
5 minute read
Introduction
Chapitre 1
Promouvoir des technologies numériques inclusives
Jieun Choi
Introduction
Le Rapport sur le développement dans le monde 2019 (RDM 2019) se penche sur l’avenir du travail à un moment où l’on s’interroge avec une inquiétude grandissante sur le risque que les robots et autres technologies de l’automatisation exécutent bientôt des millions de tâches mécaniques et ainsi réduisent les besoins en travailleurs peu qualifiés (Banque mondiale, 2019b). Le RDM 2019 explique que le progrès technologique crée des risques et des opportunités pour les réseaux de production mondiaux et pour l’emploi dans les économies développées et en développement.
Le présent rapport répond à ces inquiétudes dans le contexte de l’Afrique subsaharienne, en accordant une place centrale aux caractéristiques propres aux économies de cette région du monde, qui sont notamment le faible niveau de capital humain, un vaste secteur informel et une protection sociale insuffisante. Dans ce chapitre introductif, nous allons poser les bases de l’étude en examinant :
• Le niveau d’équipement en infrastructures numériques et l’offre de compétences numériques en Afrique subsaharienne, et ce que cela signifie pour le monde du travail • Le risque que l’automatisation dans les économies développées entrave en
Afrique subsaharienne une croissance traditionnellement alimentée par l’industrie.
Nous plaidons dans ce chapitre pour modifier le cadre analytique du RDM 2019 afin de le rendre plus pertinent dans le contexte de l’Afrique subsaharienne. Le RDM 2019 présente l’automatisation des processus de fabrication et l’innovation comme les facteurs déterminants de l’évolution du monde du travail. Il prédit que l’automatisation va réduire les besoins en main-d’œuvre
peu et moyennement qualifiée et que la création de produits innovants va augmenter les besoins en personnel hautement qualifié. Le monde du travail de demain prendra probablement un visage différent en Afrique subsaharienne étant donné : le faible niveau de capital humain ; les vastes dimensions des secteurs de l’agriculture et des services, pour l’essentiel informels et à faible productivité, et les petites dimensions du secteur industriel ; enfin, les énormes besoins, largement insatisfaits, en protection sociale. L’adoption dans les entreprises de technologies numériques comme Internet est susceptible de générer aussi des emplois peu qualifiés en Afrique subsaharienne, contrairement à ce qui se passe dans d’autres régions du monde, si les gains de productivité réalisés avec le numérique augmentent suffisamment la production. La probabilité de cet effet mécanique est plus grande qu’ailleurs car le niveau de la demande intérieure est encore relativement faible pour de nombreux produits de grande consommation, plus dépendants de la productivité et de l’évolution des prix – cela suppose cependant que la production ait lieu en Afrique. La situation diffère donc de celle des pays à revenu élevé où la demande est relativement satisfaite et moins dépendante des variations de la productivité et d’une évolution des prix (Bessen, 2019).
Dans les pays subsahariens qui ont fait progresser l’accès à l’internet à haut débit, la demande en personnel qualifié a augmenté sans que ne baisse la demande en main-d’œuvre peu qualifiée, et la croissance de l’emploi a été à peu près la même pour tous les niveaux d’éducation : primaire, secondaire et supérieur (Hjort et Poulsen, 2019). Plus important pour l’inclusion sociale, l’adoption de technologies numériques conçues pour la main-d’œuvre peu qualifiée et lui permettant de développer ses compétences, accessibles sur Internet, peut stimuler la productivité de nombreux travailleurs agricoles peu qualifiés. Ce processus est pratiquement achevé dans les économies développées, ainsi que dans l’industrie et les services. Un internet universellement accessible et à un prix raisonnable ne peut que faciliter l’adoption des technologiques numériques.
Enfin, ce que l’on considère comme le secteur traditionnel de l’industrie manufacturière dans les pays développés représente une petite part de l’emploi seulement en Afrique subsaharienne. À ce jour, l’automatisation de ce secteur est limitée dans cette région du monde, sans doute parce que les entreprises n’ont pas encore jugé rentable d’investir massivement dans des machines. Le niveau d’adoption de nouvelles technologies de production étant faible dans tous les secteurs, il est erroné de distinguer des secteurs « traditionnels » et « nouveaux ». Il faut plutôt voir que l’Afrique subsaharienne a la capacité de rattraper son retard et de tirer les leçons des erreurs des pays développés – si les entreprises adoptent des technologies numériques permettant à la maind’œuvre de développer ses compétences, baissent les coûts de production et stimulent ainsi la demande et l’emploi dans tous les secteurs de l’économie.
Nous montrons dans ce chapitre que si les pays subsahariens comblent rapidement leur retard en infrastructures et compétences numériques, l’adoption des technologies numériques peut avoir un effet bénéfique sur la création d’emplois. En partie à cause d’un accès limité aux services Internet et à leur prix, l’automatisation de tâches spécifiques n’est guère répandue dans l’agriculture et l’industrie et les technologies numériques attendent d’être adoptées dans toute l’économie.
Parmi les autres facteurs incidents figurent les caractéristiques-clés de l’Afrique subsaharienne : le faible niveau de capital humain, l’envergure du secteur informel et l’insuffisance des mesures de protection sociale. Nous verrons dans le cours du chapitre que le haut débit, et pas seulement la téléphonie mobile, a un effet positif sur divers aspects du monde du travail : il contribue notamment à une hausse des revenus et à une meilleure inclusion sociale. Par ailleurs, l’adoption des technologies numériques de base comme la téléphonie mobile stimule localement l’innovation, par exemple la création de systèmes de paiement mobile. Ces services financiers numériques ont commencé à résoudre des déficiences et des problèmes de coordination répandus dans les économies africaines et ont ainsi permis de doper la productivité, d’augmenter les revenus, de créer des emplois, et de réduire la vulnérabilité de la population.
L’Afrique subsaharienne est en train de s’adapter à l’évolution de la demande de compétences provoquée par le développement technologique. Nous verrons dans ce chapitre que les compétences numériques progressent rapidement, même si elles partent de très bas, parmi les utilisateurs de LinkedIn, plus familiers des technologies numériques. Les disparités sont grandes entre les types de compétence et suivant le niveau de revenu des pays. Par exemple, le Kenya, le Nigéria et l’Afrique du Sud ont des compétences numériques plus diversifiées dans leur population que les autres pays subsahariens. Par ailleurs, le niveau d’équipement numérique, notamment le haut débit, est étroitement lié à l’offre et à la demande en matière de compétences numériques dans chaque pays. Des facteurs complémentaires comme la fourniture d’électricité et le capital humain sont déterminants pour développer les équipements et les compétences numériques.
Malgré l’inquiétude grandissante que l’automatisation des pays développés entrave une croissance traditionnellement alimentée par l’industrialisation dans les économies en développement, les pays subsahariens ont encore le temps, s’ils agissent rapidement, de tirer profit de la mondialisation pour stimuler la productivité et l’emploi dans l’industrie. Les évaluations des effets de l’adoption des nouvelles technologies sur l’implantation géographique des unités de production demeurent spéculatives. Jusqu’ici, au niveau mondial, peu d’éléments permettent d’attester que les technologies numériques comme l’analyse du big data, l’impression 3D et la fabrication additive ou la robotisation ont un impact significatif sur l’implantation des unités de production et sur l’investissement