Hors-série TVB #11 - Création d'un conseil des sagesses de l'humanité

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Journal participatif et de solutions

Nº 11 OCT 2018

GRATUIT

HORS-SÉRIE Spécial conseil des sagesses de l’humanité

DIALOGUES AUTOUR DE L’AVENIR DE L’HUMANITÉ Patrick Viveret, créer une réflexion mondiale pour répondre aux grands défis de l’humanité PAGE 4

Un conseil des sages de l’humanité, l’avis de Catherine Dolto, Jean Fabre et Khal Torabully PAGES 6 & 7

La coopération, clé de réussite PAGE 8

L’enjeu de la souveraineté alimentaire PAGE 9

Santé et numérique, à l’épreuve de l’éthique PAGE 10

Hors-série réalisé en partenariat avec Les dialogues en humanité Journal associatif et sans publicité déposé au dépot légal de la Bnf. Achevé d’imprimer octobre 2018 par la Métropole de Lyon Directrice de la publication : Laurianne Ploix - Ne pas jeter sur la voie publique - Numéro ISSN : 2495 - 9847


Le Tout Va Bien Le TVB est l’un des principaux outils de l’association Tout Va Bien qui a pour objet social la diffusion de solutions à impact positif sur l’environnement, l’individu, la société et le vivre-ensemble. Inspiré du journalisme de solutions, TVB a créé en 2016 le principe de l’initiative au kilomètre. En relayant les démarches inspirantes d’acteurs locaux, l’association espère stimuler les envies d’agir proches de chez soi. Le journal est avant tout un outil citoyen de réflexion collective puisque tout le monde a le droit d’écrire dans ses pages après une courte formation à l’écriture journalistique et la signature de notre charte éditoriale. En passant ensemble en mode solutions, nous espérons voir naître plein d’idées pour réinventer demain.

Les Dialogues en humanité Imaginés en 2002 à Johannesbourg lors du deuxième Sommet de la Terre, les Dialogues en humanité voient le jour à Lyon en 2003, dans l’idée de créer un événement international autour de la question humaine en tant que telle. Son but est de réunir les savoirs de tous peuples pour proposer des voies inspirantes à notre humanité et essayer de répondre collégialement à 7 questions, 7 défis pour construire un autre monde : La paix : face à la logique de guerre, construisons des logiques de paix ; La solidarité : face à la misère et à la pauvreté, établissons des logiques de solidarité ; La démocratie : face au déficit démocratique, créons une haute qualité démocratique ; La rencontre des cultures : face au choc des civilisations, envisageons le dialogue des cultures  ; L’humanisation de l’humain : face à notre propre inhumanité, apprenons à grandir en humanité ; La révolution du vivant : face à une technique sans conscience, comment responsabiliser et donner du sens à la science ? ; L’écologie : face au défi écologique, construisons un nouvel art de vivre.

SOMMAIRE 3

Les Dialogues en humanité 2018

Conseil de l’humanité 4

Défendre les droits de l’humanité

5

Patrick Viveret, créer un garde-fou de l’humanité

6 & 7 Conseil des sages, ce qui s’est dit aux Dialogues

Enjeux de l’humanité 8

Développer la coopération entre acteurs locaux

9

Le droit des peuples à la souveraineté alimentaire

10

Santé et numérique, poison ou remède ?

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Accélérer la transition vers une sobriété heureuse

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Tout Va Bien, le journal qui réinvente demain Association loi 1901 Siège social : 56 route de Genas 69003 Lyon contact@toutvabienlejournal.org Directrice de publication Maquette et photos Laurianne Ploix Plus d’infos sur : Http://toutvabienlejournal.org

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La résistance aujourd’hui, c’est l’optimisme !

L

’édition 2018 des Dialogues en humanité à Lyon était intitulée : « Il est trop tard pour être pessimiste ! » Comme le disaient les Résistants : « La résistance aujourd’hui, c’est l’optimisme ! » Osons dire oui à demain !

Sous ce titre, nous pouvions lire : « Prenons soin de chaque humain par l’émergence d’une citoyenneté planétaire et d’un Conseil mondial de la sécurité de l’humanité. » Cette année fut particulière pour les Dialogues car ce fut la première fois que le festival se déroulait à la fois au parc de la Tête-d’Or (Lyon 6), mais aussi dans le Vieux Lyon, dans les quartiers Saint-Jean, Saint-Georges et Saint-Paul, où avait lieu une partie de la programmation.

Le premier parcours de cette année, Notre pays c’est la Terre !, a questionné en ateliers et en agoras la mise en place d’une citoyenneté planétaire permettant de mieux répondre aux attentes de l’humanité et de créer une coopération entre tous. Nous consacrerons cette édition à cette réflexion qui commence sous l’impulsion de Patrick Viveret et de l’équipe des Dialogues pour la création d’un conseil des sages, conseil citoyen pour l’humanité, conseil de sécurité de l’humanité ou toute autre appellation qui lui serait finalement attribuée après les diverses consultations publiques organisées. Le second parcours de cette édition, Sortir du double dérèglement climatique, a questionné les enjeux de transition par la coopération et le développement durable. Le troisième parcours, Du bon usage du numérique, mettait en perspective l’utilisation éthique et sanitaire de la technologie.

HORS-SÉRIE HUMANITÉ

Édition 2018

Laurianne Ploix

Directrice de la publication et fondatrice du TVB, elle croit en la nécessité de montrer de nouveaux exemples.

Nous reviendrons dans la deuxième partie de ce hors-série sur ces enjeux auxquels l’humanité est confrontée, notre retranscription de cet événement prolifique restant non exhaustive.

Jacques Lecomte nous parle d’optiréalisme

L

’écrivain et psychologue Jacques Lecomte a animé l’agora « L’incroyable aventure de l’humanité » avec Les convivialistes et des invités d’Éthiopie. Un moment à l’image des diverses recontres organisées autour de l’optimisme, le thème de cette année, et l’occasion pour TVB de l’interroger à ce sujet.

