

PDCI-RDA : TIDJANE THIAM PLÉBISCITÉ, MAIS LA CRISE DEMEURE

Dans un climat tendu, marqué par des recours judiciaires et des accusations internes, Tidjane Thiam a été réélu à la tête du Parti démocratique de Côte d’Ivoire. Une victoire éclatante, mais loin d’apaiser les divisions.
Le 9ᵉ congrès extraordinaire du PDCI-RDA, tenu ce mercredi, s’est soldé par la reconduction de Tidjane Thiam à la tête du plus vieux parti politique ivoirien. Seul candidat en lice, l’ancien patron du Crédit Suisse a obtenu 99,77 % des suffrages exprimés, dans une ambiance de ferveur militante… mais sur fond de tempête judiciaire. Quelques jours plus tôt, Thiam annonçait sa démission surprise de la présidence, évoquant sa volonté de remettre son mandat « entre les mains des militants ». Ce retrait, hautement stratégique, visait à désamorcer une procédure judiciaire engagée par Valérie Yapo, cadre du parti, contestant la validité de sa nationalité ivoirienne lors de sa première élection en décembre 2023. Une audience est prévue à ce sujet le 15 mai, au lendemain de son nouveau sacre.
Un congrès sous assignation
Mais ce rebondissement n’a pas suffi à calmer les remous. À la veille du scrutin, le PDCI-RDA a été visé par une assignation en référé d’heure à heure, introduite par Marien Judith Kouamé, militant de Sipilou. Objectif : suspendre la tenue même du congrès.
’affaire a immédiatement semé le trouble, d’autant que l’avocat du plaignant, Me Lassomann Diomandé, est connu pour avoir représenté par le passé Jean-Louis Billon, ex-ministre et figure influente du parti.
Une rumeur d’implication directe de ce dernier s’est aussitôt propagée sur les réseaux sociaux, au point de contraindre Billon à une mise au point publique.
Dans un communiqué, il a formellement démenti toute implication : « Il n’en est rien. Je n’ai aucun intérêt à nuire à mon parti », a-t-il insisté, tout en réaffirmant son engagement pour l’unité et la cohésion du PDCI-RDA.
Une légitimité retrouvée, mais fragile À 62 ans, Tidjane Thiam semble donc conserver la confiance écrasante des militants. Son retour en grâce n’efface toutefois ni les tensions internes ni les incertitudes juridiques. La création temporaire d’un poste de « président délégué » par Ernest N’Koumo Mobio, doyen du parti, aura permis de garder le navire à flot, mais la crise reste ouverte. En filigrane, c’est l’avenir même du parti fondé par Félix Houphouët-Boigny qui se joue : entre restauration d’un leadership incontesté et urgence de recoller les morceaux d’un appareil fracturé.
La prochaine étape judiciaire prévue ce jeudi pourrait rebattre les cartes. D’ici là, une question persiste : jusqu’à quand le PDCI-RDA pourra-t-il tenir sur cette corde raide ? Philomène Tourey
UN DÉPUTÉ FRANÇAIS ALERTE SUR LES DÉRIVES DU PROCESSUS ÉLECTORAL EN
CÔTE D’IVOIRE
À quelques mois de la présidentielle ivoirienne, le député français Aurélien Taché interpelle son gouvernement. Il exige un audit indépendant de la liste électorale, pointant des irrégularités graves et l'exclusion d'opposants majeurs.
À moins de six mois de la présidentielle ivoirienne, la tension monte à l'international. Le député français Aurélien Taché (membre de La France insoumise) a posé une question écrite au ministre de l'Europe et des Affaires étrangères de son pays pour dénoncer ce qu'il considère comme de graves atteintes à la démocratie en Côte d'Ivoire. Dans sa lettre datée du 13 mai 2025, il exige un audit indépendant de la liste électorale. Le président Alassane Ouattara, 83 ans, au pouvoir depuis 2011, ne s'est pas encore déclaré candidat, mais a exprimé son « désir de continuer à servir » la Côte d'Ivoire. L'élu français l'accuse de vouloir « brigue[r] un 4e mandat inconstitutionnel », en violation de la limitation des mandats prévue par la Constitution ivoirienne.
Des irrégularités majeures
Le cadre du parti de Jean Luc Mélenchon pointe également l'exclusion de plusieurs figures majeures de l'opposition : Laurent Gbagbo, Guillaume Soro, Tidjane Thiam et Charles Blé Goudé, tous écartés du processus électoral, principalement en raison de condamnations judiciaires ou de radiations administratives. Mais l'élément central de son interpellation reste la fiabilité de la liste électorale provisoire, publiée par la CEI en avril 2025. Selon Aurélien Taché, celle-ci comportait des irrégularités majeures : l'inscription massive de personnes décédées, d'électeurs fictifs ou de doublons atteindrait, selon un rapport du PPA-CI, un taux alarmant de 75 % de fraudes potentielles sur les six millions d'inscrits.
« Ces accusations portées par les oppositions ivoiriennes sont avérées, alors on ferait face à un
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système de fraude électorale généralisée », écrit-il dans sa missive, ajoutant que « la vie démocratique ivoirienne n'est aujourd'hui pas claire ».

