Eblouissements l Or Norme #51

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L E M AG A ZI N E D’ U N AU T R E R EG A R D S U R ST R AS BO U RG

№ 51 D ÉC E M B R E 2023 É B LO U I S S E M E N TS

Raphaël Enthoven : « Le 7 octobre dernier, on a changé de monde. » b GRAND ENTRETIEN

c D OS SI E R

c CULTURE

a ACTUAL I TÉS

RAPHAËL ENTHOVEN « Je crois que cette guerre va durer des siècles… » Page 6

EXPOS TGV PARIS Des noms comme des bouquets de feux d’artifice. Page 20

ÉMILIE GIRARD Du MUCEM à Marseille aux Musées de Strasbourg. Page 58

FACE À LA CRISE Les restaurateurs indépendants. Page 98


Élodie et jérôme

Les fondus du goût j’aime mon commerce, j’achète local.


a OR NOR M E – É B L OUIS SE ME NTS

ÉBLOUISSEMENTS Par Patrick Adler – Directeur de la Publication

Éblouissement : Nom masculin Trouble visuel brutal causé par une lumière vive et aveuglante mettant dans l’impossibilité de voir. Définition du dictionnaire Larousse e 7 octobre dernier, les terroristes du Hamas ont pénétré sur le sol israélien avec un plan : assassiner, torturer, violer, mutiler, kidnapper des enfants, des femmes enceintes, des personnes âgées, des femmes et hommes de tous âges, parce que juifs. Et ils l’ont fait parce que c’est leur objectif affiché, écrit dans la charte du Hamas et scandé dans leurs messages répétés depuis des années à nous tous, qui ne voulions pas l’entendre.

L

La catastrophe du 7 octobre a été suivie, le 8 octobre, par une autre, morale, qui s’est manifestée dans tout le monde arabe, mais aussi à travers l’occident : Des foules sont descendues dans les rues pour célébrer le massacre. En France, des représentants de LFI, associés à des islamistes radicaux, n’ont pas hésité à soutenir que cette violence était une résistance, et, embrigadant derrière eux une partie de la jeunesse sans plus aucun repère moral, ont apporté leur soutien, non pas aux victimes innocentes du terrorisme, mais aux terroristes eux-mêmes ! Ce faisant, ils tentent de détruire notre humanité commune, la conception que nous avons de la civilisation, de la dignité, de chaque vie humaine... Car, qu’on ne se méprenne pas, quand l’antisémitisme prend cette ampleur dans №51 — Décembre 2023 — Éblouissements

une société, il ne s’agit pas des juifs. C’est, comme toujours, un signe que la société elle-même est en train de s’effondrer...

notre humanité », à l’instar de Delphine Horvilleur et Kamel Daoud dans le Nouvel Obs du 26 octobre dernier ?

Mais comment en est-on arrivés là ?

Il nous faut d’urgence, retrouver notre capacité de discernement. Observons comment des gens, ignorants autant qu’instruits, ont gangréné notre société à un point tel que la confusion des valeurs les plus simples est devenue banale. Comment, par exemple, tolérer des discours où l’on veut nous convaincre qu’un certain « contexte » pourrait expliquer, voire justifier, qu’on torture des enfants devant leurs parents avant de les tuer ?

Comment les universités, dans le monde entier, ont-elles pu se faire infiltrer à ce point par la secte wokiste et ses idéologies sur le post-colonialisme, le post-nationalisme... jusqu’à la post-vérité, qui n’est que le déni de la vérité, comme nous l’a brillamment expliqué Raphaël Enthoven (en grand entretien dans ce numéro) lors d’un récent événement Or Norme. Cette idéologie a remplacé les notions de bien et de mal par une théorie fumeuse où le (supposé) faible incarne toujours le bien, et le (supposé) puissant incarne toujours le mal. Cette vision inversée et révisionniste du monde s’est infiltrée dans tout l’occident et, parce qu’elle est partout, est devenue indétectable pour beaucoup. Peut-on espérer que la mémoire des victimes du massacre du 7 octobre, et des otages encore entre les mains du Hamas, nous fassent enfin prendre conscience de la réalité de ce que nous traversons ? Face à cette tentative de destruction de millénaires de progrès, aurons-nous le courage de nous lever et de nous battre pour simplement « réaffirmer

Soyons clairs : Nous sommes fragiles, nos valeurs sont fragiles, le bien est fragile... Alors, soyons forts ! Nous sommes tous, et chacun d’entre nous, le dernier rempart contre la barbarie et l’obscurantisme. Nous devons être les gardiens de l’humanité qu’on voudrait nous voler. Rien n’est acquis... tout ce que nous avons construit peut disparaître et nous devons défendre nos valeurs. Partout. Toujours. Ne laissons plus passer les mensonges, les révisionnismes. Nous n’avons pas le choix, c’est le combat de notre génération, pour nos enfants, nos petits-enfants. Pour l’Humanité face à la barbarie. 3


SOMMAIRE D ÉC E M B R E 2023

b Grand entretien Raphaël Enthoven

a Dossier Expos TGV

06-15 20-47

« Personnellement, je crois que cette guerre va durer des siècles… »

22 Musée d’Art Moderne de Paris Nicolas de Staël 28 Musée d’Orsay Van Gogh 34 Roman graphique Samuel Van Der Veen 36 Musée de l’Orangerie Amadeo Modigliani (↑) 40 Fondation Louis Vuitton Mark Rothko 44 Musée de Montmartre Théophile-Alexandre Steinlein 46 Et aussi...

a Culture

S Actualités

48 Fondation Beyeler Niko Pirosmani. À l’Est aussi, le début de l’art moderne ( ) 54 Musée Tomi Ungerer Anna Haifish 58 Émilie Girard Nouvelle directrice des musées de Strasbourg 60 Spectacle Chloé Oliverès 62 East side story Funkindustry 66 Musique Le Chœur philharmonique fête ses vingt ans 68 Culture J’aimerais vous lire 70 Appli Chillhood 74 Le jour où Louis-Gustave Binger 122 Musique Reeves Gabrels 132 Sélection Concert, livres...

16 Attentat Cinq ans 94 Marché de Noël Nos bons plans pour en profiter (↓) 98 Face à la crise Les restaurateurs indépendants 102 Commerce Olivier Klein 106 Économie Michel Hussherr 108 Moi, Jaja... Les « Trente sérieuses » 114 Mari in Wonderland La guerre en Ukraine est terminée 116 Thierry Jobard Sous l’œil des statues 124 Dessin L’œil de Victoria

a Portfolio

78 La barbe ! Alban Hefti

E Société

126 Vins L’alchimiste des arômes 130 Les événements Or Norme

4

Q Or Champ

142 David Grimal Violoniste, directeur artistique et fondateur de Lumières d’Europe, les Dissonances et l’Autre Saison №51 — Décembre 2023 — Éblouissements




b GR AN D EN T R ETI EN Jean-Luc Fournier

Alban Hefti

Raphaël Enthoven

« Personnellement, je crois que cette guerre va durer des siècles… »

Prévue de longue date le 16 novembre dernier, la rencontre des partenaires de notre magazine avec Raphaël Enthoven nous a permis ce long entretien, presque entièrement basé sur les tragiques événements du Proche-Orient. Le philosophe parle sans la moindre langue de bois du traumatisme initial du 7 octobre dernier et des semaines qui ont suivi. Mais il n’oublie pas également de parler du spectacle de Camus où, quasi seul sur la scène d’un théâtre parisien, il partage sa passion (le mot est faible) pour l’auteur de l’Étranger et de La Peste. Écoutez tout ce que Raphaël Enthoven a à dire. Et, parfois, à crier… №51 — Décembre 2023 — Éblouissements

b GRA ND ENTRETI EN — Raphaël Enthoven

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On va bien sûr évoquer cette actualité dramatique que connait le ProcheOrient depuis maintenant plusieurs semaines. Avec le recul, comment avezvous analysé la façon dont vous avez vécu ces deux jours du 7 et 8 octobre derniers, au fur et à mesure que les nouvelles toutes plus horribles les unes que les autres vous parvenaient d’Israël…

Le 7 octobre dernier, on a changé de monde. Les exactions les plus atroces commises par les terroristes du Hamas, au lieu de susciter un élan mondial de solidarité, ont été le début d’une haine mondiale du juif : les violences des 7 et 8 octobre ont donné le La aux violences qui ont suivi. Je le répète : au lieu de la solidarité, on a vu apparaître la haine. Voilà pourquoi on a très clairement changé de monde : on est passé à une phase active de haine et de décomposition de la démocratie. Pour ceux qui refusent une telle défaite, et qui refusent que le juif soit, comme toujours, la première victime, il est essentiel de lutter sur le terrain des faits, mais aussi sur le terrain de l’opinion, sur le terrain des discours et de combattre les négationnistes de toutes sortes. Pour moi, il y a deux grandes familles de négationnistes qui se sont fait jour dès la tragédie du 7 octobre : il y a d’abord ceux que j’appelle les « contextualisateurs », ceux qui veulent restituer les choses dans un contexte général, faire comme si cette barbarie recevait des explications et pouvait faire l’objet d’une dissection savante. Pour moi, ce serait minorer ce qui s’est passé ce jour-là, en faire un simple crime de guerre, par exemple. Et puis, il y a les négationnistes actifs qui veulent effacer les traces. Ceux qui arrachent les affiches des enfants otages ou qui veulent faire planer un doute sur le fait que telle ou telle femme a bien été éventrée ou que tel ou tel bébé a bien été mis dans le four. Cette seconde famille de négationnistes est très intéressante parce qu’ils ont affaire avec le Hamas à un nazisme fier de l’être. Les nazis avaient au moins la prudence de vouloir dissimuler leurs crimes alors que le Hamas veut au contraire publier ses crimes. Les gens qui effacent les traces des crimes du Hamas sont des gens qui vont contre la volonté même de ceux dont ils protègent les exactions. Il y a un titre du journal FrancTireur qui résume bien la chose : « L’effroi et les affreux ». L’effroi, pour ce qui s’est passé le 7 octobre et cette barbarie, la conscience humaine doit en préserver la singularité : c’est un pogrom, c’est une entreprise génocidaire. Et les affreux, ce sont tous ceux qui font comme si cette entreprise génocidaire était explicable ou ne justifiait pas en retour toute la riposte israélienne… 8

Il y avait quelque chose de frappant, dans les semaines qui ont suivi la barbarie du 7 octobre, sur les plateaux télé, dans les émissions de radio voire même dans les colonnes des quotidiens ou des magazines, celle d’entendre ou de lire si souvent l’expression « Il n’y a pas de mots pour relater ce qui s’est passé… » Ça veut dire qu’à propos de ces événements, on a atteint le seuil de l’indicible ?

On peut effectivement parler d’indicible. Moi, je parle de l’innommable. L’indicible renvoie à une expérience d’un mutisme quasiment céleste, ineffable. L’innommable me paraît mieux désigner la barbarie en question. Cet événement réactive le débat qu’il y eut entre Spielberg et Lanzmann dans les années 80, au moment de la sortie du film La liste de Schindler. L’objection du réalisateur de Shoah à Spielberg était très forte : en fictionnalisant l’holocauste, Spielberg l’avait trivialisé. En montrant ses images, Spielberg les avait mises au même plan que d’autres images concurrentes. D’ailleurs, ces dernières semaines, ça n’a pas raté : quand certains se sont lancés

dans une course à la vidéo la plus épouvantable pour convaincre les gens des horreurs qui avaient bien eu lieu le 7 octobre, ils se sont vu rétorquer d’autres vidéos, toutes aussi épouvantables, d’autres exactions commises dans d’autres parties du monde pour leur dire : écoutez, arrêtez de vous plaindre et de vous prendre pour le centre du monde… Revenons à ces mots que certains ne prononcent pas. Il y a le mot de « terrorisme » bien sûr, il y a aussi le mot « pogrom » qui pourtant fait appel à une réalité historique incontestable. Ce refus de nommer les choses, il dit quoi ?

Deux instances refusent de prononcer le mot « terrorisme ». Il y a La France Insoumise, mais on retrouve ça aussi avec Jeremy Corbyn en Angleterre qui est lui aussi incapable de reconnaitre que le Hamas est un mouvement terroriste. Ceux qui sont incapables de prononcer ce mot se font parfois passer pour des juristes patentés qui, en parlant de « crimes de guerre », permettent que le Hamas soit jugé par des instances internationales. Cet argument

« Les exactions les plus atroces commises par les terroristes du Hamas, au lieu de susciter un élan mondial de solidarité, ont été le début d’une haine mondiale du juif : les violences des 7 et 8 octobre ont donné le La aux violences qui ont suivi. »

b G R A N D E N T R E T I E N — Raphaël Enthoven

№51 — Décembre 2023 — Éblouissements


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est aussi faux que grotesque : s’ils ne prononcent pas le mot « terrorisme », c’est pour ne pas s’aliéner l’électorat qu’ils courtisent et dont ils présument qu’il est majoritairement antisémite. Mais il y a plus grave, comme l’Agence France-Presse qui répugne, elle aussi, à employer le mot terrorisme à l’égard du Hamas. Son directeur a été bien coincé quand on lui a ressorti des dépêches ou des articles où l’AFP présentait Boko Haram ou Al Qaïda comme des organisations « terroristes »… La difficulté ou l’impossibilité de nommer la chose, non seulement la rend possible, mais surtout témoigne chez celui qui refuse d’employer ce mot d’une cécité volontaire qui, en démocratie, est le plus grand danger. Le désir de ne voir que ce qu’on veut voir fabrique aujourd’hui du négationnisme en temps réel.

singularité de ce qui s’est passé le 7 octobre : il y a une énorme différence de nature entre faire des victimes civiles dans des bombardements et traquer des citoyens juifs et les tuer parce qu’ils sont juifs. Ce n’est pas du tout le même geste ni la même démarche. Pour le dire plus simplement, il n’y a pas de différence à faire entre les victimes, mais il y en a une énorme à faire entre les gens qui les tuent. En réalité, il y a une différence de nature entre une armée qui pratique des bombardements ciblés sur des cibles militaires serties au milieu de populations civiles, et qui prévient les habitants

avant de passer à l’action, et une organisation terroriste qui entre dans un pays et qui massacre 1 400 personnes, femmes, enfants et vieillards et qui en kidnappe d’autres. Il y a là deux mondes complètement différents et le refus de marquer cette différence, au nom du fait qu’une victime vaut une victime. C’est la résurgence de l’argument du « point de détail » de Jean-Marie Le Pen en 1987. Pour lui, le détail n’était pas les six millions de morts, le détail c’était la façon dont les gens avaient été exécutés. Pour lui, ça faisait partie des « horreurs de la guerre ». Le discours selon lequel il n’y a

Ça nous ramène à Albert Camus, qui vous accompagne depuis si longtemps et que vous évoquez actuellement sur une scène d’un théâtre parisien. Camus disait : « Mal nommer les choses, c’est ajouter aux malheurs de ce monde… » On est, si j’ose dire, en plein dedans…

Oui, à l’évidence. Il y a mal nommer les choses et refuser de les voir. C’est la même chose. Mal nommer les choses, c’est mettre des mots lénifiants ou des équivalences derrière un crime contre l’humanité. Effacer les images des enfants otages du Hamas, c’est une œuvre générale de déni. La différence, c’est que les gens qui refusent de nommer le terrorisme ont au moins pensé leur déni, ils lui trouvent une explication même si cette explication est bidon. Le déni de celui qui arrache l’image d’un enfant otage ne trouve pas d’explication. C’est cette infirmité-là, cette cécité volontaire, cette envie de ne pas voir qui est l’ennemi absolu, aujourd’hui.

On parle de l’AFP, mais il y a aussi la totalité des associations d’étudiants de l’Université de Harvard, aux ÉtatsUnis, qui refusent d’évoquer le mot de terrorisme…

Historiquement, tous ces gens-là soutiennent un nouveau nazisme, c’est-à-dire un projet génocidaire explicite. Soit par ignorance, soit par désir de ne pas savoir.

Et puis, depuis qu’Israël a fait pénétrer son armée sur le territoire de la bande de Gaza, vous dénoncez aussi tous ces commentaires qui opposent systématiquement deux barbaries lancées dans une sorte de compétition dans l’horreur…

Pour battre en brèche ce type d’argument, il suffit de se pencher sur la 10

b G R A N D E N T R E T I E N — Raphaël Enthoven

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« Et les méthodes mises en œuvre le 7 octobre dernier disqualifient pour des siècles les partisans du Hamas… » aucune différence à faire entre Tsahal et le Hamas, c’est à dire entre une armée régulière et une organisation génocidaire est un discours qui ressuscite sans s’en apercevoir les paroles de Le Pen… Pour rester dans l’emploi des mots, il y a aussi le qualificatif de résistant qui a été employé par La France Insoumise pour ne pas avoir à prononcer le mot terrorisme, ce mot de résistant qui sonne quand même aux oreilles des générations encore en vie comme contenant une forme de noblesse, de par ses origines lors de la Seconde Guerre mondiale, quand la France était occupée par les armées allemandes…

Ça, ça n’est pas passé. C’est un propos inqualifiable. Parler de résistants à propos de gens qui tuent sciemment des enfants, c’est évidemment scandaleux et ça n’a pas de sens. Dans Les Justes, Camus raconte que le terroriste qui veut assassiner le Grand Duc Serge retient son bras et ne lance pas sa grenade quand il voit le neveu et la nièce du Grand Duc dans la calèche. Et quand on l’accuse plus tard d’avoir ainsi trahi la révolution, il répond que ce sont ceux qui lui demandent de tuer des enfants qui trahissent la révolution ! En fait, on s’est toujours posé la question de savoir si les terroristes étaient des résistants ou si les résistants étaient des terroristes. Il y a une façon très claire de trancher et de marquer une différence : on ne peut pas parler de résistance à partir du moment où on est prêt à sacrifier des enfants. Ce n’est ni l’origine ni la nature ni l’objet de la lutte qui détermine la qualité de résistant ou de terroriste, ce sont les méthodes mises en œuvre. Et les méthodes mises en œuvre le 7 octobre dernier disqualifient pour des siècles les partisans du Hamas…

Le XXe siècle fut le siècle des génocides. On arrive quasiment au premier quart du XXIe siècle et ce que nous vivons peut paraître désespérant… №51 — Décembre 2023 — Éblouissements

Oui, mais on n’en doutait pas, non ? On savait bien qu’on n’en avait pas fini avec les entreprises génocidaires. Ce qui est encore plus inquiétant, c’est le refus de singulariser le génocide. À force de vouloir jouer avec l’Histoire, à force de comparer les Gilets jaunes avec Les Étoiles jaunes, à force de comparer les anti-vax aux juifs pendant la guerre, à force de se servir de ça pour se martyriser, on a fini par complètement normaliser, banaliser et relativiser ce qu’était un génocide. À tel point qu’aujourd’hui, beaucoup de gens ne savent plus ce que ça signifie. Ainsi, on parle d’un « génocide palestinien », ce qui est juridiquement et moralement aberrant, il n’y a jamais eu aucune volonté d’exterminer le peuple palestinien sur fond de son identité. Plus encore que la possibilité même d’un génocide, c’est la somme des discours qui se déposent sur ce sujet et qui veulent en minorer la gravité qui me paraît gravissime… Et tout cela avec l’aide du phénoménal haut-parleur des réseaux sociaux. Ne faudrait-il pas réfléchir à une régulation de ces plates-formes ?

Oui, je suis d’accord avec ça. D’abord, il faut en faire des éditeurs, comme les éditeurs sont responsables du contenu de leur publication dans les articles de la loi sur la Presse en France. Mais comme il est très difficile de lutter contre ce démultiplicateur que sont les réseaux sociaux, c’est en leur sein, sur le champ de bataille de l’opinion, qu’il faut mener le combat.

Parlons d’Israël. À la tête du pays, il y a le Likoud de Netanyahu qui est associé à des partis d’extrême droite ou des partis d’ultras-religieux. Après tout ce qui s’est passé depuis le 7 octobre, Benjamin Netanyahu va-t-il pouvoir se maintenir au pouvoir ?

Sincèrement, je n’en sais rien. Je sais que les coalitions en Israël ont toujours été très fragiles. Le système constitutionnel

b GRA ND ENTRETI EN — Raphaël Enthoven

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d’Israël, c’est notre IVe République en encore moins fonctionnelle ! Cette alliance avec l’extrême droite est à l’évidence une catastrophe, la politique d’implantation de colonies en Cisjordanie est une stupidité et la réforme de la justice est un immense danger pour la démocratie israélienne. Mais tout ça est sans commune mesure avec ce que nous avons vu le 7 octobre. Rien de tout ça ne l’explique ou ne le justifie. Rien n’autorise à justifier quoi que ce soit concernant le 7 octobre. Rien ! Reste qu’il y a des problèmes de fond qu’il faudra régler. Mais dans un deuxième temps. Je déteste ce gouvernement et son Premier ministre, mais l’urgence n’est pas à le critiquer. Il tombera, ensuite… Je ne vois pas comment il pourrait se maintenir au pouvoir après un tel loupé… Est-ce que la paix, que l’élastique de l’actualité a repoussée extrêmement loin, pourrait paradoxalement voir sa toute petite flamme réactivée au cœur même des tragédies vécues récemment par le peuple juif ?

« Je déteste ce gouvernement [d’Israël] et son Premier ministre, mais l’urgence n’est pas à le critiquer. Il tombera, ensuite… » 12

b G R A N D E N T R E T I E N — Raphaël Enthoven

Si on fait de la disparition du Hamas une condition de la paix, on peut considérer que oui… D’une certaine manière, il pourrait y avoir de nouveau un espoir puisque la prospérité du Hamas dans la bande de Gaza était un obstacle objectif à toute possibilité de paix ou de bonne entente. Ce serait tout le paradoxe d’une paix obtenue par la destruction de l’ennemi. Mais, pour faire la paix, il faudrait un interlocuteur et je ne vois pas qui. Mahmoud Abbas (qui préside l’Autorité palestinienne – ndlr) est un vieil antisémite corrompu et de l’autre côté, c’est le Hamas. Pour faire la paix, il faudrait aussi une structure, des médiateurs… On en est fort loin. Personnellement, je crois que cette guerre va durer des siècles. C’est une situation tragique qui n’a pas de solutions. La quantité de détestations inculquée dès l’enfance, le sentiment, d’un côté, que la Bible est un cadastre et de l’autre côté, celui d’avoir été exproprié, tout cela représente des facteurs de haines insolubles. Dans cette partie du monde, je ne vois pas d’autre avenir que la haine et la guerre… En fait, la particularité du Hamas est celle d’être un nazisme dopé aux sciences sociales. C’est un nazisme dont les SS persistent à se présenter comme les victimes de leurs propres victimes, persistent à considérer que les Israéliens qu’ils ont massacrés sont en réalité leurs bourreaux. C’est un nazisme victimaire. C’est la raison pour laquelle ils trouvent quantité d’avocats, de relais, de soutiens dans le monde entier.

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« Quand on fait une conférence, on donne des preuves, on démontre quelque chose. Là, au théâtre, je donne des traces, c’est autre chose. » C’est presque une surprise de vous découvrir aussi pessimiste…

Je suis totalement pessimiste, je n’ai aucun espoir.

Pour terminer, reparlons de Camus. Vous êtes sur une scène parisienne en l’évoquant, le spectacle marche fort, et vous répétez à l’envi que Camus « c’est une philosophie de combat… »

C’est en effet une philosophie de combat pour quelqu’un qui n’a pas besoin d’avoir un sens, une perspective ou un horizon. Dans son roman La Peste, les gens qui luttent contre la maladie n’ont jamais, à aucun instant, l’espoir d’abolir la peste. Ils savent très bien qu’elle reviendra, mais ils luttent quand même. C’est ça qui est totalement camusien…

Et ce sont des gens ordinaires…

Absolument. Ce sont des gens ordinaires, comme vous et moi, qui font ce qu’ils peuvent dans un monde qu’ils n’ont pas choisi. C’est ça qui est très beau et qui, en fait, est important : l’ordinarité de l’héroïsme et le fait que l’héroïsme, le courage, ne sont indexés sur aucun espoir. Pour le dire avec les termes les plus camusiens du monde, on ne sort pas de l’absurde quand on entre dans la révolte. La révolte fouille l’absurde et y trouve des raisons de se battre. Il y a deux positions possibles : la première est celle du croyant qui considère que ses malheurs sont le fruit de ses propres turpitudes et que s’il se conduit mieux, la peste disparaîtra ; et la seconde attitude possible est celle de l’homme de foi qui regarde en face les horreurs de ce monde et qui continue de se battre…

depuis des décennies où il est au centre des thématiques, idem pour des émissions de radio. Vous avez toujours parlé de Camus… Mais là, vous êtes sur une scène, au théâtre. Les sensations doivent être tout à fait différentes, non ?

