CERVEAU & PSYCHO JANVIER 2024

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Cerveau & Psycho

Cerveau & Psycho

ÉDUCATION : COMMENT S’Y RETROUVER ?

Après les controverses, la réalité scientifique

Janvier 2024

N°161

N° 161 Janvier 2024

PARLER DE SES PROBLÈMES AIDE-T-IL À LES RÉSOUDRE ?

ÉDUCATION COMMENT S’Y RETROUVER ? Après les controverses, la réalité scientifique NEUROSCIENCES QUELS ANIMAUX ONT CONSCIENCE D’EUX-MÊMES ?

ÉTOURDERIES QUAND NOTRE CERVEAU DÉRAILLE ZOMBIES & MONSTRES POURQUOI ON ADORE QUAND ILS NOUS FONT PEUR

DOM : 8,50 € – BEL./LUX. : 8,50 € – CH : 12,00 FS – CAN. : 12,99 CA$ – TOM : 1 100 XPF

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ALI REBEIHI

10H-11H

GRAND BIEN VOUS FASSE ! photo : © Christophe Abramowitz / RF


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ÉDITORIAL

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NOS CONTRIBUTEURS

SÉBASTIEN BOHLER

p. 30-36

Bruno Humbeeck

Psychopédagogue chargé d’enseignement à l’université de Mons, en Belgique, responsable du Centre de ressource éducative pour l’action sociale de Mons, il expose les données scientifiques internationales sur les pratiques éducatives telles que la pédagogie positive ou le time-out.

p. 64-69

Sebastian Ocklenburg

Professeur de méthodologie en psychologie à la faculté de médecine de Hambourg, il étudie la façon dont les gens se prennent dans les bras, et les effets sur notre stress et notre système immunitaire.

p. 70-77

Sebastian Markett

Psychologue et professeur à l’université Humboldt, à Berlin, il mène des recherches sur le cerveau des étourdis, pour comprendre comment leur attention décroche.

p. 82-88

Athena Aktipis

Professeuse de psychologie à l’université d’État de l’Arizona, elle conduit des travaux sur l’évolution de notre espèce, afin de mieux comprendre notre fascination pour les zombies et autres créatures d’horreur.

Rédacteur en chef

Il y a des limites à tout

D

épasser ses propres limites, c’est la tarte à la crème du développement personnel. « Je ne savais pas que c’était impossible, alors je l’ai fait », peut-on lire à longueur d’ouvrages psy. « Visez la lune : si jamais vous la ratez, vous atteindrez les étoiles » est une des phrases les plus imprimées sur les tee-shirts. Foutaises. Connaître ses limites, c’est la base. Et dans ce numéro, vous serez servi(e)s. Commençons par celles de la conscience. Un petit poisson est-il conscient de soi ? En page 20, vous verrez que cette question conduit à une réflexion sur les limites du concept de conscience tout comme sur celles du test scientifique utilisé pour évaluer cette capacité, le fameux test du miroir. Autre limite ? Celle de l’humain lui-même, menacé de déclassement par les machines et assailli par une nouvelle forme d’angoisse, l’IA-anxiété (voir page 50). Viennent ensuite les failles de notre langue : l’écriture inclusive – certes louable – ne se lit pas très bien, et s’énonce encore moins aisément, sans parler des multiples obstacles psychologiques à sa mise en œuvre (voir page 60). Quant aux limites de notre attention, elles se manifestent à travers le phénomène des étourderies, dont on a récemment identifié la cause dans notre cerveau (voir page 70). Mais, pour autant, ces limites sont nécessaires. Ce sont d’abord celles que nous faisons respecter aux enfants, indispensables pour qu’ils puissent devenir des êtres sociaux (voir notre dossier central). Ce sont aussi celles avec lesquelles nous flirtons à proximité d’un danger, ce qui aurait aidé nos ancêtres à mieux connaître les prédateurs sans se faire attraper, et qui expliquerait pourquoi nous aimons aujourd’hui les films d’épouvante (voir page 82). Mais également, celles de notre monde esquissées dans le roman postapocalyptique de Cormac McCarthy, La Route (page 94). Enfin, certaines personnes utilisent leurs limites comme un tremplin : il s’agit de patients atteints de démence frontotemporale (page 14). Par un singulier paradoxe, alors qu’ils perdent l’usage de la parole et d’une partie de leur encéphale, certains d’entre eux se mettent à peindre des tableaux de toute beauté. Plus que dépasser leurs limites, ils les transcendent. £

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SOMMAIRE N° 161 JANVIER 2024

p. 6

p. 12

p. 14

p. 29-49

Dossier

p. 20

p. 6-27

DÉCOUVERTES p. 6 ACTUALITÉS Courir, pour un cerveau toujours jeune Combien tu gagnes ? SaiLuoTong : une gélule anti-Alzheimer ? Les astrocytes, cellules étoilées aux pouvoirs insoupçonnés… Des « granules de stress » dans notre cerveau

p. 29 p. 20 CONSCIENCE

Test du miroir : le poisson a-t-il une conscience ?

Un minuscule poisson a réussi le fameux « test du miroir » : cela signifie-t-il qu’il a conscience de lui ? Elizabeth Preston

p. 12 NEUROSCIENCES

ÉDUCATION

COMMENT S’Y RETROUVER ? p. 30 PARENTALITÉ

POUR OU CONTRE L’ÉDUCATION POSITIVE ? Une analyse globale des études internationales permet de dépasser les controverses.

L’obésité, rançon de l’intelligence

Bruno Humbeeck

Une molécule de notre cerveau rendrait intelligent… mais pousserait aussi à trop manger !

p. 37 DÉVELOPPEMENT DE L’ENFANT

« ÉDUQUER N’EST PAS QU’UNE AFFAIRE D’OPINION »

Joanna Thompson

p. 14 NEUROLOGIE

Quand la démence rend créatif

Entretien avec Grégoire Borst

p. 44 PSYCHOLOGIE

Atteints de maladies neurodégénératives, des hommes et des femmes se mettent à peindre des tableaux saisissants.

TIME-OUT : COMMENT BIEN L’UTILISER

Robert Martone

Le point sur l’efficacité de cette méthode, son acceptabilité éthique et les modalités de sa mise en œuvre. Franck Ramus Ce numéro comporte un encart d’abonnement Cerveau & Psycho, broché en cahier intérieur, sur toute la diffusion kiosque en France métropolitaine. Il comporte également un courrier de réabonnement, posé sur le magazine, sur une sélection d’abonnés. En couverture : © Charlotte-Martin/www.c-est-a-dire.fr

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p. 94

p. 50

p. 60

p. 64

p. 70 p. 92

p. 50-62

p. 64-91

ÉCLAIRAGES

VIE QUOTIDIENNE LIVRES

p. 50 SOCIÉTÉ

p. 64 PSYCHOLOGIE

L’« IA-anxiété », la nouvelle peur des machines

Face aux progrès rapides de l’intelligence artificielle, l’angoisse monte… Lauren Leffer

p. 92-97

Prends-moi dans tes bras !

Se donner l’accolade libérerait des hormones de l’attachement et diminuerait le stress. Sebastian Ocklenburg et Julian Packheiser

p. 70 PSYCHOLOGIE

p. 56 L’ENVERS

DU DÉVELOPPEMENT PERSONNEL

YVES-ALEXANDRE THALMANN

Vous avez des problèmes ? N’en parlez pas (trop) !

Contrairement à ce que l’on pense parfois, déballer ses problèmes pourrait les amplifier. p. 60 RAISON ET DÉRAISON NICOLAS GAUVRIT

Écriture inclusive : les raisons de la fracture

Des études sociologiques révèlent qui sont les partisans et les opposants de cette évolution de la langue.

D’où viennent les étourderies ?

Un bug de notre cerveau serait à l’origine de nos moments de distraction.

p. 92 SÉLECTION DE LIVRES Libérez-vous de vos insomnies Penser la conscience Mes plus belles rencontres animales Psychologie de la connerie en amour Quarante voleurs en carence affective Faites-les lire ! p. 94 NEUROSCIENCES ET LITTÉRATURE SEBASTIAN DIEGUEZ

Sebastian Markett

La Route : dans la tête Ce que l’école n’enseigne pas (encore) des survivalistes p. 78 L’ÉCOLE DES CERVEAUX

Le contexte des enseignements devrait être davantage enseigné dans les classes. Jean-Philippe Lachaux

p. 82 PSYCHOLOGIE

Pourquoi aimons-nous nous faire peur ? L’attrait pour les zombies et les monstres remonterait aux origines de notre espèce. Athena Aktipis

p. 90 PSYCHOLOGIE SOCIALE

Frissonner en groupe, c’est si bon !

Adrénaline, dopamine et endorphines sont au rendez-vous devant les films d’horreur. Ondine Simonot-Berenger

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Dans son roman postapocalyptique, Cormac McCarthy livre une description fouillée de l’âme survivaliste, entre repli sur soi et paranoïa.


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Très peu d’animaux ont réussi le test du miroir qui permet de déterminer s’ils savent se reconnaître et ont conscience d’eux-mêmes. Le fait qu’un minuscule poisson y soit parvenu lors d’une étude récente questionne les scientifiques sur ce que le test du miroir est capable ou non de prouver.

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DÉCOUVERTES Conscience

Test du miroir Le poisson a-t-il une conscience ? Par Elizabeth Preston, journaliste à Quanta Magazine.

Un minuscule poisson a réussi le fameux « test du miroir », qui prouverait qu’il a conscience de lui. Vraiment ? Divisés sur la question, les scientifiques repensent la notion de conscience et remettent même en cause la validité de ce test…

© Pantherius/Shutterstock

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n petit poisson bleu et noir s’approche d’un miroir. Il relève alors son corps à la verticale pour y refléter son ventre, où l’on aperçoit une trace brune : c’est un colorant que des chercheurs ont injecté délicatement à cet endroit peu de temps avant. Puis le poisson pivote rapidement et plonge au fond de l’aquarium pour aller taper d’un coup sec son ventre contre le fond sablonneux. Avant de revenir vérifier devant le miroir que la tache à disparu… Selon les scientifiques qui ont réalisé cette expérience, tout comme d’autres chercheurs étudiant la conscience de soi, cette observation peut signifier deux choses : soit une révolution en neurosciences, soit un leurre. Comme pour brouiller les pistes. Alex Jordan, biologiste évolutionniste à l’institut Max-Planck du comportement animal, en Allemagne, pense que son petit poisson [un labre nettoyeur, qui passe normalement son temps à

EN BREF

£ Selon une expérience récente, des poissons labres nettoyeurs auraient conscience d’eux-mêmes, car ils ont réussi à se reconnaître dans un miroir. £ Mais tous les scientifiques ne sont pas d’accord avec cette conclusion ; l’inventeur même du « test du miroir » est très sceptique. £ Ce qui amène l’ensemble des chercheurs à revoir leur conception de la conscience – qui serait graduelle, et non en « tout ou rien » – et à envisager d’autres expériences pour tester son existence chez différentes espèces animales, en tenant compte du point de vue de ces dernières.

