SYSTÈMES D’IA Des objets techniques comme les autres ?
Statistiques
LES ÉTRANGES
ANOMALIES DES TIRAGES DU LOTO
Biologie
À LONDRES, UN MOUSTIQUE VENU DE LOIN
Mathématiques
PROGRAMME DE LANGLANDS : UNE PREUVE MONUMENTALE
MENSUEL POUR LA SCIENCE
Rédacteur en chef : François Lassagne
Rédacteurs en chef adjoints : Loïc Mangin, Marie-Neige Cordonnier
Rédacteurs : François Savatier, Sean Bailly
Stagiaire : Louise Le Ridant
HORS-SÉRIE POUR LA SCIENCE
Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin
Développement numérique : Philippe Ribeau-Gésippe
Directeur marketing et développement : Frédéric-Alexandre Talec
Chef de produit marketing : Ferdinand Moncaut
Directrice artistique : Céline Lapert
Maquette : Pauline Bilbault, Raphaël Queruel, Ingrid Leroy, Ingrid Lhande
Réviseuses : Anne-Rozenn Jouble, Maud Bruguière et Isabelle Bouchery
Assistante administrative : Leïla Djema
Directrice des ressources humaines : Olivia Le Prévost
Fabrication : Marianne Sigogne et Stéphanie Ho
Directeur de la publication et gérant : Nicolas Bréon
Ont également participé à ce numéro : Séverine Boillée, Christopher Carcaillet, Simon Chamaillé-Jammes, Matías Goldin, Laurent Guilleminault, Jean-François Julien, Clémentine Laurens, Maria Lopopolo, Anne Nédélec, Gilles Ramstein, Benoît Stroh
PUBLICITÉ France stephanie.jullien@pourlascience.fr
Du lundi au vendredi de 8 h 30 à 12 h 30 et de 13 h 30 à 16 h 30
Adresse postale : Service abonnement Groupe Pour la Science c/o opper Services - CS 60003 31242 L’UNION
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DIFFUSION
Contact réservé aux dépositaires et diffuseurs de presse Société OPPER 1 montée de Saint-Menet – « Espace La Valentine » Bât B 13011 Marseille 01 40 94 22 23 – aabadie@opper.io
« Eutrophisation » ou « Impact sur l’eau » : Ptot 0,007 kg/tonne
Imprimé en France
Maury Imprimeur SA Malesherbes N° d’imprimeur : 285 241
DITO
François Lassagne Rédacteur en chef
AU-DELÀ DES INSTRUMENTS
Il y a trente ans, 51 Pegasi b, détectée grâce au télescope de l’observatoire de Haute-Provence, fut la première entrée d’un catalogue d’exoplanètes amené à s’étoffer rapidement. Dans les années 2010, le télescope spatial Kepler fit une moisson de plus de 2 500 nouveaux mondes. Depuis 2018, un autre télescope spatial, TESS, a pris le relais et affiche aujourd’hui un catalogue de plusieurs milliers de planètes candidates. Les agences spatiales tablent sur de nouveaux observatoires spatiaux à l’avenir pour étendre encore cette collection, et mieux qualifier les corps décelés. La découverte de mondes inconnus implique de voir plus loin, de voir mieux… mais aussi d’être capable de voir au-delà des instruments.
Le plaisir d’enrichir le catalogue des exoplanètes ne suffit pas à combler la curiosité des chercheurs. Ni même le fantasme de découvrir des mondes habitables – pourquoi la signature de la vie serait-elle la même que celle que nous connaissons sur Terre ? Au passage, quitte à rêver de vie dans l’espace, que serait la nôtre à bord d’une mission habitée de longue durée ? Le physicien Jean-Christophe Caillon nous apprend qu’une pesanteur artificielle, évidence des films de sciencefiction, ne pourrait être la panacée.
Le véritable moteur des chasseurs d’exoplanètes est, au fond, la capacité de donner sens à leurs observations, en confrontant les modèles théoriques qui rendent compte de l’histoire de notre système planétaire à la démographie des autres mondes. Or… les scientifiques achoppent sur cette confrontation, comme l’explique l’astrophysicien Dakotah Tyler. On s’attend à trouver certains types de planètes dans le catalogue, mais elles en sont absentes. Il faut donc réviser les modèles théoriques. Imaginer d’autres processus. Et ainsi, voir au-delà des instruments.
Les télescopes ont été construits pour observer le ciel, et les astrophysiciens les utilisent pour voir au-delà, et éprouver la cohérence de leurs théories. Et ce faisant, ils modifient leur rapport au monde. Un état d’esprit que nous gagnerions à adopter avec les systèmes techniques qui nous entourent, en particulier les IA qui, comme le suggère la philosophe de la technique Jessica Lombard, ne sauraient être considérés comme de simples instruments. n
s
OMMAIRE
ACTUALITÉS
P. 6
ÉCHOS DES LABOS
• Les étonnants motifs d’un fluide « actif »
• Maladie de Charcot : la piste mitochondriale
• Le cacatoès innove encore
• Cycle de Krebs : une origine spatiale ?
• Les Carthaginois étaient-ils grecs ?
• « Olo » : la couleur qui n’avait jamais été vue
P. 16
LES LIVRES DU MOIS
P. 18
DISPUTES
ENVIRONNEMENTALES
Les entités nouvelles, une
« mission impossible » ?
Catherine Aubertin
P. 20
LES SCIENCES À LA LOUPE
GRANDS FORMATS
P. 36
ÉTHOLOGIE
LA VIE SOCIALE CACHÉE DES ÉLÉPHANTS MÂLES
Caitlin O’Connell
Alors qu’on croyait les éléphants mâles solitaires, il s’avère qu’ils mènent une riche vie sociale hiérarchisée, faite de rituels et de déplacements communs
P. 52
MATHÉMATIQUES
UN PONT GÉOMÉTRIQUE
MONUMENTAL
Manon Bischoff
CAHIER PARTENAIRE
PAGES I À III (APRÈS LA P. 32)
Des outils pour prévoir la contamination radioactive du milieu marin à long terme
Parrainé par
AUTORITÉ DE SÛRETÉ NUCLÉAIRE ET DE RADIOPROTECTION
LETTRE D’INFORMATION
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L’État et la science : je t’aime, moi non plus Yves Gingras
Les portraits des contributeurs sont de Seb Jarnot
Ce numéro comporte un encart « FIRST VOYAGE – Pure Pepper » posé sur le magazine et diffusé sur l’ensemble des abonnés ainsi qu’un courrier de réabonnement posé sur le magazine, sur une sélection d’abonnés.
PESANTEUR
ARTIFICIELLE : LE DÉFI DE L’ACTIVITÉ
PHYSIQUE DANS
L’ESPACE
Jean-Christophe Caillon
Au prisme des lois de la physique et du sport, découvrez comment une pesanteur artificielle recréée dans un vaisseau en rotation bouleverserait les gestes les plus simples
Le programme de Langlands est souvent considéré comme un vaste projet d’unification des mathématiques. Depuis des décennies, des mathématiciens du monde entier travaillent sur cette vision ambitieuse. Récemment, le volet géométrique a été prouvé.
P. 62
PHILOSOPHIE DES SCIENCES
LES IA, DES OBJETS TECHNIQUES COMME LES AUTRES ?
Jessica Lombard
L’intelligence artificielle ne constitue pas tant une rupture radicale dans l’histoire des techniques qu’un révélateur de notre rapport purement instrumental aux objets qu’elles produisent
P. 22 PLANÉTOLOGIE
Dakotah Tyler
La démographie des exoplanètes révèle un manque surprenant de mondes dans une certaine gamme de masses dans toute la galaxie
RENDEZ-VOUS
P. 72
LOGIQUE & CALCUL
VRAIES ET FAUSSES ANOMALIES DU LOTO
Jean-Paul Delahaye
Certains tirages, dans les jeux de hasard, ont pu susciter des soupçons de tricherie. Les mathématiques aident à distinguer entre vraies coïncidences statistiques et manipulations frauduleuses
P. 78
ART & SCIENCE Instantané d’une seconde Loïc Mangin
P. 80
IDÉES DE PHYSIQUE
Allez hop, tous au hula hoop !
Jean-Michel Courty et Édouard Kierlik
P. 84
CHRONIQUES DE L’ÉVOLUTION
D’où vient le moustique du métro de Londres ?
Hervé Le Guyader
P. 88
SCIENCE & GASTRONOMIE
Le vin, garant de la fermeté ?
Hervé This
P. 90
À PICORER
P. 6 Échos des labos
P. 16 Livres du mois
P. 18 Disputes environnementales
P. 20 Les sciences à la loupe
Confrontés à un « fluide actif » circulant dans les canalisations de la ville, les plombiers Mario et Luigi seraient bien perplexes.
Comment stopper une fuite avec un liquide indomptable qui se mettrait en mouvement, changerait de direction ou créerait autant de motifs complexes sans cause apparente ? Denis Bartolo et Camille Jorge, de l’École normale supérieure de Lyon, pourraient être d’un grand secours pour nos deux héros virtuels. Les deux physiciens s’intéressent justement à comprendre les règles qui régissent les fluides actifs. Or, en analysant la richesse des comportements de ces derniers dans un réseau carré, ils ont découvert des points communs avec des modèles issus de la physique statistique qui décrivent des transitions de phase et les propriétés de matériaux magnétiques.
