





révolution
institutionnel et politique
plus que jamais ouverte.


























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institutionnel et politique
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BERTINE TETCHI AGENT DE CIRCULATION
CRÉER plus POUR DÉVELOPPER LES ÉCHANGES INTRA-AFRICAINS
Bolloré Transport & Logistics opère le premier réseau de logistique intrégrée du continent et investit pour fluidifier la circulation des biens et des personnes. Le rail, la route, les fleuves, sont autant de solutions qui permettent le désenclavement des pays sans façade maritime. Le chemin de fer en particulier est une alternative écologique à la route qui réduit la congestion, dans un contexte d’urbanisation et de développement des villes africaines.
NOUS FAISONS BIEN plus QUE DU TRANSPORT ET DE LA LOGISTIQUE
PAR ZYAD LIMAM
Au moment où j’écris ces lignes, le Covid-19 a, une nouvelle fois, repris l’initiative sur l’ensemble de la planète, dopé par cette mutation Delta particulièrement contagieuse. Face à la force stupéfiante du virus, l’Afrique (en particulier l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale) reste comme partiellement et miraculeusement épargnée. Jeunesse de la population et peut-être aussi de mystérieux processus d’immunités croisées semblent limiter la casse et le nombre de victimes. Mais cette description « optimiste » doit être constamment réévaluée. L’Afrique du Nord et l’Afrique australe sont rudement touchées. Les chiffres continentaux sont certainement sous- évalués, faute de capacité de test suffisante. Ou par pure volonté politique. Selon des études récentes, les taux de prévalence réelle dans certaines grandes villes se rapprocheraient de 20 %
La vaccination reste la seule clé, comme le montre tous les jours la relative résistance des États-Unis et de l’Europe face à la virulence de cette nouvelle vague. Et sur cette question, comme ce magazine l’a écrit plusieurs fois depuis plusieurs mois, nous sommes très, très, très loin du compte. Sur plus de 4 milliards de doses administrées dans le monde, un peu plus de 65 millions seulement ont été injectées en Afrique. Et moins de 2 % de la population est entièrement vaccinée.
Il y a là, avant tout, une injustice phénoménale de l’Occident. Près de 75 % des doses ont été monopolisées par 10 pays industrialisés. Injustice aussi liée à la défaillance des mécanismes d’aides multilatérales, type Covax, entreprise certes méritoire mais à des années-lumière de pouvoir faire face au défi historique de la vaccination planétaire. L’Afrique a également sa part de responsabilité : discours antivax, promotion des médecines traditionnelles, sous-équipement sanitaire, prise de conscience parfois aléatoire des populations et des élites… Et surtout une faible mobilisation budgétaire pour acquérir un minimum d’indépendance vaccinale. Il y a un côté « ça va passer, on va tenir », qui relève plus de la pensée magique que de la réalité.
Pourtant, une Afrique aux prises avec un Covid endémique et permanent se retrouverait durablement marginalisée. Incapable d’influer sur ce futur qui se dessine. Et ce qui se dessine n’est pas forcément rassurant. Le Covid vient souligner de manière brutale la division du monde entre « ceux qui ont » et « ceux qui n’ont pas », entre les « have » (très minoritaires) et les « have not » (très majoritaires). Entre ceux qui disposent d’un outil de recherche médical et ceux qui ne l’ont pas. Ceux qui disposent d’une industrie pharmaceutique de pointe et ceux qui ne l’ont pas. Entre ceux qui pourront à un moment vaincre/contrôler ce virus et ceux qui devront vivre avec pour les années à venir. Entre ceux aussi qui pourront contenir les effets du changement climatique et ceux qui ne pourront pas… La liste pourrait continuer. Le virus souligne les formidables inégalités que la technologie et les mutations postindustrielles sont en train d’accentuer. Un ami au fait de ces évolutions me disait récemment : « Les gens n’ont pas idée de ce qui se passe vraiment dans les labos de recherche aux États-Unis et en Chine (mais aussi en Israël)… Eux, ils sont dans la science-fiction devenue science tout court. Ils travaillent sur l’intelligence artificielle, la biomédecine, les mutations génétiques, les recherches ADN et ARN, les énergies propres, l’hydrogène. Ils vont prendre des siècles d’avance sur Ie reste du monde, y compris sur l’Europe, continent de rentiers et de propriétaires immobiliers… »
L’Afrique ne va pas se débarrasser de la pauvreté du jour au lendemain, mais elle ne doit pas être condamnée à cette division tragique de la richesse et de la recherche. Il nous faut impérativement penser le futur de manière audacieuse. Réinventer le concept d’émergence. Mettre en commun l’énergie, les ressources, les capitaux pour trouver une place, valoriser le potentiel formidable, mobiliser la jeunesse, trouver les niches, un rôle historique, un moteur de croissance durable dans ce monde postmoderne qui arrive, impitoyable, et avec fracas. ■
3 ÉDITO
Notre place dans le monde par Zyad Limam
6 ON EN PARLE
C’EST DE L’ART, DE LA CULTURE, DE LA MODE ET DU DESIGN Africa plages
26 PARCOURS
Thandiwe Muriu par Fouzia Marouf
29 C’EST COMMENT ?
Bravo à nos sportifs ! par Emmanuelle Pontié
50 CE QUE J’AI APPRIS
Julia Sarr par Astrid Krivian
94 PORTFOLIO
Objectifs africains par Amanda Rougier
114 VINGT QUESTIONS À…
Charles Cédric Tsimi par Astrid Krivian
P.06 P.30 P.28 N° 419-420 - AOÛT-SEPTEMBRE 2021
TEMPS FORTS
30 RD Congo : Une promesse sans fi n… par Cédric Gouverneur
40 Tunisie : L’introuvable nouveau modèle par Zyad Limam et Frida Dahmani
52 «Delenda est Carthago ! » par Abdelaziz Belkhodja
58 AGC par lui-même par Zyad Limam
68 Le basket africain vise la première marche par Pierre René-Worms
74 Philippe Lacôte : « La frontière est mince entre réalisme et magie » par Astrid Krivian
78 Imany : « Il n’y a que la solidarité qui nous sauvera » par Sophie Rosemont
82 Patrick Chamoiseau : « Toute Personne accomplie doit se penser avec l’Afrique » par Astrid Krivian
88 Amina Ben Smaïl : « Je me nourris du contact humain » par Fouzia Marouf
Afrique Magazine est interdit de diffusion en Algérie depuis mai 2018. Une décision sans aucune justification. Cette grande nation africaine est la seule du continent (et de toute notre zone de lecture) à exercer une mesure de censure d’un autre temps Le maintien de cette interdiction pénalise nos lecteurs algériens avant tout, au moment où le pays s’engage dans un grand mouvement de renouvellement. Nos amis algériens peuvent nous retrouver sur notre site Internet : www.afriquemagazine.com
100 2027, en fi n une monnaie unique pour l’Afrique de l’Ouest ?
104 La fi n programmée du charbon chez Eskom
105 La demande en data centers explose
106 Pétrole : vers un retour du baril à 100 dollars ?
108 L’Égypte, nouvelle start-up nation
109 Des millions pour produire des vaccins africains par Jean-Michel Meyer
VIVRE MIEUX
110 Maux de tête et migraines : comment les soulager
111 De l’air pour les pieds
112 Maux d’oreille : ce qu’il faut savoir
113 Le citron a-t-il des vertus ? par Annick Beaucousin et Julie Gilles
FONDÉ EN 1983 (37e ANNÉE)
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Abdelaziz Belkhodja, Jean-Marie Chazeau, Frida Dahmani, Catherine Faye, Alexandra Fisch, Glez, Cédric Gouverneur, Dominique Jouenne, Astrid Krivian, Fouzia Marouf, Jean-Michel Meyer, Luisa Nannipieri, Pierre René-Worms, Sophie Rosemont, Arnaud Salvat.
