation et de la gouvernance locale; la célébration d’une journée africaine de la décentralisation et de la gouvernance locale le 10 Août de chaque année; l’élaboration d’un rapport triennal sur l’Etat de la décentralisation à l’échelle panafricaine et le lancement d’un prix de l’excellence en matière de décentralisation et de gouvernance locale. Le 10 mai 2012, le Bureau exécutif de la Caddel composé du Mozambique, de l’Angola, de l’Algérie, du Sénégal, de Djibouti et du Cameroun, a tenu sa première réunion ordinaire à Yaoundé. Matrice d’échanges d’expériences François Menguelé, Coordonnateur du Programme d’appui de la coopération allemande à la Caddel et à Cglua (GizCaddel/Cglua) donne une idée de l’appui dont bénéficient les Etats et les élus locaux pour qu’ils maitrisent et s’approprient les instruments adéquats dans la mise en œuvre de la décentralisation. «Dans l´accompagnement que nous apportons à la Caddel aux associations des collectivités, nous avons quelques chantiers en cours tels que la documentation des expériences et meilleures pratiques sur les méthodes usitées par les différents pays en vue de fixer le taux de ressources à affecter aux collectivités, nous accompagnons certains pays dans la recherche de solutions relatives à la mise en place d´une fonction publique territoriale pour renforcer le dispositif en ressources humaines des collectivités. L´idéal, c´est que les

municipalités puissent recruter des ingénieurs et des planificateurs comme cela se fait déjà dans certains pays comme l´Afrique du Sud», affirme-t-il. A l’écouter, il s’agit de ne pas seulement encourager le transfert des compétences et des ressources financières. «Il faut que les villes et les communes puissent se pourvoir en compétences en recrutant des cadres. Il est intéressant de constater que certains pays précurseurs en matière de décentralisation ont mis en place un dispositif d´accompagnement tel que les fonds d´équipement communaux ou alors des centres de perfectionnement des cadres communaux, mais force est de constater que le déploiement des ressources humaines ou leur affectation aux collectivités ne bénéficie pas encore du même degré d´attention. Un tel dispositif est pourtant fondamental si l´on veut faire bouger les lignes en matière de développement local». Mais c’est assurément comme vecteur de «mutualisation des expériences» que la Caddel a gagné ses premiers lauriers. Cela s’explique par le fait que l’appui qu’elle reçoit de la Giz depuis 2009 lui permet de prétendre oeuvrer comme une matrice d’échanges d’expériences et de bonnes pratiques pour les maires, les gestionnaires des affaires municipales et les ministres. Ce qui s’ajoute à un travail spécifique lié au concept de «pays-frontières» «Nous fournissons par ailleurs un appui technique et institutionnel aux collectivités situées en zone frontalière à coopérer avec les collectivités voisines dans la mise en œuvre des mesures d´intégration sous-régionale afin que les «zones de rupture» soient transformées en «zones de suture». Bref, nous travaillons à ce que les options mises en œuvre et dont l´efficacité est avérée dans certains pays fassent tâche d’huile en matière d’échanges», conclut-il.

Cglua: Le Haut conseil en point de mire

Les acteurs de l’Afrique locale savent que leur reconnaissance ultime par l’Union Africaine serait la création d’un Haut conseil des collectivités locales. Par Madeleine Assen uand Daby Diagne que les autres appellent affectueusement «doyen» parle des premiers pas de regroupe-

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ctuellement plus connu sous son acronyme en anglais, ALGOT, le projet qui sera dévoilé en décembre prochain lors de la sixième édition du sommet Africités porte sur les Trajectoires de la gouvernance locale en Afrique. Pour faire simple, il s’agit de mettre entre les mains des différents acteurs du territoire et principalement des décideurs des informations retraçant les différentes expérimentations de gouvernance identifiées sur le continent noir depuis l’antiquité. Le but ici est d’assister les ministres en charge de la décentralisation et du développement local du continent pour en faire, dans leurs gouvernements respectifs, les locomotives des wagons d’idées qui sourdent au niveau local et qui ne demandent qu’à être structurées, appuyées, financées, suivies et évaluées. Sans oublier la nécessité de renforcer continuellement les structures et infrastructures locales de manière à transformer les territoires en économies locales stables et compétitives. La Conférence africaine de la décentralisation et du développement local, avec l’appui de la coopération allemande a initié un projet devant conduire à la production de trois supports: une brochure d’environ 75 pages, un poster A0 et un Dvd mulimédia. Si les deux premiers supports ont davantage trait au passé de la gouvernance locale en Afrique, le Dvd sert quant à lui de transition entre le présent et l’avenir pour donner son sens à l’interpellation des décideurs. En effet, il est prévu de donner à voir l’Afrique locale à travers des reportages tout en donnant la parole à divers acteurs du territoire: élus locaux, chercheurs, diplomates, écrivains, artistes, organisations de la société civile.

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ments des acteurs de l’Afrique locale, il y a une pointe d’amusement sur les obstacles qu’il a fallu surmonter, mais aussi et surtout la célébration d’une formidable amitié qui le lie à Jean Pierre Elong Mbassi, Secrétaire général de Cités et gouvernements locaux unis d’Afrique, celui avec qui de belles victoires ont été acquises. Ce qui démontre à suffisance que les clichés sur l’impossibilité des Africains d’horizons et de natioanlités différentes à s’unir pour faire rayonner le continent sont révolus. Et au bout, il y a des satisfactions légitimes à vanter. La première porte sur la naissance de Cités et gouvernements locaux, où l’Afrique a joué un rôle majeur, les luttes géopolitiques ayant laissé des traces auparavant, rendant illusoire la réunification des instances d’élus locaux francophones, anglophones et lusophones [cf. Interview de Daby Diagne, pp10-11]. Ce n’est donc que naturellementr la représentation Afrique de cette organisation verra le jour. Cglua est née de la fusion des trois associations de collectivités locales préexistantes, à savoir l'Union africaine des autorités locales (Aula), l'Union des villes africaines (Uva) et le chapitre africain de

l’organisation lusophone des autorités locales, Ciudades Unao Capitaes y Lusofono Africana, Americanay Asiatica (Uccla). Cglua, dont le siège est à Rabat au Maroc, rassemble 40 associations nationales de collectivités locales de toutes les régions d’Afrique, ainsi que 2000 villes comptant plus de 100 000 habitants. Cglua représente pas moins de 350 millions de citoyens africains. Elle jouit d’un statut diplomatique en tant qu’organisation internationale panafricaine. Siéger à l’Union africaine Si avec Africités, l’Afrique locale a réussi à s’insérer dans un agenda événementiel appelé à marquer les esprits et les pratiques, il n’en demeure pas moins que les élus locaux africains visent plus loin, être représentés au sein des instances dirigeantes de l’Union. Et l’onction qu’ils ont reçue de l’actuel Chef d’Etat sénégalais, Macky Sall n’est pas pour leur déplaire. En effet, il a fait part à ses pairs en juillet 2012, lors du 19e sommet des Chefs d’Etats en Ethiopie, de son voeu de voir les collectivités locales représentées au sein de l’Union africaine.

Les valeurs partagées de la Caddel . Inclusion et contrôle citoyen . Respect et prise en compte de la diversité culturelle Promotion de l’intégration par le niveau local . Respect de l’Etat de droit . Participation de la base à la gouvernance . Libre administration des collectivités locales . Redevabilité et reddition des comptes . Transparence . Equité et égalité des genres . Respect des Droits de l’Homme et des peuples . Valorisation des savoirs traditionnels .Partage et bonne gestion des ressources . Respect de l’environnement . Décentralisation, outil de développement local.

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Spécial Africités 2012 Les acteurs de l’Afrique locale

N° 016 - DU 26 NOVEMBRE AU 09 DECEMBRE 2012

“ L’Afrique a besoin de villes globales ” Jean Pierre Elong Mbassi, Secrétaire Général de CGLUA Il a été de toutes les batailles visant à faire entendre la voix des collectivités locales africaines dans les instances continentales mondiales. Passé par la Coordination des villes, le Partenariat pour le développement municipal en Afrique de l’Ouest et du Centre, il est avec Daby Diagne la mémoire du mouvement municipal en Afrique. Vous êtes l’un des acteurs majeurs de l’Afrique locale depuis des décennies. Si on vous demandait de jeter un regard sur le chemin parcouru, que diriez-vous ? Je pense que la quête des populations pour une plus grande prise de responsabilité dans la gestion de leurs propres affaires a beaucoup progressé sur le continent. Il y a encore des hésitations dans certains Etats. Mais pratiquement tous les Etats qui sont en situation de paix civile ont adopté des lois de décentralisation qu’il faut maintenant mettre en œuvre. Bien entendu, il y a lieu de ne pas perdre de vue qu’il existe des difficultés liées à une longue pratique d’une administration fortement centralisée ainsi que l’épisode des partis uniques qui ne sont pas en faveur de la pluralité dans l’expression et témoignent d’une certaine ignorance de l’organisation traditionnelle des pouvoirs. Conséquence : le système majoritaire a été interprété comme un système exclusif où celui qui a la majorité emporte tout. Or, ce n’est pas la culture africaine.

“Les villes doivent structurer les marchés locaux, de manière à sentir l’importance de leurs hinterlands” L’Afrique s’urbanise de plus en plus. On parle de 52 villes de plus d’un million d’habitants à ce jour et plus de la moitié de la population d’ici 2025 vivra en ville. Quel regard le spécialiste que vous êtes pose sur le développement urbain de nos cités ? C’est probablement l’une des mutations majeures de notre continent. Et cette mutation a été relativement mal gérée, parce que la ville a longtemps eu mauvaise presse. L’on a, dans un premier temps, estimé que l’urbanisation était le signe de l’échec des

politiques de développement. Ce n’est que très récemment, à la faveur de la publication d’un rapport de la banque mondiale, que les Etats ont compris que l’avenir de leur économie nationale est étroitement lié à la solidité de leur économie locale. Ils ont aussi compris le rôle des villes dans le développement. A l’heure actuelle, la mutation qui consiste à passer d’une Afrique essentiellement rurale il y a 30 ans à une Afrique essentiellement urbaine dans 30 ans est une trajectoire très difficile à gérer parce qu’il faut d’abord transformer les mentalités. Notamment celles qui prônaient un certain romantisme du monde rural. Un romantisme qu’on retrouve d’ailleurs dans les discours des dirigeants, puisque plusieurs d’entre eux continuent à présenter l’Afrique comme un continent agricole et n’appréhendent son progrès et son devenir économique que sous le prisme du développement de l’agriculture. Cela fait qu’on voit des villes comme des lieux qui ne répondent pas tout à fait aux aspirations des Africains puisqu’on leur impute même le fait que l’Afrique ne se nourrit pas par ses propres productions. Il y a aussi une confusion entre niveau de population rurale et niveau de production agricole. Faut-il rappeler que les Etats-Unis ont un niveau de population rurale de l’ordre de quatre pour cent et qu’ils nourrissent pratiquement la planète entière ? Il n’y a pas d’homothétie entre la population rurale et la production agricole. Or, beaucoup de gens continuent à le croire. Le futur de l’Afrique se bâtit aussi dans ses villes. Ces villes doivent jouer leur rôle pour structurer les marchés locaux, de manière à sentir l’importance des relations entre les villes et leurs hinterlands. C’est pour cela que tout ce qui concerne les pistes rurales, les marchés ruraux, l’évacuation, les lieux de stockage des produits et tout ce qui concerne la circulation doit

être une des plus grandes responsabilités des autorités locales. Or la manière dont la décentralisation a été conçue dans la plupart des pays a distingué d’un coté les communes rurales et de l’autre les communes urbaines.

“Si vous n’êtes pas une ville globale ou en relation avec une ville globale, vous êtes perdants dans la mondialisation” C’est quelque chose qu’on aurait dû éviter. Heureusement, il y a quelques pays, comme le Bénin, qui ont communalisé de manière totale leur territoire et chaque commune possède une partie urbaine et une partie rurale ; ce qui permet de gérer les relations urbano-rurales de manière plus harmonieuse et plus responsable. Je crois que c’est une des très grandes mutations à laquelle les pays africains ne sont pas très bien préparés jusqu’ici. L’autre mutation, c’est tout ce qui concerne la relation à l’économie internationale. Jusqu’ici, l’Afrique s’inscrit comme une région qui produit les matières premières et qui achète les produits finis. Il n’est pas possible de continuer avec une telle formule. Il faut que l’Afrique augmente dans la chaîne des valeurs des produits. Il y a toutes les raisons pour que ça marche : les ressources humaines commencent à être disponibles, les mines et tous les produits naturels sont à profusion sur ce continent. Ce qu’il faut, c’est organiser les échanges à l’intérieur de l’Afrique. Or ces échanges représentent moins de cinq pour cent des échanges de tous les pays africains. C’est donc un énorme chantier que de construire le marché national, le marché régional et le marché continental. Et ce marché doit s’appuyer sur des pôles urbains qui animent cette mise en relation. Et chaque région doit faire émerger ces pôles. Parce que le monde de demain et la mondiali-

sation seront gérés par des villes globales. Si vous n’êtes pas une ville globale ou si vous n’êtes pas en relation avec une ville globale, vous êtes les perdants de la mondialisation. Il faut que l’Afrique fasse émerger ses villes globales. Johannesburg est incontestablement la ville globale de l’Afrique australe. Pour l’Afrique de l’Est, est-ce Nairobi ou Addis-Abeba ? Il faudra que les autorités régionales de cette région fassent ce choix difficile. Pour l’Afrique du Nord, est-ce Alexandrie, Le Caire ou alors Casablanca ou Rabat ? C’est une discussion à avoir. Ça peut être deux pôles qui se partagent la responsabilité. Pour l’Afrique de l’Ouest, manifestement c’est Lagos. Pour l’Afrique centrale, Kinshasa a suffisamment de poids mais le pays est dans une telle situation que le pays ne joue pas pleinement son rôle. Ça aurait pu être Douala, c’est la même chose. Ça aurait pu être Luanda, c’est la même chose. L’Afrique centrale est donc le ventre mou de ce pôle global pour structurer l’Afrique. Cette réflexion doit être conduite par l’union africaine si on veut que l’Afrique s’articule de manière harmonieuse à la mondialisation.

“ Le pouvoir n’est pas une question technique mais politique. On l’a ou on ne l’a pas ” Ne pensez-vous qu’avec ce discours, vous donnez quand même du grain à moudre à ceux qui pensent que les enjeux comme ceux que vous mettez en lumière rappellent à quel point les ressources humaines au niveau local manquent de qualité, que ce soit les managers municipaux, le personnel communal, le personnel politique, les services déconcentrés de l’Etat ? Il ne faut pas confondre le pouvoir et la capacité à l’exercer. Le roi des Belges avait dit aux Congolais qu’il est prêt à donner l’indépendance au Congo le jour où le personnel congolais sera suffisamment compétent pour pouvoir l’exercer. Or c’est un faux problème, parce que le pouvoir n’est pas une question technique mais une question politique. Donc, le pouvoir on l’a ou on ne l’a pas. Dès qu’on l’a, on sait comment l’exercer ou, à tout le moins, on doit trouver le moyen de l’exercer de telle manière que l’efficacité de cet exercice donne les résultats qu’on attend. Je pense que la question des ressources humaines des collectivités locales est une question qui ne

doit pas se poser en dehors de la compréhension de l’impérieuse nécessité de reconnaitre au pouvoir local la plénitude de sa fonction et de ses missions. Ensuite, si on reconnait cette plénitude, il faut lui donner les moyens de l’exercer, et c’est une affaire qui concerne tout le monde. L’Etat central, qui est en situation d’apprentissage, puisque même ses services déconcentrés ne savent pas comment accompagner la décentralisation, apprend à se délester de certains de ses prérogatives à des niveaux de pouvoir périphériques. On est donc dans un cycle d’apprentissage et personne n’est donneur de leçons dans ce cas-là. On doit donc encourager un minimum de modestie qui consiste à dire «nous apprenons tous, essayons de nous donner la main pour apprendre le mieux possible les uns les autres». Cette philosophie est loin de cette arrogance souvent affichée par les fonctionnaires de l’Etat disant que, comme par hasard, les élus sont compétents quand ils sont au gouvernement comme ministres et tout d’un coup comme maires sont incompétents et les seuls qui soient compétents sont les fonctionnaires de l’Etat. Vous savez qu’ils disent qu’il ne faut surtout pas donner des ressources aux collectivités locales, parce qu’elles seraient gaspillées ; le gaspillage africain étant essentiellement dû aux fonctionnaires des collectivités locales qui n’existaient pas il y a dix ans. Je crois qu’il faut savoir raison garder et rester tout à fait modeste sur cette question. Il faut comprendre que si le pouvoir est laissé aux collectivités territoriales et si les possibilités leur sont reconnues de l’exercer au service de leurs populations sans trop d’entraves de la part des niveaux supérieurs - comme on dit dans nos pays - il y a de fortes chances que la vie des populations de nos villes et nos campagnes soit nettement meilleure que ce qu’elle a été jusqu’ici. Evidemment, ça donne la mesure des responsabilités qui doivent être exercées par les autorités locales pour que cette capacité à répondre aux besoins des populations ne soit pas altérée par des prétextes qui ne valent pas la peine d’être soulevés comme réserves. Tout le monde a intérêt à se donner la main pour que la décentralisation marche, parce que les populations sont avides de participer. Ce serait idiot de ne pas profiter de cette offre des populations de prendre leur part à leur propre développement, ou encore de contraindre ladite offre. De ce point de vue, la décentralisation est une voie incontournable, ou pour faire simple, la seule qui nous reste. Propos recueillis par K.S.


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N° 016 - DU 26 NOVEMBRE AU 09 DECEMBRE 2012

PORTRAIT R&D

Jean Emmanuel Kamdem Foumbi, un inventeur

Spécial Africités 2012

Financement

Le Cameroun lance DevHope Le ministre de l’Economie, de la planification et de l’aménagement du territoire (Minepat) a procédé au lancement officiel d’une plateforme qui vend le Cameroun. Par Honorine Ngangue a plateforme informatique intégrée de mobilisation de ressources non génératrices d’endettement (PII) a été officiellement lancée le 22 novembre 2012 à l’hôtel Mont Febé par Emmanuel Nganou Djoumessi. C’était en présence d’un parterre de personnalités, parmi lesquelles des maires. La plateforme entend mettre en relation les porteurs de projets que sont les ministères, les collectivités locales et les organisations de la société civile agréées avec les bailleurs qui peuvent être les bailleurs classiques bi ou multilatéraux, les . Il s’agit de «répondre à un problème de crédibilité du Cameroun en reconquérant la confiance des bailleurs», assure Jean Emmanuel Kamdem Foumbi, le Pdg de Hope Services. La «valeur ajoutée» de concept de financement est la réconciliation des intérêts des bailleurs et des bénéficiaires. En lieu et place de l’argent, il y a un «transfert de services». Le bénéficiaire a le projet qu’il désirait financer. Le bailleur a exactement financé le projet pour lequel il a été sollicité. Une particularité saute aux yeux: c’est le «don affecté». Pour M. Foumbi, le «C’est la possibilité d’affecter chirurgicalement ce que je veux donner à une thématique, un bien ou service d’un projet que je veux soutenir dans tel endroit du Cameroun, et d’en suivre interactivement cet argent du moment où je l’ai donné à la réalisation finale du projet».

