aux fenêtres de l’église. Au milieu des algues apparut le reflet furtif d’une peau d’anguille. Le vieillard serra le tout contre sa chemise crasseuse, la tête de l’anguille surgit entre ses mains ridées. L’homme jura. Le poisson, dans un dernier effort, avait glissé entre ses doigts. – Saloperie ! jura de nouveau le vieux Il se tenait toujours dans la même position, la mine défaite, écumant. – Pas de chance, dit Elias pour signaler sa présence. L’homme s’était redressé et le dévisageait avec une expression où se mêlaient à parts égales méfiance et haine. – Quoi ? aboya le vieux. Dégage ! C’est mon coin, ici. Elias prenait cette rue régulièrement et ne l’avait jamais croisé. – Je passe juste, dit-il. Je vais à… – Tu vas nulle part. Ici, c’est mon coin, répéta le vieux. Un bâton venait d’apparaître entre ses mains noueuses. Elias s’éloigna sans se retourner. Il remonta la rue et retrouva les premières maisons qui, bien qu’au sec, restaient pourtant abandonnées depuis la Catastrophe. Tout à l’heure, la mer se retirerait de la plupart des rues inondées. À la place ne subsisterait qu’un tapis d’algues fines et de vase noire recouvrant indifféremment pierres et carcasses de voitures. Il stoppa devant un immeuble. Celui-ci, comme tant d’autres, avait brûlé, mais la devanture en verre avait été en partie épargnée et offrait un morceau de vitre sale qui lui permettait d’apercevoir son reflet. Elias aimait s’arrêter ici pour se regarder. Il avait grandi en quelques
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