303-177-Les oiseaux

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Les oiseaux

Dossier « Les oiseaux »

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Éditorial

Marielle Macé, écrivaine

06

Pourquoi l’oiseau ?

Fabienne Raphoz, poétesse

14

Des oiseaux, des rivières et des liens Marielle Macé

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Habiter son nom d’oiseau

Jean-Claude Pinson, écrivain

26

Des oiseaux en personne : musique et métamorphose

Bastien Gallet, philosophe

32 Les girouettes

Daniel Couturier, critique littéraire et artistique

38 La très ancienne apparition d’oiseaux

Anthony Poiraudeau, écrivain

44

Les « pigeons-sifflets » des Pays de la Loire

Pierre Catanès, archéomusicologue

52

(Quand) les cigognes posent leur baguage à l’ouest

Sébastien Rochard, journaliste

58

Des oiseaux, des esclaves et du sucre

Julien Bondaz, maître de conférences en anthropologie à l’université Lumière Lyon 2

66

Pour les oiseaux

Entretien d’Éva Prouteau, critique d’art, avec Claire Staebler, directrice du Frac des Pays de la Loire

Échos / Les oiseaux

74

Gilles Bély, Henri Landré, Éva Prouteau

Carte blanche

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Artiste invitée

Patricia Cartereau

80

Saisissements, vols et ravissements

Thierry Froger, écrivain

Chroniques

82

Alain Girard-Daudon, François-Jean Goudeau, Reynald Lucas, Mickaël Montaudon, Thierry Pelloquet, Éva Prouteau, Sévak Sarkissian, Cindy Sartre, Rachel Touzé, Pascaline Vallée

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Dossier Les oiseaux [
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Éditorial

Oiseaux : si loin, si proches

Approcher un pays par ses oiseaux, c’est toucher à la fois ce qui le définit et ce qui le libère de lui-même. Dire ce qu’est le pays : comment il est, comment il est habité, quelles histoires on s’y transmet, quels sont ses dénivelés, ses recoins, ses climats, ses parlers… Mais dire aussi comment il se rêve, comment il s’évade, survolé par des oiseaux de passage et traversé par des espèces lointaines (par d’étonnants vivants nés ailleurs et filant très loin, sous d’autres cieux, à des milliers de kilomètres). Par les oiseaux un pays à la fois se chante lui-même, et s’imagine tout autre.

Ainsi, ponctuée de zones humides, la région des Pays de la Loire accueille des centaines d’espèces aviaires (qui nichent dans ses marais, dans ses bocages, mais aussi dans ses récits et ses patois) ; en même temps qu’offerte au grand large, rappelée à une histoire coloniale, et située sur la route de nombreuses espèces migratrices, elle voyage dans chacun de ses oiseaux.

D’autant que les Pays de la Loire sont eux-mêmes, sur la carte de France, à la fois comme un ancrage et comme un départ : le fleuve imprègne les sols, définissant des milieux, des frontières, des métiers, s’attachant des populations qui en font un habitat à nul autre pareil. Mais ce fleuve vient de loin et il s’en va, pur envoi assumant pour tout le territoire ce que Jean-Christophe Bailly a appelé une « émotion de la partance », et déversant sa mémoire dans l’océan. Double mouvement d’une eau qui percole et d’une eau qui file, par où le pays « s’empayse » et par où, d’emblée, il se dépayse.

En racontant les oiseaux des Pays de la Loire, ce numéro de 303, accompagné par les dessins aériens et métamorphiques de Patricia Cartereau, entend suivre et tresser ces deux fils. On y apprend que l’une des rares grottes au monde à présenter des figures d’oiseaux se trouve en Mayenne – Anthony Poiraudeau l’a visitée, et raconte comment des images vieilles de plus de 25 000 ans y palpitent toujours. On se souvient, avec Julien Bondaz, que le commerce des oiseaux exotiques fut l’une des dimensions de l’histoire coloniale et que Nantes, le plus important port négrier de France, y a joué un rôle considérable (comme en témoignent les collections du Musée d’histoire).

Dans le regard de Daniel Couturier, passionné de girouettes, on voit les oiseaux familiers surplomber les clochers et trôner sur la ville de Saumur. On écoute Jean-Claude Pinson, le bien nommé, voyager depuis Saint-Nazaire dans son patronyme, et honorer le rendez-vous que ce patronyme lui donnait, en pensée et en poème, avec les oiseaux. Pierre Catanès, archéomusicologue, documente la fabrication de « pigeons-sifflets » en terre cuite dans la Sarthe, et Bastien Gallet interroge la présence des oiseaux dans la musique moderne – étirant l’espace sonore jusqu’aux Kaluli de Papouasie-Nouvelle-Guinée. Claire Staebler, qui dirige le Frac des Pays de la Loire, explique comment les oiseaux nichent aujourd’hui dans sa collection. Avec Sébastien Rochard on suit la migration des cigognes qui font halte en Brière, et qui ont tendance à revenir, pour se reproduire, à l’endroit même où elles sont nées (on appelle ça « philopatrie », et cela aussi nous fait aimer le pays). Avec Marielle Macé, une descente de Loire et quelques haltes auprès des amateurs d’oiseaux rappellent, de lien en lien, la force de nos attachements aux oiseaux et ce que ces attachements deviennent maintenant que les oiseaux s’en vont. Et sous la plume de Fabienne Raphoz, l’immense histoire du double chant des poètes et des oiseaux se referme sur une prose amoureuse et endeuillée, par temps d’extinctions, chantant la beauté de ces voisins si particuliers et pleurant leur disparition.

5 Marielle Macé

Pourquoi l’oiseau ?

Partis de cette évidence qu’est

un instant notre effroi devant l’hécatombe.

Chaque année au mois de mars depuis le Pléistocène, les oies proclament l’unité des nations depuis la mer de Chine jusqu’aux steppes sibériennes, de l’Euphrate à la Volga, du Nil à Mourmansk, du Lincolnshire au Spitzbergen.

Aldo Léopold

‘Hope’ is the thing with feathers –That perches in the soul –And sings the tune without the words –And never stops – at all 1 –

Emily Dickinson

Pour vous ce sont des oiseaux, pour moi, ce sont des voix dans la forêt.

Jubi, chasseur Kaluli

Pourquoi l’oiseau ?

Il y a longtemps, il y a treize ans, la question est comme tombée du ciel après un échange dans un collège autour d’un livre de poèmes qui leur est entièrement consacré.

Pourquoi l’oiseau ?