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nventer est un métier dont on peut vivre. Jean Emmanuel Foumbi, Camerounais de France dit en être une preuve. La recherche et développement est au coeur de ses journées, à lui et son équipe de Hope Services. Et cela suppose pour reprendre ses mots: « des râtés, des échecs, des crashs, des projets jetés à la poubelle». On peut croire sur parole celui qui est à la fois aérodynamicien, financier et chef d’entreprise. Mais si devHope constitue un aboutissement heureux aujourd’hui, tel n’a pas toujours été le cas. Un concept original d’assurance-maladie dédiée à l’Afrique a tourné court en Belgique. Toutefois, en juin 2005 déjà, lors du 46ème Salon international de l’aéronautique et de l’espace du Bourget à Paris, M. Foumbi avait présenté, à côté des «stars» de l’aviation civile qu’étaient alors l’A380 de Airbus et le 777-240 LR de Boeing, un module du JCR-001 de JCR Technology. Il s’agissait d’un avion construit sur la base d’une innovation technologique, à savoir des ailes battantes. L’on devait cette trouvaille à deux Camerounais, Emmanuel Foumbi et Appolos Chokoté (physicien et médecin), au sortir d’une dizaine d’années de travail de recherche. L’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle l’a enregistrée le 08 juin 2005 sous le numéro DM/067643 avec les précisions suivantes: «1. véhicule à propulsion à ailes battantes double; 2. véhicule à propulsion à ailes battantes multiple». Cette invention, inspirée du vol ramé de la libellule, a été récompensé en 2006 au Salon international des inventions de genève (Suisse).

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Les valeurs chères aux bailleurs La PII entend garantir «l’enchassement des valeurs chères aux bailleurs»: la «traçabilité» avec le devis estimatif détaillé d’un projet, la «transparence» avec la publication de l’agrégat des financements effectués, la «participativité» avec la publication des participants aux délibérations, «l’ancrage légal» permettant de bien identifier que le projet dont le financement est enclenché est bel et bien retenu dans le document de planification

communal (Pcd) ou central (Dsce), la «garantie des prix» avec la publication des prix du marché des biens et services. Les principales phases d’un projet devant être absolument respectées: la sélection des projets, le financement, le suivi. Ce à quoi Hope Services a ajouté «la mesure d’impact ». Des fonctionalités ont donc été intégrées dans la PII pour y répondre de manière satisfaisante. Ainsi, assure M. Kamdem Foumbi, «le suivi scrupuleux du financement d’un projet se vit à quelque endroit du monde où on se trouve. On peut voir quel niveau de financement le projet a atteint et le reste à pourvoir». Le donateur peut donc procéder de deux manières: financer une proportion du projet, ou affecter son argent à un bien ou un service particulier du projet dont el détail de financement est consultable en ligne. Pour ce faire, il peut utiliser Paypal, Visa ou CHS pour effectuer son don. Pour cette troisième formule qui nécessite des cartes, le Pdg de Hope services assure qu’il va y avoir création d’emplois et de richesses sans que cela affecte le don en lui-même: «Si vous donnez 100 Fcfa, c’est 100 Fcfa qui iront au projet. Par contre, des frais des cartes et transactions bancaires seront supportées par les entreprises solidaires». Gratuité L’Etat a pris sur lui de supporter tous les coûts de la plateforme pour que les internautes l’utilisent gratuitement. Ainsi, les ministères, les collectivités locales et les organisations de la société civile ont l’occasion de vendre leurs projets gratuitement en même temps que les entreprises qui le dési-

rent peuvent gratuitement y faire leur promotion. Chaque utilisateur dispose d’un MyHope propre. Il s’agit d’une sorte de plateforme miniature personnalisée dans laquelle l’internaute mettrait toutes sortes d’informations audio, vidéo, textes en plus de disposer d’un compte de messagerie et d’un espace de promotion personnelle. Promotion Un comité de suivi présidé par M. Tamba, Conseiller technique n°2 du Minepat a été créé le 14 août dernier pour assurer le relais de l’étape de lancement de la PII. Il s’agit précisément de tout ce qui touche à la promotion de cet outil qui valorise auprès des potentiels bailleurs les projets du niveau local issus des plans communaux de développement, et ceux du niveau central avec les projets sectoriels et surtout les projets structurants qui manquent cruellement de financements. Reste à savoir si la vulgarisation de la PII attirera les Camerounais de l’intérieur et de la diaspora vers ce «réseau social» et permettra d’aguicher les différents bailleurs ciblés. Mais déjà, l’on apprend que le Minepat entend en faire la promotion dans des capitales occidentales: Paris, Londres, Bruxelles et Washington. Entre temps, la Chambre de commerce, d’industrie, des mines et de l’artisanat (Ccima) a dit son engagement à accompagner la promotion de cet outil auprès des petites et moyennes entreprises des dix régions du pays, engagement qui s’ajoute à celui des Communes et villes unies du Cameroun (Cvuc) de mobiliser ses différents membres.

DevHope en bref... Le modèle de l’avion JCR-001 En février 2008, lors des Trophées Africagora, événement créé par Dogad Dogoui et patronné par plusieurs ministres français, JEF reçoit le 2e prix récompensant une institution de microfinance dédiée au co-développement. Quand on croit le déstabiliser en lui rappelant qu’il n’a pas fait aéronautique dans un cas, finances dans l’autre, ou pour ce qui fait l’actualité informatique, JEF rétorque: «Clément Ader et les frères Wright qui sont respectivement les pères de l’aéronautique française et américaine ont été l’un à 12 ans aux chemins de fer et que les frères Wright étaient des marchands de bicyclette. Vous voyez, par rapport à eux on semble être de vrais savants puisqu’on a fait des études. C’est juste pour souligner le fait que le domaine de l’invention et de l’innovation ne correspond pas aux mêmes principes de rationalité que le formatage que nous avons au sortir de nos grandes écoles». Quant à la réactions des gens devant ses trouvailles, il répond: «La curiosité, des questions, beaucoup de questions et, tout d’un coup, la crédulité. Car en matière scientifique la contradiction a ceci de beau qu’elle permet d’étaler la finesse d’une théorie. Il se trouve qu’en l’occurrence nous ne sommes même plus au stade d’une simple et hypothétique théorie mais au stade d’un fait scientifique puisque nous avons déjà fait des tests réussis».

l s’agit du Résau social de développement solidaire et citoyen.

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Il a coûté à l’Etat du Cameroun 965 277 182 Fcfa. Son référencement est élevé sur Google (75 premières pages) et est transmissible à ses utilisateurs. Il met à la disposition des utilisateurs 160 fonctionnalités. Parmi les plus usuelles:

messagerie, mur MyHope, actualités, médiathèque, lien avec les réseaux sociaux célèbres, suivi de financement de projets.

Il facilite le suivi des projets à ses différentes étapes: sélection, financement, suivi, mesure d’impact.

Tout internaute peut avoir une page comme sur Facebook qu’il peut administrer comme bon lui semble.

Les entreprises auront une occasion de développer leur «responsabilité sociale» à travers le parc de leurs ouvres sociales. Sur chaque transaction, les entreprises sont invitées à verser une quote-part à un projet qu’elles auront choisi de soutenir dans une collectivité locale du pays.

Il facilite le «crowdfunding», pour que les financeurs individuels donnent spécifiquement à un projet le financement dont il a besoin.

« Un puissant concentré de technologies web 2.0 » Jean Emmanuel Kamdem Foumbi, Pdg de Hope Services

evHope est un réseau social que vous avons développé au sein de Hope pour assurer la promotion de la destination financière Cameroun.

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Le maître d’ouvrage de ce marché est le ministère de l’Economie, de la planification et de l’aménagement du territoire, pour le compte de l’Etat du Cameroun. Il en a délégué la maîtrise d’ouvrage au Programme national de développement participatif. Pour compenser le fait que le don s’appuie sur la générosité et que celle-ci reste éminemment précaire, nous avons développé à côté des dons, le principe de don d’achat contributif. Nous entendons par là l’équation de la solidarité. Toutes les entreprises qui viennent vendre des biens et services sur DevHope.com sont invitées à être solidaires. En plus de leur chiffres d’affaires, nous leur demanderons de donner une quote part de leurs recettes en cashback aux

cartes Hope Services, mais surtout une quote part au financement d’un projet qu’elles auront elles-mêmes choisi de soutenir dans une localité du pays dans le cadre de leur responsabilité sociale. Elles feront de la communication sans avoir à mobiliser un budget supplémentaire. La conséquence de cette image d’entreprise solidaire pourrait être que des internautes du Cameroun ou de la diaspora décide d’acheter les biens et services de ces entreprises juste parce qu’ils sauront qu’en y faisant leurs emplettes, une part de leur argent va avoir une seconde vie et financera le développement d’une partie du Cameroun. Propos recueillis par Alain Biyong


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L’expérience du Sénégal

“ Aller à une décentralisation de développement ” Pape Mor Ndiaye, Conseiller Technique à l’Aménagement du Territoire (Sénégal) n’est pas encore formalisé dans le code des collectivités locales du Sénégal.

Il a été Directeur de la décentralisation au ministère sénégalais de l’Aménagement du territoire. Aujourd’hui il en est Conseiller technique. Quel regard portez-vous sur le financement des collectivités locales au Sénégal? Au Sénégal nous avons quelques instruments pour financer le développement local en dehors des mécanismes de transferts de compétences au niveau de l’Etat : le Pendel et l’Adel. Le Pendel, c’est le Programme national de développement local. Il s’occupe de l’accompagnement technique et financier, et de la maîtrise d’ouvrage déléguée pour les collectivités locales rurales. Il s’agit en gros de ce qu’on appelle communément les communautés rurales, mais aussi des communes qui ont plus d’aspects de ruralité que d’urbanité. Quant à l’Adel, Agence de développement local, elle travaille à l’accompagnement et au suivi des réalisations relatives aux transferts financiers, comme le Fonds d’équipement des collectivités locales. L’Adel modernise aussi un peu la capacité d’exécution des collectivités locales. Il y a aussi l’Agence de développement municipal qui accompagne les communes en véritable bailleur de fonds. A côté de ces instruments, l’Etat a mis en œuvre des mécanismes tels que la décentralisation du Budget consolidé des investissements dans les domaines de la santé et de l’éducation. Ici, on transfère aux collectivités à partir du budget de l’Etat les montants devant prendre en charge les infrastructures sanitaires ou scolaires du territoire. L’idée étant que les collectivités locales soient les maîtres d’œuvre. Voilà globalement présenté ce que le Sénégal expérimente comme dispositifs de financement du développement local. Votre pays a la réputation d’avoir procédé à un véritable transfert de compétences. Mais est-ce que cela a été suivi d’un développement des localités ? Si oui pourquoi ? Sinon qu’est ce qui s’est qui passé ? Oui depuis 1996, nous avons transféré neuf domaines de compétences qui ont pris en charge les champs de l’action sociale et de l’environnement pour booster l’offre de services au niveau local. Cependant force est de constater que les premiers transferts de compétences devaient être suivis en 2001 par une deuxième génération de transferts de compétences pour compléter le dispositif, notamment en ce qui concerne les services aux personnels au niveau des collectivités locales. Mais la machine s’est grippée et l’on est resté aux neuf domaines de compétences transférées, qui d’ailleurs

“ Le local est le niveau pertinent pour mesurer le degré de satisfaction de la décentralisation ”

sont très difficilement exécutées par les collectivités locales. Et ceci pour trois raisons. La première raison, c’est que les collectivités locales ne bénéficient pas d’un transfert concomitant de ressources financières relatives aux domaines de compétences transférées. La deuxième raison est que, même en ce qui concerne les transferts de compétences qui s’accompagnent de transfert de ressources, il n’y a que deux à trois compétences qui reçoivent le transfert des ressources financières compensatoires. Tous les autres domaines transférés ne reçoivent rien du tout. Troisièmement, il y a un déficit de ressources humaines de qualité pour prendre en charge le renforcement des capacités, prendre en charge certains domaines de haute technicité comme la planification, comme l’aménagement du territoire. Ces difficultés font qu’actuellement on ne ressent pas l’action des collectivités locales. Et celles-ci sont obligées de s’appuyer sur les services de l’Etat. Nous avons été obligés de mettre en place un mécanisme pour résorber un peu ce déficit-là et faciliter l’utilisation des services extérieurs de l’Etat. Par ce biais, les collectivités locales peuvent signer certaines conventions avec le service régional, départemental ou local pour lui demander d’effectuer certaines tâches. Et ce travail est payé directement par l’Etat, et non par la commune. Mais même ce dispositif n’est pas opérant, parce que pour beaucoup de collectivités locales, les délais de signature de conventions sont limités par la loi. Par exemple, si une collectivité locale n’a pas signé de convention en janvier, elle ne peut plus le faire au cours de l’année. Cela pose des problèmes parce qu’en janvier, beaucoup de collectivités n’ont pas encore voté leur budget. Surtout que dans le dispositif budgétaire, le législateur a accordé aux collectivités locales jusqu’en mars pour le vote du budget. Dans ces conditions, l’exception est devenue la règle et au lieu de voter leur budget en décembre, les collectivités se battent simplement pour ne pas dépasser la date du 31 mars.

Au vu de tout cela, il n’y a pas la production de services au niveau local, l’offre de service de qualité n’existe pas. L’accès aux services dépend des projets et programmes qui sont mis en œuvres, et pas du tout de l’action directe des collectivités locales. En conséquence, le transfert de compétences n’a pas donné lieu à ce regain d’activité qu’on attendait au niveau local, notamment pour prendre en charge certains besoins des populations par ellesmêmes. Quel est le dispositif opérationnel qui a été mis en place pour capitaliser la participation des autres acteurs du territoire ? Il existe plusieurs cadres de concertation. Au niveau de la région il y a ce qu’on appelle la conférence d’harmonisation. Elle rassemble l’ensemble des acteurs qui opèrent sur le territoire de la région : la société civile, les collectivités locales, l’Etat, les partenaires financiers, les porteurs d’enjeux, les associations féminines, etc. Lors de ces réunions préparées techniquement par l’Agence de développement régional, on fait le point sur chaque action, sous la responsabilité du gouverneur de région. Ces réunions d’harmonisation essaient de faire le point sur l’action du développement local du territoire de la région concernée et de proposer des solutions aux problèmes soulevés. Sans cette conférence d’harmonisation, il est difficile de coordonner les actions sur le terrain. Il y a aussi des cadres de concertation créés par les collectivités locales pour assurer la coordination des actions à l’échelle de leur territoire, en concertation avec la société civile et les porteurs d’enjeux. Mais ça ne marche pas tout le temps et sa convocation dépend du maire, car il n’y a pas une périodicité arrêtée. Il y a donc lieu d’en formaliser la périodicité, le type de rapport et de propositions censés en découler, y compris jusqu’au niveau infra communal. Certes, on permet aux comités de quartier de s’organiser entre citoyens et de participer à la gestion de la collectivité locale ; mais

Avez-vous suffisamment tenu compte des influences négatives ou positives que vous pouvaient avoir les réalités sociales dans la mise en œuvre de la décentralisation ? Tout à fait, parce qu’aujourd’hui cette décentralisation administrative dans laquelle le Sénégal était demeuré depuis plusieurs décennies est aujourd’hui combattue par les élus locaux eux-mêmes. Ils veulent qu’on aille vers une décentralisation de développement qui prenne en charge les besoin sociaux. Elles revendiquent aussi des dispositifs, qui sont mis en œuvre, pour que la planification parte de la base vers le sommet, et non plus le contraire. Or, il faut dire que la qualité de la revendication des collectivités s’est nettement améliorée avec l’arrivée dans l’arène municipale d’intellectuels, d’universitaires, de cadres administratifs qui sont devenus des élus locaux et qui comprennent mieux les enjeux que les équipes précédentes. Le local est le niveau le plus pertinent aujourd’hui pour mesurer le degré de satisfaction de la décentralisation. Les mesures d’impact visent systématiquement cela. Une Ong dénommée Le forum civil est entrain de faire la certification citoyenne. Il s’agit d’un dispositif de redevabilité qui impose aux collectivités locales de se soumettre à une certification par les citoyens qui mesurent les besoins atteints, ceux qui ne le sont pas et les difficultés. Ces enquêtes se terminent par un compte rendu populaire et des rapports. Je souligne qu’on labellise aussi le résultat, et la commune qui a réussi à faire grand-chose est labellisée et reçoit des insignes que portent son maire et son président du conseil municipal. Ils ont un dispositif à l’entrée de la mairie qui permet de savoir que cette commune est labellisée. Il y a sur le papier entête communal, un signe qui indique que cette commune est labellisée. Bref, il y a tout un dispositif qui confère à une commune pendant deux ans le statut de « commune de qualité ». Mais il s’agit d’un dispositif initié par la société civile pour mesurer la satisfaction des besoins des populations. N’est-on pas en route vers une définition du profil de l’élu qui favorise les intellectuels? Si je mesure le chemin parcouru, j’ai des raisons d’être satisfait. Même moi qui vous parle, je suis conseiller régional et président de

la commission des finances de ma région. D’autres le sont comme moi, notamment mon ministre ; d’anciens ministres et universitaires sont des maires. Or, autrefois, les intellectuels ne manifestaient aucun intérêt pour le niveau local. Donc on a vraiment une rentabilisation véritable dans les ressources humaines. Car les gens ont compris que tout développement se fait au niveau local, et c’est à partir du local qu’on peut développer le terroir. C’est d’ailleurs une tendance qui se vérifie à l’échelle du continent. Est-ce que cette satisfaction se prolonge jusqu’au niveau du personnel communal ? Le personnel communal pose problème. Au Sénégal nous avons déjà voté une loi sur la fonction publique locale, il reste le décret d’application. Le personnel communal est un personnel qui est là avec un emploi garanti, ayant été recruté sur la base où la performance n’est pas obligatoire, où l’incompétence ne bloque pas l’avancement et ne donne pas lieu à un licenciement. Ce personnel survit au maire qui l’a recruté. Vous avez ainsi des pléthores de personnels indéboulonnables, souvent bons à rien, sans formation mais porteurs d’enjeux politiques, recrutés par des générations de maires. Mais dès qu’il y aura les textes d’application de la loi sur la fonction publique locale, nous verrons comment faire de toute cette masse de personnes : comment les pendre en charge, comment signer des accords de départ volontaire pour certains, comment réorganiser les métiers de la décentralisation, comment les former dans nos universités et instituts aux métiers de la décentralisation : secrétaires généraux, agents d’état civil, cadres des services financiers des communes, etc. Pour un management de qualité, il faut une ressource humaine de qualité. Ya-t-il des collectivités qui peuvent être citées en exemple pour avoir su tirer de cette situation financière précaire ? Bien sûr. Vous avez la région de Saint Louis, la ville de Dakar et certaines villes de l’intérieur du pays qui compensent ce déficit par des retombées d’accords de coopération décentralisée. Mais je suis de ceux qui pensent qu’on doit auditer ces fonds de cette coopération décentralisée, voir si les priorités ont été définies par le partenaire ou par la collectivité locale, en rapport avec la planification opérée en amont. Car je pense qu’on peut atteindre une meilleure performance en matière de développement. Dakar a eu récemment à bénéficier d’un grand emprunt financier en procédant à un montage financier. Aujourd’hui les élus locaux se battent pour trouver des mesures alternatives leur permettant de répondre aux besoins des populations. Propos recueillis par K.S.


