"Dictionnaire de la gastronomie et de la cuisine belge" de Jean-Baptiste Baronian - extrait

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Dictionnaire de la gastronomie et de la cuisine belges


Graphisme de couverture : Servane Tranchant © Éditions du Rouergue, 2019 www.lerouergue.com


JEAN-BAPTISTE BARONIAN

Dictionnaire de la gastronomie et de la cuisine belges ILLUSTRATIONS DE SÉVERIN MILLET



Avant-propos

Je ne suis pas cuisinier, je n’ai jamais essayé de le devenir. Je ne suis qu’un simple gourmet, ou peut-être qu’un simple gourmand. À moins que je ne sois les deux à la fois. Ce qu’on appelait naguère encore un bon vivant, une espèce humaine que les diététiciens et les nutritionnistes actuels, insensibles aux plaisirs et aux vertiges de la vie, ont tendance à méjuger. En tout cas, quelqu’un qui sait qu’un mets ou un vin se savourent comme un poème de Paul Verlaine, un tableau de James Ensor, un prélude de Claude Debussy, un roman de Georges Simenon*, un film de Billy Wilder ou une chanson de Georges Brassens, tout autant avec l’esprit qu’avec les sens. Oui, j’aime la bonne chère, les bons plats, les bons vins, les bonnes bières, et j’aime m’attabler dans de bons restaurants, lesquels ne doivent pas forcément être étoilés, et tant s’en faut, pour me satisfaire. Avec modération, bien entendu – un

terme qu’ Alexandre Dumas, malin et rusé comme il était, a pris soin de ne pas retenir dans son formidable Grand Dictionnaire de cuisine (écrit en 1870 et publié en décembre 1872). L’idée d’écrire le mien, beaucoup plus modestement, m’est venue lorsque j’ai fini un beau jour par me rendre compte que l’immense majorité des ouvrages sur la gastronomie et la cuisine ne constituent qu’une réunion de recettes et n’indiquent presque jamais l’époque exacte à laquelle celles-ci sont apparues, ni les circonstances précises dans lesquelles elles ont été créées, ni l’origine du nom qu’elles portent, à supposer qu’il y en ait un. Un exemple parmi d’innombrables autres : dans 760 Recettes de cuisine pratique (1919), l’auteur, Mme Franz Rens, décrit une série de potages : potage Albert, potage Ambassadeur, potage Agnès, potage Baltimore, potage Balzac, potage Cendrillon, potage Chalais, potage Chantal, potage

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Comtesse, potage de Cussy, potage Édith, potage Ellen, potage Emmy, potage Gérard, potage Gisèle, potage Henri II, potage Junon, potage Lamoricière, potage Meissonier, potage Monthléry, potage Solferino, potage Topol… Mais pas le moindre mot sur chacune de ces appellations. Pour être juste, il convient de dire que ce défaut apparaît déjà dans les livres anciens. Il suffit d’ouvrir l’importante et très riche Cuisinière bourgeoise de Menon, tant de fois rééditée depuis sa première publication en 1746 (même à Bruxelles en 1774), pour s’en apercevoir : potage à la Vierge, pigeons à la Marianne, gigot à la Mailly, carré de mouton à la Conti, canard au père Douillet, morue à la Stinkerque [sic], rôties à la Minime, œufs à la Bagnolet, fromage à la Princesse… Ou alors ces ouvrages ne colportent que de banales et approximatives généralités. Du genre : « Il s’agit d’une recette très ancienne », « L’origine de ce plat traditionnel remonte au Moyen Âge », « Ce plat ancestral est apprécié à Bruxelles », « Les Belges sont friands de cette préparation depuis des siècles », et tutti quanti… D’ailleurs, les livres de recettes de cuisine – quel que soit le pays ou la région auxquels ils sont consacrés – possèdent tous, ou presque tous, un dénominateur commun : ils relèguent leurs lecteurs au rang de braves, débonnaires et dociles exécutants. J’ai aussi fini par constater que les très nombreuses histoires de Belgique ne parlent pas de gastronomie et de cuisine, tout se passant comme si les Belges avaient traversé les âges sans manger ni boire, ou à 8

