LES 4 RĂGLES UNIVERSELLES DE LA VIE
NEUROBIOLOGIE Les leçons dâamour des campagnols MathĂ©matiques LE PROBLĂME DE LâINTERPOLATION ENFIN RĂSOLU Physique MESURER LE TEMPS DE VOL QUANTIQUE Cryptologie VERS DES CLĂS DE CHIFFREMENT VRAIMENT SĂRES DOM : 8,50 ⏠âBEL./LUX. : 8,50 ⏠âCH 12,70 FS âCAN. : 12,99 $CAPORT. CONT. : 8,50 ⏠- MAR. 78 DH â TOM 1 100 XPF Ădition française de Scientific American âMars 2023n° 545 POUR LA SCIENCE 03/23 DĂ©cryptage avec Zoe Donaldson neuroscientifique
L 13256545F: 7,00 âŹRD
fĂ©vrier â juin 2023
Métamorphoses : quelles dynamiques ?
MARS
Les stratégies de reproduction des plantes
Câest nouveau ! Comment rĂ©agit mon cerveau ? | jeune public
Quand les animaux changent de sexe
La foule en équations
Transidentité : devenir soi
Foules : sous lâinfluence des rĂ©seaux sociaux
Foules : des psychologues dans le métro
Les foules au cinĂ©ma : de la figuration Ă lâĂšre numĂ©rique Dans lâocĂ©an, des animaux lumineux | jeune public
Bioluminescence : une histoire des petites bĂȘtes qui brillent | jeune public
Pourquoi ça mousse ? | jeune public
LâocĂ©an et nous | jeune public
Biodiversité : réensauvager la France ?
Inondations, sĂ©cheresses : le cycle de lâeau bouleversĂ© ?
Réconcilier nature et agriculture
DémantÚlement et recyclage des avions
La robustesse, clĂ© de lâadaptation du vivant
SociĂ©tĂ©s : de la vulnĂ©rabilitĂ© aux trajectoires dâadaptation
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DâAUTRES VIES QUE
LA NĂTRE
La quĂȘte de la nature de la vie, de son origine sur Terre et, au-delĂ , des conditions favorables Ă son Ă©mergence constitue un horizon constant de la science. Cette quĂȘte, aussi ambitieuse quâĂ©tourdissante, entend rĂ©pondre Ă la questionâ: «âSommes-nous seuls dans lâUniversâ?â» Mais au fait, qui est ce «ânousâ»â? Des ĂȘtres conscients, bien sĂ»r. Des ĂȘtres vivants, plus simplement. Quoique dĂ©finir le vivant nâa rien de simple. La question de notre solitude doit en effet, pour devenir saisissable par la science, ĂȘtre posĂ©e autrementâ: quâest-ce que la vieâ? DĂšs lors tout se compliqueâ: de quels indices signalant la vie doit-on se mettre en quĂȘteâ?
Sur Mars, lâannonce de la dĂ©couverte de molĂ©cules rappelant les composĂ©s organiques connus sur Terre a rĂ©cemment dĂ©frayĂ© la chronique. Il sâagit bien lĂ de possibles indices de vie â ou dâĂ©tapes menant possiblement Ă la vie â authentiquement extraterrestres. Si ce nâest que la vie pourrait prendre des formes bien diffĂ©rentes â empruntant, pourquoi pas, dâautres voies que la chimie du carbone. Aujourdâhui, chimistes, biologistes, physiciens croisent leurs rĂ©flexions pour dĂ©finir ce que devront dĂ©tecter les capteurs de nos sondes, tĂ©lescopes et robots, sur Terre ou ailleurs. Notre dossier balise ces nouveaux horizons du vivant, et dĂ©taille le modĂšle chimique rĂ©pondant aux quatre critĂšres caractĂ©risant la lyfe, proposition renouvelĂ©e de dĂ©finition de la vie, sâappliquant Ă celle que la Terre abrite⊠et Ă dâautres formes, Ă©ventuellement. Ces nouvelles variations sur le vivant auraient sans doute passionnĂ© le mathĂ©maticien John von Neumann, lui qui entreprit de fĂ©condes recherches sur ce qui pourrait rendre des machines capables de se reproduire. Une passionnante biographie, tout juste parue, rend Ă©vidente la modernitĂ© de ces travaux. On doit aussi Ă von Neumann des avancĂ©es essentielles en informatique et en logique. Nul doute que les algorithmes de nos intelligences artificielles lâauraient intĂ©ressĂ©. Dâautant plus quand ils sont mobilisĂ©s, comme câest le cas depuis quelques semaines, pour identifier dâĂ©ventuels indices de communication intelligente dans les donnĂ©es issues de lâobservation dâĂ©toiles lointaines, analysĂ©es par le programme Seti (Search for extra-terrestrial intelligence). Des indices dâautres vies que la nĂŽtre⊠et dâautres esprits que les nĂŽtres. n
POUR LA SCIENCE N° 545 / MARS 2023 / 3
DITO Ă
ImprimĂ© en France Maury Imprimeur SA Malesherbes N° dâimprimeurâ: 268 236
s
OMMAIRE
N° 545 / Mars 2023
ACTUALITĂS GRANDS FORMATS
P. 6
ĂCHOS DES LABOS
âą Ă quel Ăąge a-t-on des enfants depuis 250â000 ansâ?
⹠Des déchets plastiques pour des millénaires
⹠Des memristors face au défi énergétique des IA
âą Pourquoi le cĆur des Ă©toiles tourne moins vite que prĂ©vu
⹠L'ùge du Bronze, moment clé de l'immunité ?
âą Un laser pour guider la foudre
P. 44
NEUROBIOLOGIE
CAMPAGNOLS, LâAMOUR EST DANS LE PRĂ
P. 58
ARCHĂOLOGIE
LES BANTOUS DANS LA FORĂT DES PYGMĂES
CAHIER PARTENAIRE
PAGES I Ă III (APRĂS LA P. 40)
Comment réduire le risque de submersion marine des centrales nucléaires ?
Parrainé par
P. 18
LES LIVRES DU MOIS
P. 20
DISPUTES
ENVIRONNEMENTALES Un coup de marteau pour la biodiversité
Catherine Aubertin
P. 22
LES SCIENCES Ă LA LOUPE Lâinvention de lâautoplagiat
Yves Gingras
Steven Phelps, Zoe Donaldson, Dev Manoli
Petits rongeurs monogames, les campagnols des prairies renouvellent notre comprĂ©hension de la façon dont naissent lâattachement⊠et lâamourâ!
Geoffroy de Saulieu, Pascal Nlend Nlend et Richard Oslisly
Il y a prĂšs de 3â000 ans, les Bantous ont investi la forĂȘt tropicale africaine. Au cours du millĂ©naire suivant, ils se sont libĂ©rĂ©s dâune crise dĂ©mographique en se reposant sur les premiers habitants de la forĂȘtâ: les PygmĂ©es.
P. 52
MATHĂMATIQUES
P. 66
PHYSIQUE
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En couverture : © Philipp Tur/Shutterstock
Les portraits des contributeurs sont de Seb Jarnot
Ce numĂ©ro comporte un courrier de rĂ©abonnement posĂ© sur le magazine sur une sĂ©lection dâabonnĂ©s.
UN VIEUX PROBLĂME DE COURBES ENFIN BOUCLĂ
Clémentine Laurens
Deux jeunes chercheurs amĂ©ricains ont rĂ©cemment proposĂ© une dĂ©monstration rĂ©pondant Ă un problĂšme majeur de gĂ©omĂ©trieâ: par combien de points peut-on forcer une courbe Ă passer sans la dĂ©naturerâ?
PEUT-ON MESURER LE TEMPS DE VOL QUANTIQUE ?
Anil Ananthaswamy
Aujourdâhui, il est impossible de mesurer prĂ©cisĂ©ment le temps mis par des particules pour se dĂ©placer entre deux points. Cette lacune de la physique quantique est-elle en passe dâĂȘtre comblĂ©eâ?
4 / POUR LA SCIENCE N° 545 / MARS 2023
fr
P. 74
HISTOIRE DES SCIENCES
LâHOMME
QUI VOULAIT RĂPLIQUER LA VIE
Ananyo Bhattacharya
Une machine est-elle capable de se reproduireâ?
Les automates cellulaires de John von Neumann sont indĂ©niablement dotĂ©s de capacitĂ©s autoreproductrices. Ces crĂ©ations, qui inspirent encore les rĂ©flexions sur le vivant, sont une des facettes de lâĆuvre de cet insatiable scientifique, quâexplore une biographie passionnante, parue chez Quanto.
P. 24 EXOBIOLOGIE LA QUĂTE DES PRINCIPES UNIVERSELS DE LA VIE
Sarah Scoles
Lâimage que lâon se fait des petits hommes verts reste souvent calquĂ©e sur la vie terrestre. Les stratĂ©gies pour traquer la biologie ailleurs dans lâUnivers souffrent du mĂȘme biais. Certains scientifiques abandonnent ces idĂ©es rĂ©ductrices en cherchant les rĂšgles gĂ©nĂ©rales qui dĂ©finissent la vie dans toute sa diversitĂ© et son Ă©trangetĂ©.
P. 34 BIOCHIMIE « LYFE », LA VIE REDĂFINIE
David Louapre
Quatre critĂšres suffiraient pour dĂ©finir la vie en toute gĂ©nĂ©ralitĂ©â! Pour appuyer cette idĂ©e, des chercheurs simulent des systĂšmes chimiques simples manifestant toutes ces conditions.
RENDEZ-VOUS
P. 80
LOGIQUE & CALCUL DES PROGRĂS BIENVENUS EN CRYPTOLOGIE
Jean-Paul Delahaye
Lâart du chiffrement progresseâ: une percĂ©e inattendue a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e concernant lâexistence des fonctions «âĂ sens uniqueâ», essentielles en cryptologie. Ce progrĂšs mathĂ©matique nous rapproche dâun monde oĂč la sĂ©curitĂ© sera assurĂ©e.
P. 86
ART & SCIENCE
Les nappes du Léman
LoĂŻc Mangin
P. 88
IDĂES DE PHYSIQUE
Lâart balĂšze de lâarbalĂšte Jean-Michel Courty et Ădouard Kierlik
P. 92
CHRONIQUES DE LâĂVOLUTION
Pas de sexe pour Warramaba virgo Hervé Le Guyader
P.
96
SCIENCE & GASTRONOMIE
Le secret des sauces
quâon sauce
Hervé This
P. 98 Ă PICORER
POUR LA SCIENCE N° 545 / MARS 2023 / 5
[EXTRAIT]
Ă QUEL ĂGE AVAIT-ON DES ENFANTS AU PALĂOLITHIQUE ?