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EN BREF PLANIFICATION

Le Pndp finance 10 communes du Nord a cérémonie de signature des conventions de financements de projets de développement s’est tenue le 21 novembre à Garoua. L’actualisation des Plans communaux de développement (Pcd), et le financement à hauteur de 60% des coûts des micro-projets de développement. Ce sont là les deux cadres des douze conventions signées le 8 novembre dernier entre le Programme national de développement participatif via sa cellule de coordination du Nord, et 10 communes de la région. La cérémonie présidée par le Gouverneur de la région du Nord, marque ainsi la première étape de la mise en œuvre de la deuxième phase du Programme, dont la région du Nord devrait bénéficier à hauteur de près de 2 milliards de Fcfa. En effet, ainsi que le relèvera le Coordonnateur régional du Pndp, la deuxième phase du Contrat de désendettement-développement (C2d) a dégagé une enveloppe de 1,1 milliard de Fcfa au profit des communes du Nord, laquelle viendra s’ajouter aux 697 millions de Fcfa mobilisés à travers les 12 conventions signées. Ces derniers se déclinant en 7 avenants et conventions pour le financement des Pcd, pour les communes de Bibémi, Dembo, Poli, Mandingring, Guider, Mayo Oulo, et Touboro. Et des financements de projets de développement pour les Communes de Garoua I et II, Bibémi et Gaschiga. 23 projets sont concernés, dans les domaines de l’hydraulique ou encore les équipements marchands. Source: Cameroon Tribune

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FORMATION

SIM_ba expliqué dans les mairies

Spécial Africités 2012

Cameroun

Pndp: Des motos pour les communes Des communes des 10 régions du Cameroun, dont Ndom, Awae, Gazaw et Tibati présentes à la cérémonie, ont reçu un don d’un montant de 132 millions le 23 novembre 2012 à Yaoundé. Par Alain Biyong e Programme national de développement participatif (Pndp) dont la mission est d’assister le gouvernement du Cameroun à établir et mettre en œuvre un mécanisme de financement décentralisé permettant d’assurer un développement décentralisé participatif en milieu rural, a organisé le 23 novembre 2012 au siège de la Coordination nationale à Yaoundé, la cérémonie de remise d’une seconde vague de 44 motos AG 100 aux communes des dix régions du Cameroun, après la première vague en août 2011. Ont honoré de leur présence un parterre de personnalités dont Emmanuel Nganou Djoumessi, le Ministre de l’Economie, de la planification et de l’aménagement du territoire (Minepat), Bruno Gain, Ambassadeur de France au Cameroun, Gregor Binkert, Directeur des opérations de la Banque mondiale au Cameroun et Gilles Chausse, le Directeur de l’Agence française de développement (Afd) au Cameroun.

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Promesses d’appuis renforcés Madame Marie Madeleine Nga, Coordonnateur national du Pndp, s’est réjouie, pendant son allocution, d’accueillir pour la première fois sa tutelle, le Minepat et toutes les personnalités qui l’accompagnent. Elle a mis en exergue les activités du Programme dans les dix régions du pays, lesquelles s’appuient sur la feuille de route qui lui a été prescrite. Les investissements sont de l’ordre de 30 milliards de Fcfa. Pour atteindre ses objectifs, le Pndp s’appuie sur

Remise des motos aux maires bénéficiaires un effectif de 157 personnes dont 20 cadres et 30 agents d’appui à la Cellule nationale de coordination nationale (Cnc). En rappelant que les locaux qui abritent la Cnc depuis 2004 sont provisoires, Mme Nga a formulé le voeu de voir sa hiérarchie doter le Programme d’un immeuble-siège. Dans son propos, Gregor Binkert a salué la politique de développement participatif mise en œuvre par le Cameroun. «Ces motos, a-t-il souligné, facilitent les déplacements des personnels communaux dans l’hinterland, et donne aussi une application facile du processus de la décentralisation». Si aujourd’hui les motos octroyées à cette occasion sont au nombre 44, il en a promis 150 à l’avenir tout en exhortant les communes bénéficiaires à en faire bon usage. Quant à Bruno Gain, Ambassadeur de France au Cameroun, il a tenu à féliciter le Programme, car a-t-il dit « C’est un grand projet qui joue un role central dans la décentralisation, surtout l’accroissement du financement des projets inscrits dans le cadre du Documen de stratégie pour la croissance et l’emploi, et dans sa démarche participative

concernant l’adoption du plan communal de développement». Cet avis prend tout son sens si l’on prend en compte que le diplomate vient d’effectuer une mission de terrain dans le septentrion, prenant la mesure des réalisations du Pndp auprès des bénéficiaires. Enthousiasmé par les résultats atteints à ce jour, il a promis un triplement de l’appui de la France au Pndp, soit 37,8 milliards de Fcfa pour la deuxième phase. Clôturant les interventions, Emmanuel Nganou Djoumessi a exprimé la reconnaissance du gouvernement camerounais à ses partenaires qui l’accompagnent dans la mise en oeuvre effective du processus de décentralisation, de manière à combler les attentes des populations. Lesquelles attendent des infrastructures de base qui nécessitent des investissements importants, pour lesquels la pleine participation des bénéficiaires est souhaitée. Il a dit être attentif à l’exécution effective des projets issus des plans communaux de développement, outil par excellence de planification et d’orientation de tous les investissements dans chaque municipalité.

Pndp et Feicom s’accordent Session de formation sur SIM_ba à Mbalmayo

a phase pilote du projet lancé le 01 octobre 2012 sur la modernisation des finances publiques dans 50 communes du Cameroun se poursuit sans encombres. Le projet, placé sous l'égide et le financement du Programme national de développement participatif (Pndp), emporte la fourniture d'un package de services devant permettre aux collectivités locales camerounaises d'accroître le ratio de reddition des comptes publics, la qualité des services rendus aux citoyens, la qualité de la dépense publique et l'amélioration de la mobilisation des recettes propres des communes. Ce package de service inclut les travaux de diagnostic dans chacune des 50 communes, l'implémentation d'une connexion réseau entre les ordinateurs, l'installation des outils de sécurité, l'installation de SIM_ba, la formation des utilisateurs, le démarrage des rattrapages des opérations budgétaires et comptables de l'exercice 2012, et l'accompagnement des utilisateurs, entre autres. Il s'agit donc de mettre en oeuvre une infrastructure organisationnelle et technique à même d'aider les décideurs locaux à prendre les meilleurs décisions, pour donner au processus de décentralisation en cours au Cameroun, toutes les garanties et chances de réussite. Ce projet prend appui sur l'expérience acquise par l'Association internationale des maires francophones (Aimf) en matière de gouvernance financière locale dans les collectivités territoriales camerounaises et africaines, avec ses outils structurant comme SIM_ba, le progiciel de gestion budgétaire et comptables des communes, ainsi que sur ses experts locaux reconnus en matière d'implémentation de ce type de projet.

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Les deux parties se sont accordées le 01 novembre 2012 sur une synergie dans le financement des collectivités locales camerounaises. Par Marcelin Angounou n l’attendait depuis un moment, c’est finalement arrivé. Le renouvellement de la convention de partenariat entre le Programme national de développement participatif (Pndp) et le Fonds spécial d’équipement et d’intervention intercommunale (Feicom). La cérémonie a eu lieu le 01 novembre 2012 à l’hôtel Mont Febé de Yaoundé. La première convention signée le 26 avril 2006 fixait déjà le socle d’une collaboration dans la durée de ces instruments de l’Etat du Cameroun visant la promotion du développement local, de la gouvernance locale et de la réduction de la pauvreté, par «un appui aux communes dans le but d'améliorer l'accès des populations aux services sociaux de base». Pour cette deuxième convention, les deux parties s'engagent spécifiquement à collaborer notamment dans la promotion de l'intercommunalité, le renforcement des capacités opérationnelles des communes, le financement des projets communaux et intercommunaux, mais aussi le suivi et le contrôle des projets cofinancés par les parties.

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La question de la maîtrise d’ouvrage S’il y a bien un point qu’attendaient les analystes désireux de voir régler l’existence d’une espèce de doublon sur le terrain, c’était la définition de la partie appelée à

Les témoins de la signature de la convention Pndp-Feicom gérer ou appuyer la «maîtrise d’ouvrage communale». La question est résolue à l’article 5(4): «Le Pndp s'engage également à contribuer à la formation et au renforcement des capacités opérationnelles des communes notamment dans les domaines de l'appui à la maîtrise d'ouvrage et de la gestion communale». Ce qui s’ajoute à l’appui à l’élaboration des plans communaux de développement (Pcd), la mise «à disposition sa contribution à la réalisation des projets retenus dans le cadre du Pcd» et financement des projets avec un apport variant de 85% pour les infrastructures et équipements marchands à 100% pour «certaines infrastructures socio-collectives». Le Feicom, quant à lui, «en fonction des compétences et des ressources disponibles, consent à la demande du Pndp, à contribuer à la formation et au renforcement des capacités opération-

nelles des communes». De même, Le Feicom financera «la contribution des Communes bénéficiaires» sans perdre de vue que «cet appui financier est versé sous forme d'avance de trésorerie au titre de la contribution propre de la commune concemée, pour la réalisation des projets financés par le Pndp». Cet accord ne remet pas en question les activités habituelles des parties, notamment de la «Banque des communes qui decidera «du montant de son concours financier pour tout projet initié par la commune avec l'appui du Pndp, au financement duquel il souhaite participer». Un comité ad hoc de suivi de ladite convention a été mis sur pied pour «toute la durée de la deuxième phase du Pndp», laquelle prend fin en 2013, même si une troisième est en voie d’être obtenue auprès des bailleurs.


Spécial Africités 2012 Les acteurs de l’Afrique locale

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“ Le citoyen est co-producteur de l’action ” François Menguelé, Coordonnateur Programme d’appui Giz-Caddel/Cglua Il est le visage de l’appui qu’apporte la Coopération allemande au processus de mise en place du bras technique de la Conférence africaine de la décentralisation et du développement local (Caddel). Quelle place accordez-vous aux acteurs non-étatiques dans la mise en place de la décentralisation au Cameroun ? L´expérience de plusieurs pays africains est variée sur cette question. Selon qu´on conçoit la décentralisation comme une simple réforme de l´Etat, ou alors comme une réforme de société le rôle des acteurs non-étatiques varie. Perçue comme réforme de l´Etat, la décentralisation aura tendance à être assimilée à un processus au sein duquel les acteurs non-étatiques sont appelés á jouer un rôle plutôt périphérique. Une telle interprétation court souvent le risque de perpétuer les réflexes d´un Etat pourvoyeur qui veut tout faire, au risque de reléguer le citoyen au rang de consommateur-revendicateur. Cette conception est susceptible d´augmenter la pression sur l´Etat qui, aujourd´hui, ne peut plus tout faire dans un environnement ou la croissance démographique, l´urbanisation galopante et la sophistication de la demande de services dictent le rythme des choses. En revanche, là où la décentralisation est vécue comme une réforme de société, les acteurs non-étatiques y trouvent une opportunité de jouer un rôle de co-responsabilité dans la mise en œuvre du processus. C´est à partir de cette interprétation plus émancipatoire pour les acteurs non-étatiques que peut se tisser un partenariat durable entre l´Etat et la société civile. Au Cameroun, la décentralisation a été impulsée par le Constituant et le législateur, ouvrant ainsi la possibilité à toutes les couches sociales de jouer un rôle dans le façonnement du processus et sa mise en œuvre dans une démarche partenariale avec l´Etat et les collectivités territoriales décentralisées. L´adhésion des acteurs non-étatiques suit son cours dans un environnement boosté par une liberté d´opinion, d´expression et d´association qui a vu naître quelques innovations camerounaises qui démontrent à quel point les acteurs non-étatiques se mobilisent pour négocier chacun une niche d´appropriation et de co-responsabilité dans le processus. Il faut ajouter à cela, l´ingénuité des populations qui quotidiennement prend de l´ampleur au fur et á mesure que celles-ci découvrent timidement les parcelles et marges de manœuvre d´action que leur confère le processus pour donner une expression plus citoyenne à cette réforme de société. En fait, le rythme d´appropriation du processus de décentralisation au niveau des acteurs non-étatiques est tel qu´on a l´impression

de passer d´un débat d´initiés où jadis administrateurs, experts et décideurs entretenaient un monopole d´opinion vers une émergence d´initiatives et d´actions spontanées au sein de la société civile. En effet, les populations camerounaises sont suffisamment avancées sur cette trajectoire. Les associations de commerçants, les organisations des femmes et de jeunes dans les quartiers ou celles des adultes s’impliquent au maximum dans les questions de développement local. Le degré de participation collective est suffisamment prononcé. Les bénéficiaires expriment leurs besoins et participent à l’élaboration des décisions visant à résoudre leurs problèmes. Les autorités traditionnelles ne sont pas en reste. La décentralisation conforte leur légitimité de leader social. Faut-il préciser que la démocratie locale ne se limite pas seulement au choix des conseillers municipaux à travers le vote. Cette réalité doit se vivre au quotidien. Les citoyens doivent s’organiser pour proposer les options de décision et contrôler l’exécution desdites décisions. L’Etat a ouvert le chantier. Maintenant, il fait le travail de coordination. La décentralisation a déclenché une dynamique d´alphabétisation au développement local qui prend les allures d´une école de la citoyenneté. Le citoyen a abandonné le rôle de spectateur de l´action publique pour en devenir co-producteur.

“ La société civile doit se reconfigurer pour réussir le pari de la décentralisation ” Est-ce à dire que l’agencement dudit concept obéit-il à des spécificités en Afrique ? Plus concrètement, les réalités sociales influent-elles en faveur de la décentralisation ? Dans plusieurs institutions traditionnelles africaines, le pouvoir exercé par l’autorité suprême répondait à trois grandes typologies : le pouvoir hyper-centralisé comme cela a été la cas en Abyssinie, au Rwanda, et chez les Swazi ; le pouvoir centralisé mais

doté de contre-pouvoirs tel que chez les Nupe, Buganda, Zulu, Yoruba, Haussa, Ashanti Busoga (Ouganda) Lesotho, Tshwana et le pouvoir décentralisé tel que pratiqué chez les Oromo, Kikuyu, Masai, Ibo, Berbères, pour ne citer que ces exemples là. Pour la grande majorité donc, il existait plusieurs démembrements du pouvoir central dans divers quartiers et villages. La participation des populations au processus décisionnel en matière de développement de proximité était constante. On comprend alors mieux l´engouement populaire qui commence à prendre corps au sein de la société civile en Afrique par rapport á la décentralisation. Elle porte en elle des relents de réminiscence qui font du mode d´organisation sociale et territoriale décentralisé un processus vecteur de valeurs partagées africaines. C´est dans cet ancrage social au niveau local qu´il faut situer la refondation de l´Etat moderne qui se forge de part et d´autre sur le continent. L´Etat unitaire mais décentralisé se révèle donc pour certains pays qui en ont fait le choix comme un renouement avec des continuités historiques pour enraciner la démocratie locale dans les sociétés africaines où le pouvoir traditionnel reste effectif. De par son caractère émancipatoire pour la citoyenneté locale, la décentralisation bouillonne et prend des allures irréversibles en Afrique. La société civile doit se reconfigurer pour réussir le pari de la décentralisation. La dotation globale de la décentralisation telle qu’inscrite dans le budget de l’Etat tout comme les montants alloués aux communes par les départements ministériels relativement aux transferts des compétences à ce jour sont jugés insuffisants par certains acteurs, y compris au sein de l’appareil gouvernemental. Quelle est votre appréciation sur la question ? Il y a une ouverture politique indéniable au Cameroun sur bon nombre de paramètres utilisés en Afrique pour jauger la volonté politique d´impulser le développement local par une décentralisation effective. L´un des paramètres les plus souvent utilisés, c´est le pourcentage du budget de l´Etat affecté aux collectivités territoriales décentralisées pour rem-

plir les missions de développement local qui leur sont dévolues. A titre d´exemple, le Ghana se retrouve à 7,5%, l´Afrique du Sud à environ 8,8% la Tanzanie à environ 25%, le Mozambique et le Congo Brazza à environ 1%, tandis que le Kenya aspire à 15%. Les travaux sont déjà amorcés au Cameroun tandis que dans certains autres pays, ce débat n´est pas encore à l´ordre du jour à cause de plusieurs facteurs qui ont jalonné le parcours de ces pays. C´est là que la diversité de l´Afrique tire toute sa valeur. Même en Tanzanie, pays qui fait figure de meneur de peloton au titre des exemples ci-dessus, les moyens sont parfois jugés insuffisants par les collectivités territoriales décentralisées. Voila pourquoi il est important de souvent jeter un coup d´œil chez le voisin pour comprendre avec quel pays il convient de se comparer ou d´échanger. Toutefois, en comparant l´ampleur des compétences transférées avec les moyens disponibles il ne faut pas se leurrer, c´est clair, comme le remarquait le ministre de l´Administration territoriale et de la décentralisation en marge de la célébration de la Journée africaine de la décentralisation, que beaucoup reste à faire.

“ Le processus est entré dans une phase d’opérationnalisation multidimensionnelle ” Au delà de la question financière, où situez-vous le Cameroun par rapport à d’autres pays d’Afrique dans la conduite du processus de décentralisation ? Comme je l´ai dit toute à l´heure, lorsqu´on aborde la question de comparaison entre pays, il faut éviter de percevoir la décentralisation comme étant une course de vitesse. Une telle interprétation lui enlèverait son caractère essentiel: son ancrage dans une société et un contexte de gouvernance spécifiques. Nonobstant cette remarque, la Caddel a observé que la plupart des préoccupations des pays tournent autour de huit grands paramètres thématiques, notamment i) l´ancrage constitutionnel des réformes, ii) les politiques nationales de décentralisation, iii) les stratégies et calendriers de mise en œuvre des réformes, iv) le transfert de compétences et ressources, v) le déploiement des ressources humaines et l´émergence d´une fonction publique territoriale, vi) la maîtrise d´ouvrage locale et fourniture de services, vii) le suivi-évaluation des réformes, et enfin viii) le genre et la gouvernance locale. En prenant le tout premier paramètre, on se rend compte que la Tanzanie envisage maintenant une réforme constitutionnelle pour y inscrire la décentralisation et la libre administration comme mode d´organisation de l´Etat. Le Cameroun est passé par cette étape en 1996 ! En revanche, la même Tanzanie affecte déjà envi-

ron 25% du budget de l´Etat aux collectivités territoriales décentralisées depuis plusieurs années, tandis que les études sont bouclées au Cameroun pour alimenter les consultations en cours! Un autre exemple relatif au transfert des compétences et ressources: Le Mali dont le record de décentralisation n´était pas des moindres en Afrique avant la crise actuelle avait transféré trois compétences en huit ans, tandis que le Cameroun en a transféré partiellement neuf au titre de l´exercice 2010-2011. Par ailleurs, le fait que le Cameroun ait déjà pensé á mettre en place dès 1974 un fonds d´investissement communal, en l´occurrence le Feicom, lui vaut une certaine admiration parmi certains pairs africains qui lui ont emboité le pas pendant les dix dernières années. La même remarque est valable en ce qui concerne le rôle précurseur du Cameroun dans la mise en place jadis du Centre de formation et d´administration municipale (Cefam) pour perfectionner le personnel des collectivités territoriales qui, de plus en plus, accueille des ressortissants de pays voisins parmi ses étudiants. Les exemples ci-dessus illustrent la nécessité qu´il y a à pousser la curiosité plus loin pour mieux comprendre quelles sont les évolutions qui ont poussé tel pays à faire un pas en avant sur tel paramètre et non pas sur l´autre. C´est donc dire que les vitesses de décentralisation sont diverses selon que l´on considère un paramètre donné dans un pays quelconque. Le Cameroun en tout cas fait bonne figure devant ses pairs africains en ce qu´il a boosté son processus de décentralisation sur tous les fronts au terme des trois dernières années. Bien avant 2010, l´action de l´Etat était centrée essentiellement sur la préparation de l´arsenal légal et réglementaire. Aujourd´hui, on ne parle plus de décentralisation seulement en termes de préparation des lois et décrets d´application. D´autres chantiers ont été ouverts tels que le transfert concomitant des compétences et ressources, la vulgarisation des guides méthodologiques pour la planification locale, l´expérimentation des contratsplans entre l´Etat et la commune, la formation des élus locaux et démembrements de l´Etat aux nouveaux modes de gouvernance, l´assistance-conseil, les contrôles de gouvernance et les accompagnements multiformes vis-à-vis des élus, pour ne citer que cela. Bref, le processus est entré dans une phase d´opérationnalisation multidimensionnelle. Par ailleurs des études sont envisagées par la Caddel pour collecter les données sur l´ensemble des paramètres. Ceci permettra de positionner chaque pays sur une trajectoire comparative susceptible d´impulser le dialogue politique et la mutualisation des expériences entre les Etats. Entretien mené Guy Modeste Dzudie et Moustapha Abdouraman * L’intégralité de cette interview a été publiée dans l’édition 14 du 01/10/12


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Spécial Africités 2012

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Les acteurs de l’Afrique locale

“ Je suis contre la fonction publique locale ” Daby Diagne, Coordonnateur Africités 2012 (Sénégal) demandé si on voulait le prendre en charge. Nous avons accepté, mais avec conditions : nous travaillerions selon nos vues et sans la tutelle de la banque. Et nous avons fait référence à notre contribution à cette réunion, notamment les idées que nous avons développées. C’est comme cela que nait le Programme de développement municipal en Afrique de l’Ouest.