TVB : Vous venez de publier le livre Le Monde va mieux que vous ne le croyez ! Quelles idées et vision de l’optimisme y développez-vous ? JL : Ce que je prône, ce n’est pas l’optimisme dans l’attente béate, mais un optimisme de l’engagement actif. Le monde peut aller mieux si chacun d’entre nous se retrousse les manches. Ce que je développe dans mon livre, c’est que le monde va mieux qu’on ne le croit, mais il ne va pas encore bien.

Alors, comment faire pour que le monde aille bien ? Il faut s’inspirer de ce qui a déjà fait ses preuves. Ce qui marche, c’est ce que j’appelle la « trilogie de la gouvernance ». C’est une rencontre entre la société civile, le marché et l’État. Il y a déjà des preuves positives de cette collaboration. Par exemple, le problème de l’ozone. Ce que l’on ne sait pas, c’est que l’ozone sera entièrement reconstruit d’ici à 2050. Pourquoi ? Parce que les différents acteurs sont devenus partenaires : les scientifiques lancent l’alerte, les militants donnent leur voix, mais ils ne peuvent pas apporter les solutions. C’est alors que les industriels entrent en jeu. Ils ont, eux, les moyens financiers, mais aussi en matière de recherche et développement.

TVB : Des idées pour faire évoluer l’humanité ? JL : Oui, mais je souhaite insister sur un point. Je ne cherche pas à donner des pistes de réflexion, mais bien des pistes d’action, basées sur ce qu’on a déjà fait et réussi. Ce ne sont pas seulement des belles idées, c’est la mise en œuvre concrète de l’optiréalisme.

Victoria Havard

Jeune journaliste en herbe fraîchement diplômée, Victoria veut redonner du sens à son métier.

LA SOLUTION

Mobiliser nos ressources pour envisager avec optimisme l’avenir de l’humanité.

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HORS-SÉRIE HUMANITÉ

Conseil de l’humanité

Défendre les droits humains

L Guillaume Pereira

Ingénieur, Guillaume est curieux des innovations permettant de faire évoluer la société.

es réponses apportées par l’humanité aux problèmes auxquels elle se trouve confrontée sont, depuis la Seconde Guerre mondiale, des initiatives de coopération et de dialogue. Il s’agit généralement de conseils ou commissions inclus au sein des plus grandes institutions internationales. Leurs rôles s’appuient sur des textes, des conventions et leur pouvoir d’action réside dans le dialogue et le compromis. Aux côtés de ces organisations inter-États gravitent de nombreuses associations dont certaines ONG, avec pour les premières comme pour les secondes une diversité d’actions importante. Petit tour d’horizon de ce qui existe en matière de défense des droits de l’homme, de ses limites et du rôle de chacun d’entre nous dans cet engagement citoyen.

Le rôle de l’ONU

LA SOLUTION La protection de l’humanité pourrait passer par une participation citoyenne accrue.

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L’Organisation des Nations unies (ONU), en tant qu’organe principal de gouvernance mondiale, possède son propre Conseil des droits de l’homme (CDH). Celui-ci a pour mission de protéger les libertés et les droits fondamentaux des femmes et des hommes qui composent les États membres. De nombreuses résolutions, décisions ou actions œuvrant pour la protection des individus aux quatre coins du globe sont prises ou réalisées chaque année. Il s’agit de la plus grande et productive instance internationale autour des droits humains. Les États siégeant au CDH sont élus parmi les membres de l’ONU pour deux ans. Bien qu’ordonnant des enquêtes, dépêchant des experts sur le terrain ou intervenant pour alerter l’opinion mondiale sur des situations touchant aux droits de l’homme dans certains pays, ce conseil dispose d’une influence limitée sur les États puisqu’un certain nombre de pays y siègent alors qu’ils portent de façon avérée certaines atteintes aux droits de l’homme. Le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH) est un organe de l’ONU, indépendant des États et travaillant à l’engagement des pays dans le domaine. Son action est notamment indissociable du Conseil des droits de l’homme puisque le HCDH assure le secrétariat de cet organe.

Au sein de l’Union européenne La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) est composée de juges venant de différents États membres. Elle juge des requêtes pouvant venir d’États, de particuliers ou encore d’associations. Son rôle est de veiller au respect des principes de la Convention européenne des droits de l’homme. Bien que limitée à l’espace européen et aux États ayant signé la convention, son action est vaste, avec 1068 arrêts rendus en 2017. Cependant, la CEDH ne juge que des faits, pas une politique publique dans son ensemble. En cela elle n’empiète pas sur la souveraineté des États membres. Néanmoins, des États comme la Pologne ou la Hongrie, dont certaines évolutions législatives peuvent porter atteinte à la convention, commencent à être sérieusement inquiétés. Il s’agit peut-être aujourd’hui du système le plus efficace à l’échelle internationale de protection des droits de l’homme au sein d’une institution.

Les ONG : des acteurs non institutionnels De nombreuses associations œuvrent pour la promotion ou le respect des droits de l’homme dans le monde. Leurs actions peuvent être très précises (racisme, famine, liberté de la presse, etc.) ou pluridisciplinaires. Elles travaillent souvent en coopération avec les États et les organisations supranationales, et leur efficacité réside dans leur forte présence sur le terrain, notamment lors de conflits.