Une Ă©tude gĂ©nomique rĂ©vĂšle que lâĂąge moyen de procrĂ©ation des hommes et femmes au cours des 250â000 derniĂšres annĂ©es a progressivement augmentĂ©.
Ăquel Ăąge les humains fontils des enfantsâ? La rĂ©ponse Ă cette question nâest pas quâun simple nombre, câest une donnĂ©e clĂ© qui nous renseigne sur les stratĂ©gies de reproduction adoptĂ©es par notre espĂšce et comment celles-ci Ă©voluent en fonction des Ă©poques, des cultures et des conditions environnementales. Les gĂ©nĂ©ticiens appellent «âtemps de gĂ©nĂ©rationâ» lâĂąge moyen de procrĂ©ation, câest-Ă -dire la durĂ©e moyenne qui sĂ©pare deux gĂ©nĂ©rations consĂ©cutives au sein de la gĂ©nĂ©alogie dâune population. En 2022, par exemple, lâĂąge moyen dâaccouchement en France est estimĂ© Ă 31 ans, mais quâen a-t-il Ă©tĂ© par le passĂ©â? Certains chercheurs ont
Ăges (en annĂ©es)
GrĂące Ă la gĂ©nomique, les chercheurs ont dĂ©terminĂ© lâĂąge de procrĂ©ation des hommes et des femmes sur 250 000 ans pour dĂ©finir la durĂ©e dâune gĂ©nĂ©ration (ligne orange).
parfois fait lâhypothĂšse de travail que la durĂ©e des gĂ©nĂ©rations Ă©tait stable au cours du temps, dâautres se sont appuyĂ©s sur des populations de chasseurs-cueilleurs actuels comme rĂ©fĂ©rence. Pour obtenir des donnĂ©es plus prĂ©cises, Richard Wang, de lâuniversitĂ© de lâIndiana, aux Ătats-Unis, et ses collĂšgues se sont tournĂ©s vers la gĂ©nomique. Ils ont calculĂ© lâĂąge moyen de procrĂ©ation des hommes et des femmes sur les 250â000 derniĂšres annĂ©es. Pour parvenir Ă ce tour de force, lâĂ©quipe sâest intĂ©ressĂ©e aux mutations dites de novo. LâADN dâun enfant hĂ©ritĂ© de ses parents contient entre 25 et 75 mutations de novo, câest-Ă -dire qui apparaissent pour la premiĂšre fois chez lâenfant. GrĂące Ă cela, il est possible de comparer les parents et leur progĂ©niture et de classer les mutations en diffĂ©rents types. Or, en observant celles-ci chez des milliers dâenfants du programme de sĂ©quençage gĂ©nomique de la population islandaise actuelle, les chercheurs ont remarquĂ© que leur type et leur nombre dĂ©pendent de lâĂąge du pĂšre et de la mĂšre au moment de la conception.
6 / POUR LA SCIENCE N° 545 / MARS 2023 ĂCHOS DES LABOS
P.â6 Ăchos des labos
P.â18 Livres du mois
P.â20 Disputes environnementales
© Photographie : Shotmedia/Shutterstock ; courbe : © Pour la Science, dâaprĂšs R. J. Wang et al., Human generation times across the past 250,000 years, Science Advances, 2023.
P.â22 Les sciences Ă la loupe
GĂNOMIQUE
Les chercheurs ont ensuite utilisĂ© la base de donnĂ©es du projet 1â000 GĂ©nomes pour dater certaines mutations. Enfin, un modĂšle reprenant lâensemble de ces observations sur les mutations de novo a estimĂ© les temps de gĂ©nĂ©ration des hommes et des femmes Ă diverses Ă©poques de notre histoire Ă©volutive.
Ainsi, ces 250â000 derniĂšres annĂ©es, lâĂąge moyen de procrĂ©ation des humains est estimĂ© Ă 26,9 ans. Les pĂšres sont systĂ©matiquement plus ĂągĂ©s, avec 30,7 ans en moyenne, que les mĂšres qui procrĂ©ent en moyenne Ă 23,2 ans. «âCette diffĂ©rence entre les sexes se retrouve Ă toutes les Ă©chelles de temps, explique Patricia Balaresque, chercheuse en biologie et gĂ©nomique Ă©volutive au CNRS. Cela coĂŻncide avec ce qui est observĂ© chez 99â% des cultures contemporaines.â» Cet Ă©cart a cependant variĂ© au cours des millĂ©naires.
Toutefois, lâĂąge parental nâa pas augmentĂ© linĂ©airement au cours du temps. Il Ă©tait plus Ă©levĂ©, avec 29,8 ans en moyenne, avant le dernier maximum glaciaire qui a eu lieu il y a 21â000 ans. Puis il a rechutĂ© il y a environ 10â000 à 8â000 ans, au NĂ©olithique, avec des modĂšles de sociĂ©tĂ©s plus sĂ©dentaires. Il remonte depuis environ 5â000 ans, notamment pour les femmes.
Pour Patricia Balaresque, «âles variations de lâĂąge parental dĂ©tectĂ©es aux diffĂ©rentes pĂ©riodes de temps sont un Ă©lĂ©ment particuliĂšrement intĂ©ressant qui mĂ©rite dâĂȘtre approfondi â elles pourraient reflĂ©ter aussi bien des changements socioculturels quâenvironnementaux. Lors de son histoire, lâhomme nâa pas cessĂ© dâĂȘtre confrontĂ© Ă des stress variĂ©s â climatiques, microbiens, culturels â et a vu son profil dĂ©mographique changer au fil du temps, un rĂ©sultat qui nâest pas sans rappeler les variations dĂ©mographiques observĂ©es dans de nombreux pays Ă lâheure actuelle.
Cette Ă©tude illustre comment le gĂ©nome peut, grĂące Ă des mĂ©thodologies adaptĂ©es, nous renseigner sur des informations biologiques intrinsĂšques telles que lâĂąge moyen de procrĂ©ationâ; elle nous apporte un bel Ă©clairage sur notre capacitĂ© Ă nous adapter, nous reproduire et transmettreâ!â». n
William Rowe-Pirra
ĂCOLOGIE
Des déchets plastiques pour des millénaires
On trouve aujourdâhui du plastique autant dans les sols et les riviĂšres que dans la mer et lâair que lâon respire. Jeroen Sonke, auteur principal dâune Ă©tude visant Ă modĂ©liser le cycle de vie des plastiques sur les prochains millĂ©naires, nous raconte le destin de ces matĂ©riaux polluants.
JEROEN SONKE directeur de recherche Ă lâunitĂ© GĂ©osciences environnement Toulouse du CNRS.
Que devient le plastique lorsquâil nâest pas recyclĂ©â?
Depuis les annĂ©es 1950, 4â% du pĂ©trole extrait du sous-sol a Ă©tĂ© transformĂ© en plastique. En termes de masse, cela reprĂ©sente plus de 8 milliards de tonnes de plastique de toutes sortes et, parmi elles, 2,5 sont toujours utilisĂ©es. Le reste a Ă©tĂ© jetĂ©, rĂ©parti probablement Ă parts Ă©gales entre lâenvironnement et les dĂ©charges.
La dĂ©gradation des dĂ©chets plastiques est trĂšs lente, si bien que lâon a mĂȘme du mal Ă la mesurer. On pense quâelle sâĂ©tend sur des dĂ©cennies, voire des siĂšcles. Avec le temps, les plastiques ont tendance Ă se fragmenter en morceaux plus petits jusquâĂ devenir des microplastiques de tailles comprises entre 1 micromĂštre et 5 millimĂštres. Mes collĂšgues et moi avons souhaitĂ© construire un modĂšle du cycle de vie des plastiques, pour mieux comprendre le destin de ces dĂ©chets polluants.
En quoi consiste votre modĂšleâ?
Nous avons construit ce que lâon nomme un systĂšme Ă une dimension, un modĂšle en «âboĂźtesâ». Nous avons estimĂ© la quantitĂ© de plastique contenue dans chacun des rĂ©servoirs de la planĂšte (atmosphĂšre, fonds marins, sols, etc.). Les transferts de plastique au cours du temps sont modĂ©lisĂ©s par des flux qui connectent entre elles chacune des boĂźtes du modĂšle.
Ce cycle de vie est complexe et comporte beaucoup dâinconnues. Pour construire notre modĂšle, nous nous sommes appuyĂ©s sur la littĂ©rature scientifique des deux derniĂšres dĂ©cennies, mais nous sommes contraints par le nombre dâobservations, qui manquent parfois pour lâocĂ©an profond ou pour lâatmosphĂšre. Le bilan que nous dressons est ainsi associĂ© Ă des incertitudes parfois considĂ©rables, dâun facteur 5 Ă 10 sur le budget de certains compartiments.
Quâapprend-on de ce bilanâ?
Une fois jetĂ©s, les plastiques restent un certain temps dans les rĂ©servoirs terrestres. Mais les eaux de pluie et les riviĂšres finissent toujours par les mobiliser et les conduire vers lâocĂ©an.
Lâaction du vent et les vagues projettent des microplastiques vers lâatmosphĂšre par le mĂȘme processus que celui qui forme la brume marine. Et lĂ dĂ©marre un cycle vicieuxâ: les plastiques charriĂ©s par les riviĂšres vers lâocĂ©an sont fragmentĂ©s puis Ă©mis vers lâatmosphĂšre. Ils sont ensuite transportĂ©s par les vents et retombent sur les continents. Ils seront, Ă lâĂ©chelle des millĂ©naires, de nouveau emportĂ©s par les riviĂšres pour un nouveau cycle.
Ă chaque passage par lâocĂ©an, une partie des plastiques est entraĂźnĂ©e vers le fond. Les dĂ©chets finissent ainsi par ĂȘtre sĂ©questrĂ©s dans les sĂ©diments marins oĂč ils resteront pendant des millions dâannĂ©es.
Combien de temps ces microplastiques circuleront-ils dans lâenvironnementâ?
Si on arrĂȘte complĂštement de produire du plastique aujourdâhui ou en 2050 â ce qui est assez peu rĂ©aliste â, tout ce que lâon a rejetĂ© dans lâenvironnement continuera Ă se dĂ©grader, Ă se fragmenter et Ă circuler pendant des millĂ©naires. Les politiques visant Ă limiter la production de plastique doivent donc sâaccompagner dâassainissements du milieu naturel.
On voit souvent dans les mĂ©dias des projets de nettoyage de la surface de lâocĂ©an. Je pense quâils sont intĂ©ressants symboliquement, mais ce ne sont pas des solutions rĂ©alistes. Câest comme Ă©ponger avec le robinet ouvertâ; il faut sâattaquer au robinetâ!
