Pour La Science 546 - Avril 2023

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ETHNOLOGIE Rencontre avec un peuple qui parle avec ses morts DOM : 8,50 € –BEL./LUX. : 8,50 € –CH 12,70 FS –CAN. : 12,99 $CAPORT. CONT. : 8,50  € -  MAR. 78 DH –TOM 1 100 XPF Édition française de ScientiïŹc American –Avril 2023n° 546 POUR LA SCIENCE 04/23 L’enquĂȘte de PIERS VITEBSKY anthropologue MathĂ©matiques COMMENT PASSER DU DISCRET AU CONTINU Physique thĂ©orique UN TROU DE VER EN LABORATOIRE ? PalĂ©oclimatologie LES EAUX DOUCES ASPHYXIÉES PAR LE RÉCHAUFFEMENT Une fenĂȘtre sur notre santĂ© mentale ? LES RÊVES L 13256546 HF: 7,00 €RD

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Rédacteurs : François Savatier, Sean Bailly

Stagiaire : Pierre Giraudeau

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Ont également participé à ce numéro : Silvana Condemi, Vincent Fleury, JérÎme Gros, Martin

Guitreau, Jean-Jacques Hublin, Roman IkonicoïŹ€, Emmanuelle Pouydebat

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MLP

ISSN 0 153-4092

Commission paritaire n° 0927K82079

DĂ©pĂŽt lĂ©gal : 5636 – Avril 2023

N° d’édition : M0770546-01

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170 bis boulevard du Montparnasse

Tél 01 55 42 84 00

SCIENTIFIC AMERICAN

Editor in chief : Laura Helmut

President : Kimberly Lau

DITO É

75 014 Paris

VOIES D’ACCÈS

Sous l’Ɠil de la camĂ©ra infrarouge du service des pathologies du sommeil de la PitiĂ©-SalpĂȘtriĂšre, un patient atteint de trouble comportemental en sommeil paradoxal (TCSP) lutte en rĂȘve contre un agresseur, utilisant dans la rĂ©alitĂ© son oreiller pour se battre, qu’il ïŹnit par jeter. Il apparaĂźt que ce trouble, qui touche 0,5 Ă  1,25 % de la population gĂ©nĂ©rale, quand il n’est pas liĂ© Ă  une cause identiïŹĂ©e, indique un risque de dĂ©velopper une maladie neurodĂ©gĂ©nĂ©rative. Certains rĂȘves – et cauchemars –ouvrent donc un accĂšs Ă  notre santĂ© mentale et, par lĂ , Ă  la possibilitĂ© de prĂ©venir ou soigner. Comme le relĂšve la neurologue Isabelle Arnulf, « de plus en plus de mĂ©decins ont compris que la prise en compte des rĂȘves peut aider au diagnostic ».

2023. ScientiïŹc American, une division de Springer Nature America, Inc

Soumis aux lois et traitĂ©s nationaux et internationaux sur la propriĂ©tĂ© intellectuelle Tous droits rĂ©servĂ©s UtilisĂ© sous licence Aucune partie de ce numĂ©ro ne peut ĂȘtre reproduite par un procĂ©dĂ© mĂ©canique photographique ou Ă©lectronique, ou sous la forme d’un enregistrement audio, ni stockĂ©e dans un systĂšme d’extraction, transmise ou copiĂ©e d’une autre maniĂšre pour un usage public ou privĂ© sans l’autorisation Ă©crite de l’éditeur La marque et le nom commercial « ScientiïŹc American » sont la propriĂ©tĂ© de ScientiïŹc American, Inc Licence accordĂ©e Ă  «Pour la Science SARL »

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Origine du papier : Autriche

Taux de ïŹbres recyclĂ©es : 30 %

L’univers onirique n’est pas le seul domaine a priori hors d’atteinte dont l’exploration se rĂ©vĂšle, en fait, riche d’enseignements. L’anthropologue Piers Vitebsky a vĂ©cu plusieurs dizaines d’annĂ©es avec les Sauras, une population du sous-continent indien, et partagĂ© les rituels oĂč vivants et morts entrent en conversation par l’intermĂ©diaire de leurs chamans. Il a dĂ©couvert que ces coutumes ïŹgurent « non seulement une tradition spirituelle, mais aussi une pratique Ă©laborĂ©e de psychothĂ©rapie individuelle et de rĂ©gulation sociale ».

«

Eutrophisation » ou « Impact sur l’eau » : Ptot 0,007 kg/tonne

Imprimé en France

Maury Imprimeur SA Malesherbes

N° d’imprimeur : 269005

La physique thĂ©orique n’est pas en reste quant Ă  ouvrir des fenĂȘtres inattendues. Une Ă©quipe de l’universitĂ© Harvard a rĂ©cemment publiĂ© les rĂ©sultats de travaux laissant entendre qu’il serait possible d’accĂ©der Ă  la physique des trous de vers, par une simulation programmĂ©e dans les composants d’un ordinateur quantique. « Cette Ă©tude est une tentative rĂ©ussie pour observer la dynamique d’un trou de ver traversable dans un dispositif expĂ©rimental », Ă©crivent les chercheurs. VoilĂ  une voie fort dĂ©tournĂ©e. Trop, pour de nombreux physiciens. Andrea Puhm, de l’École polytechnique, partage les rĂ©serves et la prudence de nombre de ses collĂšgues face Ă  ces rĂ©sultats, mais convient qu’ils sont « excitants », et se dit « curieuse de voir comment cela se dĂ©veloppera dans le futur ».

Les chemins que nous empruntons pour avoir prise sur la rĂ©alitĂ© sont innombrables. Parmi eux, ceux que suivent les scientiïŹques sont souvent audacieux, toujours exigeants, parfois fragiles. La possibilitĂ© de faire rendre raison aux faits est Ă  ce prix. n

POUR LA SCIENCE N° 546 / AVRIL 2023 / 3
François Lassagne Rédacteur en chef
–

ACTUALITÉS DOSSIER SPÉCIAL GRANDS FORMATS

P.

6

ÉCHOS DES LABOS

‱ Six galaxies primordiales trop massives ?

‱ ObĂ©sitĂ© : prĂšs d’un Français sur deux concernĂ©

‱ Le secret de l’unicitĂ© des empreintes digitales

‱ L’idĂ©e d’un NĂ©olithique paciïŹque est « morte »

‱ L’origine des polygones de sel enïŹn comprise

‱ Un anneau impossible

‱ L’union fait la ïŹ‚eur

P. 16

LES LIVRES DU MOIS

P. 18

DISPUTES ENVIRONNEMENTALES

Une biodiversité à crédit

Catherine Aubertin

P. 20

LES SCIENCES À LA LOUPE

Une jeunesse relativiste

Yves Gingras

P. 34

PHYSIQUE THÉORIQUE

A-T-ON CRÉÉ UN TROU DE VER SUR UN ORDINATEUR QUANTIQUE ?

Sean Bailly

C’est ce que laisse entendre un article publiĂ© par une Ă©quipe de l’universitĂ© Harvard. EïŹ€et d’annonce ? RĂ©elle dĂ©couverte ? DĂ©cryptage d’une Ă©tude Ă  la conïŹ‚uence d’idĂ©es complexes.

P. 48

ETHNOLOGIE

DIALOGUER AVEC LES MORTS

Piers Vitebsky

En Inde, les chamans sauras servent d’intermĂ©diaire entre dĂ©funts et vivants lors de rituels collectifs Ils s’eïŹ€acent cependant peu Ă  peu devant les religions dominantes. Cette maniĂšre singuliĂšre de traiter le deuil va-t-elle disparaĂźtre ?

En couverture : Silhouette : © Mike Monahan/ Shutterstock ; fond : © DalDaFoTo/ Shutterstock

Les portraits des contributeurs sont de Seb Jarnot

Ce numĂ©ro comporte un courrier de rĂ©abonnement posĂ© sur le magazine sur une sĂ©lection d’abonnĂ©s.

P. 42

PHYSIQUE

AdS/CFT

VINGT-CINQ ANS D’UNE RÉVOLUTION

CONCEPTUELLE DE L’ESPACE-TEMPS

Anil Ananthaswamy

P. 58

PALÉONTOLOGIE

RÉCHAUFFEMENT

CLIMATIQUE : QUAND LA VASE

TOXIQUE ASPHYXIE LES EAUX DOUCES

Chris Mays, Vivi Vajda et Stephen McLoughlin

SupplĂ©ment spĂ©cial de 68 pages rĂ©alisĂ© en partenariat avec Inria, « Le numĂ©rique est-il un progrĂšs durable ? », diïŹ€usĂ© gratuitement avec les exemplaires abonnĂ©s France mĂ©tropolitaine, DOM-COM et Europe et sur le tirage kiosque dans son ensemble.

La conjecture de la correspondance AdS/CFT suggĂšre que notre univers est un hologramme, ce qui a conduit Ă  des dĂ©couvertes importantes depuis qu’elle a Ă©tĂ© proposĂ©e pour la premiĂšre fois voilĂ  vingt-cinq ans

À la ïŹn du Permien, un rĂ©chauïŹ€ement climatique de plus de 10 °C favorise la prolifĂ©ration de bactĂ©ries et d’algues toxiques. Les Ă©cosystĂšmes d’eau douce mettront des millions d’annĂ©es Ă  s’en remettre Le phĂ©nomĂšne va-t-il se reproduire ?

4 / POUR LA SCIENCE N° 546 / AVRIL 2023
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OMMAIRE
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Le numĂ©rique est-il un progrĂšs durable ? SupplĂ©ment rĂ©alisĂ© en partenariat avec Pour comprendre systĂšme Terre Ă©nergĂ©tique Bon pour nature Le numĂ©rique face lui-mĂȘme

P. 66

MÉDECINE

LA PROCHAINE GÉNÉRATION DE VACCINS CONTRE LES CORONAVIRUS

Ewen Callaway

Une immunitĂ© plus durable et eïŹƒcace contre l’évolution du SARS-CoV-2 et ses variants, voire d’autres coronavirus : tel est l’objectif des nouveaux vaccins en prĂ©paration contre le Covid-19.

P. 74

HISTOIRE DES SCIENCES

DU BAYOU DE LA LOUISIANE AU JARDIN DU ROI

Jonas Musco

InstallĂ©s loin du royaume de France, mais au contact direct avec des curiositĂ©s encore ignorĂ©es des savants d’Europe, les colons de Louisiane ont jouĂ© un rĂŽle sensible dans l’émergence des sciences naturelles des LumiĂšres

P. 22 NEUROSCIENCES

LES RÊVES, UNE FENÊTRE OUVERTE SUR NOTRE SANTÉ MENTALE ?

Le fait d’agir rĂ©ellement durant ses rĂȘves est l’un des signes les plus prĂ©coces de maladies neurodĂ©gĂ©nĂ©ratives comme celle de Parkinson Un trouble qui oïŹ€re une occasion unique d’agir tĂŽt pour retarder l’apparition des symptĂŽmes

P. 30 NEUROLOGIE

« LE CAUCHEMAR N’EST PAS UNE FATALITÉ »

Entretien avec Isabelle Arnulf

Les rĂȘves reïŹ‚Ăštent-ils notre santĂ© mentale ? Doit-on s’inquiĂ©ter quand un cauchemar devient rĂ©current ? Les rĂ©ponses d’Isabelle Arnulf, qui Ă©tudie le sommeil et ses troubles depuis une trentaine d’annĂ©es

RENDEZ-VOUS

P. 80

LOGIQUE & CALCUL DU DISCRET

VERS LE CONTINU

Jean-Paul Delahaye

On rĂȘve depuis les premiers moments des mathĂ©matiques de dĂ©duire le continu du discret. Qu’a-t-on rĂ©ussi ? Est-ce satisfaisant ?

P. 86

ART & SCIENCE

Le squelette en armure

LoĂŻc Mangin

P. 88

IDÉES DE PHYSIQUE

La lithoĂ©lectricitĂ©, enïŹn une rĂ©alitĂ©

Jean-Michel Courty et Édouard Kierlik

P. 92

CHRONIQUES DE L’ÉVOLUTION

Dunkleosteus, un cou d’avance

Hervé Le Guyader

P. 96

SCIENCE & GASTRONOMIE

Sels et jaune d’Ɠuf : l’alliance dorĂ©e

Hervé This

P. 98

À PICORER

POUR LA SCIENCE N° 546 / AVRIL 2023 / 5

SIX GALAXIES PRIMORDIALES TROP MASSIVES ?

Image des six galaxies candidates situĂ©es Ă  une Ă©poque oĂč l’Univers avait entre 500 et 700 millions d’annĂ©es. Celle en bas Ă  gauche contiendrait autant d’étoiles que la Voie lactĂ©e, mais serait 30 fois plus compacte.

Le tĂ©lescope spatial « JWST » aurait repĂ©rĂ© des galaxies massives dans l’Univers primordial. Incompatible avec le modĂšle cosmologique ? Patience ! D’autres observations sont Ă  venir.

Les premiĂšres donnĂ©es du tĂ©lescope JWST sont troublantes. GrĂące Ă  cet instrument, Ivo LabbĂ©, de l’universitĂ© de technologie Swinburne, Ă  Melbourne, en Australie, et ses collĂšgues ont plongĂ© leur regard dans l’Univers primordial, ĂągĂ© de quelques centaines de millions d’annĂ©es. Parmi une vaste collection de petites galaxies en cours de formation, ils en ont dĂ©couvert six d’une masse comparable Ă  celle de la Voie lactĂ©e. Une anomalie si l’on se fie aux modĂšles de formation de ces structures riches en Ă©toiles et en gaz. Faut-il pour autant conclure que le modĂšle cosmologique standard est cassĂ©

ou que les scénarios de formation des galaxies sont incomplets ?