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C’est maintenant, et c’est de l’art, de la culture, de la mode, du design et du voyage
Certains modèles d’Assinie Bikini peuvent être assortis d’un vaporeux kimono qui fait fonction de robe paréo.
MODE
Imprimés originaux, petites collections et respect de l’environnement… Deux marques de MAILLOTS DE BAIN aux tonalités très sud.
QUE CE SOIT À LA MER, à la piscine, ou au bord d’un lac, le moment est venu de sortir son maillot de bain. Et c’est encore mieux s’il sort de l’ordinaire et arbore des motifs d’inspiration africaine. Parmi les jeunes marques qui en proposent, on peut nommer Assinie Bikini. Créé en 2017 mais présent activement sur le marché depuis juin 2019, ce label ivoirien a jusque-là sorti des collections qui plairont aux amoureux du wax. Certains modèles, comme le confortable ensemble bandeau à taille haute Happy, le minibikini By Ab ou le très chic et classique Assurance, peuvent être assortis d’un vaporeux kimono qui fait fonction de robe de plage. Dans l’attente de découvrir très prochainement les premières pièces en
couleur unie, on peut essayer les pépites de la créatrice Agnès Kouadjane à Abidjan, à Dakar et au Gabon, mais aussi les commander en ligne (assiniebikini. afrikrea.com). Confectionnés à la main, en quantité limitée, de la taille 32 à la 52, certains maillots sont également disponibles en version homme et enfant. Autre jeune pousse du secteur qui privilégie les imprimés, Mahyni (mahyni.com). La marque a été créée par la designeuse angolaise Ana Leite Velho. Née dans la ville de Lobito, au bord de la mer, elle a grandi sur la plage, entourée de la nature et des chants de femmes qui pilaient le maïs. Une fois arrivée au Portugal, où elle vit aujourd’hui, elle a voulu célébrer la joie de vivre, les couleurs et les paysages
de sa terre natale à travers ses créations. Sa première collection, lancée en 2018, est un hommage au capulana, un type de sarong très coloré typique de la région. Dans les trois collections qui ont suivi – où elle évoque la faune et la flore luxuriante du pays –, la créatrice joue avec les détails et les lacets pour un résultat à la fois pratique et coquin. Chaque maillot est rigoureusement réalisé avec des tissus qui respectent la nature, à partir de fils de nylon récupérés et recyclés. Et livré aux clients dans une pochette en tissu, en pur esprit zéro déchet. ■ Luisa Nannipieri
Soufiane Guerrab porte le film de bout en bout avec talent.
Un petit malfrat tente de renouer avec la mère de son fils. Une belle
HISTOIRE D’AMOUR contrariée filmée à la Ken Loach.
MEHDI, JEUNE TRENTENAIRE qui n’a pas envie d’un travail honnête mais peu rémunérateur, perce des coffres-forts dans des entreprises de la banlieue de Paris. Alors que les cambriolages sont de plus en plus compliqués, il tente de reconquérir son ex-compagne, qui a la garde de leur tout jeune enfant et est partie du domicile conjugal, ne supportant plus de devoir le partager avec sa belle-mère, qui refuse de rentrer au bled. Yassine Qnia réussit à dépeindre une belle histoire d’amour contrariée, dans un contexte social difficile mais pas sinistre, à la façon du réalisateur anglais Ken Loach, filmant Aubervilliers et ses zones industrielles d’une belle manière. Un film porté de bout en bout avec talent par Soufiane Guerrab, comédien déjà remarqué en policier fan d’Arsène Lupin, aux côtés d’Omar Sy dans la série à succès de Netflix. ■ Jean-Marie Chazeau DE BAS ÉTAGE (France), de Yassine Qnia. Avec Soufiane Guerrab, Souheila Yacoub, Tassadit Mandi. En salles.
À écouter maintenant !
At Pioneer Works, Sahel Sounds
Les Filles de Illighadad, ce sont Fatou Seidi Ghali, Alamnou Akirwini Nassir, Fitimata Ahmadelher, mais aussi un garçon, Abdoulaye Madassane. Tous voués à fusionner un blues touareg et les chants traditionnels de leurs villages. Percussif, mélodique, électrique, organique, ce troisième album affirme la pertinence de leur musique, qui a traversé bien des frontières depuis la formation du groupe en 2016.
Little Simz
Sometimes I Might Be Introvert, Awal
Kendrick Lamar ne cesse de chanter ses louanges. Il y a de quoi : née à Londres d’une mère nigériane, Simbi Ajikawo (aka Little Simz) rappe depuis ses 9 ans et a fait ses débuts sur scène adolescente. Depuis son premier album paru en 2015, elle impose son flow engagé et sa vitalité poétique. En témoigne le très réussi Sometimes I Might Be Introvert, fort de titres puissants comme le lyrique « I Love You, I Hate You » ou le rétro « Woman ».
Poté
A Tenuous Tale of Her, Outlier/Ninja Tune
Originaire de Sainte-Lucie, Sylvern Mathurin (alias Poté) vit aujourd’hui à Paris, mais entretient une forte relation avec la scène anglo-saxonne, chantant de sa voix d’or en anglais sur un terreau sonore nourri de rythmiques caribéennes et de house américaine. De quoi danser plus fort face à la cruauté du monde. Bonus : des invités de marque tels que Pierre Kwenders et Damon Albarn. ■ Sophie Rosemont
Jean Dujardin et Habib Dembélé, qui incarne un président corrompu.
COMÉDIE
OSS
117 nous
entraîne dans l’ouest africain postcolonial des années 1980, mais manie LA SATIRE avec prudence…
APRÈS LES ANNÉES 1950 EN ÉGYPTE, les années 1960 au Brésil, voici Hubert Bonisseur de La Bath, alias OSS 177, envoyé en mission en Afrique de l’Est. Nous sommes début 1981, et le monde a bien changé pour l’espion français macho et raciste. Il se trouve d’autant plus en décalage dans cette nouvelle décennie qu’il a pris de l’âge et qu’on lui met dans les pattes un adjoint bien plus jeune, OSS 1001. En passant à quatre chiffres, la numérotation des agents secrets frenchies donne un coup de vieux au héros de la saga, qui se trouve relancée par cette compétition intergénérationnelle : face à un Jean Dujardin légèrement empâté mais toujours alerte, le fringant Pierre Niney donne la réplique à toute allure, à la fois obséquieusement respectueux de son aîné et tellement plus efficace… Les voici confrontés à un régime africain corrompu (le président est incarné par le comédien malien Habib Dembélé) qui bâillonne son opposition. Mais la première dame, jouée avec volupté et conviction par Fatou N’Diaye, cache bien son jeu… Même si le tournage s’est déroulé au Kenya, le pays est imaginaire, ce qui amoindrit la satire de la Françafrique : en arrière-plan, on sent bien que l’on
n’est pas au Gabon, au Bénin ou en Côte d’Ivoire. Et quand la mission tourne au film d’aventures façon Indiana Jones, dans une Afrique éternelle de cases et de girafes de cartes postales, on s’éloigne encore de la caricature mordante esquissée par le réalisateur Nicolas Bedos. Même s’il réussit à jouer avec l’époque et à multiplier les clins d’œil sur les fameuses valises de billets, les derniers mois de la France giscardienne servent surtout de décor. Quelques répliques font mouche : « Je ne suis pas raciste, je porte vos robes », lâche OSS 117 à un homme en boubou. Et de préciser quelque temps plus tard, pour qu’on comprenne bien le second degré sur cette question délicate : « Vous étiez bien à danser tout nu dans la nature, qu’est-ce qu’on est venus vous embêter ? » Mais Hubert Bonnisseur de La Bath qui s’excuse du colonialisme est-il encore le même ? ■ J.-M.C. OSS 117 : ALERTE ROUGE EN AFRIQUE NOIRE (France), de Nicolas Bedos. Avec Jean Dujardin, Pierre Niney, Fatou N’Diaye. En salles.