Le plus pertinent serait de rĂ©cupĂ©rer les plastiques dans les cours dâeau, principaux vecteurs de transfert du plastique des terres vers les ocĂ©ans.
Selon nos estimations, il faudrait assainir chaque annĂ©e entre 1 et 3â% du plastique de tous les rĂ©servoirs terrestres pour que lâeffet soit visible pour la prochaine gĂ©nĂ©ration. n
POUR LA SCIENCE N° 545 / MARS 2023 / 7
R. J. Wang et al., Science Advances, 2023.
Propos recueillis par Pierre Giraudeau
J. Sonke et al., Micropl. & Nanopl., 2022.
POURQUOI LE CĆUR DES ĂTOILES TOURNE MOINS VITE QUE PRĂVU
Au cours de la vie dâune Ă©toile, son cĆur connaĂźt parfois des phases de contraction. On sâattendait Ă ce que, de la mĂȘme maniĂšre quâen patinage artistique, ramener les bras contre le corps augmente la vitesse de rotation, le cĆur des astres tourne plus rapidement que leur enveloppe. Pourtant, les vitesses de rotation mesurĂ©es sont bien moins hĂ©tĂ©rogĂšnes que prĂ©vu. Lâune des principales hypothĂšses pour expliquer cette contradiction implique des champs magnĂ©tiques particuliers qui nâont, toutefois, jamais Ă©tĂ© observĂ©s dans les Ă©toiles, et dont le mĂ©canisme de formation nâavait jamais pu ĂȘtre reproduit numĂ©riquement jusquâici.
Ludovic Petitdemange, de lâobservatoire de Paris, a rĂ©ussi, avec des collĂšgues, Ă faire apparaĂźtre de tels champs dans des simulations numĂ©riques. Le mĂ©canisme dĂ©crit par les chercheurs repose sur lâamplification, dans les profondeurs dâune Ă©toile, dâun champ magnĂ©tique initialement faible. Le champ magnĂ©tique (en blanc sur lâimage) accentue des mouvements turbulents du plasma (en bleu sur lâimage) qui, eux-mĂȘmes, amplifient le champ magnĂ©tique. La matiĂšre ainsi perturbĂ©e ralentit le cĆur, en transmettant son Ă©nergie de rotation vers la pĂ©riphĂ©rie de lâĂ©toile. Ce mĂ©canisme, bien quâamorcĂ© par une rotation diffĂ©rentielle, se maintient par lâinteraction du champ magnĂ©tique avec les turbulences, ce qui explique lâabsence quasi totale de rotation diffĂ©rentielle dans les mesures.
Quâun mĂ©canisme suffisant soit dĂ©sormais connu nâimplique pas nĂ©cessairement quâil est en effet Ă lâĆuvre dans les astres. Une preuve dĂ©finitive serait lâobservation directe de ces champs magnĂ©tiques, encore invisibles Ă lâheure actuelle. n
P. G.
10 / POUR LA SCIENCE N° 545 / MARS 2023 ĂCHOS DES LABOS
ASTROPHYSIQUE
L. Petitdemange et al., Science, 2023.
POUR LA SCIENCE N° 545 / MARS 2023 / 11 © Avec lâaimable autorisation
de Christophe Gissinger
24 / POUR LA SCIENCE N° 545 / MARS 2023
EXOBIOLOGIE
© William Hand
LâESSENTIEL
> La plupart des projets de recherche de vie extraterrestre reposent sur des indices inspirĂ©s de la biologie terrestreâ: eau liquide, oxygĂšne, etc.
> Mais la vie ailleurs est probablement trĂšs diffĂ©rente. Sâils sâen tiennent Ă des critĂšres trop spĂ©cifiques, les chercheurs risquent de passer Ă cĂŽtĂ© de dĂ©couvertes potentielles.
> Ces rĂ©flexions conduisent Ă dĂ©finir la vie de la façon la plus universelle possible. Les scientifiques explorent ainsi des concepts aussi vastes que la complexitĂ©, les systĂšmes hors Ă©quilibreâŠ
> Lâobjectif est dâutiliser ces idĂ©es pour Ă©laborer des stratĂ©gies afin de dĂ©busquer la vie «âtelle quâon ne la connaĂźt pasâ» dans lâUnivers.
LâAUTRICE
SARAH SCOLES Journaliste scientifique, spĂ©cialiste dâexobiologie
La quĂȘte des universelsprincipes de la vie
Lâimage que lâon se fait des petits hommes verts reste souvent calquĂ©e sur la vie terrestre. Les stratĂ©gies pour traquer la biologie ailleurs dans lâUnivers souffrent du mĂȘme biais. Certains scientifiques abandonnent ces idĂ©es rĂ©ductrices en cherchant les rĂšgles gĂ©nĂ©rales qui dĂ©finissent la vie dans toute sa diversitĂ© et son Ă©trangetĂ©.
Il est difficile dâimaginer Ă quoi pourrait ressembler la vie ailleurs. Cet « animal », fruit de lâimagination dâun artiste, reste ancrĂ© dans des rĂ©fĂ©rences animales terrestres avec ses pattes, un cou et une tĂȘte.
POUR LA SCIENCE N° 545 / MARS 2023 / 25
LâESSENTIEL LâAUTEUR
> Pour traquer efficacement la vie ailleurs dans lâUnivers, il faut pouvoir en donner une dĂ©finition le plus universelle possible.
> Lyfe est une proposition en ce sens qui repose sur quatre critĂšresâ: structure dissipative, autocatalyse, homĂ©ostasie et apprentissage.
> La vie sur Terre est une rĂ©alisation de la lyfe, mais la plupart des systĂšmes physico-chimiques ne satisfont quâun ou deux critĂšres.
> En partant dâun systĂšme constituĂ© de quelques composĂ©s chimiques en interaction, il est possible de satisfaire les quatre conditions de la lyfe
DAVID LOUAPRE docteur en physique et directeur scientifique chez Ubisoft, il est aussi vidĂ©aste sur sa chaĂźne Youtube «âScience Ă©tonnanteâ»
«â LYFEâ» La vie redĂ©finie
Quatre critÚres suffiraient pour définir la vie en toute généralité ! Pour appuyer cette idée, des chercheurs simulent des systÚmes chimiques simples manifestant toutes ces conditions.
Quâest-ce que la vieâ? Quels sont les critĂšres qui garantissent une sĂ©paration claire entre ce qui est vivant et ce qui ne lâest pasâ? Les spĂ©cialistes ont coutume de rĂ©pondre Ă ces questions en invoquant les caractĂ©ristiques structurelles, physiques et chimiques de la vie sur Terreâ: des cellules dĂ©limitĂ©es par une structure bicouche de lipides, lâADN comme support de lâinformation gĂ©nĂ©tique, ou encore le mĂ©tabolisme fondĂ© sur lâATP (adĂ©nosine triphosphate).
Mais comme nous le rappellent parfois les Ćuvres de sciencefiction, il est fort probable, si la vie extraterrestre existe, quâelle prendrait une forme trĂšs diffĂ©rente de la vie telle quâon la connaĂźt sur Terre. On lâimagine alors reposant sur des structures et des molĂ©cules inĂ©dites pour nous, faisant peut-ĂȘtre intervenir dâautres rĂ©actions chimiques que celles qui caractĂ©risent la vie terrestre. DĂšs lors, comment reconnaĂźtre et qualifier une forme de vieâ? Pour cela, il nous faut identifier de nouveaux critĂšres qui sâaffranchissent des spĂ©cificitĂ©s de la vie sur Terre et qui dĂ©finissent
34 / POUR LA SCIENCE N° 545 / MARS 2023
© David Louapre (simulation)
BIOCHIMIE
; Ubisoft (photo de lâauteur)
Le systĂšme chimique de Gray-Scott contient deux composĂ©s, lâun Ă©tant capable dâautocatalyse en exploitant le second. Ce systĂšme est Ă©galement une structure dissipative et prĂ©sente des propriĂ©tĂ©s dâhomĂ©ostasie. En y ajoutant dâautres rĂ©actifs interagissant de façon spĂ©cifique, il est possible de le doter de la capacitĂ© dâapprendre par association. On aurait donc lĂ un systĂšme rudimentaire mais « vivant » selon les critĂšres de la lyfe
POUR LA SCIENCE N° 545 / MARS 2023 / 35
Lâamour est dans le prĂ©
Petits rongeurs monogames, les campagnols des prairies renouvellent notre comprĂ©hension de la façon dont naissent lâattachement⊠et lâamour !
Le campagnol des prairies est un petit rongeur du Midwest amĂ©ricain connu pour sâinstaller en couple, une tendance rare chez les mammifĂšres. Les couples dĂ©veloppent un attachement profond, partagent un nid et Ă©lĂšvent ensemble leurs petits. En laboratoire, un campagnol en couple que lâon a sĂ©parĂ© de son compagnon sâefforce de le rejoindre. Les campagnols des prairies font mĂȘme preuve dâune sorte dâempathie pour leurs partenairesâ: ils deviennent inquiets lorsque ces derniers sont stressĂ©s et se rĂ©confortent mutuellement par le contact. Comme la pandĂ©mie lâa mis en Ă©vidence, de tels liens sociaux sont Ă©galement essentiels au bien-ĂȘtre des humains. Des chercheurs sâintĂ©ressent Ă ces rongeurs singuliers pour comprendre comment les relations ont un impact profond sur la santĂ©.
GrĂące aux progrĂšs biomĂ©dicaux des derniĂšres dĂ©cennies, les scientifiques observent les neurones en action. En manipulant lâactivitĂ© des gĂšnes avec prĂ©cision, ils sont capables dâexaminer les fonctions de gĂšnes individuels dans des rĂ©gions spĂ©cifiques du cerveau. Avec le campagnol des prairies comme sujet, des chercheurs apprennent ainsi comment les liens se tissent, comment les premiĂšres annĂ©es de la vie façonnent les relations et pourquoi nous souffrons lorsquâelles se dĂ©font.
Bien sĂ»r, les campagnols des prairies ne sont pas des humains. Ces connaissances soulĂšvent donc une question. Comment ce minuscule rongeur hirsute, un peu plus petit quâune balle de tennis et couramment confondu avec une taupe, une souris ou un rat, est-il devenu
44 / POUR LA SCIENCE N° 545 / MARS 2023 NEUROBIOLOGIE
LâESSENTIEL LES AUTEURS
> Depuis plusieurs annĂ©es, on sait que lâocytocine, surnommĂ©e lâ«âhormone de lâamourâ», et son rĂ©cepteur cĂ©rĂ©bral interviennent dans lâattachement dâun couple de campagnols.