Je me rappelle encore mon trouble. Je n’ai d’abord strictement rien trouvé à répondre, puis j’ai compris que la difficulté résidait tout simplement dans cette tautologie, cette évidence : pourquoi l’oiseau ? Parce que l’oiseau. Sans attendre le regard interloqué que les élèves n’auraient pas manqué de me lancer si j’avais réfléchi tout haut, je me suis plutôt approchée de la fenêtre, l’ai entrebâillée, puis les ai invités à regarder dehors. D’abord il n’y eut rien, c’est-à-dire rien que les immeubles et le ciel ; encore rien ; un bruit d’avion dans le lointain, quelques moteurs dans la rue, rien, puis, tout à coup l’envol de trois étourneaux, accompagnés au sol par le pit pit pit sec et nerveux d’un merle dans la cour, immédiatement suivi par la mélodie complexe et flûtée

← Corbeau

Tous les dessins de lanna Andréadis sont extraits du livre L’Aile bleue des contes, l’oiseau, une anthologie commentée de cent un contes sur les oiseaux par Fabienne Raphoz, Éditions Corti, collection « Merveilleux », 2009.

1. Emily Dickinson, The Complete Poems, éd. Thomas H. Johnson, Little, Brow, and Company, 1961. « Espérance est cette chose avec plumes –Qui se perche sur l’âme –Et chante la mélodie sans les paroles –Et ne s’interrompt –jamais – » (Trad. FR.)

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l’oiseau et du constat de sa fulgurante disparition, osons malgré tout rêver en suivant la Huppe fasciée et trente espèces emblématiques d’un nouveau Cantique des oiseaux, afin de conjurer

Des oiseaux, des rivières et des liens

Des bagueurs d’oiseaux, un siffleur, des ornithologues ligériens ont reconduit Marielle Macé à l’estuaire de son enfance.

Parce que les oiseaux nous attachent les uns aux autres autant qu’ils nous relient au monde…

Entendre un oiseau, le voir surgir dans notre champ d’attention et entrer dans notre vie, souvent ça redonne de l’air, ça envole et rouvre la fenêtre aux poumons. Elles sont nombreuses, d’ailleurs, les histoires de respiration par l’oiseau, les histoires de retour à une atmosphère un peu plus respirable au travers d’oiseaux. L’une d’elles m’a beaucoup impressionnée : celle de Robert Hertz, l’un des « pères de la sociologie française », tué au front en 1915. Car c’est aux oiseaux, avec les soldats de la Mayenne auprès desquels il combattait, qu’il a consacré sa dernière enquête. Au milieu des tranchées il a collecté les dictons de ses compagnons, il a remarqué la place qu’y occupaient les oiseaux (les noms d’oiseaux, les chants d’oiseaux), il a mesuré leur rôle dans les vies rurales, il a su quel rythme, quel sens ils mettent dans le monde, et il a compris que les oiseaux changeaient quelque chose à la conversation entre les hommes 1 S’intéresser aux oiseaux, en pleine guerre, c’était changer un peu de paysage et accentuer quelque chose d’une fraternité. Ça n’aura pas encouragé le savant à se retrancher, ça l’aura conduit au contraire vers plus de solidarité, plus d’écoute, plus de présence à la situation humaine. (Il faut dire qu’il y a dans l’oiseau quelque chose qui prend parti pour le peuple ; les oiseaux-le peuple, c’est une équation que Michelet avait posée d’emblée, Michelet, le grand historien de la Révolution, qui a trouvé son paradis dans un jardin au bord de l’Erdre. Et qui plaidait pour les oiseaux, surtout les plus petits.) Et cette enquête a fait du bien, momentanément, à tous les soldats. Des soldats réunis et plus que réunis : réattachés, à eux-mêmes, à leur vie normale, à leur langue, à leurs champs, et aux autres.

Peut-être parce qu’il y a dans la manière qu’ont les oiseaux d’être vivants quelque chose qui déclare le monde, qui énonce la vie, qui vaut pour la vie et le monde au point qu’effectivement on se suspend à eux, on s’y agrippe.

Partout on est attaché aux oiseaux, attaché au monde par les oiseaux qui le portent au bec, et attachés entre nous par ces oiseaux qui nous soudent les uns aux autres. Dans toutes les cultures, les oiseaux importent singulièrement aux hommes. Et même pour les plus citadins d’entre nous ce sont des voisins particuliers, qui touchent, happent et font faire beaucoup de choses : lever les yeux, tendre l’oreille, redoubler d’attention, sourire, penser, rêver… Qui font aussi beaucoup parler, parler d’eux et entre nous, partager des histoires et des souvenirs, déliant les langues et retendant des fils. La force de ces attachements, on l’observe jusque dans le savoir, chez des ornithologues admiratifs et émus. Car l’émerveillement met en route et nourrit l’avidité d’enquêter, de suivre, de protéger aussi. Par exemple dans la pratique du « baguage », qui a permis d’observer et de considérer des oiseaux individuels. C’est une pratique de l’attachement, effectivement, par laquelle le chercheur est lui aussi « tenu », dans une proximité et même une intimité. – Le baguage, une alliance Je n’ai pas grandi auprès des oiseaux (je n’y faisais pas très attention, en tout cas), mais dans une petite ville en bord de Loire : Paimbœuf, qui se trouve juste en face des énormes raffineries

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1. Robert Hertz, Sociologie religieuse et anthropologie. Deux enquêtes de terrain, 1912-1915, Paris, PUF, coll. « Quadrige », 2015.
Marielle Macé / Illustrations Laëtitia Locteau

Habiter son nom d’oiseau

On fait plus que porter son nom. On l’habite ; on cohabite avec lui, tant bien que mal. Quand il véhicule une signification transparente (s’appeler « pinson », par exemple), on s’expose inévitablement à quelques assignations non désirées. L’auteur raconte comment il a fini par s’en accommoder – par devenir

« Rien ne lie mieux un être humain au langage que son nom. »

Walter Benjamin

Cui-cui. – Longtemps, l’oiseau resta tapi dans l’ombre. Enfant, de mon patronyme, j’étais gravide sans le savoir (ou plutôt je ne voulais pas vraiment le savoir). Sa signification ne se révéla au grand jour qu’à partir du moment où je commençai à aller à l’école. Jusque-là, douillettement enfamillé, je n’avais eu qu’un prénom, complété de quelques diminutifs affectueux. Désormais, à chaque appel en classe, comme plus tard à l’armée, le prénom était républicainement relégué après le nom de famille. On n’existait plus qu’à travers son patronyme, en classe comme dans la cour de récréation. Très vite, je me vis affublé d’un surnom, celui de « Cui-cui ». Mon patronyme, impossible d’y échapper, n’était que la réplique d’un nom commun. Rien de bien grave, il y a en la matière des noms propres propices à des railleries autrement plus blessantes. Néanmoins, l’onomatopée me déplaisait ; je la ressentais comme un poisson d’avril en papier hameçonné au dos de ma blouse (bien qu’il n’y ait pas, Dieu merci, de disgracieux « c cédille » dans l’orthographe de mon nom). J’aurais bien aimé que ce poisson s’envole et qu’on n’en parle plus ; préféré ne pas avoir à habiter un patronyme aussi ouvertement aviaire.