Mais qu’est-ce qu’un fluide actif ? Il s’agit de liquides dans lesquels des constituants en suspension dépensent de l’énergie pour se déplacer de façon autonome C’est le cas, par exemple, de bactéries, de spermatozoïdes ou encore de microtubules dans une cellule vivante Ces fluides
PHYSIQUE
LES ÉTONNANTS MOTIFS D’UN FLUIDE « ACTIF »
Lorsqu’un fluide contient des agents autopropulsés en suspension, les règles qui régissent son comportement dans un réseau de microcanaux ont des points communs avec celles qui décrivent des matériaux magnétiques !
actifs appartiennent à la grande famille de la matière active qui inclut des cas aussi variés que les foules à la sortie d’un stade, un groupe d’oiseaux en vol, une flotte de mini - robots , etc . Malgré l’ubiquité de
Malgré l’ubiquité de ces systèmes, leur étude est relativement récente
chaotiques. Pour restreindre cette liberté, Denis Bartolo et Camille Jorge ont étudié ce qui se passe dans un réseau de canalisations Les règles y sont clairement singulières : dans un circuit fermé comme un tore, par exemple, où il est impossible d’appliquer une différence de pression, on peut observer une circulation spontanée dans un sens, ce qui est strictement impossible pour de l’eau sans une action extérieure
ces systèmes , leur étude est relativement récente Historiquement , le premier modèle théorique décrivant leur dynamique a été proposé en 1995 par Tamás Viscek. Dans un environnement non contraint , un fluide actif exhibe une diversité de comportements qui peuvent être d’une grande complexité , voire
Les deux chercheurs ont plus précisément travaillé sur un réseau carré de canaux bidimensionnels (la figure A est le zoom d’un réseau plus grand), dans lequel ils ont fait circuler un colloïde : un fluide incompressible et conducteur électrique contenant des billes micrométriques isolantes En présence d’un champ électrique perpendiculaire au réseau , ces petites sphères se mettent à rouler, ce qui finit par entraîner l’écoulement de l’ensemble du fluide
À chaque intersection, la conservation de la masse s’applique Le fluide entre donc par deux canaux et ressort par les deux autres Par exemple, il peut arriver par la gauche et en bas et ressortir par la droite et en haut Une énumération rapide permet de constater qu’il
y a six configurations possibles (voir la figure D)… comme dans le « modèle à six vertex » , proposé en 1935 par Linus Pauling pour étudier, du point de vue de la physique statistique, l’entropie résiduelle dans un cristal de glace d’eau à basse température Mais si ce modèle ne reproduisait pas de façon satisfaisante ce système, il a eu beaucoup plus de succès dans le domaine des matériaux magnétiques : en 1941, John Slater l’a utilisé pour décrire des transitions ferroélectriques
Le modèle à six vertex restait cependant globalement théorique , or Denis Bartolo et Camille Jorge viennent de montrer que leur système en donne une réalisation physique quasi parfaite. Pour cela, il faut d’abord noter qu’à chaque intersection, la configuration, parmi les six, qui se met en place est aléatoire, pondérée par une certaine probabilité. Les deux chercheurs ont montré qu’ils pouvaient influer sur ces probabilités en disposant au centre de chaque croisement un plot cylindrique de rayon plus ou moins grand Quand le rayon du plot est petit (voire nul), ce sont les configurations du type 1 (les deux voies d’entrées sont adjacentes) qui apparaissent, alors
qu’avec un plot large ce sont les configurations de type 2 (les deux voies d’entrées sont l’une en face de l’autre) qui sont privilégiées Pour ce dernier cas, c’est assez intuitif, le flux arrivant de la gauche est divisé par le plot et sort en haut et en bas, idem à droite
Quand on regarde la situation en présence de plots larges, on constate qu’autour de chaque carré de la grille, le fluide circule dans un seul sens Et dans le carré voisin, le sens est inversé (voir la figure C). Cela n’est pas sans rappeler la configuration à l’intérieur d’un matériau antiferromagnétique où les spins des atomes sont alternés, pointant un coup vers le haut, un coup vers le bas À l’inverse, sans les plots, la circulation autour des carrés est désordonnée (voir la figure B)
La difficulté est de décrire le régime intermédiaire où les six configurations de vertex sont possibles et qui correspondrait à une transition entre la phase ordonnée et la phase désordonnée. Or, c’est bien ce que le modèle à six vertex permet de faire . Les deux chercheurs ont alors constaté par l’expérience que leur système de fluide actif réalise fidèlement les prédictions du modèle qui sont souvent limitées à des simulations
Dans un système de microcanaux, un fluide actif composé de microbilles (A) suit certaines règles de flux aux intersections (D). La circulation est globalement désordonnée (B), mais si les chercheurs placent des cylindres au centre des intersections, le fluide s’organise et adopte une configuration ordonnée comme dans un matériau antiferromagnétique (C).
numériques. Par exemple, si on regarde la trajectoire des particules dans le fluide, on constate qu’elles passent par différentes intersections mais finissent par former des boucles fermées . Les caractéristiques de ces boucles (taille, forme ) sont compatibles avec les prédictions du modèle
Ces résultats ouvrent un champ nouveau d’étude qui s’étend bien au-delà de la matière active, avec des applications potentielles en microfluidique ou en robotique. Et ne soyez pas surpris si lors de leur prochaine intervention, Mario et Luigi ont dans leur poche un article sur la matière active ! n
Sean Bailly
C. Jorge et D. Bartolo, Physical Review Letters, 2025.
Type
GÉNÉTIQUE
MALADIE DE CHARCOT : LA PISTE MITOCHONDRIALE
Une anomalie génétique découverte dans les mitochondries expliquerait comment cette maladie apparaît chez des personnes n’ayant pas d’antécédents génétiques familiaux.
Elle survient la plupart du temps sans prévenir, chez des personnes souvent âgées de 50 à 70 ans. Ses symptômes : une paralysie progressive, mais rapide, des muscles qui jouent un rôle dans la motricité volontaire. Il en résulte un handicap moteur important, qui se solde systématiquement, et en général entre trois et cinq ans après le diagnostic, par la mort, souvent parce que les muscles respiratoires (en partie sous contrôle volontaire) cessent de fonctionner. Derrière ce sombre tableau se cache la tristement célèbre maladie de Charcot, ou sclérose latérale amyotrophique (SLA), une maladie neurodégénérative grave, causée par la mort des motoneurones, les cellules du système nerveux chargées de contrôler les muscles volontaires. Étudiée depuis sa découverte au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle, cette maladie échappe encore à tous les traitements curatifs, mais des années de recherche ont permis aux biologistes de mieux comprendre sa génétique et une grande étape vient d’être franchie. En effet, l’équipe de Xiaorong Zhang, de l’Académie chinoise de sciences médicales, à Pékin, a identifié une anomalie génétique dans les mitochondries qui pourrait être à l’origine du déclenchement de la maladie.
Dans 10 % des cas répertoriés, la maladie de Charcot est familiale, c’est-à-dire qu’elle touche des personnes ayant des antécédents génétiques familiaux Plusieurs gènes mutés pouvant causer des dégâts dans les motoneurones ont d’ailleurs déjà été identifiés Mais comment expliquer la survenue de la maladie chez les 90 % d’autres individus touchés, qui ne présentent aucun antécédent familial ? Lors de travaux passés, plusieurs équipes de chercheurs avaient déjà détecté un certain dysfonctionnement des mitochondries – les usines à énergie des cellules – dans les neurones des personnes atteintes de la maladie. Xiaorong Zhang et ses collègues se sont donc penchés sur cette piste. En dressant le profil des mitochondries d’une quarantaine de patients, ils se sont rendu compte que, chez la moitié d’entre eux, elles partageaient une anomalie commune au niveau d’une enzyme, le complexe IV, qui participe à la respiration cellulaire, et donc au bon fonctionnement des motoneurones
LA MALADIE DE CHARCOT TOUCHE
ACTUELLEMENT
ENVIRON
8 000 PERSONNES
EN FRANCE, AVEC
UNE INCIDENCE
ANNUELLE PROCHE
DE 2,5 POUR
100 000 HABITANTS.
Pour vérifier la potentielle implication de cette anomalie dans la maladie de Charcot, les chercheurs ont modifié l’ADN mitochondrial d’une série de rats afin de reproduire les mutations observées sur le complexe IV des mitochondries de leurs patients Résultat : les rongeurs ont développé des symptômes ressemblant à ceux de la maladie de Charcot, en particulier la perte de motoneurones et la paralysie. Cette découverte ouvre la voie à la compréhension des mécanismes impliqués dans l’apparition des versions sporadiques de la maladie de Charcot, et a permis de mettre en place un modèle animal qui pourrait s’avérer pertinent pour mener de plus amples travaux sur la question. À terme, les chercheurs espèrent qu’en élucidant la relation entre le dysfonctionnement mitochondrial, le stress oxydatif et la mort des motoneurones, ils progresseront vers l’élaboration de potentielles thérapies curatives n
Tromeur/Shutterstock ; source des chiffres en exergue
ARSLA
La mitochondrie est « la centrale à énergie » de la cellule. Son dysfonctionnement, par la présence de mutations dans son ADN, est souvent la source de maladies. M. Cheng et al., Nature Neuroscience, 2025.
ÉTHOLOGIE
LE CACATOÈS
INNOVE ENCORE
Le cacatoès à huppe jaune (Cacatua galerita) n’en est pas à son coup d’essai. En 2021, l’équipe de Barbara Klump, de l’institut Max-Planck sur le comportement animal, en Allemagne, avait étudié une innovation locale : la capacité de certains de ces oiseaux à ouvrir le couvercle des poubelles à ordures ménagères en utilisant leur bec et leurs pattes pour y trouver à manger. Cette technique s’était étendue à tous les cacatoès vivant au sud de Sydney, en Australie. Maintenant, encore à Sydney, des individus de cette espèce ont compris comment actionner avec la patte le robinet (une poignée fixée à un ressort) de certaines fontaines publiques pour boire de l’eau. D’après la chercheuse et ses collègues, le savoir-faire s’est propagé et près de 70 % des cacatoès du quartier le pratiqueraient ! n
S. B.
MÉDECINE
LUTTER CONTRE
LES ALLERGIES
L’asthme allergique touche plus de 300 millions de personnes dans le monde. En cause ? Le système immunitaire surréagit à la détection de substances normalement inoffensives (pollen, acariens, poils d’animaux) et engendre une réaction exacerbée. La désensibilisation est un traitement au long cours, mais l’équipe de Jeffrey Hubbel, de l’université de New York, propose une approche plus rapide. Elle a modifié des allergènes en leur attachant une molécule de sucre, un procédé qui leur permet d’échapper à la vigilance du système immunitaire et d’être directement livrés au foie. Une fois sur place, ils activent des lymphocytes T régulateurs naturellement présents qui les reconnaissent spécifiquement, lesquels éduquent alors le système immunitaire à tolérer les molécules détectées plutôt qu’à les rejeter. Après seulement deux injections, des souris allergiques ont bénéficié d’une protection d’un an contre les symptômes. n