Conseiller spécial de Cglua, il est, avec Jean Pierre Elong Mbassi, l’un des pères fondateurs du concept Africités. Cette année, le maire de Dakar lui a demandé de mettre son expérience au service de la réussite de l’événement en terre sénégalaise.

“ Le Programme de développement municipal a été le premier outil d’accélération du mouvement municipal en Afrique ”

“ Nous avons débattu de l’idée d’un réseau de ministres chargés du secteur. Ils ne se voyaient pas, ne se parlaient pas ” Pour la postérité, pourriez-vous nous raconter comment est né le concept Africités ? C’était au lendemain de la conférence d’Istanbul en 1996. Conférence au cours de laquelle l’on avait observé une espèce de bond en somme au niveau mondial sur l’évaluation des questions urbaines, et où pour la première fois les maires étaient invités à participer. C’est ainsi que s’est tenue la première assemblée mondiale des maires que j’ai eu l’honneur de présider. Mbassi était déjà secrétaire général de ce qu’on avait appelé à l’époque la Coordination des villes et qui deviendra plus tard Cités et Gouvernements locaux unis (Cglu). Lui et moi étions donc à NewYork dans le cadre des Nations Unies et nous échangions comme cela était la coutume dans le cadre de cette mission que nous nous étions donnés de promouvoir le local. Nous sommes parvenus à la conclusion qu’il fallait une plateforme africaine se réunissant de façon périodique pour évaluer la décentralisation, faciliter les échanges d’expériences, promouvoir les idées sur la décentralisation, en multipliant le nombre d’acteurs devant intervenir. C’est ainsi qu’est né le concept Africités. Nous l’avons ensuite cadré de manière à ce qu’il tienne en trois temps : le premier, c’est l’ouverture officielle, une table ronde où nous invitons des gens ayant pratiqué la gouvernance à un haut niveau: experts ou anciens chefs d’Etat. C’est une activité généralement ouverte par le Président du pays hôte. C’est ensuite suivi d’un niveau où il y a un thème général qui est discuté lors des sessions thématiques. Cette année, à Dakar, le thème général est « Construire l’Afrique à partir des territoires ». Lors des éditions précédentes, nous avons inventorié tous les thèmes transversaux de la décentralisation et qui en constituent le fondement : la fiscalité, les res-

sources humaines, les services de base, la planification, etc. Ce débat sur une thématique donnée est mené avec différents intervenants : chercheurs, acteurs municipaux, institutions, etc. Il y a un troisième niveau où les jeunes, les syndicats, le secteur privé ou les universités interviennent sur le thème, enrichissent le débat, puis produisent des orientations pour les conclusions de la conférence. Il y a enfin, toujours dans la thématique, un exposé sur les programmes Cglua en tant qu’organisation panafricaine et on essaie de nouer des réseaux autour d’un certain nombre de programmes, de réseaux, d’institutions, de partenaires. A côté des réflexions sur la thématique, il y a ce qu’on appelle les journées politiques. Nous y invitons les ministres de la décentralisation pour qu’ils tiennent aussi leur réunion. C’est ce qui se vérifie avec la Caddel [Conférence africaine de la décentralisation et du développement local, ndlr]. Il faut d’ailleurs préciser que la Caddel est née en Namibie lors de la deuxième édition d’Africités. Depuis l’édition inaugurale de 1998 à Abidjan en Côte d’Ivoire, nous avions pris l’habitude d’inviter les ministres en charge des collectivités locales. Entre temps, nous avons estimé que ce dialogue devait être consolidé et nous avons beaucoup débattu sur l’idée d’un réseau de ministres chargés du secteur, sachant qu’ils ne se voyaient pas avant, ne se parlaient pas, n’échangeaient pas sur leurs expériences. Il fallait donc que si les maires se mettent ensemble dans le cadre de l’intégration africaine, qu’eux aussi aient une relation directe avec cette conférence de ministres, voire aller de l’avant et vérifier qu’effectivement les hypothèses

de travail étaient dans le sens de l’orientation de l’unité africaine. Depuis sa naissance, la Caddel se réunit dans le cadre d’Africités. Dans le même temps, les maires sont aussi invités à tenir leur assemblée générale pour renouveler leurs instances au niveau panafricain. Les bailleurs aussi sont invités. Ensuite, on essaie de dialoguer, ministres, maires, bailleurs. Cette année, nous avons aussi convié les organisations régionales. Par ailleurs, l’une des particularités de Dakar 2012, c’est que nous allons organiser un dialogue entre les maires chinois et africains, un autre avec les maires brésiliens, et un troisième avec les maires turcs. Ceci dans le but d’élargir un tant soit peu le champ de vision des pratiques et des échanges entre les continents sur la décentralisation. Africités, c’est donc beaucoup de monde, beaucoup de débats, beaucoup de regards croisés venant d’horizons différents. Et nous pensons que chaque fois, ça a permis aux maires africains de prendre la dimension de leurs missions, de profiter des expériences vécues ailleurs et de faire avancer l’agenda de la décentralisation en Afrique.

“ Nous avons oeuvré à l’unité du mouvement municipal mondial ” Avez-vous reçu des coups de pouce, notamment de certains chefs d’Etat, ou alors a-t-il fallu surmonter un certain nombre de réticences ? Il faut dire qu’il y a eu un précédent à Africités avec le Programme pour le développe-

ment municipal (Pdm) en Afrique. Jean pierre [Elong Mbassi, ndlr] en était encore le coordonnateur et moi, en temps que maire, j’en étais le président à la faveur d’une réunion tenue à Abidjan en 1992. Là c’était un peu le début du dialogue sur l’agenda municipal, parce que tous les pays d’Afrique n’étaient pas au même point. A l’époque, il y avait une association des maires au Sénégal, une autre en Mauritanie et c’était tout. On commençait déjà à parler de la décentralisation en perspective. J’avais à ce moment déjà joué un rôle au niveau mondial en tant que maire dans les organisations et réseaux internationaux tels que Cités Unies qui viendra plus tard se joindre à Ula, l’organisation anglophone et lusophone pour constituer Cglu dont le siège est à Barcelone et dont le pendant africain est Cglu-Afrique. Et cette expérience nous avait permis de sentir qu’il y avait un mouvement municipal qui était en train de naître dans le monde. Et la Banque mondiale aidant, Mbassi qui était déjà en position d’expert et moi à Abidjan en plus d’un maire du Tchad (comme c’est curieux !) et un certain nombre d’experts, nous avons discuté de cet agenda municipal en Afrique. Nous avons commencé par créer un programme, le Programme de développement municipal. Pour être juste, il faut dire que c’était un peu incité par la Banque mondiale. Nous n’étions pas venus pour prendre l’initiative en main, car c’est la banque qui avait eu en projet de créer un programme avec ses experts. Mais au bout de trois-quatre premiers jours de discussions, ils se sont aperçu qu’ils parlaient à des gens qui étaient aussi préoccupés du même sujet. Ils se donc tourné vers Mbassi et moi et nous ont

Mais il fallait déjà un débat de politique et de stratégie dans tous les pays d’Afrique de l’Ouest. Nous avons invité les maires à discuter de l’agenda municipal en quelque sorte : ressources humaines, fiscalité, administration, etc. C’était donc le but de base de la gouvernance municipale. Et de fil en aiguille, nous avons finalement construit un agenda et incité les maires à se mettre en réseau. Voilà comment les associations de maires ont commencé à fleurir. Le Pdm aussi, sous la conduite de Mbassi et moi comme président du conseil d’administration, a été invité par plusieurs pays pour participer à l’élaboration de la loi portant décentralisation. C’est ainsi que petit à petit, d’autres bailleurs ont soutenu des programmes sur la décentralisation. L’on peut donc dire que le Programme de développement municipal a été le premier outil qui a permis une espèce d’accélération du mouvement municipal en Afrique. Parallèlement, les choses évoluaient aussi au niveau mondial. J’étais Président de la Fédération mondiale des cités unies, après avoir été le numéro 2 de Pierre Mauroy, l’ancien premier ministre français qui a été remplacé par l’ancien président de la République du Portugal, Jorge San Paio. Moi, j’ai pris les rênes après. Mais, nous les Africains, on nous disait que ça ne nous intéressait pas de venir nous couler dans des réseaux internationaux où les obédiences étaient plus ou moins de continuer la tradition d’influences des uns des autres. Or nous voulions l’unité et vraiment parler de la cause du développement municipal en Afrique. A ce niveau-là, j’ai eu l’honneur de conduire le comité qui a négocié en somme l’unification au niveau mondial. Sur le terrain en Afrique à partir du Pdm, nous avons commencé à réfléchir aussi sur la question de la panafricaine des maires qui deviendra la composante continentale de Cglu. Voilà comment est né Cglua.


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Les acteurs de l’Afrique locale

“ Un bon maire doit être généreux ” Plus tard, j’ai quitté mon poste de maire. Par la suite, j’ai été président de région, consultant. Compte tenu du parcours, et partout où je suis passé, Cglua m’a retenu comme personne ressource, avec soit la casquette de consultant, soit celle de conseiller.

“ La générosité d’un maire est son catalyseur ” Quelles leçons donneriez-vous aux jeunes qui entrent en politique, notamment au niveau local ? Le premier conseil, c’est d’être honnête. Parce que parfois, les combinaisons politiques, les alliances ne facilitent pas le travail quotidien. Or en politique, 1+1 ne font pas forcément 2; mais ce qui reste, c’est la compétence et la performance. Vous devrez donc démontrer que vous n’entrez pas dans les combines, que vous faites votre travail avec des réalisations tangibles. Mais avant cela, on peut vous atteindre politiquement, on peut vous dévier, vous pousser à vous allier à des incompétences parce que vous êtes du même clan, vous inciter à remplir la mairie avec des petits copains ou la famille. Deuxièmement, il faut admettre que le citoyen n’est pas forcément client, c’est davantage celui qui vous jugera sur votre performance. Troisièmement, on n’est pas un bon maire si on n’est pas généreux. Il faut donc avoir de grands projets et en réaliser quelques-uns tout en espérant en réaliser d’autres. Cette générosité est le catalyseur qui fait avancer.

“ La qualité de la ressource humaine est la première priorité d’un maire, car après son mandat, il sera jugé sur la performance ” Quel est votre regard sur la qualité des ressources humaines au niveau local? Une mairie doit avoir des équipes qui en veulent et qui ont du rendement. Je considère que c’est la première priorité d’un maire. Mais je suis contre la fonction publique locale. Parce que toutes les erreurs vues au niveau central avec le faible rendement dans le travail, les difficultés pour obtenir la bonne ressource de façon stable, l’absence d’audit, vont se reporter au niveau local. Ceci dit, il y a d’excellents fonctionnaires qui travaillent, mais qui sont si peu nombreux. Or, vous êtes élus, selon les pays, pour 4 à 6

ans, et vous êtes jugés sur la performance. Je crois donc qu’il devrait y avoir une certaine flexibilité accordée aux maires dans la sélection des moyens humains que l’Etat met à leur disposition. J’ai tendance à dire que l’Etat devrait se contenter de définir les profils et l’organigramme.

“ On ne peut pas développer nos pays sans développer les mentalités des gens ” Les collectivités locales africaines ont-elles les moyens de leurs ambitions face à trois défis que pose la construction de l’Afrique à partir des territoires: la planification, le financement et la réalisation ? Il faut bien comprendre que ce thème propose une nouvelle perception de la stratégie de développement. L’Etat central ne peut pas tout faire, parce que les problèmes se sont complexifiés, il y a une pression urbaine jamais atteinte dans l’histoire de l’Afrique, il y a une démographie galopante, il y a une concentration urbaine très grande parce que les villes se sont faites dans la pauvreté. Ailleurs, cela n’a pas été le cas. La concentration en ville a plutôt été générée par l’offre de travail. Ce sont les usines, le développement du commerce et de l’industrie qui attiraient les gens vers la ville. Ici, c’est le phénomène inverse. Dans plusieurs pays, on a plus à faire à ce qu’on appelle le rêve urbain, les gens qui quittent leur terroir parce qu’ils ne peuvent pas faire autrement. Le type de croissance que l’Afrique dans son ensemble a choisi est basé sur l’exportation et le marché extérieur, en comptant aussi sur les investissements directs. Tout ceci en enjambant les territoires. A terme, nous pensons que ce n’est pas une bonne stratégie. Il faudra la corriger sérieusement avec le territoire comme principal théâtre des opérations. La deuxième chose, c’est qu’il y a une citoyenneté qui émerge des territoires. On le remarque d’ailleurs dans les conflits qui naissent quand les gens réclament la part de leur territoire sur les richesses minières et naturelles qui y sont exploitées. Ils questionnent la mise en valeur de leur territoire lorsqu’ils prennent conscience de la mise en valeur des ressources qui s’y trouvent. Il y a donc une émergence de revendications citoyennes, et de ce point de vue le territoire émerge. La troisième raison est qu’on a cru que l’émigration était la formule, or ce n’est pas le cas. C’est vrai que ça été un paramètre important dans l’histoire des

hommes. Ça a même été un paramètre d’ajustement pour l’Europe et les Etats-Unis. Les Européens qui sont venus en Afrique et qui ont trouvé là matière à commerce, matière à prendre des ressources pour aller développer leur continent, matière à emplois sur place. Mais dans notre cas, on voit bien qu’on commence à être essoufflés et ceci du fait d’une crise mondiale. Les Occidentaux ont tendance à se refermer dans un protectionnisme qui est expliqué par la crise qu’ils subissent. Ils ont été longtemps leader du monde et il y a du changement avec la Chine qui est en passe de régner à leur place. Il y a d’importantes pertes d’emplois, car la concurrence mondiale est très dure. Bref, toutes les illusions sur l’émigration sont en train d’être découvertes par nos populations qui avaient émigré, et il y a même une tendance au retour. Elles se rendent compte que pour plusieurs raisons il faut revenir au territoire. Surtout qu’il y a un proverbe bien de chez nous qui dit « Si tu ne sais plus où tu vas, retourne d’où tu viens ». Ce qui fait une nouvelle fois émerger le territoire. C’est pour cela que la question que vous posez sur les moyens, les pratiques, les ressources relèvent davantage de politique et de stratégie. Si on les change, on peut améliorer les choses. Pour finir avec l’argument de masse, c’est qu’on ne peut pas développer nos pays sans développer les mentalités des gens. On ne peut pas laisser continuer ce clientélisme qui veut que l’Etat peut tout faire. Il faut qu’ils croient en leurs régions, à leur rapport avec l’environnement, au potentiel qu’ils ont d’agir et d’avancer. Il faut qu’ils aient le sentiment qu’ils sont ceux qui peuvent développer les territoires et personne d’autre. A ce moment-là, on pourra envisager

d’autres stratégies, pratiques ou ressources pour que le développement se déclenche par la base. Ceci n’exclut pas que l’Etat fasse son travail. Mais la croissance actuelle est extravertie. Parce que si vous prenez trois ou quatre usines dans les pays où les nouvelles technologies sont très bonnes, vous prenez la société mère de téléphonie, vous y ajoutez la société d’électricité et quelques autres, vous noterez que ce sont elles qui font la croissance, avec quelques banques étrangères. Et les impacts sur le grand nombre ont tendance à s’y faire. Il y a plusieurs niveaux de responsabilités qu’il faut questionner. Quand on sera au niveau de la base pour la direction d’écoles, pour faire des arbitrages en provinces dans une région, pour mieux auditer le leadership municipal ou régional, bref quand les gens commenceront à s’occuper de leurs affaires, les choses iront mieux.

“ Que les maires comparent les moyens mis dans la coopération décentralisée et les résultats ” L’une des pistes explorées par les élus locaux, c’est la coopération décentralisée. Mais est-ce que les reproches faits à la coopération interétatique ne vont pas être transposés de manière cruelle au niveau local ? Là aussi, il ne faut pas se faire trop d’illusions. La coopération décentralisée est peut-être une zone potentielle de transferts de savoir et de savoir-faire, quand ceux-ci sont adaptés à nos pays, à

nos cultures et à notre environnement. Mais que les gens n’aillent pas s’imaginer que la petite ville de province ou même la grande ville de l’Occident va transférer des ressources pour développer nos territoires. Par contre, c’est à la fois une source de bon échange de connaissances, de savoir-faire et d’expériences ; c’est aussi une source de fraternisation et de bonne connaissance des hommes et des cultures, ce qui n’est pas rien dans le développement. C’est aussi une source qui fructifie la paix, parce que quand les gens se fréquentent, ils se connaissent mieux. C’est enfin une occasion de découvrir qu’avec des moyens modestes on peut faire de grandes choses, à l’échelle des villages ou de certaines villes. C’est du point à temps pour faire avancer certaines choses, mais ça, ce n’est pas le développement. Bien sûr, il faut la pratiquer. Mais il faut surtout que les maires qui s’y mettent comparent ce qu’ils y mettent comme moyens aux résultats qu’ils engrangent. C’est un champ qui peut être intéressant mais qui a ses limites. De plus, ce n’est pas juste de demander à un conseil municipal extérieur qui a les mêmes problèmes que nos conseils municipaux ici de transférer en Afrique les moyens qui leur auraient permis de répondre à leurs propres préoccupations. Je dois cependant dire qu’il y a des expériences qui sont intéressantes dans la mesure où des gens qui ont de l’expérience, qui sont en retraite et qui veulent découvrir d’autres pays, peuvent venir prêter main forte dans beaucoup de directions dans le cadre de la coopération décentralisée et améliorer certaines situations. Mais encore une fois, ce n’est pas la solution miracle. Propos recueillis par K.S.