C’est vrai, ce ne sont absolument pas les mêmes. Quand on fait une conférence, on donne des preuves, on démontre quelque chose. Là, au théâtre, je donne des traces, c’est autre chose. Au début, l’écriture du spectacle m’a parue très compliquée parce que chaque phrase en appelait dix autres ! Et en écrivant la seconde, j’avais le sentiment de le faire au détriment de toutes les autres… J’ai fini par improviser et par noter tout ce qui venait par l’improvisation. Comme une trame. C’est comme ça que j’ai trouvé la lettre du spectacle, il me suffisait ensuite d’adapter avec les textes, les références qui convenaient…

Julie Brochen, la metteuse en scène, dont on se souvient bien à Strasbourg après son passage à la tête du TNS, a largement contribué à l’existence du spectacle…

Jusqu’alors, j’étais un conférencier, donc dans la démonstration. Elle a tout simplement fait de moi un comédien qui incarne ce qu’il raconte et ça change tout. Au début, les déplacements sur scène qu’elle me proposait me paraissaient absurdes. Aujourd’hui, les spectateurs les plébiscitent… J’ai accepté très volontiers de me soumettre à ses intuitions parce qu’elles étaient dictées par un souci de la mise en scène et de la transmission que je n’ai trouvé nulle part ailleurs. Elle m’a en permanence décalé : tout ce qui ressemblait de près ou de loin à une démonstration a été Ça fait très longtemps que Camus vous remplacé par un récit, par une façon de se inspire. Vous donnez des conférences mouvoir sur scène et de prendre possession 14

b G R A N D E N T R E T I E N — Raphaël Enthoven

des lieux qui sont l’essence même du spectacle. J’ajoute que le fait d’avoir à s’améliorer sans cesse, de représentation en représentation, est une expérience vraiment agréable… Il y a quelquefois des discussions avec le public, après la fin du spectacle…

Oui, chaque dimanche soir. Ça se passe formidablement bien. Et quand on parle de Camus, inévitablement on croise l’actualité…

Dans une interview sur France Info, vous avez cité d’une traite une phrase du spectacle : « Camus est un guide, c’est un meilleur ami. C’est le meilleur ami des gens qui ne croient en rien et qui se lèvent quand même. C’est celui chez qui on fait provision d’énergie quand, véritablement, il n’y a plus d’espoir… »

On est là au cœur de ce qu’il enseigne. Il cherche la compagnie des gens clairvoyants. Et la notion même d’espoir lui paraît presque comme un esclavage, ou une façon de subordonner son bonheur à quelque chose qui ne dépend pas de soi. Sisyphe n’a pas l’espoir d’atteindre le sommet de la montagne puisque, de toute manière, le rocher n’y tient pas. Sisyphe n’a qu’une raison d’être et sa raison d’être est de pousser le caillou. Autrement dit, il a remplacé l’espoir par la célébration de sa propre activité. Camus est le meilleur ami de ceux qui s’étonnent d’agir alors qu’ils ne croient en rien. Il nous débarrasse de l’idée d’un but ou d’une solution ultime. On est enfin soulagé de cette sottise et ça nous permet de nous concentrer sur la réalité abjecte, quotidienne et insoluble des choses, l’indémerdable présent avec lequel il faut se débrouiller. Il faut se battre, c’est tout ! » b №51 — Décembre 2023 — Éblouissements



ATTENTATS DE 2018 CINQ ANS PLUS TARD, LA MÉMOIRE TOUJOURS AUSSI VIVE… 16

a ACT UA LI T É S

№51 — Décembre 2023 — Éblouissements


a ACT UA L I T É ­­— MÉMOIRE Jean-Luc Fournier

Abdesslam Mirdass – Nicolas Rosès – DR

Ce soir du 11 décembre 2018, chaque habitant de Strasbourg peut encore le raconter dans le moindre détail. Oui, nous n’avons rien oublié de ce que nous faisions alors, des personnes qui étaient autour de nous, des sentiments par lesquels nous sommes tous passés pendant les jours qui ont suivi où nous avons tous essayé de faire corps… Abdesslam Mirdass, photographe de presse, fut le tout premier à être présent sur les lieux de la tragédie. Il se souvient et il témoigne, cinq ans plus tard…

omme beaucoup, au lendemain de la neutralisation du terroriste Cherif Chekatt, nous avions été impressionnés par l’impact des photos de presse réalisées par un photographe de Strasbourg, Abdesslam Mirdass, jusqu’alors relativement anonyme. Avec sa modestie naturelle, et encore sous le choc des événements tragiques qu’il avait couverts, il avait accepté une seule interview, celle que notre titre lui avait proposée, sous la forme d’un entretien vidéo que l’on peut encore visionner sur notre site, ornorme.fr. Cinq ans plus tard, ses mots n’ont pas changé et l’émotion est encore bien présente quand notre confrère se souvient : « Après le coup de fil de Patrick Herzog du service photo de l’AFP à Strasbourg, je suis immédiatement redescendu de mon appartement de la place de la Cathédrale. La première chose qui me surprend, c’est que la place est vide ! À 20h, en plein Marché de Noël, c’est évidemment incongru. Je file tout de suite rue des Orfèvres, comme Patrick m’a indiqué. Et là, j’aperçois de loin comme un corps à terre, recouvert d’un tissu. Je reconnais le directeur du Marché de Noël, il y a la Police, des vigiles, des mili-

Abdesslam Mirdass

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Le tout premier cliché réalisé par Abdesslam Mirdass rue des Orfèvres

taires. L’un d’eux m’interdit de photographier. C’est vite la cohue, ensuite et peu à peu, je domine mon émotion et je prends des photos puisque je suis là pour ça…. » Abdesslam réalise peu à peu ce qui s’est passé. Un peu plus tard, à l’intérieur d’un

périmètre évidemment complètement bouclé, il réalisera quelques-unes des photos qui seront reprises par la presse du monde entier mais non sans mal. Dans la zone, il y quelques journalistes, dont Elyxandro Segarra, photographe bien connu à Strasbourg qui travaillait

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pour SIPA Press ce soir-là et le vidéaste Gaspard Glanz. À un moment, pile sur le parvis de la cathédrale, Abdesslam sera mis en joue : « Je vois le laser sur moi, je lève mon appareil à bout de bras au-dessus de ma tête et je crie : “Presse ! Photographe !!” » Ça passe… « Ensuite, je tombe très vite sur ce policier casqué posté au coin d’un immeuble de la rue des Hallebardes, près de la place Gutenberg. J’attends qu’il me regarde pour déclencher, je me souviens avoir pensé très fort : regarde moi, regarde moi… tant je sais que c’est le regard qui fait tout, dans ces cas-là. (Libération et La Croix reprendront ce cliché pour leur Une – ndlr). Tout près, deux CRS, dos à dos, leur arme automatique prête à tirer, sont en état d’alerte maximum (Le Monde utilisera cette photo sur une demi-page intérieure – ndlr)… Je ne ressens aucune peur, je suis là pour travailler et faire mon reportage… » Un reportage qui sera incroyablement repris un peu partout : « Cinq couvertures en France, dix-sept de par le monde… » a -t-il recensé. « Et un nombre incalculable de publications diverses. En France, tous les médias – y compris les télés – ont publié au moins une de mes photos… » Aujourd’hui, le photographe se souvient aussi de « cette bulle dans laquelle il s’était enfermé » pour se protéger, les jours suivant la soirée tragique. « Je n’ai pas participé à la traque du terroriste, en Allemagne ou au Neudorf car je savais que tous mes collègues y étaient. Je n’ai fait que des clichés sur l’ambiance qui a régné dans les rues de Strasbourg, les 12 et 13 décembre. Mais j’étais un peu en mode robot, c’était presque irréel. En fait, avec le recul, j’ai mesuré plein de choses après ce que j’ai vécu à ma porte. Je pense à tous mes jeunes confrères qui prennent les risques les plus insensés, en zone de guerre, pour espérer être publiés… Après mes clichés de Strasbourg, j’ai obtenu une certaine reconnaissance de mon travail au niveau national, subitement je me suis mis à travailler plus régulièrement pour les titres les plus connus. Mais humainement parlant, ce qui s’est passé en décembre d’il y a cinq ans a imprimé des

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a ACT UA LI T É S

« Mais humainement parlant, ce qui s’est passé en décembre d’il y a cinq ans a imprimé des choses durables en moi. »

choses durables en moi. Il y a quelques semaines de cela, je me suis réveillé en sursaut vers trois ou quatre heures du matin avec cette pensée ; putain, j’ai fait des photos des attentats de Strasbourg ! Cinq ans après, ça me travaille encore, c’est encore en moi… Je pense que ça doit être le cas pour tous ceux qui ont été concernés de près par ces événements. Après on le partage ou non, ça reste intime ou pas, c’est chacun qui fait comme il peut... » a №51 — Décembre 2023 — Éblouissements


Nous ne les avons pas oubliés…

Bartek Orent-Niedzielski

Damian et Rosana Kamal Naghchband

Anupong Suebsamarn

Antonio Megalizzi

La vie a été la plus forte Parmi les nombreux blessés, nos lecteurs se souviennent du témoignage de Damian Myna, gravement blessé de quatorze coups de couteau après avoir lutté au corps-à-corps avec le terroriste devant le bar Les Savons d’Hélène. Un peu plus de deux mois après, nous avions rencontré Damyan et Rosana, sa compagne brésilienne, qui nous avaient confié, en exclusivité, leur récit du soir de la tragédie qui les avait frappés. Damian débutait sa rééducation et marchait alors très difficilement avec ses deux béquilles, la moelle épinière atteinte par l’un des coups assénés. Il y a quelques mois, au détour d’une rue piétonne de l’hyper-centre de Strasbourg, nous avons recroisé Rosana et Damian. Le jeune musicien avait retrouvé une bonne mobilité et remarchait depuis longtemps sans assistance, Rosanna était souriante et épanouie à son bras.

Pascal Vardenne

LES CINQ VICTIMES DES ATTENTATS DU 11 DÉCEMBRE 2018 À STRASBOURG

Ils nous ont confié qu’ils venaient juste de se marier et qu’ils déménageaient pour le Brésil dans les semaines suivantes. Il y vivent heureux désormais, loin du drame du 11 décembre 2018. La vie a été la plus forte… a

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Expos TGV 2023

Éblouissements

Nicolas de Staël, Parc des Princes, 1952


Des noms comme des bouquets de feux d’artifice : De Staël, Van Gogh, Modigliani, Rothko… Cette fin d’année à Paris multiplie les éblouissements devant tant d’expos si bien conçues et surtout uniques, de celles qu’il ne faut pas rater puisqu’on sait bien qu’on ne les reverra plus jamais ainsi… Jean-Luc Fournier ADAGP, Paris, 2023/Photo Christie’s – Annik Wetter – J.-L. Lacroix – Applicat-Prazan, Paris – RMN-Grand Palais/Denise Colomb – Musée de l’Orangerie)/Hervé Lewandowski – Jason Mandella – Van Gogh Museum, Amsterdam – Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais/Patrice Schmidt – Cincinnati Art Museum – Pinacoteca Agnelli, Torino – Alban Hefti – DR

Fabrice Hergott, l’ex-directeur des Musées de C’ est Strasbourg devenu directeur du Musée d’Art

Moderne de la Ville de Paris en 2006 qui le dit le mieux. Cité par Le Parisien fin octobre dernier, il s’enthousiasmait déjà : « Des visiteurs étrangers qui voyagent beaucoup m’ont dit dans les salles qu’aucune autre ville au monde ne présentait autant de belles expos en cette fin d’année ». Fabrice Hergott est plutôt bien placé pour commenter ainsi. À cette même fin octobre, le compteur des entrées du MAM de Paris affichait près de 145 000 visiteurs. Quand les portes de l’exposition de la comète Nicolas de Staël (lire page 22) se fermeront le 21 janvier prochain, il est plus que probable que le record toutes catégories de l’établissement sera battu.

Le même enthousiasme est également de mise, de l’autre côté de la Seine au Musée d’Orsay. L’exposition Van Gogh (lire page 28) affole les compteurs (fin octobre, près de 160 000 visiteurs s’y étaient déjà pressés depuis son ouverture le 3 du même mois !). « C’est l’expo du siècle » s’enflamme Christophe Leribault, le président d’Orsay. « On n’avait jamais vu Van Gogh comme ça et on ne le reverra plus, personne ne veut manquer ça ! » Combien de visiteurs d’ici le 4 février prochain, jour programmé de la fermeture de l’expo-événement ? Certains parient sur le chiffre hallucinant de 600 000… Christophe Leribault est aussi le président du Musée de l’Orangerie, à un jet d’arbalète de l’autre côté de la Seine. L’expo Modigliani (lire page 36) est elle aussi en train de cartonner ! (plus de 130 000 entrées lors du premier mois) Plus loin, à l’orée du Bois de Boulogne, l’expo Rothko de la Fondation Louis Vuitton (lire page 40) venait juste de démarrer au moment du bouclage de notre magazine, début novembre. 50 000 visiteurs s’étaient déjà présentés lors de… la toute première semaine. Pas difficile de prévoir là aussi un record battu le 2 avril prochain quand elle fermera ses portes… Et dans toutes les autres expos de ce Paris flamboyant en cette fin d’année, on fait la queue, on patiente tant bien que mal. Un tel engouement n’avait pas été observé depuis au moins dix ans quand le flot du public attendait trois heures dans le froid (approvisionné en gobelets de café chaud par le personnel du musée) avant de pénétrer à l’intérieur du Grand Palais pour admirer les toiles du sublime Hopper… Seul point noir de ce tableau lumineux : les conditions de visite. Même en évitant les vacances scolaires de la Toussaint et de la fin d’année, même en ciblant les potentiels « jours creux », il y a vraiment beaucoup, beaucoup de monde. Quid des solutions à ce problème vital ? Elles ne sont pas légion. Une piste intéressante vient d’être inaugurée par Orsay, mais vaut surtout pour les Parisiens : moyennant l’achat (52 €) d’une carte « blanche », on peut pénétrer dans le musée chaque matin à 9h, soit une demi-heure avant l’ouverture officielle. Une vraie demi-heure de tranquillité quasi totale qui peut durer plus longtemps si on veille à ne pas se laisser « rattraper » par la foule lors de la visite. On peut donc s’acheter une précieuse quiétude, indispensable pour jouir sans entrave du meilleur de l’art à Paris… c

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MUSÉE D’ART MODERNE DE PARIS

Nicolas de Staël « Son rire pleurait et ses larmes riaient… » Une expo jamais vue auparavant. Ce n’est pas un argument marketing, c’est la réalité puisque 70 des 200 œuvres présentées n’avaient jamais ou très rarement été montrées en France. Un travail de trois ans réalisé par les commissaires de l’exposition, la conservatrice Charlotte Barat Mabille et l’historien de l’art Pierre Wat qui permet de beaucoup mieux prendre la mesure de ce peintre tourmenté qui, au comble de la solitude, s’est donné la mort à 41 ans, sans avoir connu la gloire qui est la sienne aujourd’hui… n vous le dit comme on le pense, même si la suggestion ne vous paraîtra pas facile à suivre. Pour (très) bien faire, il vous faudrait vous procurer le très beau et surtout très complet catalogue de l’exposition (il est appelé à devenir un véritable ouvrage de référence…) et prendre le temps de lire ses 280 pages pour mieux appréhender les intenses relations amoureuses du peintre avec les femmes de sa vie et surtout, découvrir une vraie pépite, le journal tenu pendant les dix dernières années de la vie de Nicolas de Staël par son ami, le poète Pierre Lecuire. Ce journal, déniché par Charlotte Barat Mabille dans les rayons de la Bibliothèque nationale, contribue grandement à restituer l’œuvre du peintre dans sa réalité vraie, débarrassée des inévitables « outrances » de sa légende de « prince foudroyé » par son suicide brutal à l’âge de 41 ans. En 1945, Pierre Lecuire écrivait sur les tableaux de Staël : « Non figuratifs, abstraits, somptueux, si sensuels de couleurs, peints avec colère, mysticité et mécontentement, charnels avec des rouges de géraniums exacerbés et d’autres gris, verdâtres, bruns, assurés en cercles étroits, butés, et

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d’autres dessins mystiques, rayonnants comme une rade éclairée de projecteurs avec Dieu qui tombe du ciel… » Et la propre fille aînée du peintre, Anne de Staël, assez âgée pour se souvenir d’avoir vu son père peindre, de rajouter à l’intention de Pierre Wat : « Le tableau, c’était une fulgurance, peinte très lentement. Comment fait-on cela ? Ce n’est pas peint en trois coups de cuillère à pot. C’est plus qu’appliqué. Il ne peignait pas de l’extérieur vers l’intérieur, on dirait plutôt qu’il exprimait quelque chose en sortant d’un abîme personnel – on va dire le fond de la toile vierge – et qu’il montait du dedans, par derrière le tableau… » Puis, pour aller au bout de notre suggestion, il faudrait aussi que vous lisiez la correspondance épistolaire (Nicolas de Staël – Lettres 1926-1955, Éd. Le Bruit du Temps) rééditée après la disparition, en 2012, de l’épouse de l’artiste, Françoise de Staël, et celle de sa maîtresse, Jeanne Polge, survenue deux ans plus tard. Enfin, au plus près de la connaissance de cet artiste complexe que fut Nicolas de Staël, l’exposition prendrait tout son sens… №51 — Décembre 2023 — Éblouissements


Cette brillante rétrospective, initiée par le toujours si talentueux Fabrice Hergott, le directeur du Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, le prouve manifestement : on affine, depuis peu, la véritable connaissance de l’œuvre de Staël.

De Staël comme on ne l’a jamais vu Il est né baron (Nikolaï Vladimirovitch Staël von Holstein) dans la Russie encore tsariste de 1914. En 1917, l’imminence de la révolution bolchevique obligera son père, officier du tsar, à organiser in extremis l’exil de la famille en Pologne. Ses parents décèdent tous deux en 1919. Brutalement devenu orphelin, Nicolas de Staël est alors confié par sa marraine, en 1922, à une famille de Bruxelles où il entamera un parcours de vie à jamais marqué par la solitude, malgré les deux filles de sa famille d’accueil et les nombreux amis fréquentant la maison de la capitale belge.

toutefois contrariée par son père adoptif qui s’évertue à lui prédire un avenir d’ingénieur.

Marine la nuit, 1954

Il franchira le grand pas en 1933 où, après avoir visité les Pays-Bas et admiré la peinture flamande, il fait son entrée aux Beaux Arts de Bruxelles, où il découvrira la peinture abstraite. Il voyagera alors dans toute l’Europe, s’imprégnant des couleurs du sud, Italie, Espagne et même Maroc où il fera la rencontre de la peintre Jeannine Guillou, une hippie avant l’heure, qui n’hésitera pas à divorcer pour vivre avec lui.

« Regardez de près certains de ses chefs-d’œuvre : Le couple voyagera beaucoup, se gavant de toutes les lumières qui nourrissent l’art. souvent, un mince Nicolas de Staël peint alors énormément, aplat de la couleur mais il détruit quasiment toutes ses toiles, seule l’une d’entre elles, une vue des quais d’origine ourle de la Seine, existe encore aujourd’hui. les taches de Mais peu à peu, galvanisé par l’amour de Jeannine, sa peinture va s’éclairer et son couleurs finalement style, tout en tâches de lumière et de couapposées. leurs, va naître et s’affirmer. Plusieurs années d’études assez quelL’exigence absolue conques s’ensuivent et sont marquées Il ne le sait bien sûr pas encore, mais ce sont fabrique le style. » par la naissance de sa vocation de peintre, alors douze superbes années de « carrière » №51 — Décembre 2023 — Éblouissements

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Agrigente, 1954

Nicolas de Staël dans son atelier rue Gauguet, été 1954

À gauche : Marseille, 1954 №51 — Décembre 2023 — Éblouissements

qui vont s’ouvrir, douze années durant lesquelles il développera une véritable frénésie de peindre. L’ordonnancement de l’expo, volontairement chronologique, fait apparaître dans les premières salles les œuvres d’un peintre quasi quelconque, mais très vite, les fulgurances arrivent, s’imposent et s’enchaînent, saison après saison. Son style inimitable apparaît enfin : l’abstraction, bien sûr, mais le figuratif n’est jamais très loin. Ce sont ces grandes tâches (il peint très vite de très grands formats, la toile à même le sol que ce grand échalas de près de deux mètres travaille avec une vraie fougue…) et cette prodigieuse lumière du sud qu’il parvient à étaler sur ses toiles avec une maestria surprenante. On sait avec certitude qu’il lui est arrivé de peindre plusieurs tableaux en même temps tant il jouit d’avoir enfin trouvé son harmonie de création. Parallèlement, sa vie personnelle est elle aussi frénétique. Les années de guerre ont été très pénibles pour le couple. Une petite fille, Anna (que nous citons plus haut et qui a grandement contribué à la rédaction du catalogue de l’exposition) est née, mais Jeannine, gravement malade – une maladie qu’elle aura tout fait pour cacher le plus longtemps possible – meurt en 1946. Quelques mois plus tard, le peintre épousera Françoise, engagée quelques années plus tôt pour s’occuper des deux enfants du couple. Françoise et Nicolas deviendront plus tard parents de trois autres enfants. Les années cinquante débutent. C’est à ce

moment que Nicolas de Staël deviendra définitivement obsédé par la perfection. Dans son journal, Pierre Lecuire dit que c’est une « formidable volonté de faire toujours plus fort, plus aigu, plus raffiné, avec au bout l’idée du chef-d’œuvre suprême… ». Souvent, il appose une nouvelle couche de couleur sur une toile que, la veille même, il estimait terminée. Au musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, regardez de près certains de ses chefs-d’œuvre : souvent, un mince aplat de la couleur d’origine ourle les taches de couleurs finalement apposées. L’exigence absolue fabrique le style… Ce sont des années où la notoriété du peintre va se développer. Il va commencer à compter (comme on disait alors) y compris jusqu’à New York où il accompagnera certains de ses tableaux entrant peu à peu dans les collections américaines. Thomas Hess, un réputé critique new-yorkais de la revue Art News écrit : « Staël jouit d’une réputation un peu underground en Amérique, où il vend une quantité étonnante de peintures, mais il reste relativement peu connu… » 1952 est une année marquante pour Staël : pas moins de 252 toiles seront peintes avec une étonnante diversité des thématiques allant, au gré de ses rencontres, du football au jazz en passant bien sûr par les éternels paysages où il « maçonne » de plus en plus les couleurs, avec l’aide d’immenses spatules et d’un morceau de tôle de 50 cm de large qui lui permet de réaliser des aplats gigantesques. Il peint dans un bouillonnement permanent… c D OS SI ER — Expos TGV

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MUSÉE D’ART MODERNE DE PARIS NICOLAS DE STAËL RÉTROSPECTIVE 11, avenue du président Wilson 75016 Paris Métro : Ligne 9 (Stations Alma-Marceau ou Iéna) Jusqu’au 11 février 2024. www.mam.paris.fr

PUISQUE VOUS ÊTES TOUJOURS AU MUSÉE D’ART MODERNE DE PARIS...

Le monde visible de Dana Schutz

Sicile, 1954

Cet amour passionnel est cependant peu « Les années partagé par Jeanne Polgue qui ira jusqu’à déménager à Grasse pour le fuir. Durant cinquante l’hiver 1954-55, il peindra dans une solitude débutent et c’est absolue, à peine adoucie par de grandes londans la mer au pied de son atelier. à ce moment-là gueurs Staël a sans doute sombré dans une très profonde dépression durant ces mois-là. Sa que Nicolas de femme, restée à Paris, lui interdit de voir ses Staël deviendra enfants, accentuant son mal-être. définitivement Au matin du 16 mars 1955, il écrit une dernière lettre à son fidèle marchand, obsédé par la Jacques Dubourg : « Je n’ai plus la force d’achever mes tableaux… » lui confie-t-il. perfection. » Le soir même, Nicolas de Staël monte L’année suivante, plus que jamais magnétisé par les couleurs du midi, il achète un petit mas dans le Luberon, à Ménerbes où il peindra un nombre considérable de tableaux, d’une luminosité et d’une chaleur incomparables. Romain Gary lui écrira ces mots somptueux : « Vous êtes le seul peintre moderne qui donne du génie au spectateur ». Le destin de Nicolas de Staël va basculer dans cette même année 1953. Il tombe follement amoureux d’une amie du poète René Char que ce dernier lui a fait connaître, Jeanne Polgue-Mathieu, une femme mariée qui réside près de Nice. Pour être plus près d’elle, le peintre loue un appartement à Antibes où il vit seul, sans sa famille et où il finit par installer son atelier. 26

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sur le toit de la maison, choisit le côté opposé au bleu indigo de la mer et se jette dans le vide. Il n’avait que 41 ans… Dans le catalogue de l’expo figure une interview de Anne de Staël. Pierre Wat lui pose cette question, qui est plus une remarque : « Beaucoup de gens trouvent qu’on sent, dans les tableaux d’Antibes, la fin qui arrive… » Anne répond : « Ce n’est pas vrai. La peinture d’Antibes est, à certains moments, la plus légère. C’est ce qu’elle a de magnifique et d’inattendu. (…) À Antibes, ça respire plus, et puis voilà, au moment où cela respire, il s’étouffe… Sa peinture restera éternellement celle d’un jeune peintre. » Cette formidable exposition raconte et illumine la trop courte vie d’un peintre devenu un des plus grands de sa génération… c

Parallèlement à l’expo blockbuster de Nicolas de Staël, le Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris expose les grands formats peints ces dernières années par l’Américaine Dana Schutz dans son atelier new-yorkais de Brooklyn. Si l’on est évidemment frappé dès l’entrée de l’expo par la bizarrerie ostentatoire de l’univers de la peintre, on est aussi littéralement happé par l’intensité visuelle dégagée par les grandes toiles aux couleurs bigarrées. Les thématiques sont à la hauteur de la foisonnance de l’exposition : visages disproportionnés à l’extrême, yeux exorbités, faces tordues par l’intensité de la douleur, jambes coupées qu’une pulsion cannibale va bientôt engloutir…, Dana Schutz semble se repaître de tout ce qui hurle, geint, souffre à en mourir. Visiter l’expo les yeux grand ouverts, de salle en salle, dans le silence de ces grands espaces peu fréquentés, c’est comme peu à peu se retrouver intégré dans un monde cauchemardesque à l’extrême, mais toujours, ce sont les invraisemblables couleurs, très attrayantes, qui nous maintiennent à flot. L’expérience est très prenante, vous devriez essayer… Dana Schutz. Le monde visible Musée d’Art Moderne de Paris

Dana Schutz, Mountain Group, 2018

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Déc | Fév Il Tartufo

La Langue de mon père

Évangile de la nature

Sans tambour

Molière | Jean Bellorini 12 | 16 déc

Sultan Ulutas Alopé 23 janv | 2 fév

CRÉATION AU TNS

Lucrèce | Christophe Perton 13 | 21 déc

Le Iench

Samuel Achache 6 | 14 fév

Great Apes of the West Coast

Éva Doumbia 9 | 13 janv

Princess Isatu Hassan Bangura 7 | 14 fév

La Chanson [reboot]

Fajar

Tiphaine Raffier 10 | 20 janv

Adama Diop 20 | 24 fév

TNS Théâtre National de Strasbourg 03 88 24 88 24 | tns.fr | #tns2324

Great Apes of the West Coast © Gilles Njaheut

PREMIÈRE EN FRANCE


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MUSÉE D’ORSAY

Vincent Van Gogh, jusqu’au bout, la beauté, même aux portes de la mort… 28

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Champ de blé sous des nuages d’orage, mercredi 9 juillet 1890

Depuis son ouverture, en octobre dernier, le public plébiscite l’expo du musée d’Orsay consacrée aux ultimes œuvres de Vincent Van Gogh, lors des deux derniers mois de sa vie à Auvers-sur-Oise. Des tableaux (et des dessins…) d’une incroyable audace qu’il faut surtout découvrir en laissant les émotions nous envahir. On en ressort hypnotisé et comme écrasé par tant de magnificence… Quel moment !