Avec cette deuxième
COMPILATION riche en couleurs sonores, le label berlinois confirme son amour sincère pour des MUSIQUES ARABES d’un autre temps, du disco au reggae.
ON VOUS MET AU DÉFI de rester assis en écoutant
« Ya Aen Daly » de Najib Al Housh, côté synthés disco (coup de cœur !), « Ahl Jedba » de Fadoul, catégorie funky rock’n’roll, ou encore « Badala Zamana » de Zohra. Imparable. On y entend aussi des bijoux oubliés de l’Algérien Ahmed Malek ou du Libyen Hamid El Shaeri… Il y a deux ans, le label berlinois Habibi Funk, devenu expert en pépites sonores orientales vintage, publiait le premier volet d’une compilation devenue indispensable. Aujourd’hui, le second tome cultive toujours un éclectisme de rythmes et d’ambiances, mais sans jamais oublier son objectif : faire valoir le talent d’artistes du monde arabe, entre orgue égyptien et reggae à la sauce libyenne, pour qu’ils en profitent – ou du moins leur famille s’ils sont disparus. Habibi Funk partage en effet avec eux tous les bénéfices de ses sorties à parts égales, fonctionnant avec une licence à durée limitée. ■ S.R.
Habibi Funk 015: An Eclectic Selection of Music From the Arab World, part 2, Habibi Funk.
Son premier album, BELOVED, raconte le récit d’émancipation de cette jeune chanteuse belge aux origines camerounaises. Gracieux.
ELLE CHANTE depuis toujours, mais a mis quelques années avant de trouver sa voix, celle qui résonne joliment tout au long de Beloved, dont les chansons explorent les croisements entre pop américaine et mélodies africaines. Née d’une mère belge et d’un père camerounais, la musicienne a appris le piano, le chant classique, et s’est essayée à plusieurs projets avant d’avoir un « coup de foudre » pour la kora : « Je l’ai d’abord vue en rêve, et ce n’est qu’après que j’ai compris que c’était un instrument africain. On dit que la kora choisit son maître, et elle m’a choisie… Au plus je la découvre, au plus je découvre la légende des griots, les secrets d’une culture. Ballaké Sissoko me le disait récemment : la kora est le son de notre âme. »
Si Beloved sonne juste, c’est aussi parce qu’il raconte un récit d’apprentissage, celui de Lubiana. Son prénom signifie « bien-aimée », mais elle a dû longtemps chercher sa foi artistique, s’essayant aux open mics américains avant de revenir en Europe, convaincue de la pertinence de sa quête : « Pour trouver mon son, il a
fallu que je me trouve, moi. Que je fasse peur à mes angoisses et mes démons. Même si j’allais au Cameroun tous les ans depuis l’enfance, j’ai mis du temps à me reconnecter à mes racines africaines. J’ai fini par comprendre qu’il fallait faire de la musique pour remonter à ce que je suis, et non pour la célébrité. J’ai beaucoup de reconnaissance pour mes ancêtres, sans qui je ne serais pas là, d’admiration pour leur vie, au combat comme dans les champs. » En témoigne ce premier album enregistré avec Samuel Rabet et Ziggy et Romain, duo de compositeurs voués aux ambitions pop de la jeune chanteuse. Ainsi, l’album se partage entre rêveries (« Self Love », « Take Me To Zion ») et danses (« Don’t Get Me Wrong », « Mamy Nianga »), sans oublier d’être engagé (« Fighter ») et de laisser libre cours à sa spiritualité. La sienne, Lubiana ne cesse de la cultiver grâce à son métissage et ses origines camerounaises : « J’ai été éblouie par mon pays, par la richesse des traditions et des cultures, la puissance des rites. C’est une terre que je ne cesse de redécouvrir. » ■ S.R.
d’Abidjan, une soirée pas comme les
SEPT ANS APRÈS RUN, premier film ivoirien en compétition à Cannes, Philippe Lacôte [voir pp. 74-77] n’a raté que de peu cette année une nomination aux Oscars avec ce second long-métrage. C’est dire si la reconnaissance internationale du travail du réalisateur franco-ivoirien est grande. Son nouvel opus réussit à nouveau haut la main à subtilement mélanger réalisme et fantastique, avec de belles trouvailles de mise en scène. Tout se passe dans la Maca, la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan, surpeuplée, que le cinéaste connaît bien pour y avoir rendu visite à sa mère, prisonnière politique, lorsqu’il était enfant.
Un membre des « microbes », ces jeunes délinquants qui sèment la terreur dans le quartier d’Abobo, est choisi dès son arrivée par Barbe noire (Steve Tientcheu, remarqué
Le long-métrage mélange réalisme et fantastique, avec de belles trouvailles de mise en scène.
dans Les Misérables), un des caïds des lieux, pour raconter une histoire toute la nuit… sous peine de mourir. Cette « Nuit des rois », c’est un peu Shéhérazade et Shakespeare réunis dans La Cité de Dieu, ce film de prison brésilien de Fernando Meirelles et Kátia Lund d’ailleurs cité par un détenu. Sous le regard des surveillants, dont Nivaquine (incarné par Issaka Sawadogo, le héros de la série Sakho et Mangane), un double drame se déroule. Tandis que Barbe noire, malade, voit son pouvoir contesté, le jeune « microbe », rebaptisé Roman, improvise comme il peut un récit illustré d’échappées visuelles d’une grande beauté. Un vrai film d’évasion. ■ J.-M.C. LA NUIT DES ROIS (Côte d’Ivoire), de Philippe Lacôte. Avec Bakary Koné, Steve Tientcheu, Issaka Sawadogo. En salles.
L’Attentat bientôt sur Netflix ?
Le célèbre roman de Yasmina Khadra a conquis les studios américains et devrait être adapté en série. INCLASSABLE, PROLIFIQUE, l’écrivain algérien devrait voir L’Attentat, son roman publié en 2005 et multiprimé, être de nouveau adapté : après le Libanais Ziad Doueiri pour le cinéma, c’est le scénariste américain Michael Kupisk qui souhaite le produire pour Netflix. La nouvelle est tombée via une publication Facebook de l’ambassade américaine à Alger. « C’est toujours gratifiant de voir un roman susciter l’intérêt d’un cinéaste américain. Ce récit, traduit dans 60 langues, a aussi été adapté en pièce de théâtre en Afrique subsaharienne, en Italie, en Allemagne, en France et en Belgique. Plus de vingt ans après sa parution, il poursuit son incroyable périple ! » nous confie Yasmina Khadra. Un récit magistral au cœur du conflit israélo-palestinien, à la mesure de la complexité humaine. Autre actualité, l’auteur a publié en mars dernier Pour l’amour d’Elena, qui se déroule au sein de violents cartels au Mexique. ■ Fouzia Marouf
BEAU LIVRE
Dans cet ouvrage sont publiées plus de 100 photos prises entre le tournage du Milliardaire et les derniers jours de Marilyn.