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toiletter des congénères plus gros que lui, ndlr] vient de réussir le célébrissime « test du miroir », qui met en évidence la capacité d’un animal à se reconnaître. Selon ce test, le poisson se rendrait compte que c’est lui-même, et non un autre, qui porte une tache sur le ventre en voyant son reflet. Or les scientifiques estiment depuis longtemps que le fait de pouvoir se reconnaître dans un miroir représente une certaine forme de conscience de soi, voire de conscience des autres et de leur point de vue. LE POISSON SAIT-IL VRAIMENT QUI IL EST ? Voici cinquante ans que les chercheurs utilisent des miroirs pour évaluer cette faculté chez divers animaux. Les poissons auraient-ils vraiment conscience d’eux-mêmes, alors que, jusqu’à maintenant, seuls l’homme et quelques espèces à gros cerveau, comme les dauphins ou les chimpanzés (ainsi que quelques oiseaux telles les pies) ont réussi le test du miroir ? Voyons comment ce dernier est mis en œuvre. D’abord, les chercheurs laissent un animal se familiariser avec un miroir, puis ils placent une « marque » à un endroit de son corps qu’il ne peut voir que dans son reflet. Si l’animal regarde le miroir, puis touche ou examine la marque sur son

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DÉCOUVERTES Conscience TEST DU MIROIR : LE POISSON A-T-IL UNE CONSCIENCE ?

propre corps, c’est qu’il a compris que l’image du miroir est son propre corps : il a réussi le test. Il a ainsi été démontré que nous, êtres humains, accomplissons ce test seulement à partir de l’âge de 2 ans. Et que très peu d’autres espèces y parviennent. Pourtant, en 2019, Alex Jordan et ses collègues ont bien observé ce comportement chez ce petit poisson, le minuscule labre nettoyeur. L’ÉNIGME DU MIROIR Les conclusions de l’équipe d’Alex Jordan ont suscité de vives réactions dans la communauté scientifique. « Il y a des chercheurs qui, semblet-il, ne veulent pas que les poissons fassent partie de ce club restreint. Car cela signifierait que nous, les primates, ne sommes pas si spéciaux que cela… Si un poisson réussit le test du miroir, il faut accepter que cet animal est conscient de lui-même. Ou alors que le test du miroir ne permet finalement pas de révéler la conscience de soi. » La vérité se situe probablement quelque part à mi-chemin entre ces deux possibilités. Les facultés mentales de certains animaux sont en effet certainement plus impressionnantes qu’on ne l’imagine. Et le test du miroir nous en apprend probablement moins qu’on ne le croyait sur la conscience de soi. Alors pour mieux comprendre la conscience des animaux, nous pourrions bien être obligés de revoir nos vieilles théories et de concevoir de nouvelles expériences capables de prendre en compte le point de vue que pose chaque espèce sur le monde. C’est le psychologue évolutionniste Gordon Gallup qui a imaginé ce fameux test en se rasant face à un miroir, un matin alors qu’il était encore étudiant. Quelque temps après, lorsqu’il prit ses fonctions de chercheur à l’université Tulane, de La Nouvelle-Orléans, il eut accès aux animaux du Delta Regional Primate Research Center pour expérimenter son idée. D’abord, le chercheur et son équipe ont montré un miroir à quatre chimpanzés, chacun seul dans sa cage. Au début, les singes ont réagi comme s’ils voyaient un étranger : ils menaçaient leur reflet en poussant de petits cris. Mais, après quelques jours, ils se sont calmés et ont utilisé l’objet pour se regarder eux-mêmes : ils nettoyaient leurs dents des débris d’aliments, se curaient le nez et examinaient leurs organes génitaux. Pour prouver que les animaux comprenaient bien ce qu’ils voyaient, les chercheurs les ont ensuite anesthésiés, leur ont appliqué un colorant rouge sur les sourcils et les oreilles, puis les ont replacés face à leur miroir. En regardant leur reflet, les chimpanzés ont tout de suite touché avec leurs doigts la peinture sur leur visage.

Cet article a initialement paru dans Quanta Magazine, sous le titre « A ‘self-aware’ fish raises doubts about a cognitive test ».

Pour les expérimentateurs, ils ont réussi le test : ils savaient se reconnaître. Mais ce n’était pas le cas des autres singes, des macaques, soumis à la même expérience. Ce qui a beaucoup surpris l’équipe de Gordon Gallup, ainsi que la communauté scientifique, quand l’article sur ces résultats est sorti dans Science en 1970. « Il a eu plus d’écho que je ne l’aurais cru », a déclaré le chercheur le jour où je l’ai rencontré. « Les gens ont été très impressionnés par cette découverte. » Nous étions alors installés dans son bureau exigu sur le campus de l’université d’État de New York, à Albany, où le psychologue travaille depuis 1975. Chaque endroit et chaque tiroir de la pièce débordaient de piles de papier… Ici et là, des appareils obsolètes émergeaient du désordre : un téléphone fixe trônant au sommet d’un amas de revues éparpillées sur tout le bureau, un vieil ordinateur poussiéreux recouvert de disquettes, des cassettes VHS sur un chariot roulant, un projecteur de diapositives. Gordon Gallup m’a aussi montré des photos en noir et blanc de chimpanzés s’observant dans des miroirs. LE SENS DU SOI, INDISSOCIABLE DE CELUI DES AUTRES Selon lui, le test du miroir révèle la conscience de soi, qu’il définit comme « la capacité à devenir l’objet de sa propre attention ». Ce qui implique une certaine forme d’intelligence, plutôt rare. Car le chercheur pense que tout animal capable de se reconnaître dans un miroir serait aussi en mesure de reconnaître que les autres ont aussi leur propre esprit et même d’éprouver de l’empathie pour eux. Le sens du soi serait indissociable de celui des autres.

Des chimpanzés nés en captivité et élevés dans l’isolement ont échoué au test du miroir, ne semblant pas se reconnaître eux-mêmes. Seuls ceux nés dans la nature, au sein de groupes sociaux, ont réussi… N° 161 - Janvier 2024


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© Amanda Eastman/Shutterstock

À la même époque que cette étude princeps, la psychologue Beulah Amsterdam, de l’université de Caroline du Nord, à Chapel Hill, menait une expérience similaire avec des bébés et des petits enfants, en leur déposant un peu de feutre rouge sur le bout du nez : la plupart se reconnaissaient dans un miroir seulement autour de l’âge de 2 ans. Puis, les années suivantes, Gordon Gallup et ses collègues ont testé d’autres animaux, des primates aux poulets, mais avec plus d’échecs que de succès : la majorité des animaux n’ont jamais réussi à voir autre chose qu’un de leurs congénères dans leur reflet.

Lors de l’expérience du miroir, un chimpanzé réagit d’abord comme s’il voyait un étranger : il menace son reflet en poussant des cris hostiles. Mais, après quelques jours, il se calme et utilise le miroir pour se regarder : il nettoie ses dents des débris d’aliments, se cure le nez et inspecte ses organes génitaux…

GRANDS SINGES, DAUPHINS, ÉLÉPHANTS D’ASIE, PIES… Néanmoins, quelques-uns y sont parvenus – ou du moins ont semblé réussir. Diana Reiss, spécialiste des mammifères marins et psychologue cognitive au Hunter College de New York, a mené des recherches approfondies avec les dauphins, notamment en les soumettant au test du miroir avec Gordon Gallup et d’autres scientifiques. Bien que leur première étude n’ait pas été concluante, des travaux ultérieurs ont aujourd’hui montré que les dauphins réussissaient ce test. Face au miroir, ils observaient d’abord leurs propres yeux et leur bouche, faisaient des pirouettes dans l’eau et expulsaient des bulles d’air de formes variées. Puis les chercheurs leur ont fait une marque noire sur le flanc. Les dauphins ont clairement passé plus de temps à observer le reflet de ce côté de leur corps que le côté opposé.

En revanche, la plupart des singes échouent au test du miroir. Certains macaques rhésus y sont arrivés, mais après des semaines d’entraînement, la tête attachée et contraints de fixer le miroir. Dans une autre expérience, des chercheurs ont essayé de marquer des ouistitis avec du chocolat, pour augmenter leur motivation. En vain : les singes ont surtout essayé de lécher le chocolat sur le miroir. Mais Diana Reiss et ses collègues ont découvert que les éléphants d’Asie sont capables de se reconnaître dans le miroir. Ainsi que les orangs-outans, les bonobos, les gorilles et un oiseau, la pie. Pour Gordon Gallup, cependant, seules trois espèces auraient réellement passé le test du miroir avec succès : les chimpanzés, les orangsoutans et les êtres humains de plus de 2 ans. Il estime que les preuves pour toutes les autres espèces ne sont pas suffisamment convaincantes et considère que l’on interprète de façon erronée, souvent par anthropomorphisme, le comportement des animaux. Il a d’ailleurs publié des articles scientifiques où il conteste les résultats obtenus récemment par d’autres chercheurs. L’un d’eux est le biologiste Marc Hauser, de l’université Harvard. Avec un certain art, il a teint de couleurs exotiques les cheveux duveteux qui forment la crête blanche de petits singes tamarins. Résultat : les animaux se touchaient la tête en se regardant dans le miroir. Mais… impossible de reproduire ce résultat par la suite. En 2011, le chercheur a quitté Harvard à la suite d’une enquête ayant révélé qu’il avait falsifié des données dans d’autres travaux de recherche ! Malgré cela, Gordon Gallup garde l’esprit ouvert : « Je suis plus qu’heureux d’envisager la possibilité qu’une nouvelle espèce soit capable de se reconnaître dans un miroir. » Et c’est là que le poisson d’Alex Jordan entre en scène, en 2019… ASSEZ SOCIAL POUR ÊTRE CONSCIENT DE SOI La spécialité d’Alex Jordan est l’étude des facultés mentales des animaux associées au fait de vivre en groupe. Avec son équipe, ils souhaitaient explorer les limites cognitives des poissons dits « sociaux » et ont donc pensé au test du miroir. Ils ont commencé avec des petits poissons aux couleurs bariolées, appelés cichlidés – sans succès. Puis ils sont passés aux labres nettoyeurs, des animaux « incroyablement intelligents et très sociables ». Peuplant les récifs coralliens, ces derniers passent leur temps à grignoter des parasites et des peaux mortes sur le corps de poissons bien plus gros qu’eux qui pourraient facilement en faire leur dîner. Ils mènent ainsi une vie

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DÉCOUVERTES Conscience TEST DU MIROIR : LE POISSON A-T-IL UNE CONSCIENCE ?

