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en Afrique subsaharienne

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Bibliographie

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Schéma 1.1 Impact du progrès technologique sur les opportunités d’emploi en Afrique

subsaharienne

Emploi dans chaque secteur Emplois supprimés dans les secteurs traditionnels

Emplois restants dans les secteurs traditionnels Automatisation Adoption des technologies numériques Innovation dans les nouveaux secteurs

Nouveaux emplois dans les nouveaux secteurs Adoption des technologies numériques

Secteurs (ordonnés suivant leur susceptibilité d’être automatisé)

Source : Adapté de Banque mondiale, 2019. Note : La ligne en pointillés montre que les emplois supprimés dans les secteurs traditionnels devraient être beaucoup moins nombreux en Afrique subsaharienne qu’ailleurs dans le monde.

La dynamique que l’on observe dans le schéma 1.1 est pertinente dans le contexte de l’Afrique subsaharienne parce que l’innovation crée des emplois dans les nouveaux secteurs en alimentant la demande en nouveaux produits et en nouveaux services. Au Kenya, par exemple, une rapide adoption des paiements mobiles a provoqué la fermeture de trente-neuf agences bancaires entre 2016 et 2018 (Bloomberg Markets,2018) et des pertes d’emplois en conséquence. La Banque du Kenya indique que 6 020 emplois bancaires ont été perdus entre 2014 et 2017. En parallèle, cependant, le nombre d’agents dans les services de paiements mobiles a augmenté de 69 342 durant la même période (Ndung’u, 2018), ce qui montre l’effet largement positif qu’ont les nouvelles technologies sur l’emploi.

En revanche, les tendances illustrées par le graphique 1.1 prennent une forme différente en Afrique subsaharienne parce que celle-ci diffère des autres régions du monde s’agissant de la répartition de la production et de l’emploi dans les divers secteurs, de la probable répercussion des améliorations de la productivité sur la demande et du biais technologique. Pour plusieurs raisons, les technologies numériques risquent d’avoir un effet inclusif plus fort sur la main-d’œuvre à faible niveau de compétence ou d’éducation dans les pays subsahariens à faible revenu que dans les pays en développement et les pays développés à revenu plus élevé. Parmi ces raisons, trois sont examinées ici : (1) du côté de l’offre, les effets de la répartition de la production et de l’emploi entre les différents secteurs, associés au coût relativement bas de la main-d’œuvre peu qualifiée (l’automatisation destinée à remplacer la main-d’œuvre risque de ne

pas être encore rentable et, même si elle est adoptée, ne détruira pas beaucoup d’emplois) ; (2) du côté de la demande, les effets de l’élasticité de la demande aux améliorations de la productivité (l’effet positif des technologies numériques en termes d’augmentation de la production risque d’être particulièrement fort) ; (3) la conception et l’adoption de technologies numériques adaptées aux faibles compétences de la population active d’Afrique subsaharienne, qui risquent d’avoir un impact plus fort2 .

Premièrement, s’agissant de la répartition sectorielle de la production et de l’emploi en Afrique subsaharienne : la part de l’emploi dans l’agriculture continue d’être très élevée (31 % de l’emploi total contre 18 % pour les pays en développement d’autres régions du monde et 2 % pour les pays développés, en 2017), tandis que la part de l’emploi dans l’industrie est exceptionnellement bas (8 %3). Malgré une part de l’emploi dans les services comparable à celle des autres régions du monde (34 %, contre 35 % dans les autres pays en développement et 42 % dans les pays développés), le secteur des services est différent en Afrique subsaharienne parce qu’il est pour l’essentiel informel (Banque mondiale, 2020). Il n’y a pas eu de rapide automatisation du secteur traditionnel de l’industrie comme dans les pays développés, en partie à cause du manque d’infrastructures numériques de base4. La faible proportion d’emplois industriels en Afrique subsaharienne fait que les technologies numériques de l’automatisation destinées à remplacer la main-d’œuvre à faible compétence, ne chasseront probablement pas encore beaucoup d’employés de leur poste même si elles sont adoptées (la ligne en pointillés du graphique 1.1 montre que la perte d’emplois dans les secteurs traditionnels sera probablement bien moindre en Afrique subsaharienne qu’ailleurs) – mais l’automatisation dans d’autres pays pourrait réduire les offres d’emploi locales. Le coût relativement bas de la main-d’œuvre à faible niveau d’éducation et de compétence dans la plupart des pays de la région signifie que les entreprises ne trouvent sans doute pas encore rentable d’investir dans des technologies numériques destinées à remplacer certaines catégories de personnel, même si les pays à revenu élevé utilisent de plus en plus ces technologies pour automatiser les tâches répétitives.

Deuxièmement, les effets, sur la main-d’œuvre peu qualifiée, de l’adoption par les entreprises de technologies numériques, dépendent de la réactivité de la demande à la baisse des prix qui découle de la réduction des coûts induite par ces technologies. Une concurrence suffisante sur le marché économique, qui permet une baisse des prix plus importante que dans un monopole, et une demande suffisamment élastique auront pour effet d’augmenter sensiblement la production. Tant que l’augmentation de la production est suffisamment importante pour contrebalancer le remplacement d’une main-d’œuvre à faible compétence par de nouvelles technologies, le nombre d’emplois augmentera non seulement pour le personnel hautement qualifié mais aussi pour la maind’œuvre peu qualifiée5. En Afrique subsaharienne, le niveau encore relativement

faible de la demande intérieure pour de nombreux produits de grande consommation fait que l’évolution de la productivité et des prix risque d’avoir un effet plus sensible sur cette demande que dans les pays à revenu élevé où la demande est relativement satisfaite pour ces produits et donc moins sujette aux variations de la productivité6 .