W. R.-P.
ASTROPHYSIQUE
LA PLANÈTE QUI A SON PROPRE PLAN
Une planète qui orbite autour de deux étoiles ? Ne serait-ce pas le décor d’un énième film de la franchise Star Wars ? De tels systèmes ne sont pourtant plus l’exclusivité de la science-fiction et sont maintenant au nombre de 16 dans les catalogues des astrophysiciens chasseurs d’exoplanètes. Mais ce système, appelé 2M1510, présente une configuration inédite : une planète, nommée 2M1510(AB)b, évolue sur une orbite perpendiculaire au plan formé par une paire d’étoiles naines brunes qui tournent l’une autour de l’autre. L’équipe de Thomas Baycroft, de l’université de Birmingham, au Royaume-Uni, a révélé l’existence de cette planète à la trajectoire circumbinaire polaire alors qu’elle observait le système 2M1510 avec le Very Large Telescope (VLT) de l’Observatoire européen austral, au Chili. Les astrophysiciens ont constaté que le système binaire présentait une précession rétrograde : l’axe commun aux deux ellipses dessinées par les deux astres accusait un retard de 343 ± 126 secondes d’arc par an. Ce décalage trahissait la présence d’un troisième corps en orbite autour du système, et le fait qu’il soit négatif les a interpellés. De façon générale, une planète circumbinaire tourne dans le même plan que ses deux hôtes induisant normalement un décalage positif. Après avoir exploré différentes pistes pour expliquer le décalage négatif, les chercheurs en ont conclu que, pour en rendre compte, il fallait inclure la présence d’une planète en orbite polaire – perpendiculaire – à celle des deux étoiles ! Il reste à comprendre la genèse d’une configuration aussi exotique, et difficile à repérer de surcroît. Pour les astrophysiciens, cette découverte suggère que d’autres systèmes similaires leur ont peut-être échappé. La chasse aux exoplanètes circumbinaires polaires est ouverte ! n
Louise Le Ridant
La planète 2M1510(AB)b évolue sur un plan perpendiculaire à celui des deux étoiles naines brunes du système 2M1510
B. C. Klump et al., Biology Letters, 2025.
J. E. Gómez Medellín et al., Science Translational Medicine, 2025. T. A. Baycroft et al., Science Advances, 2025.
L’ESSENTIEL
> La découverte de plus de 6 000 exoplanètes révèle deux tendances marquantes : un manque notable de planètes entre 1,6 et 1,9 rayon terrestre, appelé « vallée des rayons », et l’absence de planètes de type Neptune sur des orbites très courtes, un phénomène nommé « désert des Neptunes chaudes ».
> Deux processus sont à même de rendre compte de la vallée des
rayons et du désert des Neptunes chaudes : la photoévaporation et la perte de masse liée à la chaleur interne, qui expliqueraient pourquoi certaines planètes gardent ou perdent leur atmosphère.
> L’Extremely Large Telescope fournira des informations importantes sur les débuts de l’évolution des planètes, quand les atmosphères sont particulièrement vulnérables.
L’AUTEUR
DAKOTAH TYLER docteur en astrophysique à l’université de Californie à Los Angeles
À la recherche des planètes manquantes
La démographie des exoplanètes révèle un manque surprenant de mondes dans une certaine gamme de masses dans toute la galaxie.
Pendant des siècles, notre Système solaire était le seul système planétaire connu de l’humanité
Nous n’avions aucune preuve de l’existence d’autres mondes audelà de notre propre voisinage cosmique, et nous imaginions que, s’il existait d’autres systèmes planétaires, ils ressembleraient au nôtre : de petites planètes rocheuses en orbite proche de leur étoile, avec des géantes gazeuses semblables à Jupiter et Saturne plus éloignées. Les scientifiques ont étudié l’histoire de notre Soleil et de ses satellites avec tous les outils dont ils disposaient, et ils ont utilisé les connaissances acquises pour façonner notre compréhension de la formation et de l’évolution des planètes Mais il y a environ trois décennies, des astronomes ont découvert des exoplanètes en orbite autour d’étoiles autres que la nôtre Depuis, nous en avons trouvé des milliers, bouleversant tout ce que nous pensions savoir sur les planètes
Il s’avère que les systèmes planétaires de notre galaxie présentent une diversité remarquable : certains abritent des planètes étroitement regroupées dans des configurations exotiques ; d’autres sont dominés par des géantes gazeuses frôlant leur étoile
Aujourd’hui , une nouvelle ère de la science planétaire a vu le jour : la démographie des exoplanètes. En analysant les tendances dans les tailles, les orbites et les compositions des planètes détectées, les scientifiques dévoilent les véritables processus qui façonnent les systèmes planétaires. Ce que nous découvrons n’est pas un récit simple , mais un véritable casse - tête : des tendances frappantes dans les populations planétaires qui remettent en question notre compréhension de comment les planètes naissent et évoluent
Ces tendances offrent de nouveaux indices pour répondre à des questions fondamentales : pourquoi existe-t-il si peu de planètes dans certaines plages de taille – en particulier une catégorie de « planètes manquantes » légèrement plus grandes que la Terre ? Pourquoi notre Système solaire est-il dépourvu des types de planètes les plus courants dans la galaxie –celles plus grandes que la Terre mais plus petites que Neptune ? Et peut-être plus important encore, comment ces découvertes sontelles susceptibles d’influencer notre recherche de mondes habitables ?
Décrypter ces mystères ne consiste pas seulement à étudier des planètes individuellement, mais à adopter une vision d’ensemble. En explorant les tendances démographiques des exoplanètes, nous apprenons non seulement ce qui fait fonctionner les systèmes planétaires, mais aussi quelle place occupe notre Système solaire dans ce contexte galactique Au bout du compte, nous cherchons à savoir si notre
planète est une exception – ou si les conditions qui ont permis l’émergence de la vie ici sont en réalité répandues ailleurs dans l’Univers
Les premières exoplanètes confirmées ont été détectées en 1992 en orbite autour d’un pulsar – une étoile à neutrons tournant rapidement sur elle-même et émettant des ondes radio, formée à la suite de l’explosion en supernova d’une étoile massive On ne sait toujours pas si ces planètes de pulsar ont survécu à l’explosion ou si elles se sont formées à partir de ses débris Dans tous les cas, elles restent des cas exceptionnels dans l’ensemble des exoplanètes connues La véritable percée a eu lieu en 1995 avec la découverte de 51 Pegasi b, la première exoplanète trouvée en orbite autour d’une étoile semblable au Soleil. Ce monde a défié toutes les attentes Au lieu d’une géante gazeuse lointaine comme Jupiter, 51 Pegasi b s’est révélée être un colosse ayant la moitié de la masse de Jupiter, mais en orbite extrêmement proche de son étoile, dont elle fait le tour en seulement 4,2 jours. À une telle proximité, la planète est portée à une température d’environ 980 °C, suffisamment chaude pour vaporiser certains métaux Bien que 51 Pegasi b ne possède qu’environ la moitié de la masse de Jupiter, cette température extrême provoque un gonflement de ses gaz, donnant à la planète un rayon deux fois plus grand que celui de Jupiter. Les astronomes ont surnommé cette étrange nouvelle classe de planètes les « Jupiters chaudes ».
CONFIGURATIONS
INATTENDUES
L’existence des Jupiters chaudes a complètement bouleversé les principaux modèles de formation planétaire Ces théories étaient basées sur la structure de notre propre Système solaire , où les planètes rocheuses orbitent près du Soleil, tandis que les géantes gazeuses restent bien plus éloignées, dans des régions plus froides, où elles peuvent accumuler de l’hydrogène et de l’hélium Mais voici qu’une planète de la masse de Jupiter se trouvait dans les régions brûlantes et intérieures de son système planétaire. Si des planètes massives se formaient aussi près de leur étoile – ou plus loin, avant de migrer vers l’intérieur – quelles autres configurations inattendues existaient ? Les astronomes ont découvert 51 Pegasi b en détectant une oscillation dans le mouvement de son étoile, causée par la traction gravitationnelle exercée par la planète en orbite – une technique appelée « méthode des vitesses radiales » (ou spectroscopie Doppler). Lorsqu’une planète orbite autour de son étoile, elle attire légèrement celle-ci vers elle De notre point de vue terrestre, l’étoile semble alors se rapprocher puis s’éloigner de nous (si l’orbite est inclinée à un certain angle par rapport à
Le flux de gaz qu’arrache son étoile à la géante gazeuse WASP-69b s’étire parfois en une queue semblable à celle d’une comète sur plus de 560 000 kilomètres (vue d’artiste)
notre ligne de visée), ce qui provoque une alternance de décalages vers le rouge et vers le bleu de la lumière de l’étoile – un phénomène comparable à la variation de la hauteur du son d’une sirène d’ambulance qui approche puis s’éloigne Plus la planète est massive et plus son orbite est proche de l’étoile, plus l’oscillation de l’étoile est prononcée, ce qui facilite sa détection.
C’est pourquoi les premières exoplanètes découvertes grâce à cette méthode étaient des Jupiters chaudes – et pourquoi cette stratégie présente un biais de détection important en faveur des grandes planètes en orbite rapprochée. À mesure que de plus en plus de planètes étaient détectées par la méthode des vitesses radiales, des tendances ont commencé à apparaître En 2008, après avoir observé des centaines d’étoiles, les chercheurs ont constaté qu’environ 10 % des étoiles semblables au Soleil abritaient des Jupiters chaudes situées à une fraction d’unité astronomique (la distance moyenne entre la Terre et le Soleil). Cependant, ces premiers schémas démographiques restaient influencés par les biais liés à nos méthodes d’observation.