dangereuse et doivent redoubler d’intelligence pour éviter d’être dévorés. En laboratoire comme dans la nature, ce sont des poissons qui s’intéressent à leur environnement et se montrent même attentifs aux êtres humains : il n’est pas rare qu’on les voie nettoyer les mains ou les masques d’un plongeur nageant au beau milieu d’eux ! Lors de l’expérience, Alex Jordan et ses collègues ont vu passer les poissons par les mêmes étapes que les chimpanzés. D’abord, ils ont attaqué leur reflet. Puis, ils ont adopté des comportements assez inhabituels, comme nager la tête en bas. Et après plusieurs jours, ils passaient plus de temps près du miroir qu’ailleurs dans l’aquarium, comme s’ils « étudiaient » leur reflet. Puis les chercheurs ont « marqué » les poissons qui se regardaient dans le miroir en leur injectant un colorant sous la peau, au niveau de la gorge, à l’aide d’une aiguille très fine. Certains se sont comportés comme s’ils regardaient la tache sur l’image du miroir puis sont allés se racler la gorge contre des pierres ou sur le fond sablonneux de l’aquarium – ce qui constitue « un acte fréquent chez ces animaux pour éliminer les parasites », a toutefois précisé Alex Jordan. Ainsi, trois des quatre cobayes ont répété la manœuvre plusieurs fois, de sorte que les chercheurs en ont conclu que ces individus se reconnaissaient et avaient donc réussi le test du miroir. Ce fut une autre paire de manches de faire paraître ces observations dans une revue scientifique. Il leur a fallu pas moins de trois ans pour y arriver. Tout résultat scientifique doit être évalué par des pairs, c’est-à-dire d’autres experts du domaine qui examinent les recherches de façon anonyme et demandent parfois des preuves supplémentaires avant que les travaux soient officiellement publiés. Gordon Gallup a ainsi émis plusieurs critiques envers l’article de l’équipe d’Alex Jordan. L’inventeur du test du miroir était « farouchement opposé » à nos résultats, a déclaré ce dernier… QUERELLE DE CHERCHEURS ? C’est vrai : à Albany, l’inventeur du test du miroir s’est moqué de l’idée que les poissons puissent se reconnaître ou avoir une conscience d’eux-mêmes. Pour lui, le comportement révélé par les scientifiques était trop ambigu. Par exemple, quand le labre se raclait la gorge, peut-être pensait-il ainsi montrer au poisson reflété dans le miroir ce qu’il devait faire pour se débarrasser de la tache sur sa poitrine – « Tu as de la moutarde sur le menton ? Va te frotter pour l’enlever ». Une explication alternative

jugée « incroyablement tirée par les cheveux » par Alex Jordan. Sauf que Diana Reiss a également relu son article plusieurs fois avant sa publication. Et elle non plus n’était pas convaincue que le fait que le poisson nage à l’envers révélait qu’il testait le fonctionnement du miroir. Avec Gordon Gallup, tous deux ont aussi trouvé problématique que la trace brune sur la gorge ressemble à un parasite, auquel les labres réagissent instinctivement, alors que les taches faites sur d’autres espèces animales soumises au test du miroir n’avaient aucune ressemblance avec des marques naturelles. « Je pense que pour affirmer que les poissons se reconnaissent dans un miroir, les preuves

Je pense que la communauté scientifique souhaite une révision et une réévaluation de la manière dont on comprend ce que les animaux savent. Alex Jordan, institut Max-Planck du comportement animal

doivent être beaucoup plus solides », a annoncé la spécialiste des mammifères marins. Alex Jordan et ses collègues ont donc complété leur étude au moyen d’autres expériences. Et cela a fonctionné, puisqu’ils ont pu publier leurs résultats. Ils pensent d’ailleurs que la période de révision – qu’ils ont qualifiée d’épuisante – a consolidé leurs recherches. « Et, vous savez, on n’est pas morts pendant le processus », plaisante le biologiste. Alexandra Horowitz, psychologue au Barnard College, à New York, qui étudie la cognition des chiens, a qualifié leur étude sur le poisson d’« étonnante » : « Je pense qu’elle [...] remet en question nos idées préconçues sur ce que les poissons peuvent ou ne peuvent pas expérimenter. » Bien entendu, Alex Jordan aimerait que le monde entier sache à quel point les poissons peuvent être intelligents. Mais il précise qu’il est « le dernier à dire qu’ils le sont autant que les chimpanzés. Ou qu’un nourrisson de 18 à 24 mois.

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© Avec l’aimable autorisation de Diana Reiss

Ce n’est pas le cas ». Il pense plutôt que la controverse que soulève son article porte davantage sur les outils de la science en général que sur la conscience du poisson… « Le test du miroir n’est probablement pas un test de conscience de soi », a-t-il déclaré. À quoi sert-il donc ? Que mesuret-il ? Et peut-on faire mieux pour vraiment déterminer la conscience de soi ? QU’EST-CE QUE LA CONSCIENCE DE SOI ? Parfois, il est facile de savoir qu’un animal ne comprend pas ce qu’est un miroir et ne se reconnaît jamais dedans… L’écrivaine américaine Mary Laura Philpott le raconte très bien dans un roman. Elle était souvent réveillée aux petites heures du matin par des coups frappés à la porte de sa maison, à Nashville, dans le Tennessee. Mais lorsqu’elle se levait et ouvrait la porte, elle ne trouvait, à chaque fois, qu’une petite tortue. Elle finit par la surnommer Frank. Et un jour, elle eut l’idée que Frank se battait peut-être tout simplement contre son reflet dans la partie vitrée de la porte, qu’il prenait pour un rival. De fait, Franck a toujours échoué au test du miroir. Mais ce n’est pas parce qu’un animal donné n’y arrive pas que tous les membres de son espèce en sont également incapables. Car il s’agit d’un test qui peut prouver la présence d’une faculté, mais pas son absence. Et même si un animal se reconnaît dans un miroir, nombre de chercheurs sont divisés sur ce que cela implique… « Reconnaître son propre reflet paraît exiger une forme d’intelligence assez avancée, écrivait Gordon Gallup en 1970. Nos données semblent apporter la première démonstration expérimentale d’un concept de soi dans une forme non humaine. » Selon ce dernier, soit une espèce fait preuve de conscience de soi, soit elle en est privée – et la plupart n’en sont pas dotées. « Cette vision en “tout ou rien” a probablement poussé de nombreux chercheurs à consacrer un temps fou à essayer de prouver que leurs animaux de laboratoire préférés appartenaient à la première catégorie », m’a-t-il annoncé quand je l’ai rencontré. Mais pour Diana Reiss et d’autres scientifiques, cette vision est probablement erronée, et la conscience de soi serait plutôt graduelle. Dans une étude réalisée en 2005, le primatologue Frans de Waal, de l’université Emory, et ses collègues ont en effet montré que les singes capucins établissaient un contact visuel plus important avec un miroir, en voyant leur reflet, qu’avec un congénère étranger placé derrière une vitre en Plexiglas. Et s’il s’agissait d’une réaction intermédiaire entre la présence d’une conscience de soi et son absence ? Car le capucin ne semble pas

Les éléphants d’Asie ont longtemps échoué au test du miroir jusqu’à ce que les chercheurs utilisent des vitres réfléchissantes assez grandes pour que les pachydermes puissent s’y voir en entier, en compagnie d’autres éléphants. Ils ont alors réussi à se reconnaître – signe qu’ils auraient conscience d’eux-mêmes.

comprendre que le reflet est lui-même, mais il ne le traite pas non plus comme un étranger. Les avis des scientifiques sur l’expression « conscience de soi » sont donc partagés et il leur est difficile de s’accorder sur une définition. Diana Reiss pense que le test du miroir révèle « un aspect de la conscience de soi », par opposition à l’ensemble des capacités cognitives d’un être humain. Les biologistes Marc Bekoff, de l’université du Colorado à Boulder, et Paul Sherman, de l’université de Cornell, ont donc proposé l’existence d’un gradient, d’un continuum, de « conscience de soi », qui s’étendrait de réflexes primitifs, « sans l’intervention d’un cerveau » [par exemple quand un animal doit s’enlever une tache alors qu’il passe sa vie à nettoyer les autres, ndlr], à une compréhension de soi semblable à celle de l’homme. CONSCIENCE GRADUELLE, DU PRIMITIF À L’HOMME Alex Jordan aime assez l’idée d’un gradient de conscience de soi et pense que le labre nettoyeur se situe à l’extrémité inférieure de cette échelle. Il ajoute que le fait de bouger la queue avant qu’on ne lui marche dessus, comme le ferait un chien ou un chat, ou de gratter un parasite sur ses écailles, n’est pas la même chose que de s’asseoir et de réfléchir à sa place dans l’Univers. D’autres scientifiques soutiennent sa thèse selon laquelle le test du miroir ne permet pas de tester

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DÉCOUVERTES Conscience TEST DU MIROIR : LE POISSON A-T-IL UNE CONSCIENCE ?

la conscience de soi. « Je pense que la communauté souhaite une révision et une réévaluation de la manière dont on comprend ce que les animaux savent », a déclaré le chercheur. Malgré cette polémique, la plupart des spécialistes du domaine sont d’accord sur un point : le fait de se reconnaître dans un miroir est associé à la socialité. Les espèces qui obtiennent de bons résultats au test du miroir vivent toutes en groupes. Dès 1971, dans une étude fascinante réalisée par Gordon Gallup et des collègues, des chimpanzés nés en captivité et élevés dans l’isolement avaient échoué au test du miroir. Seuls ceux nés dans la nature, au sein de groupes sociaux, avaient réussi. Pour le psychologue, cela corroborait les idées de George Herbert Mead, de l’université de Chicago, selon lesquelles notre perception de nous-mêmes est façonnée par nos interactions avec les autres. « Il ne peut y avoir d’expérience du soi simplement par soi-même », écrivait le philosophe en 1934. D’ailleurs, Gordon Gallup trouve évident le lien entre le fait de se reconnaître dans un miroir, de comprendre quelque chose de l’état d’esprit des autres, et même de faire preuve d’empathie : « Une fois que vous pouvez devenir l’objet de votre propre attention et que vous commencez à réfléchir à vous-même, vous pouvez utiliser votre expérience pour en déduire des expériences comparables chez les autres », a déclaré le chercheur. Aucune espèce n’a évolué en se regardant dans un miroir, mais certains d’entre nous peuvent se reconnaître dans l’image de leurs semblables… POURQUOI LE POINT DE VUE DE L’ANIMAL COMPTE En 2006, c’est bien la sociabilité des éléphants d’Asie qui a aidé des scientifiques à concevoir un meilleur test du miroir. En effet, au départ, Joshua Plotnik, psychologue évolutionniste au Hunter College de New York, avec Frans de Waal et Diana Reiss n’avaient pas réussi à montrer que les éléphants pouvaient se reconnaître dans un miroir. L’expérience avait eu lieu dans un petit enclos où chaque animal, seul, se retrouvait face à un tout petit miroir… Lors d’un nouveau test, les chercheurs ont cette fois utilisé un miroir de 2,5 × 2,5 mètres, afin que les éléphants puissent apercevoir l’ensemble de leur corps (voir la photo page 25). Ils les ont également laissés s’approcher de manière qu’ils puissent regarder, en se mettant sur leurs pattes arrière, ce qu’il y avait derrière le miroir, ou par en dessous, en s’agenouillant. Ils leur ont aussi fait passer le test en binômes, de sorte qu’ils ont pu prendre leur partenaire comme cadre de référence.