Comment dépasser les limites des institutions actuelles ? Les principaux organes présentés ci-dessus montrent des limites différentes. Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU n’a pas véritablement de pouvoir de contrainte sur ceux qui portent atteinte aux droits de l’homme. La Cour européenne de justice ne traite quant à elle que des États membres de l’Union européenne et ne peut influencer les politiques publiques que dans une certaine mesure. Aujourd’hui, il semblerait que la protection des droits fondamentaux des femmes et des hommes passe par une participation accrue des citoyens de ce monde. Ce sont en effet eux les mieux placés pour influencer les politiques publiques de leurs États respectifs. Leurs moyens d’action pour se retrouver, échanger et faire émerger des solutions allant dans le sens du respect des droits de tous et de chacun passent par des initiatives comme les Dialogues en humanité et une éventuelle instance internationale qui place la question de la défense de l’humanité en son centre.


HORS-SÉRIE HUMANITÉ

Patrick Viveret, créer un garde-fou de l’humanité

Conseil de l’humanité

P

atrick Viveret, philosophe et cofondateur des Dialogues en humanité, lance l’idée de créer un conseil indépendant et laïc qui regrouperait les grandes sagesses de l’humanité et ferait de sa protection et sécurité son enjeu principal. Rencontre.

consciences, pour l’instaurer dans le temps, dans le monde entier et de manière participative, un peu à l’image des Dialogues qui se développent partout dans le monde. Nous prévoyons de réaliser la première à l’Unesco à Paris en 2019 et de porter pendant ce temps au débat la proposition de conseil des sagesses de l’humanité.

TVB : Quelles seraient les missions de ce conseil des sagesses ou de sécurité de l’humaTVB : Qu’est-ce qui a fait émerger cette idée nité ? Quelle différence aurait-il avec les insd’un conseil de sécurité de l’humanité que vous tances déjà existantes ? soumettez à la réflexion collective lors de ces PV : Pour l’instant, nous en sommes au stade de proDialogues ? PV : Ce qui fait aujourd’hui le désir d’humanité, ce qui fait que le souhait de vivre ensemble est supérieur à ce qui menace l’humanité et son écosystème nous conduit à penser différemment la question du politique à l’échelle mondiale. À partir du moment où la défense, qui historiquement protégeait des menaces extérieures, doit aujourd’hui nous protéger de nousmêmes et à une échelle internationale, on relie la question du politique à la question de la sagesse, au sens large. Traditionnellement ce sont les grandes sagesses qui nous alertent depuis des siècles sur « les questions de barbarie intérieure ». C’est pour cela que l’on souhaite introduire la sagesse dans le débat démocratique et les systèmes de gouvernance. La création d’un conseil de sagesse ou de sécurité de l’humanité serait alors un appui qui permettrait de mettre en œuvre cette idée-là.

TVB : Comment souhaitez-vous lancer cette instance ? PV : Nous souhaiterions ouvrir des débats, élaborer des propositions pour apporter une dimension qualitative autour de la question des formes de sagesse utiles à la collectivité, sans conflits d’intérêt, qu’ils soient d’ordre économique ou religieux. De telles instances existent déjà, mais nous souhaitons les porter à l’échelle planétaire en nous appuyant sur ce que nous avons remarqué au cours des prémices de la COP21. En amont de celle-ci et des accords de Paris, une initiative peu connue mais qui a joué un rôle tout à fait important dans le succès de l’action fut la réunion de toutes les traditions de sagesses et de spiritualités au Conseil économique, social et environnemental pour questionner cet enjeu d’intérêt public majeur, un événement que l’on a appelé le Sommet des consciences. Cette première tentative a été particulièrement féconde et a permis la médiation, alliée à la négociation, responsable de la réussite des accords de Paris. L’idée aujourd’hui, pour nous, est de reprendre ce sommet mais de ne plus l’appeler Sommet des consciences, mais Semaine des

jet, mais les premiers grands dossiers à instruire nous semblent être les plus grandes menaces qui pèsent aujourd’hui sur l’humanité. Il s’agit évidemment du dérèglement climatique qui officiellement ne fait pas partie des compétences du Conseil de sécurité actuel de l’ONU, mais aussi des problématiques migratoires et de la manière de s’assurer du respect des droits humains, aujourd’hui parfois bafoués, sur cette question. Nous aimerions également introduire au débat dans ce conseil les risques nucléaires militaires et rebondir sur le traité signé par 122 pays qui proposent l’interdiction des armes nucléaires et chimiques, aujourd’hui prix Nobel de la paix, les risques de crise financière liée à la démesure spéculative, ceux de sécurité et de souveraineté alimentaire, etc. Voilà quelques grands sujets que l’on voudrait commencer à instruire dans une logique que l’on appelle instituante : la plupart des institutions, avant d’avoir cours légal, ont eu un cours légitime. Pour prendre un exemple récent, la Cour pénale internationale de La Haye, qui a désormais un statut légal dans le droit international, a été pendant longtemps un projet porté par de grandes organisations humanitaires. Et contrairement aux instances existantes, la seule chose qui nous importe pour rejoindre ce conseil n’est pas le pays d’origine, le parti politique ou le fait d’être membre permanent, mais simplement de savoir quelle solution ou quelle alerte nous pouvons constituer pour l’avenir de l’humanité.

Laurianne Ploix

Directrice de la publication et fondatrice du TVB, elle croit en la nécessité de montrer de nouveaux exemples.

LA SOLUTION

Intégrer la sagesse dans les grandes décisions politiques engageant l’humanité.

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HORS-SÉRIE HUMANITÉ

Conseil des ce qui s’est dit

Conseil de l’humanité

jour de plus en plus interdépendants, et une minorité qui se comporte mal peut réduire à néant les efforts d’une majorité consciente de l’effondrement des écosystèmes. La responsabilité individuelle et collective est désormais une clé de voûte pour réussir le xxie siècle.