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e 20 mai 1890, quand il arrive dans ce petit village d’un peu plus de deux mille habitants à une heure de la gare du Nord par le chemin de fer, Vincent Van Gogh a 37 ans. Il vient de croupir durant un an à l’asile Saint-Paul-deMausole près de Saint-Rémy-de-Provence. Là-bas, isolé et en dépression profonde (on appelait cette maladie la mélancolie, à l’époque), l’artiste attentera à ses jours en cherchant à s’empoisonner en avalant de la peinture. Malgré la violence de cet acte désespéré, le médecin de l’institution finira par le déclarer guéri. Pris en charge par son frère cadet Théo dont il suit les conseils, il emménage donc à Auvers-sur-Oise, à l’auberge Ravoux (le lieu existe encore) alors appelée Café de la Mairie. Il s’agit pour lui de confier sa santé au docteur Gachet, malheureusement lui-même atteint de ce mal étrange que le peintre saisira superbement dans un de ses plus célèbres tableaux. Là-bas, personne ne le connaît, évidemment, mais les habitants du village ne sont pas surpris par l’apparence fatiguée et émaciée de Vincent Van Gogh. D’instinct, ils comprennent qu’il est peintre, ils sont habitués : attirés à Auvers-Sur-Oise par l’influent Charles-François Daubigny, ils sont nombreux les peintres qui l’ont précédé

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Ci-dessus : Champ de blé aux corbeaux, mardi 8 juillet 1890

ici : Pissarro, Camille Corot, Paul Cézanne, entre autres… S’il est séduit par le village et ses proches alentours, Van Gogh se sait très fragile, mais, ses correspondances le révéleront, il vit ce séjour à la durée indéterminée comme une sorte de renaissance, avec une confiance en lui redevenue intacte et, les historiens de l’art sont unanimement formels sur ce point, cet état d’esprit sera directement à l’origine de la beauté stupéfiante de ses ultimes tableaux et dessins.

Ce génie qui s’en allait… En deux mois, Vincent Van Gogh peindra 74 tableaux et exécutera 33 dessins, soit plus d’une œuvre par jour. De cette frénésie insensée, l’expo d’Orsay aura donc réussi l’exploit de réunir une quarantaine de toiles (et vingt dessins). À l’évidence, on ne les reverra jamais plus ensemble comme aujourd’hui, sur les cimaises du musée parisien. №51 — Décembre 2023 — Éblouissements


Sous-bois avec deux personnages, entre vendredi 20 et dimanche 22 juin 1890

Alors, réellement subjugué, on prend un plaisir incroyable à parcourir les salles où trônent ces œuvres d’une audace débridée. On connaît bien sûr presque par cœur les voluptueux méandres et les larges tourbillons qui représentent l’incontestable signature du maître. Mais cette frénésie si évidente dont on parlait n’a pas empêché Vincent Van Gogh d’innover comme on le découvre avec tant de plaisir avec l’accrochage des fameux formats doublecarré (l’équivalent du 16/9 des écrans de télé modernes ou du Cinémascope au cinéma…). À l’époque, c’est tout sauf un format commercial, mais celui qui vit ses derniers jours revendique son étonnante vision. Parlant du sublime Champ de blé aux corbeaux si bien mis en valeur dans l’expo, il écrit dans une belle lettre à Théo et à son épouse Jo : « Ce sont d’immenses étendues de blé sous des ciels troublés, et je ne me suis pas gêné pour chercher à exprimer de la tristesse, de la solitude extrême… » Dans le très beau catalogue de l’exposition, on lit l’analyse d’un des commissaires de l’expo, №51 — Décembre 2023 — Éblouissements

Louis Van Tilborgh sur les corbeaux noirs qui survolent le jaune des champs de blé balayés par le vent d’orage qui arrivent et les bleus profonds du ciel tourmenté : « Il semble que Van Gogh entre alors dans la phase ultime, dite intentionnelle, du processus suicidaire ». Dans une autre toile, Sous-bois avec deux personnages, une des dernières peintes à Auvers-sur-Oise, on distingue un couple se promenant dans un sous-bois paisible. Sans doute tout ce dont le peintre avait rêvé toute sa vie et qu’il n’aura jamais connu, la merveilleuse bulle de l’amour sans nuages… L’œuvre est accrochée dans la dernière salle de l’exposition, tout comme les Champs de blé sous l’orage, les corbeaux, mais aussi les racines incrustées dans le fameux talus que le Strasbourgeois Wouter Van der Veen a identifié formellement à deux pas du centre du village (lire Or Norme n° 50). Bel hommage à son travail obstiné, Wouter Van der Veen a le privilège de signer deux articles dans le catalogue…

« En deux mois, Vincent Van Gogh peindra 74 tableaux et exécutera 33 dessins, soit plus d’une œuvre par jour… »

Cette dernière salle nous fait comprendre tous ces petits cailloux semés par Vincent Van Gogh, qui sait sans doute qu’il vit là ses derniers instants, les yeux grand ouverts. Le soir du dimanche 27 juillet 1890, après avoir mis la dernière touche à son tout dernier c D OS SI ER — Expos TGV

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Le Docteur Paul Gachet, vendredi 6 et samedi 7 juin 1890

Autoportrait, septembre 1889

tableau, Racines d’arbres prêté à Orsay par le musée Van Gogh d’Amsterdam (« Ma vie à moi aussi est attaquée à la racine même, mon pas aussi est chancelant » écrivait-il à son frère Théo le 10 juillet précédent), Vincent Van Gogh quitte sa chambre sous les soupentes de l’auberge Ravoux, un pistolet dans sa poche. Il ne s’éloigne que très peu, juste le temps de rejoindre la plaine à l’arrière du château du village. Il se tire une balle en pleine poitrine, mais elle ne sera pas fatale. Le peintre réussit à regagner son logis. Il ne s’éteindra que 48 heures plus tard, veillé en permanence par Théo accouru précipitamment de Paris.

Bouche-à-oreille Autre exploit de cette exposition magnifique, la parfaite collaboration entre le Musée Van Gogh d’Amsterdam et Orsay. Sans cette union, il aurait été inenvisageable de présenter cet ensemble d’œuvres, les deux musées ne possédant « que » une quinzaine de toiles emblématiques, soit le minimum nécessaire pour débuter une 32

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exposition à étoffer par des prêts d’autres musées ou de collectionneurs privés. Ces fameux prêts sont venus de partout grâce au « couplage » des deux expositions : beaucoup des États-Unis, de Suisse ou de Scandinavie pour les musées et du monde entier pour les collectionneurs privés. On sait que durant toute sa courte vie, Vincent Van Gogh s’était considéré « comme un piètre peintre ». Au lendemain même de sa mort, son frère Théo avait déclaré : « Il faut que tout le monde sache qu’il était un grand artiste ! » À l’évidence, on l’a réalisé depuis. Par le biais d’un impressionnant et magnifique bouche-à-oreille, à Orsay, comme ce fut donc également le cas à Amsterdam entre mai et septembre derniers, des centaines de milliers d’amateurs d’art anonymes, chaque jour, peinent à se résoudre à quitter définitivement cette exposition exceptionnelle et si émouvante, mais aussitôt, témoignent, abasourdis, du génie de Vincent Van Gogh. Et le bouche-à-oreille remplit les files d’attente de l’esplanade du musée… c

« Il faut que tout le monde sache qu’il était un grand artiste ! »

MUSÉE D’ORSAY VAN GOGH À AUVERS-SUR-OISE. LES DERNIERS MOIS Esplanade Giscard-d’Estaing Paris (7e) Accès Métro Ligne 12, station Solférino ou RER C, station Musée d’Orsay Jusqu’au 4 février 2024 www.musee-orsay.fr №51 — Décembre 2023 — Éblouissements


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c D O S S I E R — E XP OS TGV PARIS Véronique Leblanc

© Samuel Van der Veen

SAMUEL VAN DER VEEN

Le Van Gogh des derniers jours revit dans un roman graphique

« Fidèle au noir et blanc depuis ses quinze ans », Samuel Van der Veen n’a pas voulu y renoncer pour son roman graphique Van Gogh le dernier tableau coédité par Hazan et le musée d’Orsay. a parution de l’ouvrage de Samuel en cet automne tient d’autant moins du hasard que c’est l’équipe du musée qui a contacté l’éditeur lorsque le jeune auteur lui a proposé son travail. « Hazan avait envie de se lancer dans le roman graphique et mon projet leur convenait pour peu que je renonce au format manga dans lequel je l’avais élaboré. Cela ne m’a posé aucun problème », poursuit ce jeune homme de 23 ans distingué par le Magic International Manga Contest en 2017 et 2021. « Il s’agissait d’une question de format et non de contenu et j’ai conservé le noir et blanc pour mes cent planches, choix qui, par ailleurs, souligne le côté “chute” de la fin de la vie de Van Gogh. » Il serait aisé de s’imaginer Samuel travaillant sous l’œil vigilant de son père, Wouter Van der Veen, grand spécialiste du peintre, auteur de deux textes dans le catalogue de l’exposition d’Orsay et commissaire de l’exposition Van Gogh les derniers voyages qui se tient au château d’Auvers-sur-Oise jusqu’en septembre 2024.

« La surveillance n’est pas dans la nature de mon père et, de toutes façons, il était bien trop occupé » répond le fils dans un sourire. « J’ai travaillé en toute liberté, mais avec l’avantage de disposer d’un conseiller historique exceptionnel. Nous avons checké ensemble la documentation que j’avais rassemblée et la crédibilité du scénario. Il a joué un rôle d’un “garde-fou” ».

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Références littéraires et cinématographiques

Samuel Van der Veen

Ci-dessous : Une planche du roman graphique. Van Gogh peint son Champ de blé aux corbeaux.

Outre cette documentation, Samuel s’est appuyé sur des références littéraires très pointues parmi lesquelles Manette Salomon d’Edmond de Goncourt, un livre qui décrit la manière dont vivaient les artistes de l’époque et dont Van Gogh lui-même offrit un exemplaire au docteur Gachet. Figure tutélaire des derniers jours de l’artiste à Auvers-surOise en 1890, ce médecin spécialiste de la mélancolie est bien évidemment présent dans le roman graphique : « Pour le camper, je me suis inspiré du père Karamazov de Dostoïevski, mon auteur préféré. Un côté un peu “rigolard” les rapproche. » Le cinéma est une autre des sources d’inspiration de Samuel qui veut d’abord et avant tout « raconter des histoires ». Il travaille donc en fonction de « cadrages » et use de beaucoup de photos préparatoires pour lesquelles il met sa famille à contribution : « Je voulais que mes lecteurs puissent marcher dans les pas de Vincent s’ils allaient ensuite à Auvers », précise ce jeune auteur bien dans son temps. « Le digital m’aide beaucoup », dit-il en évoquant son récit mené de manière « très réfléchie » afin d’aboutir à la double page finale : Vincent, l’arme à la main regardant en face un soleil irradiant. Moment ultime où il quitta la vie pour entrer dans l’immortalité. c №51 — Décembre 2023 — Éblouissements


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c D O S S I E R — EX P OS TGV PARIS

MUSÉE DE L’ORANGERIE

Amadeo Modigliani Ce fabuleux météore qui zébra le ciel parisien… Face à Orsay, de l’autre côté de la passerelle LéopoldSédar-Senghor jetée au-dessus de la Seine, les grandes allées du jardin des Tuileries vous conduisent tout droit au Musée de l’Orangerie, en bordure de la place de la Concorde. Si Modigliani est ici chez lui (le musée possède cinq de ses œuvres majeures dans ses collections permanentes), c’est au prisme de sa relation avec son principal marchand, Paul Guillaume, que l’exposition met en scène le génie du peintre italien. Si le marchand fit, notamment, fortune avec les toiles du « peintre maudit », la relation entre les deux hommes fut riche de l’intense tourbillon artistique du début du XXe siècle dans la capitale française…

n reviendra très vite sur les œuvres emblématiques de Modigliani (toutes vendues par Paul Guillaume, mais aussi celles qu’il posséda) réunies par les commissaires de l’exposition. Mais c’est une photo d’un auteur anonyme, qui plus est non datée, qui émeut le plus. On y voit Amadeo Modigliani souriant, debout sur ce qui pourrait être un trottoir des Grands-Boulevards, lors d’un jour de pluie. Son lourd manteau noir est orné d’une élégante écharpe blanche. Sa main gauche serre un exemplaire de L’Œil, ce qui permet de dater approximativement le cliché (ce journal fut éphémère, ne publiant que six exemplaires entre novembre 1919 et avril 1920).

O

Cet homme souriant, malgré une santé si fragile depuis toujours, va donc disparaître à jamais (le 24 janvier 1920) peu de temps après avoir été ainsi saisi par l’œil du photographe, fauché dans la fleur de l’âge (35 ans) par une méningite foudroyante provoquée par la redoutable maladie qu’était alors la tuberculose. Deux jours plus tard, sa compagne (et modèle presque exclusif) Jeanne Hébuterne se suicidera, percluse d’une douleur insurmontable. Elle était enceinte de leur deuxième enfant… Trois jours plus tard, Amadeo Modigliani fut enterré au cimetière du Père-Lachaise, « comme un prince » selon les mots de la presse de l’époque, en présence de plus d’un millier d’amis et nombre d’artistes peintres, dont la plupart s’étaient connus à la célèbre Ruche de Montparnasse. Son ami Adolphe Basler l’avait surnommé depuis longtemps « le dernier des Bohémiens authentiques »…

Elvire assise, accoudée à une table, 1919

La rencontre d’une vie Un portrait de Modigliani réalisé par un anonyme sur le trottoir d’un boulevard parisien. №51 — Décembre 2023 — Éblouissements

À son arrivée à Paris en 1906, Modigliani est peintre. Mais, après une rencontre avec le roumain Brancusi, il va se lancer dans la c D OS SI ER — Expos TGV

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Nu couché, 1917-18

sculpture et, très vite, s’intégrer dans ce mouvement de l’histoire de l’art moderne qu’on appellera bien plus tard l’École de Paris, mais qui n’était, dans ces années-là, que la fraternité de tant d’artistes sans-lesou gravitant autour des ateliers miséreux de lieux comme La Ruche de Montparnasse ou encore Montmartre, par exemple. C’est peu après le début de la première guerre mondiale, en 1914, que Modigliani fait la connaissance d’un jeune galeriste-collectionneur, Paul Guillaume, qui, dès 1911, avait été introduit dans l’avant-garde artistique parisienne par Guillaume Appolinaire en personne. C’est peu dire que cette rencontre coup de foudre aura influencé à la fois la vie et la carrière d’un Amadeo Modigliani à la santé chancelante depuis son enfance en Toscane qui, entre privations permanentes, alcoolisme et la prise prolongée de drogues, réussit tant bien que mal à exprimer ses évidents talents artistiques. Peu à peu, la peinture va redevenir la priorité du peintre. Il va évidemment immortaliser sa relation avec Paul Guillaume dans une impressionnante série de peintures et de dessins restée célèbre (la plus connue de ces toiles-portraits est conservée par le Musée de l’Orangerie et 38

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trône bien sûr au cœur de l’exposition). Paul Guillaume y est représenté en costume, ganté et cravaté, comme l’inspirateur de l’avant-garde parisienne qu’il était vite devenu. Peinte à même la toile, la mention Nova Pilota dit mieux que tout l’espoir que le galeriste avait fait naître chez le peintre. Cet espoir ne sera jamais déçu. Paul Guillaume n’aura de cesse de soutenir et mettre en avant les œuvres de Modigliani, plus d’une centaine de ses toiles les plus célèbres ainsi qu’une cinquantaine de dessins et une dizaine de sculptures passeront par les mains du marchand. Si on parle bien là de commerce, l’admiration artistique de Paul Guillaume envers Modigliani ne faiblira jamais, preuve en est la présence conséquente de ses œuvres aux murs des somptueux appartements parisiens du galeriste. En menant l’enquête pour rassembler un maximum de ses œuvres emblématiques, les commissaires de l’exposition parisienne ont donc permis de mettre en pleine lumière le rôle majeur de Paul Guillaume dans la diffusion du travail de Modigliani sur le marché de l’art dans les années 1920, en Europe bien sûr, mais aussi aux États-Unis. En outre, les nombreux écrits du marchand d’art sur le Modigliani « intime » auront immensément

contribué à la connaissance de l’artiste, malgré sa carrière si éphémère… Le Toscan aura eu à peine le temps d’entrevoir le succès de son œuvre, les efforts de Paul Guillaume puis d’un autre marchand, le Polonais Léopold Zborowski n’ayant commencé à porter leurs fruits que dans les premières années de la décennie 1920. Rétrospectivement, on ne peut que rendre hommage à la sagacité et à la clairvoyance du marchand qui dès décembre 1918, avait organisé cette exposition restée célèbre dans sa galerie du Faubourg Saint-Honoré : sur les cimaises, aux côtés des toiles d’Amedeo Modigliani, celles de Picasso, Matisse, Derain, ou encore Utrillo… Acteur central de la vie artistique du début du XXe siècle à Paris, Amadeo Modigliani aura zébré le ciel de la capitale française comme un météore flamboyant, laissant une véritable et profonde trace lumineuse dans le grand livre de l’Histoire de l’art. Une bonne part de cette aura intacte aujourd’hui peut être attribuée à cette rencontre d’une vie : « un peintre et son marchand », comme le résume sobrement le titre de l’exposition du Musée de l’Orangerie.. c №51 — Décembre 2023 — Éblouissements


Paul Guillaume, Novo Pilota, 1915

AMADEO MODIGLIANI UN PEINTRE ET SON MARCHAND Musée de l’Orangerie, jusqu’au 15 janvier 2024

« Son ami Adolphe Basler l’avait surnommé depuis longtemps “le dernier des Bohémiens authentiques”… » №51 — Décembre 2023 — Éblouissements

Orée du Parc des Tuileries (côté Seine) entrée par la Place de la Concorde Accès : Métro Ligne 1, 8 ou 12, station Concorde Ouvert tous les jours sauf mardi, nocturne chaque vendredi soir jusqu’à 21h www.billetterie.museeorangerie.fr c D OS SI ER — Expos TGV

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c D O S S I E R — E X P OS TGV PARIS

FONDATION LOUIS VUITTON

Marc Rothko Quand la couleur vibre à profusion…

Presque un quart de siècle que Paris attendait une rétrospective consacrée à Mark Rothko et c’est la Fondation Louis Vuitton qui la présente en majesté. Songez donc : pas moins de 115 œuvres provenant de la National Gallery of Art de Washington, la Tate de Londres, la Phillips Collection ainsi que de nombreux collectionneurs privés, jusqu’à la propre famille du peintre. Il fallait bien l’écrin aux volumes impressionnants du musée de l’orée du Bois de Boulogne pour sublimer un accrochage exceptionnel dont on va se souvenir longtemps… n Europe, l’histoire de l’art regorge de ce genre de miracles. Oui, le mot n’est peut-être pas trop fort quand on songe au petit Markuss Rotkovičs, né le 25 septembre 1903 à Dvinsk, ville de la Russie tsariste devenue aujourd’hui Daugavpils en Lettonie. 67 ans plus tard, Markuss Rotkovičs, devenu Mark Rothko (et citoyen américain) s’éteignait à New York après voir eu le privilège de connaître le succès lors de la dernière décennie de sa vie avec, notamment, une impressionnante série de grandes commandes publiques aux États-Unis.

supérieurs, mais il aurait tort de visiter ces premières salles au pas de course. Pour illustrer l’exploit réalisé par la conservatrice Suzanne Pagé (qui avait été déjà à l’origine de la dernière rétrospective du peintre en 1999, au Musée d’Art Moderne) et le propre fils du peintre, Christopher Rothko, tous deux co-commissaires de l’exposition actuelle, ne ratez pas le tableau Slow Swirl at the Edge of the Sea (1944), conservé au MoMA, à New York, qui avait toujours proclamé : « Ne pensez pas à le demander en prêt, si formidable que soit l’exposition que vous préparez !.. » Et bien, cette toile est actuelleDurant la première partie de sa « vie artis- ment accrochée aux cimaises de l’expo tique », Mark Rothko aura peint quantité de parisienne… scènes intimistes et de paysages urbains, telles ces scènes du métro new-yorkais Tout bascule vers la fin des années quaqui auront inspiré beaucoup de peintres rante. Soudain, Rothko opère un spectacudans les années trente. Durant les années laire et décisif tournant vers l’abstraction de la Seconde Guerre mondiale, sa pein- totale. D’abord sa série dite des Multiformes ture évoluera rapidement vers un réper- où de grandes masses chromatiques s’équitoire inspiré des mythes antiques et du librent en totale suspension dans l’espace ; surréalisme. Ce sont ces œuvres courant ces premières œuvres totalement abssur deux décennies qui ouvrent l’exposi- traites figurent en nombre dans les salles tion, sur les cimaises de la galerie infé- des galeries supérieures. rieure de la Fondation Vuitton… Et très vite, le peintre en arrivera à Bien sûr, le visiteur sait parfaite- ces incroyables et spectaculaires (très) ment ce qui l’attend dans les trois étages grands formats, désormais connus du

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monde entier où se frôlent et très souvent se superposent ces masses faussement unicolores. Dans cette inspiration totale, furieuse et sans aucune limite, le peintre multipliera durant les quinze dernières années de sa vie les toiles où les couleurs claquent et éclatent. Elles sont (presque) toutes là, formidablement mises en valeur dans les immenses volumes des deux derniers étages.

Le respect total de l’artiste Cet accrochage est fantastique, car il respecte ce que l’on sait des idées de Mark Rothko, abondamment édictées de son vivant et bien appuyées par le caractère entier et souvent volcanique du peintre. L’utilisation des volumes, d’abord. Le gigantisme des galeries de la Fondation Vuitton permet d’éviter les accrochages serrés, quelquefois entrevus dans d’autres grands musées où les toiles de Rothko ont été jadis accrochées. Alors, sur les quatre niveaux, on peut deviner la jubilation qui a dû être celle des deux commissaires quand il s’est agi de mettre ces œuvres en valeur. Plusieurs salles se paient même le luxe de n’en accueillir qu’une seule, au centre d’un №51 — Décembre 2023 — Éblouissements


grand mur immaculé. Là, la grande toile prend tout son sens et vous magnétise formidablement. Incroyable sensation… Autre particularité du « confort » de l’accrochage parisien : les nombreux longs murs permettent d’accueillir l’intégralité des séries chromatiques ou géométriques, quand Rothko organisait méthodiquement ses surfaces dans des successions de toiles absolument ébouriffantes.

lors d’une expo de ses œuvres au MoMA new-yorkais, Mark Rothko était alors entré assez violemment en conflit avec le conservateur de l’époque. Ce dernier avait une fâcheuse tendance à ne pas respecter les conditions d’éclairage préconisées par l’artiste, les trouvant trop faibles. Chaque jour, Rothko venait au musée et actionnait les variateurs de lumière, diminuant lui-même l’éclairage. À chaque fois informé, Peter Selz, le conservateur, attendait le départ Parlons maintenant des hauteurs d’affichage. du peintre pour augmenter l’éclairage. Rothko les exigeait basses, quel que soit le L’histoire ne dit pas qui se lassa le premier… format. L’expo parisienne a respecté cette exigence. À hauteur d’œil, on peut ainsi se Rien de tout cela sur les cimaises de la laisser envoûter par les œuvres, s’attarder Fondation Vuitton. Respectant scrupuleusur ces détails incroyables, révélation des sement les consignes originelles du peintre, gestes du peintre et bien sûr, pénétrer dans certaines œuvres « éclatent » encore plus les nuances de couleurs, de superpositions, fort quand elles sont présentées sous un d’agencements. On voit bien combien, à l’in- faible éclairage. Leurs superpositions se verse de ce qu’on pourrait croire au premier révèlent alors d’une profondeur inattencoup d’œil sur ses toiles, Rothko peignait de due, c’en est presque incroyable… façon irrégulière et si peu méthodique. C’est Franchement, la visite de l’exposition littéralement fascinant… Rothko vous paraîtra tellement éblouisEnfin, l’éclairage. C’est une anecdote sou- sante qu’on peut aisément faire le pari vent rapportée par la propre fille de Mark que vous ne l’oublierez pas de sitôt. En Rothko, Kate Rothko Prizel (elle a toujours témoigne cette extraordinaire dernière pris grand soin de préciser qu’elle ne pou- salle. Elle est entièrement consacrée à la vait pas en prouver l’authenticité !). En 1961, série des Black on Grey de la fin des années №51 — Décembre 2023 — Éblouissements

« Certaines œuvres “éclatent” encore plus fort quand elles sont présentées sous un très faible éclairage… »

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La superbe installation des Black on Grey réalisée par la Fondation Louis Vuitton.

« Le choc final de l’exposition bouleverse et coupe presque le souffle. On reste ahuri devant tant de talent… » soixante et du début des années soixantedix, peints dans les derniers mois de la vie du peintre. En associant d’inhabituelles nuances de gris et de noir, Rothko répondait à une invitation de l’UNESCO pour décorer les espaces de son bâtiment parisien que l’institution onusienne allait inaugurer. Pour de mystérieuses raisons liées à un conflit sur la dimension finale des œuvres à produire, cette commande ne fut jamais livrée. Suzanne Pagé et Christopher Rothko ont donc réuni ces Black on Grey dans la salle perchée tout en haut du musée. Ils y ont adjoint un Homme qui marche de N° 14, 1960 Giacometti ainsi que d’autres œuvres du sculpteur. D’immenses murs d’un blanc immaculé, quelques grandes toiles aux faux aplats monocolores subtilement agencées et éclairées, les figures ascétiques des personnages de bronze : le choc final de l’exposition bouleverse et coupe presque le souffle. On reste ahuri devant tant de talent… Quelle chance d’avoir vu et vécu ce formidable événement artistique ! c 42

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RÉTROSPECTIVE MARK ROTHKO FONDATION LOUIS VUITTON 8 Av. du Mahatma Gandhi, 75116 Paris Accès Métro Ligne 1, station Les Sablons (950 m) Bus Ligne 73 Navette : toutes les 20 minutes environ durant les horaires d’ouverture de la Fondation. Départ face au 44 avenue de Friedland (Sortie n° 2 de la station Charles de Gaulle Étoile) Jusqu’au 2 avril 2024 www.fondationlouisvuitton.fr №51 — Décembre 2023 — Éblouissements


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c D O S S I E R — E X P OS TGV PARIS Véronique Leblanc

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MUSÉE DE MONTMARTRE JARDINS RENOIR

Steinlen à voir à Montmartre, évidemment Havre de paix dans un quartier atteint de touristite aiguë, le Musée de Montmartre se niche au cœur des « Jardins Renoir » dans une bâtisse construite au XVIIe siècle, la plus ancienne de la Butte. Tout comme Émile Bernard, Raoul Dufy, Charles Camouin, Suzanne Valadon ou bien encore Maurice Utrillo, Renoir s’y installa pour y composer bien des chefs-d’œuvre… l faut pousser la porte de ce musée, y découvrir l’histoire de la Butte rouge, entrer dans l’atelier-appartement de Suzanne Valadon en ayant l’impression qu’elle et son fils vont y revenir sans tarder, mais aussi y découvrir de passionnantes expositions temporaires. Celle qui s’y tient jusqu’au 11 février est consacrée à Théophile-Alexandre Steinlen, artiste d’origine suisse dont on célèbre le centenaire de la mort.