Parce que la lumiĂšre se propage Ă  une vitesse ïŹnie (prĂšs de 300 000 kilomĂštres par seconde), plus on regarde loin dans l’Univers plus on remonte le temps et observe le cosmos tel qu’il Ă©tait dans le passĂ© Le tĂ©lescope spatial Hubble nous avait habituĂ©s Ă  ce genre de voyages dans le temps GrĂące Ă  cet instrument , les astrophysiciens avaient rĂ©ussi Ă  voir des galaxies primordiales dont la lumiĂšre a Ă©tĂ© Ă©mise alors que l’Univers n’avait que 400 millions d’annĂ©es (soit environ 3 % de son Ăąge actuel), Ă  l’image de la galaxie GN-z11 dĂ©couverte en 2016. Cette derniĂšre avait une masse de l’ordre de 1 % de

celle de la Voie lactĂ©e Sa prĂ©sence dans l’Univers aussi jeune n’était donc pas surprenante

Le tĂ©lescope spatial Hubble a cependant atteint ses limites et n’est pas assez puissant pour mener une Ă©tude systĂ©matique sur les galaxies primordiales Cette mission a Ă©tĂ© conïŹĂ©e Ă  son successeur, le tĂ©lescope spatial JWST , lancĂ© le 25 dĂ©cembre 2021. ÉquipĂ© d’une camĂ©ra infrarouge plus performante, ce nouvel instrument voit des objets plus Ă©loignĂ©s et moins lumineux Il a commencĂ© Ă  scruter le cosmos Ă  partir de l’été 2022. DĂšs le mois de juillet, avec les premiĂšres donnĂ©es, des chercheurs ont annoncĂ© la dĂ©couverte de galaxies « problĂ©matiques ». Elles aussi aïŹƒchent une masse de l’ordre de 1 % de celle de la Voie lactĂ©e Mais leur Ăąge, estimĂ© Ă  300 millions d’annĂ©es, met en diïŹƒcultĂ© les modĂšles

Dans les scĂ©narios de formation , aprĂšs le Big Bang, l’Univers Ă©tait rempli de matiĂšre ordinaire et surtout de matiĂšre ©

6 / POUR LA SCIENCE N° 546 / AVRIL 2023 ÉCHOS DES LABOS
P. 6 Échos des labos P. 16 Livres du mois P. 18 Disputes environnementales P. 20 Les sciences à la loupe
ASTROPHYSIQUE
Nasa, ESA, CSA, I. LabbĂ© (universitĂ© de technologie Swinburne). Traitement des images G. Brammer (centre Cosmic Dawn de l’institut Niels Bohr, universitĂ© de Copenhague).

SANTÉ

noire, presque cinq fois plus abondante Les rĂ©gions de l’espace prĂ©sentant une surdensitĂ© de matiĂšre noire ont attirĂ© gravitationnellement la matiĂšre ordinaire , constituant les graines qui ont donnĂ© naissance aux galaxies. La vitesse Ă  laquelle le gaz d’hydrogĂšne et d’hĂ©lium s’est ainsi amassĂ© dans les galaxies est limitĂ©e et contrĂŽle le taux de croissance des structures. DĂšs lors, une galaxie trop massive n’aurait pas le temps de se former dans l’Univers primordial. Dans les mois qui ont suivi les premiĂšres annonces, l’analyse des donnĂ©es a conduit Ă  replacer plus tardivement ces galaxies anormales, entre 300 et 400 millions d’annĂ©es aprĂšs le Big Bang. Elles seraient ainsi moins problĂ©matiques que l’on ne pensait . La traque des plus anciennes s’est poursuivie, et le problĂšme est rĂ©apparu


Les six galaxies qu’Ivo LabbĂ© et ses collĂšgues ont identiïŹĂ©es sont un peu moins prĂ©coces, situĂ©es entre 500 et 700 millions d’annĂ©es aprĂšs le Big Bang. Mais , en termes de masse, ces galaxies sont comparables Ă  la nĂŽtre . Trop massives
 Faut-il donc revoir le modĂšle cosmologique et les scĂ©narios de formation des premiĂšres galaxies ? Il est trop tĂŽt pour le dire : pour conclure sur les conïŹ‚its entre la thĂ©orie et les observations, les chercheurs attendent d’avoir davantage de donnĂ©es Ces observations problĂ©matiques s’appuient sur les seules mesures photomĂ©triques, premiĂšres disponibles Or « les mesures spectroscopiques seront cruciales, souligne Matthieu BĂ©thermin, du Laboratoire d’astrophysique de Marseille. Elles permettront de mieux dater ces galaxies et fourniront une modĂ©lisation plus prĂ©cise de leur masse ». Nicolas Laporte , de l’universitĂ© de Cambridge, ajoute : « Il manque des donnĂ©es importantes sur la quantitĂ© de poussiĂšre. Or celle-ci joue un rĂŽle considĂ©rable dans la modĂ©lisation, elle est source de grandes incertitudes sur la dĂ©termination de l’ñge et de la masse de ces galaxies » Il reste donc Ă  attendre les donnĂ©es du spectromĂštre NIRSpec du JWST pour mettre cette histoire au clair. n

ObĂ©sitĂ© et surpoids : prĂšs d’un Français sur deux concernĂ©

À l’initiative de la Ligue contre l’obĂ©sitĂ©, des chercheurs de l’Inserm et du CHU de Montpellier ont menĂ© un Ă©tat des lieux sur l’obĂ©sitĂ© en France. Annick Fontbonne et Karine ClĂ©ment commentent les rĂ©sultats de l’étude « ObĂ©pi 2020 » et les perspectives de traitement.

ANNICK FONTBONNE Ă©pidĂ©miologiste Ă  l’Inserm KARINE CLÉMENT mĂ©decin, professeuse de nutrition Ă  Sorbonne UniversitĂ© et chercheuse Ă  l’Inserm

L’obĂ©sitĂ© est un problĂšme de santĂ© publique mondial. Qu’en est-il en France ?

A. F. : Entre 1997 et 2012, le laboratoire Roche a ïŹnancĂ© un suivi de l’obĂ©sitĂ© avec un sondage tous les trois ans. Il Ă©tait important de faire le point sur l’évolution de cette maladie. En 2020, avec 9 598 participants de plus de 18 ans, un nouveau sondage a Ă©tĂ© e ectuĂ©. On constate que 30,3 % des personnes prĂ©sentent un surpoids, c’est-Ă -dire un indice de masse corporelle (ou IMC, qui est Ă©gal au poids en kilogramme divisĂ© par la taille en mĂštre au carrĂ©) compris entre 25 et 30. L’obĂ©sitĂ©, avec un IMC > 30, touche 17 % des sondĂ©s. Si la part des personnes en surpoids reste stable depuis 2012, l’obĂ©sitĂ©, elle, progresse. Elle Ă©tait de 8,5 % en 1997 et de 15 % en 2012. Presque toutes les tranches d’ñge sont touchĂ©es.

Comment expliquer cette évolution ?

A. F. : Nos comportements de vie ont considĂ©rablement changĂ© en matiĂšre notamment d’alimentation, d’activitĂ© physique. On est beaucoup plus sĂ©dentaire et on passe beaucoup de temps devant les Ă©crans. On constate aussi que l’obĂ©sitĂ© touche plus fortement les couches sociales dĂ©favorisĂ©es, probablement, encore une fois, parce que la nourriture la plus abordable est de moindre qualitĂ©. Si alimentation et activitĂ© physique sont deux facteurs importants, il y a bien d’autres dimensions. Ce problĂšme est multifactoriel.

K. C. : En e et, l’obĂ©sitĂ© est une maladie trĂšs complexe et elle ne se rĂ©duit pas Ă  « trop manger et ne pas se dĂ©penser ». Ce rĂ©sumĂ© simpliste est d’ailleurs nĂ©faste. Il a un e et stigmatisant pour les personnes qui en sou rent. À la liste des causes de cette maladie, on peut rajouter le stress, le fait de ne pas dormir assez, d’ĂȘtre exposĂ© Ă  des polluants, dont des perturbateurs endocriniens. Il y a aussi des causes gĂ©nĂ©tiques que l’on commence Ă  bien connaĂźtre.

Quels sont les risques de l’obĂ©sitĂ© ?

A. F. : L’obĂ©sitĂ© est associĂ©e Ă  de nombreuses comorbiditĂ©s et Ă  une mortalitĂ© Ă©levĂ©e. On constate une augmentation des risques cardiovasculaires, de diabĂšte ou de certaines formes de cancers (colon, sein
).

Qu’en est-il des traitements ?

K. C. : La rĂ©ponse est multiple et doit ĂȘtre adaptĂ©e au patient. Dans tous les cas, la coopĂ©ration de plusieurs soignants est souvent nĂ©cessaire : nutritionnistes, diĂ©tĂ©ticiens, coachs sportifs et parfois psychologues. Pour les cas les plus sĂ©vĂšres, il y a la chirurgie bariatrique (qui modiïŹe l’anatomie du systĂšme digestif). Mais nous avons Ă©tĂ© longtemps sans solution mĂ©dicamenteuse. C’est en train de changer.

Dans les annĂ©es 1960-1970 et jusqu’au milieu des annĂ©es 1990, certaines molĂ©cules Ă©taient utilisĂ©es. Elles visaient la voie de la sĂ©rotonine ou de la dopamine dans le cerveau, inïŹ‚uant sur la sensation de faim ou le circuit de la rĂ©compense. Mais ces approches avaient de graves e ets secondaires, cardiovasculaires ou neuropsychiques.

À la ïŹn des annĂ©es 1990, les chercheurs ayant recours Ă  l’hormone intestinale GLP1 pour traiter le diabĂšte ont constatĂ© qu’elle avait d’autres e ets intĂ©ressants qui conduisaient Ă  une baisse de poids. Depuis, des traitements, par injection hebdomadaire, ont Ă©tĂ© mis sur le marchĂ©. On observe une perte de poids jusqu’à 10 % en un an. D’autres traitements sont en phase de test, pour lesquels une molĂ©cule de type GLP1 est combinĂ©e Ă  d’autres hormones. Les donnĂ©es suggĂšrent que la perte de poids peut atteindre 20 %. C’est une bonne nouvelle de voir arriver des approches thĂ©rapeutiques di Ă©rentes. Il faut souligner que ces traitements impliquent un suivi et il est impĂ©ratif de bien former les soignants Ă  ces nouvelles approches. n

POUR LA SCIENCE N° 546 / AVRIL 2023 / 7 I.
Labbé et al., Nature, 2023.
A. Fontbonne et al., J. Clin. Medicine, 2023 ; C. M. Perdomo et al., The Lancet, 2023. Propos recueillis par Sean Bailly

L’ORIGINE DES POLYGONES DE SEL ENFIN COMPRISE

En Bolivie, Ă  3 600 mĂštres d’altitude, le dĂ©sert de sel Salar d’Uyuni oïŹ€re aux touristes un paysage quasi irrĂ©el : un carrelage blanc de polygones de sel Ă  perte de vue. Il existe plusieurs rĂ©gions dans le monde oĂč ces ïŹgures gĂ©omĂ©triques surviennent spontanĂ©ment. Si elles sont connues, le secret de leur formation, elle, ne l’était pas encore. Mais CĂ©dric Beaume, de l’universitĂ© de Leeds, au Royaume-Uni, et ses collĂšgues ont dĂ©cryptĂ© pourquoi ces polygones se dessinent dans la nature.

Les dĂ©serts de sel se forment dans des lacs assĂ©chĂ©s, situĂ©s dans des vallĂ©es de zones semi-arides Leurs sols y sont enrichis indirectement, via l’eau issue des prĂ©cipitations sur les montagnes autour. Lorsque le lac se vide, des croĂ»tes de sel apparaissent et crĂ©ent des polygones Comment ?

L’explication se trouve sous la surface du dĂ©sert. Les chercheurs ont modĂ©lisĂ© la dynamique des ïŹ‚uides dans le milieu poreux du sol composĂ© de minĂ©raux (sel) et d’eau, et y ont reproduit la convection d’eau Ă  faible et Ă  forte salinitĂ© L’évaporation transporte des minĂ©raux vers la surface, ce qui fait grandir la croĂ»te de sel Et, Ă  l’inverse, le ïŹ‚uide chargĂ© en sel, plus dense, a tendance Ă  plonger sur les bords de ces cellules de convection Mais pourquoi les formes sont-elles aussi rĂ©guliĂšres ? Les cellules convectives ont initialement une forme circulaire Lors de leur croissance, elles interagissent avec les cellules adjacentes, ce qui produit une frontiĂšre droite de courants descendants entre elles et mĂšne Ă  l’émergence d’une structure en nid-d’abeilles Ă  la surface. n

10 / POUR LA SCIENCE N° 546 / AVRIL 2023 ÉCHOS DES LABOS PHYSIQUE
Review X, 2023.
J. Lasser et al., Physical

Cette simulation reproduit la dynamique de l’eau dans le sol des dĂ©serts de sel, entre Ă©coulement et Ă©vaporation. Les couleurs indiquent la concentration de sel dans l’épaisseur (du jaune au noir) et les ïŹ‚ux montants (bleu) et descendants (rouge) Ă  la surface.

POUR LA SCIENCE N° 546 / AVRIL 2023 / 11 © SL-Photography/Shutterstock ; en médaillon © J. Lasser et al., Physical Review X, 2023

La chronique de CATHERINE AUBERTIN Ă©conomiste de l’environnement, directrice de recherche Ă  l’IRD et membre de l’UMR Paloc au MusĂ©um national d’histoire naturelle, Ă  Paris

UNE BIODIVERSITÉ

À CRÉDIT

ConïŹer aux marchĂ©s le ïŹnancement de la biodiversitĂ© ? Un pari risquĂ© si les subventions qui lui sont nĂ©fastes ne sont pas supprimĂ©es.

Gabon, qui annonce la mise sur le marché de 90  millions de tels crédits pour la somme de 2 milliards de dollars.

Oublions, pour voir le bon cĂŽtĂ© des choses, les soupçons qui pĂšsent sur l’eïŹƒcacitĂ© des marchĂ©s carbone et le dĂ©ïŹ de dĂ©ïŹnir une unitĂ© de biodiversitĂ© ConsidĂ©rer que les forĂȘts ne sont pas seulement des puits de carbone, mais des Ă©cosystĂšmes aux fonctions complexes, et que la dĂ©fense du climat et celle de la biodiversitĂ© sont indissociables relĂšve aujourd’hui de l’évidence Pour preuve, le marchĂ© volontaire du carbone a dĂ©passĂ© les 2  milliards de dollars, boostĂ© par la notion de « solutions fondĂ©es sur la nature » qui favorise les actions de prĂ©servation et d’enrichissement de la biodiversitĂ©.

La rĂ©cente COP15 de MontrĂ©alKunming a chiïŹ€rĂ© Ă  200 milliards de dollars annuels les besoins de ïŹnancement de son Cadre mondial pour la biodiversitĂ© pour l’aprĂšs 2020, adoptĂ© pour rĂ©pondre Ă  l’« urgence de la nature ». Pour atteindre cette somme, le secteur privĂ© est sollicitĂ©. Mais comment l’attirer alors que les retours sur investissement, gĂ©nĂ©ralement non monĂ©taires, proïŹtent Ă  tous et se font sur le long terme ?

Soumettre la nature Ă  la logique Ă©conomique n’est pas une idĂ©e neuve. Le « dĂ©veloppement durable » visait dĂ©jĂ  Ă  concilier intĂ©rĂȘts Ă©conomiques, environnementaux et sociaux Les conventions signĂ©es Ă  Rio en 1992 proposaient aussi des solutions marchandes pour rĂ©soudre les problĂšmes d’environnement .

