Paris Montmartre, juin 2016

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HOMMAGES

PM 13-103

ROBERT DAGO

I

l s’est éteint le 3 mai, à l’âge de 90 ans, ce malicieux et talentueux peintre, au caractère bien trempé, dont beaucoup de montmartrois se souviennent comme de l’une des figures marquantes de la place du Tertre. Baroudeur dans l’âme, il avait trouvé refuge à l’île de Saint-Martin, aux Antilles françaises, dont il était devenu là aussi une grande figure – avec sa belle gueule de corsaire digne d’un roman de Stephenson ou plutôt de Mac Orlan, car Montmartre avait marqué sa vie dès son plus jeune âge. « L’Anar’tiste », comme il se définissait joliment, avait suivi un parcours difficile de héros de roman : ce petit orphelin, enfant de l’Assistance Publique, découvre à l’âge de 10 ans une famille inattendue, dans cet incroyable univers qu’était alors la place du Tertre. L’art entre comme une bourrasque dans sa vie de gavroche voué aux pavés. Même s’il exerce d’abord tous les métiers – cycliste, boxeur ou légionnaire (le « Quai des brumes », vraiment !), il ne lâchera plus les pinceaux à partir des années 60. Dès lors, Dago expose à Montréal, Philadelphie, New York, Mexico ou Bruxelles. À Paris, il exerce un art aujourd’hui disparu, celui d’affichiste de cinéma, et il oeuvrera sur le plus grand

écran du monde, celui du Gaumont palace de la place de Clichy. L’ancien cycliste devient ensuite le peintre officiel des jeux olympiques de Sydney et travaillera plus de 10 ans pour le Tour de France. Mais la place du Tertre restera longtemps son port d’attache, sur l’île montmartroise où les marins immobiles ont pour nom Bernard Dimey, Marcel Aymé ou Jacques Brel. Tenté par la mer, son embarquement en 1967 sur le Pen-Duick-II de Tabarly, l’emmène en direction des Marquises. Il s’attachera à la Martinique pendant 25 ans avant de choisir une petite île, Saint-Martin dont il fera son dernier port. Il demeure pour nous l’une de ces grandes figures de la Butte, fils du pavé qui avaient tout vu, tout expérimenté et qui, malgré les embûches de la vie, gardaient une énergie et une passion de créer intactes. Libertaire épris de liberté, peintre de grand talent, il a produit une œuvre puissante, expressive et colorée – on lui doit l’une des belles affiches de la Fête des vendanges. Il était de ceux qui incarnent l’esprit de Montmartre contre vents et marées, défiant le cyclone du mercantilisme qui assaille la colline. JMG

LE DESSINATEUR SINÉ A REJOINT SON CACTUS, AU CIMETIÈRE DE MONTMARTRE

L

e mercredi 11 mai 2016, au cimetière de Montmartre, ils étaient venus nombreux pour accompagner le dessinateur Siné (Maurice Sinet) jusqu’à sa drôle

de tombe en forme de cactus (le premier projet, un doigt d’honneur, lui avait été refusé… mais le cactus en garde la mémoire) : plusieurs centaines de personnes selon les organisateurs, (50 selon la police…). Le virulent caricaturiste avait 87 ans. Son éviction de Charlie Hebdo avait fait grand bruit en son temps ; on l’avait accusé d’antisémitisme, ce dont il s’est toujours défendu, accrédité dans sa défense par sa première épouse, décédée le même jour que lui, et dont l’urne l’a rejoint dans cette tombe. Le 30 novembre 2010, le tribunal de grande instance de Paris condamnait Charlie Hebdo pour préjudice moral et financier à l’encontre

de Siné. Selon le jugement : « il ne peut être prétendu que les termes de la chronique de Siné sont antisémites… » L’exclu de Charlie avait alors fondé son propre organe de presse, Siné Hebdo. Les obsèques se sont déroulées au son d’un orchestre de jazz, qui a tenté une version jazzy de L’Internationale, malgré l’absence flagrante de prolétaires dans l’assistance. En effet, sous les trombes de pluie, on reconnaissait les proches de Siné, Philippe Geluck, Guy Bedos, Gustave Kervern, Christophe Alévêque qui a levé un verre de vin en lançant : «Il nous avait demandé de ne pas être tristes, on fait ce qu’on peut». Le comédien et cinéaste Benoît Delépine a parodié Malraux : « Entre ici, Bob Siné, avec ton terrible cortège». Un ancien délégué CGT a invité la foule

à chanter Et tout le monde déteste la police, retrouvant ainsi les fondamentaux d’une pensée subtile, abandonnée pendant un temps à la suite du massacre de Charlie Hebdo, lorsque les anars s’étaient aperçus qu’on avait parfois besoin d’un flic près de chez soi… Qu’en aurait pensé Siné ? En tout cas, le dessinateur au vitriol faisait partie de ces esprits « poil à gratter », indifférents aux pensées uniques de leur temps, anars « au grand cœur » qui font partie du paysage français, lointains descendants d’André Gill et de l’esprit Chat-Noir. Les larmes du ciel et les roses rouges ont plu sur la tombe du vieux râleur réticent au décès, qui avait fait graver sous son cactus tombal : « Mourir ? Plutôt crever ! ». JMG


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