> On sâaperçoit aujourdâhui que le mĂ©canisme dâattachement est bien plus complexe, et quâil se produit mĂȘme chez des campagnols sans rĂ©cepteur de lâocytocine.
> Non seulement les circuits cĂ©rĂ©braux de la rĂ©compense interviennent, mais aussi des gĂšnes et des rĂ©gions cĂ©rĂ©brales impliquĂ©es dans lâapprentissage et la mĂ©morisation.
> Lâamour humain serait composĂ© dâun noyau Ă©motionnel similaire enrichi par lâactivitĂ© dâautres aires cĂ©rĂ©brales impliquĂ©es dans lâempathie et la comprĂ©hension de lâautre.
STEVEN PHELPS directeur du Centre du cerveau, du comportement et de lâĂ©volution Ă lâuniversitĂ© du Texas Ă Austin, aux Ătats-Unis
ZOE DONALDSON chercheuse en neurosciences comportementales Ă lâuniversitĂ© du Colorado-Boulder, aux Ătats-Unis
DEV MANOLI psychiatre Ă lâuniversitĂ© de Californie Ă San Francisco
Les campagnols des prairies choisissent un seul partenaire avec lequel ils partagent un nid et Ă©lĂšvent leurs petits. Pour Ă©tudier la formation et la stabilisation de ce lien, les chercheurs attachent un individu dâun couple et regardent si lâautre le rejoint ou lui prĂ©fĂšre un campagnol inconnu.
POUR LA SCIENCE N° 545 / MARS 2023 / 45
© Aubrey
M. Kelly
LâESSENTIEL
> Peut-on faire passer une courbe par un ensemble de points donnĂ©sâ? La question mobilise les mathĂ©maticiens depuis des siĂšcles. Deux jeunes chercheurs amĂ©ricains proposent la dĂ©monstration dâune inĂ©galitĂ© qui y rĂ©pond.
> Cette inégalité indique par combien de points, au maximum, il est possible de forcer une courbe donnée à passer.
> La dĂ©monstration sâapplique Ă tous types de courbes. Quatre font exception, que les deux mathĂ©maticiens expliquent.
LâAUTRICE CLĂMENTINE LAURENS journaliste scientifique
Un vieux problÚme de courbes enfin bouclé
Deux jeunes chercheurs américains ont récemment proposé une démonstration répondant à un problÚme majeur de géométrie : par combien de points peut-on forcer une courbe à passer sans la dénaturer ?
52 / POUR LA SCIENCE N° 545 / MARS 2023 MATHĂMATIQUES
De nombreux chemins mĂšnent au problĂšme dâinterpolation. Le mien a consistĂ© Ă mâintĂ©resser dâabord Ă un autre problĂšme, appelĂ© âconjecture du rang maximalâ. Pour dĂ©montrer cette conjecture, jâai Ă©tĂ© amenĂ© Ă utiliser de lâinterpolation, et jâai donc prouvĂ© un cas particulier du problĂšme. Cela me suffisait pour rĂ©soudre la conjecture du rang maximal, mais il manquait encore une rĂ©solution complĂšte du problĂšme dâinterpolation. Câest pour cela que je mây suis attelĂ©.
Eric Larson, professeur assistant, département de mathématiques, université Brown
Ce qui mâa poussĂ©e Ă mâintĂ©resser Ă ce problĂšme, câest dâabord lâintĂ©rĂȘt de la question elle-mĂȘme. Depuis mes Ă©tudes, je mâintĂ©resse aux courbes, et le problĂšme dâinterpolation est une question fondamentale Ă leur sujetâ! Les courbes nous Ă©chappent, ce sont des objets difficiles Ă apprĂ©hender et Ă comprendre. Au fond, le problĂšme dâinterpolation nous indique Ă quel point les courbes sont flexibles, et câest une maniĂšre de les comprendre. Savoir quâon peut les forcer Ă passer par certains points, câest une façon de mieux les saisir.
Isabel Vogt, professeuse assistante, département de mathématiques, université Brown
UN RĂSULTAT REMARQUABLE
Câest un rĂ©sultat qui pourrait bien faire date dans lâhistoire de la gĂ©omĂ©trie. Une prouesse, qui, si elle est confirmĂ©e, viendra mettre un point final Ă des siĂšcles de recherche. Deux jeunes chercheurs amĂ©ricains de lâuniversitĂ© Brown, Isabel Vogt et Eric Larson, ont mis en ligne dĂ©but 2022 un preprint (article soumis pour publication dans une revue scientifique, mais qui nâa pas encore passĂ© les Ă©preuves de relecture par les pairs) rĂ©pondant Ă une question majeure appelĂ©e «âproblĂšme dâinterpolationâ». En substance, ce problĂšme demandeâ: peuton forcer une courbe rĂ©pondant Ă certains critĂšres â par exemple, une courbe «âpas trop repliĂ©e sur elle-mĂȘmeâ» â Ă passer par un ensemble de points donnĂ©â?
Isabel Vogt et Eric Larson revendiquent la dĂ©monstration dâune inĂ©galitĂ© simple fournissant la rĂ©ponse Ă cette question dans un cadre ultragĂ©nĂ©ralâ: dans un espace de nâimporte quelle dimension, elle indique par combien de points au maximum on peut forcer un type de courbe donnĂ© Ă passer. Seuls persistent quatre types de courbes qui ne se comportent pas comme les autres, mais pour lesquelles le preprint fournit des raisons gĂ©omĂ©triques expliquant ce comportement exceptionnel.
Si la dĂ©monstration tient de lâexploit, câest que les objets considĂ©rĂ©s sont extrĂȘmement dĂ©licats Ă saisir. Les courbes dont il est question ici sont des objets abstraits, difficiles Ă dĂ©crire mathĂ©matiquement et au sujet desquels on connaĂźt, en fait, peu
de choses. Ensuite, parce que lâexistence dâexceptions Ă la rĂšgle reprĂ©sente elle aussi un dĂ©fi. Car Ă cause dâelle, les arguments avancĂ©s pour dĂ©montrer le thĂ©orĂšme doivent ĂȘtre suffisamment prĂ©cis pour contourner ces quatre cas particuliers⊠Mais suffisamment gĂ©nĂ©raux pour attraper tous les autres. Enfin, parce que les techniques dĂ©ployĂ©es dans lâarticle constituent un outil puissant, qui pourrait se rĂ©vĂ©ler utile pour rĂ©soudre dâautres problĂšmes sur les courbes. Les auteurs proposent en effet une mĂ©thode systĂ©matique permettant de reconstruire des courbes compliquĂ©es en «âcollantâ» entre elles des courbes plus simples, sur lesquelles il est plus aisĂ© de dĂ©montrer des rĂ©sultats gĂ©omĂ©triques. De quoi ouvrir, potentiellement, de belles perspectives. ©
POUR LA SCIENCE N° 545 / MARS 2023 / 53
Nicolas Lee (portrait de lâautrice) © Pour la Science (ouverture)
LâABOUTISSEMENT DEÂ SIĂCLES DE RECHERCHE
Les auteurs du preprint se sont attaquĂ©s Ă une formulation du problĂšme dâinterpolation plutĂŽt rĂ©cente et trĂšs gĂ©nĂ©rale. Mais les origines de ce questionnement remontent Ă plus de deux mille ansâ!
Dans son traitĂ© Les ĂlĂ©ments, publiĂ© en 300 avant notre Ăšre, Euclide Ă©nonce les prĂ©mices du problĂšmeâ: par deux points distincts du plan, on peut faire passer une droite (câest le premier postulat), et par trois points non alignĂ©s, un cercle. Six cents ans plus tard, Pappus dâAlexandrie dĂ©montre que lâon peut faire passer une conique (une courbe plane algĂ©brique) par cinq points gĂ©nĂ©raux. Ces questionnements sont alors abordĂ©s en recherchant des mĂ©thodes explicites de construction gĂ©omĂ©trique.
Au XVIIIe siĂšcle, lâĂ©tude de ces questions trouve un nouveau souffle avec lâintroduction dâoutils issus de lâalgĂšbre. Les courbes ont maintenant des Ă©quationsâ: câest la naissance de la gĂ©omĂ©trie algĂ©brique. Les mathĂ©maticiens Edward Waring (1736-1798) et Joseph-Louis de Lagrange (1736-1813) rĂ©solvent le problĂšme dâinterpolation pour certaines courbes importantes â celles qui constituent le graphe de polynĂŽmes. On parle aujourdâhui encore dâ«âinterpolation de Waring-Lagrangeâ» (ou juste dâ«âinterpolation de Lagrangeâ»), et cette technique a de trĂšs nombreuses applicationsâ: elle est par exemple utilisĂ©e dans les lecteurs de QR codes, ou encore en cryptographie pour protĂ©ger lâaccĂšs Ă certaines donnĂ©es sensibles.
Ă la fin du XXe siĂšcle, le problĂšme dâinterpolation bascule dans la modernitĂ© mathĂ©matique, grĂące Ă dâimportants progrĂšs dans la thĂ©orie de Brill-Noether, un champ des mathĂ©matiques introduit Ă la fin du XIXe siĂšcle. Cette thĂ©orie amĂšne Ă considĂ©rer les courbes comme des objets ayant une existence abstraite propre, indĂ©pendante de lâespace dans lequel on les matĂ©rialise. Cette maniĂšre de considĂ©rer les choses poussera Ă reformuler le problĂšme dâinterpolation en des termes plus gĂ©nĂ©raux, et entraĂźnera de nouveaux progrĂšs, dus en particulier Ă Joe Harris â le codirecteur de thĂšse dâIsabel Vogt â dans les annĂ©es 1980. Ceci aidera Ă lâĂ©laboration dâune conjecture quant Ă la solution du problĂšme, sous la forme dâune inĂ©galitĂ© â celle-lĂ mĂȘme quâIsabel Vogt et Eric Larson ont annoncĂ© avoir dĂ©montrĂ©e en janvier 2022. Leurs travaux sâinscrivent dans la continuitĂ© de dĂ©veloppements rĂ©cents â on peut en particulier citer la thĂšse dâAtanas Valeryev Atanasov, soutenue en 2015 â ayant permis de dĂ©montrer la conjecture dans des situations restreintes, mais de plus en plus gĂ©nĂ©rales. JusquâĂ sa dĂ©monstration complĂšte par les deux jeunes chercheurs, qui, si elle est validĂ©e par leurs pairs, mettra un point final Ă une lignĂ©e de recherche multicentenaire.
Quelles courbes sont susceptibles de passer par un ensemble de points donnés ?