L’initiative TEEB (l’Économie des Ă©cosystĂšmes et de la biodiversitĂ©) lancĂ©e Ă  la COP9, en 2008, expliquait quant Ă  elle comment Ă©valuer les biens et services de la biodiversitĂ© aïŹn que les dĂ©cideurs s’engagent dans une « Ă©conomie verte »

Un marché de « crédits biodiversité » est-il appelé à se développer ?

À la COP15, au pavillon de la ïŹnance, il n’était question que de nature-positive economy On peut se rĂ©jouir de l’invention d’une Ă©conomie qui abandonnerait la recherche du profit pour contribuer Ă  l’habitabilitĂ© de la planĂšte Mais s’agit-il de cela lorsque le concept est associĂ© au dĂ©veloppement d’un marchĂ© de « crĂ©dits biodiversitĂ© » apparu sans crier gare dans

Or les entreprises sont demandeuses de crĂ©dits, pas forcĂ©ment dans une optique de greenwashing, mais aussi pour rĂ©pondre aux exigences des diverses lĂ©gislations, comme, en France, l’obligation de compensation Ă©cologique de la loi biodiversitĂ© de 2016, la « responsabilitĂ© sociale des entreprises » (RSE) rĂ©novĂ©e par la loi sur le devoir de vigilance de 2017, qui impose les grandes entreprises françaises Ă  Ă©laborer, Ă  publier et Ă  mettre en Ɠuvre des mesures adaptĂ©es d’identiïŹcation des risques et de prĂ©vention des atteintes entre autres Ă  l’environnement, ou encore le dĂ©veloppement des comptabilitĂ©s extraïŹnanciĂšres


le texte ïŹnal ? Faut-il craindre que ce marchĂ© soit calquĂ© sur celui du carbone et donne des droits Ă  dĂ©truire la biodiversitĂ© par un jeu de compensations ?

On peut le craindre quand les premiers pays à défendre ces « crédits biodiversité » sont ceux qui proposent déjà des crédits carbone forestiers , comme le récent consortium Brésil-Congo-Indonésie, ou le

Mais, pour les inciter Ă  adopter des pratiques vertueuses , a - t- on vraiment besoin de crĂ©er un marchĂ© de crĂ©dits qui aiderait Ă  compenser des destructions ? Le rapport de la mission sur le ïŹnancement de la stratĂ©gie nationale biodiversitĂ© (SNB) propose une autre solution : « Une rĂ©duction de 4,6 % des subventions [de l’État et de l’UE] dommageables [Ă  la biodiversitĂ©] d’ici à 2027 ïŹnancerait l’intĂ©gralitĂ© des besoins nouveaux liĂ©s Ă  la SNB tout en diminuant les pressions sur la biodiversitĂ© DĂšs lors, la mission fait de la rĂ©duction et/ou de la rĂ©orientation de certaines dĂ©penses [ ] la prioritĂ© en matiĂšre de politiques de biodiversitĂ© »

PlutĂŽt que de crĂ©er des marchĂ©s, arrĂȘtons d’encourager les dettes ! n

18 / POUR LA SCIENCE N° 546 / AVRIL 2023
DISPUTES ENVIRONNEMENTALES © i am adventure/Shutterstock
Soumettre la nature Ă  la logique Ă©conomique n’est pas une idĂ©e neuve

PRENONS UNE LONGUEUR D’AVANCE SUR LE CANCER

QUI RESTE LA 1ÈRE CAUSE DE MORTALITE PREMATUREE EN FRANCE

Luc Ferry, Philosophe, Ă©crivain, ancien Ministre de la Jeunesse, de l’Education Nationale et de la Recherche

Chaque année, 400.000 nouveaux cas de cancer, tout type confondu, sont dépistés.

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Crédit photo @Sylvia GALMOT

La chronique de YVES GINGRAS professeur d’histoire et sociologie des sciences Ă  l’universitĂ© du QuĂ©bec Ă  MontrĂ©al, directeur scientiïŹque de l’Observatoire des sciences et des technologies, au Canada

UNE JEUNESSE RELATIVISTE

Sur la base d’un rĂ©cent sondage, il semble que les jeunes Français ont moins conïŹance dans les sciences que leurs aĂźnĂ©s. Au point d’accepter que tout soit possible


est en eïŹ€et frappant que ceux qui nient clairement que ce soit une science sont plus nombreux (30 %) que ceux qui se disent seulement « plutĂŽt en dĂ©saccord » (21 %). La plus grande part d’hĂ©sitants parmi ceux qui affirment que l’astrologie est une science me paraĂźt un indice suggĂ©rant que ces rĂ©pondants n’ont pas une idĂ©e prĂ©cise de ce qu’est une science.

De mĂȘme, je ne dirais pas que « force est de constater que les eïŹ€ets bĂ©nĂ©ïŹques de la recherche scientiïŹque sur la sociĂ©tĂ© sont de moins en moins bien perçus », mais plutĂŽt que les eïŹ€ets nĂ©fastes sont davantage mis en relief et cela en raison mĂȘme des nombreux messages alarmant sur les thĂšmes de l’environnement et des entreprises liĂ©es aux pesticides et aux mĂ©dicaments.

Un sondage rĂ©cent * de l’Ifop pour la fondation Jean -JaurĂšs sur « le rapport Ă  la science [
] » des jeunes Français de 11 Ă  24  ans a mis en Ă©vidence qu’ils sont bien plus sceptiques que leurs aĂźnĂ©s sur « les bienfaits de la science » et qu’ils ont davantage tendance Ă  croire aux pseudosciences Ces rĂ©sultats rappellent ceux d’autres enquĂȘtes qui ont aussi montrĂ© une tendance moins forte chez les jeunes Ă  aïŹƒrmer que la science apporte plus de bien que de mal ou que les vaccins sont eïŹƒcaces et sĂ»rs. Le sondage Ifop confirme Ă©galement d’autres rĂ©sultats classiques de sondages amĂ©ricains, canadiens et europĂ©ens : par exemple que le niveau Ă©levĂ© d’éducation est fortement liĂ© aux attitudes positives envers les sciences, alors que les croyances religieuses y sont dĂ©favorables

Cela Ă©tant, il est bien connu que la formulation des questions inïŹ‚ue sur le choix des rĂ©ponses. Ainsi, Ă  la question de savoir si « la science apporte plus de mal que de bien », il est probable que plusieurs rĂ©pondants confondent science et technologie De mĂȘme , il vaut mieux

distinguer « la science » et « les scientiïŹques », car tous les sondages (tant en Europe qu’en AmĂ©rique du Nord) conïŹrment que la conïŹance dans les scientiïŹques reste largement majoritaire parmi la population Cette profession est en eïŹ€et toujours la mieux classĂ©e, loin devant les politiciens et les journalistes


Avoir l’esprit scientiïŹque ne signiïŹe pas douter de tout

L’ambiguĂŻtĂ© du terme « science » au singulier se reflĂšte d’ailleurs dans les rĂ©ponses Ă  la question « L’astrologie estelle une science ? », Ă  laquelle 12 % des 18-24  ans rĂ©pondent « tout Ă  fait d’accord » et 37 % « plutĂŽt d’accord ». Alors que le rapport conclut que « 49 % des jeunes estiment que l’astrologie est une science » , je ferais une autre lecture Outre que certains confondent « astronomie » et « astrologie », le mot-clĂ© ici est « plutĂŽt », qui suggĂšre une incertitude Il

Ce qui frappe dans les rĂ©ponses des jeunes est leur tendance Ă  accepter comme possible Ă  peu prĂšs n’importe quoi . Or cette attitude sceptique me paraĂźt ĂȘtre l’eïŹ€et d’une conviction assez rĂ©pandue selon laquelle le « respect » et « l’ouverture d’esprit » impliquent de ne jamais remettre en cause ou mĂȘme critiquer les « croyances » des autres, mĂȘme celles qui paraissent farfelues Tout se passe comme si les jeunes d’un cĂŽtĂ© se croyaient justiïŹĂ©s d’opiner sur tout au nom d’une aïŹƒrmation de soi en principe lĂ©gitime et en se ïŹant seulement Ă  leurs sentiments et, d’un autre cĂŽtĂ©, poussaient le relativisme jusqu’à accepter que la Terre soit, aprĂšs tout, peut-ĂȘtre plate ou que les AmĂ©ricains ne soient peut-ĂȘtre jamais allĂ©s sur la Lune. En somme, ils pensent – Ă  tort – que l’esprit critique ou scientiïŹque est synonyme de douter de tout Or ce doute hyperbolique constitue une dĂ©rive du vĂ©ritable esprit scientiïŹque qui, devant un fait que des personnes distinctes ont confirmĂ© par plusieurs mĂ©thodes indĂ©pendantes, considĂšre plutĂŽt qu’il devient irrationnel de douter. n

* https://www.jean-jaures.org/publication/ la-mesinformation-scientiïŹque-des-jeunesa-lheure-des-reseaux-sociaux

20 / POUR LA SCIENCE N° 546 / AVRIL 2023 LES SCIENCES À LA LOUPE
© Matyo

L’ESSENTIEL L’AUTRICE

> Au moins 1 % de la population mondiale mime ses rĂȘves durant son sommeil, parfois jusqu’à mettre en danger sa vie ou celle de son conjoint.

> Dans plus de 80 % des cas, les personnes atteintes de ce trouble développent une maladie neurodégénérative de type Parkinson dix à quinze ans plus tard.

> GrĂące Ă  la dĂ©tection de ce signe avant-coureur de telles pathologies, les neuroscientiïŹques espĂšrent freiner leur Ă©volution en les traitant plus tĂŽt.

> L’étude de ce trouble fournit aussi une piste pour contourner les freins moteurs qui entravent les personnes atteintes de la maladie de Parkinson.

Les rĂȘves une fenĂȘtre sur notre santĂ© mentale ?

Le fait d’agir rĂ©ellement durant ses rĂȘves est l’un des signes les plus prĂ©coces de maladies neurodĂ©gĂ©nĂ©ratives comme celle de Parkinson. Un trouble qui offre une occasion unique d’agir tĂŽt pour retarder l’apparition des symptĂŽmes.

Alan Alda courait pour sauver sa vie. Mais l’acteur, surtout connu pour son rĂŽle dans la sĂ©rie tĂ©lĂ©visĂ©e M*A*S*H, n’était pas sur un plateau La menace Ă©tait rĂ©elle – ou du moins la percevaitil comme telle Aussi, quand il vit un sac de pommes de terre devant lui, il s’en saisit et le jeta sur son agresseur Soudain, la scĂšne changea Il se trouvait dans sa chambre, sortant brusquement du sommeil, et le sac de pommes de terre Ă©tait un oreiller qu’il venait de jeter sur sa femme.

Le fait de mimer ses rĂȘves est la marque d’un trouble qui se produit pendant le sommeil paradoxal NommĂ© « trouble comportemental en sommeil paradoxal » (TCSP), il touche environ 0,5 Ă  1,25 % de la population gĂ©nĂ©rale et est plus frĂ©quemment signalĂ© chez des adultes ĂągĂ©s , en

particulier des hommes En plus d’ĂȘtre dangereux pour les rĂȘveurs et leurs partenaires, le TCSP est parfois le signe avant- coureur d’une maladie neurodĂ©gĂ©nĂ©rative, principalement de la famille des synuclĂ©inopathies – des maladies oĂč une protĂ©ine, l’alpha-synuclĂ©ine, forme des amas toxiques dans le cerveau

Toutes les activitĂ©s nocturnes ne relĂšvent pas d’un TCSP Le somnambulisme et la somniloquie, qui surviennent plus souvent pendant l’enfance et l’adolescence , ont lieu pendant le sommeil lent, une autre phase du cycle du sommeil. Cette di ïŹ€ Ă©rence est clairement perceptible dans un laboratoire du sommeil, oĂč les cliniciens ont les outils pour distinguer les di ïŹ€ Ă©rents stades du cycle et ainsi repĂ©rer durant lequel une personne bouge Le TCSP n’est pas non plus toujours associĂ© Ă  une synuclĂ©inopathie : il arrive que certains

22 / POUR LA SCIENCE N° 546 / AVRIL 2023 NEUROLOGIE
POUR LA SCIENCE N° 546 / AVRIL 2023 / 23 © agsandrew/Shutterstock

mĂ©dicaments le dĂ©clenchent, comme les antidĂ©presseurs, ou qu’il soit causĂ© par d’autres pathologies comme la narcolepsie ou une tumeur du tronc cĂ©rĂ©bral. Lorsque le TCSP survient en l’absence de ces autres explications, le risque de maladie future est Ă©levĂ© Certaines Ă©tudes Ă©pidĂ©miologiques suggĂšrent qu’une personne ayant cette pathologie prĂ©sente un risque de plus de 80 % de dĂ©velopper une maladie neurodĂ©gĂ©nĂ©rative. Cette maladie se manifeste en moyenne dans les dix Ă  quinze ans suivant l’apparition du rĂȘve agitĂ©, qui en serait le premier signe

L’une des pathologies les plus courantes associĂ©es au TCSP est la maladie de Parkinson, principalement caractĂ©risĂ©e par une perte progressive du contrĂŽle moteur Une autre est la maladie Ă  corps de Lewy, dans laquelle de petits amas d’alpha-synuclĂ©ine appelĂ©s « corps de Lewy » s’accumulent dans le cerveau, perturbant les mouvements et la cognition. Un troisiĂšme type de synuclĂ©inopathie , l’atrophie multisystĂ©matisĂ©e, aïŹ€ecte Ă  la fois les mouvements et les fonctions autonomes comme la digestion. Le TCSP est l’un des signes avantcoureurs les plus forts d’une future synuclĂ©inopathie, plus prĂ©dictif que d’autres marqueurs prĂ©coces tels que la constipation chronique et la diminution de l’odorat.

Les rĂ©cits de rĂȘves agitĂ©s par des personnes atteintes de la maladie de Parkinson remontent Ă  la dĂ©couverte de la maladie elle-mĂȘme Dans sa description originale, An Essay on the Shaking Palsy (Essai sur la paralysie tremblante), publiĂ©e en  1817, le mĂ©decin britannique James Parkinson Ă©crivait dĂ©jĂ  : « Des mouvements tremblants des membres se produisent pendant le sommeil et augmentent jusqu’à ce qu’ils rĂ©veillent le patient, souvent avec beaucoup d’agitation et de frayeur » Mais malgrĂ© des rapports similaires au cours des deux siĂšcles suivants, le lien entre les rĂȘves et la maladie est restĂ© obscur – Ă  tel point qu’Alan Alda a dĂ» convaincre son neurologue de lui prescrire une analyse Ă  la recherche de la maladie de Parkinson aprĂšs avoir dĂ©couvert l’existence de ce lien dans un article de 2015.