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créant des planches hantées par un petit peuple de chats, double carnavalesque de celui des humains, véhiculant ainsi cet « esprit montmartrois » fait d’humour et d’anticonformisme.

Un artiste anarchiste et protéiforme

Dessinateur, graveur, sculpteur, Steinlen fut aussi peintre et c’est essentiellement Arrivé très jeune dans un quartier où se à cet aspect de son œuvre protéiforme que construisait la basilique du Sacré-Cœur et l’actuelle exposition rend hommage. où le maquis opposait encore cabanes et jardins de lilas à l’urbanisation en cours, Un peintre social marqué par le traumaSteinlen y rencontra Rodolphe Salis en tisme de la Commune et sensible à l’âpreté 1881, à l’époque où celui-ci venait d’ou- de la vie des « femmes sans nom » livrées à vrir le cabaret du Chat noir, haut lieu du la prostitution au point de se livrer à une Montmartre artistique et bohème de la véritable enquête de terrain dans la prison fin du XIXe siècle. Saint-Lazare où elles étaient enfermées. L’artiste en fera l’un de ses points Il fut aussi un anarchiste prompt à railler et d’ancrage, il dessinera l’affiche devenue dénoncer les pouvoirs politiques, religieux iconique de la tournée du Chat Noir et col- et bourgeois oppresseurs et tyranniques. laborera à la revue associée au cabaret en Le parcours de l’exposition s’organise en 44

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trois mouvements principaux : Montmartre et le Chat Noir, le peuple comme sujet et but de l’art et enfin la peinture d’histoire, les paysages et les nus intimes revus au prisme de ses engagements et de son aspiration à la liberté. Des nus de Steinlen émerge la figure de Masséida, jeune femme d’origine bambara qui partagea la fin de sa vie et devint le modèle d’œuvres dans lesquelles il interrogea les notions d’exotisme et de primitivisme. D’inspiration académique, ces tableaux empreints d’humanisme détournent avec ironie les codes iconographiques laissant ainsi deviner ses positions anticolonialistes. « À quoi bon prêcher ? », écrivait Théophile-Alexandre Steinlen en 1898, « Il faut agir. Le monde ne va pas ainsi qu’il devrait aller. » Agir en refusant d’aliéner sa liberté d’artiste pour représenter l’indicible de l’injustice et de la violence. c №51 — Décembre 2023 — Éblouissements


La rentrée du soir, 1897

THÉOPHILE-ALEXANDRE STEINLEN L’EXPOSITION DU CENTENAIRE MUSÉE DE MONTMARTRE JARDINS RENOIR 12 rue Cortot 75018 Paris Métro : Ligne 12 station Lamarck-Caulaincourt ou Ligne 2 station Anvers (puis Funiculaire de Montmartre) Ouvert tous les jours de 10h à 18h jusqu’au 11 février 2024 www.museedemontmartre.fr №51 — Décembre 2023 — Éblouissements

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Et aussi… MYTHOLOGIES AMÉRICAINES

L’article parlant de cette expo de près de 500 photos, rapprochement de la collection privée du créateur des cinémas MK2, Marin Karmitz, et du fonds photos du Centre Pompidou devait s’étaler sur un grand nombre de pages d’Or Norme, d’autant que nous avions prévu d’effectuer la visite en compagnie de… Marin Karmitz lui-même. Les grèves à répétition des employés du Centre (à cause de très importants travaux qui vont affecter le lieu jusqu’en 2030, paraît-il…) ont annihilé ce projet et nous ont empêchés de visiter l’exposition (mais de toutes parts, elle est relatée comme extraordinaire…). c

Elle fut une des pionnières du portrait en Angleterre au XIXe siècle. Juila Margaret Cameron a déjà 48 ans quand elle s’arme de son appareil photographique pour capter les regards de ses modèles. Sa restitution, toute en gros plans à la limite du flou artistique, condense un flot d’émotions assez incroyables. En pleine ère victorienne, sa proximité revendiquée avec ses modèles est d’une incroyable modernité… Ne ratez pas cette exposition assez incroyable. c

CENTRE POMPIDOU www.centrepompidou.fr

KEHINDE WILEY DÉDALE DU POUVOIR

SOPHIE CALLE À TOI DE FAIRE, MA MIGNONNE…

Sa toile du portait d’Obama assis sur fond de feuillages (2018) est bien sûr archiconnue sur l’ensemble de la planète, mais le peintre afro-américain Kehinde Wiley s’était spécialisé depuis longtemps dans les portraits des dirigeants africains (pour le meilleur ou pour le pire…). L’expo du Musée du quai Branly présente fidèlement son travail et assume les débats sur la réputation de tel ou tel modèle… c

À sa façon, en prenant ses aises sur les quatre étages du Musée Picasso de l’hôtel Salé, Sophie Calle célèbre les cinquante ans de la disparition de Pablo Picasso. Souvenirs et contrepoints artistiques évoquent son rapport très personnel à l’œuvre du Catalan. Au premier étage, une déclaration de Picasso, la peinture serait « un métier d’aveugle », lui permet de présenter certains de ses projets sur le thème de l’absence de regard… C’est une expo très intelligente, quasiment le début d’une rétrospective… c

MUSÉE DU JEU DE PAUME www.jeudepaume.org

MUSÉE DU QUAI BRANLY JACQUES CHIRAC www.m.quaibranly.fr

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c D OS SI E R — Expos TGV

Rétrospective de la provocante Lee Lozano ( jusqu’au 22 janvier) suivie d’une vaste exposition Mike Kelley ( jusqu’au 4 mars) : le tropisme de la Bourse du Commerce Pinault Collection pour les artistes américains se confirme depuis l’ouverture de ce lieu unique qu’on peut aussi simplement visiter pour son architecture audacieuse et « classieuse » à souhait. c BOURSE DE COMMERCE PINAULT COLLECTION www.pinaultcollection.com

MUSÉE PICASSO www.museepicassoparis.fr №51 — Décembre 2023 — Éblouissements

© Musée du Jeu de Paume - Centre Pompidou - Mike Kelley, Kandors - Musée du Quai Branly - Musée Picasso, Paris

CORPS À CORPS. HISTOIRE(S) DE CAPTURER LA PHOTOGRAPHIE LA BEAUTÉ


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a C U LT U RE — E X P OS ITION Jean-Luc Fournier

Museum of Fines Arts of Georgia Tbilissi/Infiniart Foundation – DR

FONDATION BEYELER NIKO PIROSMANI À L’EST AUSSI, LE DÉBUT DE L’ART MODERNE…

La seule photo connue de Niko Pirosmani

Avec une audace revendiquée (si peu commune, il faut bien le reconnaître…), la Fondation Beyeler accroche les toiles du Géorgien Niko Pirosmani (1862-1918), connu jusque là que par de très peu amateurs très éclairés. Les toiles de l’artiste accrochées aux cimaises de nombre de musées russes n’ayant pu, pour des raisons évidentes, être prêtées, ce sont les musées géorgiens qui se sont mobilisés pour acheminer une cinquantaine de toiles à Bâle. Et franchement, c’est une sacrée découverte…

faut tout d’abord faire un immense effort d’imagination pour s’imaginer ce qu’était la vie quotidienne au fond des campagnes de Géorgie en 1862, à la naissance de Niko Pirosmanachvili, dit Pirosmani. Orphelin depuis son plus jeune âge, le petit Niko quitta sa province rurale de Kakhétie dès l’âge de sept ans pour vivre au sein d’une famille aisée de Tbilissi, la capitale, où il reçut une éducation que n’aurait jamais pu espérer le fils de paysan de ses premières années de vie.

Devenu jeune adulte, c’est donc à Tbilissi qu’il apprit à peindre, en autodidacte complet. Tout en travaillant dur : les historiens d’art ont pu réunir suffisamment d’indices pour pouvoir affirmer qu’il fut tour à tour peintre d’enseignes (nous y reviendrons), mais aussi « serre-frein » dans les chemins de fer, marchand de beurre, d’œufs et de fromages… Il est très probable que, pour gagner sa vie, Pirosmani exerça bien d’autres petits boulots. Survivre à tout prix…

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À l’aube du XXe siècle, Niko Pirosmani bénéficie d’un début de faible notoriété, peignant à tour de bras portraits et scènes d’ambiance observées dans les nombreuses tavernes de Tbilissi. Il est si pauvre qu’il peint souvent ses œuvres sur des pans de toiles cirées de récupération. Comme il est sans domicile fixe, il négocie le gîte et le couvert auprès des aubergistes contre l’accrochage de ses œuvres sur les murs des auberges de la capitale géorgienne. №51 — Décembre 2023 — Éblouissements


Pêcheur en chemise rouge, huile sur toile cirée, 111 x 89,5 cm, collection du Shalva Amiranashvili Museum of Fine Arts of Georgia.

Il vivra cette vie miséreuse durant une grosse dizaine d’années où sa popularité parmi les clients des tavernes lui facilita quelquefois bien les choses. Juste avant la Première Guerre mondiale, il sera vraiment découvert et reconnu comme peintre par la grâce de deux jeunes artistes géorgiens Ilia et Kirill Zdanevitch et de leur collègue Mikhail Le Dentu, venu de Moscou, dont les yeux exercés découvrirent le talent de Pirosmani aux murs des fameuses tavernes. Tous trois, enthousiasmés, devinrent illico de fervents promoteurs du travail de l’artiste. L’année suivante, en 1913, Ilia Zdanevitch signera sous pseudonyme un article titré Un peintre autodidacte dans les colonnes d’un journal géorgien, Sakawkasskaja Retsch (La voix transcaucasienne). Et quelques mois plus tard, à l’occasion de la légendaire exposition La Cible à Moscou, les œuvres de Niko Pirosmani seront présentes aux côtes de celles de Natalia №51 — Décembre 2023 — Éblouissements

Gontcharova, Michail Larionov, Kazimir Melevitch et Marc Chagall, entre autres… En 1914, déplorant que les critiques et artistes géorgiens ignorent l’œuvre de Prosmani, une campagne est lancée à Tbilissi à l’initiative d’un groupe de jeunes peintres avec pour objectif de rassembler et exposer coûte que coûte ses œuvres. Mais, malheureusement, sur le point de présenter l’œuvre du peintre autodidacte à Paris, leurs plans seront abandonnés quand la Première Guerre mondiale éclata. En 1916, meurtri par de sévères critiques venues des artistes académiques issus de la Société des Beaux-Arts de Tbilissi, le toujours aussi pauvre Niko Pirosmani décide de rompre toute relation avec eux, change d’adresse et disparaît quasiment. On ne retrouva jamais sa trace, même n’en 1917 quant on tenta de lui remettre une somme d’argent récoltée par la Société des artistes géorgiens.

La nouvelle de sa mort, dans la plus grande pauvreté, circula le 5 mai 1918. Il fut enterré dans une fosse anonyme, personne ne sait depuis où il dort pour toujours. Huit ans plus tard paraît à Tbilissi la première monographie intitulée Niko Pirosmanashvili consacrée à l’artiste, rassemblant aussi des articles de célèbres artistes et écrivains en français, russe et géorgien…

UNE ŒUVRE MIRACULEUSEMENT EXTIRPÉE DE L’OUBLI À la suite de la disparition du peintre, nombre de ses œuvres se sont « perdues », d’autres sont passées aux mains de l’État après l’annexion de la Géorgie par l’URSS. C’est sans doute sa nationalité géorgienne commune avec celle de Staline qui empêcha le pire, la disparition totale de la plupart de ses toiles.

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Quelques années seulement après sa mort, de jeunes artistes d’avant-garde publient des textes sur lui, analysent son travail tout en entamant de difficiles recherches biographiques. Dans les décennies qui suivent, des expositions, des livres, mais aussi des films lui sont consacrés. En 1969, c’est Paris qui accueille une exposition Pirosmani (une véritable découverte pour le petit monde artistique parisien d’alors). Par la suite, il sera assez faussement décrit comme le « Douanier Rousseau de l’Est ». Aujourd’hui, Niko Pirosmani, devenu bien sûr l’artiste le plus populaire de Géorgie, compte de fervents admirateurs dans les milieux artistiques du monde entier, au premier rang desquels un certain Georg Baselitz en personne… En France, récemment, seuls le Musée des Beaux-Arts de Nantes, en 1999, et la Fondation Van Gogh à Arles, en 2019, ont exposé une trentaine d’œuvres de Pirosmani.

L’évolution du marché de l’art fait que ce sont aujourd’hui les plus grands collectionneurs capitalistes qui s’arrachent les toiles d’un artiste qui vécut en permanence dans la misère la plus pénible, peignant son œuvre avec une économie de moyens apprise durant sa période de peintre d’enseignes, un exercice où il s’agissait à l’évidence de faire simple, rapide et efficace.

fixe avec ses yeux noirs, sans véritable expression. Dans sa main droite, un long poisson qu’il vient de capturer et qu’il va jeter dans le seau qui pend au bout de sa main gauche. Sur sa tête, un simple chapeau de paille, comme le couronnant d’une auréole iconique. Et c’est tout… Mais, le personnage – et la toile – fascinent inexplicablement. Comme s’il venait d’être saisi en pleine action par l’œil d’un photographe quémandant cette pose sur le vif…

LA PLUS IMPORTANTE EXPO INTERNATIONALE Plus loin dans l’expo, cette Paysanne JAMAIS CONSACRÉE allant chercher de l’eau avec ses enfants À PIROSMANI qui guide sa petite fille et son fils vers la Ce sont ces caractéristiques qui frappent à la découverte des cinquante tableaux réunis par Beyeler. Son Pêcheur à la remise rouge par exemple : sur un fond d’un noir profond seulement traversé par quelques sobres plantes lacustres et l’ondoiement de la rivière qui recouvre les genoux du pêcheur, celui-ci nous

source, chacun portant une cruche ou ces Cinq princes banquetant, tous moustachus selon les codes de l’époque mangeant et buvant ce qui est servi sur… une ample nappe dont le blanc éclate comme un privilège insensé (aux yeux du peintre) en plein centre de la toile.

« AUJOURD’HUI, NIKO PIROSMANI, DEVENU BIEN SÛR L’ARTISTE LE PLUS POPULAIRE DE GÉORGIE, COMPTE DE FERVENTS ADMIRATEURS DANS LES MILIEUX ARTISTIQUES DU MONDE ENTIER, AU PREMIER RANG DESQUELS UN CERTAIN GEORG BASELITZ EN PERSONNE… »

Paysanne allant chercher de l’eau avec ses enfants, huile sur toile cirée, 112,3 x 92,6 cm, collection du Shalva Amiranashvili Museum of Fine Arts of Georgia.

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THE CREEPER PHATTY BY RIHANNA


Ours sous la lune, huile sur carton, 99,9 x 80 cm, collection du Shalva Amiranashvili Museum of Fine Arts of Georgia.

Il y aussi une des thématiques préférées de l’artiste, les animaux : parmi eux, ce magnifique et mystérieux Ours sous la lune une œuvre réalisée elle aussi avec cette constante économie de moyens dont on parlait : elle est peinte sur un carton (!) et, avec du noir, du gris, un peu de bleu et le blanc d’une nuit de pleine lune qui découpe la silhouette de l’animal traversant en silence la scène, le génial Niko Pirosmani installe une ambiance purement fantomatique et extraordinaire. Quel talent ! En point d’orgue de la plus importante exposition internationale jamais consacrée à Pirosmani qu’est l’expo bâloise,

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il faut signaler un détail remarquable : cet événement bénéficie en tous points du même arsenal médiatique et promotionnel que la Fondation met en place lors de chacune de ses prestigieuses expositions (Goya, Hopper, Mondrian, Basquiat… ces dernières années) : conférence de presse internationale, large promotion en Europe, édition d’un catalogue multilingue – malgré une édition en langue française bien souvent absente. Cette expo du jusqu’alors confidentiel Niko Pirosmani est aussi la preuve du savoir-faire incomparable de Sam Keller, le directeur, et l’ensemble de ses collaborateurs de ce joyau qu’est la Fondation Beyeler. a

NIKO PIROSMANI Fondation Beyeler, jusqu’au 28 janvier 2014. Ouvert tous les jours (y compris jours fériés), 10h-18 h, jusqu’à 20h le mercredi et 21h le vendredi Basel Strasse 101 – Riehen (ville attenante à Bâle) Accès depuis la gare Basel CFF : Tram n° 2 direction « Eglisee » jusqu’à l’arrêt « Bâle, Badischer Bahnhof », changer pour le tram n° 6. www.fondationbeyeler.ch

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MUSÉE TOMI UNGERER ANNA HAIFISCH LA RÉALITÉ EST UN BONBON ACIDE

Humour toujours inattendu, parfois grinçant, couleurs acidulées ou traits noirs pointus : voici Anna Haifisch, figure incontournable de la jeune génération de bande dessinée indépendante, au Musée Tomi Ungerer jusqu’au 7 avril 2024.

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Anna Haifisch

epuis ses débuts dans les colonnes de Vice, avec les premiers strips de The Artist, qui l’a révélée il y a six ans, le crayon d’Anna Haifisch n’a rien perdu de son mordant. Née en 1986, à Leipzig, elle enchaîne les succès. Parmi ses publications, on compte Chez Schnabel (2022), The Artist 3. Ode an die Feder (2021), Souris en résidence (2022), Gnocchi Gnocchi –who’s there? avec Stefanie Leinhos (2020), Schappi (2019), I can’t find my shoes (2019), The Mouse Glass (2018), The Artist 2 – Le cycle éternel (2018), The Artist (2016), Drifter (2017), Clinique von Spatz (2015), Don’t Worry (2015). En 2021, elle voit son travail récompensé et reçoit le prix artistique LVZ, après avoir obtenu en 2020 le prix Max und Moritz en tant que meilleure artiste de bande dessinée de langue allemande. De publications de presse en expositions, Anna Haifisch pose pour quelques mois, jusqu’au 7 avril, ses monogrammes à Strasbourg, au Musée Tomi Ungerer. L’occasion de découvrir l’artiste, si vous ne la connaissiez pas, et ses séries d’œuvres.

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LE POTENTIEL UTOPIQUE DE L’IMAGINATION Dans le travail d’Anna Haifisch, on trouve, parmi bien d’autres figures : de fragiles souris en résidence de création qui tentent de dessiner alors qu’une puissante tempête de neige les isole du reste

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« ELLE A CETTE PARTICULARITÉ D’ADAPTER SA MÉTHODE, SON CHOIX DE COULEURS, À SON SUJET. CE QUI MET EN EXERGUE LA FINESSE DE SA RÉFLEXION ET SON HUMOUR SI ATYPIQUE. » Anna Sailer du monde ; Walt Disney, Saul Steinberg et Tomi Ungerer traversant une crise de nerfs sur le bord de la piscine d’une maison de repos nommée le Pavillon des visionnaires ; des autoroutes mythiques de Los Angeles, où les panneaux publicitaires continuent d’entretenir le rêve californien. Ces figures sont à retrouver au grès de vos déambulations dans trois espaces du Centre d’illustration : à l’extérieur, sur la façade de l’accueil, et dans la salle cen-

trale du musée. « Nous avons entièrement co-construit l’exposition, Anna Haifisch est venue plusieurs fois avant l’ouverture pour que nous décidions du placement, des techniques d’accrochage… Tout est millimétré et donne du sens à son œuvre », confie Anna Sailer, conservatrice et Commissaire l’exposition. Au fil de son travail, Anna Haifisch déploie une poésie graphique et littéraire des hétérotopies, ces lieux à la fois hors du monde ordinaire et d’une navrante banalité. Elle y invite à une réflexion sur les conditions de la création artistique et sur le potentiel utopique de l’imagination. Anna Haifisch travaille sur une combinaison de dessins et de textes dans lesquels les genres de la bande dessinée, du dessin libre, de l’illustration et de la gravure s’entrecroisent. « Elle a cette particularité d’adapter sa méthode, son choix de couleurs, à son sujet. Ce qui met en exergue la finesse de sa réflexion et son humour si atypique », explique Anna Sailer, commissaire de l’exposition. Elle compte ainsi parmi les voix les plus singulières de la bande dessinée contemporaine. Cette première exposition d’Anna Haifisch en France présente, outre des œuvres déjà publiées, de nouvelles productions créées spécialement pour l’occasion. Cadeau de l’artiste à Strasbourg. a ations Plus d’inform e disponibles sur rer m -tomi-unge m ra et prog rg.eu/musee ou sb ra st s. www.musee №51 — Décembre 2023 — Éblouissements


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UNE NOUVELLE DIRECTRICE POUR LES MUSÉES DE STRASBOURG ÉMILIE GIRARD, DU MUCEM DE MARSEILLE AUX MUSÉES DE STRASBOURG 58

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a C U LT U RE — EX P OS ITION Jean-Luc Fournier

Eurométropole de Strasbourg/Jean-François Badias

Elle entrera officiellement en fonction le 1er janvier prochain, mais elle sera à Strasbourg avec son mari et ses deux filles (cinq et huit ans) dès la mi-décembre. Interview express avec la nouvelle directrice des Musées de Strasbourg, la pétillante Émilie Girard, 44 ans, enthousiaste à l’idée de présider aux destinées des dix musées de la Ville de Strasbourg… Un mot sur le splendide Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée – MUCEM qui a ouvert il y a maintenant une décennie et où vous avez effectué toute votre carrière… Je sortais juste, fraîchement diplômée, de l’Institut du Patrimoine, qui forme les conservateurs du patrimoine français. Je suis en effet entrée au Service des Collections, dès la création de l’établissement en 2006, sept ans avant son ouverture officielle en 2013, il y a donc dix ans. La tâche était immense : songez donc, il s’agissait ni plus ni moins de répertorier pas moins de 330 000 objets à Marseille, en parallèle du transfert des collections. En 2019, je suis devenue la directrice scientifique du MUCEM, en charge de la politique scientifique, artistique, de conservation et de recherche… Vous avez acquis à Marseille une solide expérience en matière de commissariat d’exposition… Je crois, oui, c’est un des aspects de ma fonction qui me passionne le plus. La dernière exposition que j’ai organisée au MUCEM est Populaire ? (Une présentation de l’ensemble des collections du musée dans toute l’étendue de leur richesse et de leur diversité – ndlr), elle ouvrira №51 — Décembre 2023 — Éblouissements

le 12 décembre. Il y eut aussi l’expo Jeff Koons en 2021, On danse ? en 2019, mais aussi, auparavant encore, Un génie sans piédestal, Picasso et les arts populaires… Nous allons vous laisser le temps de vous installer dans votre nouvelle fonction pour évoquer avec vous l’ensemble du périmètre qui incombe à la direction des Musées de Strasbourg. Mais il y a un point particulier qui fait que vous êtes très attendue. Celui de la mise sur pied d’expos temporaires permettant de contribuer au rayonnement et à l’attractivité de Strasbourg sur le plan national et même européen. Beaucoup d’amateurs d’art considèrent qu’il faut redonner un nouveau souffle à ce type d’expositions… J’ai déjà quelques contacts à Strasbourg qui ont en effet attiré mon attention sur ce point. Je vais avoir à cœur de réaliser tout ça et je sais bien que le cosmopolitisme naturel de la capitale européenne qu’est Strasbourg, mû par la présence de nombreuses institutions européennes, doit permettre d’organiser de tels événements. D’ailleurs, pour ne rien vous cacher, c’est un aspect des choses qui m’a fait candidater pour ce poste. Je sais que je vais devoir très

vite prendre beaucoup d’informations, j’en suis consciente… Pour l’heure, il va me falloir travailler avec les élus sur la création d’un nouveau lieu qui permette la mise sur pied de ce type d’expositions. C’est un travail préalable qui est indispensable et important… Vous devenez de fait directrice de dix musées, ce qui représente une tâche évidemment considérable… C’est évident. Mais il y a là une incroyable richesse, celle de ce réseau. La matière est là et elle est géniale. Il y a d’immenses synergies à créer ou à conforter autour d’expositions thématiques générales, déclinées sur plusieurs lieux à partir de plein d’entrées différentes, avec un potentiel ludique et grand public. Je suis réellement enthousiaste à l’idée de susciter un tel dialogue. Je me suis beaucoup renseignée avant d’arriver à Strasbourg et parmi les convictions que j’ai acquises, il y a la cohérence et les compétences des équipes des musées de Strasbourg : je sais que je peux m’appuyer sur des bases solides. Même si je n’ai pas la moindre attache à Strasbourg, je sais que j’ai une force de conviction qui peut nous permettre, mes équipes et moi, de réaliser beaucoup de choses… ». a

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a C U LT U RE — NOSTAL GIE Véronique Leblanc

Fabrice Cervel

L’HOMMAGE PERCUTANT DE CHLOÉ OLIVERÈS À PATRICK SWAYZE « BEAU GOSSE VIRIL… MAIS PAS QUE ! »

« étais en pamoison lorsque j’ai Déjà donné quasi à guichet fermé au théâtre découvert le film Dirty dancing en du Rond-Point à Paris, Quand je serai grande 1987 », avoue Chloé Olivères. « Dans ma tête de petite fille de 8 ans, ma je serai Patrick Swayze de la pétillante décision était prise : plus grande, je vouChloé Olivères est dorénavant en tournée. lais vivre une histoire d’amour avec Patrick Swayze et pour cela il fallait que je Il fera étape au Brassin de Schiltigheim, le devienne actrice. 18 janvier à 20 heures. Rencontre avec une Cette vocation ne s’est jamais démencomédienne qui se dit « féministe et midinette » tie même si, au fil du temps, elle est devenue moins naïve ». Forte de cette ou « midiniste et féminette ». Une petite fille conviction, Chloé a grandi, s’est formée devenue grande pour le meilleur et pour aux arts dramatiques et affiche désormais une belle carrière de comédienne le rire…

J’

qui n’a plus rien de fantasmé. On l’a vue au cinéma, à la télévision (dans Le Bureau des légendes notamment) et sur les planches avec Les Filles de Simone déjà passées par Strasbourg avec Les secrets d’un gainage efficace.