Lorsqu’un éléphant voyait l’autre membre de son groupe se tenir dans le miroir à côté d’un « étranger », il pouvait en déduire que l’éléphant étranger dans le miroir était… lui-même. Cette fois, un éléphant sur trois a réussi le test. « Il faut vraiment essayer d’adopter le point de vue de l’animal avec lequel on travaille », a déclaré Joshua Plotnik. Par exemple, les pachydermes aiment se salir et ne se soucient pas forcément des traces présentes sur leur corps, contrairement aux animaux qui se toilettent, comme les chimpanzés. Les gorilles aussi d’ailleurs, mais ces derniers détestent établir un contact visuel direct avec leurs semblables, quels

Certains spécialistes pensent qu’il existerait différents degrés de conscience de soi, allant de réflexes primitifs jusqu’à une compréhension de soi semblable à celle des humains. qu’ils soient. Ce qui pourrait expliquer pourquoi ils n’ont pas eu le même succès que les chimpanzés ou les orangs-outans lors du test du miroir. Ainsi, pour les expériences futures, le chercheur estime que l’on devrait tenir compte des motivations et des perceptions particulières de chaque animal. Par exemple, le test du miroir est visuel, mais les éléphants s’intéressent davantage à ce qu’ils sentent et entendent. « Est-il juste que vous jugiez un animal qui n’est pas “très visuel” car il échoue ? fait remarquer Joshua Plotnik. Le même argument est valable pour les chiens… » Ces derniers ne sont en effet pas très doués pour se reconnaître dans un miroir. Or, en 2017, Alexandra Horowitz, du Barnard College, à New York, a mis au point un « test olfactif du miroir » : elle a constaté que les chiens passaient plus de temps à renifler des échantillons de leur propre urine lorsqu’une « marque » olfactive

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supplémentaire y était ajoutée. « Il est difficile pour nous, créatures visuelles, de nous imaginer évoluer dans les mondes sensoriels d’animaux dont le sens dominant n’est pas la vision, a déclaré la spécialiste en sciences cognitives. Mais nous devons le faire si nous voulons comprendre le fonctionnement de leur cognition… » UN TEST DU MIROIR OLFACTIF POUR CHIENS Malgré son amitié pour Alexandra Horowitz, Diana Reiss n’est pas convaincue que le test olfactif du miroir prouve que les chiens savent se reconnaître eux-mêmes. Même si, pour elle, c’est un point de départ intéressant : « Comment pouvons-nous concevoir d’autres tests pour avoir un aperçu de ce que les animaux savent vraiment d’eux-mêmes ? » Aussi empathique que soit notre espèce Homo sapiens, nous avons du mal à nous mettre à la place d’autres êtres vivants et à voir le monde depuis leur point de vue. Pourtant, cela nous serait bien utile pour mieux saisir notre propre place dans le monde et le préserver. Par exemple, selon Joshua Plotnik, la restriction de l’habitat des éléphants d’Asie est à l’origine de conflits entre cette espèce en voie de disparition et les humains qui les environnent.

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« Je pense que ce qui manque dans le débat, c’est le point de vue de l’éléphant… » Plusieurs miroirs ornaient les murs du bureau de Gordon Gallup, même s’ils étaient masqués par des piles de papiers, quand j’ai commencé mon enquête pour cet article. « Ce n’est qu’une coïncidence, m’a-t-il dit, les miroirs étaient là lorsqu’on a emménagé. » Puis il s’est levé de sa chaise pour me montrer un autre hasard lié à la paréidolie, une sorte d’illusion visuelle due à la tendance de notre esprit à voir des visages partout, dans le marc de café ou dans les nuages. Dans le bois noir de la porte de son bureau, un étudiant avait un jour pointé le visage à peine discernable d’un gorille. Le chercheur l’a tracé pour moi du bout du doigt : « Un œil, un autre œil, deux narines. » Puis il m’a demandé de me tenir devant la porte et d’avancer et de reculer jusqu’à ce que je le voie. Soudain, la lumière de la pièce a réfléchi sur le bois de la bonne façon et le visage gigantesque du gorille m’est apparu. L’animal me fixait dans les yeux, comme un vrai gorille ne le ferait jamais. « Je le vois ! », ai-je dit. L’homme a ri de bon cœur. « N’est-ce pas incroyable ? » Mais le gorille a immédiatement disparu… £

Bibliographie M. Kohda et al., Further evidence for the capacity of mirror selfrecognition in cleaner fish and the significance of ecologically relevant marks, Plos Biology, 2022. M. Kohda et al., If a fish can pass the mark test, what are the implications for consciousness and self-awareness testing in animals ?, Plos Biology, 2019. J. R. Anderson et G. G. Gallup Jr., Mirror selfrecognition : A review and critique of attempts to promote and engineer self-recognition in primates, Primates, 2015. J. M. Plotnik et al., PNAS, 2006.

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Dossier

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SOMMAIRE

p. 30 Pour ou contre l’éducation positive ? p. 37 Interview Éduquer n’est pas qu’une affaire d’opinion

ÉDUCATION

p. 44 Time-out : comment bien l’utiliser

COMMENT S’Y RETROUVER ? En tant que parents,

nous pensons tous avoir raison. Lequel d’entre nous n’a pas été persuadé de savoir, en son for intérieur, comment éduquer son enfant ? Quelle mère et quel père n’ont pas leurs propres opinions sur les valeurs à inculquer, le temps d’écran, le respect des règles à la maison ? Que l’on soit plus porté sur l’autorité ou sur le dialogue, sur l’autoconstruction des compétences par l’enfant ou sur une transmission plus verticale, nous avons tous notre vision de la chose et l’intime conviction d’être dans notre droit. Alors, quand un psy en vogue publie un livre qui nous conforte dans cette vision, nous nous appuyons dessus et voyons d’un mauvais œil ceux qui ne pensent pas pareil, a fortiori ceux qui se permettent de nous expliquer comment éduquer notre progéniture. Cet esprit de controverse, qui a occupé l’espace médiatique au cours de l’année 2023, est dommageable pour tous. Dans ce dossier, nous avons voulu donner des repères fiables loin des querelles de chapelle. Et, pour cela, faire appel aux données scientifiques internationales sur des questions aussi sensibles que l’éducation positive, le timeout, les récompenses ou les punitions. Parce que même si tout parent pense bien faire, il a parfois besoin d’en apprendre un peu plus. Sébastien Bohler

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Dossier

POUR OU CONTRE L’ÉDUCATION POSITIVE ? Par Bruno Humbeeck, psychopédagogue, docteur en sciences de l’éducation, chargé d’enseignement à l’université de Mons, en Belgique, et responsable du Centre de ressource éducative pour l’action sociale EN (Creas). BREF

Comment fixer des limites sans paraître autoritaire ? Peut-on sanctionner un enfant sans nuire à son développement cérébral ? Une analyse globale des études internationales permet enfin de dépasser les controverses.

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EN BREF

£ Née dans les années 1990, la pédagogie positive repose initialement sur des faits scientifiques. Mais elle a été en partie récupérée et déformée par un courant de marketing éditorial proposant un projet d’éducation sans contrainte.

a dénoncé des excès réels, mais a commis d’autres erreurs. £ Une compilation soigneuse et exhaustive des données en sciences de l’éducation permet d’isoler des recommandations consensuelles et d’éviter ces deux écueils.

£ La croisade menée par la psychothérapeute Caroline Goldman contre cette pédagogie

© fizkes/Shutterstock

I

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l en est des personnalités comme des idées. Dès lors que la société se brutalise, elles ont tendance à devenir clivantes en opposant catégoriquement les « résolument pour » et les « complètement contre »… C’est ainsi que la psychothérapeute Catherine Goldman s’est trouvée « estampillée » par les adeptes de la pédagogie positive comme le chantre d’une pédagogie « négative » faisant la part belle aux punitions et à l’autoritarisme, dont elle serait en quelque sorte devenue la figure emblématique. Cela lui a valu d’être critiquée à travers une virulente tribune publiée dans le journal Le Monde et d’essuyer sur les réseaux sociaux une véritable fronde révélatrice d’une guerre ouverte entre les tenants d’une « pédagogie nouvelle » essentiellement positive et ceux qui sont soupçonnés de faire la promotion d’une pédagogie réactionnaire en remettant la punition et la sanction au goût du jour. Les uns et les autres se sont alors appuyés sur l’autorité de la science et plus exactement de la neuropédagogie pour affirmer la radicalité de leur posture, revendiquer l’exclusivité de leur position et manifester, à partir de là, les tendances


DOSSIER ÉDUCATION : COMMENT S’Y RETROUVER ?

TIME-OUT

COMMENT BIEN L’UTILISER Par Franck Ramus, directeur de recherches au CNRS, au Laboratoire de sciences cognitives et psycholinguistiques EHESS/ENS/CNRS à Paris.

Tout et son contraire a été dit à propos de la pratique du time-out, qui consiste à mettre un enfant à l’écart pour l’amener à cesser un comportement. Il était temps de faire le point sur l’efficacité de cette méthode, son acceptabilité éthique et les modalités de sa mise en œuvre.

EN BREF

£ Le time-out est une pratique qui consiste à isoler temporairement un enfant pour faire cesser un comportement problématique. £ Il s’agit d’une méthode qui repose sur le principe du conditionnement opérant, issu du comportementalisme. £ Appliquée correctement, elle se révèle efficace selon les études internationales. £ En revanche, l’utiliser sur des périodes trop longues, en espérant que l’enfant réfléchisse à ce que devrait être un bon comportement, s’avère contreproductif, voire délétère.

L

e time-out, ou « temps-mort », en français, pratique qui consiste à isoler temporairement un enfant au comportement problématique, est actuellement abondamment débattu, dans le contexte d’une opposition médiatique entre d’une part certains promoteurs de l’« éducation positive » (notamment la pédiatre Catherine Gueguen et la psychothérapeute Isabelle Filliozat) et d’autre part la psychologue Caroline Goldman, défendant cette technique et souhaitant incarner un retour de l’autorité. Ce débat semble malheureusement faire abstraction de la vaste littérature scientifique en psychologie sur les méthodes d’éducation et de gestion du comportement des enfants. Quelques clarifications s’imposent donc.

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Le time-out est techniquement défini par les chercheurs spécialistes de l’éducation positive Mark Dadds et Lucy Tully comme « toute procédure qui vise à réduire le comportement inacceptable de l’enfant en lui imposant une réduction des renforçateurs [stimuli qui augmentent la probabilité d’un comportement donné, par exemple l’attention prêtée par l’entourage, voire un encouragement ou une récompense, ndlr] disponibles pendant une période brève bien définie, conditionnée au comportement inacceptable ». Les procédures typiques vont de momentanément arrêter de prêter attention à l’enfant à le placer sur une chaise particulière ou dans un coin de la pièce, ou encore dans une pièce différente. QU’EST-CE QUE LE TEMPS-MORT ? De fait, un aspect du temps-mort qui est perdu dans les débats français est qu’il s’agit d’un raccourci de l’expression complète time-out from positive reinforcement, autrement dit le « temps-mort constitue un temps de retrait de tout renforçateur positif » : il s’agit d’éloigner l’enfant de tout ce qui peut contribuer à entretenir le comportement non

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La mise à l’écart d’un enfant doit éviter toute situation humiliante.