À la longue, sans doute, je m’habituai à ce surnom de Cui-cui ; j’oubliai la dérisoire piqûre. D’autant que simultanément, de la gent oiseau, j’en étais venu, insidieusement, au fil des ans, à me désolidariser. À l’adolescence, bien qu’habitant toujours cet « avant-poste des campagnes vendéennes » qu’était alors, selon les mots de Gracq, Saint-Sébastien, foin d’ornithologie (ou plutôt d’oisellerie villageoise), c’est le parti de la philologie et de la philosophie que j’embrassai.

« Comme un vol de gerfauts… » – la philosophie, ou plus précisément le bac Philo, d’un bond me propulsa à Paris, où je « montai » en 1965. Finie, la verdure, j’entrai dans un monde de grisaille et de pierre. À l’abri des hauts murs d’un grand lycée parisien, inscrit en hypokhâgne, j’étais censé ne plus voir le monde qu’à travers les livres. Les saisons n’existaient plus et le printemps, quelque bruyante que pût être la grande ville, devenait silencieux.

Mieux : j’étais prêt à tourner en dérision cette « figuration crétine du bonheur » qui conduit les poètes, écrit le jeune Aragon, à avoir les larmes aux yeux dès qu’un oiseau chante. En quelques mois, j’étais devenu un farouche partisan de l’avant-garde, politique comme poétique. Le chaudron de l’internat portait en effet alors à ébullition, chez les provinciaux mi-Rastignac mi-petit Chose que nous étions, les plus ardentes passions. Inscrit à l’UEC (Union des Étudiants

← Oiseau, Gaston Chaissac, dessin à l’encre de Chine sur papier, contrecollé sur papier, 1939. Coll. Musée d’arts de Nantes. © Photo

Musée d’arts de Nantes, Alain Guillard. © Adagp, Paris, 2023.
pleinement ami de la gent volatile.
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Des oiseaux en personne :

musique et métamorphose

Où l’on s’interroge sur le mode de présence des oiseaux dans la musique de la seconde moitié du xxe siècle.

Où l’on relate un mythe Kaluli de métamorphose. Où l’on se demande qui devient qui de l’humain, de la musique et de l’oiseau.

Bastien Gallet
Concert d’oiseaux, d’après Frans Snyders, huile sur toile, sans date. Coll. Musée d’arts de Nantes, legs de M. Corseul en 1896, inv. no 447. © Photo Musée d’arts de NantesCécile Clos.

1. J’emprunte cette distinction à David Lapoujade commentant Étienne Souriau.

« L’appropriation concerne, non pas la propriété mais le propre. Le verbe de l’appropriation ne doit pas s’employer à la voix pronominale, mais à la voix active : posséder ce n’est pas s’approprier, mais approprier à…, c’est-à-dire faire exister en propre. » Les Existences moindres, Paris, Minuit, 2017, p. 60-61.

2. Christian Accaoui, La musique parle, la musique peint. Les voies de l’imitation et de la référence dans l’art des sons, tome I, Histoire, Paris, Éditions du Conservatoire, 2023, p. 19-22.

3. Ibid., p. 294.

Des claquements de bec, doublés par des coups de langue et le battement à vide des clés de la flûte puis soulignés par deux accords du piano ; après trois mesures de silence, ce sont trois notes claires doublées au piano, toujours la même, puis quatre, ébauche d’ostinato, puis deux sons ascendants encadrés de brefs soupirs que le piano accompagne. Deux plans sonores qui demeurent distincts, séparés mais conjoints. Deux plans d’être. Un oiseau occupe le premier, la Rousserolle verderolle, un passereau de petite taille qui nidifie en Europe et hiverne en Afrique australe. Sur le second, un piano et une flûte interprètent une partition qui transcrit le plus littéralement possible les vocalisations de l’oiseau. Quand l’oiseau s’absente, les instruments reprennent leur liberté en variant sur son chant. À la treizième mesure, la flûte joue un do grave qui reprend une octave plus bas les notes répétées du passereau (dont la hauteur hésite entre le si et le do). Il y aura ainsi plusieurs cadences, dont une finale, où flûte et piano reprennent et varient les motifs et les notes chantées par les oiseaux (trois, deux autres s’ajoutant par la suite à la Rousserolle, l’Hypolaïs ictérine et le Shama de Malaisie), se les approprient au double sens du verbe, actif et pronominal 1 : ils approprient leur musique au chant des oiseaux (en s’en rendant propres ou conformes) tout en s’appropriant celui-ci (en le conformant à leur instrument et à leur langage sonore). La condition d’une telle appropriation est que ce qui est approprié existe en propre. Ce qui est le cas ici : c’est parce que les oiseaux occupent leur propre plan d’être qu’ils peuvent être doublés et variés par les instruments.

Sopiana

C’est le trait principal de l’œuvre : son matériau vient d’ailleurs. Elle ne se contente pas d’affirmer son hétéronomie, elle la rend audible. Sopiana a été composée par François-Bernard Mâche en 1982. L’œuvre est dite mixte, pour bande et instruments. Sur la bande, aujourd’hui fichier informatique, un montage de sons d’oiseaux enregistrés par le compositeur. Quarante ans après sa création, Sopiana n’a rien perdu de son étrangeté. François-Bernard Mâche ne cherche pas, comme on l’a souvent fait, à musicaliser le chant des oiseaux, ce qui reviendrait à effacer ses différences. Les deux plans ne fusionnent jamais. Mais en confrontant trois d’entre eux à deux instruments phares de la musique écrite occidentale, il fait surgir des traits communs. Sur sa première portée, la partition de Sopiana transcrit la bande. Il y a des sons inharmoniques – les claquements de bec –, d’autres dont la hauteur est incertaine – le si-do itératif, les glissandi –mais, indéniablement, des figures apparaissent, rythmiques, motiviques, harmoniques, que les instruments sont à même de reprendre et de varier, et qui

s’avèrent susceptibles de nourrir leur musique. Encore a-t-il fallu les mettre au jour. C’est la fonction de l’écriture : rendre les vocalisations de l’oiseau appropriables par notre musique. Ce qui ne veut pas dire qu’elle les construit, mais qu’elle en constitue la médiation nécessaire. L’enjeu de l’œuvre est de faire en sorte que, d’un plan à l’autre, quelque chose passe. Quoi, c’est toute la question.