Une seule droite passe par deux points
Un seul cercle passe par trois points non alignés
Une seule conique passe par cinq points
54 / POUR LA SCIENCE N° 545 / MARS 2023 MATHĂMATIQUES UN VIEUX PROBLĂME DE COURBES ENFIN BOUCLĂ
© Pour la Science
Thomas Dedieu est chercheur en gĂ©omĂ©trie algĂ©brique et gĂ©omĂ©trie complexe Ă lâInstitut de mathĂ©matiques de Toulouse. Il livre ici ses explications sur le problĂšme dâinterpolation et son apprĂ©ciation sur les travaux dâIsabel Vogt et Eric Larson.
Ce qui mâa frappĂ©, câest la technicitĂ© de la dĂ©monstration et son caractĂšre dĂ©finitif
Isabel Vogt et Eric Larson ont mis en ligne une premiĂšre version de leur article fin janvier 2022. Ă lâĂ©poque, quelle a Ă©tĂ© votre premiĂšre impression ?
Ce qui mâa frappĂ©, câest la technicitĂ© de la dĂ©monstration et le caractĂšre dĂ©finitif du rĂ©sultatâ: si la dĂ©monstration est correcte, leur rĂ©sultat est valable tout le temps, Ă lâexception de quatre cas particuliers que les auteurs mentionnent et pour lesquels ils expliquent ce quâil se passe.
On disposait dĂ©jĂ de rĂ©sultats partiels sur ce problĂšme dâinterpolation, mais ce qui est
remarquable ici, câest dâavoir obtenu un thĂ©orĂšme valable sans restriction.
Lâarticle est encore aujourdâhui Ă lâĂ©tat de preprint. Cela suggĂšre-t-il quâil y a un problĂšme dans la dĂ©monstration proposĂ©e ?
La dĂ©monstration fait soixante-dix pagesâ: il nâest pas du tout surprenant quâil faille du temps aux relecteurs pour valider ce travailâ! En matiĂšre de dĂ©lais, ce nâest donc pas choquant que le papier ne soit toujours pas acceptĂ©. Souvent, il y a des petits soucis techniques Ă
POUR LA SCIENCE N° 545 / MARS 2023 / 55 © Thomas Dedieu
Les Bantous dans la forĂȘt des PygmĂ©es
Au cours du premier millĂ©naire avant notre Ăšre, les Bantous ont investi la forĂȘt tropicale humide africaine. Au cours du millĂ©naire suivant, ils ont connu une crise dĂ©mographique, dont ils se sont libĂ©rĂ©s se reposant sur les premiers habitants de la forĂȘt : les PygmĂ©es.
Dans lâimaginaire europĂ©en, la forĂȘt Ă©quatoriale africaine serait vierge et peuplĂ©e de fauves et de farouches chasseurs-cueilleurs. En rĂ©alitĂ©, elle est le siĂšge dâune civilisation singuliĂšre, rassemblant deux ethniesâ: les PygmĂ©es et les Bantous. Ă lâorigine, ces deux populations sortent du mĂȘme substrat palĂ©olithique panafricain, mais se sont sĂ©parĂ©es il y a quelque 70â000 ans. Bien plus tard, Ă partir de 1000 avant notre Ăšre environ, lâAfrique noire dans son ensemble a connu un gigantesque phĂ©nomĂšne migratoireâ: lâexpansion bantoue. Le terme dĂ©signe une sĂ©rie de migrations commencĂ©e Ă cette Ă©poque, qui a progressivement empli lâAfrique de communautĂ©s paysannes parlant des langues apparentĂ©esâ; selon les linguistes, le phĂ©nomĂšne est parti du «âberceau bantouâ» en Afrique centrale de lâOuest (Nigeria oriental, ouest du Cameroun), et sâest poursuivi jusquâau XVIIIe siĂšcle, quand des Bantous ont atteint lâAfrique du Sud. RĂ©sultatâ: il y a aujourdâhui en Afrique environ 350 millions de locuteurs bantous parlant plus de 500 langues. Or les paysans bantous ont trĂšs tĂŽt investi la grande forĂȘt Ă©quatoriale africaine, oĂč, Ă un moment, ils ont interagi avec les PygmĂ©es. Avec le temps, cette interaction a produit les sociĂ©tĂ©s Ă composantes bantoues
et pygmĂ©es que lâon rencontre aujourdâhui encore dans le bassin du Congo. Quand et comment les deux ethnies ont-elles construit leur relationâ?
ENQUĂTE SUR LA FORĂT
LâĂ©tude du passĂ© de la forĂȘt dâAfrique centrale ne sâest dĂ©veloppĂ©e quâaprĂšs les IndĂ©pendances. MĂȘme si cela est peu connu, des dĂ©couvertes archĂ©ologiques suggĂšrent que la forĂȘt abrite des communautĂ©s humaines depuis, vraisemblablement, des centaines de milliers dâannĂ©es. Lâanalyse des pollens a rĂ©vĂ©lĂ© comment les paysages y ont changĂ© depuis le dernier maximum glaciaire il y a quelque 18â000 ans avant notre Ăšre. Un climat plus frais et plus sec quâactuellement a dâabord rĂ©gnĂ© sur lâAfrique centrale, oĂč il a favorisĂ© un paysage en peau de lĂ©opardâ: de grandes Ă©tendues de savanes ponctuĂ©es par des forĂȘts galeries et des massifs forestiers discontinus se sont Ă©tabliesâ; puis, il y a une douzaine de milliers dâannĂ©es, la pĂ©riode froide qui a suivi le dernier maximum glaciaire sâest terminĂ©e. Les savanes ont rĂ©gressĂ©, et la forĂȘt dense est progressivement revenue, de sorte quâelle constituait le paysage dominant pendant lâexpansion bantoue. Que sâest-il alors passĂ©â?
La mise en Ă©vidence de cette partie de lâhistoire des peuples forestiers, quâils soient
Quand les Bantous (Ă droite) ont investi la forĂȘt Ă©quatoriale africaine, 500 ans avant notre Ăšre, ils sont entrĂ©s en contact avec les PygmĂ©es (Ă gauche), dont les ancĂȘtres vivaient dĂ©jĂ dans la forĂȘt au PalĂ©olithique.
58 / POUR LA SCIENCE N° 545 / MARS 2023
ARCHĂOLOGIE
© Teddy Seguin
LâESSENTIEL
> Les PygmĂ©es, qui descendent des chasseurs-cueilleurs palĂ©olithiques, furent les premiers habitants de la forĂȘt dâAfrique centrale.
> Pendant lâĂąge du Fer, les paysans bantous ont investi cette forĂȘt. Ils y ont dĂ©veloppĂ© 1â500 ans durant une sociĂ©tĂ© lignagĂšre opulente, quâĂ partir
du vie siÚcle de notre Úre une vaste crise épidémique a dévastée.
> Plus de trois siĂšcles plus tard, les Bantous ont dĂ©passĂ© la crise en sâappuyant sur les PygmĂ©es, ce qui a abouti Ă une singuliĂšre civilisation forestiĂšre biethnique.
LES AUTEURS
GEOFFROY DE SAULIEU archĂ©ologue Ă lâInstitut de recherche sur le dĂ©veloppement (IRD)
PASCAL NLEND NLEND archĂ©ologue Ă lâuniversitĂ© de YaoundĂ© I au Cameroun
RICHARD OSLISLY archĂ©ologue Ă lâIRD (Ă©mĂ©rite)
POUR LA SCIENCE N° 545 / MARS 2023 / 59
66 / POUR LA SCIENCE N° 545 / MARS 2023 PHYSIQUE
© Kenn Brown, Mondolithic Studios
Aujourdâhui, il est impossible de mesurer prĂ©cisĂ©ment le temps mis par des particules pour se dĂ©placer entre deux points. Cette lacune de la physique quantique est-elle en passe dâĂȘtre comblĂ©e ?
Peut-on mesurer le temps de vol quantiqueâ?
POUR LA SCIENCE N° 545 / MARS 2023 / 67
Par Anil Ananthaswamy
LâESSENTIEL LâAUTEUR
> LâĆuvre scientifique du mathĂ©maticien John von Neumann, nĂ© Ă Budapest en 1903, sâĂ©tend des mathĂ©matiques pures aux mĂ©canismes fondamentaux du vivant. Son puissant esprit de synthĂšse sâest intĂ©ressĂ© Ă la gĂ©omĂ©trie non euclidienne, Ă la thĂ©orie des jeux, aux formalismes de la physique quantique, ou encore aux automates autorĂ©plicateurs.
> à la fin des années 1940, John von Neumann a abordé la question
des capacitĂ©s reproductives du vivant dans un cadre largement inspirĂ© des rĂ©flexions quâil menait sur les machines qui allaient inspirer les premiers ordinateurs.
> Sa thĂ©orie des automates autorĂ©plicateurs est Ă lâorigine de la crĂ©ation des «âautomates cellulairesâ», crĂ©atures virtuelles dont les premiĂšres simulations ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©es au dĂ©but des annĂ©es 1990.
Lâhomme qui voulait rĂ©pliquer la vie
Une machine est-elle capable de se reproduire ? Les automates cellulaires de John von Neumann sont indĂ©niablement dotĂ©s de capacitĂ©s autoreproductrices. Ces crĂ©ations, qui inspirent encore les rĂ©flexions sur le vivant, sont une des facettes de lâĆuvre de cet insatiable scientifique, quâexplore une biographie passionnante, parue chez Quanto.
Ce texte est extrait du chapitre 8 de A. Bhattacharya, John von Neumann, lâhomme qui venait du futur (Quanto, 2023).
«Snappyâ» est une RepRap â une imprimante 3D autorĂ©plicative â capable dâimprimer environ 80â% de ses propres piĂšces. Si lâune de ses piĂšces se casse, vous nâavez quâĂ la remplacer par le rechange que vous avez prĂ©cĂ©demment imprimĂ©. Pour le simple prix du matĂ©riau â le filament de plastique que lâimprimante fait fondre et dĂ©pose coĂ»te de 20 Ă 50 dollars le kilo â, vous pouvez imprimer lâessentiel dâune autre imprimante pour un ami. Il nâaura plus quâĂ acheter une poignĂ©e de composants gĂ©nĂ©riques mĂ©talliques du genre boulons, vis, moteurs et composants Ă©lectroniques pour lâassembler.
lâon trouve Ă la surface de la Lune. Ă partir dâune RepRap, ils se sont lancĂ©s dans la conception dâun vĂ©hicule lunaire capable dâimprimer toutes ses piĂšces dĂ©tachĂ©es ainsi que les outils servant Ă se copier lui-mĂȘme en nâutilisant que des matiĂšres brutes prĂ©levĂ©es sur place, en faisant par exemple fondre de la roche lunaire dans un four solaire. Ils ont aussi fabriquĂ© des moteurs et des ordinateurs expĂ©rimentaux Ă lâaide de neurones artificiels de type McCullochPitts pour que leur vĂ©hicule puisse se dĂ©placer de maniĂšre autonome.