Un grand pas en avant dans l’étude démographique des planètes a été franchi lorsque la Nasa a lancé le télescope spatial Kepler En observant continuellement plus de 150 000 étoiles pendant
£Il était naïf de penser que notre Système solaire représentait le modèle par défaut dans la galaxie
quatre ans, Kepler a détecté des milliers de planètes grâce à une méthode dite « des transits ». Elle consiste à repérer la légère diminution de luminosité d’une étoile lorsque, de notre point de vue, une planète passe devant elle Les résultats furent saisissants : Erik A . Petigura, mon directeur de thèse à l’université de Californie à Los Angeles, a analysé les données de Kepler et a montré qu’environ la moitié des étoiles semblables au Soleil possèdent au moins une planète dont la taille se situe entre celle de la Terre et celle de Neptune. Ces planètes, qui n’existent pas du tout dans notre Système solaire, semblent effectuer une révolution complète autour de leur étoile en quelques semaines ou quelques mois, plutôt qu’en années Avec le recul, il était un peu naïf de penser que notre Système solaire représentait le modèle par défaut dans la galaxie. Cela dit, en astronomie, il est généralement raisonnable de supposer que notre point de vue est moyen et non exceptionnel – alors je pense qu’on peut être pardonné
À mesure que l’échantillon de Kepler s’agrandissait , la présence d’un mystère se confirmait. Les astronomes ont constaté une absence frappante de planètes dont la taille se situe entre 1,6 et 1,9 fois le rayon de la Terre, qu’ils ont appelé la « vallée des rayons » Cette découverte n’était pas une simple anomalie liée aux biais de détection : même après avoir pris en compte tous les effets de sélection et les biais d’observation , le trou persistait Il doit donc exister un phénomène associé à la formation ou à l’évolution planétaire qui empêche activement les planètes de conserver cette taille intermédiaire, probablement un processus qui dépouille ces planètes de leur atmosphère
Ce casse-tête devient encore plus intrigant avec un phénomène connu sous le nom de « désert des Neptunes chaudes » Les planètes de la taille de Neptune sont étrangement absentes sur des orbites de moins de trois jours
Les raisons de cette rareté font encore l’objet d’investigations, mais l’intense rayonnement des étoiles à cette distance, ainsi que les forces de marée, semblent jouer un rôle important Comme pour les planètes plus petites, dont la masse se situe autour de la vallée des rayons, les Neptunes à courte période sont particulièrement vulnérables à la perte de leur atmosphère. Avec le temps, leur épaisse enveloppe gazeuse pourrait être entièrement arrachée, ne laissant que des noyaux rocheux nus que l’on classerait alors comme super-Terres – des versions plus massives de notre propre planète rocheuse Les scientifiques pensent donc que le désert des Neptunes chaudes est un cas extrême des mêmes processus à l’origine de la vallée des rayons En effet, à mesure que les
Jupiters chaudes
WASP-69b est une Jupiter chaude qui perd activement son atmosphère, sous l’e et des radiations émises par son étoile hôte.
51 Peg b
b
Désert des Neptunes chaudes
Parmi les systèmes les plus étudiés autres que le nôtre figure l’étoile TRAPPIST-1 et ses sept planètes rocheuses, dans la « zone habitable », où de l’eau liquide est susceptible d’exister.
Système TRAPPIST-1
Super-Terres
51 Pegasi b (alias Dimidium) est la première exoplanète découverte en orbite autour d’une étoile.
K2-18b est une mini-Neptune où des chercheurs auraient détecté du diméthylsulfure, une molécule produite sur Terre par la vie microbienne marine – une découverte controversée. Les données manquent encore pour se prononcer sur l’habitabilité de cette planète.
LA DÉMOGRAPHIE DES EXOPLANÈTES
Les astronomes ont découvert plus de 6 000 planètes en orbite autour d’autres étoiles (ici, 1 000 exoplanètes sont représentées) . Certaines tendances intrigantes à grande échelle ont émergé, comme l’absence de planètes dont le rayon est légèrement supérieur à celui de la Terre mais nettement inférieur à celui de Neptune – une lacune appelée « vallée des rayons ». Il semble aussi qu’il n’existe presque aucune « Neptune chaude » (des planètes de la taille de Neptune, orbitant très près de leur étoile). Des processus capables de dépouiller les planètes de leur atmosphère après leur formation – comme le vent provoqué par les radiations intenses émises par les étoiles – pourraient expliquer ces absences.
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(10 759 jours) Uranus (30 687 jours)
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SYSTÈME SOLAIRE
Les tailles et orbites des planètes du Système solaire s’avèrent moins courantes qu’on ne le pensait. La majorité des systèmes extrasolaires semblent posséder au moins une mini-Neptune ou une planète légèrement plus grande que la Terre (appelée une « super-Terre ») orbitant à une distance équivalente ou inférieure à celle qui sépare Mercure du Soleil. Les méthodes de détection favorisent la découverte des planètes ayant des orbites courtes et proches de leur étoile.
La Terre
K2-18 b
Mini Neptunes Vallée des rayons
observations s’accumulaient, certaines théories avaient même prédit ces caractéristiques comme une conséquence du rayonnement émis par les étoiles. Des observations complémentaires par la méthode des vitesses radiales, menées depuis des télescopes au sol, ont apporté une pièce cruciale au puzzle. En mesurant la masse des exoplanètes déjà connues, les astronomes ont découvert que la vallée des rayons correspond à une transition dans la composition des planètes. Celles dont la masse est inférieure à celle de la vallée sont denses et rocheuses comme la Terre, tandis que celles qui se situent au-dessus ont des densités plus faibles, ce qui indique la présence d’atmosphères substantielles Les plus petites sont des super-Terres, tandis que les plus grandes sont des « mini-Neptunes », dotées d’un noyau rocheux enveloppé de couches épaisses d’hydrogène et d’hélium Ce schéma démographique soulève des questions fondamentales Toutes les petites planètes naissent-elles avec une atmosphère importante, que certaines finissent par perdre ? Ou bien se forment-elles dès le départ avec des compositions différentes ? Des observations récentes de planètes en train de perdre activement leur atmosphère suggèrent que la perte de gaz joue un rôle majeur. Les astronomes pensent qu’il existe plusieurs processus à même d’arracher l’atmosphère des planètes ou d’en limiter la formation dès le départ. Les deux mécanismes principaux avancés sont la photoévaporation
Il existe plusieurs processus capables d’arracher l’atmosphère des planètes £
Ce texte est une adaptation de l’article The missing planets, publié par Scientific American en mars 2025.
et la perte de masse alimentée par le noyau (core-powered mass loss). Ensemble, ils expliqueraient à la fois la vallée des rayons et le désert des Neptunes chaudes. La photoévaporation est l’un des meilleurs candidats pour expliquer la vallée des rayons Lorsqu’une jeune étoile s’allume, elle émet un rayonnement intense dans l’ultraviolet et les rayons X , accompagné de puissants vents de particules chargées. Les planètes qui orbitent trop près de leur étoile se retrouvent plongées dans ce rayonnement, ce qui chauffe leur atmosphère au point que les particules s’échappent dans l’espace
Imaginez deux planètes nouvellement formées, orbitant à la même distance de leurs étoiles respectives Chacune est d’abord constituée d’un noyau rocheux et d’une épaisse enveloppe gazeuse composée d’hydrogène et d’hélium . La planète A est pourvue d’une masse plus faible et d’une gravité moins forte ; elle ne parvient donc pas à retenir son atmosphère lorsqu’elle reçoit de l’énergie de l’étoile Elle perd rapidement tout son gaz dans l’espace et devient une super-Terre dense et rocheuse Lorsqu’on observe ce système, la planète – désormais dépourvue d’atmosphère – apparaît plus petite La planète B, en revanche, possède une masse plus élevée et une gravité plus forte, ce qui lui permet de conserver la majeure partie de son enveloppe atmosphérique Observée depuis notre point de vue, cette planète semble plus grande, car elle est entourée d’un cocon d’atmosphère primordial léger et gonflé. La théorie de la photoévaporation fait certaines prévisions qui concordent bien avec les schémas observés Par exemple, la vallée des rayons devrait présenter une pente descendante en fonction de la période orbitale, car les planètes plus proches de leur étoile subissent un rayonnement plus intense et doivent être plus massives pour conserver leur atmosphère De même, on observe une absence de planètes de la taille de Neptune avec des orbites inférieures à trois jours : c’est le fameux désert des Neptunes chaudes Dans
cette région , la perte atmosphérique est si efficace que seuls les noyaux rocheux sont à même de survivre
Le deuxième mécanisme expliquant la disparition des atmosphères planétaires est la perte de masse alimentée par le noyau. Elle est provoquée par la chaleur générée à l’intérieur même de la planète. Après leur formation, les planètes conservent une quantité importante de chaleur issue du processus d’accrétion de matière Cette énergie interne résiduelle chauffe la base de l’atmosphère pendant que la planète se refroidit, ce qui soulève l’enveloppe gazeuse par en dessous et facilite l’évasion du gaz, en combinaison avec le rayonnement stellaire.
ÉVAPORATION ET ÉVASION
La perte de masse alimentée par le noyau suggère que les planètes plus petites et moins massives, avec une gravité plus faible et une atmosphère moins isolante , perdent leur enveloppe gazeuse par en dessous à mesure qu’elles se refroidissent, sur une période de plusieurs centaines de millions d’années À l’inverse, les planètes plus grandes possèdent une gravité su ffi sante pour conserver leur atmosphère malgré le chauffage interne. Ce mécanisme concorde lui aussi avec la vallée des rayons, car les planètes de taille intermédiaire sont les plus vulnérables à cette forme de perte atmosphérique.
En fin de compte , les planètes chaudes finissent par se refroidir, tandis que le
rayonnement stellaire chauffe leurs atmosphères. Les astronomes pensent que les deux mécanismes contribuent à l’évolution des planètes , mais il reste à déterminer lequel a le plus d’influence Il est probable que le résultat dépende des conditions spécifiques propres à chaque planète
D’autres processus pourraient également être impliqués La théorie de l’évaporation rapide , par exemple , propose que dans les premières années de la vie d’une planète – peu après la formation de son étoile –, le disque protoplanétaire qui entoure l’étoile , et contient les matériaux ayant servi à former les planètes, se dissipe rapidement Cette chute brutale de pression autour de la planète entraînerait une phase d’évaporation soudaine de l’atmosphère
Le télescope spatial de la mission TESS (Transiting Exoplanet Survey Satellite ; ici, vue d’artiste) de la Nasa, lancé en 2018, est conçu pour détecter, par la méthode des transits, de petites exoplanètes ayant des périodes orbitales plus longues que la plupart des mondes connus.
Dans d’autres cas, les planètes se formeraient dans des environnements pauvres en gaz. Ces mondes auraient alors naturellement des atmosphères peu épaisses dès le départ, et une composition rocheuse. Enfin, des impacts massifs entre jeunes planètes pourraient arracher leur atmosphère , ne laissant que des noyaux rocheux nus – un phénomène connu sous le nom de collisional stripping. Bien que ce processus soit probablement rare, il expliquerait certaines populations planétaires. Des observations récentes ont commencé à capturer certaines de ces situations, fournissant des preuves directes de la perte atmosphérique. Comme les planètes sont les plus susceptibles de perdre de la masse lorsqu’elles sont jeunes, la plupart des petites planètes que nous pouvons examiner aujourd’hui ne subissent pas de perte significative Il existe cependant un scénario favorable pour observer une atmosphère en train de s’échapper : une géante gazeuse en orbite rapprochée, aussi appelée « Jupiter chaud »
Un exemple frappant est la planète WASP-69b, que mon équipe a scrutée à l’aide du télescope de l’observatoire W. M . Keck , à Hawaii WASP-69b est une géante gazeuse de la taille de Jupiter, mais avec une masse comparable à celle de Saturne, orbitant si près de son étoile qu’un tour complet ne lui prend que 3,8 jours Dans un article que nous avons publié en 2024, nous avons rapporté la présence de flux de matière autour de la planète, indiquant qu’elle perd activement de l’hélium. Dans ce cas, le mécanisme de perte de masse doit être la photoévaporation. La planète est trop massive pour perdre de la masse à cause de son chauffage interne ; c’est donc le rayonnement de haute énergie de son étoile hôte qui la frappe de plein fouet.