tout le moins sans jamais se soucier de leur alimentation. Comme si les nourritures tombaient du ciel directement dans leur assiette et allaient de soi. Qui plus est, il n’est jamais question de cuisinier, de chef, ni de spécialiste de l’art culinaire dans ce type d’ouvrage. L’important Dictionnaire d’histoire de Belgique, par exemple, publié sous la direction d’Hervé Hasquin en 2000 chez Didier Hatier, et totalisant plus de cinq mille articles, n’en mentionne aucun, sauf parfois d’une manière indirecte. L’écrivain Maurice des Ombiaux* y a ainsi droit à une petite entrée, où il est dit qu’il a été un « épicurien raffiné », qu’il a eu une « carrière de chroniqueur gastronomique » et que ses confrères lui ont décerné le titre de « Cardinal du Bien-Manger ». Et c’est tout. Je n’ai retenu ici que ce qui est spécifiquement et originellement propre à la gastronomie et à la cuisine belges. Ce n’est pas, en effet, parce qu’une préparation quelconque est l’invention d’un chef d’un restaurant belge ou parce que tel ou tel plat est accommodé à la mode dite belge, ou à certains modes culinaires d’une région de la Belgique, qu’il est belge pour autant. Et ce n’est pas non plus parce que des recettes de cuisine se trouvent dans des livres rédigés par des maîtres queux belges, étoilés ou non, qu’elles ressortissent automatiquement à la cuisine nationale. Mais cela ne veut pas dire que je ne m’incline pas devant leurs prouesses. Jean Anthelme Brillat-Savarin n’a-t-il pas écrit en tête de sa célèbre Physiologie du goût (1826) que la découverte

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d’un mets nouveau faisait plus « pour le bonheur du genre humain que la découverte d’une étoile » ? Le présent volume, le premier sur le sujet, j’aurais pu, au fond, l’intituler Dictionnaire amoureux de la gastronomie et de la cuisine belges, dans l’esprit de mon Dictionnaire amoureux de la Belgique paru chez Plon en 2015. Car il y va bel et bien d’un vagabondage sentimental et gourmand, mais aussi argumenté et rigoureux, à travers lequel la littérature gastronomique et la littérature tout court (ancienne et moderne) occupent une place de choix, grâce à toute une série de citations. Elles sont le plus souvent, je crois, très éclairantes et apportent à mes propos des prolongements curieux, une façon plaisante (poétique ?) de conjuguer nourritures terrestres et nourritures spirituelles. J’ajoute qu’un grand nombre de ces citations proviennent de textes d’auteurs belges qu’on ne lit et qu’on ne cite plus guère aujourd’hui, et qui mériteraient sans conteste d’être réévalués. À de rares exceptions près, les marques (de chocolat, de bière ou d’autres produits) ne font pas l’objet d’une entrée particulière, mais je les évoque çà et là tout au long du livre. Il est ainsi question de l’Orval, de la Rochefort ou encore de la Westmalle à l’entrée « Trappiste », de la biscuiterie Dandoy à l’entrée « Pain à la grecque » ou des sauces La William à l’entrée « Sauce andalouse ». Si j’avais traité les marques, mon dictionnaire n’aurait été qu’un interminable répertoire, une sorte de Bottin commercial, et non pas le vagabondage sentimental et gourmand (et,