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EN BREF CEMAC

Un agenda pour l’intégration a 24e session du Conseil des ministres de la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (Cemac) qui s’est tenue le 03 novembre à bangui a dégagé un objectif précis pour 2017: le renforcement de l’intégration. Mais déjà pour 2013, le budget de la Commission s’élève à 58 milliards de Fcfa. Pour Pierre Moussa, le président de la Commision, « Les résultats obtenus dans le processus d’intégration de la Cemac ne sont ni suffisamment perceptibles dans le vécu quotidien des populations de l’Afrique centrale, ni à la hauteur des attentes de celles-ci». D’où la nécessité « de changements de comportement programmés dans le cadre de la réforme entamée et visant à doter la Cemac des structures et des hommes et femmes fort capables de la tirer vers l’avant. Les règles du jeu sont amenées à évoluer et les institutions à vocation de contrôle doivent être dotées des moyens adéquats pour l’accomplissement de leur mission », a souligné madame Rosario Mbasogo, la vice-présidente de l’institution, en ouverture des travaux. Source: journalducameroun.com

L

NECROLOGIE

Théophile Abega rend son écharpe

Lors de sa dernière intervention publique

T

héophile Abéga, qui était jusqu’à son décès le 15 novembre 2012, le maire de la commune d’arrondissement de Yaoundé IV a succombé à l’hôpital général de Yaoundé à un arrêt cardiaque consécutif à un diabète, alors que le pays célébrait un jour plus tôt la journée mondiale de lutte contre cette maladie. Plus connu pour ses performances de joueur de football que de maire, Théophile Abéga, surnommé au temps de sa splendeur de «dobra» («docteur» en Ewondo, la langue parlée à Nkomo d’où le défunt est originaire) du football, du fait de son élégance et sa vista, ses dribbles chaloupés et son sens du but, avait été capitaine des Lions indomptables lors du premier succès continental de l’équipe fanion du Cameroun en Côte d’Ivoire en 1984. Depuis son retour d’un voyage de deux semaines aux Etats-Unis, il avait été hospitalisé le 09 novembre et à en croire un proche « il semblait déjà aller beaucoup mieux et l’on songeait même déjà à programmer sa sortie d’hôpital » quand la terrible nouvelle est tombée. La fédération camerounaise de football, par la voix de son président Iya Mohamed, a prévu d’organiser des funérailles à la mesure de ce que Théophile Abéga a apporté au football camerounais en tant que joueur (1973-1989), mais aussi président de club, lui qui a dirigé le club de son coeur, le Canon sportif de Yaoundé pendant une dizaine d’années. A 58 ans, «M. le maire» comme on l’appelait depuis 2007 rend son écharpe de magistrat municipal sans avoir procédé au déménagement des services de la mairie de Kondengui pour l’imposant ouvrage qu’il a fait construire à Ekounou. La dernière sortie publique de l’homme qui jouait sans baisser la tête a eu lieu le 11 octobre dernier, lorsque huit anciennes gloires du football camerounais avaient rendu visite aux Lions indomptables 72 heures avant le match retour contre le Cap Vert qui éliminera finalement le Cameroun de la prochaine Coupe d’Afrique des Nations en Afrique du Sud.

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Afrique de l’Ouest

L’Uemoa a un Conseil des CT Le Conseil des Collectivités territoriales décentralisées de l’Afrique de l’Ouest peut susciter des émules sur le continent. Par Martial Nepoue il est admis qu’il n’existe pas de modèle de décentralisation à imposer aux autres pays et régions du continent, il est cependant à noter que les expériences vécues par les Africains du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest ou du Centre peuvent fertiliser l’imaginaire des autres et susciter le débat ici et là. En Afrique de l’Ouest, c’est depuis le milieu des années 1980 que la décentralisation a été adoptée comme processus visant à réformer l’Etat hérité de l’époque coloniale. Ce choix a abouti à la mise en place d’autorités locales élues et responsables de la gestion du développement territorial. La principale conséquence de cette réforme est le renforcement du rôle des élus locaux, chargés, entre autres, de prendre en charge

S’

de manière effective les problèmes d’aménagement, de gestion de leur territoire, d’accès des populations aux services de base, ainsi que la promotion du développement économique local. C’est dire s’il a fallu que les collectivités locales apprennent à trouver des réponses efficaces au plan institutionnel et financier et à renforcer «les capacités des autorités en tant que maître d’ouvrage, pilote et coordonnateur du développement territorial, sur la base d’une approche reposant sur des principes de concertation, participation, inclusion, cohérence et complémentarité, permettant de fédérer l’ensemble des acteurs et potentialités d’un territoire». C’est ce qui est ressorti d’une présentation d’Aminata Sy, du département de l’Aménagement du territoire communautaire, des transports et du tourisme de l’Union économique et monétaire ouest africaine (Uemoa). A en croire Mme Sy, l’initiative est partie du bas vers le haut : les collectivités territoriales ont engagé des initiatives pour se mettre en réseau, puis elles ont sollicité l’appui de la Commission de l’Uemoa pour accompagner cette dynamique et promou-

voir une plus grande coopération entre la Commission, les Etats membres et les collectivités territoriales. La démarche a abouti à la création du Conseil des collectivités territoriales (Cct) de l’Uemoa dont il complète le dispositif institutionnel tout en ayant un rôle consultatif. Le Cct consacre la reconnaissance du «rôle moteur des collectivités territoriales dans les processus de développement territorial». D’où la nécessité «de promouvoir un cadre de dialogue politique permanent et durable» entre les parties. «Les crises sociales survenues dans certains pays membres de l’UEMOA mettent en lumière la nécessité de favoriser davantage les liens de coopération et d’échanges, qui peuvent permettre de mieux rapprocher les communautés, renforcer la cohésion sociale, favoriser la réalisation de projets de développement et gérer efficacement la prévention des conflits» a conclu Mme Sy. De ce point de vue, le Cct, qui regroupe les décideurs municipaux de la sous-région, premiers témoins et acteurs des sites de crises, entend jouer un rôle capital. Si l’Uemoa n’y trouve rien à redire.


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Gouvernance locale

“ Gouverner, c’est gérer les cohérences ” Ousmane Sy, Ancien Ministre des Collectivités locales (Mali) Ousmane Sy est né le 25 mai 1949 à Bandiagara. En 2000, cet agroéconomiste, docteur en développement économique et social, est nommé ministre de l’Administration territoriale et des Collectivités locales par Alpha Oumar Konaré, après avoir été expert au Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), puis chef de la mission de décentralisation et des réformes institutionnelles du Mali. Il est le promoteur du Centre d'expertises politiques et institutionnelles en Afrique (Cepia) qu’il dirige depuis janvier 2004. Il est aussi Coordinateur régional de l'Alliance pour Refonder la Gouvernance en Afrique et vice-président de l'Institut de recherche et débat sur la gouvernance. En décembre 2004, il est récompensé par le prix international Roi Baudouin pour le développement « pour la force de sa vision et le courage de ses idées au sujet de la gouvernance en Afrique, et pour l'originalité de ses actions au Mali où, par un processus participatif de décentralisation et l'organisation d'élections transparentes, il est parvenu à créer un cadre stimulant une meilleure gestion publique et une stabilité renforcée; deux conditions essentielles au développement ». Il a écrit en 2009 un ouvrage intitulé Reconstruire l’Afrique, vers une nouvelle gouvernance fondée sur les dynamiques locales, éditions Charles Léopold Mayer, novembre 2009, 222 p. Aujourd’hui élu local de Bandiagara et accessoirement expert de l’Union africaine sur les questions de décentralisation, il a, à la faveur de la première réunion du bureau de la Caddel à Yaoundé, rendu une courte visite à l’Igac où nous l’avons rencontré le 10 mai 2012.

“ On a donné un visage et une langue à la démocratie. La démocratie pour les populations, c’est l’élu local qui parle leur langue ” Monsieur le ministre, votre position privilégiée vous permet d’avoir un regard transversal sur les processus de décentralisation en Afrique. Pouvez-vous faire une comparaison entre les modèles francophones et anglophones ?

le succès du processus de décentralisation?

“ Chaque fois qu’il y a rupture de cohérence, il y a crise de gouvernance ”

Le système anglophone est complètement différent du sytème francophone. Le système anglophone, c’est vraiment une responsabilité directe des pouvoirs locaux qui ne sont pas sous l’autorité d’administrations déconcentrées. L’héritage institutionnel français met en place un système de décentralisation accompagné d’un système de déconcentration de l’Etat central. Ça fait deux systèmes administratifs superposés. Or, le système anglophone est un système administratif avec deux composantes qui se parlent. C’est la différence fondamentale. En termes de décentralisation réelle, je pense que le système anglophone est plus propice pour nos pays que le système francophone.

tions vont plus facilement voir leur élus pour discuter de leurs problèmes qu’un représentant de l’Etat. C’est quelque chose qui est en place, mais les processus prendront du temps pour s’inverser et que le niveau local soit vraiment le niveau d’initiative. Cela suppose que le niveau local ait plus de ressources financières et humaines. C’est ce que je suis en train d’expérimenter aujourd’hui. Après des responsabilités nationales, je suis allé pour des responsabilités locales. Ça crée des dynamiques nouvelles. Je crois que c’est ça qui permet d’équilibrer même et de donner plus de considération aux pouvoirs locaux par rapport au pouvoir national.

“ Tout système évolue par des crises. Ce n’est “ Petit à petit, les responsabilités au niveau pas la crise qui est grave, mais plutôt qu’on ne local vont devenir suffipuisse pas réguler la samment attrayantes et crise ” valorisantes pour que les gens mieux formés Un certain nombre d’analystes pensent les investissent ” qu’avec les responsabilités croissantes

Et si on revient à la réalité de votre pays. Au moment où vous quittiez vos fonctions de ministre, quel était le niveau d’appropriation du processus par les populations? Pas suffisant, parce que ça demande beaucoup de temps. L’administration centralisée a été installée pendant plus d’un siècle dans nos pays. Dix ans ne suffisent pas pour inverser la tendance. Ça demande beaucoup plus de temps. Mais ce qu’on constate déjà, c’est le rapprochement des décideurs publics des populations. Comme je l’ai dit dans un rapport, on a donné un visage et une langue à la démocratie. Le visage de la démocratie pour les populations, c’est l’élu local qu’ils ont choisi eux-mêmes, qui très souvent parle leur langue. Je crois que tout ceci constitue des processus de rapprochement, de responsabilisation, qui font bouger les choses. Ce qu’on a constaté, c’est que les popula-

Je crois que c’est un rôle de régulation. Quand vous regardez la plupart des crises qui agitent nos pays, ce sont des instabilités qui sont dues au fait que les mécanismes de régulation ne fonctionnent pas. J’entends par régulation un dispositif qui est là pour prévenir les crises ou pour les gérer lorsqu’elles surviennent. Les mécanismes qu’on appelle traditionnels sont ignorés ou ont cessé de fonctionner, et on n’a pas encore une bonne maîtrise des mécanismes modernes de régulation. C’est là-dessus qu’il faut qu’on travaille sérieusement. Car on a besoin de stabilité pour se développer. Tout système évolue par des crises. Ce n’est pas la crise qui est grave, mais plutôt qu’on ne puisse pas réguler la crise. Nous devons donc revoir nos mécanismes de régulation. C’est une question qui fait l’objet d’attention de ma part. Chaque fois qu’il y a rupture de cohérence, il y a crise de gouvernance. La définition que je donne de la gouvernance, c’est comment gérer les cohérences. C’est une définition simple, mais ça touche la question de fond. Partout où il y a crise de gouvernance, il y a une crise de cohérence, donc une crise de régulation.

“ Les rééquilibrages se feront progressivement à travers la prise de conscience que le vote, c’est l’occasion pour que le citoyen affirme son pouvoir sur les institutions publiques ”

transférées aux collectivités locales, il faut absolument définir le profil des maires. Quel est votre avis là dessus? Je ne crois pas que ça doit être décrété. Il faut que ça soit construit. Petit à petit, les responsabilités au niveau local devenir suffisamment attrayantes et valorisantes pour que les gens mieux formés les investissent. Si on veut le décréter, on va contre les principes démocratiques qui se font sur la base d’élections. Dans le cadre d’élections, on ne peut pas dire qu’un citoyen vaut mieux qu’un autre à partir du moment où, quel que soit son niveau, il a la confiance des populations. Avec les évolutions, on se rend compte au Mali que de plus en plus de gens compétents, intéressés à s’impliquer dans la gestion, acceptent de partir au niveau local faire le sacrifice. C’est cette dynamique qui va se poursuivre.

Certains analystes estiment qu’au regard de la compréhension qu’ont les organisations de la société civile des enjeux de la décentralisation, il y a un risque qu’il y ait une espèce de rééquilibrage des rapports de force mais au détriment des populations. Qu’en pensez-vous? Les populations sont actrices dans les processus de gouvernance qui sont en construction. A travers les systèmes de démocratisation, ce sont elles qui vont décider par leurs choix, par leurs décisions, par leurs votes. Les rééquilibrages se feront progressivement à travers la prise de conscience que le vote, c’est l’occasion pour que le citoyen affirme son pouvoir sur les institutions publiques. Eviter de vendre le vote, éviter de le bazarder, éviter de le transformer; mais en faire un moment et un instrument d’exercice de sa volonté. Je crois que c’est ça aussi qui permettra de mettre en place un système de gouvernance.

Quel est le rôle que vous attribuerez aux élites et aux autorités traditionnelles pour

Propos recueillis par KS


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Southern Africa

EN BREF

Approach experienced in SADC’

MUSIQUE

Le Cameroun aux Kora 2012

By Ngu Peter lthough established in early 2008, and officially inaugurated in November 2009, the Southern Africa Regional Office of United Cities and Local Governments of Africa (UCLGASARO) became operational in February 2012 with support of the ARIAL programme. The ARIAL programme is a project contracted by the ACP Secretariat and funded by the European Union, for supporting and strengthening Local Government Associations at ACP national and regional levels. The UCLGA-SARO members are Local Governement Associations of Botswana (BALA), Lesotho (MASERU), Malawi (MALGA), Mauritius (ADCM, AUAM), Namibia (ALAN), South Africa (SALGA), Swaziland (SWALGA), Zambia (LGAZ), Zimbabwe (ARDCZ, UCAZ). But only one country has a constitutional recognition. According to Samuel Kaninda, a Senior officer of this organisation, UCLGA-SARO is the «umbrella organisation of Local Government in Southern Africa» and its vision is to «strengthen, integrate and organise Local Government Associations in SADC’» while its mission is to «To become the recognised, representative voice for organised local government in SADC and provide a platform for capacity building and networking». «In Southern Africa, local government is adopted as a tier/ sphere of government in its own right, although decentralisation yet to be effective in some countries», M. Kaninda said. Advocacy and lobbying role, Capacity Building and Resource mobilisation of LGAs, Knowledge Sharing between LGAs and Profiling of LGAs are key mandates of UCLGA-SARO.

A

L

a 12e édition des «Kora Music Awards» sera organisée le 29 décembre 2012 à Abidjan en Côte d’Ivoire. Des artistes camerounais espèrent y faire flotter le drapeau tricolore. Il s’agit de Lady Ponce nominée dans la catégorie «meilleure artiste féminine d’Afrique centrale» avec son titre “secouer secouer”. Elle sera, entre autres, en lice avec sa compatriote Charlotte Dipanda et son titre “coucou”. X-Maleya son titre “tchokolo” sont en compétition dans la catégorie «meilleur groupe africain» tandis que N’Lauretta espère décrocher le graal dans la catégorie «meilleure artiste féminine musique religieuse» avec son titre «Hommage à Jésus». Au total, 144 artistes de 41 pays seront départagés sur la base de la qualité des vidéogrammes, l’importance de la représentativité des cinq régions du continent ainsi que celle du rajeunissement de la musique africaine. Pour rappel, les titres doivent avoir été mis sur le marché entre le 1er mai 2010 et le 10 octobre 2012.

LG Ministers Forum Established in 1999 with a view to promote the role of local government within the

SADC program of action, the SADC Local Government Ministers Forum currently consists of fourteen member states. And its role is to promote local self-government, develop and serve as a source of data on existing as well as the latest international policy developments regarding local government, coordinate disaster management by local authorities in the SADC region, render advice with regard to training of local government councillors and officials of member states, coordinate promotion of local economic development in towns and cities of member states to facili-

tate job creation, facilitate the formation of organised local government structures in the SADC region and deepen the relationship between SADC countries regarding all local government matters. The platform provided by the annual commemoration of the Africa Day of Decentralisation and Local Development can also be used by UCLGA-SARO to strengthen relations with the SADC Local Government Ministers Forum and AMCOD, and contribute meaningfully to finding lasting solutions to the development challenges facing the continent.

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L’expérience de Djibouti

“ La décentralisation fiscale est le summum ” Sirag Omar Abdoulkader, Directeur de la Décentralisation (Djibouti)

Est-il nécessaire d’améliorer l’arsenal législatif et règlementaire pour rendre la décentralisation plus effective dans votre pays ? Je commencerai un tout petit peu par le commencement. La décentralisation a été instituée en République de Djibouti en 1999. Mais c’est à partir de 2000 que nous avons entamé réellement la mise en place du processus. A l’instar de nombreux pays qui ont entrepris cette réforme visant à impliquer les populations à la base dans la gestion des affaires publiques au niveau local à la suite de certaines revendications populaires, à Djibouti il y a eu un petit conflit armé. Celui-ci a débouché sur une conférence de réconciliation qui a largement plébiscité la décentralisation. Le gouvernement s’est alors engagé à mettre en place une forme de décentralisation pour, d’une part, essayer de désamorcer la crise, mais également dans un objectif de développement du pays. C’est donc en ce sens que l’arsenal juridique de Djibouti s’est doté de deux lois : la loi 174 qui porte sur la décentralisation et le statut des régions, et une autre loi portant sur le statut particulier de la ville de Djibouti. La ville de Djibouti est dotée d’un statut particulier à l’instar de la ville de Bamako. Je ne vous cache pas que nous nous sommes largement inspirés de ce qui se faisait au Mali. En 2003, justement, j’ai fait partie d’une mission de reconnaissance au Mali. Mission conduite par le Ministre de l’Intérieur et de la décentralisation et durant laquelle nous avons pris des contacts avec les autorités maliennes qui ont favorisé des échanges d’expériences ayant conduit à l’élaboration du projet de loi sur le statut particulier de la capitale de Djibouti. Pour revenir à votre question, je confirme que quelques années après, il y a effectivement lieu de revisiter certaines dispositions de l’arsenal législatif et réglementaire. Il y avait, c’est le cas de le dire, une urgence à résoudre qui peut, avec le recul, laisser croire à une certaine précipitation. Car certaines dispositions fixées par la loi se sont révélées être au-dessus de nos moyens. Douze ans après, cer-

taines dispositions n’ont pas été appliquées, parce qu’elles ont été trouvées difficiles à mettre en place, notamment en ce qui concerne la fiscalité locale. De même, en matière de transfert de compétences, un certain nombre de transferts ont eu lieu, mais force est de constater que d’autres compétences qui normalement devaient être dévolues aux collectivités territoriales n’ont pas été transférées. Les différents décrets d’application de la loi qui devaient fixer les modalités de mise en place de la fiscalité locale, préciser les modalités de transfert des compétences et d’autres décrets devant préciser certains aspects de la conduite du processus de décentralisation n’ont pas suivi. Il y a deux ans, nous avons fait appel à des experts internationaux dans le cadre d’un projet du Programme des Nations unies pour le développement. Le but, c’était de toiletter et renforcer l’arsenal juridique afin de l’adapter au contexte social, politique, économique et social de mon pays. Ce travail a été fait, mais il reste encore quelques points à améliorer. La décentralisation est un processus continu, on ne l’achève jamais. Mais à Djibouti, nous sommes engagés à la revisiter, la réorganiser, la remettre au goût du jour.

décentralisation administrative renvoie davantage à ce qu’on appelle la déconcentration ; ici les services sont déconcentrés à l’échelon régional, mais toujours avec la prise de décision qui dépend de l’Etat central. Avec la décentralisation fiscale qui est pour moi le summum de la décentralisation, on donne l’opportunité aux collectivités locales de prélever des taxes et impôts au niveau local. C’est là la véritable autonomie pour les régions et les communes. Plus globalement, la décentralisation doit viser un objectif : offrir aux populations ses services sociaux de base. Le reste, c’est de la cosmétique institutionnelle. Quand je parle de services sociaux de base, c’est plus précis que d’évoquer le simple fait d’améliorer le niveau de vie des populations. Car il s’agit de services faciles à gérer, ne réclamant pas beaucoup de technicité, ni des moyens techniques et financiers importants. Prenons des exemples: la gestion des écoles primaires ou la gestion des cantines et dortoirs peut être facilement transférée aux collectivités locales. C’est pareil en matière de santé : la gestion des dispensaires ou la gestion de la chaîne de fourniture de médicaments. Il s’agit de compétences dont l’Etat doit se dessaisir. Un deuxième palier de compétences à transférer concerne la gestion de l’accès à l’eau potable avec des puits ou des forages, les infrastructures routières avec notamment les routes secondaires. Ce partage des tâches entre le pouvoir central et les collectivités locales déchargera l’Etat pour qu’il se consacre à ses missions régaliennes, tandis que les élus locaux qui sont auprès des réalités vécues par leurs électeurs pourront identifier les problèmes qui se posent et y trouver réponse avec la participation des bénéficiaires que sont les populations.