À 30 ANS, Blanche sillonne les alentours d’Aix-en-Provence sur son scooter, son appareil photo fétiche sur elle, regardant le monde derrière son objectif. Solitaire, se donnant aux hommes par téléphone pour gagner sa vie, elle vit recluse, hantée par ses souvenirs d’enfance inachevée au Chili. Des cartes postales et des messages font remonter son passé. À force de mystères autour de cette femme à la beauté surannée, l’auteure l’emmènera à sa délivrance au terme d’un récit au doux suspense, entre la montagne Sainte-Victoire et Santiago. ■ Emmanuelle Pontié
CATHERINE FAYE, L’Heure
Blanche, Fayard, 240 pages, 18 €
« EN ME REGARDANT par-dessus son épaule gauche, elle m’a fait un sourire faussement timide, me dévoilant tout ce qu’il me fallait savoir de Marilyn Monroe : elle savait qui elle était, elle savait qui j’étais, elle savait quoi faire… » Lorsque Lawrence Schiller, en mission pour Paris Match et tout juste âgé de 25 ans, braque son objectif sur la star pendant le tournage de Something’s Got to Give, de George Cukor, rien ne l’a préparé à ce qu’elle accepte d’apparaître nue devant. Nous sommes en 1962, et aucun des deux protagonistes ne sait que ce sera le dernier film de l’icône. En français, le titre du film tristement inachevé, Les Derniers Jours, semble presque prémonitoire. Les clichés sont sublimes et émouvants. Pleins de pudeur et de sensualité. Ils tissent ici le récit intime d’une légende vivante au seuil du déclin et d’un jeune photographe en pleine ascension. ■ Catherine Faye
NOTRE collaborateur
LAWRENCE SCHILLER, Marilyn & Me, Taschen, 200 pages, 50 €
AUTOBIOGRAPHIE
Rééditées et révisées, les mémoires de l’auteur nous font (re)découvrir la vitalité de sa prose.
CÉDRIC GOUVERNEUR,
Cédric Gouverneur, passionné entre autres des terres arctiques, nous propose son premier roman. Une fresque historique qui nous emmène au Groenland, à la fin du XIV e siècle. Une terre gelée, découverte par les Vikings vers l’an mil, où les colons scandinaves sont progressivement abandonnés par l’Europe médiévale. Le commerce d’Ivoire tiré de la chasse au narval a été tué par celui des éléphants venus d’Asie ou d’Afrique. Cette société de nobliaux du bout du monde, livrée à elle-même et aux températures glaciales, va sombrer dans le chaos. Avant de rencontrer ses curieux voisins : le peuple natif des Inuits. ■ Zyad Limam
Blanche terre verte, LBS Select, 420 pages, 17,50 €
SI LES GRANDES PROFONDEURS (The Big Sea en VO) a ainsi été baptisé, c’est sans doute pour le geste en ouverture de ce jeune homme qui jette ses précieux livres à la mer pour repartir de zéro… Poète, romancier, journaliste, Langston Hughes (1902-1967) a grandi entre une mère instable professionnellement et un père parti faire des affaires au Mexique. L’ouvrage raconte la difficulté pour un garçon noir de trouver sa place, ici ou ailleurs, son aversion pour la bourgeoisie, blanche ou noire, l’abandon de ses études à Columbia pour devenir matelot. Des boîtes de nuit de Pigalle à la Harlem Renaissance à laquelle il participe activement, il travaille dur, gagne peu, l’écriture (drôle, poétique, incisive) restant un précieux fil d’Ariane. Publiées en 1940 aux États-Unis, traduites en 1947, révisées pour être mises en lumière aujourd’hui, ces palpitantes mémoires méritent qu’on s’y replonge. Yeux grands ouverts. ■ S.R.
LANGSTON HUGHES, Les Grandes Profondeurs (The Big Sea), Seghers, 400 pages, 22 €
« BONNE ARRIVÉE », Musée des arts décoratifs, Paris (France), du 31 août au 5 septembre. madparis.fr
Éthiopie.
Céramiques Jade Paton, Afrique du Sud (ci-dessus).
Poteries Tinja, collection Qayrawan, tradition des femmes de Sejnane au nord de la Tunisie (ci-dessous).
Le MUSÉE DES ARTS
DÉCORATIFS de Paris organise six jours d’événements dédiés au design africain.
CRÉATEURS, ARTISANS et designers du continent et de la diaspora sont invités à s’approprier la nef du Musée des arts décoratifs (MAD) parisien pendant six jours, du 31 août au 5 septembre prochains. Intitulée « Bonne arrivée », l’exposition a été réalisée en partenariat avec le collectif Les Oiseaux Migrateurs, né en 2014 d’une idée de Mamadou et Youssouf Fofana. Ce dernier est également connu pour les créations de sa marque Maison Château Rouge, qui vient par ailleurs de signer une collaboration avec Monoprix sous le label homonyme « Bonne arrivée ». L’événement mettra en lumière les métiers d’art africains, dévoilant des techniques artisanales et ancestrales comme le tissage des fibres, la teinture, la céramique ou la vannerie. Les œuvres seront éparpillées dans la nef du MAD, laquelle sera aussi transformée, pour la première fois, en agora publique. Pendant toute la durée de l’exposition, les visiteurs pourront assister à des conférences, des débats et des rencontres, mais également profiter de rendez-vous musicaux originaux. ■ L.N.
À
31 a ns, cet Américain d’origine nigériane sort son premier opus, qui va RYTHMER tout l’été.
C’EST UN RÉCIT d’apprentissage que nous raconte ici, avec un groove imparable, Baba Ali. Son enfance à Fort Lee, dans le New Jersey, son adolescence baignée de hip-hop et de no wave, son amour du clubbing largement exploré lors de ses débuts à Berlin, ses origines nigérianes qui comptent autant que son propre présent (Fela Kuti est d’ailleurs l’un des membres de sa famille), ses affinités avec l’esprit punk et insolent de Londres, où il vit aujourd’hui… Tout se retrouve dans le bien nommé Memory Device. Sans jamais oublier de danser, comme nous incite l’ouverture « Draggin’ On », rapidement suivie d’autres morceaux addictifs. Produit par Al Doyle, connu pour son travail avec LCD Soundsystem et Hot Chip, ce premier album conjure les confinements actuels en appelant à réveiller ses sens et ses souvenirs. On y entend aussi bien J Dilla que Prince, Joy Division ou Common. C’est beau, ça emporte et on n’a qu’une envie : vite le voir sur scène. ■ S.R. BABA ALI, Memory Device, Memphis Industries.
Multiprimé, le superbe premier roman de l’écrivaine franco-rwandaise raconte une famille SUR TROIS GÉNÉRATIONS, partagée entre le Rwanda et la France.
AM : Comment ce roman s’est-il imposé à vous ? L’une de vos héroïnes, Blanche, tiraillée entre deux pays, habite une frontière, écrivez-vous.
Beata Umubyeyi Mairesse : Étant métisse, au Rwanda où j’ai grandi, on me renvoyait l’idée que j’étais blanche, alors que j’étais élevée par ma famille noire. Et quand je suis arrivée en Europe, j’ai acquis une nouvelle identité : on me disait que j’étais noire ou on me prenait pour une Arabe. L’assignation identitaire est un thème qui m’intéresse depuis longtemps, et je n’ai pas fini de l’explorer. J’ai aussi appris à la déconstruire, grâce notamment à la littérature. Nous sommes toutes
et tous constitués de strates. Être réduit à une seule identité est complètement absurde. Hélas, cela peut briser des gens, quand d’autres passent leur vie entière à s’en libérer. Habiter la frontière, c’est une façon de faire un pied de nez à ceux qui les érigent. C’est aussi être en capacité de regarder d’un côté et de l’autre et d’être un passeur pour ouvrir ces frontières. La transmission familiale se complexifie ici, à travers l’exil…
Comment se réalise-t-elle quand on ne reste pas dans le même pays que ses parents, que l’on n’a pas la même couleur de peau, la même langue, d’une génération à l’autre ? On a tous besoin, à un moment, de remonter le chemin de l’exil. Et si la parole ne s’est pas transmise, c’est encore plus difficile. Mais ce n’est pas impossible. Je voulais que mes personnages parviennent à un apaisement. J’essaie d’écrire des histoires qui consolent, sans angélisme.