Avant de tenter quelques hypothèses, je voudrais insister sur l’originalité, et la singularité, de cette présence des oiseaux dans Sopiana . On pourrait croire que François-Bernard Mâche reprend, dans un contexte stylistique tout autre, le principe ancien de l’imitation. Il n’en est rien. Comme l’a montré Christian Accaoui, l’imitation musicale à l’âge classique est à mi-chemin entre copie et représentation 2 . Son régime est celui de l’analogie. Imiter, c’est référer. Même lorsque la musique imite les bruits du monde, et notamment le cri des animaux, sa mimétique reste vague et volontairement approximative. L’important est moins la précision de la peinture sonore que la clarté de la référence. Dans Sopiana , les oiseaux ne sont pas dénotés, ils sont présents et transcrits. Présents par l’enregistrement et transcrits dans le système tempéré, avec l’aide de quelques modes de jeux contemporains. Le régime de notre âge musical n’est plus celui de l’analogie, il est celui de la « pure musique », c’est-à-dire d’une musique identifiée à la forme et au son en tant qu’ils ont cessé de renvoyer à autre chose qu’eux-mêmes. Comme l’écrit Christian Accaoui : « Le son. Le son pur. Le son lui-même. Le son propre, le propre du son. Le son désymbolisé, déculturalisé, décontextualisé. Le son 3 » Difficile d’imaginer quelque chose de moins pur et de plus contextuel qu’un chant d’oiseau. Mais le paradoxe n’est qu’apparent. C’est parce que la musique n’imite plus, du moins la musique écrite contemporaine « savante », qu’elle doit rendre présente la chose elle-même.

Paysages avec oiseaux obligés

N’est-ce pas, déjà, ce que faisait Olivier Messiaen ? Il semble pourtant faire exactement le contraire. Dans son Catalogue d’oiseaux (1956-1958), il imite et il verbalise, autrement dit il opère une étrange synthèse entre le régime analogique de l’âge classique et la textualité envahissante de la musique à programme du xixe siècle. Chacune des treize pièces du Catalogue est précédée d’un descriptif détaillé de l’oiseau et de son habitat ; la partition fourmille de références aux paysages et aux espèces mis en musique ; les analogies musicales abondent : spatiales (les falaises du cap Rederis, le glacier de la Meije, les vignobles en terrasses de Banyuls, le désert de la Crau, les rochers du cirque de Mourèze), de mouvement (l’ascension, la descente, l’envolée, le vol qui tourne, qui plonge,

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Daniel Couturier

Les girouettes

Grues, canards sauvages, coqs : les oiseaux familiers se matérialisent, se détachant sur le ciel, sous la forme de girouettes fabriquées par l’artisan chasseur ou l’artiste épris de symboles.

Les grues de la girouette de l’hôtel de ville de Saumur symbolisent la vigilance. © Photo Service ville d’art et d’histoire de Saumur, Quentin Berrini.

Petite histoire des girouettes

Que dit sur la girouette la célèbre Encyclopédie de Diderot et d’Alembert ? « Girouette (Arts) : plaque en fer-blanc qui est mobile sur une queue ou pivot qu’on met sur les clochers, les pavillons, les tours et autres édifices pour connaître de quel côté souffle le vent : aussi quelques auteurs l’ont appelée ventilogium quafi index venti. Andronic de Cyrrhe fit élever à Athènes une tour octogonale et fit graver sur chaque côté des figures qui représentaient les huit vents principaux, un triton d’airain tournait sur son pivot, au haut de la tour : ce triton, tenant une baguette, la posait juste sur le vent qui soufflait. C’est peut-être d’après cette idée ingénieuse que nos coqs et nos girouettes ont été grossièrement imaginés, car leur exécution est tout entière gothique et barbare », ajoute le chevalier de Jaucourt, l’un des plus actifs collaborateurs de l’Encyclopédie, qui rédigea cet article. En effet, on voit encore, à Athènes, une « tour des Vents », placée en plein cœur de la cité.

Dès le ixe siècle, le coq doré à la queue étalée se posait à la pointe des clochers et était déjà la girouette la plus répandue. Cependant, au Moyen Âge, seuls le château et l’église pouvaient s’orner de girouettes. Elle était un attribut noble, comme le donjon, le pontlevis, les créneaux et le colombier « à pied » formant bâtiment séparé. Sa forme variait avec le degré de noblesse. La girouette récompensait ceux qui étaient montés à l’assaut des citadelles et avaient planté les premiers leur bannière sur les remparts assiégés. Elle faisait office de drapeau et était peinte ou ciselée aux armes du seigneur. Privilège nobiliaire jusqu’à la Révolution (une page est consacrée à cette question le 4 août 1789), la girouette ne trouvait donc jusqu’à cette date son sens que sur les châteaux sous forme de penon et avec le coq qui ornait la pointe des clochers. C’est après la Révolution que le peuple put décliner sous forme de girouettes des thèmes de la vie courante. Les motifs les plus représentés sont liés au travail, et les oiseaux sont peu nombreux : le canard est le plus représenté après l’aigle ou l’épervier, le pigeon, la colombe ou le cygne. La girouette la plus populaire était autrefois celle qui indiquait une guinguette, un cabaret ou une auberge où, après la chasse, on allait boire. Il n’existe malheureusement pas, en France, de musée offrant un ensemble représentatif de ces petits objets d’art populaire.

Les grues de l’hôtel de ville de Saumur

Elles surplombent les toits de l’hôtel de ville et dominent bon nombre de cheminées saumuroises. Pivotant sur leur axe, elles indiquent à qui les regarde la direction du vent. Cinq échassiers ont fait leur nid au-dessus de la mairie il y a bien longtemps

déjà : il s’agit d’une famille composée d’une grue et de quatre gruaux, ou gruons, plus petits. À près de trente-cinq mètres de hauteur, elle fait office de girouette au sommet de la flèche du campanile de l’hôtel de ville.