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Quand je serai grande je serai Patrick Swayze est donc son premier seule-enscène. « Je me suis souvenue de mon premier coup de coup de cœur en le revisitant au fil de ma confrontation avec la vraie vie. Johnny-Patrick Swayze est un beau gosse viril », ajoute-t-elle, mais pas que. Dans le film, il tombe amoureux d’une fille qu’il trouve intelligente, courageuse et à qui il reconnaît une supériorité. La relation est au final très égalitaire. »

SURTOUT PAS « DONNEUSE DE LEÇONS »

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Brett Fukuda / Gil Harush / Bruno Bouché

Sérénades Chorégraphies Brett Fukuda, Gil Harush, Bruno Bouché Direction musicale Thomas Rösner Ballet de l’Opéra national du Rhin Orchestre symphonique de Mulhouse Strasbourg (Opéra) 13-18 janv. Mulhouse (La Filature) 26-28 janv. © Paul Lannes

Et qu’en est-il de Jennifer Grey alias Bébé dans le film ? « Grâce à la danse, répond Chloé, elle s’approprie son corps, assume son désir et s’oppose enfin à son père adoré. Elle devient sujet de son propre destin. Johnny lui restitue son vrai prénom : Frances (devenu Frédérique dans la version française) : “un vrai prénom de femme” ». De cette lecture féministe d’un film né dans une Amérique reaganienne qui voulut – sans succès – en supprimer une intrigue liée à l’avortement, Chloé a tiré un spectacle plein d’autodérision, mais aussi empreint de légèreté et surtout très drôle. « Je voulais m’adresser à un large public, assumer un peu de militantisme, mais rester dans l’humour et la tendresse sans être jamais “donneuse de leçon” ». Elle y danse bien sûr, y compris le fameux « porté » pour lequel a été imaginé un mouvement qui lui permet de s’envoler. Sans homme pour la soutenir. a


EAST SIDE STORY FUNKINDUSTRY AU JAPON : NEUF CONCERTS MÉMORABLES ! 62

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a C U LT U RE — RENC ON TRE Denis Longhi

Fondé en 2014 à Strasbourg, le groupe Funkindustry explose joyeusement un son inspiré de Jamiroquai, Earth Wind & Fire ou Michael Jackson. Il y a trois ans, ils découvrent par hasard leur notoriété exceptionnelle au Japon. Amusés, ils rêvent le projet fou d’aller y voir de plus près. À la clé : un album estampillé city pop, produit à distance, en collaboration avec des artistes nippons. En juin dernier, deux ans et quelques confinements plus loin, les voici en tournée dans tout l’archipel en neuf dates mémorables. Une aventure à découvrir début 2024 sur FR3 Grand Est.

out commence avec un message électronique que le groupe prend pour un canular. Un certain Yutaro Yoshihara, professeur à la Naniwa High School d’Osaka, demande au groupe l’autorisation d’utiliser un de ses titres à l’école : Do it. Flairant un coup monté par des copains d’ici, les musiciens explorent le WEB. Et découvrent que des danseurs de locking – une danse funk née aux USA dans les années 70 – emploient bel et bien leur musique pour la finale d’un télé-crochet, le Japan Dance Delight. Stupéfaits, ils fouillent plus loin et font émerger un véritable réseau, avec ses codes et ses manifestations, dans tout l’archipel.

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pettiste précis et généreux, Nicolas Kœnig (Nico), venu du jazz. Ces deux-là assurent des riffs, fraternels et carrés, qui renvoient à Maceo Parker et Eddie Henderson : un groove musclé qui met tout le monde d’accord. Au son, deux pointures : Sam Kapoor et Florian Siegwald. Mais Funkindustry, c’est aussi une moisson de solides savoirs académiques glanés au conservatoire – classique et jazz – et une expérience impressionnante de la scène. Grande ou petite… mais de référence : ceux qui ont écumé le Camionneur, le Mudd Club ou le Molodoï les ont croi-

sés au moins une fois, en fêtes joyeuses et folles jam-sessions. Le fond de sauce, c’est l’écriture. Elle repose sur des compositions principalement proposées par Nathan. Le tour de main, c’est leur capacité à bosser, beaucoup, accueillant les idées de chacun avec bienveillance et pragmatisme. La touche finale, c’est leur talent pour l’autodérision et leur confiance mutuelle. Festif, le son coloré et bienfaisant de Funkindustry allie gimmicks entraînants et mélodies sensuelles du RnB. Et cette recette, suave et funky, ravit le public japonais… Le groupe comprend qu’une incroyable opportunité s’ouvre à 9 000 km de Strasbourg. Mais la distance et les confinements successifs font que la première étape se voyagera en numérique. Car c’est via Internet que se construit leur studieuse collaboration avec 65 danseurs de locking, rejoints par le rappeur Jua, en featuring sur leur clip Suddenly, enflammé sur YouTube. FX : « Bizarrement, Nathan et Dadou s’intéressaient déjà à la culture et à la musique japonaise. Ils avaient commencé à en écouter pas mal, en plein confinement. C’était peut-être un signe ? »

TRANSFORMER L’ESSAI : « DEMAIN SOUFFLERA LE VENT DE DEMAIN… » … dit un proverbe nippon. Raison de plus pour s’organiser sérieusement avant d’attaquer cette East Side Story au lointain Japon. FX : « C’est Jean-Noël Scherrer – le chanteur de Last Train – qui nous a donné

UNE VRAIE BANDE DE POTES Funkindustry c’est avant tout une vraie bande de potes, soudée autour d’un trio : François-Xavier Laurent FX (composition, claviers), Nathan et Jean-Mathieu JM (clavier, guitare, basse, composition et arrangements). FX : « Avec Nathan et JM, on se connaît depuis plus de 20 ans, on a cohabité pendant 4 ans ». Les ont rejoints un batteur, David Forget (Dadou), notamment formé par le grand Jeff Ballard. Et puis un saxophoniste subtil et exubérant, Rémi Psaume, en tandem avec un trom№51 — Décembre 2023 — Xxxxxxxxx

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les précieux premiers conseils et contacts. Et c’est grâce à Benjamin Demelemester – International project manager au Centre national de la musique (CNM) – que nous contactons Fabien Bonnin ». Ce Parisien affable aux yeux bleus rieurs est un dénicheur de talents affûté. En 2018, il a créé une société à Tokyo pour constituer avec succès un catalogue d’artistes et de labels indépendants japonais… et les services qui vont avec, dont la supervision musicale. Fabien Bonnin : « Ce sont des bûcheurs, et le groupe a compris d’emblée que pour transformer l’essai, il faudrait travailler méthodiquement le marché japonais avec ses codes et spécificités. J’ai proposé une démarche progressive. D’abord sortir une série de singles en digital, pour donner au public des références sur ces Français encore largement inconnus. Puis passer à la scène, en collaborant avec des groupes locaux. En faisant ça, ils allaient entrer progressivement dans l’univers particulier de la city pop. »

USINER LE PROJET Le groupe s’y attelle avec constance depuis son camp de base : La Laiterie, à Strasbourg. Avec – merci Internet – un flow joyeux et redoutablement efficace, tressé d’échanges par mail, Zoom et We Transfer. En émerge un EP aux parties instrumentales enregistrées à Strasbourg, les couleurs city pop étant brassées au Japon. Midnight City Lovers aligne ainsi cinq duos avec des chanteuses japonaises renommées : Asako Toki, Natsu Summer, chihiRo, Eri Takenaka et Emi. La pochette est signée par un célèbre illustrateur japonais, Hiroshi Nagai. Fabien Bonnin : La city pop japonaise, c’est moins un genre musical défini que la traduction d’une atmosphère. Une auberge espagnole nourrie, par exemple, de pop

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classique ou de bossa-nova. Ce courant est né dans les années 70, sous l’influence de la musique occidentale. D’où ses tonalités de black music, soul et de funk. Cela tombait bien pour Funkindustry… Quelques milliards de pixels plus loin, c’est le temps du grand saut. Au Japon, Fabien Bonnin organise déjà une tournée-marathon de neuf dates dans tout l’archipel, du 15 au 28 juin, à Osaka, Okayama, Kyoto, Nagoya et dans Tokyo.

CLUBBING À ROULETTES Nathan : « Accueillis dès l’aéroport de Narita par la télévision japonaise, on a réalisé d’un seul coup que c’était du sérieux. » Au soir de ce 15 juin, le Shinkansen les transportait déjà de Tokyo-Shinagawa à Osaka, pour un premier concert – explosif – au Club Pangea. Nathan y risque quelques mots en japonais et déclenche une ovation. La suite égrènera ces Live Houses, souvent pittoresques. Ces petits

« ET ÇA FAIT QUELQUE CHOSE DE REPÉRER NOTRE ALBUM, BIEN EN PLACE, CHEZ UN DES PLUS IMPORTANTS DISQUAIRES, EN PLEIN TOKYO. » Nico

clubs où Funkindustry donne le meilleur, au plus près du public. Et puis, chaque soir, la chance de jouer avec des groupes locaux haut niveau. Un vrai cadeau pour le groupe, toujours assoiffé de rencontres et d’échanges. À la clé, d’incessants transferts, des valises à roulettes martyrisées et aussi la découverte d’un public connaisseur et attentif. Partout, des émotions à rebond : il y a eu « plein d’attentions touchantes, des mots d’accueil en français, des petits cadeaux lors des séances de dédicaces ». « Et ça fait quelque chose de repérer notre album, bien en place, chez un des plus importants disquaires, en plein Tokyo ». Nico : le 21 juin, nous avons savouré la trépidante release party au Basement Bar à Shimokitazawa avec les artistes japonais ayant participé à l’album. En prime pour moi, un beau cadeau d’anniversaire. Ou encore le 25 juin, au prestigieux Institut français, dans Shinjuku à Tokyo, pour un public franco-japonais enthousiaste.

FEELGOOD MOVIE À peine de retour en Alsace fin juin, fourbus, mais comblés, les musiciens partent le lendemain jouer en Italie, puis retrouvent Fabien Bonnin à Strasbourg pour esquisser des futurs possibles. Depuis le groupe, alternant spectacles et sessions de composition, travaille un nouvel album. Mais l’aventure orientale de Funkindustry, c’est aussi un film. Imaginé par Valentine Wurtz (Libelo Productions à Strasbourg), ce feelgood movie documente avec humour toute l’histoire, depuis les premiers échanges intercontinentaux jusqu’au plus beaux moments de la tournée japonaise. À découvrir sur FR3 Grand Est, également producteur, début 2024. a

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L’INITIAL

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a C U LT U RE – ORCHESTRE Véronique Leblanc

Jean-Marc Duhamel

MUSIQUE LE CHŒUR PHILHARMONIQUE FÊTE SES VINGT ANS, TAMBOUR BATTANT Vingt ans. Nizan ne voulait pas qu’on lui dise qu’il s’agissait du « plus bel âge de la vie »… Catherine Bolzinger, cheffe du Chœur philharmonique de Strasbourg ne l’entend pas de cette oreille lorsqu’elle évoque les années qui se sont écoulées depuis ce premier concert donné le 11 décembre 2003 avec l’Orchestre philharmonique de Strasbourg (OPS).

uarante-neuf choristes y ont chanté La Symphonie des psaumes d’Igor Strasvinsky sous la direction de Pascal Rophé, ils sont quatre-vingts aujourd’hui à se confronter à tous les répertoires aux côtés de musiciens professionnels et de chefs de renommée internationale. L’attache originelle avec l’OPS a perduré et s’est enrichie d’une collaboration régulière avec l’Orchestre symphonique de Mulhouse, d’un jumelage avec l’Orchestervereien de Stuttgart et de multiples sollicitations à l’international. Sans compter les répétitions commentées proposées en amont des concerts afin de nourrir un lien particulier avec un public large et fidèle. Pour Catherine Bolzinger, c’est sûr, « 20 ans c’est formidable et le meilleur est à venir ».

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CONCERTS ET LIVRE À VENIR Composé d’excellents amateurs triés sur le volet, le chœur a entamé cette saison

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« LA BRUTALITÉ DE CETTE EXPÉRIENCE M’A OBLIGÉE À DÉFINIR CE QUI FAIT SENS ET FORCE DANS LA VIE D’UN CHŒUR ET JE SUIS EN TRAIN D’ÉCRIRE CE QU’ONT ÉTÉ CES MOIS DE PANDÉMIE ET CE DONT ILS NOUS ONT FAIT PRENDRE CONSCIENCE. » Catherine Bolzinger №51 — Décembre 2023 — Éblouissements

jubilaire en octobre avec Le psaume 42 de Mendelssohn lors d’un concert donné de l’autre côté du Rhin avec le Kammerensemble Kehl-Strasbourg et dirigé par l’immense Theodor Guschlbauer par ailleurs président du Chœur philharmonique de Strasbourg. Le 14 décembre, lors du Concert de Noël de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg, il interprétera la Grande messe en ut mineur de Mozart dirigée par Aziz Shokhakimov et, sous la baguette de Catherine, les Quatre motets pour le temps de Noël de Francis Poulenc. En mars, le 27 en l’occurrence et toujours avec l’OPS, ce sera le Requiem de Gabriel Fauré proposé dans le cadre du Festival de Pâques en l’église SaintMathieu de Colmar. Sans compter, ajoute Catherine, l’enregistrement de Daphnis et Chloé de Ravel au printemps prochain. « Chanter ensemble c’est créer une réalité augmentée », affirme-t-elle, plus que jamais convaincue de l’importance du col-

lectif après avoir traversé les confinements. « La brutalité de cette expérience m’a obligée à définir ce qui fait sens et force dans la vie d’un chœur et je suis en train d’écrire ce qu’ont été ces mois de pandémie et ce dont ils nous ont fait prendre conscience. » L’ouvrage paraîtra en juin prochain lorsque Strasbourg sera Capitale mondiale du livre. Il s’intitulera Un chœur à l’ouvrage. À l’ouvrage comme il l’a été hier, comme il l’est aujourd’hui et comme il le sera pour les vingt ans à venir. Au moins. a

.eu r-strasbourg ilharmonique de www.choeu ph ur œ du ch n de cette Un « Cercle a été lancé à l’occasio us : 06 pl » ir rg Strasbou ur en savo om iversaire. Po saison ann rcleduchoeur@gmail.c ce 75 56 21 07

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a C U LT U RE – L ECTURE Véronique Leblanc

Alban Hefti

Lecture de Frédéric de Catriona Morisson

CULTURE ÉCRIRE, LIRE ET DIRE C’EST VIVRE ! Mémoire, transmission, égalité des genres, discriminations, handicap, précarité médicale… Thèmes variés et auteurs de tous âges : pari gagné pour l’opération J’aimerais vous lire lancée à l’hiver 2022 par Delphine Crubézy, directrice artistique de la compagnie Actémo-Théâtre. 68

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«

y ai réfléchi avec les comédiens Nathalie Bach, Frédéric Solunto et Philippe Cousin », raconte-telle. « Nous sortions des confinements et, plus encore que de monter sur scène, nous avions besoin de retrouver de la chaleur humaine. Nous nous sommes aussi demandé où en était la création littéraire régionale. Était-elle toujours visible ? » L’opération est née de ces réflexions croisées avec un travail sur les droits culturels mené par Delphine. « Ces droits confirmés par la loi NOTRe en 2015 peuvent être résumés comme le droit de chacun et chacune à accéder non seulement à sa culture, mais aussi à vivre sa ou ses cultures. Il ne s’agit pas d’un effet de mode, mais d’un phénomène sociétal fondamental », explique-t-elle.

J’

J’aimerais vous lire a été lancé sans contraintes excessives – « nous voulions toucher le plus de personnes possibles, chacun devait se sentir légitime à déposer un texte » – et il concernait théâtre, nouvelles, et la poésie. D’emblée toutefois, un calibrage a été défini dans la perspective d’un prolongement éditorial.

LIRE ET PLUS ENCORE AU LYCÉE GUTENBERG À l’arrivée : 112 textes « de très grande qualité » reçus et examinés par trois comités de lecture, un par catégorie.

« IL S’AGIT DE RESTITUER TOUTE L’INTELLIGIBILITÉ DU TEXTE, D’ENTRER DANS SA RICHESSE, DANS SON RYTHME. » Delphine Crubézy Deux textes de théâtre ont été sélectionnés, deux nouvelles et six poésies. Depuis cet automne, tous sont mis en voix par des artistes interprètes lors de sept « lectures conversations » qui ont débuté en septembre et se poursuivront jusqu’en janvier. « Il s’agit de restituer toute l’intelligibilité du texte, d’entrer dans sa richesse, dans son rythme », précise Delphine. Une action au long cours est menée en parallèle au sein du lycée Gutenberg d’Illkirch-Graffenstaden où six textes sélectionnés par le comité « adultes » seront soumis à un comité d’élèves qui en retiendra trois (théâtre, poésie, nouvelle) afin de les proposer également en séance de lectures/conversations. Depuis janvier dernier et toujours au lycée,

les élèves des métiers de l’édition et de l’impression publient des « gazettes » distribuées dans les médiathèques, librairies, cinémas et théâtre. Ils en prévoient quatre…

APPEL AU FINANCEMENT PARTICIPATIF POUR LA PARTIE ÉDITORIALE Et ensuite ? Clap de fin ? « Pas question », répond en substance Delphine, « nous projetons depuis le début l’édition de l’ensemble des textes sélectionnés ». J’aimerais vous lire… comporte en effet un projet éditorial estampillé Strasbourg, Capitale mondiale du livre 2024 et mené en lien avec l’Espace européen Gutenberg. Reste à le financer… Pour y parvenir, Actémo-Théâtre a lancé une campagne de financement participatif associant les citoyens, une collectivité territoriale et des entreprises avec lesquelles la compagnie aimerait aussi nouer de véritables relations partenariales autour de ce projet de territoire. Un projet fait pour lire, relire, « mettre au travail » ces textes d’auteurs et d’autrices passeurs et passeuses d’une humanité au plus près de notre vie à tous et toutes. a participatif financement Campagne de é.fr sur www.okot aisvouslire67@gmail.com er im ja : ts ac nt Co 66 99 ou au 06 18 82

À VENIR Le 16 décembre, de 14h à 17h Lecture de L’ombre d’une vie de Lucie Lebrun et Peux-tu vraiment rester debout ? de Sylvia Undate À la Salle des Colonnes de la Fabrique de théâtre, 1 rue du Hohwald. Le 13 janvier, de 14h à 17h Màmme de Anne Benni et De mes guerres pour de faux, de mes blessures pour de vrai de Claire Audhuy À la Médiathèque du Neudorf, 1 Place du Marché. contacts : jaimeraisvouslire67@gmail.com ou au 06 18 82 66 99

Delphine Crubézy №51 — Décembre 2023 — Éblouissements

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a C U LT U RE — E N FA NCE Barbara Romero

Sabrina Schwartz

APPLI CHILLHOOD RACONTE L’HISTOIRE ÉPATANTE DE SON ENFANCE Imaginé par trois trentenaires strasbourgeois, Chillhood est le livre de naissance nouvelle génération permettant aux parents d’immortaliser les souvenirs d’enfance de leur progéniture entre récit et photos. Le tout en un rien de temps, grâce à une application mobile ultra intuitive.

uelle maman n’a pas commencé un livre de naissance et abandonné en cours de route ? Trier les photos, les imprimer, les coller, se souvenir des anecdotes... Dans le tourbillon de la maternité, on se laisse vite déborder. C’est en tout cas ce qu’a vécu Camille, 33 ans, quand elle a eu son petit garçon en 2020. « Tous les deux mois, j’essayais de me poser pour constituer son livre de nais-

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Camille, Auriane et Régis, créateurs de Chillhood.

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sance, mais c’était compliqué, je ne me souvenais plus de certains événements. Imprimer, coller, cela prend du temps. J’ai cherché une application mobile qui réunisse livre photos et livre de naissance. Mais rien n’existait. » Elle se dit qu’il y a quelque chose à créer. « Un carnet de bord facile à utiliser, combinaison du livre de naissance et de l’album photos, avec une illustration personnalisable. »

PERSONNALISABLE, UNIQUE, FACILE À RÉALISER EN UNE HEURE DEPUIS SON CANAPÉ !

« DERRIÈRE, IL Y A UN ENJEU DE CONSTRUCTION DE L’IDENTITÉ DE L’ENFANT. SI LES PHOTOS NE SONT PAS IMPRIMÉES, ELLES RESTENT DANS LE CLOUD. NOS PARENTS ONT PEU DE PHOTOS D’EUX PETITS... » Auriane, cofondatrice de Chillhood

toutes les étapes de nos concurrents où tu dois choisir parmi 350 modèles, le nombre de pages, le grammage, pour finir Auriane, son amie designer d’interface, à 100 balles ! » rejoint alors l’aventure. Avec Chillhood, Chillhood, c’est donc un prix fixe oubliez les petits poussins, le bleu pour (59,90 €), 52 pages, une couverture rigide, les garçons, le rose pour les filles, telle- et un book envoyé en 3-4 jours. En bonus, ment clichés. Auriane imagine trois uni- un QR code permet d’intégrer des vidéos vers graphiques tout doux, sans être ou des sons, pour offrir des souvenirs gnian-gnian, permettant de créer un bel encore plus complets à son enfant. Si ces premiers modèles donnent les objet que l’on a envie de collectionner. « Nous avons intégré un chemin de fer qui clés pour raconter l’histoire de sa naispermet aux parents de réaliser le book pas sance, Chillhood peut être détourné à pas, jour après jour, avec un texte inté- comme l’explique Régis, en charge du gré ou libre, précisent-elles. En une heure, développement marketing et commercial tu peux immortaliser sur ton canapé les de l’entreprise : « Nous souhaitons aider à souvenirs de ton enfant sans passer par la création du souvenir, cela peut être le

livre de ses vacances, de sa première rentrée, les modèles sont modifiables. L’idée, c’est de créer une collection. » « Derrière, il y a un enjeu de construction de l’identité de l’enfant, ajoute Auriane. Si les photos ne sont pas imprimées, elles restent dans le Cloud. Nos parents ont peu de photos d’eux petits... » Alors qu’aujourd’hui, plus que jamais, on palpe ce besoin de retour au réel, à l’objet : « A la transmission aussi, confie Régis. Là, on propose un objet que l’on est fier de montrer à son enfant, à papy-mamy... » Une idée ingénieuse suivie et soutenue par Semia, Alsace Active, Tango&Scan, la BPI... Preuve qu’immortaliser des souvenirs reprend tout son sens aujourd’hui. a

Un livre de naissance à collectionner

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S O L U T I O N S

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La Terre demande toute notre attention, est l’engagement de chacun d’entre nous à être, chaque jour, totalement impliqué à atteindre nos objectifs, ambitieux et passionnants, éthiques et pragmatiques, pour l’environnement. Au programme : neutralité carbone en 2050, recyclabilité et réutilisation à 100% de tous nos nouveaux produits et préservation de la biodiversité dans tous nos sites. Parce que notre engagement doit être durable, nous avons créé notre programme d’actions collaboratives « Tous engagés pour la Terre ». wienerberger.fr


a C U LT U RE — H ISTOIRE Alain Leroy

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LE JOUR OÙ… LOUIS-GUSTAVE BINGER INVENTA LA CÔTE D’IVOIRE Né à la Robertsau, Louis-Gustave Binger (1856-1936) était taillé pour l’aventure. Militaire, cartographe, aventurier, explorateur, il fut celui qui prit les Anglais de vitesse en Afrique de l’Ouest pour apporter dans le giron français de nouveaux territoires africains. es aventuriers ne devraient jamais mourir dans leur lit, ils ne sont pas faits pour ça. Quand on a défié la jungle et les bêtes sauvages, affronté les maladies et les insectes qui vous assaillent du matin au soir comme si leur vie en dépendait, quand on a fait le coup de feu contre des tribus hostiles et découvert des contrées inconnues, comment envisager la retraite, les chaussons et l’hiver devant la cheminée ? Alors oui, plutôt mourir là-bas en Afrique, dans ces forêts impénétrables, qu’assis dans son fauteuil dans un pavillon douillet du Val d’Oise avec pour seul horizon un jardin, triste tropique... De Louis-Gustave Binger qui était son grand-père maternel et qu’il n’a connu qu’à la soixantaine bien tassée, Roland Barthes écrivit : « Dans sa vieillesse, il s’ennuyait. Toujours assis à sa table avant l’heure, il vivait de plus en plus en avance, tant il s’ennuyait. Il ne tenait aucun dis-

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Gustave Binger en 1885

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cours. » Comme ces grandes douleurs que l’on dit muettes, les grandes aventures se racontent mal.

UN DESTIN… Car un jour cet homme-là qui s’ennuyait en bout de table a eu un monde à ses pieds. Une ville a porté son nom. Bingerville, capitale de 1900 à 1930 d’un pays dont il avait tracé les contours et avait lui-même baptisé Côte d’Ivoire pour les raisons que l’on suppose. Pour ça, il lui avait fallu vaincre cent périls et accomplir mille travaux. Faire la paix avec le roi de la tribu des Anoh, et bien d’autres souverains encore plus ou moins bien disposés, pour rassembler toutes ces contrées situées entre le cours supérieur du fleuve Niger et le golfe de Guinée sous un seul drapeau. Il proclamera ces régions françaises dans la plus pure tradition coloniale de l’époque №51 — Décembre 2023 — Éblouissements


« L’ODEUR ÉPICÉE ET ÂCRE DE LA LATÉRITE NE MANQUE ÉVIDEMMENT PAS DE L’ENIVRER, C’ÉTAIT COURU D’AVANCE. » quand, dans la foulée de la conférence de Berlin en 1885, toutes les nations européennes qui avaient un peu de moyens se ruèrent sur l’Afrique pour la dépecer. Tout ça au nom de la civilisation, du progrès et de la supériorité d’une race sur les autres. Tout est alors réuni pour ce pillage en bandes organisées. Il y a les fonds, la volonté et puis des hommes comme Binger qui sont des aventuriers dans l’âme, des explorateurs qui rêvent de noircir les taches blanches sur les cartes, des bâtisseurs d’empire. C’est comme ça, c’est leur destin. Lui est né rue de la Carpe-Haute dans le quartier de la Robertsau le 14 octobre 1856. Il déménage avec sa mère à Niederbronn à la mort de son père quand il est encore enfant et puis s’installe à Sarreguemines. Le vent est mauvais, l’orage approche. Bientôt il y aura la guerre et la France la perdra, mais pour l’instant, lui rêve en lisant Jules Verne et les récits d’exploration de Livingstone, de René Caillié ou d’Heinrich Barth qui lui échauffent les sens. Il a quinze ans quand l’Alsace est annexée par le premier Reich, dans la foulée de la défaite de 1870. Impossible de s’imaginer sous l’uniforme allemand, alors le voilà qui franchit la première frontière de son existence et se pose à №51 — Décembre 2023 — Éblouissements

Sedan où il trouve un boulot de peu dans une quincaillerie. Il s’agit de se construire un avenir et, le jour même de ses dix-huit ans, il s’engage au 20e bataillon de chasseurs à pied. Pour un jeune homme, l’armée est alors le plus sûr moyen de voir du pays tout en préparant la revanche contre l’Allemagne parce qu’il faudra bien reprendre un jour l’Alsace-Lorraine, deux générations ont vécu avec cette idée-là en tête. Le sergent, puis sergent-major Binger est un soldat d’avenir. Il rejoint donc, en 1873, la première et toute nouvelle école militaire d’infanterie de l’armée

créée à Avord, dans le Cher. L’infanterie et puis bientôt la marine, le 4e régiment de Toulon, le Sénégal, la Casamance, les embruns, le mal de mer, Oran, Tanger, l’aventure enfin.