selon les entrées, un tantinet érudit) que j’ai voulu écrire. Les cafés et les restaurants, eux non plus, ne font pas l’objet d’une entrée, si ce n’est par certains grands chefs interposés, comme le Comme chez soi à Bruxelles à l’entrée « Wynants*, Pierre » ou De Karmeliet à Bruges à l’entrée « Van Hecke*, Geert ». Qu’on consulte des guides spécialisés parus il y a à peine trente ou quarante ans, voire il y a tout juste une décennie, on s’apercevra, non sans surprise, que la plupart des bonnes tables et des restaurants mentionnés n’existent plus et n’ont guère laissé de trace tangible de leur existence. Il est vrai qu’une bonne table ou un bon restaurant est, au premier chef, et sans mauvais jeu de mots, une affaire personnelle – l’affaire d’une ou de plusieurs personnes passionnées –, et il suffit que ces dernières disparaissent ou se retirent pour que leur établissement ne leur survive pas. Ou pour que leur réputation aille assez vite à vau-l’eau. Et puis ces guides spécialisés couvrent fort bien la matière, quoiqu’ils n’abordent que très rarement l’histoire des tables et des restaurants sur lesquels ils s’attardent peu ou prou… Bien entendu, mon livre n’a pas la prétention d’être exhaustif, et il ne cherche pas davantage à parler de chacune des mille et une composantes du manger et du boire en Belgique. Une mission impossible, de toute manière. Même en conviant Tom Cruise à partager mes pérégrinations. Mais j’ignore s’il est fine gueule et s’il sait où se

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situe la Belgique sur la carte du monde (de nouveau sans mauvais jeu de mots). D’autres précautions oratoires ? Lesquelles sont, comme personne ne l’ignore, les excuses préférées des auteurs hypocrites, des auteurs frileux et des auteurs qui ont parfaitement conscience que leur propos reste très général et très évasif. Non, je n’en vois pas.

Ou dois-je recourir à une prétérition, subtile figure de rhétorique consistant à dire qu’on ne va pas dire ceci ou cela, mais qu’on s’empresse de dire quand même ? Faut-il ainsi que je précise que l’astérisque à la suite d’un mot ou d’un nom propre renvoie à une des entrées du dictionnaire ? Jean-Baptiste Baronian


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D’aucuns ajoutent qu’il est de la plus grande imprudence de tenir dans sa bouche une anguille vivante (elle est très vorace et très forte) et qu’en avaler une par accident risque de causer la mort… Jacques Christophe Valmont de Bomare, dans son Dictionnaire raisonné universel d’histoire naturelle (1764), rapporte les anecdotes suivantes : « On dit que quelques Maquignons introduisent ses anguilles dans le fondement des chevaux pour les faire paraître plus gras & plus alertes. On dit aussi qu’il y a des Maréchaux qui font prendre par la bouche à un cheval poussif une anguille en vie, pour qu’elle le purge en passant à travers les intestins. » Dans Les Flandres, jardin secret de l’Occident (1993), l’écrivain et journaliste flamande Rosine De Dijn, auteur de Belgique, pays de cocagne (1999), apporte ce commentaire : « Dans son potager, Charles-Quint fit planter de délicieuses herbes aromatiques : anis, coriandre, cumin, moutarde, menthe, sauge, sarriette, fenouil, ail, persil, échalotes, oignons et ciboulettes. À l’époque, les pêcheurs flamands ramassaient des herbes telles que l’oseille, le cresson, le cerfeuil, le laurier, l’estragon, l’aneth et le persil sur les berges des rivières et des étangs, là où ils pêchaient l’anguille durant l’été. […] Depuis toujours [?], l’anguille est associée aux étangs de Flandre orientale, de Berlare (Overmere-Donk), aux eaux du vieux bras de l’Escaut ainsi qu’aux rives limbourgeoises de la Meuse. » Et Rosine De Dijn de citer d’autres villages « nichés contre les digues de l’Escaut » et valant « largement 24