L’imagerie cĂ©rĂ©brale a conïŹrmĂ© les soupçons de l’acteur : il avait la maladie de Parkinson

Il a partagĂ© son expĂ©rience avec le public « parce que je pensais que toute personne prĂ©sentant un symptĂŽme, mĂȘme inhabituel, aurait ainsi une longueur d’avance pour faire face Ă  la nature progressive de la maladie, explique-t-il. Plus on s’y attaque tĂŽt, plus on a de chances d’en repousser les symptĂŽmes ».

Au cours des derniÚres années, la sensibilisation au TCSP et la compréhension de son lien avec les synucléinopathies se sont améliorées

L’étude de ce lien donne aux chercheurs des idĂ©es pour intervenir prĂ©cocement Ces progrĂšs contribuent Ă  une meilleure connaissance

de la phase dite « prodromique » de la maladie de Parkinson et d’autres pathologies neurodĂ©gĂ©nĂ©ratives , c’est- Ă  - dire la pĂ©riode oĂč des signes prĂ©liminaires apparaissent , mais oĂč aucun diagnostic dĂ©ïŹnitif n’a encore Ă©tĂ© posĂ© Parmi les indices prĂ©coces de la maladie de Parkinson , « le TCSP est spĂ©cial , dĂ©clare Daniela Berg, neurologue Ă  l’hĂŽpital universitaire du Schleswig - Holstein , en Allemagne C’est le marqueur clinique prodromique le plus fort dont nous disposons »

DES RÊVES SANS FREIN MOTEUR

Ray Merrell, un homme de 66  ans vivant dans le New Jersey, a commencĂ© Ă  mimer ses rĂȘves il y a environ quinze ans Son monde onirique s’est rempli d’action , comme « quelque chose que l’on regarderait Ă  la tĂ©lĂ©vision », explique Ray Merrell Il se retrouvait souvent soit poursuivi par une personne, un animal ou autre chose , soit en train de les poursuivre Dans le monde rĂ©el, Ray Merrell se dĂ©battait, donnait des coups de pied et sautait du lit Au point parfois de se faire mal Ou de blesser sa femme...

Chez les personnes atteintes de TCSP, les freins qui, normalement, les immobilisent pendant le sommeil paradoxal – le stade le plus Ă©troitement liĂ© au rĂȘve – sont levĂ©s. (On rĂȘve aussi pendant le sommeil lent, mais les rĂȘves pendant le sommeil paradoxal sont plus longs, plus vifs et plus Ă©tranges). Dans les annĂ©es 1950 et 1960, le neuroscientiïŹque français Michel Jouvet a menĂ© une sĂ©rie d’expĂ©riences qui ont rĂ©vĂ©lĂ© Ă  quel point les mouvements non bloquĂ©s pendant le sommeil paradoxal sont chaotiques En crĂ©ant des lĂ©sions dans le tronc cĂ©rĂ©bral de chats, Jouvet a inhibĂ© l’atonie musculaire qui se produit chez de nombreuses espĂšces pendant le sommeil paradoxal Les chats qui avaient subi la procĂ©dure agissaient normalement lorsqu’ils Ă©taient Ă©veillĂ©s, mais se mettaient Ă  rĂŽder, taper, mordre, jouer ou se toiletter par intermittence lorsqu’ils dormaient. Et ce tout en restant profondĂ©ment endormis De plus, leurs actions pendant le sommeil Ă©taient souvent diïŹ€Ă©rentes de leurs habitudes Ă  l’état de veille Des fĂ©lins « toujours trĂšs amicaux lorsqu’ils Ă©taient Ă©veillĂ©s » devenaient agressifs pendant le sommeil paradoxal

À la ïŹn des annĂ©es 1980, Carlos Schenck, psychiatre Ă  l’universitĂ© du Minnesota, aux États-Unis, et ses collĂšgues ont publiĂ© les premiers rapports de cas de TCSP Les patients dĂ©crivaient des rĂȘves violents et des comportements agressifs pendant le sommeil qui contrastaient fortement avec leur nature non violente lorsqu’ils Ă©taient Ă©veillĂ©s – ce qui faisait Ă©cho Ă  la documentation de Jouvet sur les fĂ©lins. Un patient, par exemple, a racontĂ© avoir rĂȘvĂ© qu’un motocycliste essayait de le percuter sur l’autoroute Il s’est retournĂ© pour donner un coup de pied Ă  la moto – et s’est rĂ©veillĂ© lorsque son

L’acteur amĂ©ricain Alan Alda sensibilise les gens Ă  la maladie de Parkinson et Ă  ses premiers symptĂŽmes aïŹn de leur donner une longueur d’avance pour affronter cette pathologie.

24 / POUR LA SCIENCE N° 546 / AVRIL 2023 NEUROLOGIE LES RÊVES, UNE FENÊTRE SUR NOTRE SANTÉ MENTALE ? Jesse Dittmar/Redux

repousser les

symptĂŽmes ÂŁ

Ă©pouse s’est Ă©criĂ©e : « Mais qu’est-ce que tu me fais ? », parce qu’il lui donnait « des coups de pied d’enfer ». Un autre a relatĂ© avoir rĂȘvĂ© qu’il brisait le cou d’un cerf et s’ĂȘtre rĂ©veillĂ© les bras enserrant la tĂȘte de sa compagne.

Pour vĂ©riïŹer si ces comportements bizarres reflĂ©taient des lĂ©sions du tronc cĂ©rĂ©bral , comme chez les chats de Jouvet , Carlos Schenck et ses collĂšgues ont surveillĂ© si leurs patients dĂ©veloppaient une maladie cĂ©rĂ©brale

En 1996, ils ont rapportĂ© que dans un groupe de 29  patients atteints de TCSP, tous de sexe masculin et ĂągĂ©s de 50 ans ou plus, 11 avaient dĂ©veloppĂ© une maladie neurodĂ©gĂ©nĂ©rative 13  ans en moyenne aprĂšs l’apparition de leur trouble du sommeil Et en 2013, 21 d’entre eux, soit plus de 80 %, avaient dĂ©veloppĂ© une maladie neurodĂ©gĂ©nĂ©rative, le plus souvent la maladie de Parkinson

Des Ă©tudes ultĂ©rieures ont conïŹrmĂ© ce lien. Sur 1 280  patients rĂ©partis dans 24  centres Ă  travers le monde, 74 % des personnes atteintes de TCSP ont reçu un diagnostic de maladie neurodĂ©gĂ©nĂ©rative dans les douze ans. Parfois, le TCSP se manifeste plusieurs dizaines d’annĂ©es avant d’autres symptĂŽmes neurologiques, mais le dĂ©lai moyen semble ĂȘtre d’environ dix ans. Et lorsque les rĂȘves agitĂ©s apparaissent en mĂȘme temps que d’autres signes prĂ©coces de synuclĂ©inopathie, les personnes ont tendance Ă  dĂ©velopper plus rapidement une maladie neurodĂ©gĂ©nĂ©rative.

Selon Bradley Boeve, professeur de neurologie Ă  la Mayo Clinic de Rochester, dans le Minnesota, de nombreux chercheurs ont trĂšs tĂŽt exprimĂ© leur scepticisme. « Nous recevions des commentaires d’examinateurs de nos articles nous disant que c’était de la foutaise »,

UN

raconte-t-il Mais le lien entre le TCSP et la synuclĂ©inopathie est aujourd’hui bien acceptĂ©. Certains scientiïŹques soupçonnent que le TCSP rĂ©sulte de l’agrĂ©gation d’alpha-synuclĂ©ine dans les zones du tronc cĂ©rĂ©bral qui nous immobilisent durant le sommeil paradoxal et de la neurodĂ©gĂ©nĂ©rescence associĂ©e Sous sa forme normale, bĂ©nigne, la protĂ©ine contribue au fonctionnement des neurones , mais lorsqu’elle se replie mal, elle s’agrĂšge parfois en amas toxiques Les autopsies ont montrĂ© que plus de 90 % des personnes atteintes de TCSP meurent avec des signes d’accumulation d’alpha - synuclĂ©ine dans le cerveau Il n’existe pas de mĂ©thode pour dĂ©tecter les amas de cette protĂ©ine dans le cerveau des patients vivants, mais les scientiïŹques ont recherchĂ© ses formes toxiques dans d’autres parties du corps Dans une Ă©tude publiĂ©e en  2021, Alejandro Iranzo , neurologue Ă  l’hĂŽpital clinique de Barcelone, en Espagne, et ses collĂšgues ont ainsi dĂ©celĂ© la prĂ©sence d’alpha-synuclĂ©ine mal repliĂ©e dans le liquide cĂ©phalorachidien de 90 % des patients atteints de TCSP

En tant que manifestation prĂ©coce de la maladie de Parkinson et des pathologies apparentĂ©es, le TCSP aide les scientiïŹques Ă  dĂ©terminer par quelles voies l’alpha - synuclĂ©ine toxique se propage dans l’organisme et le

TROUBLE CYCLIQUE

Lorsque nous dormons, le cerveau passe en boucle par di Ă©rents stades, caractĂ©risĂ©s chacun par une activitĂ© neuronale spĂ©ciïŹque. Pendant le sommeil paradoxal, pĂ©riode propice aux rĂȘves, les ondes cĂ©rĂ©brales ressemblent Ă  celles d’un cerveau Ă©veillĂ© et les muscles sont immobilisĂ©s. Mais en cas de trouble du comportement en sommeil paradoxal (TCSP), cette paralysie du sommeil est levĂ©e, probablement Ă  cause de lĂ©sions du tronc cĂ©rĂ©bral. Les trois autres stades, qui correspondent au sommeil lent, ne sont pas touchĂ©s.

Le trouble comportemental en sommeil paradoxal (TCSP) est associé à ces intervalles (en rouge).

POUR LA SCIENCE N° 546 / AVRIL 2023 / 25 © Jen Christiansen. Source : C. Blume et al. , F rontiers in Human Neuroscience vol. 9, article 105, 2015
Plus on s’a aque tît à Parkinson, plus on a de chances d’en
Stades du sommeil (cas gĂ©nĂ©ral) Éveil Sommeil paradoxal Stade 1 Stade 2 Stade 3 Temps Ă©coulĂ© (en heures) 1 2 3 4 5 6 7 8

ISABELLE ARNULF est neurologue et che e du service des pathologies du sommeil de l’hĂŽpital de la PitiĂ©-SalpĂȘtriĂšre.

Le cauchemar n’est pas une fatalitĂ©

Les rĂȘves reïŹ‚Ăštent-ils notre santĂ© mentale ? Doit-on s’inquiĂ©ter quand un cauchemar devient rĂ©current ?

Les rĂ©ponses d’Isabelle Arnulf, qui Ă©tudie le sommeil et ses troubles depuis une trentaine d’annĂ©es.

On vous consulte pour divers troubles du sommeil : le trouble comportemental en sommeil paradoxal (TCSP, voir l’article page 22), mais aussi le somnambulisme, les Ă©veils confusionnels, les terreurs nocturnes, la narcolepsie, l’hypersomnie
 On sait aujourd’hui que le premier est trĂšs souvent annonciateur d’une maladie de Parkinson ou d’autres maladies neurodĂ©gĂ©nĂ©ratives du mĂȘme type. Les autres troubles du sommeil sont-ils aussi la manifestation de pathologies cachĂ©es ?

Non On a beaucoup cherchĂ©, mais on n’a rien trouvĂ©. Par exemple, si on compare des somnambules Ă  des personnes tĂ©moins, on observe qu’ils sont lĂ©gĂšrement plus anxieux en moyenne, mais on n’a pas dĂ©tectĂ© de pathologie psychiatrique cachĂ©e.

Les rĂȘves non plus n’indiquent pas de maladie mentale. Il y a eu des tentatives pour

30 / POUR LA SCIENCE N° 546 / AVRIL 2023 © APHP
NEUROSCIENCES

les « phĂ©notyper » pour chaque trouble, mais on n’est pas allĂ© trĂšs loin . Les cauchemars sont frĂ©quents dans la psychopathologie en gĂ©nĂ©ral , par exemple chez les personnes dĂ©pressives, anxieuses ou atteintes d’un syndrome post-traumatique. Les individus psychotiques ont des rĂȘves particuliers qui ressemblent Ă  leur façon de raisonner dans la journĂ©e – sans queue ni tĂȘte et plutĂŽt pauvres, oĂč ils sont dans des situations de la vie quotidienne Les personnes autistes ont aussi des rĂȘves trĂšs pauvres, mais la pauvretĂ© des rĂȘves n’implique pas que l’on a ces maladies

La fréquence des cauchemars peut-elle aider à signaler une dépression ?

Oui, en particulier chez les jeunes Le risque suicidaire est plus Ă©levĂ© chez les adolescents qui ne vont pas bien dont la frĂ©quence des cauchemars a augmentĂ© Le suicide chez l’adolescent est en hausse ces derniĂšres annĂ©es et les mĂ©decins se trompent une fois sur deux sur le risque suicidaire d’une personne. Le risque plus Ă©levĂ© liĂ© aux cauchemars commence Ă  ĂȘtre intĂ©grĂ© dans le diagnostic, mais c’est trĂšs rĂ©cent. L’enjeu est de taille, car cela permettrait d’orienter plus tĂŽt les jeunes dĂ©pressifs vers des dispositifs de veille comme le programme Vigilans, coordonnĂ© par Guillaume Vaiva, au CHU de Lille, un systĂšme d’appel rĂ©gulier des gens Ă  risque suicidaire qui a prouvĂ© son eïŹƒcacitĂ©.

Les cauchemars des personnes dépressives ont-ils des caractéristiques propres qui aideraient à les prendre en charge plus tÎt ?

Dans la dĂ©pression, les rĂȘves sont trĂšs nĂ©gatifs, comme l’état mental des personnes dans la journĂ©e Les antidĂ©presseurs mettent environ un mois Ă  agir Au dĂ©but des annĂ©es 2000, Dieter Riemann, Ă  l’universitĂ© de Freiburg, en Allemagne, et ses collĂšgues ont vu le contenu nĂ©gatif des rĂȘves des patients traitĂ©s s’amĂ©liorer au fur et Ă  mesure que leur humeur embellissait dans la journĂ©e. Mais dans les premiĂšres semaines de traitement, les antidĂ©presseurs suppriment aussi souvent le sommeil paradoxal, la phase oĂč l’on rĂȘve le plus, et il faut attendre en gĂ©nĂ©ral un mois pour que les patients se souviennent Ă  nouveau de leurs rĂȘves. Il est donc diïŹƒcile d’apprĂ©hender le lien entre rĂȘves et dĂ©pression et de savoir qui, entre les deux, dirige l’autre. Sauf, peut-ĂȘtre, si on arrive Ă  trouver des rĂȘveurs lucides dĂ©pressifs ou, sans doute plus facilement, des personnes dĂ©pressives atteintes de TCSP C’est un des projets en cours de Jean-Baptiste Maranci, dans notre Ă©quipe

Qu’apporteraient ces personnes ?

