Abidjan Soir N°348 (1)

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USA/VISAS SUSPENDUS, AIDES GELÉES

et si c’était une chance pour nous ?

Le 20 janvier 2025, Donald Trump reprend la Maison-Blanche Quelques jours plus tard, il suspend l’aide au développement. Puis les visas étudiants. Brutal, inattendu ? Non. Révélateur. L’Afrique doit cesser de tendre la main. L’heure est venue de bâtir une souveraineté réelle, sociale, intellectuelle et démocratique. Et si cette fermeture américaine était, en réalité, une chance historique ?

ÉDITORIAL

ET SI L’AMÉRIQUE NOUS RENDAIT ENFIN UN FIER SERVICE ?

Le 20 janvier 2025, Donald Trump reprenait ses fonctions à la Maison-Blanche. À peine installé, un décret tombe : suspension immédiate de l’aide américaine au développement. Trois mois plus tard, nouvelle salve : gel du traitement des visas étudiants. L’Afrique, qui croyait encore que les États-Unis resteraient un partenaire prévisible, se retrouve brutalement face à une évidence : l’heure est venue de se prendre en main.

Et si ce choc diplomatique était, en réalité, une divine alerte ? Une opportunité historique de rompre avec la dépendance chronique qui structure nos politiques publiques depuis les années 1960

Rebâtir nos bastions du savoir : une ambition nationale urgente

Dans le classement QS 2025 des meilleures universités africaines, pas une seule université ivoirienne. Zéro. Le Nigeria y place six établissements, l’Afrique du Sud dix. La Côte d’Ivoire, elle, est hors-jeu Et pourtant, chaque année, l’État débourse des milliards pour envoyer une élite étudiante se former ailleurs Alors, quand les États-Unis suspendent les visas, c’est tout un système de dépendance intellectuelle qui vacille et devient fébrile.

Ce n’est plus tenable. Investir chez nous n’est pas un luxe : c’est une urgence stratégique. Cela implique l’autonomisation financière des universités publiques (fonds compétitifs, mécénat, incubation), la création d’écoles doctorales de haut niveau dans toutes les grandes régions, et surtout, la revalorisation salariale, statutaire et symbolique des enseignants-chercheurs.

Mais au-delà des mots, il faut un cap clair : l’excellence mondiale. Celle qui animait déjà les rêves d’Houphouët-Boigny lorsqu’il posait les fondations de l’INP-HB (Institut National Polytechnique Houphouët-Boigny) à Yamoussoukro un établissement pensé comme un MIT africain, un lieu d’élite, d’innovation et de leadership technique Ce grand projet doit aujourd’hui retrouver son souffle, se moderniser, s’ouvrir sur le monde tout en répondant aux défis locaux, et redevenir un pôle d’attractivité pour toute la sous-région. Et ce modèle doit s’étendre : à l’INP-HB, à l’Université Félix Houphouët-Boigny, à Bouaké, à Korhogo, à Man, à San Pedro

Ces temples du savoir doivent devenir des centres d’innovation de rang mondial, rivaliser avec les meilleures institutions du continent, tisser des partenariats solides avec les grandes écoles internationales, attirer les meilleurs chercheurs, produire de la science, breveter, industrialiser, transformer. Ils doivent être le moteur d’un modèle ivoirien de développement fondé sur la connaissance, la technique et la souveraineté industrielle Nos campus doivent devenir des références Des phares

Plus globalement, l’excellence académique ne doit pas être l’exception ivoirienne. Elle doit devenir la norme. Notre boussole. Notre obsession.

Dans un monde décloisonné, apprendre des autres est une force Mais dépendre des autres pour tout, tout le temps, est une faiblesse On ne construit ni influence, ni puissance durable, tant qu’on délègue la formation de notre intelligence nationale aux seuls campus étrangers. S’ouvrir, oui. Se vider, non.

Santé : Paris ne sauvera pas tout le monde Il y a quelques semaines, les réseaux sociaux ivoiriens se sont enflammés autour d’une série de vidéos tournées à l’Hôpital Américain de Paris, où des personnalités ivoiriennes sont soignées dans des suites dignes d’un palace

Pendant ce temps, dans la plupart de nos CHU (et CHR), des enfants meurent faute d’IRM Quelle absurdité ! En 2024, le budget alloué au ministère en charge de la santé en Côte d’Ivoire s’élevait à environ 620,7 milliards de FCFA, soit environ 4,5 % du budget national total estimé à 13 720,7 milliards de FCFA. Ce pourcentage est bien en deçà de la cible de 15 % recommandée par la Déclaration d’Abuja de 2001, à laquelle la Côte d’Ivoire a souscrit

C’est maintenant que le gouvernement doit recruter massivement du personnel médical, équiper correctement les CHU régionaux, et renforcer les programmes de santé communautaire et préventive.

