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LA BANLIEUE À L’HORIZON

Le Mans, chef-lieu de cité des Aulerques Cénomans durant l’Antiquité, capitale du comté du Maine au Moyen Âge et aujourd’hui préfecture du département de la Sarthe, s’étend sur 5 281 hectares. Ses frontières administratives se sont insensiblement élargies, absorbant les paysages dans lesquels la ville construite s’est progressivement dilatée. Pour comprendre cette évolution, l’étude d’inventaire du patrimoine s’est intéressée à plusieurs quartiers périphériques. Quatre communes, rattachées au Mans au milieu du xixe siècle – Saint-Pavindes-Champs et Saint-Georges-du-Plain sur la rive droite de la Sarthe, Sainte-Croix et Pontlieue sur la rive gauche –, ont formé le cœur de cette recherche. Il s’agissait donc d’observer la ville non par son centre, mais par sa périphérie et de souligner le rôle fondamental joué par l’habitat dans la construction du territoire périurbain, en particulier aux xixe et xxe siècles. L’analyse de ces espaces propose de renouveler le regard porté sur ces zones de banlieues et de faubourgs, de présenter un patrimoine méconnu et pourtant central pour la compréhension de la ville moderne et de son histoire.

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À la Révolution, Le Mans devient chef-lieu du nouveau département de la Sarthe. Alors que les paroisses étaient profondément rurales, le nouvel usage qui est progressivement fait de leurs terres provoque leur urbanisation. Les nouvelles communes de Saint-Pavin-des-Champs, L’Unité-sur-Sarthe (Saint-Georges-du-Plain en 1793), Croix-Gazonfière (Sainte-Croix en 1793) et Pontlieue acquièrent une indépendance politique et territoriale qui bouleverse à long terme leur physionomie. Les premières décennies du xixe siècle sont marquées par une forte misère sociale. Comme sous l’Ancien Régime et à l’exception de Sainte-Croix, les communes limitrophes concentrent une part importante des indigents. Pourtant, à partir de 1820, on assiste à un accroissement sans précédent de la démographie de Pontlieue et de Saint-Pavin-des-Champs, qui voient leur population tripler en trente ans. Il en va de même à Saint-Georges-du-Plain, dont la population double, et à Sainte-Croix, où elle est multipliée par sept jusqu’à la fusion avec Le Mans, en 1855, ce qui marque le passage d’un paysage rural à un paysage urbain.

TRANSFORMATIONS D’UN TERRITOIRE DE BANLIEUE

De 1789 à 1799, Le Mans reste en proie à des troubles malgré la paix de c ompromis signée en 1796, qui vise à mettre fin à la guerre de Vendée. Dans le registre des arrêtés de la police générale, un rapport daté de l’an IV (1795-1796) révèle une situation critique. Les communes limitrophes jouent un rôle de tampon et sont donc le théâtre de plusieurs combats meurtriers. Le 8 décembre 1793, afin d’arrêter les troupes vendéennes, le pont de Pontlieue, construit vers 1690, est détruit. Dans le même temps, une vaste entreprise de mutation de propriétés, par la saisie puis la vente des biens nationaux, a, au Mans et dans sa région, une incidence sans précédent. Au xviiie siècle, dans la Sarthe, les biens de l’Église équivalent à 65 000 hectares, soit 10,47 % du territoire. La lecture des cahiers de doléances de 1789 confirme la richesse du clergé, identifiée et dénoncée par le tiers état. Dans le district du Mans, ce pourcentage s’élève à 16,5 % du fait de l’importante concentration des communautés religieuses. Leurs biens immobiliers, dont la chapelle dite Saint-Blaise, à l’ouest de la commune de Sainte-Croix, sont vendus à partir de 1790. Elle revient avec l’ensemble du bordage à la célèbre famille Lechat-Deslandes, proche du présidial avant la Révolution. De même, la propriété de Funay à Pontlieue est acquise par la famille Richard de Fondville, anoblie en 1762. La sociologie des acquéreurs, analysée par Charles Girault, est variée,

La seconde moitié du xixe siècle ouvre une période de grands bouleversements structurels. La fusion avec les communes de Sainte-Croix, Saint-Pavin-des-Champs et Saint-Georgesdu-Plain, en 1855, puis avec Pontlieue en 1865, agrandit le territoire communal à plus de 5 000 hectares. L’espace urbain poursuit sa progression pendant la IIIe République, soutenu par de grands travaux d’aménagement et l’installation des premières industries locales, qui prennent une envergure nationale. Le Mans revêt, en cette seconde moitié du xixe siècle, les traits d’une grande ville industrielle, également dotée d’activités tertiaires dont certaines sont liées à son statut administratif. Alors que le cœur de ville se transforme, notamment grâce à l’embellissement et l’assainissement des îlots anciens, des lotissements concertés s’installent dans les franges de la ville. Une véritable pensée urbaine se met en forme.