le détour » : Mariakerke, Hingene, Eikevliet et Saint-Amand, là où est érigée la tombe d’Émile Verhaeren. On pourrait ajouter Sint-Anneke, où on déguste les anguilles au vert (ainsi que des moules) dans des « guinguettes au bord de l’eau » (dixit Gaston Clément). « Le temps est loin où l’Escaut recelait encore des anguilles fraîches et saines, remarquent toutefois Peter Goossens* et Geert Van Hecke* dans La Cuisine belge étoilée (2009). Étant donné sa haute teneur en matières grasses, l’anguille accumule beaucoup de polychlorobiphényles [des hydrocarbures halogénés] et d’autres matières polluantes, de sorte qu’il est désormais mauvais pour la santé de manger de l’anguille sauvage. Les anguilles fraient dans l’océan Atlantique (dans la mer des Sargasses) et le Gulf Stream. Douze mois plus tard, c’est là qu’elles arrivent à l’état de civelles pour gagner ensuite des eaux plus chaudes où elles deviendront adultes. Les anguilles que nous mangeons ont entre cinq et cinquante ans. Aujourd’hui, pour préparer le plat classique qu’est l’anguille au vert, on utilise surtout l’anguille d’élevage. Elle est un peu plus grasse et se prépare donc avec moins de matières grasses. » Pour Louis Willems*, l’anguille au vert réclame obligatoirement « quatorze herbes condimentaires et légumes verts » (La Cuisine belge, 1999). Mais il n’en faut que huit, écrit-il, « toutes complémentaires sous l’angle du goût et des saveurs », pour faire une terrine d’anguilles au vert (La Cuisine bruxelloise, 1998). Mais dans Cuisiner à la flamande (2007), Mario Cattoor en préconise

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Bouname

Originaire de Verviers, le bouname est une variété de couque*, qui a forme, assez grossière, d’un bonhomme et qu’on donne aux enfants sages le 6 décembre, le jour de la fête de saint Nicolas, à Liège et un peu partout dans la province de Liège. Il était autrefois fait en pâte à pain, à laquelle on ajoutait du sucre concassé et des raisins de Corinthe. Cette pâte a par la suite été améliorée avec du beurre, du lait et des œufs, et garnie de sucre candi ou parfois d’un collier de sucre coloré.

Bouquette

En wallon liégeois, ce terme, qui désigne une crêpe levée à la farine de sarrasin, frite à la poêle avec du beurre ou de l’huile, dans laquelle on ajoute en général des raisins secs de Corinthe (des « corintènes ») ou des petits morceaux de pomme, s’orthographie « boûkète ». Le mot est emprunté au néerlandais « boekweit », qui désigne le sarrasin, le blé noir, importé de l’Asie en Europe au xve siècle. Pour l’historien et folkloriste Eugène Polain, cette spécialité du pays de Liège serait originaire de la région de Looz et de celle de Tongres, et aurait été apportée dans la Cité ardente au xviiie siècle par les princes-évêques et les nobles limbourgeois d’expression flamande. Elle appartiendrait au rite funéraire de la Toussaint. En réalité, depuis le milieu du xixe siècle, la bouquette se mange durant les fêtes de Noël, du réveillon à la Chandeleur, accompagnée de vin chaud ou de café au lait sucré.

Elle se mange aussi avec un verre de péket* le 15 août, la date à laquelle se déroulent les fêtes de la République libre d’Outremeuse, le quartier populaire de Liège, où Georges Simenon* a vécu une partie de son enfance et de sa jeunesse. Elle est également fort appréciée dans les Fagnes, où on la tient parfois pour une spécialité régionale. « Les vieux savouraient le genièvre cristallin du pays. Le “bouquette” volait en l’air et retombait dans la poêle. » Jean Tousseul, « La veillée de Noël », Images et souvenirs (1931). « Chaque semaine, tous les garçons mariés apportent à leur mère faux-cols, manchettes du dimanche et plastron, car elle seule sait repasser. Elle seule sait faire aussi la saucisse et le boudin blanc, et les bouquettes de Noël, et les gaufres* de Nouvel An. » Georges Simenon *, Pedigree (1948). « De la soupe au boudin (sope al brôwe) aux bouquettes, ce fut parfait. […] Déplorons cependant qu’on n’eût pas apprécié davantage l’excellence de ce menu et surtout la saveur particulière des bouquettes à l’huile de navette. Sans doute la plupart des convives eussent-ils préféré les huîtres, la dinde et la bûche ? C’est dommage, car la cuisine ardennaise ne s’accommode nullement de ces louables… banalités. » Antoine Freyens, « Noël fagnard », Reflets du tourisme (n° 6, novembre-décembre 1957). Voir aussi : Vôtes