La présence de ces oiseaux sur le bâtiment municipal surprend, et tous ceux qui un jour leur ont accordé un peu d’attention se sont certainement interrogés. Les travaux effectués récemment sur les toits de l’hôtel de ville nous ont donné l’occasion de nous intéresser à nos « grues-girouettes », longtemps prises pour des cigognes. Un rapide regard sur la série des archives municipales concernant les bâtiments publics a permis de découvrir que la première mention de ces migrateurs haut perchés date de 1749, dans un devis « des ouvrages indispensables à faire à la charpente couverture et dômillon de l’hôtel de ville pour empêcher le dépérissement des armes et justaucorps des miliciens qui sont dans les magasins dudit hôtel de ville », où il est stipulé que « Messieurs les maires et échevins font faire actuellement un chaffaud pour ôter la grüe et les quatre gruaux pour prévenir le dépérissement attendu qu’ils sont de fonte, lequel chaffaud servira à démolir la couverture, charpente de la flèche [...]. »

On essaye de justifier la présence des oiseaux en rappelant que la grue emprunte lors de sa migration un couloir passant non loin de Saumur, mais cet argument d’ornithologue semble insuffisant : leur rôle est certainement plus symbolique.

Les explications extraites du Dictionnaire des mythes et symboles de J. Hall (éditions Gérard Monfort) nous éclairent plus sûrement sur les volatiles municipaux. Il définit la grue comme le symbole de la vigilance de l’homme public : « L’oiseau se tient sur une patte ; l’autre, relevée, tient une pierre entre les doigts. Selon une légende rapportée par Aristote et reprise par les bestiaires médiévaux, lorsque l’échassier s’endormait la pierre tombait, le réveillant aussitôt, de sorte qu’il était constamment sur le qui-vive. »

Bien que les grues saumuroises se tiennent sur leurs deux pattes, elles semblent endosser parfaitement le rôle de vigiles. Couronnant la « maison commune », postées en regard de la Loire, au-dessus de la porte de la Tonnelle, principal accès à la ville close, elles gardent les six ponts qui enjambaient le fleuve sous l’Ancien Régime.

Les édiles saumurois, qui à la fin du xve siècle avaient fait construire cette « maison de ville », bâtiment fortifié avec créneaux, mâchicoulis et chemin de ronde, intégré dans les murs de la ville, ont visiblement voulu, en plaçant ces oiseaux au sommet de ce logis, montrer qu’ils veillaient à la sécurité des Saumurois et les assurer de leur grande attention dans le traitement des affaires municipales.

Déposée en 1994 pour restauration, après plus d’un an passé au sol et des centaines d’heures de travaux,

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Sur les parois de la grotte Margot, quelques incisions plus appuyées signalent la présence d’un corvidé dissimulé dans la calcite ; un profil de cygne lui fait face.

La très ancienne apparition d’oiseaux

La grotte Margot, dans la Mayenne, est ornée de nombreuses gravures réalisées au Paléolithique supérieur, comprenant un nombre exceptionnel d’oiseaux – un thème très rare dans l’art pariétal préhistorique.

© Photo Hervé Paitier.

1. Une synthèse à la fois claire et très documentée des principales hypothèses scientifiques relatives à la signification de l’art pariétal du Paléolithique supérieur est proposée par Gwenn Rigal dans son livre Le Temps sacré des cavernes, Paris, José Corti, coll. « Biophilia », 2016.

2. La découverte du décor préhistorique de la grotte Margot est relatée par Romain Pigeaud dans son article « Des rhinocéros en Mayenne » (2008), disponible en ligne sur le site hominides.com : https:// www.hominides.com/ musees-et-sites/grottemargot/

3. Les peintures et gravures de la grotte MayenneSciences ont été réalisées il y a environ 25 000 ans. Les sciences de la préhistoire ont adopté l’usage de dater leurs objets d’étude par rapport au « présent » (on utilise l’abréviation BP, pour « Before Present »), fixé par convention à la date de 1950 après Jésus-Christ.

En 2005, une grotte ornée de décors préhistoriques est soudainement apparue en Mayenne. Une première grotte avait été découverte en 1967, et puis cette deuxième en 2005, la grotte Margot, qui contient à elle seule le quart des représentations d’oiseaux recensées dans l’art pariétal préhistorique européen : environ vingt-cinq oiseaux sur la centaine de figurations connues. La grotte elle-même, bien sûr, était là – au bord de l’Erve, dans ce que l’on appelle le « canyon de Saulges » – depuis plusieurs millions d’années, et elle a commencé à être ornée de décors il y a environ 29 000 ans, mais jusqu’en 2005 on ignorait que les parois de cette cavité, bien connue localement depuis des siècles, accueillaient des représentations réalisées au Paléolithique supérieur. Il faut vite le dire : on ne se hasardera pas ici à interpréter le sens que pouvaient avoir ces images d’oiseaux pour les humains qui les ont exécutées le long des parois d’une caverne où il fallait ramper pendant des dizaines de mètres en s’éclairant avec une lampe à graisse, sans être jamais tout à fait sûr d’être à l’abri de l’attaque d’un fauve tapi dans les ténèbres. Tout cela s’est déroulé plusieurs milliers d’années avant que la moindre formulation d’une raison d’agir ait pu laisser de trace écrite. Les études préhistoriques disposent pourtant d’hypothèses palpitantes, élaborées à partir de milliers d’observations accumulées, classées et recoupées, mais des énigmes si vastes et si épaisses entourent encore l’art et la pensée préhistoriques que même les plus assurés des scientifiques n’en proposent que de très prudentes interprétations 1 Les images d’oiseaux sont autrement plus rares au sein du répertoire formel paléolithique que celles de chevaux, de taureaux ou d’aurochs, ce qui limite encore plus les possibilités de constituer pour l’analyse un corpus véritablement significatif et de parvenir à la compréhension de leur signification originelle. On est finalement presque réduit à constater leur présence – et à être saisi par quelque chose de leur beauté, aussi, d’autant plus bouleversante que celle-ci a été livrée à l’inconnu, par-delà tout ce que nous pouvons concevoir d’une durée vécue, par des personnes dont nous ne savons que très peu de choses, si ce n’est qu’elles étaient nos semblables il y a dix, vingt, trente milliers d’années. Aujourd’hui, ces figurations pariétales sont là – opaques, radicalement décontextualisées et prodigieusement persistantes –et font partie de notre monde. Elles sont des énigmes dont nous sommes finalement les contemporains, et de cela, l’événement que constitue l’existence d’images d’oiseaux infiniment anciennes logées sous la surface de notre monde familier, nous pouvons tenter de rendre compte. La manière qu’ont ces images d’oiseaux d’exister dans le domaine du visible est très singulière et engage déjà en soi une sorte d’aventure déroutante pour le regard : elles se situent à l’extrême limite de la