Nos observations ont révélé que WASP-69b perd environ 200 000 tonnes de matière par seconde , soit l’équivalent d’une masse terrestre tous les milliards d’années En outre,
L’Extremely Large Telescope de l’Observatoire européen austral, en cours de construction au Chili, devrait voir sa première lumière en 2029. Il sera capable d’observer de jeunes planètes lumineuses, encore incandescentes de la chaleur de leur formation, une période où les atmosphères sont particulièrement vulnérables à la dissipation.
des variations spectaculaires ont été observées dans la forme du flux de gaz qui s’échappe : parfois il s’étire en une queue semblable à celle d’une comète sur plus de 560 000 kilomètres, et d’autres fois il est bien moins proéminent
200 000 TONNES PAR SECONDE
Cette variabilité du flux de gaz s’échappant de la planète provient des changements dans l’activité de son étoile hôte. Tout comme notre Soleil traverse des périodes d’activité magnétique plus ou moins intenses, les étoiles connaissent des phases de rayonnement et d’éruptions accrues ou atténuées. Les périodes d’activité stellaire élevée accentueraient la perte atmosphérique et modifier la forme du matériau qui s’échappe de la planète Cette interaction dynamique entre l’étoile et la planète indique que la perte atmosphérique n’est pas nécessairement un processus stable et uniforme, même pour des planètes plus âgées. Il s’agit plutôt d’un combat constant, influencé à la fois par les propriétés de la planète et par l’humeur de son étoile
Nos résultats , ainsi que ceux d’autres études, montrent comment la photoévaporation peut contribuer à expliquer à la fois la vallée des rayons et le désert des Neptunes chaudes, en démontrant ce processus de perte de masse en temps réel Pour une distance orbitale donnée, une planète doit posséder une masse minimale pour retenir son atmosphère face au bombardement de rayonnements stellaires à haute
énergie La vallée des rayons sépare les planètes suffisamment massives de celles qui ne le sont pas Le désert des Neptunes chaudes illustre comment ce concept est amplifié à mesure que la planète se rapproche de son étoile et que l’irradiation augmente de manière exponentielle. Proches de l’étoile, seules les Jupiters chaudes ont assez de masse pour conserver leur atmosphère – toutes les autres planètes se retrouvent réduites à leur noyau rocheux. La prochaine décennie s’annonce passionnante pour approfondir notre compréhension de la démographie planétaire Bien que la plupart des astronomes s’accordent à dire que la perte de masse atmosphérique est la principale raison pour laquelle nous n’observons pas de planètes légèrement plus grandes que la Terre ou de Neptunes chaudes sur des orbites proches, de nombreuses questions restent en suspens. La photoévaporation, causée par le rayonnement stellaire, est-elle le facteur principal ? Ou bien la perte de masse due à la chaleur interne des planètes joue-t-elle un rôle plus important ?
Démêler les contributions de ces mécanismes nécessitera une nouvelle génération de télescopes et d’instruments capables de mesurer avec précision la masse, la composition et l’atmosphère des planètes
Nous espérons mieux comprendre comment la vallée des rayons dépend du type stellaire. Pour les étoiles de faible masse, comme les naines M, la vallée semble se décaler : les petites planètes autour de ces étoiles parviennent plus
souvent à conserver leur atmosphère, car elles sont exposées à un rayonnement moins intense que celui qui est émis par les étoiles plus grandes Cette vallée des rayons est généralement moins marquée, car les étoiles de faible masse émettent un rayonnement différent. De plus, les planètes en orbite autour de ces étoiles présentent souvent une plus grande diversité de composition interne, et ces systèmes pourraient connaître un taux plus élevé de collisions majeures. Les planètes en orbite autour des étoiles naines M ont aussi tendance à orbiter beaucoup plus près de leur étoile , là où l’activité stellaire – comme les éruptions et les vents – peut fortement influencer la capacité des planètes à conserver leur atmosphère L’inspection minutieuse de ces mondes a révélé des indices laissant penser que certains contiendraient d’importantes quantités d’eau, peut- être sous la forme d’océans profonds recouverts d’une atmosphère riche en hydrogène Ces « mondes océans » occuperaient alors une place unique dans la démographie des exoplanètes, remettant en question la distinction simple entre super-Terres rocheuses et mini-Neptunes riches en gaz
MONDES OCÉANS
De nouveaux instruments terrestres comme le Keck Planet Finder, récemment mis en service à l’observatoire Keck, ainsi que d’autres outils de mesure de vitesses radiales de très haute précision, seront essentiels pour tester ces théories En nous permettant de mesurer les masses planétaires autour d’un large éventail de types d’étoiles, ces avancées nous aideront à vérifier si les masses des super-Terres et des mini-Neptunes correspondent aux prédictions de nos différents modèles Dans les systèmes comprenant plusieurs planètes, ces données nous apporterons aussi la possibilité de démêler les effets liés à l’histoire de l’irradiation stellaire, en offrant aux chercheurs l’occasion de comparer des planètes qui se sont formées dans des conditions similaires
La mission TESS ( Transiting Exoplanet Survey Satellite) de la Nasa effectue une surveillance prolongée sur de longues périodes, ce qui pourrait nous aider à découvrir des planètes possédant des orbites légèrement plus larges autour de leurs étoiles que la plupart des mondes actuellement connus. En comblant cette région encore peu peuplée de petites exoplanètes ayant des périodes orbitales plus longues, ces découvertes fourniront des données essentielles pour mieux comprendre comment la perte atmosphérique et la composition varient selon une plus grande diversité d’environnements planétaires
Le grand bond en avant devrait survenir avec la mise en service de télescopes de très grande envergure au cours des prochaines
décennies Des supertélescopes terrestres , comme l’Extremely Large Telescope de l’Observatoire européen austral, devraient voir leur première lumière à la fin de la décennie 2020. Ces dispositifs excelleront pour observer de jeunes planètes lumineuses, encore incandescentes de la chaleur de leur formation Ces télescopes gigantesques délivreront des informations cruciales sur les premières étapes
Certains nouveaux télescopes excelleront pour observer les jeunes planètes lumineuses £
chaotiques de l’évolution planétaire , une période où les atmosphères sont particulièrement vulnérables à la dissipation
Le Habitable Worlds Observatory, un télescope spatial de pointe de la Nasa, est envisagé pour un lancement dans les années 2040. Il est conçu pour détecter et étudier des planètes semblables à la Terre, situées dans la zone habitable d’étoiles similaires au Soleil L’objectif est d’utiliser cet observatoire pour imager directement ces mondes et analyser leurs atmosphères à la recherche de signes d’oxygène , de méthane et de vapeur d’eau –des indicateurs clés de l’habitabilité
BIBLIOGRAPHIE
R. Burn et al., A radius valley between migrated steam worlds and evaporated rocky cores, Nature Astronomy, 2024.
D. Tyler et al., WASP-69b’s escaping envelope is confined to a tail extending at least 7 Rp, The Astrophysical Journal, 2024.
J. G. Rogers et al., Photoevaporation versus core-powered mass-loss : Model comparison with the 3D radius gap, Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, 2021.
S. Ginzburg et al., Core-powered mass-loss and the radius distribution of small exoplanets, Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, 2018.
Ce que nous apprendrons grâce à tous ces nouveaux outils ira bien au-delà de la démographie planétaire En étudiant comment les planètes perdent ou conservent leur atmosphère, nous dévoilons les secrets de l’habitabilité, de la diversité et des forces qui façonnent les mondes à travers la galaxie. Notre Système solaire , autrefois considéré comme le modèle type de tous les systèmes planétaires , apparaît désormais comme une configuration possible parmi une infinité d’autres – une singularité dans un cosmos qui regorge de variétés. La plupart des étoiles abritent des planètes radicalement différentes de celles de notre voisinage cosmique , nous rappelant que l’Univers est plus riche et plus surprenant que nous ne l’avions imaginé En démêlant les forces qui modèlent ces mondes lointains , nous nous rapprochons peu à peu des plus anciennes questions de l’humanité : combien de planètes semblables à la Terre existe-t-il ? Y a-t-il une autre forme de vie parmi les étoiles ? Et quelle est réellement notre place dans cet immense et complexe Univers ? n
L’astronaute Thomas Pesquet mime la gestuelle d’un basketteur célèbre dans la Station spatiale internationale (ISS). Au quotidien, la pratique d’une activité physique, indispensable, y est fortement limitée par le manque de place et l’apesanteur. Une pesanteur artificielle, nécessaire pour des missions longues, changerait-elle la donne ?
L’ESSENTIEL
> Malgré des heures d’exercice quotidien, les occupants des stations spatiales sou rent de nombreuses altérations physiologiques, dont certaines persistent au retour sur Terre. Pour les missions habitées longues, il devient nécessaire de recréer une pesanteur artificielle.
> L’analyse de la pratique sportive à bord d’un vaisseau
cylindrique en rotation révèle que les mouvements quotidiens sont fortement perturbés.
> Un vaisseau plus grand, de l’ordre de 100 mètres de rayon, atténue les perturbations des mouvements. Toutefois, les écarts avec les conditions terrestres restent bien perceptibles, rendant l’activité physique di cile.
L’AUTEUR
JEAN-CHRISTOPHE CAILLON professeur de physique à l’université de Bordeaux, Laboratoire de physique des deux infinis, Bordeaux (université de Bordeaux/CNRS)
PESANTEUR ARTIFICIELLE
Le défi de l’activité physique dans l’espace
Comment vivrait-on dans un vaisseau spatial en rotation recréant une pesanteur artificielle ? Au prisme des lois de la physique et du sport, du basket à la natation, découvrez comment cet environnement bouleverserait les gestes les plus simples.