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Bouzette

La bouzette est une friandise, spécialité de la ville hennuyère d’Enghien (dont l’église gothique Saint-Nicolas abrite un carillon de cinquante et une cloches). Elle ressemble fort à la tarte au maton*. Grand amateur et connaisseur de pâtisseries, Gaston Clément* en détaille l’appétissante recette dans Gastronomie et folklore de chez nous (1957).

Brabançonne (à la)

« Cette garniture mérite son nom par la présence de produits du Brabant : endives braisées, pommes fondantes, voire de jets de houblon* à la crème. Elle ne se fait que pour les grosses pièces de boucherie. » Collectif, Dictionnaire de l’Académie des gastronomes (1962). Dans le n° 2 du mois de juin 1948, la revue L’Échanson des gourmets (où figurent toujours un grand nombre de menus) propose la recette « originale bruxelloise » des tripettes à la brabançonne : « Ce plat de déjeuner, qui n’est pas des tripes, mais de la langue, de l’oreille et du pied de porc coupés en lanières, accompagnés de chipolatas, se sert en même temps que des pommes de terre cuites à la vapeur. Comme les viandes qui le composent sont à dégorger pendant une journée et à cuire pendant quelques heures, on commence dès l’avant-veille. » Voir aussi : Garniture

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Bruegel kop

C’est là le nom d’un fromage de tête bruxellois – tête de porc pressée* en gros morceaux avec « beaucoup de maigre », comme l’indiquent Simonne et Louis Binnemans dans Les Belles Heures de la gastronomie bruxelloise (1984), du persil, de l’échalote, des fines herbes bien hachées et des champignons de prairie. On écrit aussi bruegelkop en un seul mot. Cette spécialité charcutière de la capitale n’est plus guère préparée de nos jours.

Bruneau, Jean-Pierre

Quel est le secret de ce chef d’exception (né en 1945), dont on a pris la drôle d’habitude d’écrire qu’il officiait « à l’ombre » de l’imposante basilique de Koekelberg, avenue Broustin à Ganshoren ? D’innombrables gourmets se sont posé la question et se la posent toujours. Peut-être, tout simplement, le fait que lorsque Jean-Pierre Bruneau, à l’âge de quatorze ans à peine, était un apprenti à l’Hôtel de la Poste, à Dinant, il a commencé par peler des œufs durs, trois cents par jour. « C’est ainsi que l’on découvre d’emblée le côté pénible de la profession. Lorsqu’on demande aujourd’hui à un ou une stagiaire de tourner à la main dix litres de mayonnaise, il ou elle vous regarde comme si vous étiez devenu fou. Mais c’est à la façon dont les jeunes exécutent ce genre de travail que l’on voit immédiatement s’ils sont faits pour ce métier. Il m’arrive de présenter aux nouveaux un plein cageot d’épinards. Il faut qu’ils se rendent compte qu’éplucher les légumes, décortiquer les