visibilité, et c’est justement comme à une avancée – inattendue, incertaine et à tâtons – au travers du visible jusqu’à ses confins les plus ténus qu’engage désormais la démarche de venir regarder ces très anciennes traces pariétales. La façon dont elles sont apparues aux premières personnes qui les ont vues à nouveau est à cet égard très éloquente. Pendant des années, elles se sont tenues tout près de l’attention extrême des scientifiques, sans se laisser voir. De 2002 à 2005, une équipe dirigée par le préhistorien Romain Pigeaud a scruté les parois des galeries de la grotte Margot à la recherche d’éléments de décor préhistorique, sans rien trouver 2. Ou plutôt, en ne voyant rien d’autre, sur la roche, que des traces de présence humaine récente et des graffitis tracés au cours des derniers siècles sur les parois d’une caverne que l’on sait fréquentée de temps à autre par des humains depuis le xviiie siècle au moins, et souvent visitée par des touristes curieux de géologie et du frisson des profondeurs depuis la fin du xixe siècle. C’est la découverte, en 1967, de gravures et peintures réalisées au Gravettien dans une grotte située à quelques centaines de mètres de là (nommée depuis lors « Mayenne-Sciences ») qui a rendu probable la présence d’un décor pariétal paléolithique dans la grotte Margot – alors on cherche très attentivement 3. Très attentivement, mais pas tout à fait au bon endroit : Romain Pigeaud et son équipe finissent par prendre conscience qu’ils cherchent trop bas sur les parois. En 1870, la grotte Margot avait été aménagée pour les visites touristiques, et le sol de la grotte avait été creusé pour qu’il soit possible d’accéder à l’ensemble de la grotte sans avoir à ramper. Avant que le sol soit ainsi baissé, les mains d’humains de passage dans la grotte se portaient sur des zones plus hautes des parois. En cherchant plus haut, à partir de 2005, les scientifiques commencent à détecter des traces de peinture, ainsi que de nombreuses gravures d’assez petite taille (de 10 à 20 centimètres pour la plupart) représentant, de façon souvent très détaillée, des animaux typiques de l’art pariétal du Paléolithique supérieur : des chevaux, des rhinocéros laineux, des bovidés, des mégacéros ; mais aussi des oiseaux, très rares dans l’iconographie pariétale préhistorique. Les scientifiques ne les trouvaient pas parce qu’ils cherchaient trop bas, certes, mais il ne suffisait pourtant pas de lever les yeux : en élevant le regard vers les gravures, on ne voit à peu près rien à l’œil nu. Qui visite aujourd’hui la grotte Margot, toujours ouverte au public, aperçoit des traits qui rayent çà et là la pierre, mais ne distingue qu’à peine des images. Une guide accompagne les visiteurs, éclaire une zone avec une lampe de poche en annonçant qu’une gravure remarquable est ici, dans le faisceau lumineux, alors on scrute, sans bien savoir si tel trait est un pli naturel de la roche ou une inscription faite de main humaine, si tel autre dessine

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Les « pigeonssifflets » des Pays de la Loire

Rossignols et coucous de terre cuite ont fait la joie des enfants depuis le Moyen Âge jusqu’au début du xxe siècle : plusieurs potiers sarthois, spécialisés dans la fabrication de ces sifflets, les vendaient dans toute la France.

Un article paru dans L’Ouest-Éclair le 1er août 1931 1 relate le pèlerinage annuel, à la fin du mois de juillet, à Sainte-Anne de Nantes. Le journaliste décrit les étals de jouets, devant lesquels se pressent les enfants : « On trouve là des objets que l’on ne voit plus guère que pendant la grande neuvaine, comme ces poteries minuscules ou ces pigeons-sifflets en terre cuite qui connaissent un succès, chaque année, renouvelé. »

Ces « pigeons-sifflets en terre cuite » ont aujourd’hui disparu de notre quotidien. Ils ont pourtant été des jouets courants en Europe du Moyen Âge tardif au début du xxe siècle.

La terre, le feu, l’eau, le souffle : éléments sur les sifflets en terre cuite

En 1431, le poète Conrad de Dankrotzheim (vers 1372 - 1444, Haguenau) place les sifflets pour enfants sur la liste des objets de poterie qu’un jeune homme doit acquérir pour sa future épouse. Ces jouets étaient appréciés de tous. Jean Héroard, médecin ordinaire du Dauphin, note dans son journal le 12 décembre 1606 que le futur Louis XIII « siffle d’un rossignol de poterie où il fait mettre de l’eau ».

Les sifflets en terre cuite sont connus en Europe depuis le Néolithique. Leurs formes sont très variées : cavaliers, personnages, animaux domestiques, sauvages ou fantastiques. Dans le

Rossignols et petits sifflets, Nibelle (Loiret), fin du xvie, début du xviie siècle. Coll. part. Sauf mention contraire, les photos sont de Pierre Catanès.

Photographie publiée dans le journal L’Ouest-Éclair le 1er août 1931. On peut y voir des pigeons-sifflets en terre cuite. © BnF, Paris.

1. Jean Vilhouin, « SainteAnne de Nantes et son pardon », L’Ouest-Éclair, 1er août 1931. Pierre Catanès
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Au cœur du marais de Brière, quatre cigogneaux tout juste bagués attendent le retour de leurs parents. Encore une quinzaine de jours et ils seront prêts à voler de leurs propres ailes.

(Quand) les cigognes posent leur baguage à l’ouest

Un premier couple de cigognes blanches s’est installé en LoireAtlantique en 1989. Depuis, de nombreux autres ont suivi, qui nichent au cœur des zones humides de la région. Chaque année, une campagne de baguage permet de suivre leur évolution.

1. L’Acrola (Association pour la connaissance et la recherche ornithologique Loire-Atlantique) regroupe des ornithologues, des biologistes et des bagueurs qui travaillent, notamment, sur l’étude des cigognes et des passereaux migrateurs.

2. Émanation du Muséum national d’histoire naturelle, le CRBPO (Centre de recherches sur la biologie des populations d’oiseaux) est l’organisme public français de gestion du baguage et du marquage des oiseaux.

3. La France compte près de 5 000 couples de cigognes blanches sur son territoire. Elles sont présentes dans 42 départements, essentiellement sur la façade atlantique (la CharenteMaritime en premier lieu), en Alsace et en Normandie.