Affaiblissement du système immunitaire , atrophie musculaire , décalcification du squelette , troubles visuels , problèmes cardiaques , altérations neurologiques et sensorielles… Les répercussions sur la santé d’un séjour prolongé en apesanteur sont aujourd’hui bien établies Pour prévenir ou atténuer certains de ces effets et rester en forme, les occupants de la Station spatiale internationale pratiquent deux heures et demie d’activité physique par jour. Lors de contacts vidéo avec la station, on peut les voir courir sanglés sur un tapis roulant ou pédaler sur un vélo stationnaire Cependant, malgré des programmes de rééducation intensifs, certains effets physiologiques sont susceptibles de perdurer longtemps après le retour sur
Terre et la récupération complète n’est pas toujours garantie (elle dépend d’ailleurs fortement de la durée du séjour). Même en pratiquant régulièrement de l’exercice physique, les équipages ne sont donc pas capables de rester très longtemps en apesanteur. Dans la Station spatiale internationale, les vols standard sont généralement limités à une durée de six mois (même si quelques passagers ont également effectué des séjours d’un an). Des missions habitées plus longues sont envisagées dans les prochaines années , notamment avec l’objectif d’explorer la planète Mars (d’un an et demi à trois ans suivant le scénario de vol considéré). Il n’est pas non plus impossible que, dans un avenir plus lointain, de grandes structures spatiales soient construites en orbite autour de la Terre pour accueillir durablement
COURIR EN PESANT LE DOUBLE DE SON POIDS TERRESTRE
Dans le film 2001, l’Odyssée de l’espace, l’un des passagers du vaisseau Discovery One fait son footing comme s’il était sur Terre (voir ci-dessus). Cette scène est-elle vraiment réaliste ? Non ! La force de Coriolis n’a pas été prise en compte. Pour un coureur qui se déplacerait dans le sens de rotation du vaisseau, dont nous supposons ici qu’il fait 10 mètres de rayon, cette force viendrait très nettement renforcer
la force centrifuge. Avec une vitesse de 15 kilomètres par heure (vitesse du centre de masse du coureur mesurée dans le référentiel du vaisseau), l’accélération de la pesanteur ressentie deviendrait alors g = 19 m/s², ce qui altérerait son déplacement puisqu’il pèserait pratiquement le double de son poids sur Terre. Pour un coureur qui se déplacerait à la même vitesse, mais cette fois-ci dans le sens inverse de rotation du vaisseau,
Course dans le sens contraire de rotation du vaisseau
Sens de rotation du vaisseau
la force de Coriolis annulerait partiellement la force centrifuge. Il serait alors soumis à g = 2,5 m/s², ce qui correspondrait pratiquement à un déplacement sur la Lune (g = 1,6 m/s²) ! Dans ce dernier cas, il n’est d’ailleurs pas évident que le coureur puisse atteindre la vitesse de 15 kilomètres par heure, car la diminution progressive de g avec la vitesse de course entraînera une réduction significative de l’adhérence au niveau du sol. 9, 5 tours/min
m
Course dans le sens de rotation du vaisseau
,5tours/mi n
Sauf
Bourgeois
Coriolis
Coriolis
Centrifuge
Centrifuge
des populations, voire que soient conçus des systèmes de transport interstellaires pour voyager vers des exoplanètes habitables proches Ces dernières possibilités relèvent davantage de la science-fiction, mais elles mettent en exergue un impératif clair : la perspective de très longs séjours dans l’espace impose de recréer une pesanteur artificielle pour assurer le confort des passagers et éviter la dégradation de leur santé.
UN CYLINDRE EN GUISE DE SOL
Bien que ce ne soit actuellement pas l’option retenue, une pesanteur artificielle, même partielle , serait déjà souhaitable lors des voyages vers Mars, afin que l’équipage soit pleinement opérationnel à destination Comment procéder ? Il y a principalement deux façons de recréer une pesanteur artificielle La première
PLONGEONS EN VOL PLANÉ
On pourrait nager dans un vaisseau en rotation de 10 mètres de rayon de manière à peu près équivalente à ce que l’on observe sur Terre, à deux conditions. La première concerne les mouvements des bras et des jambes du nageur, qui devront être lents pour que la force de Coriolis ne vienne pas trop les perturber et rendre la nage complètement désordonnée. La seconde condition est liée à la position du nageur dans le vaisseau. Celui-ci ne devra pas s’approcher de la région centrale, qui elle, se trouve quasi en apesanteur. En e et, la natation en apesanteur présente un aspect particulier : comme il n’existe alors plus de poussée d’Archimède, aucun corps ne peut flotter. Par contre, on pourrait tout à fait nager à l’intérieur d’une énorme boule d’eau en apesanteur, mais l’air emmagasiné dans nos poumons ne nous permettrait pas d’en sortir naturellement comme sur Terre (on peut voir une telle scène dans le film Passengers, réalisé par Morten Tyldum en 2016).
Considérons maintenant un plongeon de 7 mètres de hauteur. Le volume d’eau introduit dans le vaisseau va se retrouver plaqué contre la paroi cylindrique, comme indiqué sur la figure ci-contre (on a choisi un volume d’eau tel qu’il y ait 2,5 mètres de profondeur). Après avoir gravi l’échelle, le plongeur se retrouve à 0,5 mètre de l’axe de rotation du vaisseau et va sauter sans vitesse initiale. Sur Terre, sa trajectoire est verticale et un tel plongeon dure 1,2 seconde avec une arrivée à 42 kilomètres par heure perpendiculaire à la surface de l’eau. Dans le vaisseau en rotation, la trajectoire serait complètement di érente : le plongeur
consiste à accélérer le vaisseau en ligne droite ; sa paroi arrière tient alors lieu de sol (comme dans le cas d’une voiture où les occupants se retrouvent plaqués contre leur siège). Avec une accélération égale à l’accélération de la pesanteur sur Terre, c’est-à-dire g = 9,81 m/s², on obtiendrait une pesanteur artificielle en tout point du vaisseau identique à celle sur Terre. Mais cette possibilité est totalement inenvisageable étant donné la quantité phénoménale de carburant qu’il faudrait utiliser pour atteindre une telle accélération sur un temps relativement long Par exemple, un voyage vers la planète Mars nécessiterait moins de deux jours mais plus de 10 90 tonnes de carburant (oxygène-hydrogène liquide).
L’autre possibilité est de faire tourner le vaisseau Dans la suite de cet article , nous allons prendre l’exemple d’un vaisseau
e ectuerait une spirale autour de l’axe avant d’entrer dans l’eau (comme on peut le voir avec la trajectoire en rouge sur la figure ci-dessous). La durée du plongeon serait alors de 14 secondes, ce qui lui permettrait d’exécuter de nombreuses figures (les forces de frottement de l’air ont été négligées). En revanche, le nageur toucherait l’eau avec une vitesse moindre (27 kilomètres par heure) mais de manière tangentielle, qui ne présenterait pas une entrée aussi fluide que dans une piscine terrestre.
Sens de rotation du vaisseau
9,5tours/min
Temps de chute (7 m) : 14 s (1,2 s sur Terre)
cylindrique en rotation de 10 mètres de rayon (un peu plus grand que le vaisseau Discovery One dans le film 2001, L’Odyssée de l’espace, réalisé par Stanley Kubrick en 1968 – voir page 46). Il peut se trouver en orbite autour de la Terre ou dans l’espace lointain. La force centrifuge générée par la rotation du vaisseau sur luimême va alors agir sur tous les corps, et la paroi cylindrique jouera le rôle du sol pour les passagers (comme dans le cas d’une voiture tournant autour d’un rond-point, dans laquelle les occupants sont alors déportés vers l’extérieur du rond-point). Il faut bien comprendre que, même si chaque passager perçoit les occupants voisins comme s’ils étaient au-dessus de lui, le sol est perçu localement plat et horizontal pour tout le monde Cette solution qui consiste à faire tourner le vaisseau est relativement peu
coûteuse en énergie, car dans l’espace il n’y a pas (ou peu) de frottement ; une fois que le vaisseau est mis en rotation, il tournera durablement. Cependant, cette méthode présente un gros défaut : la pesanteur terrestre n’est pas reproduite en tout point du vaisseau. En identifiant la force centrifuge au poids, il apparaît qu’un vaisseau cylindrique de 10 mètres de rayon devrait effectuer pratiquement 9,5 tours par minute
DES JOUEURS EN DÉSÉQUILIBRE
Considérons un match de basket-ball entre l’équipe bleue et l’équipe orange dans notre vaisseau en rotation de 10 mètres de rayon (voir la figure ci-contre). Des spectateurs situés à l’opposé du terrain regarderaient le match en levant la tête. Celui-ci serait d’ailleurs bien di érent de ce qu’on observe sur Terre. Les joueurs de l’équipe bleue, se déplaçant en sens inverse de rotation du vaisseau, pourraient assez facilement se retrouver au-dessus du panier de basket adverse ! Il leur su rait de courir et sauter verticalement à l’approche du panier (car g serait plus faible, comme nous l’avons montré pour la course à pied).
A contrario, les joueurs de l’équipe orange auraient beaucoup plus de mal à se déplacer dans le sens de rotation pour aller marquer. Le jeu ne serait donc pas équitable pour les deux équipes. À noter que, si la longueur du terrain de basket
UNE DES ÉQUIPES EST DÉSAVANTAGÉE
était placée suivant l’axe de rotation du vaisseau (représenté par le point gris central), il n’y aurait plus de force de Coriolis pour tous les déplacements suivant cet axe. Mais même dans ce cas, d’autres problèmes apparaîtraient dans le jeu lui-même.
Au basket-ball, les joueurs e ectuent beaucoup de sauts verticaux. Prenons le cas d’un saut sans élan pour marquer un panier. En moyenne, les joueurs professionnels ont une « détente sèche » de 80 centimètres. Pour un tel saut dans notre vaisseau en rotation, il s’exercerait alors une force latérale sur le joueur au moment où il quitte le sol qui représente 84 % de son poids (toujours notre force de Coriolis qui s’apparente ici à un plaquage au rugby). Cette force latérale importante, toujours dirigée dans le sens de rotation du vaisseau, déséquilibrerait complètement le joueur.