Cette famille est marquée par le génocide des Tutsis… Oui. Je ne me retrouve pas dans ces expressions tellement galvaudées : « l’indicible », « l’innommable », « plus jamais ça », « devoir de mémoire »… Est-ce que l’on pense vraiment à ce que cela signifie pour les gens dont c’est l’histoire ? C’est devenu un lieu commun quand on évoque un génocide. Entre rescapés, on en parle beaucoup. Certes, cette histoire est très difficile à raconter à ceux qui ne l’ont pas vécue. Parce qu’on a l’impression qu’ils ne vont pas nous comprendre, nous croire. Souvent, les gens en face ne savent pas ou ne peuvent pas entendre. Mais les mots peuvent tout. C’est le défi de la littérature : trouver une langue qui rende entendable une histoire. Si elle était indicible, pourquoi tant de personnes ont écrit des témoignages ? À la fin des années 1990, on présentait la victime, qu’on enfermait dans un pathos, et la ou le spécialiste, chercheur ou journaliste, expliquait les événements. C’est un peu caricatural. On est en capacité de produire une parole construite, qui nous ressemble, sans avoir besoin d’un autre pour nous traduire ou nous rendre intelligible. ■ Propos recueillis par Astrid Krivian BEATA UMUBYEYI MAIRESSE, Tous tes enfants dispersés, J’ai Lu, 256 pages, 7,20 €
À 26 ans, il est l’un des plus jeunes pensionnaires de la COMÉDIE-FRANÇAISE.
IL A LES DENTS DU BONHEUR. Un regard sémillant. Et manie la langue avec passion. Rien ne prédestinait ce fils d’immigrés sénégalais, établis dans un quartier populaire, dans l’Eure, à occuper le devant de la scène. Rien, excepté le feu sacré. Du club de théâtre de son collège au Conservatoire national supérieur d’art dramatique, à Paris, en passant par la classe libre du cours Florent, cet athlète des mots et du jeu d’acteur n’a jamais eu qu’un rêve en tête : intégrer le « Français », place Colette. Une institution publique vieille de plus de trois siècles, à la diversité balbutiante : sur les 59 visages qui s’affichent sur son site Internet, cinq sont noirs. On y voit Bakary Sangaré, Gaël Kamilindi, Séphora Pondi, Claïna Cavaron. Et Birane Ba. Son parcours est fulgurant. À l’aune de son engagement. Total. D’Octave dans Les Fourberies de Scapin, de Molière, à Ludovico Marsili dans La Vie de Galilée, de Bertolt Brecht, en passant par le rôle-titre de Bajazet, de Jean Racine, il travaille ses textes comme de la dentelle. À la rentrée, c’est dans Hansel et Gretel, d’après les frères Grimm, qu’il donnera la réplique. Héros d’un conte : il sait y faire. ■ C.F.
Quand le dessin de presse sensibilise aux grands problèmes de société. ZAPIRO, GADO, GLEZ, Dilem, Alaa Satir, Sherif Arafa, Zohoré ou encore Willis from Tunis… Une cinquantaine de caricaturistes issus de tous les horizons du continent africain se retrouvent dans cet ouvrage qui rassemble une sélection de leurs dessins les plus marquants. Tous luttent dans leurs pays respectifs pour ce droit fondamental qu’est la liberté de la presse et ont en commun d’avoir compris que le dessin constitue l’arme idéale pour dire une société et critiquer ses maux. Avec humour et mordant. Chapeauté par Plantu dans le cadre de Saison Africa2020, avec l’association Cartooning for Peace, réseau international créé à la suite de la polémique des caricatures de Mahomet en 2006, ce recueil s’érige en révélateur de l’histoire contemporaine de l’Afrique. Un continent où la liberté d’expression est un combat quotidien. ■ C.F.
RECUEIL PLANTU ET CARTOONING FOR PEACE, texte de René Guitton, Africa, Calmann-Lévy, 208 pages, 18 €.
AVENTURES
Et si les peuples de Sibérie avaient des ancêtres venus d’Afrique… SA VOIX POÉTIQUE et puissante nous embarque dans un roman choral, où un chaman découvre, sous le permafrost sibérien, la sépulture d’une reine datant de plus de dix mille ans. « Les restes d’une femme gisaient là, face à lui, son corps couché de telle manière qu’elle semblait s’appuyer sur ses coudes pour le regarder. » Chanteur et compositeur, l’auteur d’Un océan, deux mers, trois continents (2018), qui a reçu une dizaine de prix littéraires, nous parle ici de thèmes majeurs du XXIe siècle : rapports de l’humain à son environnement, écologie, complexité des opinions et des positions, parfois antagonistes, communication entre mondes visible et invisible. Un voyage par-delà les frontières humaines et géographiques, du puy de Dôme à Mbanza Kongo, en passant par les montagnes d’Afghanistan et les rues de Berlin. Et une intrigue haletante autour d’un personnage énigmatique. ■ C.F.
WILFRIED N’SONDÉ, Femme du ciel et des tempêtes, Actes Sud, 272 pages, 20 €
HOMMAGE
Un DIALOGUE VIBRANT entre tableaux, esquisses et aquarelles, mis en regard avec des objets que le peintre Eugène Delacroix rapporta de son PÉRIPLE
DANS SES LETTRES DU MAROC, en 1937, Nicolas de Staël écrit : « Tout est couleur et musique, paradis où l’on rêve de désert de sable, de vie dure. » C’est ce même Maroc que Delacroix appelle un siècle plus tôt « le sublime vivant et frappant qui court ici dans les rues et vous assassine de sa réalité ». À 34 ans, le peintre de La Liberté guidant le peuple, déjà au sommet de sa carrière, vient de débarquer à Tanger pour une mission diplomatique auprès du sultan Moulay Abderrahmane. La lumière et ses contrastes vifs,
Moulay Abd-Er-Rahman, sultan du Maroc, sortant de son palais de Meknès, entouré de sa garde et de ses principaux officiers, 1845.
Juive de Tanger en costume d’appart, 1835.
réminiscence de son enfance à Marseille, le captivent sur-le-champ. Il repart six mois plus tard avec nombre de carnets de croquis et d’aquarelles. Emporte dans ses bagages une série d’objets artisanaux. Ce n’est qu’à son retour que Femme marocaine, Noce juive dans le Maroc ou encore Le Sultan du Maroc seront peints dans son atelier parisien, d’après ses dessins. Sans jamais verser dans l’exotisme ethnologique d’une majorité d’orientalistes, cette figure emblématique du romantisme poétise le Maroc du XIXe siècle. Sans jamais le fantasmer. ■ C.F. « DELACROIX : SOUVENIRS D’UN VOYAGE AU MAROC », Musée Mohammed VI d’art moderne et contemporain, Rabat (Maroc), jusqu’au 9 octobre. museemohammed6.ma
Le premier auteur français à avoir remporté le prestigieux Prix international Booker frappe toujours JUSTE ET FORT. Il nous emmène cette fois-ci en voyage sur les traces d’un savant.