«

I Jean Fabre, responsable du groupe interagences ESS des Nations unis

En 2000, à l’ONU, les gouvernements du monde entier se sont fixés 8 objectifs, dont celui de réduire de moitié en 15 ans la proportion de personnes sous le seuil de pauvreté. Globalement, l’objectif a été dépassé, même s’il n’a pas été atteint dans tous les pays. Ce succès les a encouragés en 2015 à se fixer 17 « objectifs de développement durable » à atteindre d’ici 2030, dont celui d’éradiquer la pauvreté sous toutes ses formes : une audace jamais vue dans l’histoire de l’humanité ! Il s’agit de construire un monde plus juste, plus équitable, plus durable, donc les bases de la paix. En tant que citoyens, nous devons exiger de nos dirigeants qu’ils respectent ces engagements, mais aussi faire notre part. Mettre en place un conseil de sécurité de l’humanité me semble donc pertinent car l’histoire nous enseigne que le succès de toute initiative tient moins à la nature des institutions qu’aux personnes.

N

ous sommes une génération charnière : celle qui vit les transformations les plus rapides et les plus profondes de tous les temps, à tel point que la vitesse des changements dépasse parfois notre capacité à maîtriser les choses. Il nous faut donc beaucoup de discernement. D’autant que nous avons tout pour réussir : les technologies, les connaissances scientifiques, les institutions, la génération de jeunes la plus instruite de l’histoire ! Jamais le monde n’a été aussi bien équipé pour garantir une prospérité partagée et la paix. Pourtant, il y a toujours des conflits armés et les inégalités sont désormais obscènes. Il y a donc un déficit de sagesse. L’humanité doit impérativement se ressaisir. On ne pourra pas gérer en 2050 un monde de 10 milliards d’habitants comme nous avons géré celui de 2,4 milliards d’habitants dans lequel je suis né après la Seconde Guerre mondiale. Nous devons d’ores et déjà modifier nos habitudes et ajuster nos empreintes écologiques aux capacités de la nature à l’échelle mondiale. Nous sommes chaque

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l n’y a plus d’intérêts individuels des personnes ou des peuples : nous dépendons tous des mêmes ressources et sommes tous dans le même bateau. Il ne s’agit plus de gouverner des institutions, mais de maîtriser des situations, donc de faire preuve de grande sagesse. Rassembler de grands penseurs élus et des individus tirés au sort me semble une voie pertinente pour faire émerger la sagesse à travers l’écoute mutuelle. Ce conseil de sagesse devra être construit à tous les niveaux car on en a besoin en chaque lieu où l’on vit. »

«

Catherine Dolto, médecin et artiste

Je pense qu’il y a urgence donc tout ce qui va dans le sens de réunir l’humanité comme une seule espèce est utile et important, car c’est cela notre problème fondamental : les batailles de frontières quelles qu’elles soient. Nous sommes une espèce un peu foldingue qui se détruit et détruit son biotope, nous avons donc besoin que quelques-uns se rassemblent pour la rassembler.

S

i on peut choisir parmi les morts, je mettrais bien Mandela, Luther King et Gandhi dans ce conseil, mais c’est assez complexe comme ça de donner des noms. Sur la planète, il doit y avoir plein de gens vivants et doués de sagesse, de sens du bien commun et que tout un chacun ne connaît pas. Peut-être qu’il faudrait faire un référendum mondial pour nommer la personne la plus sage que vous connaissez autour de vous et choisir les plus cités. »


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sages, aux Dialogues

Conseil de l’humanité

l’honorabilité du viol, le port d’armes et les minorités), nous ressentons plus que jamais un besoin de sagesse. Nous avons besoin d’une politique plus féminine au sens du yin, au sens de la coopération et de l’empathie pour sortir de l’opposition et favoriser le partenariat, mêler le global et le local, le concret et l’abstrait, le matériel et le vibratoire, etc. »

«

Debora Nuñes, fondatrice de l’école de l’écologie intégrale

Nous avons expérimenté cette idée du conseil de sécurité de l’humanité dans notre communauté de Terra Mirim lors du dernier Forum social mondial qui se tenait au Brésil en 2018. De belles idées, comme celle-ci, sont souvent abstraites et viennent d’en haut. Nous avions envie, avec Patrick Viveret qui était là pour cette expérimentation, que les idées viennent d’en bas pour aller vers le haut, qu’elles s’ancrent concrètement dans les problématiques locales.

I

l est ressorti de cette première expérience la nécessité de créer du lien et d’avoir des conseils sur les difficultés que rencontrent ces communautés. Les participants n’ont pas apprécié l’appellation « conseil de sécurité de l’humanité » qui leur rappelait trop l’idée d’une police sécuritaire qui a un passif douloureux au Brésil. Ils proposaient de créer un « conseil des visionnaires », qui regrouperait de manière non exclusive les personnes qui peuvent les aider à progresser. Nous avions réuni huit communautés de la région, dont une chrétienne et les quilombolas (les descendants des esclaves fugitifs), et nous avons commencé par des rituels de bienvenue et une empathie exceptionnelle sur les différents témoignages. À l’échelle locale de ces communautés, les difficultés éthiques auxquelles nous sommes confrontés se concentrent autour de la violence et de la construction d’une décharge à côté de chez eux. Le témoignage d’une mère qui a perdu son enfant assassiné et la signature sur place d’une pétition contre cette décharge a permis d’ancrer les communautés dans une coopération concrète permettant d’agir et de s’enraciner dans la réalité, dans les émotions des gens, leur quotidien, ce qui les touche eux, autour d’eux. Cette échelle me semble importante à apporter à ce conseil des sages ou des visionnaires. Le conseil de sécurité, la grande idée générale, pourrait fédérer d’autres expériences qui auraient d’autres noms adaptés aux histoires locales et qui permettraient de continuer à être et réfléchir tous ensemble.