392 pages, 24,50âŹ
En librairie depuis
le 16 février 2023
Câest en 2004 que lâingĂ©nieur et mathĂ©maticien Adrian Browyer a eu lâidĂ©e de ce quâil appelle le «âmarxisme darwinienâ» â le foyer de chacun va finir par devenir une usine produisant tout ce dont il a besoin (Ă condition que ça puisse se fabriquer en plastique). Les ingĂ©nieurs de lâuniversitĂ© Carlton Ă Ottawa sâefforcent de combler ces 20â% rĂ©calcitrants pour obtenir une imprimante capable de se reproduire elle-mĂȘme sans nĂ©cessitĂ© dâun atelier de bricolage. Plus prĂ©cisĂ©ment, ils rĂ©flĂ©chissent Ă la façon de nâemployer que des matĂ©riaux que
Les Ă©lĂ©ments Ă©lectroniques reposant sur les semi-conducteurs Ă©tant pratiquement impossibles Ă fabriquer sur la Lune, ils ont projetĂ© de faire appel aux tubes Ă vide, comme un flashback dans les annĂ©es 1950. «âQuand je suis tombĂ© sur RepRap, qui nâen Ă©tait alors quâĂ ses modestes dĂ©buts, ça a Ă©tĂ© un catalyseur, raconte Alex Ellery, qui dirige lâĂ©quipe. Ce qui au dĂ©part nâĂ©tait pour moi quâun projet secondaire mobilise Ă prĂ©sent toute ma rĂ©flexion.â» Une fois posĂ©es sur le sol lunaire, les machines dâAlex Ellery pourraient se multiplier pour constituer une usine spatiale semi-autonome, auto-expansible, fabriquant⊠à peu prĂšs tout ce quâon voudra. Elles pourront par exemple imprimer des bases prĂȘtes Ă accueillir des colons humains
74 / POUR LA SCIENCE N° 545 / MARS 2023
ANANYO BHATTACHARYA journaliste scientifique
[EXTRAIT]
HISTOIRE DES SCIENCES
â ou mĂȘme, espĂšre [le chercheur], contribuer Ă attĂ©nuer le rĂ©chauffement climatique en fabriquant des essaims de minisatellites capables de faire Ă©cran au rayonnement solaire ou dâenvoyer des faisceaux dâĂ©nergie vers la Terre.
Ces travaux et bien dâautres sâinspirent dâun ouvrage intitulĂ© Theory of Self-Reproducing Automata [publiĂ© Ă titre posthume, en 1966], dont lâauteur nâest autre que John von Neumann. Entre la construction de son ordinateur Ă lâIAS [Institut des Ă©tudes avancĂ©es, Ă Princeton] et ses activitĂ©s de consultant auprĂšs du gouvernement et du secteur industriel, von Neumann sâĂ©tait lancĂ© dans une comparaison des machines biologiques et synthĂ©tiques. PeutĂȘtre trouverait-il lĂ de quoi dĂ©passer les imitations des ordinateurs quâil participait Ă fabriquer. «âLes organismes naturels sont, en rĂšgle gĂ©nĂ©rale, beaucoup plus complexes et subtils, et donc nettement moins finement compris que les automates artificiels, notait-il. Certaines rĂ©gularitĂ©s observĂ©es dans lâorganisation des premiers peuvent pourtant ĂȘtre trĂšs instructives dans notre rĂ©flexion et notre planification concernant les seconds.â»
AprĂšs avoir lu les articles de Warren McCulloch et Walter Pitts sur les rĂ©seaux de neurones artificiels, von Neumann sâĂ©tait pris
Ă lâInstitut des Ă©tudes avancĂ©es (IAS) de Princeton, John von Neumann modifie lâarchitecture de lâun des premiers calculateurs Ă©lectroniques (lâENIAC, en arriĂšre plan), afin que ses programmes soient enregistrĂ©s dans une mĂ©moire.
dâintĂ©rĂȘt pour les sciences biologiques au point dâĂ©crire Ă plusieurs chercheurs qui contribuaient Ă Ă©claircir le fondement molĂ©culaire de la vie, notamment Sol Spiegelman et Max DelbruÌck. FidĂšle Ă lui-mĂȘme, von Neumann a abordĂ© le sujet avec gĂ©nie, sans retenue et sans grand rĂ©sultat, mais certaines de ses intuitions allaient fournir Ă dâautres des champs trĂšs fertiles de recherche. Il a donnĂ© des confĂ©rences sur le mĂ©canisme de la sĂ©paration des chromosomes lors de la division cellulaire. Il a Ă©crit Ă Norbert Wiener pour lui proposer un programme de recherche ambitieux sur les bactĂ©riophages, postulant que ces virus, qui infectent les bactĂ©ries, pourraient ĂȘtre assez simples pour que leur Ă©tude sâavĂšre utile et assez grands pour quâon les voie au microscope Ă©lectronique. Un groupe de chercheurs rĂ©uni par DelbruÌck et Salvador Luria passerait les deux dĂ©cennies suivantes Ă expliquer la rĂ©plication de lâADN et la nature du code gĂ©nĂ©tique en procĂ©dant exactement ainsi â et en produisant certaines des premiĂšres images dĂ©taillĂ©es des virus.
Lâune des plus curieuses propositions de von Neumann concernait la structure des protĂ©ines. La plupart des gĂšnes codent des protĂ©ines, des molĂ©cules qui accomplissent la
POUR LA SCIENCE N° 545 / MARS 2023 / 75
© Alan Richards, Shelby White and Leon Levy Archives Center, Institute for Advanced Study in Princeton, N.J.
P.â80 Logique & calcul
P.â86 Art & science
P.â88 IdĂ©es de physique
P.â92 Chroniques de lâĂ©volution
P.â96 Science & gastronomie
P.â98 Ă picorer
DES PROGRĂS BIENVENUS EN CRYPTOLOGIE
Lâart du chiffrement progresseâ: une percĂ©e inattendue a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e concernant lâexistence des fonctions «âĂ sens uniqueâ», essentielles en cryptologie. Ce progrĂšs mathĂ©matique nous rapproche dâun monde oĂč la sĂ©curitĂ© sera assurĂ©e.
LâAUTEUR
JEAN-PAUL DELAHAYE professeur Ă©mĂ©rite Ă lâuniversitĂ© de Lille et chercheur au laboratoire Cristal (Centre de recherche en informatique, signal et automatique de Lille)
La cryptologie traite de la cryptographie (le chiffrement des messages), de la cryptanalyse (les mĂ©thodes pour casser les codes secrets), de lâart de fabriquer des suites pseudoalĂ©atoires et des mĂ©thodes pour Ă©laborer des systĂšmes de signatures numĂ©riques. Cette science est particuliĂšrement difficile et on ignore souvent quâelle repose, pour lâessentiel, sur des hypothĂšses mathĂ©matiques que lâon nâa pas encore rĂ©ussi Ă dĂ©montrer.
Les chercheurs sont persuadĂ©s que les mĂ©thodes quâils retiennent et recommandent sont sĂ»res et que celles utilisĂ©es dans le domaine de la sĂ©curitĂ© informatique (commerce en ligne, cartes bancaires, communications chiffrĂ©es, etc.) ont Ă©tĂ© soumises Ă toutes sortes de tests et de filtres qui ont Ă©liminĂ© les plus fragiles. Reste que les mathĂ©maticiens nâont pas dĂ©montrĂ© que les mĂ©thodes utilisĂ©es en pratique sont inviolables. De telles dĂ©monstrations existent certainementâ: «âNous devons savoir, nous sauronsâ» («âWir mĂŒssen wissen. Wir werden wissenâ»), affirmait le mathĂ©maticien allemand David Hilbert⊠mais aujourdâhui nous nâen disposons pasâ!
Pour cette raison, toute avancĂ©e thĂ©orique qui nous rapproche dâune situation oĂč lâon dĂ©montrerait lâinviolabilitĂ© absolue des mĂ©thodes utilisĂ©es en cryptologie est importante. Une telle avancĂ©e qui concerne les fonctions «âĂ sens uniqueâ» vient dâĂȘtre obtenue.
pas vraiâ: il est difficile pour un y donnĂ© de trouver un x tel que y = f(x). Ainsi, comme nous le verrons plus loin, sâil est facile de multiplier des nombres entiers, il est difficile de mener lâopĂ©ration inverse, câest-Ă -dire de trouver les diviseurs dâun nombre.
En informatique et dans la suite de cet article, «âalgorithme rapideâ» signifie algorithme fonctionnant en temps polynomial, câest-Ă -dire en un nombre dâĂ©tapes majorĂ© par la valeur dâun polynĂŽme de la variable «âtaille des donnĂ©esâ». On utilise le mot «âtempsâ» car chaque Ă©tape prend un certain temps. Un calcul facile est un calcul faisable par un algorithme rapide. Prenons un exemple pour illustrer ce que lâon entend par temps polynomial. Quand on calcule 2 n pour un entier n comportant l chiffres dĂ©cimaux (l est la longueur de la donnĂ©e n) il faut faire un nombre dâopĂ©rations Ă©lĂ©mentaires (appel Ă une table de multiplication ou dâaddition, report de retenue, dĂ©calage) qui est infĂ©rieur Ă 2l (polynĂŽme 2l). Par exempleâ:
Jean-Paul Delahaye a récemment publié : Au-delà du Bitcoin (Dunod, 2022).
Quâest-ce quâune fonction Ă sens uniqueâ? Pour une fonction f de x Ă sens unique, il est facile de calculer f(x)Â =Â y, mais lâinverse nâest
2âĂâ347 = 2âĂâ7â+â(2âĂâ4)âĂâ10â+â(2âĂâ3)âĂâ100 = 4â+â10â+â8âĂâ10â+â6âĂâ100 = 4â+â9âĂâ10â+â6âĂâ100 = 694 (un premier passage ne prend pas en compte les retenues) soit l opĂ©rations, un second passage fait le report des retenues, soit au plus l opĂ©rations. En tout on a au plus 2âĂâl opĂ©rations. Si le nombre n avait 100 chiffres, on aurait le rĂ©sultat avec un maximum de 200 opĂ©rations. Lâaddition et la multiplication apprises Ă lâĂ©cole sont de tels algorithmes rapides. Mentionnons une derniĂšre prĂ©cision. Il existe une mĂ©thode de chiffrement prouvĂ©e
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inviolable, celle du «âmasque jetableâ» (voir lâencadrĂ© 3), mais elle exige, pour chiffrer un message, une clĂ© de chiffrement alĂ©atoire de la mĂȘme taille que le message, et on ne peut lâutiliser quâune fois. Cela rend la mĂ©thode inutilisable sauf dans quelques rares cas. La recherche de mĂ©thodes sĂ»res ne sâintĂ©resse donc quâaux mĂ©thodes utilisant des clĂ©s de chiffrement courtes et rĂ©utilisables. Tous les travaux Ă©voquĂ©s ici se situent dans ce cadre.
