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Les tarifs douaniers : une opportunité pour l'économie canadienne

Les tarifs douaniers : une opportunité pour l'économie canadienne

Ancien vice-premier ministre du Canada et premier ministre du Québec de 2003 à 2012, Jean Charest est l’une des personnalités politiques les plus connues du Canada. Il a notamment été l'initiateur de la négociation de l'Accord économique commercial et global (AECG/CETA) entre le Canada et l'Union européenne. Il a conclu avec la France l'entente de mobilité de la main-d'œuvre la plus moderne au monde et son gouvernement a livré le "Plan Nord", un plan de développement durable pour le nord du Québec. Jean Charest est associé au cabinet Therrien Couture Joli-Coeur.

Nous nous sommes entretenus avec Jean Charest à la suite du panel du RQRA tenu en mars dernier et auquel il a participé. Nous l'avons interrogé sur des sujets pour lesquels nous avons des inquiétudes dans notre secteur d’activité. Voici un aperçu des échanges que nous avons eus.

MONSIEUR CHAREST, DANS QUEL CONTEXTE AVEZ-VOUS ÉTÉ INTERPELLÉ À COLLABORER AFIN D’ÉTABLIR UNE STRATÉGIE EN LIEN AVEC LE SPECTRE DES TARIFS DOUANIERS AMÉRICAINS ?

En début d'année, j’ai été nommé au Conseil sur les relations canado-américaines lancé par premier ministre Justin Trudeau, en plus de me joindre au Conseil commercial Canada - États-Unis pour collaborer sur l’enjeu des tarifs douaniers et de l’ACEUM.

VOUS AVEZ EU PLUSIEURS ÉCHANGES SUR LES EFFETS POTENTIELS DES TARIFS DANS LES DIVERS SECTEURS DE NOTRE ÉCONOMIE. QUELLES SERONT LES CONSÉQUENCES LES PLUS PROBABLES DES TARIFS POUR LE SECTEUR DES RPA ?

À l’heure actuelle, l’imposition des tarifs douaniers américains ne vise que les biens et non les services. Le milieu des RPA est avant tout un secteur de prestation de services et de soins, lequel n’est pas directement tarifé entre le Canada et les États-Unis. Il est important de mentionner que les tarifs auront assurément des impacts sur l’économie. Cet effet est toutefois relatif si d’autres mesures sont mises de l’avant puisque le secteur non tarifé des services représente près de 70 % de notre économie.

SI LES SERVICES NE FONT PAS L’OBJET DE TARIFS DOUANIERS, DE QUELLE FAÇON CETTE MESURE AMÉRICAINE PEUT-ELLE ENTRAÎNER DES CONSÉQUENCES POUR LES RPA ?

La conséquence la plus probable des tarifs sera l’effet domino. Pour assurer la prestation de services, les RPA ont besoin de biens pour l’exploitation, tels la nourriture, les équipements, le matériel de services et de soins, ainsi que les produits destinés à l’entretien des bâtiments. Pour les projets en construction, les matériaux de construction et autres marchandises nécessaires à l’immeuble ou à l’ameublement seront également impactés par les tarifs. L’imposition des tarifs entraînera une inflation supplémentaire sur le prix des services rendus.

COMMENT LES RPA DOIVENT-ELLES FAIRE FACE À CETTE INFLATION ?

Il faudra évaluer l’achat des biens et l’inflation sur le coût relatif et la capacité des résidents à supporter cette augmentation des coûts. Il existe une limite à la capacité de payer des aînés, ce qui peut exercer une pression supplémentaire sur les prestataires de services.

COMMENT L’ÉCONOMIE CANADIENNE DOIT-ELLE RÉAGIR À CES TARIFS ?