Le basket-ball comporte aussi de nombreux déplacements avec le ballon, impliquant des dribbles. Prenons le cas d’un ballon lâché sans vitesse initiale d’une hauteur de 1,5 mètre dans le but de le faire rebondir. Dans le vaisseau, le ballon ne tomberait pas aux pieds du joueur comme
sur Terre. Là encore, la force de Coriolis le ferait dévier de 65 centimètres au sol et le ballon remonterait à plus d’un mètre de distance du point où il a été lâché (voir la figure en bas à gauche). Le joueur aurait donc bien du mal à le rattraper. Intéressons-nous maintenant aux passes (qui peuvent atteindre 60 kilomètres par heure pour les joueurs professionnels). Si on considère un joueur lançant son ballon vers un partenaire dans le sens inverse de rotation du vaisseau, avec une vitesse proche de 30 kilomètres par heure, on pourrait alors assister à un événement très surprenant : le joueur se faisant une passe à lui-même ! La force de Coriolis a encore une fois dévié le ballon, comme on peut le voir sur les deux exemples de trajectoires représentées en rouge sur la figure ci-contre, à droite (les frottements de l’air sur le ballon ont été négligés). On peut aussi mentionner qu’un lancé franc n’aurait aucune chance d’être marqué puisque le ballon serait fortement dévié, sa trajectoire n’étant plus parabolique comme sur Terre. Ainsi, aucun jeu de balle ou de ballon ne serait possible dans un vaisseau de 10 mètres de rayon en rotation dans l’espace.
pour recréer l’accélération de la pesanteur terrestre (g = 9,81 m/s²) au niveau de la paroi cylindrique, c’est-à-dire au niveau des pieds des occupants. Par contre, au niveau de leur tête (à 1,80 mètre), il n’y aurait plus que g = 8,04 m/s² (et donc pratiquement 9 m/s² au centre de masse d’une personne). L’accélération de la pesanteur va ainsi diminuer en se rapprochant de l'axe de rotation du vaisseau , où elle deviendra alors pratiquement nulle. Les valeurs de g calculées correspondent à l’accélération de la pesanteur pour des passagers immobiles dans le vaisseau Des déplacements dans ce référentiel tournant sont cependant susceptibles de faire apparaître ce qui s’assimile à une force supplémentaire : la force de Coriolis Pour expliquer l’origine de cette force , prenons l’exemple d’une personne
L’accélération de la pesanteur diminue en se rapprochant de l’axe de rotation £
Vitesse
lançant énergiquement une balle en direction d’une cible placée à quelques mètres Le lanceur et la cible sont immobiles à l’intérieur d’un manège tournant Si le manège tourne suffisamment vite, la balle ne pourra pas atteindre la cible Cela peut s’expliquer en se plaçant du point de vue d’un observateur extérieur au manège Celui-ci verra la balle se déplacer en ligne droite alors que la cible, elle, sera en train de tourner ( elle sera donc impossible à atteindre). Inversement, pour le lanceur présent dans le manège , la cible est toujours immobile et c’est donc la balle qui sera déviée. La force de Coriolis appliquée à la balle dans ce référentiel en rotation permet de rendre compte de cette déviation Lors de déplacements dans le vaisseau , lui aussi en rotation , cette force est à même de modifier la valeur locale de g ressentie , ce qui est susceptible de perturber la vie de ses occupants
DÉMONSTRATION PAR LE SPORT
Quels seraient alors les effets de la pesanteur artificielle sur la vie quotidienne des passagers d’un vaisseau cylindrique en rotation dans l’espace ? Nous avons choisi de répondre à cette question par le prisme du sport D’une part, parce qu’il est intéressant d’évaluer dans quelle mesure une pesanteur artificielle faciliterait la pratique indispensable d’une activité physique lors de missions longues – au-delà des moyens très limités des missions en apesanteur D’autre part, parce que le sport est une « observable » idéale pour caractériser et quantifier les différences qui pourraient exister avec ce que l’on observe sur Terre. En pratique, nous avons choisi d’appliquer les lois de la physique, à bord d’un vaisseau en rotation dans l’espace, aux actions impliquées par trois sports illustrant des situations simples et très différentes les unes des autres : la course à pied, le basket-ball (sous tous ses aspects) ainsi que la natation et le plongeon (lire les encadrés respectivement pages 46, 48 et 47).
Ces exemples sont révélateurs : le plus souvent, la pratique est malaisée, déroutante… voire impossible Un coureur se sentira écrasé ou au contraire aura du mal à tenir au sol ; les basketteurs peineront à se faire des passes ou à marquer des paniers ; les plongeurs planeront littéralement au-dessus du bassin… Au-delà des seules pratiques sportives, les différents résultats obtenus invitent à conclure que la vie à bord d’un vaisseau de 10 mètres de rayon serait très problématique (excepté peut-être pour y dormir). Pour de nombreuses occupations de la vie quotidienne, il est assez facile en effet de trouver une situation équivalente à tel ou tel aspect d’une activité sportive : un filet d’eau coulerait d’un robinet ou d’un pommeau de douche dans le vaisseau de la même manière qu’un ballon de basket tombant au sol ; un passager grimpant à une échelle ou s’élevant avec un monte-charge subirait une force latérale dans la même direction et le même sens qu’un joueur de basket-ball lors d’un saut vertical ; un tournevis tomberait, lors d’une réparation sur l’axe du vaisseau, comme le ferait un plongeur Les tâches de la vie quotidienne ne pourraient donc être menées comme sur Terre et toute activité ou déplacement dans le vaisseau donnerait à coup sûr des nausées aux passagers (équivalent au mal des transports). Les valeurs de g différentes entre les pieds et la tête pourraient également induire des risques musculosquelettiques, ce qui serait potentiellement problématique même pour des occupants statiques.
En serait-il de même pour un vaisseau en rotation de 100 mètres de rayon (de l’ordre de grandeur de la station Cooper dans le film Interstellar , réalisé par Christopher Nolan en 2014) ? Il faudrait, dans ce cas, une rotation
Les tâches de la vie quotidienne ne pourraient être menées comme sur Terre £
BIBLIOGRAPHIE
The global exploration roadmap, International Space Exploration Coordination Group, 2018.
G. Clément et al., Artificial gravity as a countermeasure for mitigating physiological deconditioning during long-duration space missions, Front. Syst. Neurosci., 2015.
R. White, Le corps humain en apesanteur, Dossier Pour la Science, 2003.
Human Health Countermeasures, site de la Nasa.
Moon to Mars architecture, site de la Nasa.
APESANTEUR ET MICROGRAVITÉ
La sensation de pesanteur que nous avons sur Terre (caractérisée par son accélération g = 9,81 m/s²) n’est pas due à notre propre poids mais à la réaction qu’exerce le sol sur nos pieds. Lorsque cette réaction disparaît, on se retrouve en apesanteur ou impesanteur, ou encore micropesanteur (les trois termes sont équivalents et traduisent l’absence de sensation de poids). C’est le cas des passagers de la Station spatiale internationale (ISS) ou de ceux qui e ectuent des vols paraboliques en avion. On se retrouverait également en apesanteur dans un ascenseur en chute libre. Dans ces di érents cas, un pèse-personne placé sous les pieds des occupants indiquerait une valeur pratiquement nulle. Il ne faut pas confondre apesanteur et microgravité. Dans l’ISS, à 400 kilomètres d’altitude, les passagers sont bien en apesanteur, mais la gravité est loin d’être nulle puisque la force de gravitation exercée par la Terre représente encore 89 % du poids au sol. C’est d’ailleurs cette force qui permet à la station de rester en orbite autour de la Terre. La microgravité, quant à elle, signifie une quasi-absence de gravité et ne peut être atteinte qu’en des endroits dans l’espace su samment éloignés de tout corps massif (ou en des points où les influences gravitationnelles se compensent presque exactement).
proche de 3 tours par minute pour obtenir g = 9,81 m/s² au niveau des pieds des passagers et on aurait g = 9,63 m/s² au niveau de leur tête, ce qui serait bien plus confortable que pour un vaisseau de 10 mètres de rayon On s’aperçoit donc que plus la taille du vaisseau est importante, plus on se rapproche des conditions terrestres Pour un coureur se déplaçant avec une vitesse de 15 kilomètres par heure, on obtiendrait g = 12,5 m/s² lorsque la course est dans le sens de rotation du vaisseau et g = 7,3 m/s² en sens contraire. Ces valeurs représentent encore plus de 25 % de différence avec la pesanteur terrestre et les effets seraient bien ressentis par le coureur. La force latérale s’exerçant sur un joueur au départ d’un saut de 80 centimètres de hauteur serait égale à 25 % de son poids, et le ballon tombant sans vitesse initiale d’une hauteur de 1,5 mètre dévierait de 18 centimètres au niveau du sol Enfin, pour un plongeon de 7 mètres de hauteur, la trajectoire du plongeur serait nettement incurvée mais celui-ci ne tournerait plus autour de l’axe de rotation du vaisseau. Pour retrouver une trajectoire en spirale (voir l'encadré page 47), il faudrait que le départ du saut s’approche de l’axe (par exemple d’une hauteur de 90 mètres !). Tous ces résultats se rapprochent des conditions sur Terre, mais les différences sont loin d’être négligeables. Un vaisseau de 100 mètres de rayon, infiniment plus coûteux à construire, serait donc biologiquement plus confortable, mais il resterait quand même un certain nombre d’effets indésirables L’homme pourrait-il s’y habituer et vivre normalement dans l’espace ? Personne ne peut raisonnablement répondre à cette question, car toutes les études sur le sujet sont réalisées avec des centrifugeuses sur Terre, qui ne peuvent donc s’affranchir de la pesanteur terrestre. Seules des expériences menées dans l’espace pourraient permettre d’évaluer la distance minimum entre l’axe de rotation et la partie habitable d’un vaisseau, pour que l’équipage puisse y vivre pratiquement normalement… et même y pratiquer ses activités sportives préférées n
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Portrait of Duration est une série de photographies (une seule est montrée ici) prises par Melik Ohanian en 2015. Elles sont présentées dans des caissons lumineux.
Une exposition invite à réfléchir aux représentations du temps, aux façons de le mesurer et donne à voir le « portrait » d’une seconde.
l fut un temps où le temps importait peu , ou en tout cas moins qu’aujourd’hui. On vivait au rythme du soleil… qui parfois imprimait sa marque sur un cadran dont les premières versions connues, égyptiennes et mésopotamiennes, datent de 1500 avant notre ère. Plus tard, ce furent au tour des horloges des églises de rythmer le passage des heures Mais dans chaque cas, le temps était local, c’est-à-dire variant d’une ville ou d’une région à une autre, sans grand souci de synchronisation. Avec la révolution industrielle, ce n’était plus tenable ! Il fallait réagir, et à l’avant- poste des efforts pour coordonner le temps figure… La Poste De fait, comment assurer une distribution du courrier efficace sans un temps unique reconnu par tous ? Aussi, dès 1839, l’administration saisit-elle le ministère de l’Intérieur et obtient gain de cause, en l’occurrence une harmonisation des horloges locales grâce à des tables précises fournies par le Bureau des longitudes Un « temps national » était né
L’influence de la poste sur la concordance des temps se renforça en 1864, quand, développement des chemins de fer oblige, les bureaux et les gares alignèrent leurs horloges sur le méridien de Paris. Et en 1891, l’heure légale de l’observatoire de Paris s’imposa à tout le territoire français, grâce à la télégraphie, jusqu’à ce que le pays adopte l’heure universelle de Greenwich, en 1911.