4. Les cigogneaux précèdent leurs parents d’un mois et demi dans la migration. Ces derniers, qui nourrissent exclusivement leurs poussins lors de leurs soixante premiers jours, doivent reconstituer leurs réserves d’énergie avant de partir.

« Clac ! » Le craquètement bref mais très distinct des parents sonne comme un avertissement pour les poussins au nid. « Attention ! Prédateurs en approche ! Ne bougez pas et faites les morts », interprète Hubert Dugué, ornithologue à l’Acrola 1, à l’attention des élèves de CP et de CE1 de l’école Aimé-Césaire de Donges (Loire-Atlantique). Un couple de cigognes s’envole bientôt dans le ciel ensoleillé de ce tout début du mois de juin, laissant seuls les cigogneaux nichés à plus de dix mètres de haut, au faîte d’un poteau électrique. Depuis le plancher des vaches, impossible de les distinguer : il faut grimper. Pour Hubert, une course contre la montre commence.

« Les poussins sont stressés lorsque l’on intervient pour les baguer. Ça entraîne une perte de poids à un moment où ils doivent justement en gagner. On doit donc prendre le moins de temps possible », expliquet-il aux enfants.

Ils n’en perdent pas une miette. Malgré la fatigue de la marche qui les a conduits de leur école au lieu-dit Maca, dans le marais de Brière, ils n’auraient manqué pour rien au monde ce qui se pose désormais comme une tradition : le baguage des cigogneaux. Juché sur la nacelle du tracteur de Lucien, agriculteur inconditionnel des cigognes et propriétaire du champ, Hubert rejoint la plateforme qui accueille le nid. « Ils sont quatre ! », lance-t-il en guise d’information aux élèves et à Amandine Barles, service civique à l’Acrola, qui vit là sa toute première campagne de baguage des cigognes. La suite est une histoire mêlée de protocole scientifique, d’expérience et d’attention : chaque poussin est descendu du nid dans un panier. Au sol, ils sont disposés par ordre de taille. Deux bagues sont posées sur leurs tarses. L’une, officielle, est émise par le Muséum national d’histoire naturelle, qui gère le baguage des oiseaux en France depuis un siècle 2 ; composée d’un alliage d’aluminium, elle est à usage unique et porte un numéro d’identification, base de référence pour le « CV » de l’oiseau ; l’autre est une bague Darvic, de couleur et numérotée : « Grâce à elle, on peut identifier un oiseau à trois cents mètres, aux jumelles », relève Hubert.

Une population et des territoires en expansion

D’une année sur l’autre, les habitués retrouvent ainsi assez facilement « leurs » cigognes, d’autant que les individus de l’espèce ont tendance à revenir, pour se reproduire, à l’endroit où ils sont nés. On appelle ça la philopatrie : « Seuls cinq oiseaux nés en Loire-Atlantique nichent en dehors du département, illustre le scientifique. Et seules deux cigognes nées en dehors se reproduisent ici. »

Si elle est traditionnellement associée à l’Alsace dans l’imaginaire populaire, la cigogne blanche est aujourd’hui présente dans quarante-deux départe-

ments français. Moins d’un quart de siècle après l’installation du premier couple en Loire-Atlantique, le département compte plus de trois cent dix nids, fichés sur des arbres, poteaux et pylônes électriques ou plateformes des quelque 20 000 hectares de zones humides de la région. Estuaire de Loire, marais breton ou de Brière : l’espèce se développe au nord, le long des vallées du Brivet et de la Vilaine, dans le Morbihan et même à l’est, au cœur des Basses Vallées angevines.

Un miracle, quand on considère qu’en 1974 il ne subsistait en France que onze couples. « Avant 1976, c’était une espèce chassable ! » rappelle Hubert. Mis en danger tant sur ses zones d’hivernage (sécheresse au Sahel, insecticides à tout-va pour lutter contre le criquet pèlerin) que sur ses sites de reproduction (assèchement des zones humides et développement de l’anthropisation), l’oiseau migrateur avait vu sa population atteindre un seuil critique en France, en Belgique, en Suisse et en Allemagne.

Ironie de l’histoire, au-delà des programmes de conservation et des lois de protection de la nature, la cigogne blanche doit la recrudescence de sa population 3 – à l’instar de celle d’autres ardéidés emblématiques des bords de Loire, comme le héron cendré, la spatule blanche ou l’aigrette garzette –à une espèce invasive, l’écrevisse de Louisiane. « La cigogne est carnivore, opportuniste… et pas folle, explique Hubert. Pourquoi aller chercher dix sauterelles alors qu’avec deux écrevisses on fait son repas ? » On retrouve de manière quasi systématique, au pied ou au cœur des nids de Loire-Atlantique, des boules régurgitées par le couple de parents pour nourrir les poussins. L’odeur est caractéristique et fait naître quelques moues dégoûtées sur le visage des enfants.

Mâle ou femelle ?

Le temps des explications d’usage, les deux bagues ont été posées. Amandine et Hubert passent à la mesure d’un tarse, d’une aile et du bec de chacun des cigogneaux. « C’est leur date de naissance qui donne la fourchette de baguage. Il doit intervenir entre le 30e et le 45e jour. À 60 jours, ils savent voler ; au 75e, ils doivent se débrouiller. » Puis vient l’heure de la pesée. Certains approchent du poids adulte – environ 4 kilos –, d’autres en sont encore très loin. Trop loin ? « Sept cigogneaux sur dix meurent lors de la première année, détaille Hubert. Les poussins naissent en moyenne à deux jours d’intervalle, mais ils ne se partagent pas la nourriture. C’est chacun pour soi : premier arrivé, premier servi ! » Bientôt, les cigogneaux se regrouperont pour effectuer leur première migration 4. Ils ne reviendront en Loire-Atlantique que lorsqu’ils seront matures sexuellement, à trois ans.

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Des oiseaux, des esclaves et du sucre

En 1856, moins de dix ans après l’abolition de l’esclavage en France (la seconde abolition date de 1848), Jules Michelet décrivait, dans son livre L’Oiseau, le marché aux oiseaux de Saint-Germain, à Paris, comme un marché aux esclaves. Les oiseaux captifs lui semblaient autant d’« esclaves ailés ». Une telle analogie est classique : le maintien en captivité de nombreux oiseaux d’agrément, en cage ou en volière, a fourni un important motif métaphorique, mêlant l’imaginaire de la prison à celui de la réduction en esclavage. Cette analogie ne relève pas seulement de l’imagination poétique ou du cliché littéraire : elle a également une part d’explication éminemment concrète, tant le marché des oiseaux est imbriqué dans celui des esclaves, et partant celui du sucre, au cœur du commerce transatlantique. Nantes, le plus important port négrier de France, a ainsi joué dans le commerce des oiseaux exotiques, avec Bordeaux, Le Havre et Marseille, un rôle central qui perdura durant toute la période coloniale.