A

l’heure où le Brésil risque lui aussi de tomber dans l’extrême (ndlr : Jair Bolsonaro, candidat du parti social libéral (extrême-droite religieuse) au Brésil, est favori dans les sondages pour la présidentielle malgré ses propos polémiques sur l’utilité de la dictature,

«

Khal Torabully, directeur de la Maison de la sagesse Fez-Grenade

En tant que fondateur de la Maison de la sagesse née à Grenade, symbole historique de la convivencia (vivre avec l’autre), je sais que la sagesse existe dans toutes les civilisations. Nous avons donc cette connexion avec l’autre et la nature dans le monde entier, c’est ce que l’on pourrait appeler « la sagesse du monde ». Pour moi, les sages savent qu’ils habitent la terre et voient les choses à une échelle plus large que celle de leur quartier, ils apprécient l’utilité de la diversité. Ce conseil des sages pourrait permettre de prendre le recul nécessaire pour fédérer et préserver l’espèce humaine. Un proverbe dit que pour connaître la hauteur des arbres, il faut quitter la forêt et aller sur la colline. Il nous faut connaître le frémissement des arbres, mais aussi prendre du recul. Quand nous avons réfléchi à ce conseil avec Doudou Diène (ndlr : rapporteur spécial à l’ONU sur les questions de discriminations), nous voulions faire la proposition de l’appeler plutôt « réseau », peut-être « réseau mondial de solidarité ou conscience humaine », mais le mot réseau est moins pyramidal. On conseille d’acter des objectifs communs à l’horizontal et de faire en sorte de les appliquer à la verticale. Et nous ne recommandons pas l’emploi de l’appellation « conseil de sécurité », qui rappelle un peu trop celui de l’ONU et nous semble négative. Il nous semble cependant important d’avoir ce réseau des sages car il nous faut reprendre de la distance par rapport à ce que nous faisons et à ce qui nous divise ou nous détruit pour revenir aux sagesses millénaires. » Propos recueillis et photos par Laurianne Ploix HS TVB #11 - P.7


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Enjeux de l’humanité

Développer la coopération entre acteurs locaux

A

u cours des Dialogues en humanité, plusieurs agoras se sont tenues au milieu du parc de la Tête-d’Or. L’une d’entre elles portait sur l’importance de la coopération entre les différents acteurs d’un territoire. Animée par plusieurs intervenants venus de différentes parties du monde, elle a mis en lumière de nombreux projets habituellement peu médiatisés. Pierre Fernandez

Après avoir fini ses études en sciences humaines, Pierre se destine au journalisme.

Agora autour de la coopération, sous les arbres du parc de la Tête-d’Or, à Lyon. © Pierre Fernandez

LA SOLUTION Collaborer au niveau local et inclure tous les acteurs du territoire pour agir plus efficacement.

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En Inde, former les familles à faire pousser leur propre forêt comestible et médicinale Le premier participant à prendre la parole est Aviram Rozin, le fondateur de l’association Sadhana Forest. Il décrit son action en Inde et dans d’autres régions d’Afrique (le Kenya et Haïti notamment) : depuis 2002, l’association cultive des arbres en milieu aride et développe des plants nécessitant très peu d’eau. Elle utilise ensuite cette expérience pour initier la création de forêts comestibles dans les régions arides, en proposant des plants adaptés aux besoins médicaux de la population locale et en formant les habitants à la cultiver. Certaines espèces d’arbres sont par exemple riches en protéines ou en fer et permettent de compléter le régime alimentaire de ceux qui en ont besoin. Aviram souligne la particularité de son projet : il s’agit d’une coopération sud-sud (une association d’un pays « du Sud » en voie de développement apportant une aide à d’autres habitants « du Sud »), plus rare que la coopération nord-sud que l’on retrouve habituellement.

Au Sénégal, permettre aux femmes de créer leur entreprise Une seconde intervenante prend ensuite la parole pour décrire son association basée au Sénégal. Il s’agit d’une structure qui forme des femmes et les aide à créer leur entreprise pour leur permettre d’accéder à un revenu décent. Le but de l’action est de mêler tradition et innovation, en favorisant par exemple le maintien d’un artisanat local réalisé avec des techniques traditionnelles tout en lui donnant une structure économique différente. L’intervenante donne ainsi l’exemple d’une coopérative de couturières sénégalaises qui a obtenu une aide financière de la part de la ville, ainsi que la création d’un enseignement de couture dans un établissement scolaire. L’intervenante souligne également l’exportation de leur action dans d’autres pays d’Afrique de l’Ouest, comme la Guinée et la Guinée-Bissau.

En France, une coopération importante pour créer une région bio Un troisième intervenant décrit quant à lui un projet d’ampleur qui a été mis en place par la coopération des pouvoirs publics, des entreprises et des agriculteurs de la Drôme, rebaptisé « Bio-vallée de la Drôme ». L’objectif ? Travailler en partenariat avec un maximum d’acteurs du territoire pour agir en globalité sur les conséquences de l’activité humaine dans la vallée. L’intervenant décrit par exemple l’assainissement de la rivière, qui a nécessité la collaboration des agriculteurs pour y rejeter moins de déchets, celle de la centrale électrique pour mieux réguler le débit d’eau et adapter les installations au passage des poissons, ou encore celle des collectivités locales pour contrôler les constructions en bord de rivière et construire des bassins de rétention… Il souligne la réussite de cette coopération, même si celle-ci n’est pas toujours aisée : 40 % de l’agriculture de la Drôme est aujourd’hui d’origine biologique et la région projette de devenir « autonome » énergétiquement d’ici 2022.