“ Nous avons opté pour les régions et non les communes, “ La décentralisacar la région est tion n’est pas liée à l’échelon idéal pour la taille du pays ” la planification ”

Jusqu’à quel point votre gouvernement a-t-il pris en compte les influences positives ou négatives des réalités sociales auxquelles vous êtes confrontés au quotidien dans la mise en œuvre de ce processus ? On peut voir la déclinaison de la décentralisation à trois niveaux : la décentralisation politique, la décentralisation administrative et la décentralisation fiscale. Pour le premier cas, il s’agit de la dévolution d’un certain nombre de pouvoirs et de compétences de l’Etat central à des entités décentralisées qui s’administrent librement. La

A combien de collectivités locales le découpage administratif de Djibouti a-t-il donné lieu ? Je dois rappeler que Djibouti est un petit pays avec une superficie de 23 700 km² et à peu près 800 000 habitants. Mais ceci ne nous a pas empêché d’adopter le processus de décentralisation de l’Etat. D’ailleurs, certains nous ont souvent rappelé que nous avions un tout petit pays et qu’il n’était pas nécessaire de mettre en place la décentralisation. Ce à quoi nous avons souvent répondu que la décentralisation n’est pas liée à la taille du pays. La décentralisation

est une nouvelle forme d’administration. C’est pourquoi le président de la République de Djibouti a insisté pour que la décentralisation soit effective dans notre pays. Pour répondre à votre question, je dirais que le pays a été découpé en cinq collectivités que nous appelons les régions : Obok, Tadjourah, ‘Ali Sabieh, Dikhil et Arta. Nous n’avons pas voulu, si vous le permettez, surcharger les différents échelons administratifs en mettant en place les communes. La loi les prévoit certes, mais nous avons laissé les communes pour une mise en place ultérieure. Nous avons favorisé les régions, car elles ont l’avantage d’être l’échelon idéal pour la planification.

“ La formule actuelle de financement de certains bailleurs avantagent le niveau central et non le niveau local ” Quelle place est accordée aux acteurs non étatiques dans la structuration opérationnelle de la décentralisation à Djibouti ? Il existe un certain nombre d’organisations de la société civile qui travaillent au quotidien avec les élus locaux. Quand elles ont un projet, elles le soumettent au conseil régional qui les examine pour s’assurer que les projets présentés correspondent aux réalités ou aux besoins des populations. Si c’est le cas, la collectivité consent à les soutenir. Mais ce soutien n’est pas financier, car les collectivités manquent cruellement de moyens financiers. Elles n’ont pas véritablement de budget, il y a juste une dotation annuelle de l’Etat pour leur fonctionnement. Conséquence, les collectivités apportent aux associations dont le projet a répondu aux critères d’évaluation un soutien technique. Vous avez des élus qui prêtent une main forte à ces associations pour monter le projet suivant les canons de projets bancables qui peuvent être soumis à des partenaires au développement. Pour parler des partenaires au développement, je ne sais comment cela se passe dans d’autres pays, mais je vais abandonner le politiquement correct pour dire la vérité : certains d’entre eux ne jouent pas véritablement leur rôle à Djibouti. Ceux que je décrie ont tendance à travailler davantage avec les ministères ; ils privilégient le niveau central au niveau local. Ils cherchent pour principal interlocuteur le ministère, les directeurs. J’en suis un d’ailleurs et cette situation n’est pas plaisante, car elle est inadaptée aux objectifs à atteindre. Or, nous aurions préféré qu’ils travaillent davantage avec les élus locaux et la société civile. Or ils préfèrent la situa-

tion actuelle où ils travaillent davantage avec les ministères sectoriels, parce que cela les arrange du fait d’intérêts et agendas cachés. Or les ministères sectoriels utilisent ces fonds, mais pas au bénéfice des collectivités. Tout cet argent n’arrive pas à destination. Pour vous prendre un exemple, vous avez un bailleur qui crée des structures qui font doublon avec des structures existantes. Ils créent une unité de gestion des projets (Ugp) pour lequel ils recrutent des personnes localement mais aussi et surtout des consultants internationaux qui coûtent une fortune. Conséquence: une bonne partie de l’argent mobilisé pour un projet est perdu pour les bénéficiaires. Or s’ils font davantage confiance aux élus, car il y en a de compétents et qui savent s’entourer, il y aura un meilleur bénéfice pour les collectivités et pour l’Etat. Quelle est la portion du budget de l’Etat qui est affectée aux collectivités locales pour leur fonctionnement ? C’est dans l’ordre de 1 à 2% du budget de l’Etat. Pas plus. Il s’agit essentiellement des frais de fonctionnement qui paient les indemnités des élus locaux, les matières et fournitures de bureau ainsi que l’entretien des locaux. Mais il n’y a absolument rien de prévu pour financer l’investissement. L’Etat reconnait que c’est quelque chose qu’il va falloir corriger. Il y a d’ailleurs un rapport qui a été produit dans ce sens et qui apporte un certain nombre de corrections aux manquements observés. On espère que le budget 2013 prendra en compte ce genre d’amendements. Certains analystes estiment qu’avec la décentralisation il y a une espèce de redistribution des cartes de pouvoirs au niveau local au détriment des populations. Quel est votre avis là-dessus ? J’aimerais d’abord faire une réflexion. La décentralisation est aujourd’hui présentée comme une panacée. Mais il ne faut pas non plus tomber dans la tyrannie du local. La décentralisation ne peut pas tout résoudre, il n’est pas souhaitable de vider l’Etat central pour le niveau local. Je rappelle que l’élection ne confère pas une sainteté qu’on ne retrouve pas au niveau central. La corruption, le clientélisme et autres défauts du niveau central se retrouvent aussi au niveau local. Un peu de nuance serait souhaitable. La décentralisation favorise le travail en synergie de quatre acteurs: les élus locaux, la société civile, le secteur privé et les populations à la base. C’est un processus inclusif. Si chaque acteur s’organise, le partage du pouvoir se fera plus aisément. Propos recueillis par K.S.


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FOCUS COOPERATION

7 maires africains à Dschang

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Eastern Africa

An overview of the EAC reality By Ngu Peter uring the technical retreat at Kribi (Cameroon), last 6th to 8th September, Winston Khamula of Giz-Amcod presented the «Inclusion of Local Governance Agenda in the Regional Integration Progress. An Overview of the East African Community (EAC)». The East African Community (EAC) is the regional co-operation that comprises the Republic of Tanzania, Kenya, Uganda, Burundi and Rwanda. The Protocol on the Establishment of EAC Common Market entered into force on 1 July 2010 with the objectives to develop policies and programmes to widening and deepening cooperation among the Partner States in political, economic, social and cultural field, research and technology, defence, security and legal and judicial affairs, for their mutual benefit; and establish a Customs Union, a Common Market, and subsequently a Monetary Union and ultimately a Political Federation amongst themselves. The EAC Common Market will be an area without internal frontiers in which free movement of goods, persons, labor, services and capital is ensured (4 freedoms). It will serve 532 LGs with a total population of about 133 million people. Therefore, LGs as service providers on local level will have to be prepared for the Common Market. The actors involved are the EAC organs, such as the Summit, Council of Ministers, Coordination Committee, Sectoral Commitees, East Africa Court of Justice, East Africa Legislative Assembly, The Secretariat - housed in the Arusha International Conference Centre. There are also EAC institutions including Lake Victoria Basin Commission, Civil Aviation

D a ville de Dschang a abrité du 20 au 24 novembre 2012 la 2ème rencontre quadripartite des partenaires du Conseil général du Nord. Les acteurs viennent du Sénégal (4 communes), de la Guinée Conakry (3 communes), du Conseil général du nord, et de Dschang (les 6 Communes de la Menoua), soit au total plus d’une douzaine de collectivités territoriales africaines liées au Conseil général du Nord par une convention de partenariat quadripartite. Ce partenariat a été initié et facilité par Ensemble pour l’Action Nord-Sud (Elans) dont le pendant au Cameroun est Tockem. Le Conseil général du Nord, pièce maîtresse dudit sommet, assiste ses partenaires dans les domaines de la santé en milieu rural, de la gestion des déchets, du renforcement des capacités institutionnelles et de l’appui à l’éducation. Au cours de la rencontre de Dschang, la deuxième du genre après celle de 2009 à Dagana au Sénégal, les parties ont évalué le chemin parcouru afin de se fixer de nouveaux objectifs. La rencontre s’est tenue en présence de Philippe Léty, Vice-président du Conseil général du Nord chargé des Relations internationales et des Affaires européennes. Le Conseil général du Nord comprend le département de Lille et ses différents arrondissements et cantons. Il comprend 79 conseillers généraux qui définissent « les principaux axes de la politique du Département ». Source : www.sinotables.com

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GOUVERNANCE

Les comptes de Douala à jour ne session extraordinaire du conseil consacrée au vote et à l’adoption des comptes administratifs 2009, 2010 et 2011 s’est tenue ce 16 novembre 2012, en présence du préfet du Wouri. Les comptes administratifs de la Communauté urbaine de Douala (Cud), au titre des exercices budgétaires 2009, 2010 et 2011 ont été consolidés. Jusqu’alors, les grands conseillers avaient refusé de les valider au motif de certaines incohérences constatées. Avant de présenter les documents aux membres du conseil de la Cud, Fritz Ntone Ntone,le délégué du gouvernement auprès de la Cud et son staff ont abattu un long travail de régularisation des écritures, qui leur a permis d’aboutir à des équilibres recherchés. On apprend qu’en 2010, neuf opérations de régularisation ont eu lieu dans le chapitre consacré aux recettes, contre quatre pour les dépenses. En 2011, il y a eu une opération concernant les recettes et 7 dans les dépenses, entre autres. 2009 «est un exercice qui a connu trois receveurs municipaux, une situation qui n’était pas de nature à amener la Cud à assurer avec quiétude les opérations de concordance des chiffres à la fin de l’exercice », justifie Fritz Ntoné Ntoné, en brandissant le problème de l’emprunt obligataire Cud Finance et les opérations d’Hysacam. « Les comptes ont été régulièrement votés, mais en l’absence de la conformité qui voudrait qu’il y ait concordance, ils n’ont pas été approuvés par la tutelle. Nous avons saisi le Minfi et le Minadt pour régulariser cette situation, d’où l’équipe mixte de contrôle », ajoute le médecin. Le conseil du 16 novembre dernier consacre donc la fin de cette procédure de régularisation. « A partir de l’exercice 2012, il n’y aura plus de problème d’écart entre le poste comptable et les écritures de l’ordonnateur », parie Fritz Ntoné Ntoné, qui peut désormais dormir tranquille. Source: La Nouvelle Expression

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&Security Oversight Agency(CASSOA), Lake Victoria Fisheries Organisation, InterUniversity Council for East Africa, East African Development Bank. The East Africa Local Government Association (EALGA) is the umbrella organization acting as the voice of the local government associations in East African Community. At national level, members are Association of Local Authorities of Tanzania (ALAT), Association of Local Government Authorities of Kenya (ALGAK), Association Burundaise des Elus

Locaux (ABELO), Uganda Local Governments Association (ULGA) and Rwandese Association of Local government Authorities (RALGA). EALGA is housed within the EAC Secretariat premises and is granted an observer status. It receives the support of GIZ-AMCOD, concerning strengthening of EALGA itself or LG associations to influence institutionalisation of decentralisation and local governance in regional integration processes, in collaboration with bilateral programs.

Ethiopian experience of decentralization By Ngu Peter n the first part of the 20th Century Ethiopia forged strong links with Britain, whose troops helped evict the Italians in 1941 and put Emperor Haile Selassie back on his throne. From the 1960s British influence gave way to that of the US, which in turn was supplanted by the Soviet Union. The experts gathered in Kribi learnt from M. Habtamu Nini Abino, the Head of Secretariat of House of Federation of the Federal Republic of Ethiopia, that during past regimes, Ethiopia has been subject to unpleasant experiences because of a lack of respect and tolerance of ethnic and cultural diversity, and a lack of good governance and accountability. This disrespect caused the ancient civilization of Ethiopia to fall into war and poverty from which we are now recovering and living a renaissance of previous strength and beyond. The past misperceptions and mistreatments have been fully addressed since the military dictatorship has been overthrown in 1991. Since 1995 Ethiopia’s supreme law is a federal and democratic constitution granting individual and group rights Until the system change in 1991, Ethiopia throughout its long history has failed to develop a system of governance that embraces its diversity - one that helps it to transform its extraordinary diversity from an existential threat to a deep well of strength and dynamism. Indeed the non-

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management of its diversity has for centuries constituted a primary challenge - a challenge that has massively contributed to its centuries long journey backwards from the frontline of world civilization to one of the poorest countries on earth. In 1991, with their country embarked on Democratic Federalism, peoples of Ethiopia have been empowered to manage their local affairs autonomously and to mobilize all their resources to improve their livelihoods and develop their communities while at the same time becoming active participants’ in common national affairs. It has allowed them to design their governance system to fit the circumstances of each locality and thus serves the people better while consolidating their common democratic governance. «The other fundamental cause for a common political and economic community is the need to guarantee each nationality an equal opportunity to development and a right to equally benefit from the fruits of the country’s development, with an equal right to self-administration. It was in cognizant of this fact that our constitution grants each nationality the right to selfadminister itself. The other key issue in assuring equal rights of people is to ensure that the development activities of the federal as well as regional governments are, as much as possible, benefitting the people equally. In this respect, a number of provisions are provided in the constitution», M. Habtamu said. And he completed: « From our experience we can state that the most important precondition for any kind of development is ownership. To us, ownership is

far broader than the narrow concept a number of international organizations are using. I am not talking about private ownership of resources. To us, ownership means that the nation seeking development, be it economic, democratic or any other kind of development has to own this desire. The nation has to identify its own problems and to find its own ways to solve these problems.» In order to be successful and to obtain ownership, policies must fit into the given political, economic, educational and cultural context of our countries. In Ethiopia, they are making sure that the strategies they opt for are compatible with our context and our objectives. To succeed in developing a country requires a very strong political will, commitment and an extremely high level of discipline of the leadership and the population. It is the duty of the leadership in parliament and government to develop all sectors affecting sustainable development. Therefore the country has to integrate the sector policies and to design them in a way they all contribute to development. Examples here are infrastructure, education, health, environmental protection, investment conditions, political stability and peace as well as a clear understanding on which kind of economic development is supposed to focus on. The various players have differing responsibilities and different accountability, and they should work hand in hand in order to achieve sustainable development. Shared responsibility does not stop on the national level.


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La formation des RH territoriales

“ Les élus doivent être formés au leadership ” Bachir Mamadou Kanoute, Coordonnateur de Enda Ecopop (Sénégal) Toujours comme formateur, vous avez eu une expérience au Cameroun. Pouvez-vous nous en faire l’économie ? Cette expérience sur le Cameroun, c’était un grand programme de formation des décideurs publics en leadership local. Il avait été initié grâce à l’appui du Programme des Nations Unies pour les Etablissements Humains (OnuHabitat), du Programme des Nations Unies pour le Développement (Pnud), avec le soutien du Fonds spécial d’Equipement et d’intervention intercommunale (Feicom), du Centre de formation en administration municipale (Cefam), sous le leadership du ministère de l’Administration territoriale et de la décentralisation (Minatd) qui était le maître d’œuvre. Ce programme partait du constat que n’importe qui peut être élu par le biais des élections locales. Cet élu n’est souvent pas doté des capacités lui permettant d’impulser le développement local, de faire de travail de l’élu local tel qu’attendu. Il y a des formations sur les textes de lois. Mais cela ne suffit pas de maîtriser tous les textes, car il y a des notions de négociation, de communication, d’animation d’équipe, de management qui sont attendues de l’élu local. S’il n’a pas appris, il ne pourra pas le faire. Cette formation en leadership local avait pour but de répondre à ces questions, et de former tous les décideurs locaux, élus ou non, en leadership local. Ce programme a tenu pendant trois ans et a donné des résultats notamment la production d’un manuel de formation adapté au contexte national, une trentaine de formateurs des élus locaux qui avaient été mis à disposition du Feicom, du Cefam, de la Direction des collectivités territoriales décentralisées du Minatd, des Communautés urbaines de Douala et Yaoundé. Même des préfets avaient été formés. Tous ces produits ont été mis à la disposition du Cameroun et on a commencé la formation des élus locaux sur huit provinces, je crois. Ce programme s’est malheureusement arrêté il y a cinq ans. Ce que je déplore, car c’était un programme porteur qui a donné des résultats et qui aurait dû se poursuivre. Cela est d’autant plus déplorable que tous les cinq ans il y a des élections locales, de nouveaux élus arrivent à la tête des collectivités locales. Il aurait fallu les renforcer pour qu’ils soient à la hauteur des tâches qui les attendent. Je pense qu’avec les autorités camerounaises, il faudra discuter pour savoir où se trouve le bloca-

En plus d’être le Coordonnateur d’Enda Ecopop, il est aussi le point focal de l’Observatoire de la démocratie participative en Afrique qui est en train de se mettre en place dans plusieurs pays du continent. Qu’est-ce que Enda Ecopop et comment est-ce né ? Enda Ecopop est une organisation de la société civile, membre du réseau Enda Tiers-monde qui est un réseau international composé d’une multitude d’organisations du tiers monde et Ecopop que je dirige est un des membres de ce réseau. Ecopop travaille sur les questions de gouvernance, de développement local et de décentralisation, et est présent dans 9 pays d’Afrique francophone et à deux ou trois reprises nous avons fait des incursions jusqu’en Haiti pour accompagner le Ministère de l’Intérieur et des Collectivités territoriales dans la formation des élus au leadership local. Mais notre ancrage, c’est l’Afrique francophone. Ecopop est «l’Espace de coproduction des offres publiques» pour l’environnement et le développement en Afrique.