SON PRÉCÉDENT ROMAN, au-delà d’un récit sur la Grande Guerre et le parcours de deux jeunes soldats sénégalais sur un champ de bataille français, invitait à une réflexion sur la violence et l’amitié absolue. Barack Obama ne s’y est d’ailleurs pas trompé en recommandant la traduction anglaise de Frère d’âme dans sa traditionnelle sélection de lectures d’été 2021. Il faut dire que les textes poignants de cet enseignant-chercheur, spécialiste de la littérature du XVIIIe siècle, interrogent avec passion les méandres de l’âme humaine dans des contextes historiques qui n’en finissent pas de nous troubler. Dans son troisième roman, c’est un jeune homme venu au Sénégal pour étudier la flore locale qui nous prend par la main. Botaniste, il caresse le rêve d’établir une encyclopédie universelle du vivant en un siècle où l’heure est aux Lumières. Nous sommes en 1750. Son destin va basculer lorsqu’il décide de se mettre en quête d’une jeune Africaine promise à l’esclavage et qui serait parvenue à s’évader. Son histoire nous est contée à travers les cahiers secrets qu’il
a laissés en héritage à sa fille, Aglaé. « J’espère de toute mon âme que tu liras un jour ces lignes qui ouvrent le récit de mon voyage sans nom. Je te laisse le soin de lui trouver un titre », écrit-il en préambule. « La porte du voyage sans retour » est le surnom donné à l’île de Gorée, d’où sont partis des millions d’Africains au temps de la traite des Noirs. C’est aussi le titre de cette aventure inspirée de la vraie vie du naturaliste français Michel Adanson. Systématicien original et auteur de multiples ouvrages et manuscrits issus de ses nombreuses explorations au Sénégal, il meurt pourtant dans la plus grande des solitudes. Mais, son unique enfant, Aglaé, née en 1775, suivra plus tard les traces de ce père singulier. Comme en écho à ce destin, ici aussi les personnages n’en finissent pas de se rejoindre, de s’aimer et de se perdre. Ce n’est donc pas un hasard si l’auteur de ce roman flamboyant cite en exergue l’opéra de Gluck, Orphée et Eurydice : pour rejoindre sa bien-aimée, le héros descend jusqu’en enfer. ■ C.F.
DAVID DIOP, La Porte du voyage sans retour, Seuil, 320 pages, 19 €.
« Il manquait un récit d’émancipation des jeunes hommes »
Six ans après À peine j’ouvre les yeux, la Franco-Tunisienne signe un nouvel HYMNE À LA LIBERTÉ.
PRÉSENTÉ au Festival de Cannes en clôture de la Semaine de la critique, le nouveau film de la réalisatrice tunisienne met en avant la sensualité et la fragilité d’un jeune étudiant qui rencontre à la Sorbonne une étudiante venue de Tunis étudier la littérature arabe érotique… Un apprentissage amoureux et sexuel vu par un regard féminin qui casse les codes d’un certain virilisme.
AM : Pourquoi avoir choisi de raconter les premiers émois amoureux et sexuels d’un jeune homme ?
Leyla Bouzid : Après À peine j’ouvre les yeux (2015), qui était le portrait d’une jeune femme et un récit d’émancipation nécessaire, j’avais l’impression qu’il manquait la même chose pour les jeunes hommes. Et ça faisait très longtemps que je voulais faire le portrait d’un garçon timide, réservé, qui a besoin de temps pour assumer ce qu’il ressent, son désir. C’est quelque chose qu’on a très peu vu dans les représentations et qui est pourtant très courant. Les difficultés s’additionnent chez les jeunes arabes, la virilité s’associe à quelque chose de très voyant, d’ostentatoire.
C’était important que ce soit un jeune Franco-Algérien, et qu’il rencontre une Tunisienne à Paris ? Pour moi, être français d’origine algérienne est plus porteur d’une quête identitaire : dans beaucoup de cas, il s’agit de personnes qui ont été coupées du pays de leurs parents à cause des années noires, et ne sont pas retournées là-bas. La coupure est plus forte que pour des personnes d’origine tunisienne ou marocaine, et ils portent une histoire plus violente, plus compliquée avec la France. Il était donc évident que le personnage d’Ahmed devait être d’origine algérienne. Quant à Farah, elle est tunisienne
car c’est la culture que je connais et que ça faisait sens pour moi. La rencontre a lieu à l’université de la Sorbonne, où vous avez étudié. Ils y suivent un cours de littérature arabe sensuelle et érotique qui n’existe pas dans la réalité… Non, pas en première année, même si une approche existe à travers Les Orientales de Victor Hugo. Mais il faut lire Ibn Arabi, un auteur soufi qui a écrit beaucoup de textes au XIIe siècle, ou Majnûn, objet d’études dans le film, dont Le Fou de Laylâ est un poème d’amour presque mythologique, une sorte de Roméo et Juliette qui n’est pas érotique mais qui parle d’un amour fou – et dont s’est inspiré Aragon pour Le Fou d’Elsa. Sans oublier Le Jardin parfumé, un manuel d’érotologie arabe qui est plus ludique, et que reçoit Ahmed. Vous avez eu du mal à trouver vos deux comédiens ?
J’étais inquiète de trouver celui qui allait pouvoir incarner Ahmed, et je suis tombé par hasard sur Fiertés, une mini-série de Philippe Faucon, dans laquelle Sami Outalbali avait un petit rôle. Son physique, son jeu me faisaient penser qu’il pouvait incarner le personnage, et il y a adhéré à 200 %. Il allie à la fois quelque chose d’assez sauvage, de très beau, et une forme de fragilité. Pour Farah, je voulais une Tunisienne, j’en ai rencontré quelques-unes qui avaient grandi en France, mais je sentais que ça n’était pas possible pour ce film-là, où la justesse identitaire est très importante. En Tunisie, j’avais entraperçu Zbeida Belhajamor pour mon film précédent, mais elle avait 14 ans, elle était trop jeune pour le rôle et n’avait pas passé le casting. Mais je suis allé voir ce qu’elle était devenue, et là elle avait le bon âge, c’était une évidence. Après ce tournage en France, est-ce que vous avez des projets de cinéma en Tunisie ?
Oui, mon prochain film, qui est cours de financement et d’écriture, sera tourné à Sousse. ■ Propos recueillis par Jean-Marie Chazeau
RENCONTRE TOUCHANTE entre une Tunisienne et un Franco-Algérien de la banlieue parisienne. Avec ce film sensuel, la réalisatrice confirme son talent.
LEYLA BOUZID avait porté haut la fierté d’une jeune femme amoureuse dans son premier long-métrage À peine j’ouvre les yeux. Dans son nouveau film, elle pousse le curseur un peu plus loin en décrivant un flirt naissant sur les bancs d’une faculté parisienne où l’on étudie une littérature arabe sensuelle et érotique vieille de plusieurs siècles… Mais cette fois, elle s’intéresse d’abord aux premiers émois d’un garçon. Ahmed est né en France de parents qui ont fui l’Algérie des années noires, et rencontre Farah, venue de Tunis. Il va découvrir avec elle des sentiments qui lui étaient inconnus jusqu’à présent, mais aussi tout un pan de sa culture d’origine que ses amis de la cité rejettent. La caméra s’attarde sur le corps du garçon dès les premières images du film, et s’attache avec pudeur mais beaucoup de sensualité à suivre son apprentissage difficile, tiraillé qu’il est entre son désir et ses préjugés, sa peur aussi. Quartier latin, chambre de bonne, toits de Paris, berges de la Seine, un décor déjà souvent vu au cinéma mais qui offre un écrin parfait à cet amour naissant, et pour une fois via un regard féminin. ■ J.-M.C. UNE HISTOIRE D’AMOUR ET DE DÉSIR (France-Tunisie), de Leyla Bouzid. Avec Sami Outalbali, Zbeida Belhajamor, Diong-Keba Tacu. En salles.
Après s’être illustrée dans le documentaire, cette primo-romancière d’origine camerounaise impose son talent littéraire dans Les Aquatiques, qui sortira fin août. Ce puissant récit d’apprentissage raconte le monde africain du point de vue de son héroïne, Katmé.