Depuis une quinzaine d’annĂ©es, nous travaillons avec des patients souïŹ€rant de TCSP Ce trouble, qu’il faut soigner car les malades

se blessent, permet aussi d’explorer les rĂȘves, car Ă  cause d’une lĂ©sion du tronc cĂ©rĂ©bral , leurs mouvements ne sont pas inhibĂ©s durant le sommeil paradoxal . Chez une personne comme vous et moi, le seul accĂšs au rĂȘve est le rĂ©cit qu’elle en fait au rĂ©veil, avec toutes ses limites : oubli surtout , imprĂ©cision , reconstruction . Mais chez les patients prĂ©sentant un TCSP, on a en plus accĂšs au comportement durant le rĂȘve . Nous avons ainsi créé une banque de comportements , de paroles et d’émotions faciales Ă  l’aide de camĂ©ras infrarouges et de capteurs mesurant les muscles du sourire ou des expressions du visage. Quant aux rĂȘveurs lucides, qui arrivent Ă  savoir qu’ils sont en train de rĂȘver quand ils rĂȘvent, ils oïŹ€rent un accĂšs supplĂ©mentaire : il est possible d’instaurer un code avec eux pour qu’ils nous communiquent des informations pendant leurs rĂȘves Au dĂ©but , nous utilisions les mouvements volontaires des yeux : on obtient ainsi des informations complĂ©mentaires en dĂ©limitant des portions de rĂȘve Par exemple, nous avons montrĂ© que la respiration dans nos rĂȘves se traduit dans notre corps : on demandait aux rĂȘveurs de trouver une piscine dans leur songe et de faire un signal quand ils plongeaient et quand ils ressortaient. La pĂ©riode sous l’eau correspondait Ă  une belle apnĂ©e
 Mais ce n’était pas toujours facile pour eux de penser Ă  tourner deux fois les yeux vers la droite en pleine course-poursuite ! Alors nous sommes passĂ©s aux Ă©lectrodes posĂ©es sur les muscles zygomatiques ou du front : nous demandons par exemple au rĂȘveur de ponctuer les parties agrĂ©ables de ses rĂȘves avec trois petits sourires et celles dĂ©sagrĂ©ables avec trois petits froncements

Comment mettre Ă  proïŹt ces donnĂ©es dans le cas de la dĂ©pression ?

Le projet de Jean - Baptiste Maranci est d’utiliser l’intelligence artificielle , d’abord chez les rĂȘveurs lucides, pour repĂ©rer sur la polysomnographie de leur sommeil (les enregistrements de l’activitĂ© cĂ©rĂ©brale, des mouvements des yeux, du rythme cardiaque et de la respiration du dormeur) quels marqueurs sont associĂ©s uniquement aux Ă©motions nĂ©gatives et uniquement aux Ă©motions positives On pourra alors les rechercher dans le sommeil de tous et, ainsi, comprendre comment nous rĂ©gulons nos Ă©motions pendant le sommeil, Ă  quelle vitesse nous revivons et « digĂ©rons » les Ă©motions nĂ©gatives , ce qui nous permet d’ĂȘtre plus gais le matin que le soir Puis la mĂȘme recherche sera rĂ©alisĂ©e chez des personnes dĂ©pressives dans le but de comprendre pourquoi ce mĂ©canisme fonctionne mal chez elles, pourquoi elles sont plus tristes le matin au rĂ©veil que le soir

8 % des jeunes ont des cauchemars frĂ©quents (plus d’un par semaine), selon une Ă©tude prospective chinoise publiĂ©e en 2021 et menĂ©e sur prĂšs de 7 000 adolescents suivis pendant un an. Les pensĂ©es suicidaires dans l’annĂ©e qui suit sont deux fois plus frĂ©quentes chez eux et les tentatives de suicide dans l’annĂ©e, trois fois plus nombreuses.

Source : X. Liu et al., Sleep, 2021

POUR LA SCIENCE N° 546 / AVRIL 2023 / 31

A-t-on créé un trou de ver sur un ordinateur quantique ?

C’est ce que laisse entendre un article rĂ©cemment publiĂ© par une Ă©quipe de l’universitĂ© Harvard. Effet d’annonce, rĂ©elle dĂ©couverte, preuve de concept pour de futures expĂ©riences
, il est difïŹcile de s’y retrouver tant cette Ă©tude se situe Ă  la conïŹ‚uence d’idĂ©es complexes. DĂ©cryptage.

La rĂ©ponse la plus simple est « non, les chercheurs n’ont pas créé un trou de ver » En eïŹ€et, quand on parle de trou de ver, on pense volontiers aux ïŹlms Contact (de Robert Zemeckis, sorti en 1997 et adaptĂ© du roman de l’astrophysicien Carl Sagan ) ou Interstellar ( de Christopher Nolan, 2014) et aux sĂ©ries Stargate ou Star Trek. Dans ces Ɠuvres de science-ïŹction, les voyageurs intrĂ©pides traversent des tunnels spatiotemporels pour se dĂ©placer instantanĂ©ment d’une rĂ©gion Ă  une autre de la galaxie Mais gare Ă  la confusion ! Daniel JaïŹ€eris, de l’universitĂ© Harvard, aux États-Unis, et ses collĂšgues n’ont pas créé de raccourci dans l’espace-temps, mais rĂ©alisĂ© une simulation sur un ordinateur quantique, qui peut s’interprĂ©ter, dans un certain cadre de conjectures thĂ©oriques, comme la simulation de la dynamique d’un trou de ver On parle alors plutĂŽt de trou de ver « holographique »

Dans leur article, les chercheurs ont fait preuve d’une prudence relative « Cette Ă©tude est une tentative rĂ©ussie pour observer la dynamique d’un trou de ver traversable dans un dispositif expĂ©rimental » , Ă©crivent- ils En revanche, la communication menĂ©e autour de ce rĂ©sultat (communiquĂ©s aux titres spectaculaires, minidocumentaire Ă  suspens) a semĂ© le trouble, laissant croire que l’équipe avait bel et bien créé un trou de ver


Cette ambiguĂŻtĂ© a largement alimentĂ© la polĂ©mique entourant cet article . Mais une autre question se pose Quelle est l’importance de ce rĂ©sultat ? La rĂ©ponse est subtile et nĂ©cessite de comprendre comment l’étude s’insĂšre dans le cadre de la recherche autour de la gravitĂ© quantique Les spĂ©cialistes ne sont d’ailleurs pas d’accord entre eux sur la place Ă  donner aux travaux de Daniel JaïŹ€eris et de ses collĂšgues. Tout est question d’interprĂ©tation.

Pour Antoine Tilloy, chercheur Ă  l’École des mines de Paris - universitĂ© PSL et membre de

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PHYSIQUE THÉORIQUE
DOSSIER SPÉCIAL

L’ESSENTIEL

> En 1935, Albert Einstein et ses collĂšgues ont dĂ©veloppĂ© deux idĂ©es a priori sans rapport : l’intrication quantique et les trous de ver.

> Certaines thĂ©ories physiques trĂšs spĂ©culatives suggĂšrent qu’il existerait une analogie forte entre ces objets.

> Une Ă©quipe a utilisĂ© des particules intriquĂ©es sur un ordinateur quantique pour simuler la dynamique d’un trou de ver « holographique ».

> Ce résultat a suscité beaucoup de débats parmi les spécialistes.

L’AUTEUR

Vue d’artiste du trou de ver holographique simulĂ© sur un ordinateur quantique.

l’équipe Quantic d’Inria, la portĂ©e de l’étude est discutable « Le modĂšle utilisĂ© est dĂ©jĂ  simulable sans approximation sur un ordinateur classique et trĂšs bien compris thĂ©oriquement. De plus, c’est un modĂšle “jouet” qui ne reprĂ©sente pas la rĂ©alitĂ© et il est ici encore simpliïŹĂ© pour tourner sur un ordinateur quantique Cette Ă©tude ne nous apprend donc rien sur le lien entre gravitĂ© et physique quantique dans notre monde »

Dans un article accompagnant celui de l’équipe de Daniel Ja ïŹ€eris, Adam Brown et Leonard Susskind, de l’universitĂ© Stanford, rejoignent le point de vue d’Antoine Tilloy, mais voient ce rĂ©sultat comme une Ă©tape prĂ©liminaire Ă  d’autres travaux : « Les rĂ©sultats de cette expĂ©rience ne nous rĂ©vĂšlent rien de plus que ce qu’on aurait pu faire avec un calcul classique, et ne nous indiqueront rien sur la gravitĂ© quantique NĂ©anmoins, l’expĂ©rience de Daniel JaïŹ€eris et de ses collĂšgues est une preuve de concept qui pose les bases pour de futurs dĂ©veloppements » Andrea Puhm , de l’École

SEAN BAILLY journaliste scientiïŹque Ă  Pour la Science

polytechnique, partage les réserves et la prudence de ses collÚgues, mais ajoute : « Les résultats sont excitants, et je suis curieuse de voir comment cela se développera dans le futur »

LES TROUS NOIRS

D’EINSTEIN ET ROSEN

Pour comprendre les enjeux de cette Ă©tude, il faut remonter prĂšs d’un siĂšcle dans le passĂ© En 1915, Albert Einstein ïŹnalisait sa thĂ©orie de la relativitĂ© gĂ©nĂ©rale, qui allait rĂ©volutionner notre vision du monde. L’espace-temps devient un cadre dynamique qui se dĂ©forme en prĂ©sence d’énergie et de matiĂšre. La gravitation n’est plus une force au sens oĂč l’entendait Newton, mais une manifestation de la courbure de l’espace-temps Des Ă©quations de la relativitĂ© gĂ©nĂ©rale, les physiciens dĂ©rivent des solutions qui prĂ©voient l’existence de choses aussi Ă©tonnantes que les ondes gravitationnelles et les trous noirs dont l’existence ne fait plus de doute, ou encore
 les trous de ver, qui sont, quant Ă  eux, encore Ă  un stade trĂšs spĂ©culatif

En 1916, Karl Schwarzschild dĂ©couvrit la premiĂšre solution des Ă©quations de la relativitĂ© gĂ©nĂ©rale qui dĂ©crit un trou noir Depuis, de nombreuses observations ont conïŹrmĂ© l’existence de ces objets de l’extrĂȘme Les trous noirs sont des rĂ©gions oĂč la courbure de l’espace-temps est si forte que rien, mĂȘme pas la lumiĂšre, ne peut s’en Ă©chapper. De tels objets se forment, par exemple, lorsque le cƓur d’une Ă©toile trĂšs massive en ïŹn de vie s’eïŹ€ondre sur lui-mĂȘme. La concentration de la matiĂšre devient alors si Ă©levĂ©e qu’elle gauchit l’espace-temps jusqu’à former une singularitĂ©, oĂč les grandeurs physiques deviennent inïŹnies (un signe que les Ă©quations de la relativitĂ© gĂ©nĂ©rale atteignent leur limite de validitĂ© et nĂ©cessitent une autre thĂ©orie, la gravitĂ© quantique). La singularitĂ© est cachĂ©e Ă  l’abri des regards, derriĂšre l’horizon des Ă©vĂ©nements, la frontiĂšre qui sĂ©pare l’intĂ©rieur du trou noir dont rien ne peut s’échapper et l’extĂ©rieur oĂč il est encore possible de se sauver

Les trous de ver sont encore plus Ă©tonnants que les trous noirs C’est en 1935 qu’Albert Einstein et Nathan Rosen , tous les deux Ă 

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© inqnet/A. Mueller

L’ESSENTIEL L’AUTEUR

> En 1997, le physicien Juan Maldacena Ă©nonce la dĂ©sormais cĂ©lĂšbre conjecture de la « correspondance AdS/CFT ». Elle postule que l’espace-temps, oĂč rĂšgnent la gravitĂ© et les lois de la thĂ©orie de la relativitĂ©, Ă©quivaut Ă  un espace plat et sans gravitĂ© uniquement soumis aux lois de la mĂ©canique quantique.

> AdS/CFT rĂ©alise l’hypothĂšse du « principe holographique », esquissĂ© quelques annĂ©es auparavant : le volume

de l’Univers serait le reïŹ‚et d’une rĂ©alitĂ© plus profonde, plate et quantique, situĂ©e « aux bords » de ce volume.

> Mais AdS/CFT ne s’applique pas directement Ă  notre univers : la correspondance ne vaut que pour un espacetemps irrĂ©aliste. Les thĂ©oriciens cherchent aujourd’hui Ă  la transposer Ă  notre univers physique aïŹn de pouvoir enïŹn uniïŹer relativitĂ© et mĂ©canique quantique en une thĂ©orie de la gravitĂ© quantique.

ANIL ANANTHASWAMY journaliste scientiïŹque et Ă©crivain, auteur notamment de Through Two Doors at Once (Dutton, 2018)

AdS/CFT vingt-cinq ans d’une rĂ©volution conceptuelle de l’espace-temps

La conjecture de la correspondance AdS/CFT suggĂšre que notre univers est un hologramme, ce qui a conduit Ă  des dĂ©couvertes importantes depuis qu’elle a Ă©tĂ© proposĂ©e pour la premiĂšre fois voilĂ  vingt-cinq ans.