Troisièmement, au vu du faible niveau de capital humain et de l’étendue du secteur informel dans les pays à faible revenu d’Afrique subsaharienne par rapport aux pays à revenu plus élevé, les entreprises ont probablement une plus grande marge pour se développer et adopter des technologies numériques à destination de la main-d’œuvre peu qualifiée. Adopter ces technologies, accessibles sur Internet, peut stimuler la productivité des vastes contingents de maind’œuvre peu qualifiée dans l’agriculture – un processus pratiquement achevé dans les pays développés –, ainsi que dans l’industrie et les services. Les technologies numériques comme les applications qui permettent d’améliorer ses compétences en calcul, de se familiariser avec de meilleures méthodes agricoles et de vendre ses produits de manière plus efficace sur les marchés, peuvent permettre aux personnes ayant de faibles compétences en lecture et calcul de développer ces compétences et donner aux petits agriculteurs du secteur informel et aux vendeurs de rue des informations précieuses qui leur permettront d’augmenter leur productivité. Cette catégorie de main-d’œuvre à faible niveau d’éducation et de compétence est moins représentée dans les pays à revenu plus élevé. Si l’on considère le chemin tout tracé qui mène de l’adoption des technologies numériques à des emplois plus productifs pour la main-d’œuvre peu qualifiée et au faible niveau d’éducation, la division en secteurs traditionnels et nouveaux a moins de sens en Afrique subsaharienne. L’important est plutôt l’adoption de technologies numériques permettant à la main-d’œuvre, qualifiée et non qualifiée, de renforcer ses conférences, car il y a là un potentiel pour stimuler la productivité, la production ainsi que l’emploi des travailleurs peu qualifiés dans tous les secteurs de l’économie, comme l’illustrent les flèches rouges du schéma 1.1.

L’adoption des technologies numériques devrait avoir des effets positifs sur l’inclusion sociale en Afrique subsaharienne si elle provoque une augmentation suffisante de la production et si les entrepreneurs peuvent investir profitablement dans des technologies destinées à la main-d’œuvre peu qualifiée pour améliorer ses compétences. Mais ces effets se matérialiseront seulement dans un environnement des affaires propice, où la législation est favorable à la concurrence et où des subventions ciblées garantissent un accès universel à Internet et à un prix abordable. Un accès universel à Internet suppose des infrastructures complémentaires comme un réseau de distribution d’électricité, des transports et une logistique. Pour éviter le risque d’une plus grande fracture numérique, Internet doit être accessible à un prix abordable aussi bien dans les zones rurales que dans les zones urbaines, dans les villes moyennes

comme dans les métropoles, par les femmes et les hommes, par les personnes âgées et les jeunes. Toutefois, les effets attendus du numérique sont de simples moyennes. Certaines entreprises réaffecteront le capital productif et la maind’œuvre en réaction à l’augmentation de la productivité, d’autres non, ce qui n’ira pas sans frictions. Ainsi les bénéfices d’une concurrence et d’une efficacité accrues ne seront pas distribués également. La population pauvre profitera certes des prix plus bas du panier moyen. Cependant, certains pourraient être perdants s’ils sont employés dans des entreprises qui n’utilisent pas les nouvelles technologies numériques et qui sont mises en difficulté par les entreprises qui les ont adoptées. Même si, globalement, les bénéfices du numérique devraient être significatifs, il y aura probablement des effets négatifs dans toute l’Afrique subsaharienne au niveau industriel, notamment pour la main-d’œuvre peu qualifiée. Les politiques publiques en faveur du numérique destinées à stimuler la productivité doivent donc être accompagnées de mesures qui aident les entreprises et la main-d’œuvre à s’adapter. Il faut notamment : un plus fort investissement dans le développement des compétences (ce sera abordé au chapitre 2) ; des mesures visant à accroitre la productivité des entreprises informelles (ce sera abordé au chapitre 3) ; une protection sociale ciblée et des mesures pour l’emploi, notamment une aide à la recherche d’emploi (ce sera abordé au chapitre 4).

L’adoption des technologies numériques par les entreprises s’accompagne d’un changement de leurs besoins en compétences, et particulièrement en compétences numériques. Cette évolution du profil de compétences recherché par les entreprises touche tous les domaines d’activité. Pour illustrer l’importance croissante de la maîtrise de l’informatique ces vingt dernières années, le RDM 2019 montre l’évolution des conditions requises pour un stage en gestion dans un hôtel Hilton (schéma 1.2). Cependant, compte tenu du faible niveau de capital humain en Afrique subsaharienne, l’évolution des besoins en compétences pourrait ne pas prendre la même tournure que dans d’autres régions du monde. Ce chapitre étudie le stock disponible des compétences numériques les plus demandées dans le petit contingent des utilisateurs de LinkedIn, plateforme Internet qui met en réseau professionnels et entreprises. On verra que les économies d’Afrique subsaharienne semblent s’adapter progressivement à l’évolution des besoins en compétences. Les compétences numériques se développent, même si le niveau de départ est bas et s’il y a de grandes différences suivant les types de compétences et les pays. On observe une forte corrélation entre l’offre de compétences numériques d’une population et disponibilité du haut débit, mais pas entre compétences numériques et disponibilité de la téléphonie mobile.

Le RDM 2019 aborde également les inquiétudes sur le risque que le progrès technologique encourage l’automatisation dans les pays développés, qui cherchent à relocaliser, ce qui signifie que les pays africains pourraient ne jamais

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