AM : Comment est né le personnage de Katmé, qui se révèle, à elle comme aux autres, au fil des pages des Aquatiques ?
Osvalde Lewat : J’ai pensé Katmé à rebours de ce que je suis – très tôt, j’ai dû m’affranchir des contraintes de la communauté. Le trauma de la mort de sa mère l’a poussée dans un équilibre artificiel qui lui permet d’avoir une position dans la communauté. Bien qu’elle soit lucide, l’arrestation de son ami Samy la force à se questionner. Or, quand on veut se réinventer, le prix est lourd à payer… Je suis née et j’ai grandi en Afrique et, si j’ai vécu sur plusieurs continents, mon fondement s’y trouve toujours. J’y ai rencontré beaucoup de femmes qui optaient pour le confort du renoncement, celui qu’apporte l’acceptation des autres. Pour cela, elles devaient se tuer elles-mêmes : tout en donnant l’impression d’avoir tout, elles étaient déchirées de l’intérieur. Katmé est née de mes interrogations : cela fait quoi d’être une femme qui décide de réécrire sa vie ? Je ne juge pas, car nous n’avons pas toutes la même opportunité, mais d’après moi, la conquête de soi-même est première, ultime. C’est moins une construction d’elle-même qu’une déconstruction. Vous êtes réalisatrice et photographe. En quoi l’art visuel a-t-il nourri votre écriture ?
Si je n’ai pas choisi de pays qui puisse être identifié, c’est parce que la toponymie me posait un problème : elle peut circonscrire ou être réductrice. Il ne fallait pas que l’on pense que cette réalité humaine soit valable dans un seul pays. Je préférais explorer un espace dans lequel chacun peut s’identifier, quel que soit le pays africain auquel on songe. C’est une réalité transcontinentale que je décris dans le roman… Même si des lecteurs qui viennent d’horizons très différents m’ont rapporté que ce qu’il s’y passe leur rappelait certains pays de l’est de l’Europe ! Cependant, je suis du Cameroun, et dans Les Aquatiques, on retrouve une cosmogonie, un parler, des expressions de mon pays. L’homophobie fait partie des sujets brûlants de l’ouvrage et va causer de graves ennuis au frère de cœur de Katmé, Samy. En quoi ce sujet vous semblait crucial ici ?
J’ai grandi dans un contexte familial et social où on m’expliquait que les personnes attirées par celles du même sexe seraient damnées. Cela m’a marquée. Plus tard, j’ai vu des homosexuels exclus, ostracisés…
Avant que la loi n’intervienne, il y a la sanction de la communauté – la pire peut-être. C’est une violence symbolique contre laquelle on peut difficilement lutter car il y a beaucoup de non-dits.
Mes rencontres en tant que documentariste et photographe ont fécondé mon imaginaire et ma créativité. Je pense mon livre scène par scène : j’ai besoin d’entendre d’abord, mais aussi de voir, comme si c’était un film. Quand j’écris, même si les mots sont des outils avec lesquels je m’amuse et me bats, dans un corps-à-corps sensuel ou conflictuel, il y a toujours les images qui accompagnent chaque son que j’écoute. J’ai besoin de voir les personnages. Le roman se déroule à Akriba, capitale d’un pays imaginaire, le Zambuena. En quoi est-il proche du Cameroun, dont vous êtes originaire ?
Les Aquatiques raconte le destin d’êtres humains pris dans une réalité qui les dépasse, les écrase pour ce qu’ils sont. En parler à travers le personnage de Samy était crucial car j’ai vécu une amitié très forte, adolescente, qui s’est achevée avec la mort de celui qui était un frère pour moi. Quand mon désir romanesque a commencé à s’exprimer, cela m’a permis de conjurer cette douleur, d’exprimer des ressentis autour de la mère, l’amitié, l’émancipation de la femme… Avec l’homophobie comme axe majeur, un déclencheur qui va forcer les personnages à se déterminer. ■ Propos recueillis par Sophie Rosemont
L’écopavillon de Diamniadio, livré en 2019, et dont les murs et le sol renferment du typha, un roseau aux propriétés isolantes étonnantes.
Ce collectif sénégalais spécialisé en construction bioclimatique ouvre une NOUVELLE VOIE dans le secteur du bâtiment.
REMPLACER LE BÉTON par de la terre et d’autres matériaux de construction naturels, moins polluants et plus adaptés aux contraintes climatiques du Sahel, pour encourager la métamorphose du secteur du BTP au Sénégal. Tel est le but à long terme de Worofila, un collectif d’architectes et d’ingénieurs entrepreneurs basé à Dakar, cofondé en 2016 par Nzinga Mboup et Nicolas Rondet. Le travail acharné de ces militants pour une architecture écologique et durable commence à donner des fruits. Le collectif suit une variété de chantiers dans
tout le pays : de la Petite Côte au Sine-Saloum, en passant par Dakar et Saint-Louis. Parmi leurs réalisations, il y a l’écopavillon de Diamniadio, livré en 2019 en tandem avec l’entreprise Ecoterre. Chantier école, celui-ci concrétise des années de recherche dans la filière du typha : ce roseau envahissant possède des propriétés isolantes étonnantes et s’avère très adapté à la maçonnerie. Il a ainsi été incorporé dans le sol et dans des briques en terre crue, et tressé pour en faire des panneaux de sous-plafond ou protéger les murs externes. Les projets de Worofila promeuvent l’architecture bioclimatique et sont pensés pour le confort des usagers. Dans les haltes de TER qu’ils sont en train de construire, par exemple, la terre crue et la ventilation assurent la thermorégulation des pièces, alors qu’un double mur, qui intègre une lame d’air, permet de garder la fraîcheur, même côté soleil. ■ L.N.
L’Africafé, à Abidjan, propose chaque jour un plat d’un pays différent.
Deux adresses sur le continent où goûter une restauration rapide SAINE ET RÉFLÉCHIE, faite avec des produits locaux de qualité.
APRÈS LES RESTAURANTS qui mettent en valeur la gastronomie et les produits africains, on a pu remarquer sur le continent l’arrivée de quelques cafés originaux. À Abidjan, par exemple, Djeneba Keita Sokona inaugure cet été dans le food hall du Ivoire Trade Center son nouveau Africafé. Un coffee-shop qui fait de l’hospitalité l’une de ses forces. Après avoir ouvert une première adresse à Praia en 2016 – rapidement devenue un must au Cap-Vert –, elle déménage à Abidjan et, en 2019, lance un service de livraison qui cartonne. Elle propose chaque jour un plat provenant d’un pays différent, comme le widjila (Mali),
Le Kéliba Café est ouvert à Dakar depuis fin 2019.
le kabato (Burkina Faso), le saka saka (Congo) ou le sadza (Zimbabwe). Mais elle est surtout connue pour ses créations fusion, comme les lasagnes d’alloco ou le choukouya wrap, et ses desserts. La tarte à la mangue a récemment fait un tabac – c’était la saison – et le fondant chocolat au cœur de bissap continue de faire saliver les clients.
À Dakar, c’est le Kéliba Café, ouvert depuis fin 2019, qui propose des plats de qualité à base de produits locaux. Né d’une idée d’Aïssatou Mbaye, déjà autrice d’un livre de recettes à succès, ce restaurant à gestion familiale, qui sert aussi d’espace de travail, propose des créations qui exaltent le patrimoine culinaire sénégalais. Les légumes de saison, poissons, viandes et céréales (maïs, fonio ou niébé) sont rigoureusement achetés chez des producteurs pour composer des « kelibowls » et des « keliwraps » à tomber par terre. Le café propose également des petits-déjeuners sénégalais, ainsi que des infusions à base de plantes traditionnelles, comme le kinkéliba, et du café Touba, avec son goût poivré. ■ L.N. @africafeabj (Instagram) / kelibacafe.com
DESIGN
L’Américain Ini Archibong a été récompensé à la BIENNALE DE LONDRES avec ce projet qui encourage les échanges autour des questions raciales et d’égalité.