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DOSSIER ÉDUCATION : COMMENT S’Y RETROUVER ? TIME-OUT : COMMENT BIEN L’UTILISER désiré, par exemple le séparer d’un camarade avec lequel il se dispute. L’expression « time-out » révèle de manière transparente à la fois son origine comportementaliste [le comportementalisme est un mouvement de la psychologie qui s’attache notamment à étudier les liens entre les stimuli perçus par un organisme et les réponses comportementales qu’il produit en retour, ndlr] et le fait que l’usage du temps-mort n’a de sens que dans un certain contexte, qui est celui d’une méthode complète d’intervention sur le comportement. PSYCHANALYSTES ET COMPORTEMENTALISTES Il est savoureux de constater qu’une psychologue de référentiel psychanalytique promeut le temps-mort, tout en occultant le fait qu’il s’agit d’une technique issue du comportementalisme (un courant de la psychologie honni des psychanalystes) et plus particulièrement de l’analyse appliquée du comportement. Le temps-mort a depuis été adopté par de multiples approches successives qui ont enrichi et complété l’approche purement comportementaliste (théorie de l’attachement, théorie cognitivo-comportementale, théorie de l’apprentissage social). Le temps-mort remplit plusieurs rôles à la fois : premièrement, celui de punition (voir l’encadré ci-contre), c’est-à-dire une conséquence aversive qui va diminuer la probabilité d’occurrence du comportement qui l’a précédée immédiatement ; deuxièmement, celui d’extinction, c’est-àdire de retrait des stimulations qui renforcent le comportement indésirable (notamment l’attention des autres) ; troisièmement, celui de temps calme, facilitant le retour à la normale de l’équilibre émotionnel et de l’activation physiologique. En revanche, l’idée populaire selon laquelle le temps-mort permettrait à l’enfant de réfléchir à son propre comportement et donc de l’améliorer est excessivement naïve. Sa principale limite, comme pour toutes les punitions, est justement qu’il ne semble pas enseigner à l’enfant le comportement à adopter, si l’on se fie aux observations réalisées en pratique courante. QUELLE EST L’EFFICACITÉ DU TEMPS-MORT ? Un nombre considérable de méthodes parentales ont été conçues pour aider les parents et les enseignants à gérer les enfants difficiles, et la plupart d’entre elles ont inclus le temps-mort parmi leurs pratiques. Des centaines d’essais randomisés contrôlés (études comparant l’effet d’un traitement et celui d’un contrôle entre des participants répartis au hasard entre les deux groupes) ont été menés pour tester l’efficacité de ces pratiques, et ont

montré que certaines d’entre elles ont un effet très probant sur le comportement de l’enfant. Le temps-mort n’étant jamais une pratique isolée, il est difficile de l’évaluer en tant que telle. En revanche, en 2019, la professeuse en sciences de l’éducation Patty Leijten, de l’université d’Amsterdam, a réalisé avec ses collègues une synthèse très intéressante de diverses études sur le sujet : dans cette « métaanalyse », les chercheurs ont compilé les résultats de 154 essais randomisés contrôlés comparant les effets de diverses méthodes parentales basées sur la théorie de l’apprentissage social (l’approche actuellement dominante) à un groupe contrôle, sur le comportement d’enfants de 2 à 10 ans. Plutôt que d’évaluer les effets méthode par méthode, ces auteurs ont analysé les pratiques incluses dans chaque méthode, et comparé les effets observés entre, d’une part, les méthodes incluant chaque pratique donnée, et, d’autre part, celles ne l’incluant pas. De cette métaanalyse, deux pratiques parentales se détachent comme ayant un effet particulièrement probant. Tout d’abord, les techniques dites « de renforcement positif » (qui consistent à donner un retour positif à l’enfant sur certains de ses comportements afin de les favoriser à l’avenir), et, parmi elles, principalement celles qui reposent sur les compliments plutôt que sur les récompenses. Ces méthodes s’appuient sur l’enseignement explicite et la récompense des comportements désirés, plutôt que sur la punition des comportements indésirables… Ensuite, les techniques dites de « conséquences naturelles/logiques » se montrent également profitables. Il s’agit cette fois de réagir au comportement de l’enfant par des conséquences qui en découlent

75 % DES PARENTS AMÉRICAINS

pratiquent le temps-mort. Mais 85 % d’entre eux l’utilisent d’une manière non conforme aux procédures qui garantissent son efficacité.

QU’ENTEND-ON PAR PUNITION ?

L

e mot punition peut être compris de différentes manières. Dans le jargon du comportementalisme, la punition a une définition technique : c’est une conséquence aversive (désagréable) qui va diminuer la probabilité d’occurrence du comportement qui l’a précédée immédiatement. Dans le langage courant, le mot punition prend d’autres connotations, par exemple l’idée de « donner une bonne leçon », ou celle d’une juste rétribution d’un délit, selon laquelle il faut que la personne souffre pour expier ses méfaits, et ce de manière proportionnelle à la gravité de ces derniers. Ce sont des conceptions totalement différentes. Le temps-mort est une punition dans le sens technique du comportementalisme, mais la manière dont son utilisation est préconisée n’implique pas d’en faire une punition dans les sens plus communs.

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logiquement. Par exemple, retirer des mains de l’enfant un objet qu’il est en train d’abîmer. Toujours selon l’étude de Patty Leijten et ses collègues, on note que le temps-mort fait partie des pratiques que l’on retrouve plus souvent dans les méthodes efficaces que dans celles qui marchent moins bien, même si cette différence n’est pas statistiquement significative selon les critères usuels. Remarquons aussi que pour ces trois pratiques, ces comparaisons sont statistiquement limitées, du fait que relativement peu de méthodes parentales n’emploient pas ces techniques. Cela montre que la plupart des méthodes parentales faisant actuellement l’objet de recherches expérimentales, et a fortiori les plus efficaces, incluent à la fois des techniques de renforcement positif, des conséquences naturelles/logiques, et le temps-mort. COMMENT L’UTILISER EFFICACEMENT ? En 2017, le psychologue Andrew Riley, de l’université d’État de l’Oregon, et ses collègues ont publié un sondage révélant que les trois quarts des parents américains pratiquaient le temps-mort. Mais il a également montré que 85 % d’entre eux l’utilisaient d’une manière non conforme aux procédures qui garantissent son efficacité ! Sans surprise, plus les parents l’utilisaient d’une manière non conforme, moins ils avaient l’impression que ça marchait. Ces résultats soulignent qu’il ne suffit pas d’avoir recours au temps-mort pour arriver à réguler le comportement de son enfant, encore faut-il savoir comment le mettre en œuvre et le faire dans les règles de l’art, telles que définies par les recherches scientifiques. L’étude d’Andrew Riley et de son équipe fait ainsi ressortir des ingrédients dont l’efficacité est établie : toujours privilégier les encouragements et compliments en première intention ; interrompre les renforcements positifs sans attendre (typiquement, éloigner l’enfant quand il se comporte mal avec les autres ou dégrade un objet), notamment sans perdre de temps en longues explications. Les durées d’exclusion trop longues se révèlent souvent inutiles, deux ou trois minutes suffisent. Par ailleurs, c’est aux parents ou aux éducateurs de décider de la fin de l’éloignement, et non à l’enfant. D’autre part, il n’est pas absolument nécessaire que ce dernier reste sage et calme pendant le time-out et il est toujours prudent de prévoir une stratégie de repli si l’enfant n’observe pas le temps-mort. Par exemple, par le retrait de certains avantages (argent de poche, sorties…). Quant à eux, Mark Dadds et Lucy Tully ont extrait dix principes fondamentaux qui, selon eux, devraient sous-tendre tout usage du temps-mort.

Concrètement, il s’agit d’éloigner l’enfant de tout ce qui peut contribuer à entretenir le comportement non désiré, par exemple le séparer d’un camarade avec lequel il se dispute. Par souci de concision, j’en retiens pour ma part cinq qui me paraissent les plus importants (voir l’encadré page suivante).

Ressources en ligne Pour les parents en recherche de méthodes efficaces : Le programme Triple P (efficacité passée en revue par Patty Leijten en 2019) : www.triplep-parentalite.fr/ fr-fr/triple-p/ Le Programme de soutien aux familles et à la parentalité (PSFP) : http://clefsparentalite-psfp. com/psfp/ Vidéos du MOOC « La psychologie pour les enseignants » : https://bit.ly/49DFrkU Le blog de Franck Ramus : https://ramus-meninges.fr

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LE TEMPS-MORT PEUT-IL AVOIR DES EFFETS DÉLÉTÈRES ? Si l’on en croit certains auteurs du courant de l’éducation positive, comme le psychiatre Daniel Siegel et la psychothérapeute Tina Payne Bryson, l’utilisation du temps-mort pourrait endommager irréversiblement le cerveau de votre enfant ! Heureusement, aucune étude de neurosciences n’a jamais montré cela. Il s’agit d’extrapolations sans fondement à partir du concept de plasticité cérébrale et d’études reposant sur de véritables maltraitances. Les recherches portant sur les effets du temps-mort (notamment les analyses de Mark Dadds et Lucy Tully en 2019) ont montré qu’il n’engendrait pas d’effets délétères pour l’enfant, y compris chez les enfants ayant déjà des antécédents de traumatismes ou de maltraitances. Quant aux objections éthiques au temps-mort (« c’est du conditionnement ») comme à toutes les approches comportementales, elles reflètent à mon sens une grande incompréhension de ce qu’est le conditionnement opérant et de son ubiquité dans


DOSSIER ÉDUCATION : COMMENT S’Y RETROUVER ?

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TIME-OUT : COMMENT BIEN L’UTILISER

1/ Le temps-mort doit être utilisé uniquement pour punir des comportements opérants ou délibérés sur lesquels l’enfant a un certain contrôle. Il ne doit pas être utilisé pour les comportements qui reflètent une incapacité à accomplir une action, un manque de compréhension, une erreur, la peur ou d’autres émotions bouleversantes.

5/Le temps-mort doit être utilisé pour des comportements prédéfinis et explicités à l’enfant comme étant inappropriés. Ces derniers doivent pouvoir être ouvertement discutés pendant des temps positifs distincts des punitions, dans un cadre rassurant permettant la définition commune des valeurs partagées par la famille concernant ce qui est bon et ce qui est juste.

2/ L’efficacité du temps-mort

se juge à la réduction objective et rapide des comportements problématiques, et donc à la réduction de la nécessité de l’utiliser.

5 conseils pour le temps-mort Ces 5 principes fondamentaux sont extraits des recherches internationales sur le temps-mort. Ils visent à rendre son usage raisonné et efficient.

4/L’utilisation du temps-mort doit faire partie d’une méthode comportementale complète promouvant une relation chaleureuse et satisfaisante, et incluant l’enseignement explicite des comportements dont on souhaite qu’ils remplacent les attitudes problématiques. les apprentissages et dans les relations sociales. Contrairement à ce qui est souvent fantasmé, le conditionnement n’est pas un pouvoir magique qui permet de manipuler, il consiste seulement dans le fait qu’à chaque fois que nous offrons une récompense au comportement de quelqu’un (par exemple un sourire), nous augmentons la probabilité que ce comportement se reproduise. Et inversement lorsque nous fournissons une punition (par exemple une réprimande ou une moue désapprobatrice). Consciemment ou non, nous utilisons en permanence le conditionnement opérant les uns avec les autres, et ce dès le plus jeune âge. FINALEMENT, RÉCOMPENSER OU PUNIR ? Malgré tout, le temps-mort est une punition, et la recherche a généralement montré que les punitions présentaient plus d’inconvénients que d’avantages. D’une part, parce qu’elles engendrent des émotions négatives chez l’enfant (tristesse, colère, peur), et que même si ces émotions n’endommagent pas son cerveau, le seul fait qu’elles procurent des expériences désagréables suffit à ce que l’on souhaite en restreindre l’usage autant que

3/ Le comportement parental pendant l’administration du temps-mort doit donner à voir un modèle de comportement calme et propice à l’attachement.

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MINUTES La durée maximale que ne doit pas dépasser un temps mort pour être efficace.