La poste n’a eu de cesse d’accompagner, voire de motiver, toutes les révolutions liées à la mesure du temps, et c’est à cette épopée que rend hommage une exposition organisée sous la houlette
de la commissaire Céline Neveux, avec Étienne Klein en conseiller scientifique. L’événement associe œuvres patrimoniales, souvent photographiques, et créations contemporaines dans un joyeux mélange des genres qui invite à ralentir pour profiter de ce voyage dans le temps, en le prenant.
Entre d’anciens clichés de bureaux de poste et les célèbres almanachs des facteurs, les visiteurs découvrent l’horloge de Patricia Reed, qui, sur un même cadran, indique toutes les heures des différents fuseaux horaires ; la Black Watch, de Patrick Bernatchez, une montre-bracelet dont l’unique aiguille fait le tour du cadran en mille ans ; la liste, dressée par Claude Closky, des 8 560 nombres qui ne servent pas à donner l’heure ; ou encore l’horloge Tweet Time, d’Olga Kisseleva, qui ralentit dès qu’un tweet fait état quelque part d’un « manque de temps ».
Chemin faisant, en jouant avec le temps, on se rend compte que sa mesure s’est faite toujours plus précise. Une belle illustration est l’horloge parlante automatique qui a fait son apparition le 14 février 1933 pour libérer un agent de l’observatoire qui répondait aux appels téléphoniques incessants d’interlocuteurs désireux de connaître l’heure précise. Au départ couplée à une horloge fondamentale de l’observatoire de Paris, elle sera connectée à une horloge atomique en 1975, puis à un dispositif numérique en 1991, avant de disparaître le 1er juillet 2022.
L’horloge atomique, dont une a rejoint l’ISS le 25 avril 2025, est justement au centre de Portrait of Duration, une série de photographies de Melik Ohanian, qui
montre le changement d’état du césium 133 (voir page ci-contre). En effet, cet élément chimique définit la seconde universelle depuis 1967 de la façon suivante : lorsque l’électron externe d’un atome de césium passe 9 192 631 770 fois de l’état excité à son état initial en émettant un photon, une seconde s’est écoulée. Fini le temps où la rotation de la Terre était l’étalon pour régler les horloges.
Quant au changement d’état mis en valeur, il s’agit du passage de la phase solide à celle liquide, qui se fait à 28 °C, soit quasi à température ambiante. En fin de compte, chaque photographie est une sorte de portrait instantané du temps dans ce qu’il a de plus absolu. Peut-être pas pour l’éternité, et dans une prochaine revisitation de son œuvre, Melik Ohanian va peut-être être obligé de remplacer le césium, car les horloges les plus précises du monde sont désormais fondées sur des atomes de strontium ou d’ytterbium, dont les transitions énergétiques se produisent à des fréquences beaucoup plus élevées, ce qui fait plus de tic-tac en une seconde. En attendant que la seconde soit redéfinie, si elle l’est un jour, prenez le temps de revoir votre rapport à ce qu’Étienne Klein considère « une notion qui nous est trompeusement familière ». n
« La Fabrique du temps », au musée de la Poste, à Paris, jusqu’au 5 novembre 2025. museedelaposte.fr
L’auteur a publié : Pollock, Turner, Van Gogh, Vermeer et la science… (Belin, 2018)
L’AUTEUR
HERVÉ THIS physicochimiste, directeur du Centre international de gastronomie moléculaire AgroParisTech-Inrae, à Palaiseau
NLE VIN, GARANT DE LA FERMETÉ ?
Les légumes sont-ils plus fermes quand ils sont cuits dans du vin ? Ou ramollis, au contraire ? De récentes études précisent les modifications des parois des végétaux pendant la cuisson, mais il faut s’en reme re aux expériences pour répondre à la question culinaire.
aguère, c’était simple : la théorie stipulait que les tissus végétaux auraient été faits de cellules jointoyées par la « paroi végétale », avec des molécules de cellulose qui auraient été reliées par des molécules de pectine ; lors d’un traitement thermique , la pectine aurait été dégradée, laissant les cellules se séparer, de sorte que les tissus auraient été amollis Pas d’effet du vin, selon cette description ancienne.
Mais les théories scientifiques sont faites pour être dépassées : si les tissus végétaux sont effectivement faits de cellules, il est apparu qu’il faut aussi distinguer des parois cellulaires primaire et secondaire, avec des structures et des fonctions différentes. La paroi primaire, faite principalement de celluloses, d’hémicelluloses et de pectines, est plus mince et plus flexible. Les molécules de celluloses sont chimiquement très résistantes (une chemise en coton – presque de la cellulose pure – ne se dissout pas dans la machine à laver), mais les molécules de pectines, elles, sont sensibles à la chaleur : on a progressivement appris qu’elles sont faites d’une alternance de « zones lisses », avec un enchaînement linéaire de résidus d’acide galacturonique, et de « zones hérissées », avec des ramifications faites d’autres sucres. Or les résidus d’acide galacturonique, portant un groupe acide carboxylique, peuvent être sous forme acide (–COOH), ou ionisée (–COO-), ou liés à des ions, ou encore estérifiés par du méthanol ou de l’éthanol : on peut donc imaginer un effet du vin qui, acide, conduirait les groupes acides carboxyliques à se trouver sous la forme neutre, modifiant l’interaction des pectines avec d’autres composés électriquement chargés.
La paroi des tissus végétaux est susceptible d’être affectée par l’action chimique du vin, ce qui favoriserait leur tenue à la cuisson.
La paroi secondaire contient moins de pectines, plus de celluloses, et des lignines. Pour certains végétaux, on distingue aussi une paroi tertiaire, faite de celluloses, de rhamnogalacturonanes (rhamnose et acide galacturonique) substitués par des galactanes, et de quelques mannanes. Là encore, on devine un effet possible du vin.
Mais si ces descriptions rendent bien compte, notamment, des parois cellulaires des tomates ou des fraises (avec des liaisons faibles entre les molécules de pectine et les molécules de cellulose), elles conviennent moins pour d’autres végétaux : il a été observé en 2024 que les pectines des carottes, par exemple, sont liées par des liaisons bien plus fortes, dites « covalentes ». Pour compliquer le tableau, les parois cellulaires évoluent avec la maturité et le stockage après la récolte, les enzymes dépolymérisant les pectines.
L’effet du vin, finalement ? Des études récentes confirment qu’il contribue à modifier les pectines, notamment en changeant leur degré de méthylation… ce qui a des conséquences sur la vitesse de dégradation, et tend à jouer en faveur d’un ramollissement. Mais on identifie aussi des causes de raffermissement : des ions calcium, doublement chargés, peuvent ponter des groupes acides carboxyliques des pectines, et réduire la sensibilité à la dégradation.
Que conclure alors ? Que l’expérience s’impose absolument, et c’est ce que nous avons fait lors du dernier séminaire de gastronomie moléculaire, en comparant la cuisson de carottes, de poireaux, de pommes de terre, soit dans du vin (blanc, pH de 2,5), soit dans de l’eau. Le résultat a été conforme à ce que savent les cuisiniers : les parties de légumes cuites dans le vin étaient plus fermes que celles qui avaient été cuites dans l’eau. n
SALADE DE POMMES DE TERRE AFFERMIES
AU VIN BLANC
➊ Mettre des pommes de terre dans une casserole avec de l’eau froide. Couvrir et cuire à ébullition pendant 15 à 20 minutes.
➋ Vider l’eau et peler les pommes de terre encore chaudes.
➌ Verser dessus un peu de vin blanc et de bouillon de volaille.
➍ Puis ajouter une vinaigrette faite de moutarde, de sel, de poivre, de vinaigre et d’huile de noix.
➎ Ajouter de très minces rondelles d’oignons rouges, très peu d’ail cru écrasé et finement divisé, beaucoup de ciboulette et de persil ciselés, quelques lamelles de cornichons coupées en quatre, éventuellement des lamelles très minces de radis.
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NEPTUNES CHAUDES
Si les astrophysiciens ont détecté de nombreuses Jupiters chaudes – des exoplanètes de la taille de Jupiter mais très proches de leur étoile – de façon étonnante, ils observent un « désert de Neptunes chaudes », leur équivalent neptunien.
£
19 M/S 2
Dans un vaisseau spatial en rotation, la force centrifuge recrée une pesanteur artificielle. Mais si l’on s’y déplace agit aussi la force de Coriolis, qui dépend du sens du mouvement. Dans un vaisseau d’un rayon de 10 mètres à 9,5 tours par minute, une personne courant dans le sens de rotation à une vitesse de 15 kilomètres par heure sentirait une accélération de pesanteur de 19 m/s2. Elle pèserait pratiquement le double de son poids sur Terre.
Seuls les États sont en mesure d’assurer la vitalité et la diversité de
la recherche scientifique £
MOLESTUS
Du moustique commun en Europe à la forme dérivée qu’on rencontre en Égypte et dans le métro londonien, le nom latin passe de « gazouillant », pipiens, à « désagréable », molestus Il faut dire que le second est beaucoup plus agressif.
YVES GINGRAS historien et sociologue des sciences
MODULARITÉ
Le théorème de modularité conjecturé par Yutaka Taniyama et Goro Shimura, puis reformulé par André Weil a été prouvé par Andrew Wiles (avec Richard Taylor) en 1994. Il établit une correspondance entre des objets issus de la théorie des nombres (les courbes elliptiques) et des objets de l’analyse (les formes modulaires). Sa démonstration a permis de prouver le grand théorème de Fermat.
ANNIVERSAIRE
Le paradoxe des anniversaires stipule qu’il suffit de réunir 23 personnes pour que les chances que deux individus fêtent leur anniversaire le même jour soient supérieures à 50 %. Le raisonnement associé, qui s’applique à de nombreuses situations, explique certaines coïncidences statistiques qui peuvent paraître suspectes.
En physique statistique, le modèle à six vertex permet d’étudier l’entropie d’un réseau carré où chaque intersection présente deux flux entrants et deux flux sortants. Il existe six configurations possibles, les six vertex. Proposé initialement pour étudier la glace d’eau, ce modèle est surtout efficace pour décrire des matériaux magnétiques… ou des fluides actifs.
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