Au-delà des grands projets, l’importance de la coopération locale au quotidien Après une heure de présentation de leurs projets par les intervenants, l’agora est divisée en petits groupes qui échangent sur leurs expériences et sur les projets qu’ils ont mis en place. Dans l’un des groupes, on entend ainsi parler d’une coopérative qui rassemble des laitiers de la région, fondée sur des principes stricts d’agriculture biologique et de respect de l’animal. Elle bénéficie d’une aide de la part des collectivités locales et travaille avec des professeurs de l’école d’agronomie de la région pour assurer des formations aux agriculteurs qui souhaitent rejoindre le projet. Dans un autre groupe, un maire décrit les efforts mis en place dans sa communauté de communes pour faciliter la coopération concernant la mise en place d’espaces de préservation de la diversité écologique, en incluant agriculteurs, industriels et citoyens du territoire. Le nombre et la diversité des projets qui ont été présentés au cours de cette agora montrent qu’un réel mouvement existe et se développe pour agir en commun et mettre en place des projets locaux à fort impact social et environnemental. Bien entendu, les difficultés sont présentes et la divergence des intérêts de chacun ne rend pas les négociations aisées, fait souligné par chacun des intervenants. Néanmoins, les discussions et la recherche de compromis permettent tout de même d’agir efficacement au niveau local lorsque les différentes parties sont écoutées et inclues dans un projet commun porteur de solutions qui conviennent à tous.


HORS-SÉRIE HUMANITÉ

Le droit des peuples à la souveraineté alimentaire

Enjeux de l’humanité

L

’agora sur la souveraineté alimentaire a commencé par une séquence de théâtre de marionnettes sur le thème de l’agriculture intensive. Ensuite, plusieurs intervenants internationaux, notamment l’association Save our rice en Inde et Fatou N’Doye au Sénégal, ont témoigné pour présenter leurs initiatives locales. Enfin, les participants se sont regroupés en sousgroupes de cinq personnes pour échanger puis présenter au collectif leurs proposi-

tenir des micro-crédits, à se rassembler pour créer leur propre banque. Le constat de Fatou est que le pays connaît des difficultés d’accès à la terre, notamment pour les femmes. Les producteurs manquent de machines pour collecter et transformer leurs céréales. Enfin, l’implantation de supermarchés internationaux à la périphérie des villes freine le développement d’initiatives locales. Le problème n’est donc pas uniquement sénégalais, mais bien international et politique.

Dominique Picard a repris les propos d’Olivier de Schutter, rapporteur des Nations unis pour la souveraineté alimentaire

Usha Soolapani de l’association Save our rice Chaque pays doit pouvoir se nourrir lui-même, c’est pour la permaculture en Inde la définition de la souveraineté alimentaire. Pour Les politiques et entreprises internationales ont forcé les petits producteurs à abandonner les semences traditionnelles en argumentant qu’elles n’étaient pas assez productives et de mauvaise qualité. Aujourd’hui, les variétés de riz introduites à la suite de la green revolution par les politiques et entreprises internationales consomment plus d’eau et de pesticides que les semences traditionnellement utilisées. L’association Save the rice travaille depuis 2004 avec les producteurs, politiques, vendeurs de semences et consommateurs pour conserver la variété et la biodiversité des semences. Elle a aidé les producteurs à évoluer d’une culture unique de riz à de la permaculture riz, légumes, poissons et canards. La productivité a augmenté et les revenus sont trois à cinq fois supérieurs. De plus, la production n’est pas seulement exportée mais assure également l’alimentation locale. L’association organise aussi des festivals pour sensibiliser au sujet et montrer que la production dépend du sol et de l’humain et non des semences et des pesticides comme l’agriculture intensive le prône.

Fatou N’Doye, Sénégal, mise en place d’une agriculture durable L’agriculture au Sénégal représente 15 % du PIB et 70 % des emplois. Malgré ces chiffres, le Sénégal importe énormément pour se nourrir, principalement du riz d’Asie. Fatou souligne l’importance de changer les mentalités, de faire redécouvrir les céréales locales aux habitants et de reconstruire les filières agricoles pour nourrir le pays par la production nationale. Le maïs et le niébé sont plus nourrissants que le riz asiatique. Les femmes ont un rôle important à jouer en acceptant d’introduire ces céréales dans les repas quotidiens. L’association de Fatou milite et sensibilise également dans les écoles pour redonner le goût des céréales locales. Des galettes de mil sont proposées pour remplacer le pain à base de blé. L’association aide aussi les femmes souhaitant devenir agricultrices à ob-

lui, il nous reste cependant quatre enjeux à dépasser, des solutions à trouver pour faire évoluer les constats qu’il présente ainsi : - L’agriculture intensive étant subventionnée, les petits producteurs vendent en dessous du prix réel : les agriculteurs n’arrivent donc plus à vivre de leurs propres productions car ils ne peuvent pas concurrencer les tarifs subventionnés. - Les grandes entreprises phytosanitaires contrôlent les semences, les OGM. Il est difficile pour un petit producteur de se faire entendre. - La population cuisine de moins en moins et a tendance à acheter des plats tout préparés. - L’accompagnement au changement doit venir aussi des politiques. Il est difficile pour eux de faire face aux enjeux commerciaux et d’aller contre les grandes entreprises phytosanitaires.

Muriel Martinez

Ingénieur environnement passionnée par les innovations, elle aime prendre soin des êtres vivants.

LA SOLUTION Repenser notre rapport à l’alimentation pour qu’elle devienne durable et accessible à tous.

Les pistes d’action trouvées Les propositions des sous-groupes de participants suite à l’exposé des enjeux par les intervenants sont les suivantes : - sortir l’alimentation du commerce international car ce n’est pas un produit comme un autre ; - augmenter le nombre d’associations citoyennes pour créer un vrai contre-pouvoir politique ; - cultiver chacun son petit jardin pour assurer son autonomie alimentaire ; - mettre en place des sensibilisations à la consommation responsable à l’école dès le plus jeune âge ; - mettre en place des initiatives créatives, comme celle intitulée « Adopte un paysan » lancée par le journaliste indien Devinder Sharma.

HS TVB #11 - P.9


HORS-SÉRIE HUMANITÉ

Enjeux humanité

Numérique & santé, poison ou remède ?

P Ester Ramos

Bloggeuse engagée, Ester travaille sur l’innovation positive.