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possible. D’autre part, parce que les punitions ont largement fait la preuve de leur inefficacité : elles peuvent interrompre un comportement perturbateur, mais elles n’enseignent pas l’attitude à adopter et ont un certain nombre d’effets pervers comme l’accoutumance ou l’escalade – un enfant puni s’habitue progressivement et devient parfois « insensible », ce qui amène le parent à durcir les sanctions. C’est pour ces deux raisons que les méthodes comportementales efficaces sont basées principalement sur le renforcement du comportement positif plutôt que sur l’usage des punitions. Plus généralement, l’exigence largement partagée de bienveillance vis-à-vis de l’enfant est à l’origine de l’émergence à la fois de l’éducation positive, des méthodes basées sur le renforcement du comportement positif, et de la pratique du temps-mort, qui s’est développé précisément dans le but de remplacer les punitions plus sévères, et notamment les châtiments corporels. Interdire la fessée, c’est bien. Se passer entièrement des punitions, c’est encore mieux, si on y arrive. Mais ce n’est pas forcément un objectif réaliste pour tous les enfants et toutes les situations. Si l’on est amené à recourir aux


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punitions, alors le temps-mort est certainement le meilleur choix, celui qui présente le moins d’inconvénients. C’est bien pour cela que c’est la seule forme de punition qui soit incluse dans toutes les méthodes comportementales modernes qui ont fait la preuve de leur efficacité. LE TEMPS-MORT SELON CAROLINE GOLDMAN Une fois que l’on a pris connaissance des nombreux résultats des recherches scientifiques sur les méthodes parentales de gestion du comportement, sur leurs ingrédients, et sur les effets spécifiques du temps-mort, que penser des méthodes prônées par Caroline Goldman ? Ce qui frappe, c’est que l’utilisation du tempsmort promue par psychothérapeute semble totalement déconnectée de toute la recherche scientifique sur la pratique. Finie l’idée que le temps-mort s’utilise dans le cadre d’une méthode de renforcement positif ; finie également l’idée même de tout renforcement positif, l’approche proposée étant exclusivement dialectique et punitive ; finis, enfin, les nombreux ingrédients précisés ci-dessus qui sont la condition même de l’efficacité du tempsmort. À l’appui des nombreuses recommandations qui sont faites dans son livre ou sur son podcast, on ne trouve qu’un salmigondis psychanalytique et une culpabilisation des parents (dont l’incompétence est forcément responsable de tous les problèmes de leurs enfants), le tout sans aucun rapport avec les résultats de la recherche scientifique en psychologie. « Il ne faut pas hésiter à laisser l’enfant, au-delà de 4 ans, une demi-heure ou plus dans sa chambre. Car l’enjeu, ne l’oublions pas, est de lui faire passer un moment assez inconfortable pour qu’il ne recommence pas… », lit-on ainsi dans son ouvrage. Une formulation qui révèle que l’esprit de l’utilisation du temps-mort est pour elle véritablement punitif : le but explicite est que l’enfant éprouve des émotions négatives. Cet esprit est en contradiction totale non seulement avec l’éducation positive, mais également avec les approches comportementales qui ont fait la preuve de leur efficacité. Caroline Goldman propose également « d’ajuster le temps d’exclusion en fonction de la gravité de la désobéissance », jusqu’à des durées très longues (une demi-heure ou plus). Cette recommandation va à l’encontre des résultats de la recherche, qui ont montré qu’au-delà de cinq minutes, l’efficacité du temps-mort sur le comportement de l’enfant ne s’améliorait pas ; au contraire, les effets indésirables associés aux punitions augmentent avec leur sévérité et donc avec la durée. C’est pour cette raison que les

Bibliographie C. Goldman, File dans ta chambre ! Offrez des limites éducatives à vos enfants, InterEditions, 2020. P. Leijten et al., Metaanalyses : Key parenting program components for disruptive child behavior, Journal of the American Academy of Child & Adolescent Psychiatry, 2019. M. R. Dadds et L. A. Tully, What is it to discipline a child : What should it be ? A reanalysis of time-out from the perspective of child mental health, attachment, and trauma, American Psychologist, 2019. A. R. Riley et al., A survey of parents’perceptions and use of time-out compared to empirical evidence, Academic Pediatrics, 2017. D. J. Siegel et T. P. Bryson, Time-outs’are hurting your child, Time Magazine, 2014. A. E. Kazdin et C. Rotella, The Everyday Parenting Toolkit : The Kazdin Method for Easy, Step-by-Step, Lasting Change for You and Your Child, Houghton Mifflin Harcourt, 2013. M. Wolf et H. Mees, Application of operant conditioning procedures to the behaviour problems of an autistic child, Behaviour Research and Therapy, 1963.

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méthodes comportementales modernes recommandent des durées de temps-mort allant généralement de une à quatre minutes, sans jamais dépasser cinq minutes. Ainsi, en recommandant un usage du tempsmort déconnecté du cadre théorique et pratique dans lequel il a fait ses preuves, en ne donnant aux parents aucune des clés et aucun des ingrédients qui conditionnent son efficacité, et en recommandant même des paramétrages en contradiction avec les résultats de la recherche, on risque de précipiter ces derniers vers des pratiques sans aucun bénéfice. Pire encore, en prônant une approche foncièrement punitive et aucunement contrebalancée par du renforcement des comportements positifs, le risque est de les entraîner dans une escalade répressive sans issue. QUE RETENIR DE CES INFORMATIONS ? En conclusion, contrairement à ce que pourraient laisser croire les débats franco-français, le temps-mort n’est ni une pratique de torture des enfants éthiquement inacceptable ni la pierre angulaire d’une « feuille de route » qui permettrait à des parents déboussolés de rasseoir leur autorité sur leurs enfants. C’est un moyen d’action au sein d’une boîte à outils comportementale ayant fait la preuve de son efficacité, et que l’on peut englober sous le nom de « renforcement du comportement positif ». L’outil « temps-mort » peut être utile au sein de cette approche, mais il n’est pas non plus indispensable, et il est possible de mettre en place des pratiques parentales fructueuses sans avoir besoin d’y recourir. Sorti de ce cadre bien précis, le temps-mort peut être employé à tort et à travers, et dans ce cas on risque de perdre à la fois ses effets salutaires et son côté bienveillant. C’est le principal problème que posent les incitations à utiliser le temps-mort dans un cadre non établi scientifiquement, sans que les clés de l’efficacité de cette pratique ne soient données aux parents. S’il y a un problème de comportement des enfants et d’efficacité des pratiques parentales en France, il ne se réduit pas à l’idée que les parents auraient le cerveau lavé à l’éducation positive. Il vient du fait qu’ils baignent dans une culture psychologique vaseuse dominée par une poignée de psys médiatiques qui diffusent des discours psychologiques ou psychanalytiques non fondés sur des connaissances scientifiques, et qui disent tout et son contraire. Dans ce domaine comme dans d’autres, la faible diffusion des connaissances scientifiques en psychologie au sein de la société française est une vraie perte de chance pour tous. £


VIE QUOTIDIENNE Psychologie

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Pourquoi aimons-nous nous faire peur ? Par Athena Aktipis, professeuse au département de Psychologie de l’université de l’Arizona et Coltan Scrivner, chercheur en sciences cognitives à l’université d’Aarhus, au Danemark.

Films de zombies, maisons hantées et autres trains fantômes : pourquoi aimons-nous ressentir de la terreur ? Une telle curiosité morbide remonterait aux origines de notre espèce…

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ous vous promenez dans une forêt obscure, quand un bruit de tronçonneuse s’élève au loin. Des hurlements retentissent, à vous glacer le sang. Vous prenez vos jambes à votre cou et tombez, peu après, sur une vieille demeure délabrée. Par chance, la porte est ouverte et vous y trouvez refuge. Vous allez pouvoir souffler. Mais, à peine entré, vous remarquez que quelque chose n’est pas normal. L’intérieur de la maison est jonché d’objets hétéroclites et de meubles brisés. Vous comprenez votre erreur quand vous voyez surgir de l’ombre des visages

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© Jeu d’enfant (child’s play-Chucky), Real Tom Holland, 1988 USA, Collection Christophel © United Artists

Dans le film Chucky, une poupée est possédée par l’esprit d’un tueur en série… et se retrouve dans les bras d’innocents enfants. Frissons garantis !

EN BREF

£ Se faire peur n’est pas un comportement exclusivement humain. De nombreuses espèces animales manifestent ce penchant. £ C’est une expérience qui permet de se familiariser avec des situations dangereuses, notamment les prédateurs, pour mieux survivre à la menace qu’ils représentent. £ Quoique sans réel prédateur aujourd’hui, l’être humain reste attiré par ce qui lui fait peur. £ Du coup, il s’invente des histoires à glacer le sang…

de clowns grimaçants qui vous encerclent. Mais c’est trop tard. Un bruit strident retentit tout près de vos oreilles. Une tronçonneuse. Le tueur fou vous a retrouvé. C’EST SI BON D’AVOIR PEUR ! Heureusement tout cela n’est pas tout à fait réel. Vous êtes venu participer à l’attraction phare de cette saison automnale : la maison hantée Dystopia, nichée au cœur d’un bois du Danemark. Il semble évident que personne ne souhaite se retrouver dans pareil lieu, pourtant des millions de personnes paient pour y entrer. Encore plus à

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l’occasion de Halloween, bien sûr, mais également tout au long de l’année. Un tel paradoxe – pourquoi les gens déboursent-ils de l’argent pour vivre des expériences terrifiantes et angoissantes ? – a longtemps laissé les spécialistes perplexes. À bien y réfléchir, tout un marché du divertissement repose sur cet attrait de l’effroi : séries sur les plus grands serial killers, films d’horreur, récits sur des mondes apocalyptiques, jeux vidéo de guerre. Ce paradoxe est en passe d’être résolu par la science « de la curiosité morbide et des loisirs effrayants ». Les conclusions de cette discipline : notre désir de ressentir de la peur serait profondément ancré dans notre passé évolutif. Il pourrait encore nous être bénéfique aujourd’hui. En effet, de telles distractions nous aideraient à surmonter nos peurs et à relever de nouveaux défis. QUI VEUT VOIR LE SERPENT DANS LE SAC ? Charles Darwin lui-même s’était questionné sur ce phénomène. Dans son ouvrage La Descendance de l’homme, il raconte avoir entendu parler de singes en captivité qui, malgré leur peur des serpents, ne cessaient de soulever le couvercle d’une boîte contenant ces reptiles pour y plonger un regard rapide. Étonné, il conçut une expérience à partir de cette anecdote. Il plaça un sac contenant un serpent dans une cage remplie de singes, au jardin zoologique de Londres. L’un d’eux s’en approchait prudemment, l’ouvrait lentement et jetait un coup d’œil à l’intérieur avant de s’enfuir en criant. Après avoir observé un premier singe agir ainsi, Charles Darwin en vit un deuxième s’avancer à son tour vers le sac, découvrir ce qu’il recelait, puis détaler en poussant des cris. Puis un autre accomplit les mêmes gestes, et encore un autre. Les singes « assouvissaient leur soif d’horreur », écrit le naturaliste. La fascination morbide pour le danger est très répandue dans le règne animal : on appelle cela « l’inspection des prédateurs ». Ce comportement se manifeste quand un animal regarde un prédateur, voire s’aventure plus près de lui au lieu de s’en éloigner. Tendance relevée chez de nombreux animaux, des poissons jusqu’aux gazelles. À première vue, s’approcher d’un danger semble être une bien mauvaise idée. Pourquoi la sélection naturelle aurait-elle inculqué aux animaux une attirance pour les choses mêmes qu’ils devraient éviter ? Mais il y a une logique évolutive à ces actions. La curiosité morbide est un moyen pour les animaux d’obtenir des informations sur les éléments les plus dangereux de leur environnement. Elle leur permet également de s’entraîner à faire face à des expériences effrayantes.