Il y a vingt- cinq ans , une conjecture secouait le monde de la physique thĂ©orique. Elle revĂȘtait l’aura d’une rĂ©vĂ©lation « Au dĂ©part , nous avons eu un Ă©noncĂ© magique
 sorti presque de nulle part » , se souvient Mark Van Raamsdonk, physicien thĂ©oricien Ă  l’universitĂ© de Colombie - Britannique , Ă  Vancouver, au Canada. L’idĂ©e, formulĂ©e par Juan Maldacena, de l’Institut pour les Ă©tudes avancĂ©es de Princeton, dans le New Jersey, aux États-Unis, laissait entrevoir quelque chose de vertigineux : notre univers serait un hologramme . Tout comme un hologramme en trois dimensions Ă©merge des informations encodĂ©es sur une surface en deux dimensions, l’espace-temps en quatre dimensions de notre univers pourrait n’ĂȘtre qu’une projection holographique d’une rĂ©alitĂ© de dimension infĂ©rieure. Plus prĂ©cisĂ©ment, Juan Maldacena a montrĂ© qu’une thĂ©orie Ă  cinq dimensions d’un type

d’espace-temps imaginaire, appelĂ© « espace antide Sitter » (AdS), qui inclut la gravitĂ©, est Ă  mĂȘme de dĂ©crire le mĂȘme systĂšme qu’une thĂ©orie quantique des champs de dimension infĂ©rieure portant sur des particules et des champs en l’absence de gravitĂ© , appelĂ©e « thĂ©orie conforme des champs » (CFT, pour son acronyme anglais). En d’autres termes, il a trouvĂ© deux thĂ©ories diïŹ€Ă©rentes dĂ©crivant toutes deux le mĂȘme systĂšme physique, ce qui signiïŹe que les thĂ©ories sont, en un sens, Ă©quivalentes – mĂȘme si elles ont un nombre diïŹ€Ă©rent de dimensions et si l’une intĂšgre la gravitĂ© tandis que l’autre ne le fait pas Juan Maldacena a alors supposĂ© que cette dualitĂ© AdS/CFT pourrait ĂȘtre valable pour d’autres paires de thĂ©ories, l’une ayant une dimension de plus que l’autre – y compris des thĂ©ories dĂ©crivant un espace-temps Ă  quatre dimensions comme le nĂŽtre. La conjecture Ă©tait Ă  la fois intrigante et choquante Comment une thĂ©orie qui inclut la

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PHYSIQUE
DOSSIER SPÉCIAL

gravitĂ© saurait-elle ĂȘtre la mĂȘme qu’une thĂ©orie ignorant la gravitĂ© ? Comment justiïŹer le fait qu’elles dĂ©crivent le mĂȘme univers ? En dĂ©pit de son Ă©trangetĂ©, la dualitĂ© a largement tenu le coup En substance, elle soutient que ce qui se passe Ă  l’intĂ©rieur d’un certain volume d’espacetemps oĂč rĂšgne la gravitĂ© peut se comprendre en Ă©tudiant le comportement quantique de particules et de champs Ă  la surface de ce volume, Ă  l’aide d’une thĂ©orie ayant une dimension de moins et oĂč la gravitĂ© ne joue aucun rĂŽle. « Parfois, certaines choses sont plus faciles Ă  comprendre dans l’une des descriptions que dans l’autre, et savoir que l’on parle vraiment de la mĂȘme physique, c’est trĂšs puissant » , explique Netta Engelhardt , physicienne thĂ©oricienne Ă  l’institut de technologie du Massachusetts (MIT).

Au cours des vingt-cinq annĂ©es Ă©coulĂ©es depuis que Juan Maldacena a lancĂ© l’idĂ©e, les physiciens ont utilisĂ© cette puissance pour rĂ©pondre Ă  la question de savoir si les trous noirs dĂ©truisent ou non de l’information, pour mieux comprendre une Ă©poque prĂ©coce de l’histoire de notre univers appelĂ©e « inïŹ‚ation », et pour arriver Ă  la conclusion Ă©tonnante que l’espace-temps n’est peut-ĂȘtre pas une entitĂ© fondamentale, mais qu’il Ă©merge de l’intrication quantique dans un systĂšme de dimension infĂ©rieure. Certes, toutes ces avancĂ©es concernent l’espace-temps thĂ©oriquement plausible anti-de Sitter, qui n’est pas l’espace de Sitter dĂ©crivant notre univers, mais les physiciens ont bon espoir de parvenir un jour Ă  une correspondance qui fonctionnerait pour les deux Si cela advenait, l’idĂ©e aiderait Ă  Ă©laborer une thĂ©orie de la gravitĂ© quantique combinant la relativitĂ© gĂ©nĂ©rale d’Einstein et la mĂ©canique quantique. Elle impliquerait Ă©galement que notre univers est vĂ©ritablement un hologramme.

LES ORIGINES DE L’HOLOGRAPHIE

Pour concevoir la correspondance, Juan Maldacena s’est inspirĂ© des travaux rĂ©alisĂ©s en particulier par le regrettĂ© Joe Polchinski, physicien thĂ©oricien de l’universitĂ© de Californie Ă  Santa Barbara. En s’appuyant sur la thĂ©orie des cordes, selon laquelle la rĂ©alitĂ© Ă©merge de la vibration de cordes incroyablement petites, Joe Polchinski avait dĂ©veloppĂ© une thĂ©orie d’objets appelĂ©s D - branes , qui servent de points d’extrĂ©mitĂ© aux cordes qui ne se referment pas sur elles-mĂȘmes.

Juan Maldacena a examiné la théorie conforme des champs décrivant les D-branes

POUR LA SCIENCE N° 546 / AVRIL 2023 / 43
© Kenn Brown, Mondolithic Studios

ïŹ€ement climatique

Quand la vase toxique asphyxie les eaux douces

PALÉONTOLOGIE
Réchau
ictor
58 / POUR LA SCIENCE N° 546 / AVRIL 2023
Leshyk
Chris Mays, Vivi Vajda, et Stephen McLoughlin

À la ïŹn du Permien, un rĂ©chauffement climatique de plus de 10 °C favorise la prolifĂ©ration de bactĂ©ries et d’algues toxiques. Les Ă©cosystĂšmes d’eau douce mettront des millions d’annĂ©es Ă  s’en remettre. Le phĂ©nomĂšne va-t-il se reproduire


Le jour se lĂšve, et en ce dĂ©but d’été 2018, il fait encore frais Heureusement pour nous, car nous venons de dĂ©barquer en Australie en provenance de Stockholm pour Ă©tudier une falaise situĂ©e Ă  une heure de route de Sydney Nous sommes Ă  la recherche des derniers tĂ©moignages de la pire crise biotique qu’a jamais subi notre planĂšte : celle de la ïŹn du Permien (299 Ă  252  millions d’annĂ©es). Plus de 70 % des vertĂ©brĂ©s terrestres et 80 % des espĂšces maritimes ont alors disparu TrĂšs peu d’animaux ont survĂ©cu Ă  cette immense crise, Ă  tel point qu’on la surnomme en anglais The Great Dying, « la grande agonie ».

Face Ă  la falaise, nous avons tout de suite notĂ© un premier indice de la crise : la couche de charbon en question Ă©tait la derniĂšre de l’imposante pile sĂ©dimentaire nous faisant face. Au-dessus, de trĂšs stĂ©riles couches de sable solidiïŹĂ© – c’est-Ă -dire de grĂšs – nous dominaient, alors que pendant notre ascension, nous avions observĂ© plus bas dans la mĂȘme pile de nombreuses couches de charbon prises entre grĂšs et mudstone – une roche faite de 90 % de boues calcaires pĂ©triïŹĂ©es. Ces charbons de la ïŹn du Permien reprĂ©sentent les restes compactĂ©s entre 259 et 252 millions d’annĂ©es des forĂȘts marĂ©cageuses d’une vaste ceinture mĂ©ridionale du supercontinent du Gondwana Pour leur part, les couches les surmontant se sont constituĂ©es entre 252 millions et 247 millions d’annĂ©es, pendant la premiĂšre partie du Trias (252 Ă  201 millions d’annĂ©es). L’observation faite face Ă  cette falaise australienne peut ĂȘtre Ă©tablie ailleurs sur la planĂšte : les roches du dĂ©but du Trias rĂ©sultent d’un lent dĂ©pĂŽt de sables et de boues dans des riviĂšres et des lacs, sans guĂšre de traces de vie apparentes.

Avant la crise de la ïŹn du Permien, les zones humides Ă©taient trĂšs arborĂ©es et ïŹ‚orissantes (Ă  gauche). AprĂšs la crise, algues et bactĂ©ries ont prolifĂ©rĂ© dans les eaux douces et empĂȘchĂ© le rĂ©tablissement de ces Ă©cosystĂšmes (Ă  droite).

Longtemps nĂ©gligĂ©e parce qu’elle contient trĂšs peu de combustibles fossiles exploitables, cette lacune dans les dĂ©pĂŽts de charbon apparaĂźt aujourd’hui comme le symptĂŽme le plus Ă©vident de la maladie d’un monde qui s’écroulait À la ïŹn du Permien , outre les Ă©cosystĂšmes terrestres et marins, ceux d’eau douce se sont eïŹ€ondrĂ©s Nos recherches rĂ©centes montrent que la hausse mondiale de la tempĂ©rature moyenne s’est alors accompagnĂ©e d’une prolifĂ©ration considĂ©rable des bactĂ©ries et des algues aquatiques, qui a rendu les riviĂšres et les lacs peu habitables Ces constatations ©

POUR LA SCIENCE N° 546 / AVRIL 2023 / 59
Victor Leshyk

L’ESSENTIEL

> Aujourd’hui, certains variants du virus responsable du Covid-19, comme Omicron, Ă©chappent en partie Ă  l’immunitĂ© confĂ©rĂ©e par les premiers vaccins administrĂ©s.

> Plusieurs Ă©quipes dans le monde travaillent sur de nouvelles approches pour amĂ©liorer l’e cacitĂ© vaccinale contre ces variants, voire d’autres coronavirus.

> Mise à jour, ciblage à spectre plus large, utilisation de nanoparticules, exploration de nouvelles protéines virales comme cibles potentielles, les stratégies testées sont multiples.

> Plus de cinquante vaccins ont dĂ©jĂ  Ă©tĂ© approuvĂ©s et des centaines d’autres sont en cours d’essais cliniques.

La prochaine génération de vaccins contre les coronavirus

Une immunitĂ© plus durable et efïŹcace contre l’évolution du SARS-CoV-2 et ses variants, voire d’autres coronavirus : tel est l’objectif des nouveaux vaccins en prĂ©paration contre le Covid-19. Revue des candidats en lice.

Des vaccins contre le Covid-19 ont Ă©tĂ© administrĂ©s Ă  des milliards de personnes et ont sauvĂ© plus de 20  millions de vies. Mais les variants du SARSCoV-2, le coronavirus responsable de la maladie, Ă©chappent en partie Ă  l’immunitĂ© que confĂšrent les vaccins originaux

C’est pourquoi des Ă©quipes du monde entier travaillent sur des projets de vaccins contre le Covid-19 de « nouvelle gĂ©nĂ©ration ». Il ne s’agit pas seulement de mises Ă  jour des premiĂšres versions, mais de solutions qui exploitent de nouvelles techniques

Ces projets sont trĂšs variĂ©s , mais leur objectif commun est d’oïŹ€rir une immunisation durable et eïŹƒcace contre l’évolution du virus Certains protĂ©geront contre une plus large gamme de coronavirus, y compris ceux qui Ă©mergeront un jour D’autres confĂ©reront une immunitĂ© plus forte avec des doses plus faibles, ou seront plus eïŹƒcaces pour prĂ©venir l’infection ou la transmission du virus Voici

ce qu’on peut attendre de cette nouvelle gĂ©nĂ©ration de vaccins

POURQUOI AVONS-NOUS BESOIN DE PLUS DE VACCINS ?

En un mot : Ă©volution Les premiers vaccins contre le Covid-19 approuvĂ©s ont Ă©tĂ© conçus pour protĂ©ger contre des versions du SARSCoV-2 qui n’avaient pas beaucoup changĂ© depuis son apparition et son identiïŹcation Ces produits sont de diïŹ€Ă©rents types – certains contiennent de l’ARN messager, d’autres des versions inactivĂ©es du coronavirus lui-mĂȘme ou certaines de ses protĂ©ines –, mais tous fonctionnent en exposant l’organisme Ă  des antigĂšnes (des fragments du virus) pour provoquer une rĂ©action immunitaire sans causer de maladie.

D’une façon gĂ©nĂ©rale, cette rĂ©ponse immunitaire provient des lymphocytes B, des cellules qui produisent des anticorps capables d’empĂȘcher le SARS-CoV-2 d’infecter les cellules, et des lymphocytes T, qui dĂ©truisent les cellules infectĂ©es (et soutiennent d’autres types de rĂ©action

Cet article est la traduction de The next generation of coronavirus vaccines : A graphical guide, publié sur Nature.com le 1er février 2023.

66 / POUR LA SCIENCE N° 546 / AVRIL 2023
MÉDECINE

immunitaire). Les vaccins provoquent Ă©galement la formation d’une population de « cellules mĂ©moire » qui prolongent l’immunitĂ©, mĂȘme lorsque le taux d’anticorps produits Ă  la suite de la vaccination diminue. Lors d’une infection ultĂ©rieure, ces lymphocytes B mĂ©moire prolifĂ©reront et se diïŹ€Ă©rencieront en cellules qui produisent davantage d’anticorps (voir la partie 1 de l’encadrĂ© pages 68-69).

Bien que ces vaccins assurent une protection durable contre les formes graves du Covid-19, celle-ci s’amenuise aprĂšs quelques mois. Et le SARS-CoV-2 a Ă©voluĂ© depuis : des variants comme Omicron portent des mutations qui leur permettent d’échapper en partie Ă  l’immunitĂ© confĂ©rĂ©e par les vaccins de premiĂšre gĂ©nĂ©ration. Par exemple, les lymphocytes mĂ©moire formĂ©s Ă  partir des vaccins initiaux produisent des anticorps qui ne se fixent pas aussi facilement sur le variant Omicron, ce qui rĂ©duit la protection contre l’infection par ce variant (voir la partie 2 de l’encadrĂ© pages 68-69) © Nik Spencer/Nature. AdaptĂ© de A. C. Walls et al. , Cell, vol. 183, pp. 1367-1382, 2020

Une deuxiĂšme gĂ©nĂ©ration de vaccins a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© mise au point pour renforcer l’immunitĂ© contre le variant Omicron Il est probable que d’autres mises Ă  jour, spĂ©cifiques Ă  chaque variant, suivront, aïŹn d’essayer de suivre l’évolution du virus Mais il n’est pas certain que la protection qu’ils oïŹ€rent soit particuliĂšrement durable Ă  mesure que l’immunitĂ© faiblit et que le SARS-CoV-2 continue d’évoluer. Par consĂ©quent, les chercheurs explorent d’autres approches pour dĂ©velopper de nouveaux vaccins.

DES FORMULES ACTUALISÉES

Pour s’attaquer aux variants du SARSCoV-2, les sociĂ©tĂ©s Pfizer - BioNTech et Moderna ont prĂ©sentĂ© l’annĂ©e derniĂšre des vaccins Ă  ARN messager actualisĂ©s. Ceux-ci sont dits « bivalents », car ils codent des molĂ©cules de la protĂ©ine S de la souche originale et d’Omicron (la protĂ©ine S, ou spike, permet au virus de se lier aux cellules).

Les vaccins bivalents fonctionnent de plusieurs façons. D’une part, comme les autres

POUR LA SCIENCE N° 546 / AVRIL 2023 / 67
Un vaccin à nanoparticule de la société sud-coréenne SK Bioscience, approuvé en 2022.

Du bayou de la Louisiane au Jardin du roi

InstallĂ©s loin du royaume de France, mais au contact direct avec des curiositĂ©s encore ignorĂ©es des savants d’Europe, les colons de Louisiane ont jouĂ© un rĂŽle sensible dans l’émergence des sciences naturelles des LumiĂšres.