LA SOLUTION Cadrer et accompagner par des exigences éthiques l’arrivée du numérique dans la santé.

our le philosophe Bernard Stiegler, une technologie est un pharmakon : cela peut être un remède tout comme un poison. Ces deux notions furent au cœur des échanges de l’agora « Quel bon usage du numérique pour la santé ? » animée par le Dr Catherine Dolto.

Le numérique, un poison ? Les échanges ont mis au jour le fait que le numérique peut devenir un poison s’il est mal utilisé, trop tôt ou sans éthique. Une étude belge de l’ONE et du Cesem affirmait en 2015 qu’avant l’âge de trois ans, le contact avec les écrans pouvait compromettre le développement du cerveau. Les adultes, eux, peuvent également développer une addiction à Internet et aux réseaux sociaux. Le téléphone semble aujourd’hui définir l’appartenance à une communauté sociale et entretient stimuli permanents et dépendance. Par ailleurs, la distance et l’anonymat permis par le numérique créent des quiproquos et facilitent le déversement de violence. Les risques liés aux ondes ont également été dénonçés et l’on a insisté sur les limites nécessaires à imposer

à la technologie dans son application médicale, dans son intrusion dans l’intimité, dans sa définition des rapports humains et dans les limites éthiques de l’intelligence artificielle. L’humanité pourrait-elle se détruire par la technologie ?

Le numérique, un remède ? Le numérique peut aussi permettre le partage de connaissances et la compilation de données à une échelle jamais égalée, facilitant les découvertes et travaux scientifiques. De nombreuses erreurs pourraient ainsi être évitées, notamment en matière de radiothérapie et de chimiothérapie où le dosage est primordial. Les data couplées aux récentes découvertes dans de nombreux domaines permettraient d’améliorer l’efficacité, la régularité, la précision, le traitement dans le temps et dans l’espace. En médecine, on a coutume de dire que c’est la dose qui fait le poison. L’outil numérique doit donc être cadré et bien dosé pour ne pas nuire à la santé de l’humanité. La mobilisation citoyenne sur ces questions sera, elle aussi, nécessaire pour que la dose de numérique apportée à la médecine contribue à lui donner un visage humain et non pas transhumain.

Accélérer la transition vers une sobriété heureuse

Anne P.

Engagée dans la transition écologique, elle cherche et retranscrit des idées.

HS TVB #11 - P.10

A

ccélérer la transition nécessaire en respectant les principes démocratiques, c’est possible. En tout cas, c’est ce que donne à penser les analyses et retours d’expérience nationaux et internationaux présentés aux Dialogues en humanité. Cette année, un temps d’échanges s’intitulait « Comment accélérer la transition vers la sobriété heureuse face au changement climatique ? ». Tout un programme. Les témoignages croisés avaient un point commun : arriver à transformer des contraintes en opportunités, que ce soit dans les domaines de l’énergie, de l’alimentation, de la reforestation ou de l’eau.

Viser le mix énergétique et réduire sa consommation en énergie pour commencer Comme le rappelle Thierry Salomon (président de négaWatt et co-auteur de son manifeste), il est possible par exemple dès aujourd’hui de passer au mix énergétique, c’est-à-dire de choisir d’autres sources d’énergies que les énergies de stock (fossiles et nucléaires). Certaines entreprises anticipent déjà leur évolution. Le groupe Shell, notamment, interpelle depuis longtemps ses partenaires, dont les grands groupes automobiles ainsi que le gouvernement, pour connaître leur stratégie pour sortir de l’utilisation des énergies fossiles et s’orienter vers des énergies plus durables. Pour cela, le groupe doit en effet connaître les besoins


HORS-SÉRIE HUMANITÉ

(véhicules électriques, capacité de revente…) adaptés à ces nouvelles formes d’énergie. Thierry Salomon, président de négaWatt, rappelle comment passer aux énergies renouvelables à la fois en les choisissant comme source d’énergie (électricité et chauffage issus du vent, du soleil, des cours d’eau ou de la biomasse), en visant des modes de déplacement doux mais aussi en réduisant et en surveillant sa propre consommation. Il serait même possible de construire avec les citoyens un code de l’énergie, ressemblant au code de la route, afin que chacun mesure la meilleure conduite à avoir en matière d’utilisation d’énergie. La proposition de négaWatt permet d’ajuster progressivement moins de consommation en carbone et plus d’utilisation d’énergie renouvelable pour réussir la transition énergétique. Emerson Sales (professeur de l’Institut de chimie, directeur du laboratoire de Bioénergie et Catalyse - LABEC à l’université UFBA Salvador de Bahia au Brésil) demande d’ailleurs à ses étudiants brésiliens de bien connaître leur consommation en eau et en énergie chez eux et de faire le bilan, afin de pouvoir réduire ensuite leurs consommations superflues.

S’alimenter autrement Un autre axe de sobriété heureuse est présenté par Dominique Picard (Laboratoire de l’économie sociale et solidaire, participante aux États généraux de l’alimentation, au Réseau des monnaies locales et aux Dialogues en humanité). Nous pouvons viser un mieux-vivre alimentaire en passant par exemple d’un tiers à deux tiers d’aliments végétaux dans notre assiette chaque semaine. L’idée est d’apprendre à changer notre mode d’alimentation en diminuant, voire en supprimant les protéines animales au profit de protéines végétales. Il est même possible de passer complètement à un régime végétarien, comme le suggère Aviram Rozin (cofondateur de Sadhana forest Inde, Kenya, Haïti, membre du réseau mondial de reforestation) avec un petit sourire. De plus, si l’élevage animal diminue, c’est également moins d’eau consommée par le bétail et moins de pollutions atmosphériques, selon Emerson Sales, les rejets du bétail (nitrites) étant plus nocifs que le gaz carbonique en tant que gaz à effet de serre.