Lorsqu’on sait que de nombreuses proies vivent à proximité de leurs prédateurs, les avantages d’un comportement de curiosité morbide tel que l’inspection des individus menaçants deviennent évidents. Par exemple, il n’est pas rare qu’une gazelle croise sur son chemin un guépard. On pense, à tort, qu’elle doit toujours se sauver lorsqu’elle voit son assaillant. La fuite est physiologiquement coûteuse : si elle devait se mettre à courir chaque fois qu’elle rencontre un guépard, elle épuiserait de précieuses calories et perdrait des occasions de se livrer à d’autres activités importantes pour sa survie et sa reproduction. Il faut également tenir compte du point de vue du prédateur. S’il semble en théorie manifeste qu’un guépard doive courir après une gazelle chaque fois qu’il en repère une, il en est autrement dans la pratique. Pour ce félin, la chasse est un exercice dispendieux en énergie qui n’est pas toujours couronné de succès. Tant qu’il n’est pas affamé, il ne doit poursuivre une proie que lorsque les chances de la capturer sont raisonnablement élevées. APPRENDRE PAR LA PEUR ! Un moyen pour les gazelles de savoir si un guépard est en train de chasser consiste à reconnaître quand il est affamé. Pour cela, rien de tel que de l’observer de près dans des situations sûres : par exemple, si l’herbe est courte et que le prédateur est facilement visible. Cet apprentissage est particulièrement important pour les adolescents ou les jeunes adultes, encore inexpérimentés, mais qui pourront s’approcher davantage, pouvant compter sur leur vitesse de pointe en cas de méprise. Le compromis est logique : ces gazelles ne savent pas encore grand-chose sur les félins dangereux et ont donc beaucoup à gagner à les scruter. La sécurité relative et l’inexpérience sont deux des facteurs qui déterminent le plus le comportement d’inspection des prédateurs. On les retrouve chez les humains. Être assis dans un canapé et avoir entre 15 et 20 ans sont deux caractéristiques que l’on rencontre généralement chez les spectateurs de films d’épouvante. À l’ère moderne, la menace d’un prédateur pour l’être humain est rare. Pour autant, le phénomène d’inspection a toujours lieu, à travers les contes, films et séries. Les prédateurs figurent dans les histoires transmises par les traditions orales du monde entier. Les léopards, les tigres et les loups sont des antagonistes fréquents dans le folklore régional. Nous regardons également des films sur de monstrueuses entités agressives telles que les féroces

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Pour des antilopes, un guépard est quelque chose d’effrayant. Pourtant, elles s’approchent parfois de lui, par curiosité. C’est certes dangereux, mais c’est ainsi qu’elles apprennent à repérer quand l’animal est repu ou affamé, en train de se reposer ou prêt à partir en chasse…

© Kiselev Andrey Valerevich/Shutterstock

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telles que les éruptions volcaniques, les pandémies, les tempêtes dangereuses ainsi qu’une grande variété d’événements apocalyptiques. C’est là que la magie d’une histoire effrayante opère vraiment : c’est le seul moyen d’apprendre et de « répéter » en quelque sorte la façon dont on pourrait réagir en présence de dangers que l’on n’a encore jamais affrontés dans la réalité.

loups-garous, les puissants dragons et les vampires assoiffés de sang. Se laisser tenter par des histoires où abondent ces menaces représente pour notre cerveau une stratégie efficace et précieuse. Ces récits nous permettent de découvrir de potentiels prédateurs ou des situations alarmantes auxquelles d’autres personnes ont été exposées – mais sans avoir à les affronter nous-mêmes. Les dangers exagérés des monstres fictifs suscitent des réactions émotionnelles et comportementales fortes, qui nous familiarisent avec elles lorsque nous devons faire face à des périls plus terre à terre. Les enfants sont souvent le public visé par les histoires orales effrayantes, car elles peuvent les aider à prendre conscience des risques dès le début de leur vie. Pensez aux lignes clés du Petit Chaperon rouge : – Ma mère-grand, que vous avez de grands yeux ! – C’est pour mieux voir, mon enfant. – Ma mère-grand, que vous avez de grandes dents ! – C’est pour mieux te manger. Ce conte apprend au jeune public, de manière sûre et divertissante, qu’un loup est dangereux. L’histoire se déroule dans les bois, où l’on rencontre généralement ces féroces canidés. Elle est terrifiante, mais, racontée dans un espace sécurisé, elle délivre une leçon précieuse. Notre fascination pour les situations ou les êtres susceptibles de nous blesser ou de nous tuer ne se limite pas aux prédateurs. Nous éprouvons bien souvent une attirance morbide pour les récits de situations angoissantes à grande échelle,

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LES VERTUS CACHÉES DES FILMS CATASTROPHE En 2020, la plupart des gens se sentaient plutôt incertains quant à l’avenir. Le Covid-19 nous avait plongés dans une pandémie mondiale. Les gouvernements limitaient les déplacements, les entreprises fermaient et le mode de vie auquel beaucoup étaient habitués s’interrompait brutalement. Mais certains d’entre nous avaient déjà vu quelque chose de semblable sur leurs écrans une décennie plus tôt. Dans le film Contagion, sorti en 2011 avec comme têtes d’affiche Matt Damon, Kate Winslet, Laurence Fishburne et Marion Cotillard, un virus appelé MEV-1 faisait des ravages autour de la planète. Il se propageait à une vitesse terrifiante sans même qu’un contact étroit ait eu lieu entre les personnes, aussi bien dans les métros que dans les ascenseurs ou les espaces publics extérieurs. La réaction de la société face au MEV-1 préfigure dans ce film ce qui va se passer huit ans plus tard avec le Covid-19 : les voyages s’arrêtent, les entreprises cessent leurs activités et les gens font des réserves de nourriture et de biens de consommation courante. Certains commencent même à vanter les mérites de remèdes miracles douteux… Évidemment, Contagion est un film « pour se faire peur » ; mais qui peut « préparer » à réagir en cas de vraie pandémie, comme la similarité entre les faits dans cette fiction et la réalité l’a bien montré. Dans une étude menée par Coltan Scrivner, de l’université de Chicago, au cours des premiers mois de l’épidémie de Covid-19, les personnes qui avaient vu au moins un film sur le thème de la pandémie ont déclaré se sentir plus aptes à affronter les changements sociétaux que le virus leur réservait. La constitution de réserves, les fermetures d’entreprises, les interdictions de voyager et l’apparition de remèdes miracles sont autant de faits que les fans de Contagion avaient déjà vus ; ils étaient préparés à l’idée d’une pandémie mondiale, avant même qu’elle ne se produise. Si les adultes se font peur en lisant ou en regardant des films, les enfants assouvissent plutôt ce besoin par le jeu. Selon une étude de Marek


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Spinka, de l’université de Prague, cette activité permet d’apprendre à retrouver son sang-froid et à s’adapter aux événements surprenants et incertains. En simulant des situations menaçantes, les jeunes mammifères s’amusent, certes, mais s’entraînent aussi à retrouver la maîtrise de leurs mouvements et de leurs émotions. Il en va de même chez l’être humain. Pensez à une fête dans l’arrière-cour d’une maison. De jeunes enfants piaillent de peur et de joie tandis qu’un parent les poursuit, les bras tendus dans une posture de monstre, en criant : « Je vais t’attraper ! » Ce n’est évidemment qu’un jeu pour les enfants, mais aussi l’occasion pour eux de s’efforcer de maintenir le contrôle de leurs mouvements et de leurs réactions en dépit du stress, afin de ne pas trébucher et de se rendre éventuellement vulnérables à un prédateur (ici, à une attaque de chatouilles de la part du parent). DES ENFANTS MOINS ANXIEUX QUAND ILS JOUENT À SE FAIRE PEUR Selon Peter Gray, psychologue et chercheur à l’université de Boston, le recul progressif des jeux libres au fil des dernières décennies – c’està-dire choisis et entrepris librement par les enfants sans qu’ils soient imposés par les adultes – a contribué à l’augmentation de l’anxiété chez les enfants au cours de la même période. Les cours de récréation des écoles et des parcs étaient autrefois des lieux propices à ces activités, mais l’accent mis sur la sécurité a fait disparaître ces occasions de jouer. Ne vous méprenez pas : la sécurité est une bonne chose. Beaucoup d’anciennes aires de jeux étaient dangereuses, avec des échelles grimpant à plus de 6 mètres de hauteur et des toboggans parfois dans un état peu rassurant. Mais rendre ces espaces trop sûrs et aseptisés a aussi des conséquences inattendues, notamment en privant les enfants de la possibilité d’apprendre à se connaître et à gérer des situations difficiles et stressantes. Ils doivent pouvoir faire preuve d’indépendance, ce qui implique souvent de prendre des risques. De récents travaux ont d’ailleurs mis en évidence l’importance des jeux d’aventure, qui aident à renforcer la résilience des enfants et à atténuer leurs peurs. On entend par là des activités dirigées par les enfants eux-mêmes, et pour lesquelles ils éprouvent des sentiments d’excitation, de peur ou des frissons. Pour faire suite à ces recherches, des organisations telles que Let Grow – une association dont l’objectif est d’encourager les enfants à gagner en autonomie – ont lancé des programmes pour les écoles ainsi que pour les parents, afin de favoriser

l’indépendance, la curiosité et l’exploration des enfants. Leur solution est simple : laisser ces derniers participer à des jeux plus stimulants et non structurés afin qu’ils apprennent à maîtriser à la fois leur peur, leur anxiété et les situations concrètes de danger. Dans la même lignée, les expériences virtuelles qui ont pour objectif de susciter la peur présentent un grand nombre de ces avantages. Aux Pays-Bas, le laboratoire Games for Emotional and Mental Health, fondé par la professeuse de psychologie du développement Isabela Granic, a créé un jeu de biofeedback appelé MindLight, qui s’est avéré efficace pour réduire l’anxiété chez les enfants. Le jeu est centré sur un enfant nommé Arty, qui rend visite à sa grand-mère. Lorsqu’il entre dans sa maison, il découvre qu’elle a été plongée dans l’obscurité et envahie par des créatures maléfiques. Arty doit sauver sa grand-mère des ténèbres et ramener l’éclairage chez elle. Pour ce faire, les joueurs qui contrôlent le personnage doivent utiliser la lumière pour démasquer et vaincre les monstres. Le problème : plus le joueur est stressé – ce qu’on évalue en enregistrant son activité cérébrale – plus la lumière du jeu s’affaiblit. Il doit donc rester calme face à la peur, en mettant en œuvre notamment des techniques empruntées à la thérapie cognitivo-comportementale, telles que celles qui consistent à chasser ses pensées négatives ou à pratiquer de la relaxation musculaire en contractant volontairement ses muscles et en les relâchant aussitôt. Au fur et à mesure qu’il retrouve son sang-froid, la lumière gagne en puissance et lui permet de terrasser les créatures. Cette combinaison de techniques thérapeutiques et de renforcement positif (les enfants battent les monstres et vainquent leur peur) fait de MindLight un puissant outil de lutte contre l’anxiété. Des essais cliniques randomisés menés auprès d’enfants ont montré que le jeu était aussi efficace pour en réduire les symptômes que la thérapie cognitivo-comportementale traditionnelle, un traitement largement utilisé. LACÉRÉ PAR DES GRIFFES MONSTRUEUSES Les jeux qui suscitent l’effroi peuvent également aider les adultes à surmonter la peur et l’anxiété. Expert en psychologie de l’horreur, Coltan Scrivner a testé cette idée en évaluant les ressentis de visiteurs avant et après leur expérience dans la maison hantée Dystopia. Résultat : après avoir été poursuivis pendant près de quarante-cinq minutes par des zombies, des monstres et des hommes armés de tronçonneuses, une grande partie des « joueurs » ont déclaré avoir

