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Un client sérieux…

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Goliath & Goliath

Goliath & Goliath

Le fait d'être membre d'un jeune club, le GC Ennetsee à Holzhäusern, n'a pas empêché Damian Ulrich de se hisser, comme Fabienne In-Albon, jusqu'en équipe nationale. Une équipe dont il sera même un des piliers cette année, avec Tino Weiss et Roger Furrer. Martin Rominger et Nicolas Sulzer ont en effet passé chez les professionnels. Nous avons joué neuf trous - les premiers du GC Schönenberg - avec Damian Ulrich. C’était dans l'arrière automne 2005.

Le « primus inter pares» de la rédaction de Golf Suisse avait convenu d'une partie amicale avec l'un des meilleurs amateurs du pays, tant il est vrai qu’il faut parfois oser placer la barre très haut. Un moment délicat donc pour le rédacteur en chef, car ce client sérieux a un handicap en dessous de zéro.

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L’élégant bar du club-house de Schönenberg sert de décor à notre poignée de main; le directeur Zogg nous laisse le choix des neufs trous sur lesquels nous souhaitons évoluer. J'ai mon appareil photo avec moi, Ulrich est légèrement blessé au poignet droit. Il souffre d’une inflammation de la gaine des nerfs, une affection qui peut durer longtemps. «Je me suis mis au vert depuis quatre semaines, sans taper une seule balle, en pratiquant cependant quelques exercices qui ne peuvent pas faire de mal. Je me réjouis beaucoup de me retrouver enfin sur un golf!»

Le jeune homme se dirige derechef vers le départ blanc du trou numéro 1. Le terrain est plutôt humide - c'est la règle en novembre – et le jeu sera donc relativement lent. La bonne humeur est de mise. Damian en est à sa première année d'après junior, il est donc plein d'énergie face à un adversaire qui fait, lui, déjà partie des seniors...

C’est à un sportif précoce et au tempérament affirmé que j’ai affaire. Tout jeune, il a notamment participé aux championnats suisses de natation. «Nager est devenu progressivement quelque chose de fastidieux pour moi, avoue-t-il. J'ai aussi joué au tennis, puis au football. Mais c'est finalement au golf que je suis resté accro».

Un choix auquel Julian Meyerscough n'est pas étranger. Cet Anglais est le head coach de Holzhäusern, où Damian Ulrich a effectué ses premiers swings à l'âge de 14 ans. Il a inculqué à ce jeune talent un mouvement très classique qui lui a permis, deux ans plus tard déjà, d'avoir un handicap à un chiffre. De zéro à 19 ans, il en est aujourd'hui à +1,7. Impressionnant, face à mon modeste 7,1. Du premier départ, nous envoyons tous les deux notre balle dans le semirough à droite. Damian me raconte que le meilleur score qu'il ait jamais réalisé est un 64 et que sur «mon» parcours à moi il a déjà joué sept sous le par. Le soleil d'automne darde maintenant des rayons presque horizontaux sur ce golf magnifique, qui épouse harmonieusement la topogra- phie en pente douce des lieux. C'est un club privé, mais qui, naturellement, accueille volontiers les joueurs au greenfee. En cette arrière saison, seuls quelques membres se sont égayés sur les fairways. Etre ainsi en pleine nature, presque seuls, et entamer un match play à l'enjeu symbolique avec un excellent joueur: le golf n’est jamais si beau que dans ces conditions idéales.

Il s’agit pourtant de rester attentif, car ce solide frappeur est membre de l'équipe nationale! Mais Damian n'est pas seulement un sportif ambitieux, qui sait très bien quels sont ses points forts et ses faiblesses, il est aussi un jeune homme sympathique et enjoué, auquel on pardonne volontiers une erreur. Menant 1 up, le voici qui en commet précisément une sur le deuxième départ: balle topée. Pensant ainsi avoir une chance d'égaliser, j'imprime un malencontreux hook à ma balle qui finit dans les sapins.

Rythme

Double bogey pour les deux, bogey au troisième trou. Le «maître» mène donc toujours 1 up, lui qui après deux tours de qualification au British Amateur Championship 2005 était en tête avec quatre coups d'avance et plus sur les autres concurrents. Il gagne aussi le quatrième trou, que j'ai complètement raté, mais perd le cinquième à cause d’une approche qui s’égare dans la forêt. Bien. Nous sommes partis très tranquillement, ce qui ne facilite pas toujours les choses, surtout lorsque l'on discute presque sans discontinuer. Dans notre lente progression, nous devisons aussi à plusieurs reprises avec des membres de Schönenberg.

«Depuis que je travaille mon mental avec Rolf Stauffer, j'essaie de ne plus me préoccuper de ma technique. Tout doit découler de la sensation même du swing. Lorsque, par exemple, je souhaite jouer en fade, je ne le fais pas en en appliquant mécaniquement telle ou telle méthode ou astuce ni en visualisant la trajectoire de la balle. Ce que je veux, c’est «sentir» le fade, et mon corps fait alors de lui-même ce qu'il faut».

