L'INFORMATION IMMOBILIERE n°107

Page 12

C H R O N I Q U E L’ E S P R I T D U T E M P S

Le mystère de l ’ être ANDRÉ COMTE-SPONVILLE É C R I VA I N E T P H I L O S O P H E – Alors, pour vous, tout vient du hasard ?

lité l’exclut, et l’expérience n’en donne aucun exemple.

– Tout ? Certainement pas ! La vie a aussi ses contraintes, ses

– C’est pourtant par hasard que nous nous sommes rencontrés !

exigences, ses nécessités… Voyez Darwin : le hasard procède

– Mais non pas sans causes : je rentrais chez moi, c’était le

aux mutations, mais ce n’est pas par hasard que telle ou telle

chemin le plus court…

mutation perdure ou non. Le sexe et la mort en décident !

– Et j’avais une course à faire, tout près d’ici.

– C’est moins la vie qui m’étonne, en l’occurrence, que la na-

– Aucune contingence, donc : notre rencontre a ses causes,

ture qui la rend possible.

qui l’expliquent.

– Elle aussi a sa nécessité, ses lois, sa rationalité immanente…

– Sauf qu’elle était imprévisible, et même statistiquement im-

Ce n’est pas par hasard que l’automne succède à l’été, ni le

probable : elle aurait fort bien pu ne pas se produire !

printemps à l’hiver !

– Imprévisible, tant qu’elle n’a pas eu lieu, oui, parce qu’elle

– J’entends bien. Le mouvement de la Terre autour du Soleil,

résulte de plusieurs séries causales indépendantes les unes

d’où les saisons résultent, relève du déterminisme. Mais pour-

des autres. Inexplicable, une fois qu’elle s’est produite, non.

quoi ce mouvement, cette planète, cette étoile ?

C’est ce que j’appelle le hasard : ce qu’on ne peut expliquer

– Interrogez les physiciens !

qu’après coup et en gros, parce que les causes en sont trop

– Vous savez bien ce qu’ils me répondront : le big bang, l’uni-

nombreuses, trop complexes, trop infimes ou trop indépen-

vers qui s’étend et se refroidit, les nébuleuses qui se contrac-

dantes les unes des autres.

tent et se fragmentent en étoiles, en planètes, les corps qui

– Comme quand on joue à pile ou face : la pièce qui tourne en

s’attirent en fonction directe de leur masse, en fonction inverse

l’air, on sait bien qu’elle obéit à l’impulsion initiale, à la résis-

du carré de leur distance…

tance de l’air, aux lois de l’inertie, de la gravitation...

– Mais cela ne répond pas à votre question.

– Mais nul ne peut savoir, tant qu’elle tourne, de quel côté elle

– Bien sûr que non ! Car pourquoi ce big bang, cette matière ou

s’immobilisera.

cette énergie, cet univers, ces lois ?

– Son mouvement n’est donc pas sans causes…

– C’est la question de Leibniz, celle de l’origine première ou

– Mais il est bien imprévisible.

ultime : pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?

– Le hasard, ainsi défini, existe donc.

– Exactement ! Et à cette question, vous répondez que c’est

– Bien sûr. Et la contingence n’existe pas.

comme ça, que l’univers est sans raison, qu’il aurait pu aussi

– Admettons. Mais je ne vois pas bien ce que cela change

bien ne pas exister ; bref, qu’il est là par hasard !

concernant ma question initiale. Quelles sont les causes de

– Je vois où vous voulez en venir : ou le hasard, ou Dieu…

l’univers ? Le big bang ?

– Je ne vois pas comment on peut échapper à l’alternative. Or,

– Cela ne ferait que déplacer la question. Quelle est la cause

vous ne croyez pas en Dieu…

du big bang ?

– Voilà au moins un point incontestable.

– Donc l’univers est sans cause…

– Donc il ne reste que le hasard…

– Pas plus que Dieu, s’il existe.

– C’est cette conclusion que je conteste.

– C’est à mon tour de vous renvoyer à Leibniz : Dieu serait cet

– Allons bon ! Vous ne croyez pas non plus au hasard ?

être, justement, qui porte en lui « la raison de son existence ».

– Tout dépend ce que vous entendez par là.

Il est cause de soi et de tout !

– Un fait sans cause, sans raison...

– Nécessaire, donc, et non pas contingent.

– Vous confondez le hasard et la contingence.

– Alors que l’univers, lui, est contingent : il aurait pu ne pas

– Vous jouez sur les mots.

exister !

– Pas du tout ! La contingence serait une absence totale de

– Je me demande si ce n’est pas vous, ici, qui jouez sur les

causes. C’est pourquoi je n’y crois pas : le principe de causa-

mots. Car enfin Dieu ne peut se causer lui-même qu’à 

10

L’INFORMATION IMMOBILIÈRE PRINTEMPS 2012 | N°107


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.
L'INFORMATION IMMOBILIERE n°107 by - SPG - - Issuu