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Mission d’étude du RQRA en Suisse : regards croisés sur le vieillissement
from L'Adresse - Été 2025
by RQRA
Mission d’étude du RQRA en Suisse : regards croisés sur le vieillissement
Du 6 au 12 avril 2025, une délégation composée de 26 membres et partenaires du RQRA s’est envolée pour la Suisse dans le cadre de la troisième mission d’étude internationale organisée par l’association, après les Pays-Bas en 2023 et le Japon en 2024. Cette expérience a permis aux participants de découvrir les particularités du système suisse de soins aux aînés, d’échanger avec des acteurs du terrain et de réfléchir, ensemble, à des pistes d’inspiration concrètes pour le Québec.
UN PAYS RICHE EN DIVERSITÉ ET EN CONTRASTES
Avec ses 8,9 millions d’habitants, la Suisse est un pays aussi petit en taille qu’impressionnant par la richesse et la complexité de ses structures politiques et sociales. On y parle quatre langues officielles et les 26 cantons qui la composent jouissent d’une grande autonomie. Ce fédéralisme a une conséquence directe sur l’organisation des soins : chaque canton élabore ses propres règles, finance ses établissements à sa façon et déploie des solutions adaptées à ses réalités démographiques et culturelles.
Pour notre délégation, cette diversité était une richesse à explorer. En une semaine, nous avons visité trois grandes villes, Lausanne, Berne et Zurich, chacune située dans un canton différent. Ce parcours géographique a permis d’obtenir une vision nuancée des pratiques suisses en matière de soutien aux aînés, tant à domicile qu’en établissement.

UN SYSTÈME DE SANTÉ FRAGMENTÉ, MAIS ROBUSTE
Le système de santé suisse est souvent perçu comme l’un des meilleurs au monde. Mais il est aussi l’un des plus complexes. Il repose sur une combinaison de concurrence encadrée, de mécanismes corporatistes et de forte participation citoyenne grâce à un recours fréquent aux référendums. Dans les soins de longue durée, cette complexité se traduit par un partage de responsabilités entre la Confédération, les cantons, les communes, les assureurs et les citoyens eux-mêmes.
En matière de soins aux aînés, le rôle central revient aux cantons, qui organisent l’ensemble de l’offre, tant pour les soins à domicile que pour les établissements médico-sociaux (EMS). Ces établissements à but non lucratif accueillent environ 14 % de la population âgée de 80 ans et plus et sont souvent soutenus par des subventions cantonales pour leurs infrastructures.
Les soins sont financés par trois sources principales : l’assurance maladie obligatoire (AOS), les cantons (financement résiduel) et les bénéficiaires eux-mêmes. La contribution des patients peut être significative, mais elle est partiellement compensée par des prestations complémentaires pour les personnes à faible revenu.