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crevettes ou gratter les coquillages font partie intégrante de la cuisine. Et l’exécution parfaite de ces petits travaux leur apprend la discipline, la précision, l’efficacité, la rapidité, la propreté et l’ordre. Bref, la maîtrise d’un métier » (Nest Mertens, Bruneau à Bruxelles, 2001). Après l’Hôtel de la Poste, JeanPierre Bruneau est passé successivement par le Club Astoria, le mess des officiers supérieurs belges à Cologne, l’Hôtel de la Gare à Feurs (entre Saint-Étienne et Roanne), l’Auberge des Templiers aux Bézards (entre Gien et Montargis), le Harvey’s Restaurant à Bristol, les Maisières, le nouvel ensemble de restaurants du quartier général du SHAPE près de Mons et le Grand Veneur à Keerbergen – un parcours en zigzag géographique, qui l’a conduit un beau jour de mars 1975 au nord de l’agglomération bruxelloise, mais cette fois chez lui, en pleine lumière, et très vite dans le firmament de la grande gastronomie, puisque aussi bien dès 1977, deux ans seulement après l’ouverture de son restaurant, il décrochait sa première étoile. La deuxième, Jean-Pierre Bruneau l’obtiendra en 1982 et la troisième dix ans plus tard. Ce qui est notable chez ce chef, qui a cédé son illustre établissement en janvier 2018 à son second, Maxime Maziers, c’est qu’il n’aura jamais hésité à cuisiner belge, non seulement en s’attachant à des produits tels que les crevettes grises* de Zeebrugge, les chicons*, les coucous de Malines* ou la gelée d’Eau de Villée*, mais en outre en imaginant des mets à la bière : soupe à la gueuze*, filets de sole soufflés aux witloofs

à la kriek lambic* Belle-Vue, noix de ris de veau à la Saint-Feuillien accompagnées de jets de houblon*…

Bruxelloise (à la)

« La garniture à la bruxelloise est faite de choux de Bruxelles* (naturellement) et de pommes fondantes ou château. Elle va avec toutes les pièces de boucherie. » Les œufs à la bruxelloise (mollets, pochés, sur le plat) comportent des endives, étuvées ou braisées, et une sauce crème. » Collectif, Dictionnaire de l’Académie des gastronomes (1962). En réalité, l’expression est plus générale et recouvre des façons culinaires typiquement bruxelloises ou des recettes de cuisine connues jadis ou naguère à Bruxelles. Dans sa célèbre Cuisinière bourgeoise, dont la première édition date de 1746, Menon donne ainsi la recette du « canard à la Bruxelle » [sic], qu’il présente comme une entrée, mais où il ne parle pas de choux de Bruxelles ni de pommes fondantes. Les ingrédients qu’il énumère sont la ciboule, le persil, les champignons, les oignons, les carottes, les panais, les échalotes, le bouquet garni ainsi qu’un morceau de lard « bien entrelardé ». Cette vieille recette, la seule qui soit « à la Bruxelle » chez Menon, n’est reprise ni par Philippe Cauderlier*, ni par Jean De Gouy*, ni par Gaston Clément*. Un article du Journal de la cuisine* décrit, dans le numéro du 2 octobre 1890, la recette de la carpe à la bruxelloise, mais sans référence aucune non plus aux choux de Bruxelles et aux pommes

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été particulièrement difficile, étant donné qu’il n’aura « eu à sa disposition que des photographies, toutes de face, n’apportant aucun élément comme profil ».

Corne de gatte :

voir Plate de Florenville

Cornue

Ce mot, si familier chez les sorciers et les sorcières, fait partie du vocabulaire de la pâtisserie dans le Hainaut. Il s’agit d’une gosette*, c’est-àdire d’un chausson aux fruits. Voir aussi : Gosette

Corsendonk

Corsendonk est d’abord une marque de bière, fort appréciée par les chefs. Elle tient son nom d’un ancien prieuré augustinien fondé en 1395 (ou 1398 selon d’autres sources), tout près de l’actuelle commune de Oud-Turnhout, sur des terres données peu de temps avant sa mort par Marie de Brabant, la fille du comte Jean III de Brabant (1300-1355). Huit de ses variétés, dont la Corsendonk Pater et la Corsendonk Agnus, lancées avec succès en 1992, à l’occasion du cent vingt-cinquième anniversaire de la commune de Oud-Turnhout, sont commercialisées en bouteilles. Elles sont toutes brassées par d’autres brasseries, et plus particulièrement par la Brasserie du Bocq à Purnode (à une petite dizaine de kilomètres au nord de Dinant), après que la brasserie de Corsendonk, fondée en 1906 par