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© Yuliya Yesina/Shutterstock

et rapide à mesure que son niveau de stress s’élevait. Résultat : un peu plus tard, lors de la simulation réelle d’une embuscade, les soldats qui avaient joué au jeu vidéo et obtenu ce type de retour sur leur état physiologique et émotionnel (appelé « biofeedback ») présentaient des niveaux de cortisol (un marqueur biologique du stress) inférieurs à ceux qui n’y avaient pas joué. Mieux : ils étaient plus aptes à prodiguer les premiers soins à un soldat blessé que leurs camarades n’ayant pas reçu de biofeedback.

appris quelque chose sur eux-mêmes et ont estimé avoir progressé sur le plan personnel au cours de cette aventure. Ils ajoutent même mieux connaître leurs propres limites et savoir dorénavant comment gérer leur peur. D’autres recherches menées par le Laboratoire sur la peur récréative (Recreational Fear Lab) d’Aarhus, au Danemark, ont montré que les gens régulent activement leur peur et leur niveau d’excitation lorsqu’ils participent à ce type d’activités. Concrètement, prendre part à de telles expériences permet de s’entraîner à contrôler des niveaux de stress anormaux, une aptitude qui peut par la suite être utilisée avantageusement dans d’autres situations stressantes du monde réel, aidant ainsi à renforcer sa résilience globale. Un article de Stéphane Bouchard, psychologue et chercheur spécialisé dans les thérapies virtuelles à l’université du Québec, soutient justement cette idée. Dans son étude, de vrais soldats ont expérimenté une version modifiée du jeu d’horreur Left 4 Dead, où l’on rencontre des zombies dans un monde apocalyptique, et qui intègre les niveaux d’excitation des joueurs. Les zombies surgissent de nulle part, poursuivent les joueurs et les lacèrent de leurs griffes une fois qu’ils sont à terre, ce qui provoque une peur viscérale, même chez les personnes familiarisées aux jeux vidéo. Au cours de l’expérience, certains participants recevaient des signaux visuels et auditifs les informant que leur degré d’excitation augmentait : un voile rouge masquait partiellement la vue du joueur qui entendait un battement de cœur de plus en plus fort

Jouer à se faire peur permet aux enfants d’apprivoiser ce sentiment tout en conservant le contrôle d’eux-mêmes. Ces dernières années, ces jeux ont peu à peu disparu ou se sont faits plus rares : parallèlement, les niveaux d’anxiété observés chez les enfants ont augmenté.

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LES BIENFAITS DE LA PEUR COLLECTIVE Ces stress répétés renforcent particulièrement la cohésion lorsqu’ils sont vécus en groupe. L’expérience collective d’une situation dangereuse rapproche les individus. On en recense de nombreux exemples dans notre histoire, par exemple après les attaques du 11 septembre 2001 aux ÉtatsUnis, ou à travers l’entraide et la coopération qui se manifestent souvent à la suite de catastrophes naturelles. Des études expérimentales montrent également que le danger et la peur peuvent constituer de puissantes forces sociales positives. Ainsi, la participation à des rituels tels que la marche sur le feu semble synchroniser les réactions physiologiques des spectateurs et promouvoir un comportement mutuellement bénéfique… Il n’est toutefois pas nécessaire d’être exposé à un danger réel pour profiter de ces avantages coopératifs. La simulation collective de situations stressantes ou dangereuses à travers le jeu pourrait conférer des atouts similaires sans encourir de risque physique. De cette manière, dans le secteur des soins de santé, créer différents scénarios reproduisant des situations extrêmes est un moyen d’enseigner des compétences médicales aux jeunes recrues. Nous utilisons tous de semblables simulations dans notre vie quotidienne : les alertes incendie, attaque terroriste ou encore tremblement de terre ont toutes pour objectif de nous apprendre à coopérer et à nous coordonner en prévision de tels événements. Dans de nombreuses sociétés, les gens aiment en effet se raconter des histoires sur les dangers présents dans leur environnement, qu’il s’agisse de catastrophes ou de menaces de guerre, de vol ou d’exploitation de la part de groupes voisins. Le peuple Ik, d’Ouganda, sujet d’une étude dans le cadre du projet Human Generosity – projet de recherche transdisciplinaire qui étudie l’interrelation entre les influences biologiques et culturelles de la générosité humaine – illustre très bien ce propos. Ce peuple est soumis à de fréquents pillages


VIE QUOTIDIENNE Psychologie POURQUOI AIMONS-NOUS NOUS FAIRE PEUR ? L’armée américaine prépare ses troupes à maîtriser leurs émotions en situation extrême en leur faisant visionner des films de zombies.

commis par des éleveurs voisins, qui vident leurs récoltes. Inquiets de nouveaux assauts, les Ik ont mis en scène ces événements à travers des pièces de théâtre mêlant musique et danse. Une représentation collective émotionnellement forte, qui leur permet de revivre ces tragédies mais aussi les triomphes qui ont suivi grâce à l’entraide des habitants. Dans son ouvrage Why We Cooperate, le psychologue de l’université Duke Michael Tomasello nomme « attention partagée » cette aptitude à s’engager dans un processus commun, principal facteur qui, selon lui, pousse les gens à coopérer. ATTAQUE DE ZOMBIES DANS L’ARMÉE AMÉRICAINE De fait, manquer d’imagination peut rendre un groupe plus vulnérable aux menaces extérieures. Une étude de Markus Hällgren et David Buchanan, tous deux professeurs de management respectivement à l’université d’Umeå, en Suède, et à l’université de Cranfield, au Royaume-Uni, a récemment indiqué que le visionnage ou la lecture d’une fiction apocalyptique (avec un monde peuplé de zombies…) permet aux gens d’adopter des solutions plus créatives face à des événements risqués et inattendus. L’armée américaine a utilisé cette technique du « scénario d’attaque de zombies », appelée Conplan 8888, pour apprendre aux officiers à gérer des catastrophes de manière plus ludique. De la même manière, les Centres de contrôle et de prévention des maladies aux États-Unis [l’équivalent américain de l’Inserm, ndlr] ont réalisé une bande dessinée intitulée Préparation 101 : pandémie de zombies.

Que retenir de tout ça ? Tout d’abord, ressentir la peur n’est pas une mauvaise chose, bien au contraire ; libre à chacun d’explorer son environnement sans craindre ce sentiment ! Considérée à tort comme un vilain défaut, la curiosité morbide est elle aussi utile en nous aidant à mieux appréhender les risques réels. Mais en prenant garde à ne pas se laisser duper : s’informer du danger, oui… mais avec modération. Inutile donc de passer des heures sur toutes les nouvelles inquiétantes dont regorge internet. Mieux vaut choisir un ou deux sujets sur lesquels vous voulez en savoir plus, et réaliser une recherche approfondie qui vous donnera la satisfaction d’avoir évalué le risque et de vous être donné les moyens d’agir de manière constructive. Autre activité édifiante : se raconter des histoires effrayantes en famille, entre amis ou collègues (ou en visionner) et mettre à profit ces situations fictives comme point de départ pour réfléchir aux risques réels auxquels on peut être confronté. Regardez donc un bon film d’horreur, allez visiter une maison hantée s’il y en a près de chez vous, ou passez une soirée amusante à la maison en discutant avec vos amis de la manière dont vous survivriez à la fin du monde. Enfin, invitez la créativité et le jeu dans des espaces où la gravité d’une situation pourrait vite devenir écrasante. Inventez des histoires horrifiques, déguisez-vous en quelque chose d’effrayant et riez de l’absurdité de la situation. En d’autres termes, accueillez la saison de Halloween avec enthousiasme et apportez cette même énergie aux défis de l’époque que nous vivons actuellement. £

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Bibliographie C. Scrivner et al., Pandemic practice : Horror fans and morbidly curious individuals are more psychologically resilient during the Covid-19 pandemic, Pers. Individ. Dif., 2021. P. Grey, The decline of play and the rise of psychopathology in children and adolescents, American Journal of Play, 2010. L. A. Dugatking et J. G. J. Godin, Prey approaching predators : A cost-benefit perspective, Ann. Zool. Fennici, 1992.

© Brian Divelbiss/Shutterstock

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Organisme Créancier : Pour la Science 170 bis, bd. du Montparnasse – 75014 Paris N° ICS FR92ZZZ426900 N° de référence unique de mandat (RUM)

DE JOINDRE 4 MERCI IMPÉRATIVEMENT UN RIB


À retrouver dans ce numéro

p. 70

ÉTOURDI !

Les étourderies seraient dues à un mauvais fonctionnement d’un réseau d’aires cérébrales appelé « réseau de saillance ». Sa fonction est de nous tirer de nos rêveries et de recentrer notre concentration sur les tâches en cours. p. 12

NEUROPEPTIDE Y

Ce neuromédiateur est particulièrement présent dans le cerveau humain. Il nous attirerait vers les nourritures grasses et sucrées, ce qui aurait favorisé le développement de notre encéphale au fil des millions d’années, mais nous exposerait aujourd’hui à un risque de surpoids et d’obésité. p. 44

p. 94

CURIOSITÉ MORBIDE

Notre attirance pour les films d’horreur est qualifiée par les psychologues de « curiosité morbide ». Loin d’être une anomalie, elle résulterait d’une tendance ancestrale à vouloir s’approcher des prédateurs pour mieux repérer quand ils sont affamés ou rassasiés. Ce qui aurait pu améliorer nos chances de survie par le passé.

TIME-OUT… EFFICACE ?

« Le temps-mort est une des pratiques qu’on retrouve plus souvent dans les méthodes éducatives efficaces que dans celles qui marchent moins bien » Franck Ramus, CNRS/ENS/EHESS

5%

La probabilité que l’humanité disparaisse d’ici à un siècle, selon 2 500 personnes sondées aux États-Unis et en Chine.

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80 %

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IA-ANXIÉTÉ

De nombreuses personnes craignent aujourd’hui d’être déclassées par les intelligences artificielles, qui pourraient les remplacer dans leur travail, y compris à des tâches faisant appel à la créativité. Une forme nouvelle d’angoisse, l’IA-anxiété, prendrait alors de l’ampleur.

Des hommes se donnent l’accolade de façon « croisée », en passant une main au-dessus d’une épaule de leur vis-à-vis, et l’autre sous son bras opposé. Les autres accolades, qui consistent à passer les bras autour du cou ou autour de la taille de son partenaire, sont plus pratiquées chez les femmes.

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2 ANS

L’âge auquel les enfants réussissent le « test du miroir », qui permet de savoir qu’un individu a conscience de lui-même.


La fracture peut être sociale ou politique. Elle fragilise le monde en créant des inégalités multiples. Elle oppose celui qui a un toit à celui qui n’en a pas. Elle exclut les personnes étrangères, pauvres ou isolées.

LE MONDE

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FRACTURE


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