Absence de transparence
Le député revient également sur le projet d'appui européen au fichier d'état civil, censé renforcer la fiabilité du processus électoral. Financé par la France et l'Union européenne à hauteur de 5 millions d'euros, ce programme mené avec l'ONECI (Office national de l'état civil et de l'identification) et CIVIPOL (opérateur du ministère français de l'Intérieur), reste opaque selon lui. Il dénonce l'absence de transparence sur les résultats, les dépenses et les évaluations de ce projet, pourtant censé être achevé en 2023.
Face à ces constats, le député de la circonscription de Cergy réclame que la France conditionne son aide au respect des principes démocratiques et à la mise en œuvre d'un audit électoral indépendant, rigoureux et dans les plus brefs délais.
Cette sortie intervient alors que l'opposition ivoirienne multiplie les mises en garde sur les risques de verrouillage du scrutin d'octobre 2025, dans un contexte marqué par une méfiance persistante envers la Commission électorale indépendante (CEI) et le gouvernement.
Le gouvernement français de même que les autorités ivoiriennes n'ont pas encore réagi, mais ce nouvel épisode pourrait fragiliser davantage la crédibilité du processus électoral ivoirien aux yeux des partenaires internationaux.
EN CÔTE D'IVOIRE, UNE EXPOSITION REND HOMMAGE À AHMADOU KOUROUMA

À Abidjan, « Inspirations Kourouma » rend hommage au grand écrivain Ahmadou Kourouma (1927-2003), pour célébrer son héritage littéraire à travers les créations d’artistes contemporains. L’exposition collective, qui mêle tableaux, sculptures et même bandes dessinées, est à voir au centre d’art historique du Plateau, La Rotonde.
Les visiteurs sont accueillis dans La Rotonde par les yeux pénétrants d’Ahmadou Kourouma : un grand portrait en noir et blanc réalisé par Jems Koko Bi, représentant l’écrivain, la tête posée sur sa main, fixant le spectateur du regard.
« Dans le creux de la main Je crois qu’il disait : “Dans le creux de la main, on se repose et on apprend beaucoup”, explique Jems Koko Bi. Et ce regard perçant qu’il avait… C’est un grand personnage pour moi. Kourouma fait partie du patrimoine culturel de la Côte d’Ivoire. Quand vous approchez du portrait, vous voyez qu’il n’y a pas de peinture. C’est juste gratté, sur du papier noir, au couteau. C’est un travail archéologique que j’ai fait ».
En plus des photos d’archives, des coupures de journaux et d’extraits de ses textes, l’exposition met en scène une quinzaine d'œuvres présentées par un casting prestigieux, où figurent notamment les peintres Aboudia et Yéanzi, le sculpteur Salif Diabagaté… Les participants ont reçu des extraits de livres de Kourouma et ont été invités à s’en inspirer pour créer leurs propres œuvres. Pascal Konan, artiste plasticien, signe ainsi la toile Les Couleurs des Indépendances, en référence au premier roman de Kourouma, Les Soleils des Indépendances.
« Moi, j’ai dû illustrer une partie de ce livre, qui propose une lecture, ou une relecture des temps coloniaux. Donc, dans la Toile, il y a une grande répartition du bleu, du blanc et du rouge, pour montrer la domination du pays colonisateur. Et puis, ensuite, le jaune, qui symbolise le soleil d’Afrique, vient pour dire qu’en Afrique, il y a eu des gens qui se sont battus. Pour moi, c’est une œuvre assez symbolique. On a essayé de résumer tout ça en image, parce qu’on estime qu’une image vaut mille mots ».
Quand les arts visuels ravivent la mémoire littéraire
Il peut sembler paradoxal de rendre hommage à un écrivain avec une exposition d’arts plastiques Mais le directeur de La Rotonde, Yacouba Konaté, dit croire « qu’aucune discipline ne peut vivre en autarcie ».
« Je pense qu’une discipline vit, survit, se développe, par la connexion, par la collaboration avec les autres disciplines, explique-t-il. Ahmadou Kourouma, c’était un ami. J’ai vu l’immense travail qu’il faisait pour construire ses textes, les produire, les peaufiner. Vraiment, c’est un orfèvre, c’est un bijoutier. Donc, je me suis promis de faire un événement sur lui, puisque je suis, moi, un universitaire qui considère que les arts visuels ont un impact, une efficacité de communication plus forte que la littérature au sens ordinaire du terme ».
Yacouba Konaté dit même avoir guéri la panne d’inspiration de l’un des sculpteurs avec lesquels il collaborait en 2001, Yacouba Touré, en lui faisant lire Allah n’est pas obligé d’Ahmadou Kourouma.
« Cette lecture a produit une étincelle créative chez ce sculpteur, qui était l’un des meilleurs de sa génération. Et j’ai voulu reprendre ce procédé avec des artistes contemporains ».
Une initiative saluée par la veuve de l’écrivain, Christiane Kourouma, qui se réjouit de voir son œuvre toujours célébrée, 22 ans après sa mort. « Je vis encore avec lui jour et nuit. Je lis encore ses livres, je lis tout ce qu’on a pu écrire sur lui Tout ce que je vois ici, toutes ses photos, je les connais par cœur ». RFI