DES FONCTIONS PRĂSUMĂES
Ă SENS UNIQUE
RĂ©cemment, les mathĂ©maticiens Yanyi Liu et Rafael Pass, de lâuniversitĂ© Cornell, aux Ătats-Unis, ont Ă©tabli des liens entre lâexistence de fonctions Ă sens unique et la thĂ©orie de la complexitĂ© de Kolmogorov. Cette thĂ©orie, qui traite de la complexitĂ© des objets numĂ©rique (par exemple un message chiffrĂ©), appartient Ă un autre domaine de lâinformatique quâon pensait sans rapport direct avec la cryptologie. Les rĂ©sultats obtenus ne rĂ©solvent pas totalement lâĂ©nigme des fonctions Ă sens unique, mais lui font faire un bond en avant qui a Ă©tĂ© saluĂ© par toute la communautĂ© des codes
secrets et a dĂ©clenchĂ© une sĂ©rie de travaux dont on espĂšre quâils porteront de nouveaux fruits. Les fonctions Ă sens unique permettent de faire un peu tout ce quâon souhaite en cryptologieâ: dĂ©finir des mĂ©thodes de chiffrement Ă clĂ© secrĂšte rĂ©sistantes aux attaquesâ; programmer des gĂ©nĂ©rateurs pseudoalĂ©atoires dont personne ne peut deviner le fonctionnement, mĂȘme en les observant fonctionner pendant longtempsâ; proposer des signatures Ă©lectroniques dignes de confiance. Les fonctions Ă sens unique sont ainsi un composant de base Ă partir duquel on construit les fonctions les plus utiles de la sĂ©curitĂ© informatique. Aussi, les rĂ©ponses aux questions autour des fonctions Ă sens unique fourniraient les dĂ©monstrations mathĂ©matiques qui manquent pour garantir dĂ©finitivement lâinviolabilitĂ© des mĂ©thodes utilisĂ©es aujourdâhui en cryptologie. Reprenons lâexemple de la plus simple des fonctions prĂ©sumĂ©es Ă sens unique, le produit de nombres entiersâ: au couple dâentiers x = (a, b), cette fonction associe rapidement f(x) = aâĂâb, le produit de a et de b. Elle est prĂ©sumĂ©e Ă sens unique car on ne connaĂźt aucun algorithme rapide qui lâinverse, câest-Ă -dire qui,
SENS UNIQUE POUR NOS ARTĂRES⊠ET LA CRYPTOLOGIE
Partout dans le monde, on a besoin de systĂšmes qui ne fonctionnent que dans un sens. En mĂ©canique on utilise des cliquets (A). Sur la route, chacun connaĂźt les sens uniques (B). En biologie, les veines et les artĂšres doivent ne laisser passer le sang que dans un sens et des valves forcent cette circulation en sens unique (C) Les analogues mathĂ©matiques de ces sens uniques sont les fonctions Ă sens uniqueâ: passer de x Ă f(x) est rapide, mais connaissant seulement y, trouver un x tel que f(x) = y est difficile.
Une fonction f Ă sens unique peut ĂȘtre calculĂ©e efficacement, mais toute mĂ©thode algorithmique rapide de calcul utilisant Ă©ventuellement le hasard et tentant dâinverser f Ă©choue statistiquement. Sâil existe une fonction Ă sens unique alors la conjecture mathĂ©matique P â  NP est vraie. Rappelons que cette conjecture, considĂ©rĂ©e comme la plus importante de lâinformatique thĂ©orique, affirme quâil existe des problĂšmes dont on peut vĂ©rifier la solution en temps polynomial, mais quâon ne peut
pas rĂ©soudre en temps polynomial. Il nâest pas vrai cependant que rĂ©soudre la conjecture P â  NP permettrait de proposer une fonction Ă sens unique. Prouver lâexistence de fonctions Ă sens unique est donc un problĂšme plus difficile que rĂ©soudre la conjecture P â  NP. On connaĂźt grĂące Ă un rĂ©sultat rĂ©cent une propriĂ©tĂ© Ă©quivalente Ă lâexistence de fonctions Ă sens unique. Ce progrĂšs inattendu est une avancĂ©e thĂ©orique profonde dans un domaine oĂč les blocages sont trĂšs forts.
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1
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C B
A
CHRONIQUES DE LâĂVOLUTION
Warramaba whitei, une des deux espĂšces dont W. virgo est le fruit de lâhybridation, se reproduit de maniĂšre sexuĂ©e. Le mĂąle, plus petit que la femelle, mesure 29 millimĂštres. LâespĂšce a Ă©tĂ© nommĂ©e en hommage Ă son dĂ©couvreur, Michael White.
PAS DE SEXE POUR WARRAMABA VIRGO
Pourquoi les animaux Ă reproduction asexuĂ©e sont-ils si raresâ? Un criquet australien suggĂšre pourtant quâelle est parfois remarquablement efficaceâŠ
Aussi Ă©tonnant que cela paraisse, dâun point de vue Ă©volutif, la sexualitĂ© constitue un paradoxe. Bien quâomniprĂ©sente, elle est associĂ©e Ă des coĂ»ts Ă©vidents â pensez Ă la production des mĂąles, aux dĂ©penses Ă©nergĂ©tiques liĂ©es Ă la fĂ©condation⊠â, a priori prĂ©judiciables au succĂšs reproducteur. Lâabsence de sexualitĂ© devrait, au moins Ă court terme, apporter un bĂ©nĂ©fice tel que, dans une mĂȘme espĂšce, des lignĂ©es asexuĂ©es devraient se trouver en compĂ©tition avec des lignĂ©es sexuĂ©es. Or ce nâest pas le casâ: 99,9â% des espĂšces connues dâanimaux se reproduisent de maniĂšre sexuĂ©e.
On ne connaĂźt pas dâexplication universelle rendant compte du maintien de la sexualitĂ©. On invoque souvent la recombinaison gĂ©nĂ©tique qui se produit lors de la formation des gamĂštes (durant la mĂ©iose). Ce processus casse le lien entre des gĂšnes portĂ©s par un mĂȘme chromosome, rendant possible la sĂ©lection dâun gĂšne indĂ©pendamment de ses voisins. Il empĂȘche
lâaccumulation de versions (allĂšles) dĂ©lĂ©tĂšres des gĂšnes et favorise lâadaptation dâune population Ă son environnement. Mais toute cette dynamique relĂšve du long terme, alors que la sĂ©lection agit Ă court terme et devrait intensĂ©ment favoriser les lignĂ©es asexuĂ©es, ce qui apparemment nâest pas le cas. Alors, pourquoi la reproduction asexuĂ©e est-elle si rareâ? Une Ă©quipe autour de Michael Kearney, de lâuniversitĂ© de Melbourne, vient dâapporter des Ă©lĂ©ments de rĂ©ponse en Ă©tudiant une espĂšce de criquet Ă lâĂ©trange morphologie, endĂ©mique du sud-ouest de lâAustralie, Warramaba virgo
QUE DES FEMELLES
Pour Ă©tudier ce problĂšme Ă©volutif majeur, le monde des insectes apparaĂźt en effet le mieux placĂ©â: dans ce taxon, plus de mille espĂšces se reproduisent par parthĂ©nogenĂšse obligatoire, câest-Ă -dire uniquement par dĂ©veloppement dâun embryon sans fĂ©condation â dont Warramaba virgo.
Warramaba virgo est un des rares criquets qui se reproduit de maniÚre asexuée. Les embryons de cette espÚce se développent sans fécondation.
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HERVà LE GUYADER professeur émérite de biologie évolutive à Sorbonne Université, à Paris
Warramaba virgo Longueurâ: 42 mm
© Michael Kearney
Il vit sur les buissons et les arbustes australiens, comme le mulga (Acacia aneura)âŠ, dont certains (peut-ĂȘtre tous) se reproduisent aussi de maniĂšre asexuĂ©e. Chez les plantes, la reproduction est une autre histoireâ!
HervĂ© Le Guyader a rĂ©cemment publiĂ© : Ma galerie de lâĂ©volution (Le Pommier, 2021).
Warramaba flavolineata est lâautre espĂšce mĂšre sexuĂ©e qui a donnĂ© naissance Ă W. virgo. Le mĂąle, plus petit que la femelle, ne mesure que 26 millimĂštres. Son nom (du latin flavus, «âjauneâ») Ă©voque la bande jauneorange qui orne sa face.
EN CHIFFRES 6
Le genre Warramaba comporte six espÚces, dont deux asexuées : W. virgo et W. ngadju. Ce sont les seules espÚces asexuées parmi les quelque 11 000 espÚces répertoriées de caelifÚres, qui rassemblent les criquets et apparentés.
Câest le nombre de chromosomes du criquet Warramaba virgo Le nombre impair provient des chromosomes sexuels : chez les deux espĂšces ancestrales, les mĂąles nâen ont quâun seul âun chromosome X â, tandis que les femelles ont deux chromosomes X. W. Virgo, quant Ă lui, en a trois.
0,1â%
Environ 0,1 % des espĂšces animales connues se reproduisent de maniĂšre asexuĂ©e. Plus de 1 000 sont des insectes â un nombre sans doute infĂ©rieur Ă la rĂ©alitĂ© : on estime que la population mondiale dâinsectes compte quelque 5,5 millions dâespĂšces, dont 80 % restent Ă dĂ©couvrir.
Comme tous les caelifĂšres â criquets et apparentĂ©s â, il porte de courtes antennes, contrairement aux ensifĂšres, qui rassemblent sauterelles et grillons. Lâensemble forme lâordre des orthoptĂšres au sein de la classe des insectes.
En fait, cette espĂšce nâĂ©tait pas inconnue Ă lâuniversitĂ© de Melbourne. Elle avait Ă©tĂ© dĂ©couverte en 1961 par Michael White, gĂ©nĂ©ticien dans cet Ă©tablissement.
Michael White sâĂ©tait tout de suite Ă©tonnĂ© de ne trouver, sur le terrain, que des femelles. Il en avait vite dĂ©duit quâil se trouvait face Ă une espĂšce parthĂ©nogĂ©nĂ©tique et sâĂ©tait alors penchĂ© sur sa complexe garniture chromosomique. En particulier, les difficultĂ©s rencontrĂ©es pour reconnaĂźtre les paires de chromosomes lâintriguaient. Il avait mis cela sur le compte dâun concept Ă©mergent Ă lâĂ©poque, lâhĂ©tĂ©rochromatisation diffĂ©rentielle.