VIEILLIR EN SUISSE : DES DONNÉES ÉLOQUENTES
La Suisse se prépare à un vieillissement accéléré de sa population. D’ici 2050, plus d’un quart de la population aura plus de 65 ans et le nombre de personnes âgées de 80 ans et plus devrait doubler. Déjà, en 2022, près d’un demi-million de personnes recevaient des soins à domicile et 160 000 vivaient en institution.
Les statistiques montrent un système équilibré entre soutien à domicile et hébergement, avec un fort rôle accordé aux aidants naturels. Notons d’ailleurs qu’environ 17 % de la population âgée bénéficie d’une aide informelle, un pourcentage plus élevé que celui des personnes utilisant les services à domicile.
Ces chiffres soulignent une volonté claire : favoriser le maintien à domicile tout en offrant des solutions d’hébergement de qualité pour les cas plus complexes. C’est cette complémentarité que nous avons cherché à mieux comprendre au fil de nos visites.
UNE SEMAINE DE VISITES INSPIRANTES À TRAVERS LA SUISSE
Durant cette mission, les participants ont eu l’occasion de visiter des établissements variés et innovants dans les cantons de Vaud, de Berne et de Zurich. Ces visites ont permis de découvrir des modèles de soins et de milieux de vie à la fois inspirants, surprenants et très diversifiés.
À Lausanne, l’équipe d’HévivA – l’association professionnelle vaudoise des institutions médico-psychosociales – nous a chaleureusement accueillis pour une présentation approfondie du système médicosocial suisse. Leur rôle de soutien et de coordination auprès des établissements membres a permis de mieux comprendre les réalités de terrain propres à chaque canton.
La visite de l’EMS Montchoisi, opéré par la Fondation Saphir, a mis en lumière une offre diversifiée au-delà des soins traditionnels : l’établissement gère également une colocation pour aînés ainsi qu’un centre de jour. Ce modèle intégré permet une réponse plus souple et personnalisée aux besoins changeants des aînés.
La Fondation Primeroche, avec son EMS Le Grand Pré, s’est imposée comme un véritable coup de cœur pour plusieurs membres de la délégation. Situé dans un environnement verdoyant, l’établissement mise sur la nature et l’autonomie : présence d’animaux, grands jardins et même une fauteuil roulant motorisé permettant aux résidents de sortir dans la neige. Une philosophie du risque mesuré y est revendiquée – "le risque zéro n'existe pas" nous a-t-on affirmé – et l’innovation y est bien présente. C’est aussi là que nous avons découvert le rôle méconnu mais significatif des "caresseurs et caresseuses", intervenants venant répondre aux besoins d’intimité et de sensualité des résidents, dans une approche humaine et respectueuse.
À Berne, la Résidence Le Manoir a retenu l’attention avec sa thérapie par le voyage : un train virtuel permet aux résidents ayant des troubles cognitifs de revivre des trajets de leur passé, dans une ambiance immersive et apaisante. L’art y tient également une place prépondérante dans l’environnement des résidents.
La visite de la résidence Senevita Multengut, opérée par un grand groupe privé, nous a plongés dans un univers assez semblable à celui de certaines RPA québécoises. Le cadre est moderne, les services sont nombreux et la clientèle, généralement aisée. Ce modèle illustre bien une logique de marché haut de gamme qui séduit une certaine tranche de la population suisse.
À Zurich, le groupe Tertianum, avec sa résidence Zollikerberg, nous a impressionnés par son développement rapide et sa capacité à offrir des milieux de vie de grande qualité. Avec plus de 80 établissements à travers le pays, Tertianum rappelle certains grands groupes québécois, à la fois dans son modèle économique et dans sa vision de l'accompagnement des aînés.
Nous avons ensuite découvert un tout autre visage du vieillissement avec la Fondation SAW (Stiftung Alterswohnungen der Stadt Zürich), qui offre des logements adaptés et abordables à des personnes âgées autonomes, souvent à faible revenu. Ce qui frappe d’emblée, c’est la qualité des aménagements et des services proposés : rien n’indique qu’il s’agit de logements sociaux et le sentiment de dignité et d’autonomie est manifeste.
Enfin, la résidence Almacasa Friesenberg, spécialisée dans l’accompagnement de personnes atteintes de démence, nous a touchés par son modèle humain et profondément bienveillant. L’architecture, le rythme de vie, les activités : tout est pensé pour favoriser le bien-être, la sécurité et la stimulation quotidienne des résidents, même dans les stades avancés de la maladie.

TROIS VILLES, TROIS VISIONS COMPLÉMENTAIRES DU VIEILLISSEMENT
Ces trois étapes ont permis de comparer les approches francophone et germanophone en matière de soins et de constater que, malgré la diversité des modèles, une constante se dégage : la priorité au respect de l’autonomie et de la dignité des personnes âgées. Un point qui a particulièrement interpellé les participants est la durée moyenne de séjour en institution : deux ans et demi seulement. Cela reflète à la fois l’efficacité des soins à domicile et le fait que l’entrée en établissement pour aînés intervient souvent à un stade avancé de la perte d’autonomie. Cette donnée contraste avec certaines pratiques québécoises, où le séjour en résidence peut s’étendre sur plusieurs années.
UNE MISSION, DES RETOMBÉES DURABLES
Au-delà des visites, la mission d’étude a été un puissant catalyseur d’échanges entre les participants. Chaque soir, des séances de débrief collectif ont permis de partager impressions, interrogations et idées à ramener au Québec. Ces moments d’analyse croisée ont nourri une réflexion collective sur l’avenir des soins aux aînés.
Comme le souligne Marc Fortin, président-directeur général du RQRA : « Ce type de mission d’étude est bien plus qu’un voyage professionnel. C’est une immersion, une rencontre avec d’autres façons de faire qui nous force à sortir de nos cadres habituels. Ce que nous avons vu en Suisse ne doit pas être copié tel quel, mais nous devons en tirer des leçons pour bâtir un système plus humain, plus souple et plus durable aussi. »
Cette mission d’étude en Suisse s’inscrit dans la volonté du RQRA de garder le cap sur l’innovation, l’ouverture et l’amélioration continue. Dans un contexte québécois où les défis liés au vieillissement s’intensifient, cette immersion dans un modèle européen exigeant et nuancé a offert aux participants des pistes de réflexion précieuses. Il ne s’agit pas de reproduire la Suisse au Québec, mais de s’en inspirer pour construire un avenir où chaque aîné, quel que soit son lieu de vie, puisse recevoir les soins et l’accompagnement qu’il mérite.