COMME UN COQUILLAGE échoué sur la plage, que l’on colle à l’oreille pour entendre le bruit de la mer, le pavillon de la diaspora africaine signé par le designer américain d’origine nigériane et basé en Suisse, Ini Archibong, a pour but d’amplifier les voix des Afro-descendants éparpillés aux quatre coins du globe. Le projet a remporté la médaille de l’œuvre la plus marquante de la Biennale du Design de Londres. S’inspirant des cauris et des conques des tritons géants, il s’agit d’une installation itinérante évolutive en trois parties : inauguré cet été à Londres avec La Voile, le pavillon s’installera à l’automne à New York, enrichi par un deuxième volet, La Vague, et sera complété lors de la foire internationale Art Basel Miami Beach, en décembre, par La Coquille. L’installation fera ensuite le tour du monde sous la forme d’une scène et agora mobile jusqu’en 2023. La programmation des événements et des rencontres a été confiée à Tamara N. Houston, cofondatrice de l’agence de consulting média Icon Mann, qui valorise les talents de la diaspora. Elle met l’accent sur l’héritage africain et les contributions que les Afro-descendants ont apporté dans tous les domaines. ■ L.N.
la jeune photographe kényane célèbre la beauté des Africaines. C’est l’un des nouveaux talents les plus prometteurs du continent. par Fouzia Marouf
Audacieuse et animée d’une volonté effrénée, Thandiwe Muriu colore, sublime et bouscule les codes de la photographie en Afrique en réinterprétant l’art du portrait. Conquise par ses photos hautes en couleur de femmes noires, à la veine psychédélique et aux lignes graphiques, la 193 Gallery de Paris l’a invitée à participer à l’exposition « Colors of Africa » en octobre dernier. Forte du succès retentissant de Camo (2015), une série aux tonalités vives qui magnifiait la beauté des Kényanes au naturel, la jeune artiste présente cet été « Dans les yeux de Thandiwe », sa première exposition solo en France. Au fil d’une galerie de portraits originaux, des modèles pétries de dignité et drapées de tissus chatoyants font écho à la gloire passée des reines africaines. Une exposition détonante qui confirme son talent. « J’ai toujours été fascinée par la couleur et l’esthétique africaine », confie-t-elle. Amoureuse du 8e art depuis l’âge de 14 ans, Thandiwe grandit à Nairobi au sein d’une famille d’artistes, avec une sœur styliste et une autre pianiste virtuose. Après l’obtention de son diplôme de commerce, la jeune femme, marquée par les couvertures du magazine Vogue, s’essaye au portrait en photographiant l’une de ses sœurs. Ses premières œuvres coïncident avec l’essor des réseaux sociaux : ses portraits féminins originaux y rencontrent un vif succès, ce qui l’amène à signer son premier contrat pour une campagne internationale à l’âge de 23 ans. Dans ce milieu encore très masculin, elle collabore dès lors avec Mutua Matheka, Osborne Macharia ou encore Emmanuel Jambo. En rupture avec les codes esthétiques occidentaux des magazines, elle est déterminée à mettre en lumière la beauté naturelle de ses concitoyennes – des femmes actives et entreprenantes, comme elle.
« Les jeunes filles peuvent se refléter dans mes modèles », précise-t-elle. Ses compositions révèlent une esthétique propre à la beauté de ces femmes noires – des corps trop absents des unes des magazines féminins, mais qu’elle juge indispensables pour le lectorat du continent africain et de la diaspora. Ses photographies pop, qui subliment la peau noire et les coiffures afro ou tressées, concrétisent sa démarche.
Une célébration culturelle proche de l’esprit de la série du photographe malien Youssouf Sogodogo Crossroads: A Homecoming, sur les cheveux afro nattés. Elle aime également montrer dans ses œuvres l’art de la récupération tel qu’il est pratiqué en Afrique, en détournant les objets du quotidien en accessoires de mode : une passoire devient un chapeau et un moule à gâteaux se transforme en lunettes !
Sensible à la question de la relève, l’artiste souhaite inspirer les nouvelles générations. Telle une passeuse d’art, elle organise régulièrement des ateliers de photographie pour les jeunes filles, en allant à leur rencontre dans des établissements scolaires. Pour cette militante, la photographie est un outil qui permet d’incarner un modèle de réussite et donc de faire des émules aux quatre coins de l’Afrique. En attendant, à 31 ans, elle est déjà en passe de devenir la nouvelle star de la photo au Kenya. En septembre prochain, elle participera aux foires artistiques Photo London et Photo Basel. ■
«Les jeunes filles peuvent se refléter dans mes modèles.»
PAR EMMANUELLE PONTIÉ
À l’heure où nous écrivons ces lignes, personne ne sait si l’Afrique fera une aussi belle moisson de médailles aux JO 2021 de Tokyo qu’à ceux de 2016 à Rio, où le continent en avait tout de même récolté 45, dont 10 en or. Grosse participation en course de fond des pays de l’Est, comme l’Éthiopie ou le Kenya. Ça, on a l’habitude. Ces athlètes battent des records, gagnent, brillent. Déjà deux médailles d’or sud-africaines pour des nageuses. Là aussi, rien de bien surprenant. Disons que les biotopes – hautes montagnes pour les premiers et mer omniprésente pour les secondes – influencent peut-être les vocations et les performances.
Après, on retrouve des Africains dans des disciplines plus surprenantes, comme le 400 mètres nage libre, où le Tunisien Ahmed Hafnaoui a gagné l’or. Idem pour le Marocain Soufiane El Bakkali, or aussi, au 3 000 mètres steeple ! On peut en outre citer le taekwondo, avec une première médaille en bronze pour l’Ivoirienne Ruth Gbagbi ; le judo, avec la Gabonaise Sarah Myriam Mazouz ; le tennis de table, avec le Nigérian Aruna Quadri ; l’escrime, avec la Tunisienne Inès Boubakri ; le rugby à sept, qui intéresse les Kenyanes ; ou encore le canoë-kayak et le volley-ball de plage pour les Marocains et Marocaines. Et même le dériveur double 470, avec des Angolais en lice. Sur un continent qui vibre, en gros, exclusivement au rythme du foot, c’est drôlement réjouissant, tous les quatre ans, de voir que des individualités se lancent à l’assaut d’une discipline presque inconnue par leurs compatriotes. Et en général pas soutenue ni encadrée par les pouvoirs publics de leur pays.
Chapeau bas pour le courage et la ténacité de ces athlètes, félicités lorsqu’ils gagnent et placés aux oubliettes les années qui suivent. On se souvient de Leyti Seck, seul concurrent et porte-drapeau du Sénégal, participant aux Jeux olympiques d’hiver deux éditions de suite dans la catégorie ski alpin en 2006 et 2010. Et bien sûr, de son prédécesseur Lamine Guèye, premier Subsaharien à participer aux JO d’hiver, en 1984, à Sarajevo, dans la même discipline.
On souhaite aux athlètes « décalés » de réussir cette année. Mais surtout, ce serait bien que leurs pays respectifs s’occupent un peu mieux d’eux et s’attellent à la promotion de ces sports nouveaux qui attirent, qu’ils créent des infrastructures locales (bon, pas de la neige, c’est sûr…) pour qu’ils puissent s’entraîner et faire des émules. Bref, que le continent évolue et sorte du « tout foot », un sport où d’ailleurs, si mes souvenirs sont bons, les récentes performances au niveau mondial ne sont pas bien terribles non plus ■
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