La corruption, notre véritable dette morale

Pendant que certains se lamentent de la fin de certaines aides extérieures, nous perdons chaque année 1 400 milliards de FCFA à cause de la corruption (Bloomfield Intelligence, 2024). Multipliez par 14 ans : 19 600 milliards. Une somme suffisante pour bâtir 100 universités, 20 hôpitaux modernes, et des routes dignes d’un pays émergent

La vraie dette de la Côte d’Ivoire n’est pas financière Elle est morale Elle est dans les mains de ceux qui détournent, trichent, surfacturent, et osent encore parler de « résultats positifs ». En 2025, on ne peut plus se contenter de demi-réussites. Oui, des routes ont été construites. Oui, des infrastructures ont vu le jour Mais à l’échelle des promesses électorales de 2010, on est loin, très loin du compte Ce pays devait devenir une locomotive émergente à l’horizon 2020 Les rails se sont allongés Jusqu’en 2030 Avec un wagon désorganisé, ballotté entre ambitions affichées et gouvernance affaiblie.

Il ne suffit pas de présenter deux bons indicateurs pour justifier 15 ans de gestion. Le développement, ce n’est pas une vitrine, c’est une colonne vertébrale Et aujourd’hui, elle est brisée par la dépendance, tordue par la corruption

Les États-Unis ferment des portes ? Tant mieux C’est l’occasion de construire durablement et souverainement les nôtres. Des portes solides, forgées dans la volonté, le courage et l’audace.

Il nous faut une indépendance sociale, économique et démocratique, non pas proclamée dans les discours, mais incarnée dans les actes L’avenir n’appartient pas à ceux qui tendent la main Il appartient à ceux qui retroussent leurs manches.

AFFAIRE THIAM & ASSOCIÉS : LE BARREAU DE CÔTE D’IVOIRE

UNE INSTALLATION ILLÉGALE À ABIDJAN

Le Barreau de Côte d’Ivoire est monté au créneau ce mercredi pour dénoncer l’ouverture « illégale » d’un bureau secondaire à Abidjan par le cabinet Thiam & Associés, inscrit au seul Barreau de Guinée. pratique qu’il qualifie de « violation grave de la loi et des règles déontologiques en vigueur ».

Dans une déclaration officielle, l’Ordre des avocats ivoiriens accuse le cabinet guinéen de violer frontalement les règles déontologiques qui encadrent la profession au sein de l’espace UEMOA À ses yeux, cette implantation constitue une infraction grave, tant au droit communautaire qu’aux usages en vigueur dans la sous-région.

Un non-respect des règles de l’UEMOA

Le Conseil de l’Ordre rappelle que le règlement n°10/2006/CM/UEMOA régit l’exercice transfrontalier de la profession d’avocat dans les pays membres de l’Union. Celui-ci prévoit, de manière stricte, que seul un avocat inscrit à un Barreau d’un État membre peut s’installer dans un autre pays de l’Union, selon des procédures clairement définies

Or, le cabinet Thiam & Associés, inscrit exclusivement au Barreau de Guinée pays non membre de l’UEMOA ne bénéficie d’aucune autorisation pour exercer en Côte d’Ivoire. Son installation à Abidjan, sans inscription locale ni agrément préalable, est donc jugée irrégulière par le Barreau ivoirien.

Dans son communiqué, le Conseil de l’Ordre va plus loin et dénonce également « l’association d’avocats avec un conseil juridique agréé », une

Directeur de Publication : Israël Guébo

Secrétaire de rédaction : Jemima Kessié

Direction Artistique : Félix Ancien

Des poursuites annoncées contre le cabinet et ses associés

Face à ce qu’il considère comme un cas manifeste d’exercice illégal de la profession d’avocat, le Barreau de Côte d’Ivoire a mandaté le Bâtonnier de l’Ordre pour engager sans délai les procédures disciplinaires et pénales à l’encontre des auteurs et complices de cette implantation jugée illicite