1855-1865 :

L’ANNEXION

Dès les premiers indices d’une urbanisation en « tache d’huile » autour du Mans, la municipalité considère que la fusion permet de rendre régulier le plan de la ville et de ses faubourgs. Plusieurs solutions sont envisagées, mais toutes conduisent à annexer en priorité la commune de Sainte-Croix, où se sont installées plusieurs grandes familles mancelles. Les arguments de la Ville du Mans sont avancés à partir de 1835 à travers les rapports quasi annuels qui rendent compte des observations sur le projet de réunion. La ville doit fusionner avec Sainte-Croix, car la partie agglomérée de cette commune est située à proximité des promenades, des salles de spectacle et de la préfecture, dont profitent les habitants de Sainte-Croix sans payer les mêmes taxes que les Manceaux. Pour Saint-Pavin-des-Champs, la continuité urbaine brouille la frontière entre les deux communes, ce qui justifie également le projet. Les communes limitrophes dénoncent la volonté du Mans de passer à plus de 20 000 habitants pour augmenter, notamment, les taxes d’entrée des boissons. Une enquête menée en 1848 révèle les inquiétudes des habitants de Saint-Pavin-des-Champs : ils souhaitent conserver leur statut en dehors de l’octroi, qui les exempte de taxes. Le cas de Saint-Georges-du-Plain est particulier. Une délibération du conseil m unicipal le 22 avril 1822 rejette la proposition de fusion avec Saint-Pavin-des-Champs pour des raisons de sécurité. La fusion entraînerait la suppression des postes d’agents de police et d’administrateurs à Saint-Georges-du-Plain : ainsi « les malfaiteurs vagabonds pillards profiterer de cette supresion pour être encore plus hardi que jamais à piller » (sic). La commune relativement pauvre de Saint-Georges-du-Plain ne fait, dans un premier temps, pas partie des projections mancelles. Pourtant, l’aménagement du port, l’implantation d’établissements proto-industriels et surtout la présence d’équipements essentiels, tels que l’usine à gaz ou la gare de transbordement à partir des années 1830-1840, tendent à faire reconsidérer la position du Mans à l’égard de la commune. Dans ces trois cas, les franges des communes constituent un espace d’étroite interdépendance avec Le Mans. La pression sur les conseils municipaux pour accepter la fusion s’intensifie au début de l’année 1855. Une note de la Direction générale des douanes du 17 mars indique les droits d’entrée à prévoir dans la ville pour les vins, les cidres et les alcools. Pour la première fois, ces taxes ne concernent plus uniquement Le Mans, mais également les communes agglomérées. Le 28 mars, une délibération du conseil municipal du Mans annonce le versement d’une subvention pour la construction d’une église à SainteCroix, à condition que la fusion soit réalisée. Celle-ci est finalement actée pour les communes de Sainte-Croix, Saint-Georges-du-Plain et Saint-Pavin-des-Champs en avril 1855 et la loi est promulguée le 5 mai. Le 16 mai, la dernière réunion du conseil municipal de SaintPavin-des-Champs prononce la vente du mobilier de la mairie avant le rattachement de la commune au Mans.

La fusion avec Pontlieue se révèle plus complexe. Une lettre du maire du Mans au préfet de la Sarthe datée du 30 août 1837 indique que dans la p artie nord de Pontlieue « les constructions vont bientôt se joindre avec le quartier de la Cavalerie ». Le maire poursuit en demandant au moins le rattachement de la section située au nord de l’Huisne, qui correspond à la partie la plus agglomérée, limitrophe du Mans. Mais Pontlieue est p eu u rbanisée et l’annexion d’une partie de la commune est rapidement écartée par le préfet. Réunir Pontlieue au Mans au moment où le débat porte déjà sur les trois autres communes limitrophes reviendrait à agrandir considérablement le territoire manceau. Or, le caractère rural de la majorité des terres est vu comme une charge trop importante. Pourtant, le rapport du Conseil d’État actant la fusion du Mans avec Sainte-Croix, SaintPavin-des-Champs et Saint-Georges-du-Plain dénonce l’absence de Pontlieue. Les remarques concernent principalement la zone entre la voie ferrée et l’Huisne, sur laquelle « les fraudeurs [de l’octroi] ne manqueraient pas d’exploiter les facilités que leur présenterait cette confusion des territoires ». En août 1864, le maire du Mans évoque la commune de Pontlieue, dont la population a augmenté de 30 % entre 1855 et 1860. Cette commune, majoritairement habitée par des ouvriers travaillant au Mans, accueille de plus en plus de commerces dégagés des taxes. Ces éléments statistiques relancent de facto le débat sur son annexion par Le Mans, débat également alimenté par la lutte contre la prostitution menée par la préfecture. En effet, proche des casernes, hors de l’octroi et regroupant une population indigente, la commune de Pontlieue avait vu se développer dès les années 1810 un réseau de prostitution illégal. Face à la pression des pouvoirs locaux et nationaux, Pontlieue est donc rattachée au Mans par la promulgation de la loi du 26 juin 1865, portant la population mancelle de 37 209 à 45 230 habitants.

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