Le prochain trou est un par trois de 177 mètres. Damian, avec un draw, touche le green. «J'arrive à bien manœuvrer la balle. Ma trajectoire naturelle est plutôt un draw; mais depuis peu j'aime presque mieux un effet de gauche à droite, parce qu'en fade la balle atterrit plus doucement». Ce qu’il ne dit pas, mais ça se voit, c’est qu’il n’a aucun problème de longueur. Cet athlète de 1,90 mètres possède un bras de levier qui le prédestine à être long. Mais il y a des limites à tout. Le numéro 8, un des trous phares de Schönenberg, est un par 5 de 479 mètres. Tous les par 5 offrent une chance de birdie aux bons joueurs. Sur celui-ci, il faut franchir 230 mètres pour éviter le premier obstacle d'eau. Damian relève le défi: sa balle est à quelque 250 mètres au sud-est du départ, au milieu du fair- way. Mais c'est déjà son deuxième coup. La première balle a dévié vers la droite, dans le ruisseau. «J’ai commis là ma faute type. Et comme je ne suis pas au mieux de ma forme, le risque est d'autant plus grand que je la fasse». Le «push» est une erreur caractéristique que commettent nombre de golfeurs chevronnés lorsqu’ils cherchent, comme on dit, à «mettre les gaz» au bon moment. Un faible overswing a pour conséquence de retarder un peu le driver par rapport au corps et un finish trop agressif détériore encore la synchronisation entre le corps et le bras. Subjectivement, le joueur a le sentiment d'avoir effectué son swing sur un bon rythme, mais la balle part à droite avec un angle de vol trop prononcé et elle finit dans les décors.

«Mes points faibles résident plutôt dans le chipping et le pitching. Je suis souvent étonné de voir à quel point, dans ces secteurs de jeu, les pros du circuit sont meilleurs que nous autres amateurs». On notera que cette remarque vient de quelqu'un qui a un handicap en dessous de zéro et qui a passé le cut lors de l'Omega European Masters en septembre dernier. «Au deuxième tour, j'ai atteint huit greens en régulation, mais sur quatre d’entre eux j’ai raté le par». Il faut cependant souligner que Damian Ulrich a par ailleurs réalisé, sur ces greens ultrarapides, des chips remarquables; et qu’il a aussi rentré une belle série de putts de 1,5 à 2 mètres. Tout joueur moyen serait étonné de la difficulté qu'il y a à mettre la balle dans le trou sur un parcours préparé en vue d'un tournoi PGA. Même pour un membre de l'équipe nationale, des greens aussi rapides et ondulés que ceux de Crans surprennent. Damian sait qu'il a encore plusieurs marches à gravir pour arriver au sommet; qu'il doit donc être encore plus constant, plus précis et plus résistant à la pression. Dans un coin de sa tête mûri le projet audacieux de franchir le pas du professionnalisme en automne 2006.

Sportifs entre eux

Dans sa formation, Damien Ulrich, dont le père Martin a été en son temps champion suisse de pentathlon moderne, a toujours réservé une place de choix au sport en général et au golf en particulier. Cela étant, les écoles qu'il a suivies lui permettront à tout moment de bifurquer vers une carrière «normale». Mais c'est bien le virus du golf qui, maintenant, l’emporte. Il se réjouit d'être un pilier de l'équipe suisse. Le coach national Graham Kaye est pour beaucoup dans sa motivation et Damian le tient en grande estime: «c’est un exemple, un expert, un grand connaisseur du golf; il nous a beaucoup appris!» Il a aussi beaucoup profité de la promotion de la relève au sein du GC Ennetsee, sur ce site de Holzhäusern donc (27 trous), qui appartient à la Migros et qui est le plus fréquenté de Suisse. Anne-Marie In-Albon y est une très active capitaine des juniors depuis des années; on y a résolument mis à profit tous les avantages du golf public. Beaucoup de nouveaux golfeurs jouent ici et envoient leurs enfants à l'entraînement junior. Un projet appelé «Club 500 Förderpool» a même été mis en route à Ennetsee. Il vise à permettre aux juniors (filles et garçons) qui sont parvenus au plus haut niveau national, d’accéder plus facilement au professionnalisme. Pour l'essentiel, il s'agit d'aider les joueurs à payer les frais de «startup» inhérents à une carrière de ce type. En contre-partie, les membres du pool auront une participation au prize monney des athlètes ainsi soutenus.

Birdie avant la nuit

Chez les pros, l’attaque à outrance est rarement payante. Et ce n'est pas de cette manière non plus que l'on peut l'emporter sur un par 5 contre un journaliste. Notre partie en était alors à 3&2 en défaveur du senior. Le jeune homme pouvait donc se permettre, confiant, de faire l’impasse sur le numéro 8. Notre dernier trou, après le coucher du soleil, est à nouveau un par 3 de 176 mètres, dont le green est situé sur une espèce de terrasse à flanc de coteau: malheur à qui le rate… Je réussis à y poser ma balle, à 15 mètres du drapeau cependant. Damian y parvient aussi, mais il ne lui reste, à lui, qu’un putt de trois pieds… Je le félicite pour son birdie et sa «victoire» et lui offre, comme le veut la coutume pour le perdant, un verre au bar du club-house. C’est un jus de fruit qu’il commande. Comme il se doit pour un sportif de pointe!

■ Urs Bretscher

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