«La colonie de la LoĂŒisianne est un monstre qui n’a aucune forme de gouvernement » , Ă©crivait le gouverneur Antoine de Lamothe - Cadillac , en octobre  1716. Les autoritĂ©s, en mĂ©tropole , auraient selon lui Ă©tĂ© trompĂ©es par « les fables de ceux qui ont dĂ©peint ce pays comme trĂšs excellent » alors qu’il aïŹƒrme « n’en avoir jamais vu de plus mauvais » ExplorĂ©e par les Français dĂšs 1673, la vallĂ©e du Mississippi donne naissance Ă  la Louisiane dans les annĂ©es 1690. Vingt ans plus tard, lorsque le gouverneur Ă©crit ces lignes, la colonie se trouve toujours dans une situation dĂ©sastreuse. AbandonnĂ©e par la couronne, elle ne compte que quelques centaines de colons, souvent malades et sous-alimentĂ©s, qui ne parviennent pas Ă  s’adapter aux environnements si spĂ©ciïŹques de la rĂ©gion, en particulier de la basse vallĂ©e du Mississippi

Contrairement aux riches possessions antillaises, comme Saint-Domingue, qui exportent le sucre produit par les esclaves africains, la Louisiane est rapidement marginalisĂ©e au sein de l’empire que se constitue le royaume de France Ă  la surface du globe

Cette marginalitĂ© Ă©conomique et dĂ©mographique a tendance Ă  eïŹ€acer la place de ce territoire dans le dĂ©veloppement des savoirs

scientiïŹques qui s’amorce dans l’espace impĂ©rial En eïŹ€et, alors que la situation de la colonie se stabilise relativement Ă  partir des annĂ©es 1720, des naturalistes s’y installent et identiïŹent, collectent, dĂ©crivent, envoient de nombreux spĂ©cimens botaniques et zoologiques jusqu’alors inconnus ou n’ayant retenu que peu d’attention en France Par ces informations inĂ©dites et le dialogue qu’ils engagent parfois avec les savants europĂ©ens, les naturalistes de Louisiane participent concrĂštement aux dĂ©bats scientiïŹques et inïŹ‚uencent durablement les thĂšses dĂ©fendues au sein de la RĂ©publique des sciences. Il importe alors de réévaluer la place originale qu’ils ont pu occuper dans l’émergence des sciences naturelles au sein de l’Europe des LumiĂšres

NATURALISTES À LEURS HEURES

Si le terme « naturaliste » est commode pour dĂ©signer des individus entretenant un certain savoir empirique et thĂ©orique relevant des sciences naturelles – botanique, zoologie,

Ce panorama de la Louisiane dessinĂ© par Jacques-François Chereau en 1770 donne un aperçu schĂ©matique de la faune et de la ïŹ‚ore dĂ©crites par les colons naturalistes.

74 / POUR LA SCIENCE N° 546 / AVRIL 2023 HISTOIRE DES SCIENCES
© Library of Congress, Geography and Map Division

L’ESSENTIEL L’AUTEUR

> La Louisiane, colonie Ă©tablie par le royaume de France entre 1682 et 1763, demeure tout au long de son existence un territoire marginal dans l’Empire français en matiĂšre de dĂ©veloppement Ă©conomique et de peuplement.

> D’un point de vue scientiïŹque, en revanche, elle est pleinement intĂ©grĂ©e aux dĂ©bats savants de l’Europe des LumiĂšres.

> Plusieurs colons – mĂ©decins, apothicaires ou simples curieux – y ont minutieusement dĂ©crit la ïŹ‚ore et la faune du Nouveau Monde, en Ă©troite collaboration avec les populations amĂ©rindiennes.

> Leurs observations parviennent aux naturalistes métropolitains qui, parfois, les intÚgrent à leurs travaux publiés en Europe.

JONAS MUSCO doctorant en histoire Ă  l’École des hautes Ă©tudes en sciences sociales (EHESS)

Article publiĂ© avec l’aimable autorisation de la revue EspĂšces, aprĂšs parution dans son n° 44, pp. 46-53, juin Ă  aoĂ»t 2022, https://especes.org.

POUR LA SCIENCE N° 546 / AVRIL 2023 / 75

P. 80 Logique & calcul

P. 86 Art & science

P. 88 Idées de physique

P. 92 Chroniques de l’évolution

P. 96 Science & gastronomie

P. 98 À picorer L’AUTEUR

DU DISCRET VERS LE CONTINU

On rĂȘve depuis les premiers moments des mathĂ©matiques de dĂ©duire le continu du discret. Qu’a-t-on rĂ©ussi ? Est-ce satisfaisant ?

JEAN-PAUL DELAHAYE professeur Ă©mĂ©rite Ă  l’universitĂ© de Lille et chercheur au laboratoire Cristal (Centre de recherche en informatique, signal et automatique de Lille)

Un des apports majeurs des mathĂ©matiques est la dĂ©monstration par le mathĂ©maticien Georg Cantor (1845-1918) qu’il existe diïŹ€Ă©rents types d’inïŹnis, les inïŹnis « discrets » dont on peut numĂ©roter les Ă©lĂ©ments comme les nombres entiers (et aussi les ensembles ïŹnis et les structures ïŹnies tels les graphes), et les inïŹnis « plus grands », par exemple les inïŹnis du « continu » dont les nombres rĂ©els (et plus gĂ©nĂ©ralement le temps, le plan , l’espace ,  etc .). Nous verrons ces notions au cours de l’article

La maĂźtrise du discret semble plus facile que celle du continu et les mathĂ©maticiens s’interrogent pour savoir si on pourrait Ă©viter le continu en trouvant une transition du discret vers le continu. Est-ce possible ? La question se formule de diverses façons : 1) Peut-on passer sans Ă -coups du discret au continu ? 2) Peut-on construire le continu Ă  partir du discret ? 3) Le continu se rĂ©duit-il au discret ? 4) Peut-on comprendre le continu Ă  partir du discret ?

Pythagore soutenait que tout se ramĂšne aux nombres entiers. Il a le premier subi une grande dĂ©ception en voulant concevoir les grandeurs gĂ©omĂ©triques avec les seuls nombres entiers Il a dĂ©couvert en eïŹ€et – lui-mĂȘme ou un de ses disciples – que le rapport de la diagonale d’un carrĂ© Ă  son cĂŽtĂ© n’est pas Ă©gal au rapport de deux nombres entiers En langage moderne , on exprime cette dĂ©couverte en disant que « √2 est irrationnel »

DĂ©montrons cette irrationalitĂ© en utilisant l’aïŹƒrmation que « le carrĂ© d’un nombre impair est impair » , ce qui est Ă©vident en Ă©crivant (2a + 1)2 = 4a2 + 4a + 1.

Jean-Paul Delahaye a récemment publié : Au-delà du Bitcoin (Dunod, 2022).

Les tentatives pour rĂ©pondre Ă  ces questions sont au cƓur des mathĂ©matiques depuis plus de deux millĂ©naires ; aujourd’hui, avec les systĂšmes de calculs formels, on y parvient un peu mieux, mĂȘme si la logique moderne nous suggĂšre qu’aucune solution dĂ©ïŹnitive n’est possible Voyons une partie de l’histoire de la question

Supposons √ 2 = n/m , n et m des entiers . On simplifie la fraction n/m en divisant par  2 le nombre n et le nombre m s’ils sont tous les deux pairs , et on recommence jusqu’à ce que n ou m soit impair. On part donc de √ 2 = n / m avec n ou m impair En Ă©levant au carrĂ© , on obtient 2 = n 2 / m 2 donc 2 m 2 = n 2 avec n ou m impair Puisque 2 m 2 est pair, n 2 est pair et donc n est pair et m est impair. On Ă©crit n = 2 p , avec p entier On a 2 m 2 = n 2 = 4 p 2 , ce qui en simplifiant par 2 donne m 2 = 2 p 2 , dont on dĂ©duit que m est pair On a prouvĂ© que n et m Ă©taient pairs , en contradiction avec notre point de dĂ©part Donc √ 2 n’est pas un quotient de deux entiers.

80 / POUR LA SCIENCE N° 546 / AVRIL 2023 LOGIQUE & CALCUL

LES FRACTALES

Il existe aussi des dĂ©monstrations gĂ©omĂ©triques de ce rĂ©sultat, mais on ne sait pas laquelle Pythagore connaissait On va voir que ce rĂ©sultat d’irrationalitĂ© joue un rĂŽle dans le problĂšme de la rĂ©duction du continu au discret

LE DISCRET, C’EST LE DÉNOMBRABLE

Les nombres entiers, ℕ = {0, 1, 2, , n, } sont le repĂšre pour le discret Ils se mettent en liste ; on peut les Ă©numĂ©rer. Si on adjoint les entiers nĂ©gatifs, ce qui donne l’ensemble des entiers relatifs , notĂ© â„€ , on peut encore en faire l’énumĂ©ration : â„€ = {0, 1, – 1, 2, – 2, 3, – 3, 
, n, – n, 
}.

Si on sait Ă©numĂ©rer les Ă©lĂ©ments d’un ensemble E, c’est-Ă -dire en faire une liste e0, e1, e2, , en,
 alors les Ă©lĂ©ments de E se trouvent isolĂ©s les uns des autres, et donc E est discret. Les ensembles qu’on peut ainsi Ă©numĂ©rer sont qualiïŹĂ©s de dĂ©nombrables.

ConsidĂ©rons maintenant les nombres rationnels, notĂ©s ℚ, c’est-Ă -dire toutes les fractions n/d avec n et d entiers Par exemple 1/2, – 7/11, 131/59. C’est un peu surprenant, mais on peut encore Ă©numĂ©rer ℚ L’énumĂ©ration, comme nous allons le voir, s’accomplit par la mĂ©thode des paquets ïŹnis que nous retrouverons plus loin pour les nombres algĂ©briques et

les nombres calculables On sĂ©pare ℚ en une inïŹnitĂ© de paquets ïŹnis qu’on place les uns derriĂšre les autres, ce qui donne une Ă©numĂ©ration de ℚ , c’est- Ă  - dire ce que l’on nomme une « bijection » entre les entiers et ℚ

Le premier paquet P1 contient uniquement 0, le second, P2, comporte encore un seul Ă©lĂ©ment 1/1 = 1, le troisiĂšme, P3, contient 2/1 et 1/2. Le n-iĂšme paquet, Pn, contient les nombres rationnels dont la somme du numĂ©rateur et du dĂ©nominateur est n, soit les nombres (n – 1)/1, (n – 2)/2, (n – 3)/3, , 2/(n – 2), 1/(n – 1) auxquels on retire ceux qui, par simpliïŹcation des fractions, redonnent des nombres dĂ©jĂ  obtenus. Disposer les uns derriĂšre les autres les paquets P1, P2, , Pn, 
 dĂ©ïŹnit une Ă©numĂ©ration de tous les rationnels positifs. Son dĂ©but est 0,

Le problĂšme de savoir si l’on peut construire le continu avec le discret se retrouve d’une maniĂšre imagĂ©e avec les fractales. Les fractales sont des objets inïŹniment dĂ©coupĂ©s dans lesquels on dĂ©couvre sans cesse de nouveaux dĂ©tails quand on les regarde de plus en plus prĂšs. Ils Ă©voquent l’inïŹni du continu dont aucun grossissement ne fait apparaĂźtre les points qui le composent. Pourtant les fractales sont dĂ©ïŹnies en gĂ©nĂ©ral par des programmes qui sont des objets discrets composĂ©s d’un nombre ïŹni de symboles et dont l’ensemble peut ĂȘtre Ă©numĂ©rĂ© (voir le texte). Ce serait une sorte de rĂ©duction du continu par le discret. L’article montre que cela n’est malheureusement pas aussi simple !

Cette Ă©numĂ©ration conduit Ă  celle de ℚ, l’ensemble de tous les nombres rationnels positifs ou nĂ©gatifs : on reprend la liste obtenue en faisant suivre chaque Ă©lĂ©ment r autre que 0, par – r Les rationnels sont donc rĂ©duits aux entiers. Les rationnels appartiennent Ă  l’ordre du discret : ℚ est discret C’est un peu une surprise, car entre deux rationnels a < b, il y en a

POUR LA SCIENCE N° 546 / AVRIL 2023 / 81
1, 2/1, 1/2, 3/1, 2/2, 1/3, 4/1, 3/2, 2/3, 1/4, 5/1, 4/2, 3/3, 2/4, 1/5, 
 qui
simpliïŹcation et retrait des doublons
0, 1, 2, 1/2, 3, 1/3, 4, 3/2, 2/3, 1/4, 5, 1/5, 

aprĂšs
devient
© Jérémie Brunet
1
ƒuvre fractale de JĂ©rĂ©mie Brunet

LA LITHOÉLECTRICITÉ, ENFIN UNE RÉALITÉ

Utiliser l’énergie potentielle de pesanteur des rochers, c’est dĂ©sormais ce que font des vĂ©hicules en dĂ©valant des montagnes !

Une fois encore, aprĂšs les camĂ©ras tĂ©rahertz, les petits rĂ©acteurs nuclĂ©aires
 votre rubrique prĂ©fĂ©rĂ©e s’est avĂ©rĂ©e prĂ©monitoire DĂšs 2005 en eïŹ€et, dans notre volontĂ© de contribuer Ă  la recherche d’énergies nouvelles, nous prĂ©sentions la lithoĂ©lectricitĂ©, fondĂ©e sur l’exploitation de l’énergie potentielle de pesanteur des roches. Les rieurs qui, Ă  l’époque, n’avaient vu dans cette chronique qu’un canular, au prĂ©texte d’une parution dans le numĂ©ro du mois d’avril, en sont aujourd’hui pour leur frais. La lithoĂ©lectricitĂ© est dĂ©sormais une rĂ©alitĂ© !

L’e-dumper, un Ă©norme camion utilisĂ© depuis bientĂŽt cinq ans dans une carriĂšre suisse, en est la preuve. La seule et unique source d’énergie avec laquelle il recharge les batteries qui alimentent son moteur Ă©lectrique est l’énergie potentielle de pesanteur des roches qu’il transporte

depuis le site d’extraction jusqu’à l’usine de fabrication de ciment en contrebas Cette dĂ©monstration grandeur nature du potentiel de la lithoĂ©lectricitĂ© n’est qu’un dĂ©but : plusieurs projets dans la mĂȘme veine sont en dĂ©veloppement

FAIRE LE PLEIN EN DESCENTE

L’e-dumper (voir la ïŹgure ci-dessus), abrĂ©viation d’Elektro-Dumper, est un camion Ă  la motorisation Ă©lectrique qui met Ă  proïŹt le freinage rĂ©gĂ©nĂ©ratif En d’autres termes, les mĂȘmes moteurs Ă©lectriques qui le propulsent sur le plat et dans les montĂ©es, se transforment en alternateurs dans les descentes LĂ , pour ralentir le vĂ©hicule qui gagne de la vitesse, au lieu des freins traditionnels qui dissipent toute l’énergie cinĂ©tique sous forme de chaleur, ces alternateurs la convertissent en Ă©nergie Ă©lectrique ensuite stockĂ©e dans les batteries.

