Splendeurs l Or Norme #43

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Une grosse verrue bronze anodisé : voilà ce qui reste désormais du Printemps sur la place de l’Homme-de-Fer à Strasbourg. Derrière les vitrines encore aveuglées par le fuchsia des maxi auto-collants annonçant la fermeture définitive, on est en train d’éradiquer tous les éléments de la luxueuse décoration intérieure. Gravats, poussière, enchevêtrement de matériaux : comme une image-symbole d’un désastre impensable. Pressentant depuis longtemps qu’il y avait derrière tout ça quelques vérités bien cachées, nous avons enquêté : le long silence du siège parisien de l’enseigne, qui n’a donné suite à nos demandes d’entretien que… le jour que nous lui avions indiqué comme étant celui de de notre bouclage, nous a formidablement encouragés à aller à la recherche des vraies raisons de cette décision de fermeture, tombée il y a un an, le 10 novembre 2020, et qui a trouvé son épilogue le 16 octobre dernier. Et cette enquête nous a appris et fait comprendre bien des choses… merta, vous avez dit omerta ? Une omerta de la part du siège parisien de l’enseigne ? Trois mails en près d’un mois, dans lesquels nous demandions un entretien avec la gouvernance du groupe, pour tenter de mieux comprendre l’enchainement des événements ayant provoqué cette décision. Pas de réponse. Une dernière tentative, à la veille de notre bouclage le 22 novembre dernier a été plus prolixe : réponses à nos questions souhaitées « par écrit » promises pour le lendemain avant 16h, heure de notre ultime bouclage. Nous avons reçu 1h30 après l’heure prévue quelques lignes de réponses sculptées dans une langue de bois des plus massives… Une omerta totale de la gouvernance locale du magasin, également : manifestement, les ex-employés de la direction strasbourgeoise de l’enseigne (même ceux ayant quitté leurs fonctions au cours des dernières années) n’avaient aucune envie de parler… Il en fut de même pour l’ex-directeur de l’immobilier du groupe Le Printemps (parti depuis à la concurrence…) qui avait négocié le loyer, un des éléments essentiels

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№43 — Décembre 2021 — Splendeurs

ayant contribué au marasme de l’enseigne à Strasbourg. Pas de réponse à nos demandes d’entretien et, à force de harcèlement de notre part, quelques minutes abscondes au téléphone…  Une omerta totale, enfin, venue du Groupe Benarroch et Oussadon (Groupe B&O), qui était propriétaire des murs au moment de la rénovation et la restructuration de l’immeuble et qui a donc fixé le loyer à son locataire. Denis Oussadon, un des deux dirigeants, nous a rappelés pendant quelques secondes du Luxembourg où il réside, sans doute intrigué par notre numéro qui s’affichait à tant de reprises sur son mobile. Quelques mots d’une grande banalité (bien sûr voulue) et ce fut tout. Aucune information à attendre de ce côté-là non plus… Alors ? Et bien alors, il nous a fallu prendre quelques chemins de traverse pour tenter de comprendre ce qui s’est vraiment passé depuis près d’une décennie. Nous y avons rencontré les deux seules personnes qui ont parlé à visage découvert : elles se nomment Yolande Fischbach, 62 ans, vendeuse depuis 1976, et Martine

Ebersold, 58 ans, dont 38 passés dans le magasin, toutes deux déléguées syndicales CGT et membres du comité social et économique (CSE) national du Printemps, ce dernier point expliquant la fiabilité des informations dont elles disposent. Nous avons confronté leur avis avec celui d’un ex-cadre du siège parisien du groupe (à qui nous avons garanti l’anonymat, à sa demande) qui a suivi professionnellement de près l’historique de l’enseigne strasbourgeoise, pendant quelques années après les travaux de rénovation et restructuration. Pour l’essentiel, ces sources sont parfaitement d’accord entre elles, ce qui nous a permis de reconstituer l’invraisemblable cascade de mauvaises décisions et d’erreurs stratégiques commises par le siège national du Groupe depuis près d’une décennie. Le Printemps, sous plusieurs appellations au fil du temps – Le Louvre, Les Grandes Galeries… – était présent à Strasbourg depuis 1905. Un sacré bail qui vient donc de disparaître après 116 ans d’existence (moins quelques années de fermeture, lors des guerres). C’est dire l’attachement dont l’enseigne a bénéficié jusqu’à sa disparition effective, en octobre dernier. Ses locaux de la rue de la Haute-Montée étant devenus vétustes et de moins en moins adaptés à l’activité, des travaux ont été décidés au tout début des années 2010 et réalisés de 2011 à 2013, année de l’inauguration du nouveau Printemps entièrement rénové et restructuré. Pendant la durée des travaux, un nouveau positionnement très haut de gamme a été décidé par le siège national du Groupe. À la réouverture, après un premier exercice légèrement en dessous des objectifs minimums prévus au budget prévisionnel, le chiffre d’affaires n’a alors jamais cessé de chuter (on parle d’une baisse de 40 %). En mars 2020, on apprenait la décision brutale du Groupe de fermer sept magasins en province (dont Metz et Strasbourg) et de céder le magasin du Havre à une société franchisée. Motif invoqué : dégager des budgets pour redéployer la politique commerciale du groupe. À Strasbourg, le Groupe n’est même pas parvenu à poursuivre son activité jusqu’au 31 décembre prochain et a définitivement clos ses portes le 16 octobre dernier. Depuis l’annonce de la fermeture, aucun repreneur unique ni aucune enseigne susceptible d’occuper l’un ou l’autre des sept niveaux désaffectés n’ont fait connaître la moindre intention de reprise… S ACTUAL I TÉ

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