“ Le budget participatif est un outil de programmation qui remet les besoins essentiels des populations au coeur des priorités de la collectivité locale ” Pour vous le budget participatif n’est pas simplement un outil de programmation, mais aussi et surtout un remède contre l’incivisme fiscal. Pourquoi ? En Afrique, on est dans un cercle vicieux : les autorités locales ont du mal à mobiliser l’impôt parce que les citoyens ne payent plus l’impôt ; et le citoyen de son côté ne paie plus l’impôt parce qu’il ne sait pas où va cet argent. Et nous avons pensé que le budget participatif est un des outils qui permet exactement de rompre ce cercle vicieux, en faisant en sorte que les populations contribuent au paiement de l’impôt, à la collecte des recettes mais en même temps qu’elles déterminent vers quoi

t z e ire e s Li tes l fai

iront ces ressources mobilisées. C’est un remède parce que par le passé ce n’était pas le cas. L’argent était récupéré par les services de l’Etat et finançait des investissements qui n’étaient pas les priorités des populations. C’était notamment des investissements de prestige, des grands ouvrages et des grands équipements qui ne répondaient pas aux besoins et aux préoccupations des populations. Alors le budget participatif participe à inverser l’ordre des priorités et faire en sorte que les priorités des populations puissent être inscrites dans le budget qui est le financement concret des investissements allant dans le sens de la prise en charge des besoins essentiels des populations pour leur résolution. Dans vos différentes interventions et publications, la participation est au cœur de la gouvernance locale. Pourtant certains observateurs estiment qu’il y a une redistribution du pouvoir au niveau local davantage en faveur de la société civile plutôt qu’en faveur des populations à la base. Que répondez-vous à cela ? Quand on dit population, peutêtre il ne faudrait pas le mettre en antagonisme par rapport aux citoyens et à la société civile. La société civile est un réseau d’organisations partant des populations et qui en sont l’émanation à travers des groupements de femmes ou des associations de jeunes. Ce sont ces organisations de base qui se fédèrent pour constituer la société civile. La société civile est par conséquent une forme avancée d’organisation. Et quand cette société civile se bat, je pense que c’est essentiellement sur des enjeux qui partent des quartiers, qui partent des populations qui vivent dans les zones les plus difficiles. Je donne un exemple : il y a

une dizaine d’années, au Sénégal, des associations de jeunes se sont organisées à partir de leurs quartiers pour conquérir la ville. Par des graffitis, ils inscrivaient des slogans pour attirer l’attention des décideurs. Ces associations de jeunes sont devenues aujourd’hui ce qu’on appelle des organisations de la société civile au Sénégal et qui sont les porte-étendards des préoccupations, des discours des populations. Ces porte-étendards portent ces discours au niveau des décideurs publics, les mettent sur la table comme base de discussion avec les décideurs pour faire avancer les choses. Là, on ne peut pas dire qu’il y a antagonisme. Vous êtes essentiellement un formateur. Ne pensez-vous pas qu’au lieu de former les élus locaux en session de courte durée comme cela est l’usage, il serait plus avantageux de former les secrétaires généraux et les receveurs municipaux moins enclins à subir les foudres des électeurs ? Nos formations portent au moins à trois niveaux : il y a les formations de courte session pour les élus ; il y a les formations de ceux qu’on peut appeler les conseillers ou facilitateurs en budgétisation participative qui sont des formations de deux semaines ; il y a enfin la formation des décideurs publics, notamment les secrétaires généraux, les conseillers techniques des ministères, etc. qui sont davantage des sessions d’information pour qu’ils puissent comprendre ce qui se fait en matière de budgétisation participative, surtout pour l’articuler avec les dispositifs étatiques en matière d’élaboration et de validation budgétaire. On a donc ces trois catégories de formation à l’échelle africaine.

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Parce que la culture est au fondement de toute action

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ge et comment relancer le programme. Au niveau de l’institution d’ancrage, notamment le Cefam qui assure la formation des personnels communaux, l’on pourrait trouver une formule qui permette de poursuivre cette formation en leadership local. Ce serait dommage qu’après avoir atteint de tels résultats, ceux-ci ne soient pas perpétués.

“ En Afrique, l’urbanisme n’est malheureusement pas encore bien intégré dans les politiques ” Quel regard l’urbaniste que vous êtes porte-t-il sur l’usage que l’Afrique fait de ses urbanistes ? Je dois le constater pour le déplorer : malheureusement en Afrique, l’urbanisation a trop devancé l’urbanisme. Regardez ce qui se passe dans nos villes : on laisse les populations s’installer ; et quand elles sont installées, on laisse un an, deux ans, voire dix ans avant de leur dire qu’il faut restructurer. On ne mesure pas le coût financier et surtout le coût social de la restructuration, le déplacement des populations, les dédommagements, la dislocation des liens sociaux, etc. Je le constate pour le déplorer. Je pense qu’en Afrique, malheureusement l’urbanisme n’est pas encore bien intégré dans les politiques. Si les urbanistes, de par leur formation, ont toutes les compétences pour le faire, la volonté politique manque encore au niveau des décideurs. Si la volonté politique existe, le courage politique pour prendre les décisions et les faire appliquer manque. Et les coûts, on les perçoit dans plusieurs villes africaines aujourd’hui. Quand vous allez à Ouagadougou ou à Dakar, avec les inondations les quartiers sont engloutis sous l’eau, des quartiers qui sont localisés dans des zones où il ne fallait pas habiter. Mais l’Etat avait laissé faire, les populations s’y sont installées et l’hivernage revenant avec les changements climatiques, aujourd’hui ça fait des coûts financiers et sociaux extraordinaires. Propos recueillis par K.S.


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Décentralisation et Société civile

Cameroun : Zenü Network indique le chemin Le projet en cours dans trois communes de l’Ouest et du Littoral, avec l’appui de l’Union Européenne, montre que la société civile a un rôle incontournable dans le processus de décentralisation. Par Flaubert Djateng* e processus de décentralisation au Cameroun trouve son fondement dans la loi no 96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la constitution du 2 juin 1972, plus précisément en son titre 10 traitant des Collectivités territoriales décentralisées. Cette disposition a été complétée par la loi d’orientation de la décentralisation no 2004/017 du 22 juillet 2004, qui fixe les règles générales applicables en matière de décentralisation territoriale, notamment une deuxième catégorie de collectivité territoriale décentralisée à savoir la région. Le Cameroun est une jeune démocratie dans laquelle l’Etat doit construire sa légitimité avec des citoyens mal informés sur leurs droits et devoirs. Les règles de gouvernance, le système administratif et juridique, les valeurs prônées par l’Etat sont très souvent en décalage avec la réalité et les aspirations de la population et ne prennent que très peu en compte les initiatives de bases qui sont pourtant des formes de contribution au service public. La décentralisation est l’une des plus importantes innovations politiques et institutionnelles intervenues au Cameroun au cours de ces dernières

L

années. Elle représente potentiellement une rupture fondamentale visà-vis des pratiques du passé qui gardaient la plupart des leviers du développement entre les mains de l’Etat central. Elle vient consacrer un acteur, la commune, comme principal artisan du développement local. Elle reconnaît que pour être efficacement relevés, les défis de développement doivent être l’affaire de tous les acteurs qui dialoguent activement dans la perspective de mieux gérer les affaires qui les concernent. Pourtant, à l’observation du processus de décentralisation actuellement en cours au Cameroun, les acteurs locaux publics et privés, ne disposent pas d’un niveau d’information et d’outils suffisants leur permettant d’inscrire leur action dans un cadre cohérent et prévisible. Les outils de conception et de gestion des politiques (appareil statistique, stratégies globales et sectorielles, etc.) ont été conçus pour le seul niveau national ; une attention bien moindre est prêtée aux enjeux locaux et aux liens multiples entre l’économie locale et l’économie nationale. Dans la mesure où la décentralisation a une mission générale orientée vers le développement local, il est donc indispensable que les élus et acteurs locaux disposent des informations économiques et sociales localisées ainsi que des mécanismes de concertation leur permettant de prendre des décisions éclairées. C’est dans cette mouvance que Zenü Network, créé en 2006, s’est positionné comme un acteur dans ce nouveau chantier de la décentralisation. En partenariat avec l’Union Européenne, l’un des projets qu’il

Séance de travail des parties prenantes à Bafoussam tions de la société civile, les chefs traditionnels ainsi les bénéficiaires des compétences et ressources transférées que sont les citoyens. Ces études ont mis en évidence la faible participation des Ane dans la gestion des affaires publiques, de même que leur faible capacité faire entendre et prévaloir leurs préoccupations. C’est pourquoi après les différentes restitutions à travers les Journées d’informations sur les politiques publiques (Jipp), des séminaires de formation ou de renforcement de capacités des élus locaux, Sde et Ane ont été organisés. La mise en œuvre progressive du projet permet à ce jour de relever que les Ane commencent déjà à s’intéresser à la gestion des affaires publiques et dialoguent avec les élus locaux et les citoyens. Grâce aux différentes formations, les Osc maitrisent mieux le contexte de réalisation des politiques publiques, comprennent mieux les enjeux et les outils qui facilitent l’expression des intérêts des populations. Elles peuvent

désormais identifier les acteurs périphériques et centraux et se positionner comme partenaires de la commune. Ainsi, elles gagnent en crédibilité sur le terrain, se structurent et sont de plus en plus sollicitées par les communes. Les Sde et les autorités administratives traînent encore les pieds pour les reconnaître comme des acteurs centraux dans le processus de la gouvernance où les citoyens doivent se prononcer sur les états de services qui leurs sont rendus par les pouvoirs publics à travers la commune dans le cadre de la décentralisation. C’est dans cette dynamique de collaboration entre commune, Osc, Ane, Sde et les citoyens qu’un système de participation et de redevabilité est en train d’être institué dans les différentes communes partenaires au projet. * Coordonnateur de Zenü Nework Projet Promotion de la Gouvernance Locale, projet financé par l’UE et s’exécutant dans les régions de l’Ouest et du Littoral (PGL/OL) www.zenu.org

“ On apprend beaucoup ” El Hadj Oumarou

Des outils (re)novateurs

Maire de Nkongsamba 1er

Le projet PGL/OL a conçu et mis en place des outils novateurs qui ont été développés et testés efficacement. Par F.D.

râce aux instruments mis en place par Zenü Network, à savoir les audiences publiques et le budget participatif, les populations sont directement impliquées dans la gestion des affaires locales et mettent à profit leur expertise dans le développement de leur localité. En impliquant tout le monde tel que prescrit par le projet de promotion de la gouvernance locale (Pgl/Ol), on apprend beaucoup et de tous, notamment que les organisations de la société civile sont un maillon essentiel du développement de nos contrées. Je suis satisfait et regrette en même temps que le projet arrive à son terme en décembre prochain. Le Pgl/Ol nous a permis d’obtenir des acquis à pérenniser dans les secteurs de l’agriculture et de la santé. Nous avons construit un hôpital qui attend d’être équipé et nous avons aménagé des pistes rurales en attendant de construire un pont qui les reliera aux plantattions dans lesquelles travaillent des centaines de personnes. Mon souhait est qu’une phase II du projet puisse être initiée afin que le processus se poursuive dans le même élan.

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“ Un projet intéressant et pertinent ” Maxime Montagnier Chargé des programmes Société civile, Délégation UE, Yaoundé our moi, ce projet est très intéressant et pertinent dans le sens où il est complexe. Complexe dans la mesure où il vise à mettre ensemble autour d’une même table les autorités locales, les services déconcentrés de l’Etat et les organisations de la société civile. L’une des nombreuses réussites de ce projet est d’avoir réussi dans ses trois communes pilotes [Bangangté, Mbouda et Nkongsamba 1er, ndlr] à instaurer les rencontres et le dialogue entre organisations de la société civile et autorités locales. Ce n’est pas l’Union Européenne qui va décider ou non de poursuivre son appui à Zenü Network. La question est de savoir si Zenü Network va nous soumettre une proposition et quelle sera sa qualité par rapport aux autres propositions. Toujours est-il que c’est avec plaisir que nous pourrions envisager de poursuivre ce partenariat.

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pilote actuellement dans deux régions du Cameroun est le projet de Promotion de la gouvernance locale et renforcement des capacités politiques des acteurs non étatiques (Ane) dans les régions de l’Ouest et du Littoral (Pgl/Ol). Les communes de Mbouda et Bangangté à l’Ouest et la commune d’arrondissement de Nkongsamba 1er dans le Littoral sont les communes pilotes dudit projet. Le dispositif opérationnel du projet s’appuie sur des organisations associées. Il s’agit de Knowledge For All (Kfa) pour la commune de Mbouda, de l’Association pour la promotion des actions pour le développement endogène rural (Apader) pour Bangangté et Un Monde Avenir (1Ma) à Nkongsamba 1er. Par ailleurs, Enda Graf Sahel Sénégal est le partenaire technique. Sept secteurs ont été retenus dans ce projet. Il s’agit de l’artisanat, la santé, l’éducation, jeunesse/emplois, les transports, la décentralisation et la gouvernance. L’objectif global du projet est de contribuer à une participation crédible et efficace des Ane au processus de décision politiques et au service public. Ce qui passe par le renforcement des capacités politiques des acteurs de la société civile pour qu’ils s’impliquent et participent à la construction des politiques publiques au niveau local et national, notamment le partage de la régulation et de la gestion de l’action publique. Faible participation des acteurs de la société civile Des études de diagnostic ont été réalisées dans les trois communes citées ci-dessus et ont impliqué les services déconcentrés de l’Etat, les organisa-

L’Observatoire de la gouvernance locale Les Observatoires sont des dispositifs de suivi et d’évaluation citoyenne des performances du service public au niveau local. Composés des différents segments au niveau communal, les acteurs locaux à savoir les Ane, Osc, associations, secteur privé, groupes vulnérables, etc. formés suivent et évaluent de manière périodique les Ctd sur la base de quelques indicateurs tels la qualité, l’équité, le respect des droits, le respect des règles d’intégrité, la bonne gestion et rendent compte. L’observatoire est un instrument de promotion de la gouvernance locale mis en place au sein des communes et reconnu par l’autorité communale. Les dialogues citoyens Ce sont des fora (d’aucuns diraient des arènes) de discussion au cours desquels les autorités publiques (maires, responsables d’une entité publique comme les services déconcentrés de l’Etat, députés…) font face à la population soit pour présenter leurs programmes, soit pour rendre compte de leurs actes (compte administratif, plan de gestion). Ces initiatives permettent de susciter l’adhésion des citoyens au processus de décentralisation et

essaie de créer une culture d’éveils citoyens au niveau des Ctd, conformément à l’esprit de la décentralisation. A chaque fois que des dialogues citoyens ont été organisés, un pas important était franchi vers plus de redevabilité (accountability) et de transparence dans la gestion des affaires publiques. Les audiences publiques Ce sont des fora de consultation des populations, d’information et de communication qui permettent de recueillir l’avis des citoyens ou des groupes spécifiques sur une politique donnée, un règlement, un projet ou une question particulière d’intérêt commun. Ce sont des instruments qui facilitent la participation à la prise de décision et peuvent être initiées par un élu local, un exécutif communal, un comité ou une commission d’un conseil municipal selon l’objet. Elles permettent la prise en compte des préoccupations des citoyens lors de grandes décisions. C’est un instrument qui permet aux élus et ceux qui ont une responsabilité publique, de rester connecté avec les citoyens, il est complété par d’autres dispositifs de participation. Le Budget participatif Le budget participatif (BP) est un mécanisme (ou un processus) par lequel les populations débattent et décident de l’affectation de tout ou partie des ressources publiques disponibles ou sont associées aux décisions relatives à cette affectation et veillent sur leur mise en

œuvre. Il vise à assurer une participation des citoyens et des organisations de la société civile dans le processus de décision de la gestion des affaires locales, d’allocation des ressources et services. L’idée sous-jacente est la construction d’une réponse collective à une question particulière. Le BP offre aussi une possibilité de mobiliser les ressources locales pour contribuer à l’action publique, son suivi et la maintenance nécessaire. Malgré la volonté de l’Etat à accélérer le processus de la décentralisation au Cameroun, les CTD font cependant face à certaines pesanteurs causées par certains services déconcentrées de l’Etat qui ont du mal à accompagner le processus. En tout état de cause, on ne saurait parler de décentralisation au Cameroun en ignorant la place qu’occupe les organisations de la société civile qui ont un rôle de veille à jouer. Les instruments promus par Zenü Network sont une contribution à ce manquement, mais tardent à être reconnus par le système de gestion de la décentralisation au Cameroun. Cette page est publiée avec le soutien de l’Union Européenne. Son contenu relève de la seule responsabilité de son auteur et ne peut en aucun cas être considéré comme reflétant la position de l’Union Européenne.


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L’université et les territoires

“ Nous proposons des solutions aux décideurs ” Maurice Engueleguelé, Coordonnateur des Programmes, IAG (Cameroun) Ce chercheur en Sciences politiques a enseigné pendant une dizaine d’années en Afrique subsaharienne et en France avant de s’installer au Sénégal où il coordonne les programmes de l’Institut africain de la gouvernance (IAG) . En matière de gouvernance locale, il semble que la recherche soit plus avancée que l’action. Le confirmez-vous ? Oui, c’est un fait que la recherche est plus avancée que l’action. Je ne parle pas de la recherche théorique mais plutôt de la recherche opérationnelle. La recherche théorique essaie d’expliquer les phénomènes alors que la recherche opérationnelle propose aux décideurs des options de possibles en matière de décision. Et de ce point de vue, il y a des travaux extrêmement récents s’agissant de la gouvernance locale qui, malheureusement, ne sont pas encore traduits dans les faits. Lors des échanges de la retraite technique de Lusaka [Zambie, 12 et 13 octobre 2012, ndlr], un des aspects de ces travaux-là qu’on appelle la nouvelle gouvernance publique en Afrique a été évoqué. Cette notion nait de la réflexion sur l’articulation entre construction d’un Etat « développementiste » en Afrique et conciliation avec la gouvernance locale. L’une des solutions opérationnelles proposée par certains Africains – pas africanistes, mais Africains ! – et par certaines institutions africaines, c’est bien que la gouvernance locale soit un catalyseur de la construction des Etats «développementistes» et capables en Afrique. Malheureusement cela ne s’’est pas encore traduit dans les faits. Mais nous espérons que le prochain sommet Africités contribuera à la popularisation de cette réflexion ; mais également que tout le travail qui est fait par la Caddel [Conférence africaine de la décentralisation et du développement local, ndlr] avec leur partenaire la Giz contribuera à faire émerger cette réflexion opérationnelle et la concrétiser pour que les décideurs voient exactement à quoi ça correspond. De nombreux programmes visent le renforcement des capacités des élus locaux. Est-ce pertinent de miser sur eux plutôt que sur les secrétaires généraux et les receveurs municipaux qui eux sont moins enclins à subir la sanction des électeurs ? De mon expérience personnelle, je vous dirai que le renforcement des capacités des deux catégories d’acteurs n’est pas inconciliable mais davantage nécessaire. Ils n’ont pas les mêmes missions. Vous avez d’un côté les élus locaux qui doivent traduire en plans d’actions concrets leur mission vis-à-vis de leurs citoyens et qui en sont responsables. Et de

l’autre côté, vous avez les receveurs municipaux et les secrétaires généraux qui sont des agents d’exécution technique et qui ont aussi une redevabilité. La responsabilité des uns n’est pas la même que celle des autres, même si elles sont compatibles. Il faut systématiser, à mon avis, le renforcement des capacités des deux catégories d’acteurs. Pour ce qui est de l’Institut africain de la gouvernance, nous travaillons aussi bien avec les élus qu’avec les fonctionnaires locaux. Le problème auquel on est confronté dans la plupart des pays africains, c’est qu’il n’existe pas de fonction publique locale en soi. C’est un chantier qui doit être abordé dans le plan de travail que nous avons avec la Commission de l’Union africaine pour l’année prochaine. Cette année, nous étions sur la Charte sur les valeurs et les principes du service public au niveau de l’administration d’Etat. Nous allons essayer de réfléchir à comment tirer le fil pour déboucher sur les lignes d’une fonction publique territoriale en Afrique. Là aussi, je pense que la Caddel a toute sa place. Je suis convaincu que ça va avancer, car il y a là une demande de redevabilité immédiate de la part des citoyens. Le fonctionnaire d’Etat qui se retrouve dans une position d’action au niveau des collectivités territoriales n’a pas la même responsabilité que le fonctionnaire de la collectivité locale qui serait originaire de la collectivité. C’est très important de distinguer les deux.