Il est important de rester calme et d'éviter de réagir impulsivement. Nous constatons les changements fréquents de position de notre nouvel ami américain, d’où l’importance de garder le cap et de développer nos propres stratégies à court, moyen et long terme afin de favoriser notre économie. Les gouvernements doivent agir pour favoriser l’ouverture de nouveaux marchés à l’exportation et faciliter l’acquisition des biens en nouant de nouvelles alliances avec d’autres pays. Notre relation avec les États-Unis et les accords de libre-échange ne seront plus jamais les mêmes. Il est essentiel de saisir cette occasion pour rassembler les divers acteurs, stimuler notre économie et aborder les enjeux importants, dont celui de la faible productivité.

COMMENT DEVONS-NOUS COMPOSER AVEC L’IMPACT DES TARIFS DOUANIERS AU NIVEAU DE L’ALIMENTATION PAR EXEMPLE ?

Il faudrait préconiser l’achat de biens locaux, tout en acceptant que le coût puisse être équivalent au prix des denrées actuellement disponibles en provenance d’autres pays. Cette équivalence de prix doit tenir compte du fait que le coût des aliments locaux n’est pas affecté par les tarifs, notamment parce que les frais de transport sont généralement plus bas que le transport longue distance. De plus, l’achat local contribue à réduire l’impact environnemental et les émissions de carbone. Les personnes ou entreprises qui désirent acquérir de telles marchandises doivent comprendre que la marchandise locale n’est pas nécessairement moins chère, mais que les coûts sont beaucoup plus prévisibles. Les RPA devraient développer les compétences de leurs équipes d’achat pour rechercher un regroupement d’achats, notamment dans le secteur alimentaire et agricole.

De gauche à droite : Me Miriam Morissette, Therrien Couture Joli-Coeur ; M. Jean Charest, Therrien Couture Joli-Coeur ; M. Mario Lefebvre, Aviseo Conseil ; Marc Fortin, RQRA.
Crédit photo : RQRA

LA PRODUCTION AGRICOLE ET LES MARCHÉS ALIMENTAIRES PEUVENT-ILS RÉPONDRE À CETTE NOUVELLE DEMANDE ?

Nous avons de bons produits locaux, de belles terres pour les produire, mais il n’y a pas nécessairement de travailleurs locaux pour supporter cette production. Il faudra favoriser l’immigration si nous voulons accroître la production de produits locaux.

DANS CE CONTEXTE, COMMENT LES TARIFS DOUANIERS ET L’IMMIGRATION ONT UNE CERTAINE CORRÉLATION ?

L’imposition des tarifs devra être accompagnée de notre capacité à maîtriser toutes les notions liées à l’immigration, tant au niveau des gouvernements provinciaux que fédéral. Au cours des dernières années, les deux paliers de gouvernement ont perdu le contrôle sur l’immigration en ne maîtrisant pas suffisamment ces notions. Il y a souvent une confusion et une désorganisation dans notre système d’immigration. Les deux paliers gouvernementaux ont un travail important à accomplir afin de revoir le système d’immigration et réduire les obstacles qui ralentissent cette immigration. Tant le secteur public que le secteur privé doivent s’allier pour établir leur propre plan en matière d’immigration et le présenter aux gouvernements.

QUELLES SERAIENT LES MESURES POUR CONTRIBUER À UNE IMMIGRATION POSITIVE ?

Il faut une volonté réelle pour favoriser l’immigration. Selon moi, deux ingrédients s’avèrent primordiaux. Lorsque nous parlons d’immigration, cela doit automatiquement rimer avec le concept d’intégration. L’intégration a deux volets : celui de la personne et celui de la communauté. L’intégration d’une personne immigrante repose sur le travail et la maîtrise de la langue, tandis que l’intégration à la communauté dépend de la motivation bilatérale à s’intégrer, tant de la part de l’immigrant que de celle de la communauté qui l’accueille. Il est à noter que les populations immigrantes rencontrent souvent des difficultés au niveau de la langue. Quant à leurs enfants, ils vont obtenir un diplôme dans nos milieux scolaires et pourront ainsi contribuer à notre société tout en intégrant la communauté et en apprenant la langue. Il est essentiel de travailler collectivement à l’établissement d’une véritable culture communautaire. Il est indéniable que certaines RPA ont un impact significatif sur l’intégration des travailleurs qu’ils recrutent à l’étranger.

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