La « traite des oiseaux »

Le portrait de Marguerite Deurbroucq, peint par Pierre-Bernard Morlot en 1753 et aujourd’hui conservé au Musée d’histoire de Nantes, illustre parfaitement l’imbrication de ces différents commerces : les oiseaux, les esclaves et le sucre. À côté de la femme du négociant nantais, impliqué dans le commerce transatlantique, une femme noire, en état de servitude, apporte du sucre à sa maîtresse. Un perroquet lui fait pendant, d’une espèce que l’on nommait au xviiie siècle perroquet cendré de Guinée, ou plus familièrement Jaco (il est connu aujourd’hui sous le nom de perroquet gris du Gabon). Capturés à l’intérieur des terres puis acheminés sur les côtes du golfe de Guinée, ces perroquets connaissaient un sort identique à celui des esclaves. Le succès des perroquets est continu tout au long du xviiie siècle dans la bourgeoisie française 1. Les négociants nantais, qui s’enrichissent dans la traite esclavagiste et l’exploitation sucrière, notamment à Saint-Domingue (aujourd’hui Haïti), ont ainsi adopté les perroquets comme animaux de compagnie et symboles de prestige. Mais d’autres oiseaux sont rapportés sur les navires des armateurs de la ville. Le succès des canaris est important, l’attrait pour les colibris également. Les marins étaient nombreux à rapporter de petits oiseaux, des perruches et des perroquets notamment, pour les vendre à leur retour à Nantes. Ce fut d’ailleurs, pendant longtemps, une prérogative des bouchers et des charpentiers de la marine 2. Les oiseaux exotiques figuraient par ailleurs souvent sur les sucriers et les tasses à thé ou à café, parmi nombre de motifs floraux.

La taxinomie des oiseaux a parfois conservé la mémoire de ces liens entre leur commerce et celui des esclaves. À Saint-Domingue, un oiseau était désigné comme « esclave » par les colons et son espèce, endémique de l’île, a été nommée Dulus dominicus (dulus signifiant « esclave »

← Pierre-Bernard Morlot, Marguerite Deurbroucq et une femme vivant en esclavage à Nantes, 1753. Coll. du Musée d’histoire de Nantes, inv. no 2015.5.2.

1. Louise E. Robbins, Elephant Slaves and Pampered Parrots. Exotic Animals in Eighteenth-Century Paris, Baltimore-Londres, The John Hopkins University Press, 2002.

2. Dr Millet-Horsin, « Le commerce des oiseaux à Dakar (suite) », L’Oiseau. Revue d’histoire naturelle appliquée, no 95, 1917, p. 33-37 (p. 37).

Julien Bondaz
Le commerce des oiseaux exotiques est historiquement lié à la traite transatlantique puis à l’exploitation coloniale. Nantes a joué un rôle central dans cette histoire où la marchandisation des oiseaux se révèle indissociable de celle des esclaves et du sucre.
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Pour les oiseaux

Entretien avec Claire Staebler

Claire Staebler évoque sa passion des oiseaux à travers cinq œuvres de la collection du Frac : une manière d’aborder son rapport personnel à ce motif ailé, et le co-commissariat qu’elle assure pour la troisième Biennale internationale de Saint-Paul-de-Vence, qui emprunte son titre à Jacques Prévert, Au hasard des oiseaux.

Au printemps 2022, Claire Staebler a pris la direction du Fonds régional d’art contemporain des Pays de la Loire. Depuis, elle apprivoise une collection qui compte 1 800 œuvres, sent les lieux et arpente les espaces pour finaliser les intuitions de son projet initial. Un thème l’habite : les oiseaux, centre d’intérêt qui entre délicatement en résonance avec la nature du site à Carquefou, enveloppé de végétation champêtre, et avec l’antenne du Frac sur l’Île de Nantes, en corps à corps avec la Loire et son biotope typé.

Lorsque vous avez candidaté pour le Frac, vous aviez déjà esquissé des lignes de programmation, parmi lesquelles la thématique aviaire.

Cette histoire d’oiseaux, je l’avais effleurée à la Fondation Vuitton où j’étais précédemment commissaire associée, sur des événements ponctuels liés à la poésie et à la musique. Le Frac des Pays de la Loire m’a semblé un terrain intéressant pour développer ce thème. Lors de mon arrivée, une installation temporaire d’une œuvre de Jean-Luc Parant a retenu toute mon attention : présentée au Frac de Carquefou, elle s’intitule Les Boules se projettent où les oiseaux s’envolent. C’était un signe.

Pouvez-vous détailler cette œuvre ?

Elle fut réalisée en 1999 dans le cadre du Parcours contemporain de Fontenay-leComte, pour l’hôtel de Grimouärd, un très bel écrin du xve siècle. Elle fut ensuite acquise par le Frac en 2000 : constituée d’environ neuf cents boules en terre cuite, cire et papier, elle fut développée avec des oiseaux naturalisés et une petite série de toiles. Pour Jean-Luc Parant, faire des boules constitue le geste premier, le geste que tout enfant accomplit naturellement, avec de la terre entre les mains. Les boules s’accumulent, s’entassent, transforment l’espace ; elles sont comme des paysages chez Parant : certains oiseaux, juchés dessus, nous regardent, pourvoyeurs de récits énigmatiques. Certains ont l’air d’avoir été mazoutés.

Ces boules renvoient aussi aux déjections d’oiseaux, et plus largement à la sphère terrestre. Elles rappellent les recherches de l’agroécologue Hervé Coves sur les parcours migratoires des oiseaux, qui dans leurs plumes et leurs fientes transportent les graines, les microorganismes et les spores qui amplifieront l’écosystème dans lequel ils s’établiront. Et avec ses boules de texte, Jean-Luc Parant raconte aussi l’histoire de l’humain qui suit ces corridors de vie.

Oui, ces considérations écologiques sont présentes dans son œuvre. Pour moi, ce fut une belle rencontre avec cet artiste, au cours de laquelle nous avons évoqué des

← Les Boules se projettent où les oiseaux s’envolent (détail), Jean-Luc Parant, terre cuite, cire et papier, collection ornithologique, craie, 1999-2000. Coll. Frac des Pays de la Loire. © Adagp, Paris, 2023. © Photo Fanny Trichet.

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