“ La décentralisation est un projet de société ” Faut-il envisager la décentralisation comme une réforme de l’Etat ou une réforme de société ? Dans l’un comme l’autre cas, sur quels leviers faut-il s’appuyer pour réussir un tel projet ? Alors là c’est une question très intéressante, parce vous êtes au cœur du débat sur la nouvelle gouvernance publique. Donc je crois que vous avez lu les travaux. Je vous dirais pour ma part que je

considère que c’est un projet de société, au-delà d’une modalité de gestion de l’Etat, au-delà d’une technologie de gestion de la diversité en Afrique, au-delà d’un ressort de gestion des difficultés matérielles que peut avoir l’Etat central à un moment donné. Je crois qu’il faut intégrer ça dans le projet de construction des Etats «développementistes » et capables en Afrique. Des Etats qui peuvent répondre de manière effective aux demandes légitimes et immédiates de leurs citoyens. Cette réponse-là est censée être effective et efficiente si elle obéit à trois principes : la proximité, la participation et la redevabilité à la base. C’est à partir de là qu’on construit, qu’on édifie le processus de construction de l’Etat «développementiste ». Il y a une autre vision – il faut être très clair. Notre ami Mkandawire soutient plutôt la position de la construction d’un Etat « développementiste » et capable à partir d’un pouvoir central fort. Il nous reprend ici les travaux de construction de l’Etat japonais au sortir de la Deuxième guerre mondiale. Cette une vision qui se défend. Nous allons en débattre à Africités lors de notre session. Je souligne qu’il se défend d’être jacobin - il est anglophone, soit dit en passant. Il y a une deuxième vision qui propose de partir de la base. Et il y a une troisième alternative qui propose d’avoir un niveau intermédiaire. Mais comment on peut l’opérationnaliser ? On a bien les niveaux supérieur et inférieur, mais on a du mal à voir ce que serait le niveau intermédiaire. En ce qui me concerne, je vous ai donné ma position : la décentralisation est un projet de société plutôt qu’une modalité de gestion. Avez-vous des exemples d’une contribution significative de l’université au développement d’un territoire ? Si oui, à quelles conditions la répliquer ailleurs ? Dans l’absolu, des exemples existent. Des exemples de contributions d’universitaires, il en existe en Afrique. Des exemples de contributions d’universités, au sens d’écoles de pensées, il y en a

aussi dans le monde. Je parlais de l’exemple du Japon tout à l’heure. Quand nous parlons d’Etat « développementiste » et capable, il y a tous les travaux sur Singapour. Ce sont des travaux sur lesquels nous n’arrêtons pas de revenir en ce moment. Même tout à côté, nous avons au Ghana Gimpa – Ghana Institute of Management and Public Administration – avec lequel nous travaillons. Au Kenya, vous avez le School of Administration. Ces exemples doivent se dupliquer, mais à partir d’une distinction claire entre recherche fondamentale et recherche opérationnelle. Je crois que nous avons un problème, nous les francophones, et singulièrement nous les Camerounais : c’est que nous confondons la recherche fondamentale et la recherche opérationnelle. On ne demande pas à un universitaire de proposer des solutions, ce n’est pas son rôle. Son rôle, c’est d’expliquer les phénomènes. Après, un autre chercheur prendra les explications qu’il a données pour proposer des solutions aux décideurs. Nous avons tendance à mélanger les deux. Cette confusion de rôles est même souvent entretenue. Par qui ? Je ne sais pas. Mais au final, l’université trouve mal sa place par rapport à la construction de l’Etat. Et l’Etat aussi a du mal à percevoir ce qu’il peut tirer de l’université par rapport aux enjeux et défis auxquels il est confronté. C’est un débat très difficile. J’ai enseigné longtemps, j’enseigne encore un peu, mais je vous avoue que je suis passé de l’autre côté. Je ne fais plus de recherche fondamentale, mais j’écris encore. Maintenant, je fais de la recherche opérationnelle. Nous proposons aux décideurs des solutions. L’Université doit, de ce point de vue, se réformer. Peut-être se dédoubler. Il y a eu des tentatives dans le monde. Je note qu’il y a aussi le développement de centres de recherches et de réflexion, les Think tank, qui ne sont pas concurrents de l’université mais complémentaires. J’admire beaucoup le développement de ces Think tank en Afrique centrale, parce que cela permet effectivement de récupérer les résultats de la recherche fondamentale pour les opérationnaliser. D’ailleurs, vous avez parfois des universitaires qui viennent « re-cuisiner » leurs recettes pour qu’elles soient

“ En matière de gouvernance, les Think tank permettent d’opérationnaliser les résultats de la recherche fondamentale ”

plus digestes pour les politiques. Certains observateurs estiment que la décentralisation génère une redistribution des cartes du pouvoir à l’échelle locale, mais seulement celle-ci se fait au détriment des populations ellesmêmes. Quelle est votre appréciation de ce constat ? Il faut être modeste et admettre que toute modalité de réorganisation du pouvoir à l’échelle d’un territoire entraîne une redistribution des positions de pouvoir à l’échelle de ce territoire. Maintenant on a deux optiques : soit on le déplore et on considère que la décentralisation est un mal qu’il faut annuler, soit on considère que c’est un processus normal qu’il faut canaliser. Là encore, je reprends ces travaux sur la nouvelle gouvernance publique. L’idée est de voir en quoi l’accession aux positions de pouvoir à partir du local est un gage de légitimité supplémentaire pour les acteurs politiques. Je suis particulièrement sensible à cet argument, parce que cela va nous éviter les hommes politiques par décret. On ne sait pas si ce sont des fonctionnaires avant, le décret en fait des pseudo-hommes politiques. Et le jour où ils ne sont plus représentants de leur clan ou de leur fief, ils disparaissent à la fois de la fonction publique et de la politique. Si on faisait les choses autrement, si la légitimité procédait d’un ancrage local réel qui permettait ensuite d’accéder aux positions de pouvoir politique au niveau national, les jeux seraient inversés. Regardez au Kenya. Pour être ministre, il faut être parlementaire. Et il y a même des règles non écrites qui veulent qu’on soit parlementaire avec une certaine ancienneté. Et au Kenya, on ne dit pas « Excellence, monsieur le ministre », mais « Honorable, le ministre », parce qu’il est parlementaire. Et les choses vont tellement loin que l’honorable parlementaire devenu ministre ne représente pas seulement sa collectivité. Quand il s’exprime, il dit « Je suis parlementaire, élu de la nation. Quand je m’exprime, je parle au nom de toute la nation dont ma collectivité fait partie. Si je fais mal à la nation, je fais mal à ma collectivité». Vous voyez comment les choses basculent. Regardez aussi au Ghana. Je suis plutôt intéressé par ce processus-là. Je sais bien que ce sera plus difficile et les choses iront différemment en Afrique francophone. Tout le travail qui a été fait sur Algot [African Local Governance Timeline ou Trajectoires chronologiques de la gouvernance locale en Afrique, ndlr] démontre bien que les héritages coloniaux ont eu un impact sur les processus de construction de la légitimité politique au niveau local et sa traduction au niveau national. Mais je suis sûr qu’on y arrivera, parce que les peuples sont en attente. Propos recueillis par K.S.


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LIVRES ROMAN

Viva la livertad

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ans «Le temps des mutations», Séraphin Assonguo Sonwah raconte des jeunes qui mènent la révolution à leur manière pour sortir leur village de la misère et le mettre sur le chemin du développement. Les espoirs de sa famille sur ses épaules, Olivier Noutsa, 20 ans, quitte son lointain pays bamikélé pour s’aventurer dans la luxuriante forêt du sud à la recherche d’un emploi sur le pipe-line Tchad-Cameroun. Il échoue à Malaba où il est adopté par une famille pauvre qui l’inscrit néanmoins au lycée pour qu’il reprenne la Terminale. «Le temps des mutations» est la chronique des jours sans joie de ce village, que Séraphin Assonguo Sonwah décrit avec la précision d’un chirurgien. L’histoire de Malaba est une litanie de maux : il n’y a pas d’électricité ni de centre de santé ; l’alcool tue à petit feu; les jeunes abandonnent l’école à la saison des pluies pour s’improviser… pousseurs de véhicules embourbés. L’auteur met en cause des dirigeants jouisseurs, l’élite fanfaronne qui préfère donner du poisson aux villageois au lieu de leur apprendre à pêcher. Le clergé non plus n’est pas épargné, lui dont les extravagances hypocrites appauvrit davantage le village. Pour montrer le ridicule de la situation, le roman raconte comment, après des sermons sur la boisson, Fada [le père] Jean-Pierre lui-même mange et boit. Extrait : « Il réclama un verre de vin de palme. Zogo lui en servit un. Quand le verre fut plein, il s’exclama : Ca va ! Ca va ! Oh la la ! J’en voulais juste un peu.» Au deuxième verre, il déclara : «Je ne voulais plus boire, mais comme tu insistes je bois.» Et il n’empêchait pas le catéchiste de le servir encore et encore. Dans cette vie immobile et statique, où on répète les mêmes gestes quotidiens, «l’habitude attend le réveil de la conscience». Ce réveil viendra sous les traits d’Obama, homonyme du célèbre auteur américain de « Yes we can ». Etudiant venu de la capitale, il explique aux jeunes du village que ce n’est pas Dieu qui les a abandonnés mais l’Etat et que tous les rêves sont possibles pour inverser le cours des choses. Nourris de ces enseignements, Olivier Noutsa, bien de déconvenues après, va comprendre que la révolution n’est pas l’apanage du Maghreb et inciter les jeunes à organiser la révolution de Malaba. Cette initiative va payer, puisqu’elle réussira à mettre le village pauvre sur le chemin de la modernité. Un vrai régal Ce roman décrit avec précision les personnages, les attitudes. Extrait : «Je n’avais jamais vu un homme aussi concentré devant un plat (…) Chaque fois qu’il broyait un os, il levait la tête, la penchait d’un côté, fermait les yeux et se concentrait sur l’action qu’il accomplissait. D’un coup de langue aussi rapide qu’un essuie-glace de Mercedes, il balayait de temps en temps ses lèvres pour ôter les miettes de nourriture qui y étaient restées (…) Quand il avala la dernière bouchée, il précipita gloutonnement dans son ventre un gobelet d’eau comme s’il éteignait un incendie. Ensuite, il rota plusieurs fois avant de s’adosser sur son fauteuil ». Séraphin Assonguo Sonwah, Chargé d’études assistant au ministère des Enseignements secondaires, couche sur du papier les souvenirs de son enfance et de ses séjours à Makouré, Bipindi et Ntui (où il a été enseignant de français). Il plonge le lecteur dans des situations comiques. C’est le cas des passagers d’un car de transport amenés à pousser le véhicule dans la gadoue en prenant bien soin de mettre la calle à chaque avancée. C’est aussi le cas de ces gens qui frottent le savon sur leur chevelure et, une fois au marigot, utilise la mousse pour se laver tout le corps, par soucis d’économie. Un vrai régal. L’auteur a opté pour des phrases courtes qui facilitent la lecture et imprime une impression d’urgence au lecteur. Urgence du développement, mais surtout urgence du changement des mentalités. Stéphanie Dongmo Séraphin Assonguo Sonwah Le temps des mutations L’Harmattan Paris, 2010

Spécial Africités 2012

Flux migratoires et intégration

“ L’intégration est une nécessité ” Abraham R. Okoko-Esseau, Expert, Union Africaine Etat, diaspora et co-dévelopement au Mali: la politique malienne de gestion du lien migratoire trans-étatique. C’est ainsi que vous intituliez en 1996 la thèse que vous prépariez. L’avez-vous achevée? Hum! (Sourire). C’est une question très intéressante. Non seulement je ne l’ai pas achevée, mais j’ai dû ouvrir un nouveau projet pour une raison toute simple: ayant quitté Paris pour rejoindre l’Union Africaine à Addis-Abeba, je n’étais plus en mesure de conduire des recherches au Mali. Et puis, les premières recherches que j’avais faites sur le terrain n’étaient pas suffisantes. j’ai donc dû ouvrir un autre projet sur la question des «Etats fragiles» dans la perspective de l’Union Africaine. L’Union Africaine considère la diaspora comme la sixième région d’Afrique. Audelà du symbole sur le plan politique, quelle signification peut être donnée à ce genre de décision? D’abord, à ma connaissance, il n’existe pas de décision clairement identifiée et référencée considérant la diaspora comme la sixième région africaine en plus des cinq que nous connaissons. Mais tout le monde le vit comme cela, même si ce n’est pas codifié dans une décision. La signification à déceler derrière cette perception, c’est la continuité entre le continent africain et ses fils installés à l’extérieur; et en même temps une volonté de perpétuer le lien, parce que par ce lien, l’Afrique peut en tirer profit. Mais aussi les citoyens installés dans la diaspora peuvent continuer à vivre de l’Afrique au point de vue symbolique ou affectif. Je pense qu’il faut voir là la volonté de l’Afrique de resserrer les liens de l’intégration, et de bénéficier des apports de ses fils de l’extérieur pour se construire. A votre avis, que doivent faire les élus locaux pour mobiliser et capitaliser l’ensemble des ressources de la diaspora? Il faudrait d’abord les identifier. Les élus locaux devraient pouvoir essayer de savoir quels sont les filles et les fils de leur territoire qui sont à l’extérieur, où ils sont, combien il sont et quelles sont leurs compétences. Cela permettrait de savoir comment les mobiliser pour le développement de leur territoire d’origine ou de départ. Cette mobilisation s’est avérée efficace dans certaines régions. On le voit à l’importance des transferts de fonds des émigrés vers leurs familles ou leurs villages; cela représente des sommes faramineuses. Il y a aussi les transferts de biens et des transferts de savoirs. Car il y en a qui viennent rendre des services courts à certains moments de l’année. C’est sans compter les réseaux que construisent les citoyens de la diaspora avec des forces et des institutions de leurs pays d’accueil. Cela crée une espèce de pont entre l’Afrique et l’extérieur, à travers lequel il y a des transferts divers qui peuvent développer le continent. Il faudrait essayer de profiter de toutes ces ressources et les orienter vers le développement de nos territoires. Il est vrai que selon certaines régions, vous avez des transferts qui ne servent qu’à la consommation des familles, même si audelà de la question alimentaire ou de survie, cet argent sert aussi à l’éducation qui d’une certaine manière contribue au développement. Mais vous avez d’autres régions où les transferts de ressources se font en faveur des projets communautaires. Dans tous les cas, il faudrait que la recherche de l’équilibre entre la consomma-

tion des familles et le développement des territoires s’adosse sur une réflexion des élus visant à mieux orienter ces resources de la diaspora. Mais telles que vous présentez les actions à mener: identification, recensement, capitalisation. Ces activités nécessitent des compétences que les collectivités locales n’ont pas. N’est-ce pas davantage du ressort de l’Etat? Je suis pour la conjugaison des efforts. Un élu local est intéressé parce qu’il est aussi lié affectivement à ceux qui sont partis. Prenons un exemple. N’avez-vous pas remarqué que nos frères et soeurs qui décèdent à l’extérieur aiment revenir sur la terre de leurs ancêtres? C’est un lien extrêmement fort. Et dans les communautés, on conte l’histoire de ceux qui sont partis, les familles qui ont des enfants à l’extérieur aiment à en parler, car cela fait partie d’une espece de réussite. C’est dans la même logique que dans les villages et terroirs l’on est fier de parler des cas de réussite en ville. C’est en prenant exemple sur ces cas pratiques que les élus devraient nouer et entretenir des contacts avec les citoyens de l’extérieur. Mais il va de soi que l’Etat devrait, à travers les consulats, tenir à jour les registres de recensement de ses ressortissants. Et les élus locaux s’appuiraient alors sur les moyens et le travail de l’Etat pour atteindre les objectifs qui sont les leurs. Au niveau régional, les décideurs s’accordent à reconnaître l’importance de l’intégration. Mais que dit la réalité du terrain en matière de mobilité des hommes et des biens? Et comment les collectivités sontelles impliquées à ce niveau? L’Afrique affirme et fait déjà l’expérience de l’intégration, malgré quelques difficultés. La plupart de nos communautés économiques régionales affirment le principe de l’intégration et essayent même de construire des institutions régionales pour affirmer et construire cette intégration. J’estime que l’un des problèmes que nous avons aujourd’hui, lorsqu’on parle de cette intégration, nous la voyons davantage au niveau des structures, des institutions. On essaie d’en parler au niveau des peuples et des personnes, mais il y a des avancées et des reculs. Par exemple, au nom de l’intégration, il y a eu le principe de la libre circulation des biens et des personnes, ainsi que le libre établissement des personnes. Mais l’on voit que certaines régions mettent des freins quand d’autres font des avancées importantes. Vous avez aussi dans une même région des Etats avant-gardistes et d’autres qui se replient sur eux. Il faut cependant dire que l’intégration n’est pas une donnée nouvelle en Afrique. Moi qui ai fait des travaux sur les migrations, je

me suis intéressé à certains quartiers de nos villes africaines. Pour prendre l’exemple de Brazzaville, en parcourant les archives coloniales, vous voyez qu’en raison de l’Aef [Afrique équatoriale française, ndlr], vous aviez des citoyens d’autres Etats de l’Aef qui s’y étaient installés et sont restés sans que cela pose de problème. Vous avez même des noms de rues qui sont des noms des ethnies venues de l’extérieur, ce qui donne l’impression que cette osmose s’était faite sans problème et les gens vivaient en paix. Il faut savoir que les réactions xénophobes sont nées avec les indépendances. Souvenez-vous des matches de football entre le Congo et le Gabon qui ont provoqué des expulsions des deux côtés dans les années 1960. On a vu plus tard dans les années 80 au Congo une communauté ouest-africaine installée depuis un siècle être stigmatisée, accusée de faire partir toutes les ressources à l’extérieur. Mais ce sont des instrumentalisations politiques regrettables. L’intégration est une nécessité pour les Etats s’ils veulent être forts, et pour les peuples s’ils veulent créer des sociétés expérimentant la paix, la tolérance et la réussite. On le voit à Douala ou à Brazzaville, la présence des communautés ouest-africaines dans le business n’est pas négligeable et a un impact sur le vécu des gens. L’Afrique est sujette a des conflits qui obligent les populations à se déplacer. Que peuvent apporter les réfugiés aux collectivités locales qui les accueillent, en dehors des problèmes? J’ai été pendant 10 ans manager d’une organisation catholique qui était partenaire opérationnelle du Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés. J’ai aussi été directeur de la Commission catholique internationale pour l’émigration dont l’un des mandats est d’accompagner les personnes déracinées, en particulier les plus vulnérables que sont les réfugiés. Les réfugiés sont souvent vécus comme un poids. Or, c’est aussi une chance, parce que ça participe d’enrichir les sociétés. Je prendrai l’exemple des réfugiés Rwandais au Congo Brazzaville, dans des régions où les gens travaillaient peu, on a vu qu’on pouvait avoir une agriculture performante grâce aux réfugiés venus avec leur savoir-faire. J’ai aussi toujours dit que lorsqu’on fait le don de la terre à des réfugiés qui arrivent dans un pays, ils devraient eux aussi comprendre qu’ils ont des responsabilités vis-àvis de leur pays d’accueil. D’autre part, c’est une chance de faire preuve de notre humanisme en les accueillant. Propos recueillis par K.S.


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