LL FAUT LE SUIVRE BINGER, IL MARCHE VITE… L’odeur épicée et âcre de la latérite ne manque évidemment pas de l’enivrer, c’était couru d’avance. Louis-Gustave Binger est de ces hommes qui regardent toujours par-delà la cime des arbres.

Gravure du camp de la mission à Afforenou, en Côte d’Ivoire. Louis-Gustave Binger est assis au centre. a CULT U R E

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« IL REPART QUELQUES TEMPS EN FRANCE, ENVISAGE DE PRENDRE SA RETRAITE, DE SE LANCER DANS LES AFFAIRES ET PUIS FINALEMENT NON, L’AVENTURE EST COMME UNE FIÈVRE QUI VOUS COLLE À LA PEAU. » Palabre avec des chefs africains avant la signature du traité de 1892

Même le nez dans les cartes d’état-major, il ne peut s’empêcher de lever les yeux. En Casamance, il est dans son élément. Il fait le coup de feu contre deux chefs de tribus qui n’ont pas l’intention de se laisser dépouiller de leurs terres comme ça, réfléchit à la construction d’une ligne ferroviaire entre Kayes et Bamako dans l’actuel Mali, devient un temps inspecteur des Postes à Dakar avant de revenir en France où il ne rêve que d’une chose : repartir. Ce qu’il fera, les colonies avaient besoin d’un homme tel que lui pour cartographier, répertorier, explorer, conquérir. Inlassablement, il trace des cartes et puis des routes, l’un n’allant pas sans l’autre. Il redessine le monde, rien que ça. En février 1887, il quitte Bamako en grand équipage et met le cap vers le nord-ouest. Un périple d’une année entière avec sa caravane composée de guides et de porteurs, de pisteurs et de cuisiniers, ses dixhuit ânes dont on devine que tous n’ont pas survécu pour porter pas loin d’une tonne de matériel et de marchandises avant d’arriver à Kong, ville mythique du nord-ouest d’un pays qui ne s’appelle pas encore la Côte d’Ivoire et qui est un immense carrefour commercial. Mais ce n’est pas encore assez loin pour Binger, il a soif, il a faim d’aventures. À peine le temps de se reposer, de rédiger un essai en langue bambara et le voilà qui s’élance vers Grand-

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Bassam, dans le golfe de Guinée. Il faut le suivre Binger, il marche vite. Un périple de 4000 kilomètres quand même et toujours ses cartes et toujours l’influence française qui se déploie dans ses pas. Il consignait tout. C’était son métier et son tempérament. Rien d’étonnant à ce que ce soit lui que le ministère des Colonies sollicite en 1892 pour délimiter la frontière entre les possessions françaises et celles du vieux rival anglais. En mars 1893, il suggère aux autorités que le nom de cette contrée dont il est devenu gouverneur sur ordre du président Sadi Carnot soit « Côte d’Ivoire », puisque c’est de là que les défenses d’éléphant sont expédiées vers l’Europe. Sa gloire est faite, sa vie aussi. Il n’a que quarante ans quand il est nommé directeur des Affaires d’Afrique au ministère des Colonies, mais en Afrique, les années font vite deux fois leur âge. Le héros est fatigué. Il a encore envie bien sûr, mais il est fatigué. Il repart quelques temps en France, envisage de prendre sa retraite, de se lancer dans les affaires et puis finalement non, l’aventure est comme une fièvre qui vous colle à la peau.

résistants africains à l’occupation française qui a lutté pied à pied pendant vingt ans, vient d’être capturé, Binger est appelé à le rencontrer et puis aussi à réorganiser l’armée de la République maintenant que la région est « pacifiée ». Il participe également aux discussions entre la France et l’Angleterre pour trouver un terrain d’entente sur cette terre d’Afrique, pas la peine de se battre, on va s’arranger. En 1898, il est nommé directeur au ministère français des Colonies, poste qu’il occupera pendant dix ans, avant de s’installer dans le Périgord où le climat est plus doux qu’en Casamance, l’air du soir plus frais. Il voyage encore un peu aux États-Unis et au Canada où viennent tout juste de prendre fin les guerres indiennes et à l’époque c’est aussi une aventure. Mais derrière la figure mythique du bâtisseur d’empire, de l’explorateur intrépide, il y a un homme usé et ruiné après avoir investi ses économies dans la Compagnie minière de l’ouest africain français qui a fait faillite. Après la Première Guerre mondiale, c’est une légende qui revient vivre quelques temps à Strasbourg. Il voulait sans doute revoir la cathédrale et flotter le drapeau français sur son Alsace natale avant de mourir, ce UN HOMME USÉ qui ne sera pas pour tout de suite même si c’était déjà le cas, d’une certaine façon. ET RUINÉ Avant, il lui faudra encore s’ennuyer de Alors, le revoilà bientôt au Sénégal. longues années en regardant son jardin L’empereur Samory Touré, l’un des grands et en rêvant de l’Afrique… a №51 — Décembre 2023 — Éblouissements



a CULT URE — P ORT FOLIO

LA BARBE ! L’idée de départ est venue d’un des plus anciens photographes de notre rédaction. Alban Hefti, en septembre, nous a dit un jour : « À mon sens, il y a de plus en plus de barbus dans la rue, ils ont des visages très expressifs, j’ai envie de les faire poser devant mon objectif. En parlant un peu avec eux, cool, je pense même pouvoir shooter des expressions sympas… » On lui a dit immédiatement banco. Parce qu’Alban a toujours été du genre à tenir ses promesses d’une part, et parce que nombre des conversations toujours passionnantes que nous avons eues avec lui depuis longtemps nous ont abondamment prouvé qu’il avait parfaitement assimilé qu’un travail de street photographer ayant l’humain comme thématique doit se réaliser avec un vrai œil journalistique. Pour le treizième anniversaire (notre numéro 1 date de décembre 2010) d’un magazine qui a toujours été réalisé par des journalistes, Alban Hefti prouve qu’il est devenu un véritable reporter de l’image : les visages de ses modèles d’un instant racontent tous une histoire. À vous d’imaginer laquelle… Jean-Luc Fournier

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S ACT UA L I TÉ — RIDEAU S UR L E M ARCH É DE NOËL LE 2 4 DÉ CEM BRE... Barbara Romero

Nicolas Rosès

Marché de Noël , s e t s i r u o t s i Am , s r e i l o c é s t i t e p s n a l p s n o b s o n e r o c n e pour r e t fi o r en p Les petits Strasbourgeois seront à peine sortis de l’école – le 22 décembre au soir – qu’à Strasbourg, le marché de Noël 2023 baissera le rideau deux jours plus tard. Sans parler des touristes qui seront une nouvelle fois étonnés, comme l’an passé, de voir des chalets démontés plutôt que de boire un vin chaud à la lumière des lampions. Heureusement, ailleurs en Alsace, la magie de Noël se poursuit au-delà du soir du réveillon. №51 — Décembre 2023 — Éblouissements

éjà en 2022, la municipalité écologiste avait décidé de fermer le marché de Noël le 24 décembre au soir pour des raisons d’économie d’énergie. Malgré une affluence record (2,8 millions de visiteurs, – ndlr) les commerçants ont fait part dans la presse de leur regret et du manque à gagner. Surtout lorsque l’on sait que la semaine du 26 décembre est la plus fréquentée.

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Pour autant, la maire est catégorique : le marché de Noël de Strasbourg fermera désormais ses portes le 24 décembre. S ACTUAL I TÉ

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Le marché de Noël de Strasbourg 2023 fermera le 24 décembre au soir.

« Strasbourg est et restera un marché de l’Avent, ont annoncé Jeanne Barseghian et son adjoint Guillaume Libsig. Par ailleurs, le marché de Noël s’inscrit dans le cadre d’une menace terroriste, nous nous calons sur nos homologues allemands, Dresde ou Zurich, et fermerons désormais le marché de Noël le 24. » Voilà qui est dit…

féérie des marchés de Noël. Ils pourront y aller pendant quatre semaines, nous direz-vous. Probablement entre deux devoirs, cours de danse ou entraînement de foot. Certainement pas les week-ends impraticables pour les locaux !

On a aussi de la peine pour les petits Strasbourgeois qui déjà devront attendre jusqu’au 22 au soir pour ranger leurs cartables, mais en plus ne pourront même pas profiter durant leurs vacances de la

À l’heure où nous bouclions ce numéro, dans un contexte national et international extrêmement tendu, nous n’avions aucune information sur les mesures Vigipirate décidées pour cette édition 2023. S

Pourquoi commencer les festivités le 24 novembre, un week-end avant la période de l’Avent ? Pourquoi ne pas faire LES VILLES ET VILLAGES durer un peu la magie au-delà du 24, comme Obernai, qui prolonge les festivités ALENTOUR JOUENT jusqu’au 31 décembre, Colmar et Sélestat LES PROLONGATIONS jusqu’au 29 décembre, Mulhouse, jusqu’au Au-delà des considérations commer- 27 décembre, Haguenau, Eguisheim ou ciales, on a quand même de la peine à Turckheim, jusqu’au 30 décembre. Ouf, l’idée de revoir, comme l’édition passée, en un coup de TER, les touristes et bamdes touristes errer dans les rues de la binos pourront trouver l’ambiance des marville entre les mignons petits chalets, chés de Noël authentiques. tous fermés, alors qu’ils ont payé cher leur ticket d’entrée, avec des hôtels ou À Strasbourg, qui ambitionne de faire de Airbnb affichant des prix frôlant l’indé- « Strasbourg, capitale de Noël », un fescence en cette période. La double-peine ? tival, on vous promet en revanche foule Déambuler dans la ville à la recherche d’un d’animations et de spectacles pour la prerestaurant ouvert les 25 et 26 décembre, mière semaine des vacances. On l’espère : et sans l’option munstiflette et vin chaud. qu’on aime ou non le marché de Noël, la Qu’ils se rassurent, il y aura toujours les ville aurait vraiment des allures de gueule burgers, si typiques des traditions culi- de bois géante sans au moins quelques naires régionales. festivités pour les petits écoliers.

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S ACT UA LI T É

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S ACT UA L I T É — RESTAURA N TS Barbara Romero

Nicolas Rosès - DR

Manque de personnel, coût de l’énergie, inflation Les restaurateurs indépendants face à la crise Il est révolu le temps où le patron menait la danse et pouvait exploiter, voire terroriser ses employés. Aujourd’hui, les restaurateurs sont sous tension entre les difficultés de recrutement, le coût de l’énergie ou l’inflation. Résultats : ils rivalisent d’ingéniosité pour séduire et conserver leur personnel. Ce qui se ressent forcément dans l’addition...

Jacques Chomentowski, patron du Coco Lobo et président de l’UMIH67, section débits de boisson et établissements de nuit.

près les années de pandémie, où la profession de restaurateurs a été la plus touchée, Jacques Chomentowski, patron du Coco Lobo et président de la section débits de boisson, établissements de nuit de l’UMIH 67 (Groupement des hôteliers restaurateurs débits de boisson) commente : « Elle a été aussi la plus aidée, mais aujourd’hui, Noël, c’est fini ! » Depuis le retour à la normale, les restaurants et bars n’ont jamais été aussi pleins, « mais on se bat sur le front des tensions concernant le personnel, l’augmentation des tarifs de l’énergie, notamment pour ceux qui ne bénéficient pas du bouclier tarifaire fixé jusqu’à 36 kWh et la hausse du prix des matières premières », ajoute Jacques Chomentowski. À titre d’exemple, Cédric Kuster, propriétaire du restaurant La Casserole, rappelle que le prix au kilo du maigre était de 12-15 € il y a huit ans, contre 29 € aujourd’hui. En un an, le foie gras est passé de 30 € à 62,50 € le kilo, « et pour en trouver du français, c’est la croix et la bannière », confie le restaurateur. Résultat : le prix dans l’assiette augmente. « L’inflation est terrible, appuie Cédric Kuster. Nous sommes obligés d’augmenter nos prix, sans trop les gonfler non plus. Il s’agit de trouver des petits tiroirs pour augmenter l’addition, comme en ajoutant des options, ou grâce aux digestifs qui reviennent à la mode. »

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« Ce ne sont pas des machines, mais de vraies personnes. Chez nous, il n’y a pas un mot plus haut que l’autre. » Cédric Kuster

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Un point de vue partagé par Jacques Chomentowski : « Mes collègues qui ont peur d’augmenter leurs tarifs se trompent, c’est une erreur de gestion, car nous n’avons plus le choix. »

OBJECTIFS : TROUVER DES AVANTAGES SOCIAUX À l’augmentation du prix des matières premières s’ajoute celle des salaires. « Face à la tension du marché, nous devons trouver des avantages sociaux, précise Jacques Chomentowksi. Les grilles de salaires ont augmenté de 16 % l’an dernier et ont été réévaluées au 1er octobre. Par ailleurs, le SMIC hôtelier est 5 % plus élevé que le conventionnel. Alors quand j’entends notre ministre Élisabeth Borne dire que nous sommes des esclavagistes… »

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Depuis qu’il a ouvert, il y a quinze ans, le Coco Lobo a enregistré sa meilleure année en 2022-2023 : « Mais je n’ai pas gagné un centime de plus, rapporte-t-il. Ma masse salariale a augmenté de 18 %, dont 14 % liés à l’augmentation des salaires, et ce n’est pas parce que je me suis gavé de personnel. » Même son de cloche chez Jacques Lorentz, président des restaurateurs de l’UMIH pour la section Strasbourg, et propriétaire de l’hôtel-restaurant Au Tilleul, à Mittelhausbergen. « Celui qui paye à la sortie, c’est le client, je n’ai jamais aussi bien travaillé que cette année, avec une équipe réduite. Nous avons fait le choix de fermer le soir depuis trois mois, on fait avec le personnel que l’on a, car il est hors de question d’être en souffrance. » Face au manque de personnel, bichonner et motiver ses troupes est devenu sa

priorité. « Depuis un an, nous avons mis en place une démarche RSE avec un coach au travail qui emmène les équipes vers davantage de bien-être. 80 % de mes collaborateurs ne travaillent pas le week-end, nous avons mis en place plusieurs systèmes de prime, et nous organisons des journées récréatives pour créer une cohésion. Les gens ne vont plus au boulot pour aller au boulot, ils veulent se sentir bien. » Actuellement à six, contre les onze nécessaires à la bonne marche de l’équipe, Jacques Lorentz s’adapte. « On paye pour nos pères qui n’étaient pas des managers, reconnaît-il. On a détruit l’image de cette profession, alors que c’est un métier-passion, où l’on peut faire passer des émotions, rencontrer des personnes qu’on n’aurait jamais croisées par ailleurs. » Un sentiment partagé par Cédric Kuster, qui a créé une véritable « marque employeur » pour fidéliser son équipe. « Je suis passé de cinq collaborateurs en 2015 à onze aujourd’hui, avec les mêmes plages horaires. Il faut, depuis le COVID, créer du confort pour le personnel. De mon côté, je ne peux pas éviter les coupures, ce qui fait quand même des journées à rallonge. Donc pour les retenir, je ferme les dimanches et lundis, à Noël et Nouvel An, et j’ajoute une soirée par semaine par collaborateur. » Le jeune patron de la Casserole emmène aussi régulièrement ses équipes prendre l’air, et a mis en place un système de Comité d’entreprise online, pour leur permettre de collecter quelques euros par mois, « et s’offrir un bon resto. Ce ne sont pas des machines, mais de vraies personnes. Chez nous, il n’y a pas un mot plus haut que l’autre. » Si les patrons ne mènent plus la danse, ce sont bien eux qui donnent le tempo. S №51 — Décembre 2023 — Éblouissements


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Olivier Klein Le dernier des Mohicans ue ce soit chez Porcus ou à la Fondée en 1933, la Maison Klein Maison Klein boulevard d’Anvers, tient la barre et poursuit son on est loin de l’image vieillotte du ascension. Alors que Frick-Lutz boucher qui convaincrait n’importe quel de devenir végan. Qualité de l’aca définitivement baissé le rideau viandard cueil, produits présentés avec soin dans rue des Orfèvres après cent ans un cadre contemporain et alléchant. Dans deux établissements, les anciens, pard’existence, Olivier Klein se réjouit les fois fidèles depuis leur apprentissage, et d’une activité en progression la jeune génération, illustrent ce qui fait constante. Sa recette : des produits le succès de la Maison Klein : la tradition dans l’innovation. de qualité, un service client au Fondée en 1933 par les grands-patop et le sens de l’innovation. rents Klein à la Krutenau, la boucherie-

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charcuterie-traiteur a été gérée d’une main de fer par la grand-mère d’Olivier de 1952, année du décès de son mari, jusqu’à 1965. Le père d’Olivier, Alfred Klein a géré la Maison jusqu’en 1992, avant de se consacrer à son laboratoire de charcuterie et de laisser les manettes à son frère, qui décide de vendre à la famille Schweibel (Maison Artzner – ndlr) en 1999. Olivier Klein, qui s’était exporté à Paris, Nantes et Bordeaux, décide en 2014 de racheter l’affaire familiale. « J’étais très heureux de

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« À 12 ans, mon père m’a réveillé un samedi à 5h45, et à 6h15, j’étais en blouse,aux Abattoirs de Schiltigheim,entouré des trois plus “gros clients” de la région, Jean Lutz, Jean-Paul Kirn,et Alfred Klein. J’ai toujours eu beaucoup de respect pour ces trois hommes. »

Natacha Bieber

Olivier Klein

Valentin Dive

revenir et de retrouver tous mes souvenirs, confie-t-il. Dès le départ, j’ai injecté un million d’euros pour moderniser l’outil de travail, refaire le magasin historique boulevard d’Anvers. Pendant les travaux, nous sommes retombés sur les mosaïques bleu ciel que mes grands-parents avaient posés en 1949. Pas un carreau n’était brisé. En 2021, nous avons refait la cuisine et l’atelier boucherie, j’ai retrouvé les carreaux rouges et blancs sur lesquels j’ai appris le métier. »

EN ALSACE, LES BOUCHERSCHARCUTIERS SONT CONFRÈRES, PAS CONCURRENTS Un métier que son père lui a fait découvrir dès ses 12 ans. « Un samedi matin, il m’a réveillé à 5h45, et à 6h15, j’étais en blouse, aux Abattoirs de Schiltigheim, entouré des trois plus “gros clients” de la région, Jean Lutz, Jean-Paul Kirn, et Alfred Klein. J’ai toujours eu beaucoup de respect pour ces trois hommes. Aujourd’hui, je ne peux pas me réjouir de la fermeture de Frick-Lutz. Cette maison a été fondée en 1830, c’est la plus ancienne de Strasbourg. En Alsace, contrairement au reste de la France, nous sommes réunis en corporation de métiers, nous sommes confrères et non-concurrents depuis trois générations. » S’il avait fait une proposition de rachat de trois boutiques Kirn en mars 2019,

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« refusée par Jean-Paul Kirn alors que j’avais fait une offre de moins 10 % », il n’en est plus question pour lui aujourd’hui. « Le loyer est exorbitant rue des Orfèvres en valeur absolue », confie-t-il. Olivier Klein travaille plutôt au développement de son activité sur Internet, « avec cette contrainte de pouvoir intégrer sur un e-shop ce qui fait l’ADN de notre maison : le sens sincère du Bonjour, comment allez-vous et merci ». Si l’on aurait pu penser que le secteur de la boucherie était en baisse, à la Maison Klein, c’est tout le contraire. « Les gens mangent moins de viande, et c’est très bien. Nous partageons chez Klein la conscience de la responsabilité mutuelle, de l’importance de l’équilibre alimentaire. Nous vendons de la viande, de la charcuterie, mais aussi huit propositions de légumes et seize salades chaque jour. » La spécificité de la maison, c’est aussi le soin accordé à la mise en place. « Cela m’a été transmis à Paris par Hélène, Mamema comme je l’appelais, à l’époque ». En 2014, il a doublé son chiffre d’affaires. Idem en 2015. Le Covid « a également favorisé notre croissance, les gens voulaient mieux manger, on a revendu plus de produits crus. En 2020, nous avons fait trois mois de décembre en cinq mois ! Mais déjà en février, nous avions enregistré plus 25 % de chiffres grâce à une nouvelle clientèle. Pourquoi ? Car l’on fait bien notre métier. » Au bout de 90 ans d’activité, la Maison Klein en connaît un rayon sur la notion de qualité. S

LA RELÈVE EST ASSURÉE Natacha Bieber, la première, a ouvert sa coquette boucherie place Saint-Étienne en 2019. Un bel établissement, où la jeune bouchère reconvertie accorde un soin particulier à la présentation de ses produits bruts ou de ses recettes gourmandes. Passionnée, elle connaît chacun de ses éleveurs et ne sélectionne que le meilleur. « Heureusement que j’ai pu ouvrir durant le COVID, cela m’a permis de me faire connaître, de me roder, confie-t-elle. Ma clientèle ? C’est tout le monde, les mamies du quartier, des jeunes qui veulent préparer un baeckeofe, des clients qui viennent de partout. » Seule au départ, elle emploie aujourd’hui trois personnes dans son véritable commerce de proximité où l’on prend plaisir à se retrouver. Plus récemment, en mars de cette année, Valentin Dive s’est aussi reconverti de la finance à l’artisanat. Le « Boucher bien élevé » travaille la carcasse entière d’éleveurs locaux. « Ici, on ne vend que de l’Alsace, préciset-il. Nous faisons tout maison. Je pense que nous sommes les seuls à proposer du saucisson sec 100% made in Strasbourg ! » Tous les deux constatent que contrairement aux idées reçues, les Français mangent toujours de la viande. « Nous avons chacun nos spécificités, mais dès que l’on propose de bonnes choses à un bon rapport qualitéprix, cela fonctionne », conclut Valentin.

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S ACT UA L I T É — ÉC ONOMIE Marine Dumeny

Alban Hefti

Michel Hussherr Business angel made in Strasbourg Alternative et complément aux financements des start-up par les banques, le business angel est aussi mentor et œil critique sur un projet. À Strasbourg, Michel Hussherr est un de ces « anges investisseurs ». Depuis deux ans, il partage son expérience avec d’autres investisseurs potentiels via les Cajuba night entraînées par son fond de financements, la Financière Cajuba. Portrait de l’homme, et ses affaires.

sa philosophie d’investissements. « Mon choix a été, dès la naissance de Cajuba en 2015, d’investir sur quasiment tous les secteurs en mettant à disposition mon expérience et mes compétences ». Un secteur omis, cependant, la santé, pour cause d’une R&D souvent bien trop longue et coûteuse. Néanmoins, le pragmatisme trouve sa balance : « J’investis surtout dans une équipe et un projet ». Son « portefeuille de start-up » soutenues, il l’évalue à une quarantaine de projets. Entre prises de risques, réussites quasi assurées et investissements « plaisir », Michel Hussherr gère ses investissements avec discernement, diaporama et chiffres à l’appui. Celui qui compte au nombre de ses réussites la start-up de gaming Voodoo, fondée par deux Alsaciens, dans laquelle il est entré à 50 000 euros et qui en vaut désormais 2,7 milliards, repère ses investissements en suivant les jeunes Français sortis du MIT. Ce n’est pas sa seule sortie heureuse. À chaque gain, toujours via la financière Cajuba, créée après avoir vendu les parts de sa première société (Library LDE), le business angel a réinjecté dans de nouveaux projets.

LES CAJUBA NIGHT : INVITATION À INVESTIR

e ton est posé, le verbe clair, et l’échange franc. Michel Hussherr est un ancien entrepreneur qui ne sait se contenter d’une seule case. Brièvement passé par la direction de l’incubateur Semia, aujourd’hui business angel, cet homme d’affaires strasbourgeois est également un philanthrope à la tête d’une ONG : Burkinasara. Cette dernière a pour fil conducteur d’apporter un soutien aux entrepreneurs au Burkina Faso. Une vie bien remplie, notamment rythmée par la Financière Cajuba, fer de lance de son activité de business angel. Lorsqu’il est interrogé sur la raison de ces prises de risques financières, l’intéressé s’enthousiasme : « Pour l’aventure ! ». Évidemment, le résumer en ces termes serait simpliste, et naïf. Pour comprendre de quoi il retourne, il faut tout d’abord

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saisir ce qu’est un business angel et sa raison d’être. Plébiscitée par les entrepreneurs, cette solution est née de l’attitude devenue plus timorée des banquiers d’affaires, bien plus frileux depuis la crise de 2008 comme l’indique le rapport conjoint de 2015 de la Bank for International Settlements et du FMI sur la perception du risque en banque. Pour Michel Hussherr, il s’agit « d’apporter une expérience, un ajout de valeurs, en plus de fonds, sinon il n’y a pas d’intérêt. Ni pour l’entrepreneur qui se lance, ni pour moi ».

L’HUMAIN DERRIÈRE LE PROJET : UNE IMPORTANCE PHARE « J’ai appris à appréhender mes coups de cœur “réflexes” », sourit-il en évoquant

Désireux de partager son expérience, qu’il a également déclinée dans un programme d’accompagnements aux ÉtatsUnis, Michel Hussherr a créé les Cajuba Night pour inviter d’autres investisseurs potentiels à se lancer. Le principe ? Permettre à une start-up de pitcher son projet devant une salle d’investisseurs. Si l’équipe convainc la majorité des personnes venues l’écouter, elle est amenée à présenter dans les semaines qui suivent ses locaux et ses collaborateurs. Une décision est ensuite prise par chaque participant quant à un investissement au regard des échanges menés. En cas d’investissement à la suite de ces soirées, l’homme d’affaires, conscient que « tout ce qui est gratuit fait de nous un produit » prélève un pourcentage de 3 à 5 %. Un modèle bien rodé, désireux de faire naître de nouveaux talents, qui séduit doucement, mais sûrement la sphère strasbourgeoise. S №51 — Décembre 2023 — Éblouissements


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« Notre époque à nous c’est celle des “Trente sérieuses” ». Punchline municipale d’automne ! Youhoo ! Pô Pô Pô. Rentrée des classes dans ta face. Guillaume Libsig aux manettes. P... je n’ai pas commencé cette chronique qu’elle me fatigue déjà, Tato…

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e la savais dure par avance au regard de l’actualité internationale, mais là… comment te dire. Parfois, je me dis que j’aurais dû faire député européen. Ça m’aurait au moins permis d’être dérouté vers Marne-laVallée le temps d’une petite pause chez Mickey. « Quand la magie prend vie », c’est comme ça qu’ils disent chez Disney ! Un peu comme au PSG. Bien plus que dans nos travées ciel et blanches à picoler du Picon Maggi bière en attendant que Footix réveille public et commentateurs de France Bleu, plongés, bien malgré eux, dans une longue inertie footballistique.