Antoine Keersmaekers, a fermé ses portes en 1953. Caractéristique fort peu courante et justifiant que j’en parle ici : les bouteilles de Corsendonk n’ont pas d’étiquette, si ce n’est une mince languette autour du col. Corsendonk est par ailleurs le nom d’un fromage à pâte à moitié dure présentant des trous minuscules. On le reconnaît par sa forme oblongue aux angles arrondis. Très crémeux, un rien boisé, il offre d’excellentes caractéristiques de fonte, idéales donc pour les gratins, les fondues, les croque-monsieur et croque-madame et les croquettes. C’est la raison pour laquelle elle est parfois appelée fromage de table. Nul besoin de préciser que le fromage Corsendonk et la bière Corsendonk forment un couple parfait. Une autre spécialité de la commune est un pain aux noisettes mondées et aux oignons, qui se marie très bien avec le filet d’Anvers*.

Coucou de Malines

Le coucou de Malines (« mechelse koekoek » en flamand) n’a strictement rien à voir avec l’oiseau des bois du même nom, et il n’est pas non plus, il va sans dire, une horloge, fût-elle de fabrication malinoise. Ni davantage un avion mal entretenu. Ni un habitant francophone de Malines, qui arriverait quelque part à l’improviste et s’écrierait : « Coucou, me voilà ! » En 1850, afin d’obtenir une volaille de poids, des aviculteurs de la région de Malines eurent l’heureuse idée de faire croiser des poules grises de

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cuire une demi-heure. « Versez dans un linge de grosse toile et tordez au-dessus d’un vase rempli d’eau froide. Le beurre se fige, on le prend et on l’ajoute à la sauce. » Il y a aussi les œufs brouillés aux crevettes grises, les bouchées aux crevettes grises, les canapés de crevettes grises, la mayonnaise de crevettes grises (que Gaston Clément conseille de manger avec des feuilles de laitue, des cornichons et des tranches d’œufs durs), la bisque de crevettes grises, les crevettes grises à la sauce blanche, les coquilles de crevettes grises, la sauce hollandaise aux crevettes grises, le vol-au-vent de crevettes grises, le poulet aux crevettes grises… Bref, pour paraphraser le titre d’un recueil poétique de Francis Ponge publié en 1948 : la crevette dans tous ses états. De quoi se griser. En 1950, le syndicat d’initiative d’Oostduinkerke, qui a fusionné avec la commune de Coxyde en 1977 et où on pratique encore la pêche équestre, a lancé la fête de la crevette. Chaque année, elle se tient l’avant-dernier dimanche de juin et à l’occasion de laquelle a lieu l’élection de Mieke Garnaal – la Môme Crevette –, un titre que se disputent de très nombreuses jeunes pêcheuses en costume d’apparat. L’heureuse élue a droit à un privilège insigne : défiler fièrement sur le dos d’une crevette géante de quelque dix mètres de longueur, tout au long d’un cortège réunissant plus de mille participants, sous les yeux d’une foule en liesse. La tradition de pêche à cheval semble remonter au xvie siècle. Sa technique n’a guère changé : l’animal 96

est équipé de paniers et d’une haute selle de bois, sur laquelle se hisse le pêcheur, qu’on appelle le crevettier (un terme qui désigne également le type de bateau pour la pêche aux crevettes) et qui est vêtu d’un ciré jaune. Du mois de mai au mois d’octobre, l’équipage pousse parfois assez loin au large une sorte de chalut de plusieurs mètres d’ouverture fixé sur deux panneaux latéraux, qui provoquent des vibrations telles que la crevette se jette dans le filet. « Dieu, quelle boue mouvante ! Un fouillis de vie grise. Des éclairs d’argent. De longues langues vertes et brunes. Tout ce grouillement confus est passé au tamis par les pêcheurs bottés jusqu’aux genoux. De toute cette flore, de cette incroyable faune marine, seules les crevettes et quelques soles seront conservées. Le rebut est rejeté à la pelle à la mer. » Un panier regorge d’une espèce de gros vers gris. Il est descendu à la cale. Son contenu est cuit dans l’eau de mer. Une forte odeur de saumure monte du fond du bateau. » Marcel Vanhamme, « Crevettier ! », En Voyage (n° 6, juin 1934). « Une nuit elle ne vint pas mais Josse l’aperçut le lendemain à midi, jouant dans l’eau près de la plage. Les pêcheurs à cheval, hautement bottés, poussaient leurs montures dans la vague, avec leurs filets à la traîne. » Lucienne Desnoues, La Pierre vive (1957). « Dans toutes ses entreprises Papa œuvre en esthète. Ce qui ne lui interdit ni discipline, ni rigueur.