Planter des arbres La reforestation est aussi une voie pour la transition, même en zone désertique, comme le rappelle Aviram. Il en a fait l’expérience et a pu en quinze ans, avec ses proches et les paysans indiens de la région de Auroville (État du Tamil Nadu) recréer 30 hectares de forêt. Il a reconstruit des canaux d’irrigation et replanté des arbres. Cela a facilité la rétention des eaux dans le sol, l’enrichissement du sol, en particulier autour des habitations. Le sol étant redevenu à nouveau fertile et cultivable autour des maisons, les habitants et agriculteurs qui avaient délaissé leurs terrains sont revenus des

villes. Oui, il est possible de changer des situations dramatiques sur le plan environnemental et social en situations viables, vivables et durables.

Enjeux humanité

Recréer des cours d’eau plus naturels aux multiples vertus, avec les acteurs locaux En France, une expérience positive et réussie dans le domaine de l’eau peut également être relevée, comme le souligne Anne Pressurot, qui travaille dans une agence de l’eau en France. Un propriétaire de moulin au sud de Nîmes s’est remémoré son enfance passée au bord de l’eau avec les canotiers. Il se désolait de l’état actuel de sa rivière, polluée et banalisée. Il est donc parti interpeller l’élu de la commune pour que le fonctionnement de la station d’épuration des eaux usées située en amont du moulin soit amélioré. Puis il a proposé de mettre à disposition ses terres (5 hectares) pour expérimenter des travaux de reméandrage de la rivière. La rivière a eu plus d’espace pour divaguer et inonder les terres affleurantes. La végétation a pu se développer et recréer une zone fertile et de nouveaux habitats pour les animaux, tout en préservant la nappe et en aidant à réduire les risques d’inondation… De multiples projets spontanés de ce type, individuels puis collectifs, existent sur le territoire français et complètent la législation qui protège l’eau en qualité et en quantité comme un « bien commun de la nation ». De nombreuses concertations entre les différents usagers de l’eau, avec parfois la participation des citoyens, poussent à des actions locales pour préserver ou restaurer l’eau en qualité et/ou en quantité sur le bassin versant où s’écoule le cours d’eau. Lors de ces différents témoignages, les citoyens présents ont pu réagir et apporter leur expérience et leurs interrogations. Pourquoi la publicité vante-telle des modes de consommation moins durables ? Comment entraîner l’ensemble des groupes pétroliers à changer de stratégies pour aller vers du mix énergétique ? Comment le citoyen peut-il agir pour peser vers une transition écologique, solidaire, sobre et progressive ?

Dessin réalisé en direct par © Eric Grelet

LA SOLUTION Rechercher et dupliquer des solutions pour accélérer la transition écologique.

Une des réponses apportées au cours des débats est d’agir à toutes les échelles : au niveau local en agissant soi-même ou en s’appuyant sur les élus, les entreprises ou les associations, au niveau national avec l’appui des lois ou au niveau international en s’appuyant par exemple sur un « conseil des sages » qui pourrait être décentralisé.

HS TVB #11 - P.11


L’avis de jeunes citoyens français et camerounais sur le conseil des sages de l’humanité

« « L. jeune française de 32 ans

Avec la montée des extrémismes un peu partout autour du globe, le développement de l’intelligence artificielle, l’enjeu climatique, nous allons avoir besoin de penser l’avenir de l’humanité de manière globale et éthique et une institution comme celle-ci me semble en effet intéressante. Après, comme il a été dit, ce qui va être sensible, ce sera de choisir qui seront les personnes jugées les plus sages pour constituer cette assemblée et comprendre les enjeux des diversités locales tout en les fédérant autour d’un enjeu global. »

«

C. jeune français de 29 ans

Je préfère l’appeler conseil des sages que conseil de sécurité parce que le mot sécurité évoque directement dans l’inconscient un danger. Je ne vois pas l’intérêt de laisser cette notion implicite et préfère l’envisager comme quelque chose de positif. Mais je ne suis pas sûr d’avoir envie d’une instance mondiale qui gère tout, je perçois plus l’avenir comme quelque chose de décentralisé, les réalités étant très différentes d’un territoire à l’autre. Il faudrait peut-être plusieurs conseils de sages un peu partout. Je pense qu’il pourrait donner son avis plutôt que d’éditer des lois contraignantes. Ça pourrait être un peu l’exemple à suivre. »

E. jeune camerounaise de 25 ans

Je pense que ce conseil est une très bonne idée si on arrive à donner la parole à tout le monde. Pour que ça fonctionne, il faut que l’on mélange plein de personnes d’origines, âges, sexes, cultures et croyances différents. Aujourd’hui, certaines personnes n’ont pas de voix dans les politiques internationales et cela pourrait être bien de diversifier pour ne pas refaire ce qui existe déjà.

N

ous, (ndlr : certains jeunes aujourd’hui), nous sommes et nous nous sentons des citoyens du monde et nous ne voyons pas que l’intérêt individuel ou celui de notre pays, mais l’intérêt commun. Ce serait bien à l’avenir que tout le monde pense avec et pour tout le monde.

J

’ai entendu aussi qu’il pourrait donner des conseils vis-à-vis de l’armement nucléaire et ça me semble être une chose très importante pour plus d’équité et pour changer le monde pour le mieux, pour la paix. En fait, je pense en effet que le plus important est que ce conseil soit multidimensionnel et diversifié. »

Retrouvez sur notre blog l’enregistrement audio d’un atelier participatif autour du conseil de sécurité de l’humanité en suivant ce lien http://blog.toutvabienlejournal.org/2018/10/13/lhumanite-echange-arbres-de-tete-dor/

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Et pour aller plus loin, vous y découvrirez également le compte rendu de l’agora « De quelle Europe le monde a-t-il besoin ? » animée par Nicolas Bériot, chargé de mission des consultations citoyennes sur l’Europe au ministère des Affaires étrangères.

Plus d’infos : http://dialoguesenhumanite.org/

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