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À peu de choses près, on se croirait presque en conseil municipal. À part MC Libsig et ses punchlines sorties d’une palote scène de Comedy club, rien à dire ce mois-ci. En lisant bien Pokaa, j’aurais pu ajouter quelques fanfarons à la liste : Pernelle Richardot : « Votre ambition a dû se perdre dans les limbes de vos fiches ! » ; Catherine Trautmann : « Mieux vaut des chevaux que des LBD », Floriane Varieras, №51 — Décembre 2023 — Éblouissements

adjointe à la maire, en charge de la ville inclusive et son affligeant : « Oh, faut vraiment que j’aille fumer ». Les « Trente sérieuses » débutent comme un match de Vieira : mal.

TATANNE ET L’ESCAPE GAME Non, à part ça, Mickey, quelques sangliers en quête de vers de terre, paumés dans le Jardin des deux Rives, et dont l’unique intérêt semble se résumer à relayer un « bon mot » de Frédéric Obry, président des chasseurs du Bas-Rhin – « Piéton contre sanglier ça fait mal, cycliste contre sanglier, c’est encore pire » – rien de bien enthousiasmant à se mettre sous le bec. Resterait encore Tatanne et sa dernière excursion CTS avec sa petite fille : 15 balles d’amende pour absence de justification de ticket de gratuité pour enfant de moins de 18 ans. « Qu’est-ce qui me prouve qu’elle n’est pas majeure ? », lui a lancé le contrôleur. « Elle a cinq ans ! À vue d’œil, vous ne voyez pas la différence ? »,

a tenté Tatanne. « La bêtise de cette ville m’épuise vraiment », m’a-t-elle confié avant de raccrocher. Comment lui donner tort, au moins en matière de transports dont chaque sortie ressemble à s’y méprendre à une plongée dans le monde de Brazil. À pied : veiller à ne pas se prendre un vélo ou une trottinette électrique zigzagant entre deux trottoirs. À vélo : éviter de perdre mamie harnachée dans la box du vélo cargo. En bus ou en tram : s’informer sur les lignes bloquées par des travaux dignes d’Hidalgo. En voiture : éviter tout ou presque ce qui précède et souscrire un prêt bancaire pour financer son stationnement. Strasbourg, capitale de l’escape game : on ne l’avait pas encore celui-là ! Un label que seule Paris pourrait encore nous contester. Bonne nouvelle, néanmoins : à mesure que les commerces poursuivent leur mise sous scellés, nos rues devraient proportionnellement gagner en fluidité. La Ville n’en a semble-t-il pas encore pris conscience, mais de l’infirmière au réparateur et autre S ACTUAL I TÉ

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« La bêtise de cette ville m’épuise vraiment, m’a-t-elle confié avant de raccrocher. »

plombier, à moins de s’appeler Messmer, convaincre un libéral d’exercer ses talents auprès d’une clientèle insulaire nécessite de plus en plus une force de persuasion proche de celle d’un Jedi.

à voir émerger de nouveaux EPR made in France, seule alternative malheureusement encore crédible pour assurer nos besoins énergétiques, hors ressources fossiles détenues de toute façon par les mêmes que nous dénonçons à chaque EN ATTENDANT sortie militante. La géothermie pourrait être une solution alternative, mais ses GODOT « soubresauts » n’ont guère plaidé en sa Sans doute, une fois déduits les coûts de faveur au cours des dernières années. production de nos nouveaux modes de transports individuels et collectifs parti- Tout aussi curieux que moi, Tato l’attend culièrement gourmands en matières pre- avec gourmandise le plan d’action des mières et autres minerais rares, le sésame « Trente sérieuses ». Parce qu’à moins de vers les « Trente sérieuses » s’ouvrira enfin bousiller les réserves de l’Arctique – chose à nous. Pour peu que les épisodes de à laquelle le pingouin que je suis se refuse – sécheresse ne viennent perturber notre autant dire qu’on risque de l’attendre industrie hydro-électrique, que la Chine encore longtemps notre Godot local. délaisse son quasi-monopole sur la proRADIO PANOT duction de panneaux solaires que les Bâtiments de France rechignent de toute façon à autoriser sur les toits du centre- En attendant le Saint-Graal, les punchlines ville ; que Pékin, Moscou et Mumbai de notre élu lui ouvriront-elles peutrenoncent à leur mainmise sur la pro- être au moins une carrière sur France duction de l’aluminium nécessaire à la Inter ou auprès d’un parti allié, à comfabrication des pales d’éoliennes que mencer par LFI, tant le positionnement personne ne veut voir de sa fenêtre ; et spongieux de sa cheffe avec les que nos opinions publiques se résignent proches de Mélenchon pourrait lui

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« (...) mais s’il ne s’agissait que de se concentrer sur les vies civiles, peut-être qu’hisser leurs deux drapeaux unis contre les haines dirigeantes aurait pu atténuer les tensions naissantes. »

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ouvrir les portes d’une nouvelle carrière artistique. Pas sur tout, bien sûr, notre maire et son équipe comprenant bien la différence entre terrorisme et résistance. Mais à force de reprendre Radio Panot, rien n’interdirait une petite bouffée d’ivresse. Deux jours pour réagir à l’innommable, pas bien davantage pour retirer le drapeau israélien hissé en hommage aux victimes du Hamas. Instantanéité de positionnement, presque, avec LFI, pour accuser à tort Tsahal de la frappe sur l’hôpital de Gaza, en lieu et place du Djihad islamique.

INVISIBILISER L’HORREUR Je peux comprendre l’émotion suscitée à mesure que les corps tombent, d’un côté comme de l’autre, israélien et palestinien, mais s’il ne s’agissait que de se concentrer sur les vies civiles, peutêtre que hisser leurs deux drapeaux unis contre les haines dirigeantes aurait pu atténuer les tensions naissantes. Mais à cela, choix a été fait de n’en faire vivre qu’un pour mieux le rejeter ensuite à terre.

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« J’ai peur, pour moi, pour mes enfants, que ce conflit ne vienne frapper à notre porte », me confiait il y a quelques jours notre voisine de palier. De l’opposition municipale – pour une fois unie – au grand rabbin de Strasbourg, Harold Avraham Weill, qui s’interroge encore sur la sensibilité réelle de notre maire face « au sort réservé par de sanguinaires terroristes à plus de 1 200 hommes, femmes et enfants brûlés vifs, décapités, violés, torturés dans des conditions qui dépassent l’entendement », nul n’a compris. Réponse de Petit Poney Rose au malaise ambiant : « Les drapeaux génèrent des passions, des émotions et nuisent à la portée du message de Strasbourg ». Strasbourg et « nos valeurs : État de droit, démocratie, égalité, non-discriminations ». Les drapeaux « divisent » plutôt qu’ils ne « rassemblent ». Question ; « Sont-ce vraiment les drapeaux qui divisent ou la soumission à leur opposition qui éloigne les peuples ? », m’a alors lancé Tato. Perso, j’aurais bien aimé entendre des « Hamas dehors ! » dans les cortèges pro-palestiniens et des « Netanyahu complice » dans

ceux, pro-israéliens, unis dans une même envie d’en finir avec les briseurs de paix. Et ne me dites pas que c’est impossible, parce que nos aïeux l’on fait ici même, de part et d’autre du Rhin. Principale différence, les responsables politiques de l’époque ne cherchaient peut-être pas à se cacher des semeurs de mort, à invisibiliser l’horreur à coup de plaquettes grotesques ou de déflocage d’autres drapeaux – arménien et ukrainien en tête –, initiative dont seuls ressortiront renforcés ces autres marionnettistes que sont Poutine et Aliyev. Le courage politique, se hisser à hauteur de l’histoire de notre ville : c’est peut-être par cela que pourraient débuter ces fameuses « Trente sérieuses ». « Une fois dans sa vie, juste une fois, on devrait avoir suffisamment la foi en quelque chose pour tout risquer pour ce quelque chose », écrivait André Breton. Travailler à la concorde de tous : d’une certaine façon un peu l’esprit d’une liste gagnante il y a trois ans, et dont on en attend encore la substance. S №51 — Décembre 2023 — Éblouissements



S ACT UA L I T É — UN E JOURNA L ISTE U KRAI NI ENNE E N FRANCE Maria Pototskaya

MARI IN BORDERLAND La guerre en Ukraine est terminée ! Je me représente très bien l’image qui doit défiler depuis le 7 octobre sur les chaînes de télévision françaises et européennes. Une image tournée à 2 131 km de Kyiv, le long de la Bande de Gaza, nourrie de tirs massifs de roquettes, d’armes automatiques, de tueries de masse et de prises d’otages.

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e 7 octobre, Hamas et Djihad islamique ont repris possession de vos écrans, avec une audience sans doute encore plus grande que celle de nos morts. Croyez-en la journaliste télévisée que je suis, le coût d’une telle télé-réalité est bien plus élevée que celle d’une fiction. Poutine ne s’est pas privé de nous l’apprendre. Selon une estimation du magazine Forbes, la Russie a déjà dépensé 22,8 milliards de dollars en attaques de missiles contre l’Ukraine. Et pour l’ouverture de la saison 3, le Kremlin est déjà prêt à en investir 112 autres en 2024. En tant que citoyenne d’une ville sise à 40 km des premières positions russes, je ne serais pas contre un gel de son enveloppe budgétaire. Encore moins contre une durée de diffusion bien moindre que celle de Guiding Light – en français, Les vertiges de la passion, feuilleton télévisé américain de 18 262 épisodes, diffusés entre 1952 et 2009 sur le réseau CBS.

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Non à tort, beaucoup ici craignent désormais qu’Israël et le Proche-Orient ne saturent vos écrans et que certains №51 — Décembre 2023 — Éblouissements

finissent même par croire que la guerre en Ukraine est terminée. Gageons qu’Israël se défasse des alliés de Moscou un peu plus vite que nous, pendant que nos futurs cadres ukrainiens peaufinent leur formation universitaire du mieux qu’ils le peuvent : économie, leadership, droit international public et européen, procédure pénale, droit communautaire et sécurité européenne. Tout leur est enseigné jusqu’à la gestion des aprèsguerres en territoire alsacien, dont le parallélisme avec nos quatre oblasts orientaux partiellement annexés ne relève pas de la chimère.

NOËL APPROCHE… Côté bien-être corporel, outre une immunisation du corps et de l’âme à renfort de douches froides et d’absence de chauffage – l’option « luxury » à laquelle vient finalement de renoncer l’administration de l’Université ne sachant trop si l’engouement des étudiants face à ce programme ne favoriserait finalement pas une transition trop rapide de leurs protégés en

adeptes de Katniss Everdeen ou Peeta Mellark – des marches nocturnes rythment encore assez régulièrement les pyjamas partys estudiantines jusqu’à l’abri souterrain le plus proche. Selon la durée de l’épreuve, certains choisissent de séjourner sur place, quand d’autres, sélectionnés pour la Shahed’s Academy préfèrent travailler leur respiration dans les dortoirs entre deux interceptions de drones iraniens par une batterie Patriot. Point d’incertitude, certains débris restent susceptibles de s’écraser à quelques mètres des fenêtres de nos têtes blondes. Mais là aussi tout est prévu : une plaque de contreplaqué soigneusement stockée non loin d’un lit étudiant suffit à calfeutrer la nouvelle entrée d’air. Petit regret, presque, la livraison par la France de missiles de croisière SCALP EG à longue portée, a depuis peu restreint la régularité de cet exercice manuel. Mais rassurons-nous, le complexe militaro-industriel russe semble depuis quelques semaines se porter à son meilleur niveau et tourner à nouveau à plein régime. Nous voilà rassurés. Noël approche. S S ACTUAL I TÉ

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S ACT UA L I T É — L E PA RTI-P RIS DE THI ERRY JOBARD Thierry Jobard

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r aptise b e r e iant ion d oposit ma. Et l’étud bien r p a l e rd Oba é émis ilson a a t v é W e i l a s e, u t o e nb men ondial es er qu l m e p e r p r Récem ard Wilson e a e r Gu mêm ée de lev emière oser d’eux- ique r P le bou e de cette id a l p t de in s à dis ent une poli ale, ueurs e l q p n i u à l’orig a e v fat sp em n des roit de il mena égal la question, d u été l’u d r ù oteu SDN, irs. D’o o N le prom ateur de la s e d s? tig l’égard e passe plu à et l’ins e r i o n inat qui discrim d’un passé ire que fa

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hanger des noms de rues est l’une des manifestations récentes du refus de tolérer dans l’espace public l’expression de politiques racistes ou ségrégationnistes passées. Certains se récrieront qu’il y a là une forme de révisionnisme liée à l’ignorance de la complexité de l’Histoire. C’est là la position d’une critique très à droite, sinon très adroite qui récuse l’injection de moraline dans notre regard sur le passé.(1) Cette critique a beau jeu alors d’avancer qu’à cette aune, les Chinois, Ouzbeks et Bulgares devraient intenter un procès aux descendants de Gengis Khan pour les saccages, étripages et décervelages pratiqués à tour de bras d’un bout à l’autre de la steppe. Ils s’en iraient d’ailleurs de même avec les Perses, les Grecs, et les Romains, qui n’étaient pas non plus toujours très décontractés.

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Et puis, sans aller aussi loin, on pourrait fouiller dans le « petit tas de secrets » de chacun et se dire qu’Obama a favorisé le massacre des Syriens (souvenons-nous d’Alep) en retirant les troupes américaines ou que les assassinats ciblés par drones ont produit un certain nombre de « dommages collatéraux », etc. Voltaire a fait plus que quiconque pour la liberté d’expression et la tolérance, mais possédait des actions dans des plantations exploitant des esclaves. Churchill a mené la guerre seul face à Hitler à partir du printemps 1940, mais souhaitait maintenir l’Empire britannique et la sujétion des colonies. Jules Ferry est le père de l’école laïque, gratuite et obligatoire, mais a encouragé une expédition militaire au Tonkin. Gandhi lui-même, modèle s’il en fut par le passé grâce à sa démarche non violente, a envoyé des lettres gênantes à Mussolini et avait un faible pour les très jeunes filles. N’a-t-on pas tous quelque chose à cacher ? En cherchant bien… Comme disait plaisamment le Petit Jésus « Que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre ». Bref, si, comme le disait Saint-Just « On ne peut régner innocemment », on ne peut davantage gouverner innocemment. Ce serait là raison d’État, une affaire d’hommes, de grands hommes, bien au-delà des basses préoccupations de la vile multitude. Cependant, les temps ont changé. Et notre façon de regarder l’Histoire comme de faire de l’Histoire a également changé. №51 — Décembre 2023 — Éblouissements

« Cependant, les temps ont changé. Et notre façon de regarder l’Histoire comme de faire de l’Histoire ont également changé. »

Alors que pendant longtemps le récit national dominait, forgé et entretenu par la IIIe République à des fins d’unification nationale, après la défaite contre la Prusse notamment, les mutations de la société ont peu à peu fissuré ce si beau tableau. La galerie des grands ancêtres ayant conduit au rayonnement de la France, et la statuomanie qui l’accompagna, ne fait plus recette.

UN CHANGEMENT DE RÉGIME EST PROPICE À LA STATUOCLASTIE Le phénomène n’est pas simplement français. On peut certes penser au mouvement d’outre-Atlantique Black lives matter mais avant cela, c’est en Afrique du Sud en 2015, avec Rhodes must fall (Rhodes doit tomber), qu’on a vu émerger une nouvelle sensibilité vis-à-vis du passé et de ses traces. Cecil J. Rhodes (1853-1902), grand capitaliste et grand colonisateur avait droit à sa statue devant l’université du Cap pour avoir offert le terrain où elle a été bâtie. Il fut aussi

le parangon de la domination blanche sur un pays qui a vécu sous le régime de l’Apartheid jusqu’en 1991. La statue sera dans un premier temps couverte de merde (oui oui), emballée dans des sacs poubelle avant d’être déboulonnée et remisée dans un coin obscur. Ses statues seront également retirées à Bristol et Oxford. Pour autant l’atteinte aux statues, la statuoclastie (2), n’est pas nouvelle. L’un des moments forts, après la Réforme et la destruction des « idoles » par les protestants, fut la Révolution, en 1792 notamment. Porter atteinte aux statues de Louis XIII ou Louis XIV, c’est alors toucher symboliquement le roi à défaut de le toucher physiquement (il faudra attendre encore un peu pour ça). Le phénomène a bien des occurrences, variables selon les contextes. Un changement de régime est propice à la statuoclastie. Les choses peuvent se passer de différentes manières. On peut les mutiler, les briser en morceaux, ou les déposer. La chute de l’URSS a ainsi amené à S ACTUAL I TÉ

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S ACT UA L I T É — L E PA RTI-P RIS DE THI ERRY JOBARD déboulonner des milliers de Lénine, de Staline et autres potentats avec cette problématique nouvelle : que faire de ces putain de statues ? L’option cimetière dans un parc a souvent été retenue et elles demeurent là, comme les témoins gênants d’un passé qu’on n’ose pas faire disparaître totalement. Signe des temps, la statue de Dzerjinski, fondateur et chef de la Tcheka (police politique de l’État soviétique) avait été déboulonnée en 1991. Une consultation a été récemment lancée auprès des Moscovites. Elle ne donnait pas le résultat escompté. Qu’à cela ne tienne, après une petite période de latence une nouvelle statue du sinistre Djerzinski trône désormais devant le siège du SVR (le service des renseignements extérieurs). Son directeur, lors de l’inauguration, a exalté le souvenir d’un homme « resté jusqu’au bout fidèle à ses idéaux de bonté et de justice ».(3) Justice mon cul : arrestations arbitraires, tortures, exécutions, voilà la bonté de « Félix de fer ».

LES STATUES C’EST LA POURSUITE DU PASSÉ DANS LE PRÉSENT

Statue de J.B Kleber

« Situées en hauteur, construites dans des matériaux solides et durables (...) exposées à des endroits précis et souvent symboliques, elles nous toisent et nous obligent à lever les yeux vers elle. » 118

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Plus récemment, nos aimables lecteurs·trices se souviendront sans doute de cette statue géante de Saddam Hussein place Al-Ferdaous, renversée après la prise de Bagdad. À ce moment, le dictateur est toujours en fuite. Son effigie, dont la tête fut d’abord recouverte d’un drapeau américain, vite remplacé par un drapeau irakien. Les cordes passées autour du cou de la statue n’y suffirent pas ni les massues, il fallut avoir recours à un blindé pour en venir à bout. La foule se déchaîna sur les débris, tout comme ce fût le cas à Budapest en 1956 avec la statue de Staline. Il faut dire que la statue est une chose bien particulière. Situées en hauteur, construites dans des matériaux solides et durables – pierre, métal – exposées à des endroits précis et souvent symboliques, elles nous toisent et nous obligent à lever les yeux vers elles. Matériellement massives, elles sont également la représentation et le symbole de ce qui n’est pas physiquement là (dirigeant, héros, bienfaiteur). Un totem en somme. S’en prendre à une statue c’est donc s’en prendre à ce qui n’est pas accessible (comme Louis XVI) ou bien ce qu’on ne veut

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ou ne peut plus voir. Rien d’anodin donc dans l’érection d’une statue quelle qu’elle soit, mais toujours un effet de pouvoir. Ce qu’elle montre et expose aux regards est une forme de sacralité. On honore les statues, on les entretient, on commémore à leurs pieds, elles ont une aura qui fait leur singularité. D’où la profanation, ce renversement du sacré, ressenti lorsqu’on s’attaque à elles. Renversement aussi du rapport dominant-dominé, inversion de la hiérarchie, bouleversement d’une organisation.

Les statues, c’est la poursuite du passé dans le présent. Le déboulonnage, la mutilation, la souillure des statues, est alors le refus de ce qu’exprime ce passé, le refus d’une interprétation unique du passé ou bien du recouvrement d’aspects du passé. La destruction n’est donc pas alors commencement, mais correction, on dé-commémore.(4) Et le phénomène s’amplifie d’autant plus désormais qu’il se mondialise immédiatement par le biais des réseaux sociaux. C’est d’ailleurs moins l’atteinte aux statues elle-même que sa mise en scène qui importe alors. L’action sera organisée, filmée, diffusée afin d’atteindre l’impact maximum et de créer un événement, répliqué à l’infini sur les écrans du monde. Ce faisant, on accorde toujours la même importance à la statue puisque c’est se parer d’une part de son aura que de chercher à l’estomper. Même atteinte, même brisée, elle garde sa force symbolique. D’ailleurs, une fois la statue abattue, que met-on à sa place ? Une autre statue. Bien sûr elle sera plus en accord avec de nouvelles valeurs, plus moderne ou moins clivante. Sans doute. Mais n’exhausse-t-on pas de nouvelles idoles ? Et la question n’est-elle pas de se demander si nous avons besoin de celles-ci ? D’autant qu’on ne peut toujours se prévaloir d’être du côté du progrès comme en témoigne l’enlèvement de la statue dédiée aux femmes de réconfort de l’armée nippone à Manille en 2019. Nietzsche a parlé d’une philosophie à coups de marteau. Il ne faut pas y voir là l’emploi rageur de masses pour détruire les idoles, mais bien au contraire l’usage du marteau léger du statuaire. Non pas briser les statues, mais leur donner un léger coup pour entendre le son qu’elles rendent. C’est l’écoute de ce son, par

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Statue de Gutenberg

une oreille formée, qui détermine si elles tintent harmonieusement et sont sans défaut. Mais pour cela il faut une forme de silence attentif, bien difficile à trouver dans l’incessant caquetage contemporain de ceux qui veulent parler plus fort que les autres. Vouloir tout savoir, tout connaître d’un grand homme ou d’une grande femme quels qu’ils soient à un prix, l’affadissement de leur grandeur même. Connaître c’est éclairer. Et que voit-on dans les sombres recoins découverts ? De l’humain. C’est-à-dire une somme de beaux élans et de tristes saloperies. Mais que serait un monde sans admiration, quelque myope qu’elle soit ? S

(1) Voir par exemple Dimitri Casali, Ces statues qu’on abat, Plon, 2023 (2) Selon le terme de Bertrand Tillier dans La disgrâce des statues, Payot 2023, excellent livre sur le sujet (3) https://www.lemonde.fr/international/ article/2023/09/12/a-moscou-felix-dzerjinski-estde-retour_6189005_3210.html consulté le 2 novembre 2023 (4) Dé-commémoration, sous la direction de Sarah Gensburger et Jenny Wüstenberg, Fayard 2023, pour un tour d’horizon des différents cas de figure possibles (5) idem, p. 308

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Ulysses della Notte (art rock) Qu’il me soit permis de rendre à travers cette chronique un grand et sincère hommage aux sidemen. Ces hommes et femmes, musiciens de grand talent, sont trop souvent dans l’ombre des stars.

Ils leur fournissent leur inspiration, leur jeu, leur énergie, mais dans les comptes-rendus et autres chroniques, leurs noms sont trop souvent effacés. Pourtant, certains émergent, comme nombre d’accompagnateurs de Miles Davis, ou comme « Little » Stevie Van Zandt ou encore Nils Lofrgen, auprès de Bruce Springsteen. Mais leurs carrières restent hélas trop dans la queue de comète de la star. Et si l’on doit juger la valeur d’un homme à la qualité de ses amis, Reeves Gabrels est un homme de grande valeur. Actuellement guitariste du groupe The Cure, il a été, pendant plus d’une dizaine d’années, le compagnon musical de David Bowie. Les deux hommes ont même monté un groupe de rock (Tin Machine), sans réel succès. A la fin des années 90, alors que le duo bosse sur un album du Tin White Duke, Reeves Gabrels ose l’aventure en solo. Enfin… en leader, tout en invitant quelques amis sur un album au doux nom italien, Ulysses della Notte. Entre rock, musique industrielle (mêlant rock et électronique) et pop, Reeves Gabrels affirme son identité musicale. S’émancipe de Bowie pour mieux se rapprocher de The Cure. Par exemple en invitant Robert Smith à pousser la voix sur Yesterday’s gone, dont l’épure est un écrin inédit pour Smith. Ou en invitant sur une autre chanson, Jewel, Franck Black (Pixies).

il sait aussi être arty. Comme un nuage aux gris changeants, léger comme l’air, ou lourd comme le (heavy) métal. En 9 chansons, Reeves Gabrels résume toute la fin du XXe siècle, en une musique sombre qui ne demande qu’à trouver la lumière, faisant entendre une voix dont le timbre se rapprocherait quelque peu de l’OVNI Roy Orbison. Sa guitare, elle, se balade, en circonvolutions aériennes. Connaissant trop bien l’importance de chaque instrumentiste dans le succès d’une chanson, on sent qu’il accorde à chaque participant un véritable espace d’expression. Encore sous l’influence bowiesque, bientôt membre de The Cure, Reeves Gabrels ne commet aucune faute de goût, mais dresse un pont entre Bowie et Smith. Tisse un lien. A peine aussi fin qu’une corde de guitare. Mais aussi solide que cette corde. Entre rock, pop, jazz et envolées plus soniques, Reeves Gabrels a surtout la classe des plus grands : sur Ulysses della Notte, il ne crie pas son nom ou son art. Il les offre en délicatesse.

Album rare, dans tous les sens du terme puisque même le géant Amazon avoue ne pas l’avoir en stock, Ulysses della Notte entre dans la catégorie art rock. Car si le rock peut être progressif, engagé,

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Le marché des cocktails prêts à boire est une jungle luxuriante. Nicolas Chapuy, ancien barman et commercial au Théâtre du Vin, constate une démocratisation de la mixologie, soit l’art de créer des cocktails, depuis la Covid. La demande est grandissante et l’amélioration de la qualité est considérable, explique-t-il. Le bib de mojito et le daiquiri en poudre laissent place à des alternatives artisanales et créatives. Il ne reste plus qu’à sortir vos plus beaux verres, et choisir la couleur de votre parapluie à cocktails.