La molĂ©cule dâADN dâun chromosome se prĂ©sente suivant deux Ă©tats structuraux locauxâ: une partie dĂ©roulĂ©e (lâeuchromatine), oĂč les gĂšnes sont accessibles et donc susceptibles dâĂȘtre transcrits, et une portion surenroulĂ©e (lâhĂ©tĂ©rochromatine), oĂč les gĂšnes ne peuvent pas sâexprimer. LâhĂ©tĂ©rochromatisation diffĂ©rentielle dĂ©signe le fait que les deux chromosomes
dâune mĂȘme paire ne prĂ©sentent pas la mĂȘme distribution dâeuchromatine et dâhĂ©tĂ©rochromatine, et nâexpriment donc pas les mĂȘmes gĂšnes. Pour Michael White, les diffĂ©rences entre chromosomes dâune mĂȘme paire observĂ©es chez le criquet Warramaba virgo Ă©taient le rĂ©sultat de lâĂ©volution de son gĂ©nome Ă partir du moment oĂč lâespĂšce Ă©tait devenue parthĂ©nogĂ©nĂ©tique. Ă lâĂ©poque, un de ses Ă©tudiants avait suggĂ©rĂ© que ces diffĂ©rences provenaient peut-ĂȘtre plutĂŽt de lâhybridation de deux espĂšces sexuĂ©es, mais il a fallu attendre 1977 pour que le maĂźtre admette que son Ă©lĂšve avait vu justeâ: W. virgo Ă©tait bien le rĂ©sultat de lâhybridation entre deux espĂšces, W. whitei et W. flavolineata
Ă lâĂ©poque, le sĂ©quençage gĂ©nomique nâexistait pas, et les Ă©tudes visant Ă Ă©tablir des liens de parentĂ© entre espĂšces proches Ă©taient dĂ©licates, car la variabilitĂ© ne se dĂ©tectait que par Ă©lectrophorĂšse de protĂ©ines, une technique dâanalyse par sĂ©paration des molĂ©cules en fonction de
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LE SECRET DES SAUCES QUâON SAUCE
Pour des sauces goûteuses, il convient de soigner la phase liquide.
La maĂźtrise de la consistance dâune sauce fait les grands sauciers⊠mais câest leur goĂ»t, surtout, qui est essentiel. Il tient Ă la maĂźtrise de la libĂ©ration des composĂ©s sapides, odorants, ou Ă action trigĂ©minale (les piquants, les frais). Il faut donc, dâabord, bien comprendre la structure physique des sauces.
Classiquement, on les produit en «âliantâ» des solutions aqueusesâ: en Ă©mulsifiant de la matiĂšre grasse ou en dispersant des particules solides. Par exemple, la mayonnaise est une Ă©mulsion (une dispersion de gouttelettes de matiĂšre grasse), alors quâun civet est une suspension (la dispersion de particules «âsolidesâ» formĂ©es par coagulation des protĂ©ines du sang). Pour les veloutĂ©s, avec dispersion de farine (Ă©ventuellement cuite, dans un «ârouxâ»), on obtient encore une suspension, mais, cette fois, les particules dispersĂ©es sont des microgels, rĂ©sultant de lâempesage des grains dâamidon, qui absorbent de lâeau en cuisant. Et lâon nâoubliera pas les purĂ©es diluĂ©es, suspensions de fragments de tissus vĂ©gĂ©taux ou animaux dont les particules dispersĂ©es sâapparentent formellement aux gels.
Cela Ă©tant posĂ©, venons-en Ă lâessentielâ: le goĂ»t. Le plus souvent, les composĂ©s sapides, qui doivent se lier aux rĂ©cepteurs des papilles, sont hydrosolublesâ: on soignera donc la phase liquide dispersante des suspensions en concentrant des solutions aqueuses telles que le vin ou un bouillon, ou bien en veillant Ă ce que le liquide emprisonnĂ© dans les microgels dispersĂ©s ait beaucoup de goĂ»tâ: on pourra broyer un gel trĂšs concentrĂ©.
Pour la fraction odorante, due à des composés plutÎt hydrophobes (ils doivent monter vers le nez en phase gazeuse), ils
seront soit dans la phase liquide (lâĂ©thanol, par exemple, a une odeur), soit en solution dans des gouttelettes de matiĂšre grasse dispersĂ©e, comme dans les Ă©mulsions formĂ©es Ă partir dâhuile oĂč lâon aura macĂ©rĂ© des aromates. Les composĂ©s piquants ou frais, enfin, se trouveront selon les cas en phase aqueuse ou en phase huileuse.
Les solides, eux, nâont gĂ©nĂ©ralement pas dâeffet olfactif ou sapide, sauf quand certaines de leurs molĂ©cules ayant une action gustative se dissolvent dans la sauce. En effet, les polymĂšres ne peuvent se loger dans un rĂ©cepteur biologique, ils nâont donc pas dâaction gustative. Câest le cas des protĂ©ines, telles celles des tissus collagĂ©niques qui solidarisent les fibres musculaires des viandes, ou celles des Ćufs, qui, en coagulant, lient sauces hollandaises ou bĂ©arnaises. Pas de goĂ»t non plus pour les polysaccharides que sont les celluloses et pectines des parois vĂ©gĂ©tales, ni pour les grains dâamidon, amas structurĂ©s de polysaccharides.
La cuisson, cependant, permet de tirer le meilleur de ces polymĂšres, comme lâindiquent deux expĂ©riences. La premiĂšre consiste Ă chauffer dans une poĂȘle un petit tas de fĂ©cule (amidon sans protĂ©ine), un petit tas de farine (amidon et protĂ©ines) et un petit tas de protĂ©ines (par exemple de la poudre de blanc dâĆuf)â: on voit que les protĂ©ines et la farine brunissent, signe
dâune dĂ©gradation, confirmĂ©e par lâapparition dâune odeur soutenue. La deuxiĂšme expĂ©rience consiste Ă chauffer de lâamidon dans de lâeau pendant assez longtempsâ: les deux polymĂšres constitutifs, amylose et amylopectine, se dĂ©gradent et du glucose (sapide) sâen dĂ©tache lentement.
Câest ainsi, avec des sauces qui ont du goĂ»t, que «âle corps et lâesprit seront rĂ©conciliĂ©sâ», comme le dit le proverbe alsacien. n
SAUCE GOĂTUE
â Cuisons plusieurs heures, Ă petit feu et Ă couvert, 50 grammes de farine, 200 grammes de vin rouge, du jus de volaille et une cuillerĂ©e Ă soupe de vinaigre.
â Prenons une cuillerĂ©e de farine, et faisons-la pyrolyser en la chauffant dans une poĂȘle, Ă sec. Quand elle est brune, dĂ©glaçons avec le liquide obtenu en 1.
â Versons les produits obtenus en 1 et 2 dans un mĂȘme bocal, oĂč nous ajoutons du thym, des Ă©chalotes et des gousses dâail broyĂ©es, du sel, du poivre moulu. Fermons le bocal, et secouons vigoureusement.
â Laissons macĂ©rer plusieurs heures.
â DĂ©cantons lâhuile, filtrons la solution aqueuse.
â Ajoutons un jaune dâĆuf Ă la solution aqueuse, puis lâhuile parfumĂ©e, goutte Ă goutte, en fouettant pour lâĂ©mulsionner⊠et nappons un blanc de volaille grillĂ© de cette sauce.
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LâAUTEUR
© Roman Chazov/Shutterstock
HERVà THIS physicochimiste, directeur du Centre international de gastronomie moléculaire AgroParisTech-Inrae, à Palaiseau
PICORER Ă
OCYTOCINE
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La grotte de Shum Laka, au Cameroun, est exceptionnelle. Elle se situe Ă 1 600 mĂštres dâaltitude, derriĂšre une chute dâeau. La tempĂ©rature fraĂźche y a prĂ©servĂ© les restes de 18 individus datant de 30 000 Ă 400 avant notre Ăšre. Un cas rare en milieu tropical.
SurnommĂ©e « hormone de lâamour », cette molĂ©cule serait responsable de lâattachement chez de nombreuses espĂšces. Le campagnol des prairies, avec ses liens de couple trĂšs forts, est un cas dâĂ©cole. Sauf que, mĂȘme dĂ©pourvus des rĂ©cepteurs de lâocytocine, ces rongeurs crĂ©ent sans difficultĂ© des liens dâattachement. Lâhistoire dâamour ne serait pas si simple.
MĂȘme si on arrĂȘte complĂštement de produire du plastique aujourdâhui, tout ce que lâon a rejetĂ© dans lâenvironnement continuera Ă se dĂ©grader, Ă se fragmenter et Ă circuler pendant des millĂ©naires
C3
SHUM LAKA MINICRYPT
Câest le nom dâune molĂ©cule qui, sous une forme nitrosylĂ©e (ajout dâun radical NO), est prĂ©sente six fois plus souvent dans le cerveau des femmes que dans celui des hommes, parmi les personnes atteintes de la maladie dâAlzheimer. Elle rendrait les femmes plus vulnĂ©rables.
La robustesse des mĂ©thodes de chiffrement repose sur lâexistence de fonctions dites « Ă sens unique »⊠or nous ne savons mĂȘme pas si ces fonctions existent. Pour illustrer cette ignorance, le mathĂ©maticien Russell Impagliazzo a imaginĂ© cinq « mondes » oĂč le chiffrement est robuste ou non. Dans Minicrypt, par exemple, les fonctions Ă sens unique existent. Mais dans quel monde vivons-nous ?
OPĂRATEUR
Dans la thĂ©orie quantique standard, une propriĂ©tĂ© physique mesurable, comme la position ou la vitesse, est appelĂ©e une « observable ». Chaque observable est associĂ©e Ă une entitĂ© mathĂ©matique, un « opĂ©rateur ». Or la thĂ©orie ne dispose pas dâopĂ©rateur pour observer le temps. Un problĂšme qui rĂ©siste encore aux physiciens !
540
Certaines arbalĂštes modernes tirent des carreaux Ă 540 kilomĂštres par heure, presque la moitiĂ© de la vitesse du son. La puissance nĂ©cessaire pour bander lâarme revient Ă soulever une masse de 136 kilogrammes. Il serait impossible de retenir la corde avec la seule force musculaire.
ÂŁ
ÂŁ
JEROEN SONKE géochimiste au CNRS
p.â44
p.â58 p.â15 p.â66 p.â88 p.â80 p.â7
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