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Vue sur le tarmac

PROFESSIONS LIÉES À LA MOBILITÉ

Turbulences maîtrisées chez les aiguilleurs du ciel

En charge de la gestion du trafic aérien civil et militaire en Suisse, Skyguide est prise dans la tourmente liée à la pandémie et se prépare à des changements majeurs. Une situation à première vue inconfortable assumée avec sérénité par son directeur général, Alex Bristol. Etat des lieux en sa compagnie.

TEXTE JÉRÔME LATHION

Contempler les bras croisés des avions cloués au sol? A la lecture de certains chiffres, on pourrait croire que tel est depuis des mois le quotidien des contrôleurs aériens de Skyguide, qui assure les services de navigation en Suisse et dans l’espace aérien des pays limitrophes. Premier groupe européen,

Luft hansa a tourné en 2020 à 31% de ses capacités, subissant une perte record de 6,7 milliards d’euros. Sombre tableau également chez sa filiale Swiss: le nombre de passagers a chuté de 74,5% l’an dernier; la perte opérationnelle se chiffre à 654 mio. de francs, contre un bénéfice de 578 mio. en 2019. Redimensionnement de la flotte et suppression d’emplois sont sans surprise à l’ordre du jour, comme pour d’autres compagnies dans le monde.

Pour autant, les quelque 1500 employés de la société basée à Genève (lire encadré ci-contre) ont honoré leur mandat de prestations et les dommages collatéraux ont été minimisés, malgré une baisse de plus de moitié du volume d’activité.

Priorités révisées

A la faveur de mesures dont s’explique Alex Bristol, Anglais d’origine, directeur général (CEO) de Skyguide depuis 2017: «Dès le début de la crise, nous avons mis en place un paquet d’économies pour générer des effets rapides. Nous avons aussi analysé en profondeur notre portefeuille de projets pour

Les contrôleurs aériens

voient leur volume d’activité baisser depuis 2020.

fixer les bonnes priorités, ce qui nous a permis de réduire considérablement nos dépenses d’investissement en 2020.» Autres mesures prises dans l’urgence: le gel des salaires et une réduction de 25% de la composante salariale variable de la direction. «Et bien sûr, nous avons introduit le chômage partiel partout où cela était possible. A ce jour, nous n’avons pas dû procéder à des licenciements», se félicite l’homme fort de Skyguide.

Aide sous condition

reconnaître automatiquement dans l’air, l’hydrogène ou aux biocarburants alteril ne serait plus nécessaire de guider les natifs, la réduction de la croissance du pilotes depuis le sol, comme c’est le cas trafic en décourageant les vols d’opporaujourd’hui. Le contrôleur aérien du fu- tunité via la suppression du système tur deviendra donc un gestionnaire de des miles offerts, voire l’abolition pure l’espace intervenant en cas de besoin», et simple des vols en cas d’alternative éclaire Alex Bristol. ferroviaire. A première vue, une nouvelle menace pour l’emploi… Le directeur général calme le jeu et temporise: «Il faudra probablement encore 20 à 30 ans pour que nous puissions automatiser les éléments clés des tâches actuellement déSa société s’est toutefois vue contrainte volues à l’humain, ce qui nous laisse le de se tourner vers son propriétaire temps de gérer la réduction du nombre principal, la Confédération, de contrôleurs aépour un soutien financier. riens, réduction Fin 2020, le Parlement oc- qui touchera toute troyait une aide de 400 mio. l’Europe.» pour 2020–2021, assortie en contrepartie de plans d’éco- Drones nomie et d’un relèvement de prometteurs l’âge de la retraite de 56 à 60 A cette échéance, ans pour les employés. Un le ciel ne se sera-t-il coup dur pour le moral des pas ouvert massivetroupes? «Non, pas du tout, ment à de nourépond Alex Bristol. Des veaux acteurs de la signes nous montraient mobilité verticale déjà que cette mesure pour- tels que les drones rait être nécessaire. Nous avons maintenant jusqu’à la «Le contrôleur et les taxis volants actuellement en fin de l’année pour élaborer aérien du futur phase de dévelopun plan et le sou- sera un gestionpement, et nécessitant eux aussi un mettre naire de l’espace guidage? «Avec les à la Confédération. intervenant en drones en particulier et l’introducAvec notre cas de besoin» tion de U-Space en partenaire Alex Bristol, Suisse, nous voyons social Hel- CEO, Skyguide un grand potentiel vetiCA, économique, l’Association suisse concède Alex Bristol. Mais il est diffides contrôleurs aé- cile de dire aujourd’hui dans quelle meriens, nous travail- sure cela créera des emplois. Cela étant, lons d’arrache-pied nous sommes persuadés qu’il restera afin de trouver une beaucoup de travail pour Skyguide au solution d’avenir ac- cours des années à venir.» ceptable pour toutes les parties.» Un credo optimiste. Car un fait demeure: la crise sanitaire s’est ajoutée Technologiquement, à une crise climatique, l’a en quelque le tournant vers l’ave- sorte momentanément supplantée sans nir a déjà été pris la supprimer. L’aviation civile reste une par la société sous le cible fragilisée dans ce contexte et les signe de la numérisa- pistes de réflexion pour la «verdir» se tion et de l’automati- manifestent déjà. Parmi celles-ci, un PHOTOS SKYGUIDE sation, qui laisse entrevoir de grands changements pour la corporation. «Si les avions pouvaient se budget carbone alloué aux compagnies, placé sous la surveillance de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), la mise en service d’avions à court et moyen-courrier fonctionnant à Environnement respecté

A la direction de Skyguide, on répond en avançant d’autres prévisions supposant un volume de trafic égal à celui d’avant la pandémie à l’horizon de 2024–2025. Mais on ne cache pas que les contours de l’avenir restent flous: «Il est difficile à ce stade de prévoir l’évolution du trafic aérien à long terme. Nous suivons la situation et nous préparons à divers scénarii, poursuit Alex Bristol. Cela dit, nous participons nous aussi à la protection de l’environnement et à la réduction des émissions de CO2. L’une des contributions les plus importantes est ce que l’on appelle «l’efficacité des vols horizontaux», c’est-à-dire l’itinéraire le plus efficace. Une analyse détaillée rendue possible par le recul du trafic a montré que le routage horizontal dans l’espace aérien contrôlé par Skyguide est proche de la situation optimale. Nous proposons donc des itinéraires respectueux de l’environnement.» ◆

SKYGUIDE EN BREF

Fondée à l’origine en 1922, la société Skyguide fête cette année ses 20 ans sous son nom actuel. C’est en effet en 2001 que le Conseil fédéral décidait de regrouper en une entité les services de navigation aérienne civils et militaires du pays. Avec l’aide de 1500 collaborateurs répartis sur 14 sites, elle opère pour la Suisse et les pays voisins. L’an dernier, un demi-million d’avions civils et militaires – contre 1,3 mio. en moyenne précédemment – ont été guidés dans l’espace aérien le plus dense d’Europe. Skyguide collabore étroitement avec tous les acteurs du secteur aérien et compte parmi ses partenaires principaux en Suisse l’Office fédéral de l’aviation civile (OFAC), les Forces aériennes, l’organisation faîtière de l’aviation civile et de l’industrie aérospatiale suisses Aérosuisse, Météosuisse, les aéroports de Genève et de Zurich. Basée à Genève, la société est détenue en majorité par la Confédération.

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