L’e-dumper est le plus gros vĂ©hicule Ă©lectrique du monde. Lorsque, en descente, la benne chargĂ©e de minerai extrait d’une carriĂšre en altitude, il accĂ©lĂšre sous l’effet du poids, l’énergie cinĂ©tique est convertie en Ă©nergie Ă©lectrique stockĂ©e dans des batteries au lithium de plusieurs tonnes.

Toutefois, comme dans toute question Ă©nergĂ©tique, l’important n’est pas vraiment le « comment ? » ni le « est-il possible de ? » mais le « combien ? » Plus prĂ©cisĂ©ment ici, quelle quantitĂ© d’énergie peut ĂȘtre rĂ©cupĂ©rĂ©e lorsque le camion chargĂ© descend jusqu’à l’usine, et cette Ă©nergie est-elle suïŹƒsante pour assurer la remontĂ©e du vĂ©hicule jusqu’à la carriĂšre ? Pour rĂ©pondre, examinons et croisons avec un Ɠil de physicien les donnĂ©es glanĂ©es dans la presse, sur les sites du cimentier Vigier, Ă  PĂ©ry, en Suisse, oĂč circule l’e-dumper, de la compagnie eMining AG, fondĂ©e en 2017 pour concevoir et rĂ©aliser ce camion, et enïŹn du fabricant des batteries qui l’équipent, Lithium System.

L’e-dumper est un monstre : il s’agit d’un camion de mine à 6 roues (2 à l’avant, 4 sur l’essieu arriùre), de prùs de 10 mùtres de longueur pour 4,5  mùtres

88 / POUR LA SCIENCE N° 546 / AVRIL 2023 IDÉES DE PHYSIQUE
AUTEURS
LES
©
JEAN-MICHEL COURTY ET ÉDOUARD KIERLIK professeurs de physique Ă  Sorbonne UniversitĂ©, Ă  Paris
Illustrations de Bruno Vacaro

À NOUS DE VOUS FAIRE PRÉFÉRER LE TRAIN

Un des freins Ă  une rĂ©cupĂ©ration optimale de l’énergie cinĂ©tique d’un vĂ©hicule en descente rĂ©side dans les frottements de roulement des roues sur la chaussĂ©e. Lorsque pneu et route sont dĂ©formĂ©s par le poids du vĂ©hicule, la conversion mĂ©caniqueĂ©lectrique s’accompagne de pertes importantes qui nuisent au rendement. Ces frottements de roulement seraient rĂ©duits au minimum avec le contact des roues d’acier d’un train sur les rails.

de largeur et autant de hauteur. Il pĂšse 55  tonnes Ă  vide et transporte jusqu’à 65  tonnes de roches. De ces premiĂšres valeurs, on dĂ©duit que la masse Ă  la descente est plus du double de la masse Ă  la montĂ©e : autrement dit , l’énergie nĂ©cessaire pour vaincre la gravitĂ© Ă  la montĂ©e est Ă©gale Ă  moins de la moitiĂ© de l’énergie maximale que l’on peut rĂ©cupĂ©rer Ă  la descente Encore faut- il stocker cette Ă©nergie !

DES BATTERIES GÉANTES

Pour ce faire, le vĂ©hicule est Ă©quipĂ© de batteries Ă©lectriques au lithium, dont la capacitĂ© est d’au moins 600 kilowattheures (kWh), soit plus de 2  milliards de joules : elles ont un volume de plus de 1  mĂštre cube et pĂšsent 4,5 ou 8 tonnes selon les sources Cela fait de l’e-dumper le plus gros vĂ©hicule Ă©lectrique du monde !

Pour un camion plein, de 120 tonnes (55 + 65), le dĂ©nivelĂ© correspondant Ă  une Ă©nergie potentielle de pesanteur Ă©gale Ă  la capacitĂ© des batteries est de 1 800 mĂštres. Comparons cette valeur au dĂ©nivelĂ© rĂ©el d’un trajet du camion L’examen des photos satellites indique que la carriĂšre dans laquelle on extrait marne et calcaire est proche de la cimenterie et que le dĂ©nivelĂ© est de l’ordre de 100 mĂštres seulement. Donc l’énergie rĂ©cupĂ©rable en descente, Ă©gale Ă  33 kWh, est tout Ă  fait stockable dans la batterie du vĂ©hicule Avec un rendement parfait, on gagnerait en un aller-retour, en utilisant en partie, pour remonter, l’énergie stockĂ©e Ă  la descente, plus de la moitiĂ© de cette Ă©nergie , soit de l’ordre de 18  kWh. Une vingtaine d’allers-retours quotidiens suïŹƒraient alors Ă  recharger Ă  moitiĂ© les batteries

Mais est-ce possible ? D’un point de vue Ă©lectrique , les rendements sont aujourd’hui excellents ( de l’ordre de 90 % ), qu’il s’agisse de la conversion mĂ©canique - Ă©lectrique ou du stockage dans la batterie Il reste toutefois les pertes mĂ©caniques et notamment le frottement de roulement : il est quantiïŹĂ© par un coeïŹƒcient Ă©gal au rapport de la force nĂ©cessaire pour faire rouler sur celle pressant la roue sur le sol (ici, le poids).

Ce frottement est dû aux déformations à la fois des pneus et du sol, qui sont non négligeables avec un véhicule aussi

Les auteurs ont notamment publié : En avant la physique !, une sélection de leurs chroniques (Belin, 2017).

POUR LA SCIENCE N° 546 / AVRIL 2023 / 89
Frottement de roulement Pneu écrasé Chaussée déformée

SELS ET JAUNE D’ƒUF : L’ALLIANCE DORÉE

Pourquoi un peu de sel et de lait rehausseront l’éclat d’une pĂąte dĂ»ment dorĂ©e au jaune d’Ɠuf.

Certes , la bonne mine des aliments nous met en appĂ©tit, mais leur surface fait plus qu’inïŹ‚uencer notre Ɠil, car nous percevons d’abord le goĂ»t de la surface avant de percevoir le goĂ»t de l’intĂ©rieur. Et c’est ainsi que le sucre glace qui poudre le kouglof n’est pas une ïŹoriture, pas plus que le chaud-froid qui couvre une volaille : c’est d’abord la surface de cet aliment qui libĂšre des composĂ©s odorants, remontant vers le nez et stimulant les rĂ©cepteurs olfactifs, ou des composĂ©s sapides, qui se dissolvent dans la salive et atteignent les papilles.

L’étude de la surface est donc importante – ce pour quoi nous avons consacrĂ© un rĂ©cent sĂ©minaire de gastronomie molĂ©culaire Ă  l’étude de la dorure des pĂątes. ƒuf entier, jaune d’Ɠuf seulement, ou blanc d’Ɠuf, crĂšme, lait, sel, sucre
 Quelle prĂ©paration utiliser ? Rien ne vaut l’expĂ©rience : nous avons badigeonnĂ© la surface d’une pĂąte avec diïŹ€Ă©rentes prĂ©parations, en une ou deux couches pour voir, de surcroĂźt, l’inïŹ‚uence Ă©ventuelle d’un double dĂ©pĂŽt par rapport Ă  un seul, et nous avons cuit cette pĂąte conformĂ©ment aux canons professionnels de la pĂątisserie. Le rĂ©sultat est clair : c’est le jaune d’Ɠuf dĂ©posĂ© deux fois qui a fait la coloration la plus soutenue et la plus apprĂ©ciĂ©e.

Pourquoi ce rĂ©sultat ? L’expĂ©rience qui consiste Ă  chauïŹ€er du sucre, des protĂ©ines (comme avec le jaune), de la fĂ©cule (de l’amidon sans protĂ©ine) dans une poĂȘle montre que le sucre brunit (il caramĂ©lise), que les protĂ©ines brunissent, mais que la fĂ©cule rĂ©siste mieux. Cette expĂ©rience sommaire ne dit pas le ïŹn mot chimique de l’aïŹ€aire, car des rĂ©actions

En laboratoire, l’expĂ©rience livre une conclusion claire : c’est le jaune d’Ɠuf dĂ©posĂ© deux fois qui produit la coloration la plus soutenue.

auraient-elles lieu entre des sucres libĂ©rĂ©s par l’amidon et des protĂ©ines du jaune ou du blanc ? Par exemple, on sait que l’amidon chauïŹ€Ă© peut libĂ©rer du D-glucose, un « sucre rĂ©ducteur » susceptible de rĂ©actions de « glycation » avec des acides aminĂ©s ou des protĂ©ines.

Alors qu’ils Ă©tudiaient une autre question que la dorure, Neslihan GönccĂŒoglu Taß et Jane Parker, avec leurs collĂšgues des universitĂ©s d’Ankara et de Reading, viennent de publier des rĂ©sultats qui contribuent Ă  comprendre mieux les phĂ©nomĂšnes que nous avions observĂ©s : des pĂątes dans lesquelles ils avaient introduit du D-glucose brunissaient davantage quand on leur ajoutait des sels de sodium, de calcium, de potassium, de magnĂ©sium. Mieux, l’ajout de sels inhibait les rĂ©actions de glycation en faveur des rĂ©actions de caramĂ©lisation, les ions divalents (calcium, magnĂ©sium) Ă©tant plus eïŹƒcaces que les ions monovalents (sodium, potassium), et cela quel que soit le contre-ion (chlorure, lactate) : le goĂ»t diïŹ€Ăšre selon les sels.

Cerise sur le gĂąteau, les ions ajoutĂ©s aux pĂątes ont Ă©galement l’avantage de rĂ©duire la quantitĂ© de ce toxique acrylamide formĂ© lors de la cuisson des prĂ©parations qui contiennent de l’amidon. L’effet des ions Ă©tait d’autant plus

notable que la température de cuisson était élevée.

Avec ces nouveaux Ă©lĂ©ments, on envisage bien sĂ»r d’amender des farines, pour Ă©viter des rĂ©actions qui engendrent des composĂ©s toxiques. À la cuisine ? Le calcium est dans tous les laitages, notamment dans les laits et crĂšmes qui avaient Ă©tĂ© Ă©voquĂ©s pour les dorures
 n

GALETTE FEUILLETÉE BIEN DORÉE

➊ Avec 400 g de farine et 250 g d’eau – sans oublier le sel —, faire une pĂąte que l’on abaisse en un disque Ă©pais.

➋ Malaxer 300 g de beurre. Puis le poser, en disque, au centre de la pĂąte. Replier la pĂąte sur le beurre, puis, aussi rĂ©guliĂšrement que possible, Ă©taler cet ensemble au rouleau, replier en trois, et rĂ©pĂ©ter cinq ou six fois la double opĂ©ration d’étalement et de repliement, toujours avec la plus grande rĂ©gularitĂ©, garante du gonïŹ‚ement de la pĂąte feuilletĂ©e Ă  la cuisson.

➌ Étaler la pĂąte en deux disques Ă©pais que l’on superpose, et badigeonner la surface supĂ©rieure du disque deux fois de suite avec du jaune d’Ɠuf oĂč l’on disperse du sucre.

➍ Cuire au four à 180 °C pendant 45 minutes.

96 / POUR LA SCIENCE N° 546 / AVRIL 2023 SCIENCE & GASTRONOMIE
L’AUTEUR
© Piyaporn Konguasirikul/Shutterstock
HERVÉ THIS physicochimiste, directeur du Centre international de gastronomie molĂ©culaire AgroParisTech-Inrae, Ă  Palaiseau

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PAG23STD

PICORER À

p. 88

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p. 58

EUXINISME

C’est le plus gros camion Ă©lectrique du monde. Il mesure prĂšs de 10 mĂštres de longueur pour 4,5 mĂštres de largeur. Il pĂšse 55 tonnes Ă  vide et transporte jusqu’à 65 tonnes de roche. En descente, il convertit l’énergie potentielle en Ă©nergie Ă©lectrique. Cette derniĂšre lui sert Ă  remonter la pente jusqu’à la mine.

p. 20

PhĂ©nomĂšne par lequel un milieu aquatique fermĂ© ou conïŹnĂ© devient toxique. Quand, faute de renouvellement de l’eau, l’oxygĂšne vient Ă  disparaĂźtre en dessous d’une certaine profondeur, des bactĂ©ries anaĂ©robies prospĂšrent. Elles produisent en grande quantitĂ© du sulfure d’hydrogĂšne, un gaz hautement toxique. Ce terme vient de « Pont-Euxin », le nom que les Grecs de l’AntiquitĂ© donnaient Ă  la mer Noire.

p. 7

ÂŁ[Douter de tout] constitue une dĂ©rive du vĂ©ritable esprit scientiïŹque qui, devant un fait que des personnes distinctes ont conïŹrmĂ© par plusieurs mĂ©thodes indĂ©pendantes, considĂšre plutĂŽt qu’il devient irrationnel

de douter. ÂŁ

17 %

E- DUMPER NOMBRES CALCULABLES

Selon une Ă©tude menĂ©e en 2020, c’est la part de la population souffrant d’obĂ©sitĂ© chez les plus de 18 ans en France. En 1997, seulement 8,5 % de la population avait un indice de masse corporelle supĂ©rieur Ă  30, le critĂšre qui dĂ©ïŹnit l’obĂ©sitĂ©.

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p. 80

C’est l’ensemble des nombres dĂ©ïŹnissables par programme. Il inclut tous les nombres entiers relatifs, les rationnels, les nombres algĂ©briques (solutions de polynĂŽmes Ă  coefïŹcients entiers). On y trouve par exemple π ou e. Cet ensemble est dĂ©nombrable. Il ne contient pas l’ensemble des rĂ©els car certains nombres rĂ©els ne sont pas calculables par programme, comme Alan Turing l’a montrĂ© en 1936.

FERRITINE

Cette protĂ©ine permet de stocker du fer et joue un grand rĂŽle dans le mĂ©tabolisme de ce mĂ©tal. Sa structure tridimensionnelle forme une coquille creuse, qui rappelle la capside de certains virus. Une Ă©quipe de recherche essaye d’y ïŹxer des protĂ©ines S du SARS-CoV-2 pour l’utiliser comme vaccin.

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Des chercheurs ont utilisĂ© seulement sept qubits sur un ordinateur quantique pour simuler la dynamique d’un trou de ver holographique. En effet, selon certaines thĂ©ories qui restent Ă  prouver, il existe une correspondance entre l’intrication quantique (celle des qubits) et les trous de ver. Tous les physiciens ne s’accordent pas sur l’interprĂ©tation Ă  donner de cette Ă©tude.

7 QUBITS
YVES GINGRAS professeur d’histoire et de sociologie des sciences

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Pour La Science 546 - Avril 2023 by Pour la Science - Issuu