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les pays tempérés ». Son appellation est celle du terroir où elle est cultivée, non seulement Wépion, section de Namur depuis la fusion des communes de 1977, mais aussi des localités mosanes voisines comme Dave, Malonne, Bois-de-Villers ou Profondeville. Quoique des écrits attestent qu’il y avait déjà des fraises à Wépion aux xviie et xviiie siècles dans des jardins de familles aisées, elles ne sont réellement produites que vers les années 1880, après qu’un cultivateur reçoit des stolons issus d’une variété de fraises venues de France : les fraises Marguerite Le Breton (ou Marguerite Lebreton ou encore Marguerite tout court). Elles sont parmi les plus grosses et les plus fertiles qui éclosent en Europe occidentale : coniques, allongées, rouge vermillon, avec une chair rosâtre très juteuse et très fondante. Elles étaient alors vendues dans des pots de grès spéciaux servant à leur transport. Mais aujourd’hui, d’autres variétés y sont davantage cultivées et appréciées : Darselect (obtenue par la société girondine Darbonne en 1994), Elsanta (elle a l’avantage de se prêter à toutes les formes de culture, dont la culture sous plastique) et Lambada, peut-être l’espèce la plus recherchée à Wépion pour son parfum et pour son goût, et dont on prétend qu’elle est la fraise des gourmets par excellence. « En raison de sa saveur, de sa belle couleur rouge, de sa forme magnifique et de son calibre, la [Lambada] constitue une fraise superbe pour les pâtissiers, les restaurants gastronomiques… ou à manger sur le pouce » (Stefaan Van Laere, La Fraise, 2006). Encore 134

faut-il ne jamais l’équeuter avant de la laver… La fraise de Wépion n’est pas vendue avant le 15 mai de chaque année. Lors de la saison de production, les fraisiéristes, ainsi qu’on les nomme, proposent leurs récoltes au marché de la criée, où les prix sont fixés par des enchères décroissantes. Ce marché, réservé aux professionnels, est une attraction locale. La grande concurrente de la fraise de Wépion est la fraise d’Hoogstraten, dans la Campine anversoise. Sa criée, fondée en 1933, est la plus importante d’Europe. Dans son livre Comment préparer les fruits (1942), Gaston Clément* donne une bonne vingtaine de recettes aux fraises. La plus surprenante est ce qu’il appelle le « vin du goutteux » : « Pressez au travers d’une étamine un kilo de fraises pour en extraire le jus que vous mesurez ensuite. Pour un litre de jus ajoutez un kilo de sucre et laissez fondre doucement sur le côté du feu. Lorsque le sucre est bien fondu, ajoutez un litre d’alcool, et mettez en bouteilles. Au bout de quelques jours il se formera un dépôt dans le fond ; décantez avec soin dans une autre bouteille, et employez par petits verres. » Ces derniers mots si désuets sont savoureux. « Le premier fruit que la divine Providence accorde à nos tables et qu’on regarde à Paris comme un des plus distingués, ce sont les fraises. C’est aussi l’un de ceux dont on jouit pendant un plus long espace de temps car, dans les années hâtives, elles paraissent ici dès la fin d’avril, et l’on en mange encore dans le mois

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