Originaire d’Obernai, Victor Weber aime décortiquer les arômes, trouver leur synergie, puis les assembler jusqu’à trouver un univers tangible. Il débute sa formation professionnelle avec un CAP pâtisserie, puis fait ses classes de mixologie à Londres, référence européenne en termes de vie nocturne. Suite à une rencontre imprévue, il crée, en 2018, la Maison Alphonse avec deux cousins originaires de Dordogne. L’idée ? Proposer

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des cocktails pour amateurs en recherche d’expériences gustatives et inédites. Ses recettes sont capturées dans les flacons de cette jeune entreprise. Victor préfère parler de cocktail culinaire, qui fait écho à une nouvelle vision – tournée vers la recherche d’émotions – et l’envie de réaliser une boisson adaptée à la gastronomie. Le caractère amer ou sucré des cocktails masque sou-

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notamment, sont préparés maison. Les chèvre, un filet de sandre, ou une tarte Cordials sont des liquides sucrés et non aux mirabelles. alcoolisés qui agissent comme liants dans les cocktails. En d’autres mots, c’est l’œuf DIRECTION LE PÉROU de la mixologie. Lorsque Victor parle du cannelé – l’un de Les saveurs sont d’ici certes, mais le résul- ses desserts préférés – on assiste à une tat transporte les papilles. En témoigne logique gustative qui inspire son travail. Le l’Alsacienne Louise-Anne Ruhlmann, cœur est rempli et aéré. C’est croquant, il Cheffe sommelière à l’hôtel Marinca, en y a des effluves de rhum, qui agit comme Corse. « Il y a une vraie recherche dans exhausteur de goût, une grosse douceur, les produits. J’ai trouvé que dans tous les et une longueur aromatique. C’est agréable cocktails il y a un équilibre et une com- et étonnant. L’enthousiasme qui ponctue plexité. Victor fait voyager à travers les son discours atteste de l’étendue de sa ingrédients qu’il a sélectionnés ». Les fla- passion, et ç’en est beau tant c’est rare. En février 2024, Victor posera ses cons sont fidèles à leur créateur, qui a la bougeotte. Un passeport bien rempli bagages au Pérou, près du Chef Virgilio atteste de ses nombreux déplacements Martinez. Son restaurant, le Central, a en quête de nouvelles saveurs, ou dans obtenu en 2023 la première place du clasle cadre d’une prestation de consultant. sement réalisé par la société britannique Parmi les neuf recettes réalisées pour William Reed Business Media (The Worla Maison Alphonse, le flacon nommé ld’s 50 Best Restaurants). Ce groupe est Burlesque est le plus prisé. Il dévoile des l’un des principaux concurrents de notre effluves mentholés et légèrement fumés. célèbre Guide Michelin. La cuisine péruEn bouche apparaît un univers gustatif vienne, riche et variée, connaît un âge d’or rappelant le Moyen-Orient. L’assemblage depuis quelques années. L’alchimiste des est une jolie partition de gin au safran, arômes est impatient. Muscat de Rivesaltes, sirop de Tisane, L’expérience s’annonce très enrichislavande, et Bois de Hêtre. Bluffant. À sante, et marquera la fin d’une vingtaine table, il fait la part belle à une salade de déjà bien remplie ! S’gelt ! E №51 — Décembre 2023 — Éblouissements


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OR NORME AU VAISSEAU Le 16 novembre, à l’occasion d’une grande soirée du Club Or Norme au Vaisseau, c’est Raphaël Enthoven qui est intervenu sur « Le déni », un thème qu’il compte aborder prochainement dans un nouveau livre. №51 — Décembre 2023 — Éblouissements

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a CULT URE ­– SÉLE CT ION Jean-Luc Fournier, Isabelle Baladine Howald, Véronique Leblanc

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1KCONCERT Passions croisées à Saint-Guillaume oordinateur artistique de « Passions croisées » à l’église Saint-Guillaume, l’organiste Cyril Pallaud revendique une volonté d’entrelacer à la musique les arts plastiques et les arts vivants dans un lieu d’ouverture qui refuse les « cases » souvent vectrices d’exclusion. Ce n’est pas toujours simple – on se souvient des menaces de mort reçues lors du spectacle mêlant à la musique de Pergolese, les performances d’un acrobate de Pole Dance – mais le Conseil presbytéral « très ouvert » a tenu bon en réaffirmant ses seules limites « la cohérence et le bon goût ». « Cela permet d’élargir les publics », poursuit Cyril en annonçant pour les 15 et 16 février Orphée et Eurydice de Gluck en lien avec la prestation de David Marks, champion de France de magie. Auparavant, le 24 janvier, un concert de prestige lancera la présidence liechtensteinoise du Conseil de l’Europe avec des œuvres du compositeur Joseph Rheinberger qui fut le professeur

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de Johanes Brahms à Munich. L’artiste liechtensteinoise Tamara Kaufmann « qui a fait deux ouvertures des JO » – enchantera la soirée avec son travail sur les tissus aériens.

CONCERTS DE NOËL Un début d’année mené « tambour battant » après une fin 2023 marquée par une série de concerts lancée dès la fermeture du marché de Noël, le 24 décembre. Deux programmations sont annoncées en alternance : l’une (les 26, 28 et 30) autour du Te deum de Mendelssohn et des Quatre motets pour le temps de Noël de Poulenc, l’autre (les 27 et 29) consacrée au 24e concerto de Mozart interprété au piano par Guillem Aubry et à l’orgue par Cyril Pallaud. Tous les concerts sont programmés à 15 heures. a m s.co VL isee ww

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livier Vossot, qui vit à Strasbourg, publie son troisième recueil de poèmes, Fils, aux éditions de la Crypte. Sa poésie infiniment sensible évoque l’enfant qui reste en lui, blessé par un père qui lui-même semble par moments un enfant perdu. Cette poésie à la fois très douce et très forte, très désemparée, pleure l’enfant qu’il n’a pas pu être, comme le père qu’il n’a pas pu avoir. On comprend au fil des pages que l’enfance fut très dure, violente, complètement privée d’amour. Le titre à l’évidence joue sur les mots, ce fils qui cherche détisser ou retisser les fils emmêlés de sa vie. L’enfant est l’ombre de lui-même dans l’ombre du père noyé d’alcool : J’ai été l’ombre à ton ombre/si j’existais j’étais seul/où pouvais-je aller/j’ai disparu en moi-même/pour te garder de toi. Les lignes fragiles sur chaque page redonnent corps à ce qui n’en a plus – vais-je encore me quitter moi-même – pour sortir du double malheureux. Les souvenirs sont dits de façon nue, je suis de toi le seul souvenir qui meurt. Le texte est toujours sur le fil de ce que l’on parvient à dire ou non… … peux-tu t’apercevoir de toi, serait l’accès possible, enfin, à son propre fils. a Fils, , 15 € IBH sot, p

elle initiative que celle venue des Éditions L’Atelier Contemporain dirigées par le talentueux éditeur François-Marie Deyrolle. La maison strasbourgeoise lance Studiolo, une collection de livres de poche (petits formats, petits prix, de 8,50 € à 13,50 €), consacrés à l’art. Des livres illustrés, rééditions d’ouvrages épuisés ou publications inédites – monographies, écrits d’artistes, essais… – dont certains ont déjà été chroniqués dans Or Norme. Studiolo, c’est déjà une collection de 26 titres et six titres à venir t in.ne dès 2024… a pora

indispensable, l’inimitable, le précieux et l’emblématique cinéma Star fête sa quatrième décennie. De l’inauguration de la façade-anniversaire de la rue du Jeudes-Enfants le 24 novembre dernier et jusqu’au 1er janvier prochain, 40 événements se sont ou vont se dérouler. Parmi eux, le lancement d’une boutique en ligne (effectif depuis le 27 novembre dernier), une originale séance d’auto-massage shiatsu (!) le 17 décembre, la place à 4 € pour tous le jour de Noël, le 25 décembre, et un énigmatique Mur des résolutions le 1er janvier… Ca serait sympa de passer souhaiter un joyeux anniversaire à om l’équipe du Star… a tar.c ma-s e n i JLF c w.

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es passionnés du Racing Club de Strasbourg sont déjà familiers du style Racing Database. C’est dans cette même veine que parait aujourd’hui ce livre-référence qui met en lumière l’exceptionnel patrimoine que le Racing a bâti depuis 1906, au gré d’exploits inoubliables et d’autant d’amères désillusions. Le livre des Légendes, préfacé par l’écrivain et fan absolu du Racing Olivier Guez, n’est pas un simple livre d’histoire. Il retrace et recense, décennie après décennie depuis les débuts du football professionnel en France, les joueurs qui ont laissé une marque indélébile dans la mémoire des supporters alsaciens, ainsi que les matches dont on ne peut se souvenir sans qu’ils convoquent leurs lots de frissons, de larmes des, ou d’exultations. a égen el, L g o l n JLF oltze 6 €

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hierry Jobard, qu’on aime lire dans Or Norme, signe son deuxième livre aux Éditions de l’Échiquier. Cet essai vif et incisif analyse le goût de l’époque pour l’ésotérisme, vaste fatras censé répondre à nos angoisses existentielles. Thierry Jobard démasque avec brio tout ce qui peut se cacher derrière les croyances de toutes sortes (tarots divers, vie après la mort, etc.). Une haine de la vérité, une ignorance autant une paresse permettent l’engouffrement dans ce credo ésotérique. L’ouvrage nourri de lectures approfondies, de références, explore l’histoire de cette dérive entre foi et croyance, la manière dont on est passé de la recherche intellectuelle de vrais grands esprits à la crédulité d’un grand public. Thierry Jobard y voit un éloignement du réel avec les dangers que cela comporte, une légitimation de pseudosciences dangereuses, l’utilisation de concepts fourre-tout, et une défiance envers la science avec ses dérives antivax, complotistes ou survivalistes. « Croiviances », et « zozotérisme », « chamâneries », sont à fuir ! Son essai est brillant, son analyse fine et argumentée, soutenue par un ton personnel ironique et percutant ! a c IBH s don croi

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éditrice schilikoise Astrid Franchet a eu le nez fin en achetant très vite les droits français de Ewig Sommer (Éternellement l’été) de l’auteure allemande Franziska Gänsler qui a fait sensation à sa sortie outre-Rhin. Pour un premier roman, quelle réussite ! On est vite happé par cette histoire de trois femmes (une mère, sa fille et la responsable de l’hôtel qui les accueille) au beau milieu d’une nature ravagée par les incendies interminables d’une canicule extrême et persistante. À la lecture, on n’est pas loin du phénomène page turner comme disent les Américains, on ne veut pas quitter cette lecture où on sent que tout converge, peu à peu, vers une issue qui était déjà écrite, aux tréfonds des êtres humains, en symbiose avec cette nature qui est ravagée, elle aussi. C’est un très, très beau roman, d’une force implacable… a nt leme rnel € JLF e t É ,

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LE CRÉDIT MUTUEL DONNE LE NEJ

DISNEY 100 ANS

CASSE NOISETTE

VEN 08 DÉC 2023

SAM 09 DÉC 2023

DIM 10 DÉC 2023

SOFIANE PAMART

BERNADETTE DE LOURDES

KAAMELOTT - 1ER VOLET

SAM 16 DÉC 2023

MER 20 & JEU 21 DÉC 2023

VEN 22 DÉC 2023

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Du spectacle sous le sapin! 500 VOIX POUR QUEEN

BOODER

MESSMER

TRIAL INDOOR

PAT PATROUILLE

VERONIC DICAIRE

SAM 13 JAN 2024

DIM 21 JAN 2024

JEU 25 JAN 2024

SAM 27 JAN 2024

DIM 28 JAN 2024

MER 31 JAN 2024

NOTRE DAME DE PARIS

CALOGERO

CASSE NOISETTE

ALBAN IVANOV

THE AUSTRALIAN PINK FLOYD SHOW

GRAND CORPS MALADE

SAM 03 & DIM 04 FÉV 2024

JEU 08 FÉV 2024

VEN 09 FÉV 2024

SAM 10 FÉV 2024

MER 14 FÉV 2024

SAM 17 FÉV 2024

NIHNO

ERA

ANDRÉ RIEU

LE LAC DES CYGNES

LORDS OF THE SOUND

MIKA

JEU 22 FÉV 2024

JEU 29 FÉV 2024

VEN 01 MARS 2024

DIM 03 MARS 2024

VEN 08 MARS 2024

DIM 10 MARS 2024

L’HÉRITAGE GOLDMAN

JOHNNY SYMPHONIQUE TOUR

PATRICK BRUEL

VÉRONIQUE SANSON

HANS ZIMMER

LES COWBOYS FRINGANTS

JEU 14 MARS 2024

SAM 16 MARS 2024

MER 20 MARS 2024

JEU 21 MARS 2024

MER 27 MARS 2024

JEU 28 MARS 2024

MERCI À NOS PARTENAIRES

crédit photos : D.R.

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4KLIVRES Il était une fois. L’Amérique à l’écran Nathalie Bittinger

près l’excellent « Au pays des merveilles. Trésors de l’animation japonaise publié l’an passé, l’universitaire strasbourgeoise Nathalie Bittinger raconte avec brio la grande saga de l’Amérique sur les écrans, à travers plus de cent films. De la conquête de l’Ouest au 11– Septembre en passant par l’assassinat de Kennedy ou la guerre du Vietnam, le cinéma a sans cesse épousé l’histoire des États-Unis, la soulignant, la mettant en scène, la magnifiant etn souvent, l’expliquant, tout simplement. Au final, c’est notre imaginaire qui aura été sollicité sans cesse et notre vision de l’Amérique qui aura été nourrie par les John Ford, Martin Scorcese, Steven Spielberg et autres Quentin Tarantino. Le superbe ouvrage de Nathalie Bittinger, rempli à ras bord d’une iconographie souvent inédite dénichée par l’auteur elle-même, est un livre essentiel et qui sera une vraie référence très longtemps… a JLF

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Et au milieu coule la Fecht Paul Adam

près une vie de businessman dans le marketing, la publicité et l’épicerie par correspondance avec la Cigogne Gourmande, l’attachant Paul Adam a replongé avec délice dans la rivière de son enfance pour écrire Et au milieu coule la Fecht, ce roman de village qui a la splendide beauté d’un poème de Rimbaud. Ce n’est évidemment pas un hasard si cet admirateur sans limites du poète ardennais ouvre son texte avec les premiers vers du célébrissime Dormeur du Val : « C’est un trou de verdure où chante une rivière… ». Suivent des chroniques très largement autobiographiques qui débutent en 1969, quand le petit Paul avait onze ans. La Fecht charrie alors un flot de souvenirs… a e coul JLF ilieu €

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La Conologie Frédéric Hoffet

uelle belle idée ! Les Éditions La Nuée Bleue rééditent cet ouvrage écrit par le génial Frédéric Hoffet en 1958, soit quelques années après la parution de l’indémodable Psychanalyse de l’Alsace, dans lequel on peut encore trouver des éléments d’analyse qui expliquent des problèmes toujours actuels… Dans La Conologie, Frédéric Hoffet fait parler Oncle Gustave, un éminent conologue, qui nous initie à cette « reine des sciences de l’esprit, science des cons, restée secrète jusqu’à ce jour ». ie, Lecture jubilatoire… a olog Con a L JLF , ffet 2€

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Au Purgatoire, une volonté divine : vous désaltérer, vous ravitailler, vous régaler !

Au commencement, il y eut le vin ... Partage et plaisir sont les deux maîtres-mots de ce lieu imaginé comme un «débit de vin». Une atmosphère chaleureuse, que vous soyez dans l’antre ou sur notre grande terrasse.

Mais pas que ! Le Purgatoire a acquis le titre de Maître-Restaurateur, marquant sa fidélité au fait maison et son attachement pour les bons produits. 34 Rue de Zurich, 67000 Strasbourg

03 88 35 62 87 contact@lepurgatoire.alsace

@ le__purgatoire Le Purgatoire


4KLIVRES Summerlied, l’Alsace en musiques Jacques Schleef et Albert Weber

endant près de 25 ans, Summerlied a accueilli une formidable variété d’expressions musicales. De René Egles à Kansas, de Roger Siffer à Abd al Malik, de Jean Dentinger à Matskat, de Dinah Faust aux Weepers Circus mais aussi en accueillant Francis Cabrel, I Muvrini, Thomas Dutronc, Stephan Eicher ou encore Emir Kusturica, la forêt du festival a résonné d’une impressionnante multiplicité de musiques. Le livre présente l’aventure de Summerlied, mais sa fin n’est évoquée qu’en quelque lignes assez sibyllines. C’est dommage et même, un peu frustrant… a er, JLF Web

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Le Bundschuh vivra ! Jean-Christophe Meyer

Ce chemin qui n’a pas de nom Claire Audhuy et Maxime Garcia

e Bundchuh vivra est un nouveau titre paru dans la toujours originale collection « Graine d’histoire », éditée par La Nuée Bleue. Le Bundschuh est le nom de la chaussure à lacets portée par les gens du peuple à la fin du XVe siècle, en Alsace. C’est donc l’histoire d’une révolte autour de ce symbole, un livre qui se lit dès l’âge de neuf ans et qui est complété, comme de coutume dans cette collection, par un livret historique signé Benjamin Strickler. a , eyer he M !, JLF p o t a s

ix-sept mille kilomètres à pied depuis l’Afghanistan, jusqu’à Saint-Omer, dans le nord de la France. Claire Audhuy et le (brillant) dessinateur Maxime Garcia réalisent ce formidable récit graphique documentaire qui raconte l’épopée moderne du petit Deedar, 15 ans, parti seul du Pakistan avec un petit sac à dos contenant « des dattes, du fil et une aiguille, un coupe-ongles, un petit couteau, un châle pour une éventuelle attelle, quelques médicaments de base et des vitamines ». À un passeur, durant cet interminable périple, Deedar avouera : « Je suis petit, j’ai peur, je ne veux pas mourir. (…) “J’ai beaucoup peur, beaucoup froid, beaucoup fatigue, beaucoup pas manger...” Claire Audhuy nous bouleverse en portant la voix de ce petit Afghan. Son livre, magnifique d’humanité, se termine par une postface qui nous interpelle. Elle est signée par Delphine Rouilleault, la directrice générale de France terre d’asile… a JLF

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OR CHAMP par David Grimal violoniste, directeur artistique et fondateur de Lumières d’Europe, les Dissonances et l’Autre Saison Lyodoh Kaneko

PLAIDOYER POUR UNE REFONDATION EUROPÉENNE PAR LA CULTURE Europe doit assumer d’être la patrie de l’humanisme et des libertés en cette époque sombre qui voit le monde se refermer autour des intégrismes de tous ordres. Les États-Unis qui ont joué ce rôle dans la première partie du XXe siècle, accueillant les réfugiés de tous bords pourchassés par les régimes antisémites et autocratiques européens, sont aujourd’hui à la dérive. L’Europe est le seul havre de paix et de civilisation dans un monde à nouveau dangereux. Cette Europe, construite sur les cendres encore brûlantes de la Deuxième Guerre mondiale, sait que les ravages causés par les nationalismes et les idéologies mortifères ne peuvent plus avoir droit de cité après un tel carnage.

L’

L’Europe de l’Ouest, sous le parapluie américain, a ressuscité sur la base d’échanges économiques supposés être les garants d’une prospérité retrouvée et de la coexistence pacifique. L’union économique mise en place s’est élargie progressivement à tous les domaines sur un territoire de plus en plus vaste et complexe. Depuis l’élargissement aux pays du bloc de l’Est, l’Europe traverse une crise de croissance et de confiance. La doxa de départ n’est plus suffisante face aux enjeux et le projet européen est menacé

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a OR CH A M P

d’être taillé en pièces par ses ennemis de l’extérieur comme de l’intérieur. Le socle social-démocrate européen est fragilisé depuis les années 1980 par la dérégulation économique imposée par les Américains. Cette dérégulation a affaibli les systèmes de santé, les écoles publiques, les universités et l’ensemble des services publics européens avec pour corollaire la désagrégation de sa classe moyenne. Cette dégradation des équilibres sociaux est allée de pair avec celle de nos démocraties dont l’existence même est aujourd’hui remise en question par la montée de courants extrémistes dont l’Histoire a déjà démontré le peu d’appétence pour la démocratie. L’Europe est attaquée par l’impérialisme de l’ours russe réveillé sous la férule du tsar Poutine qui rêve de replacer le rideau de fer là où il se trouvait, avant ce qu’il considère n’avoir été qu’un « accident de l’histoire ». Il ne s’agit pas seulement d’une guerre sur le territoire de l’Ukraine, mais également d’une entreprise de déstabilisation souterraine des opinions beaucoup plus insidieuse et profonde. L’Europe est attaquée par l’islamisme qui s’y est infiltré et menace non seulement la

vie de ses citoyens qu’il prend pour cible régulièrement, mais également l’équilibre de la laïcité qui incarne la coexistence pacifique des religions en harmonie avec la modernité. L’Europe est attaquée par les siens, par tous les Européens qui ne s’y retrouvent plus, tous ceux dont la rancœur s’engouffre tel un vent mauvais dans le vide politique et gronde un peu plus chaque jour. Cette rancœur alimente les passions tristes qui ont déjà noirci nos pages les plus sombres. Le vide politique institutionnel européen laisse aux chantres des populismes et des nationalismes le soin d’entonner la liste des doléances des peuples que personne ne semble réellement écouter. À ce sentiment d’abandon et de désespoir qui emportera tout sur son passage lorsqu’il se catalysera et se transformera en haine et en violence, l’Europe n’apporte aujourd’hui aucun projet de société. Aux blocs antagonistes, elle n’a aucun récit à opposer. Elle semble tourner le dos à toute responsabilité politique, géant économique et nain politique à la traîne des États-Unis qui restent la voix du monde libre, un monde libre dont seule une élite hors-sol semble tirer tous les bénéfices.


L’Europe est le dernier bastion de la civilisation. La fable néo-libérale qui aura réussi en un temps record l’exploit de démonter les sociétés humaines tout en détruisant les ressources de la planète, ne trompe plus personne, à part peut-être l’oligarchie irresponsable qui l’a engendrée et qui règne avec indifférence sur un monde inique et de plus en plus violent. Les dictatures et démocratures prolifèrent de toutes parts. La voix de l’Europe doit porter au-delà de la cacophonie du concert de ses nations afin de faire entendre une autre musique que celle de l’affrontement des titans que l’on nous promet comme inéluctable. Le grand récit européen est un héritage commun fait de sang et de larmes, mais aussi de génie et de Lumières. Ne l’oublions pas et ne laissons pas les mouvements de déconstruction nous emmener par le fond. L’Europe est une mosaïque extraordinaire, qu’il convient d’admirer

à la bonne distance pour en apprécier toute la puissance dans tous ses détails et dans son propos. Cette distance, c’est celle du Politique qui doit rendre aux Européens leur fierté d’Être. Celle d’une refondation politique européenne qui doit s’incarner en une présidence élue au suffrage universel et un gouvernement représentatifs des citoyens, qui nous délivreront de nos nationalismes archaïques et nous arracheront peut-être à la fatalité du marché qui devait nous unir et désormais nous sépare. Le temps de la « Caste des Marchands » d’Isaac Asimov est révolu. L’appareil technocratique à l’œuvre aujourd’hui doit se mettre au service d’un projet politique au service de l’humanité. Il est temps de relever la tête, et de permettre aux forces de l’esprit d’insuffler un nouvel élan civilisationnel vital face au gouffre dans lequel

le monde se précipite. Soyons à la hauteur de l’Histoire, prenons nos responsabilités et rassemblons les hommes et les femmes de bonne volonté (nombreux, bien que trop silencieux) pour construire un vivre ensemble harmonieux dans une ambition humaniste exigeante. La culture, l’éducation, la santé, la social-démocratie au service de tous et dans le respect des équilibres naturels doivent être le ferment de cette lutte européenne contre les obscurantismes de toutes sortes. Vive la démocratie européenne ! Vive l’excellence ! Vive l’équité et le partage ! Vive l’éducation et la culture qui seront les armes de construction massive qui garantiront la paix. a Or Champ est une tribune libre confiée à une personnalité par la rédaction de Or Norme. Comme toute tribune libre, elle n’engage pas la responsabilité de la rédaction de la revue, mais la seule responsabilité de son signataire. a OR CHAMP

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Couverture Portrait par Vincent Muller Portraits de l'équipe Illustrations par Paul Lannes www.paul-lannes.com

DÉCEMBRE 2023 Directeur de la publication Patrick Adler 1 patrick@adler.fr Directeur de la rédaction Jean-Luc Fournier 2 jlf@ornorme.fr Rédaction Alain Ancian 3 Eleina Angelowski 4 Isabelle Baladine Howald 5 Erika Chelly 6 Marine Dumeny 7 Jean-Luc Fournier 2 Jaja 8 Thierry Jobard 9 Véronique Leblanc 10 Jessica Ouellet 11 Barbara Romero 12 Benjamin Thomas 13 redaction@ornorme.fr

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Photographie Franck Disegni 15 Alban Hefti 16 Vincent Muller 17 Caroline Paulus 18 Nicolas Rosès 19 Sabrina Schwartz

Or Norme Strasbourg est une publication éditée par Ornormedias 1 rue du Temple Neuf 67000 Strasbourg

Publicité Régis Pietronave 14 publicité@ornorme.fr

Contact : contact@ornorme.fr Site web : www.ornorme.fr Suivez-nous sur les réseaux sociaux ! Facebook, Instagram, Twitter & Linkedin

Directrice Projet Lisa Haller 20 Direction artistique et mise en page Cercle Studio

Dépôt légal : à parution N°ISSN : 2272-9461

Typographie GT America par Grilli Type Freight Pro par J. Darden Impression Imprimé en CE

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ABONNEMENT NOS DERNIERS NUMÉROS № 50

L E MAG A ZINE D’UN AU T R E R EGAR D SUR STR AS BO U RG

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S E PTE M BR E 2023 VI VR E L I V R E

b GRAND ENTRETIEN

c D OS S I E R

c D OS S I E R

a CU LT U R E

IVAN JABLONKA Goldman, le livre de la rentrée. Page 8

BIBLIOTHÈQUES IDÉALES D’une Bibliothèque Idéale aux Bibliothèques Idéales. Page 16

AVIGNON 2023 Un formidable cru pour les pépites alsaciennes. Page 32

RENTRÉE CULTURELLE Les programmes les plus séduisants et les plus motivants qui soient... Page 44

LE H ORS-SÉ RIE

Vins d’Alsace 2023 Vivre Livre...

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