Dans une volonté d’apaisement mais aussi de fermeté, le Bâtonnier ivoirien a saisi la Conférence des bâtonniers de l’UEMOA, tout en informant son homologue guinéen, invité à prendre toutes mesures nécessaires pour faire cesser immédiatement cette situation

Le Barreau de Côte d’Ivoire affirme vouloir défendre, avec rigueur, l’intégrité de la profession, le respect des normes communautaires et la réciprocité confraternelle entre les Ordres de la sous-région

Arhur Debi

Rédacteurs : Arthur Debi, Kledjeni Tayou, Tchimou Berenger, Bainguié Jean-François, Koffi Étile, Teiko Célestin, Vincent Gnamessou, Joël Koné
Abidjan soir est édité par l’Institut Africain des Médias (IAM)
Abidjan

MURIELLE LIGUER LAUBHOUET, ALIAS « DRÔLE DE DAME », S’EST ÉTEINTE À PARIS

C’est une onde de choc qui traverse la diaspora ivoirienne et le monde culturel ce jour : Murielle Liguer Laubhouet, connue affectueusement sous le surnom de « Drôle de Dame », est décédée à Paris des suites d’un cancer, selon des sources proches de la famille. Une femme libre, singulière et solaire tire sa révérence.

Elle était de ces femmes qu’on ne présente plus, tant leur seule présence suffit à imposer le respect, à déclencher un sourire ou à provoquer un débat Murielle Liguer Laubhouet, grande dame d’élégance et de panache, n’a jamais vécu qu’à sa manière : libre, flamboyante, assumée

Fille de Gilles Vally Laubhouet, ancien ministre du président Félix Houphouët-Boigny, Murielle avait hérité de son père le sens des institutions et de sa mère la noblesse de l’attitude Mais c’est par elle-même qu’elle s’est construite une place à part entre Paris et Abidjan, entre les défilés, les cercles de communication, les salons culturels et les réseaux sociaux où elle régnait avec grâce et verve.

Celle qu’on appelait affectueusement « Drôle de Dame », en référence à son franc-parler et à son humour mordant, portait haut les couleurs de la féminité ivoirienne contemporaine : élégante, affûtée, cultivée, fière de sa beauté et de sa liberté. Avec son afro naturel qu’elle arborait depuis plus de dix ans, elle était devenue une icône de l’acceptation de soi, de l’audace esthétique et de l’élégance noire sans complexe. Son secret capillaire ? L’huile de carapate pure, et un refus catégorique des perruques et artifices.

« Oui, c’est mes cheveux. Pas de tissage, pas de perruque. Les gens veulent souvent les toucher. Mais non. Ce n’est pas sanitaire, hein ! »

Elle avait le sens de la formule Elle les maniait avec humour, mais aussi avec profondeur Une de ses phrases les plus virales résume à elle seule sa philosophie de vie : « Je suis la femme la plus entretenue du monde Être avec un homme est un métier

Se faire entretenir en est un autre Et il faut le mériter » Derrière ce panache se cachait aussi une rigueur : discipline alimentaire, sport quotidien, tisanes détoxifiantes, et une hygiène de vie quasi militante Car derrière le personnage flamboyant se trouvait une femme d’une rare exigence Elle se savait observée, jugée parfois, admirée souvent et elle l’acceptait, en imposant ses propres codes

Ces dernières années, elle avait fait de Paris son havre Elle y vivait entourée d’amis fidèles, entre dîners chics, séances de marche et moments partagés avec sa communauté. Mais elle restait viscéralement attachée à la Côte d’Ivoire. Elle rêvait d’une culture ivoirienne qui s’affirme pleinement, au féminin pluriel, audacieuse, visible, brillante.

Son décès laisse un vide immense, dans le cœur de ceux qui l’ont connue, mais aussi dans ce cercle plus large d’abonnés, de fans, de femmes inspirées qui la suivaient sans toujours la connaître personnellement. Murielle n’était pas une simple figure publique. Elle était un style de vie, une attitude, une invitation à s’aimer.

Les hommages se multiplient sur les réseaux sociaux, saluant « sa lumière », « sa noblesse », « son courage discret face à la maladie » qu’elle a tenue à ne jamais mettre en scène.

Murielle Liguer Laubhouet s’en est allée Mais « Drôle de Dame » restera Dans les esprits Dans les miroirs Et dans toutes ces femmes qu’elle a aidées, simplement en osant être elle-même

Philomène Tourey

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