Capital 14

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DEBAT

Fiscalité en 2012 analyse

Tax shelter

le point sur la situation

Le donation de l’entreprise familiale REPORTAGE

La Finlande au naturel MOBIlite

La Mercedes SLS AMG DES BELGES QUI ONT UN PLAN

capital14 optima magazine

Nathalie Dewez, designer de l’année 2011

ANNEE IV

FEvrier 2012

JACQUES

ROGGE – Le président du Comité International Olympique –

“Le commerce est une bénédiction pour le sport.”



e d it o

capital14 veau président du conseil d’admini­stration de la banque, le résume parfaitement ci-après. Nous ne pouvons ­jamais perdre de vue la philosophie d’une con­ ­­ naissance approfondie de nos clients via le modèle de la planification financière. C’est cette connaissance des clients à travers l’audit qui nous distingue des autres depuis 20 ans déjà. A l’avenir, nous resterons fidèles à cette approche, qui part de la situation du client (et non pas du produit que nous pouvons offrir).

La nouvelle année a à peine commencé et il est déjà clair que les turbulences sur les marchés financiers n’appartiennent pas encore au passé. Sur le plan européen, les économistes craignent un scénario catastrophe, tandis qu’en Belgique, il s’avère que le budget est basé sur un pronostic de croissance trop optimiste. Le brouillard qui pèse sur les nouvelles mesures fiscales s’est tout juste levé, et de nouvelles économies s’annoncent déjà. Plus que jamais, la protection de nos revenus, patrimoine, pension et succession méritent toute notre attention. C’est exactement là que se situe le core business chez Optimabanque. Nous sommes déjà plus de 400 à vous assister, que ce soit depuis nos succursales à Gand et Waterloo, ou – pour nos clients espa­ g nols – depuis notre succursale madrilène en pleine expansion. 2012 sera non seulement une année professionnelle intense, ce sera aussi l’année de la fusion d’Optima et d’Ethias Banque.

Pour nos clients existants, cela implique que l’offre de nos services bancaires ­sera complétée, ce qui rendra notre service unique dans sa complétude. Pour y arriver, nous n’agirons pas dans la précipitation. Herman Verwilst, le nou­-

Sinceres salutations, Jeroen Piqueur President Optima Group

EDITEUR RESPONSABLE : Jeroen Piqueur, Keizer Karelstraat 75,9000 Gand. Redacteur en chef : Jeroen Lissens, jeroen.lissens@optima.be, 09/225.25.71. COORDINATION : Lara Van Ginderdeuren. Redaction : Kiki Feremans. conception et mise en page : Veerle Verbrugge, veerle@eastvillage.be. ADRESSE DE LA ReDACTION : Capital p/a Optimabanque SA Keizer Karelstraat 75, 9000 Gent. ONT COLLABORe a CE NUMeRO : Guillaume Breyne, Luk Coupé, Ingmar Criel, Iris De Feijter, Lies De Mol, Jan De Paepe, Nils De Vriendt, Valerie Du Pré, Charlotte Debaets, Ethel Desmasures, Lieven Dirckx, Peter Goossens, Brigitte Hendrickx,

Cert no. CU-COC-809718-DJ

Caroline Hermans, Marc Holthof, Guy Kokken, Koen Lamberts, Bart Lenaerts, Peter Magherman, Debbie Pappyn, Isabel Pousset, Nathalie Van Laecke, Thomas Vanhaute, Jo Viaene, Bert Voet, Thomas Weyts. Copyrights : Tous droits réservés. Aucun extrait de ce magazine ne peut être repris ni reproduit d’une quelconque manière sans l’autorisation expresse du rédacteur en chef et de l’éditeur respon­sable. TRADUCTION : Brigitte Hendrickx. IMPRESSION : Stevens Print NV. Ce magazine a été imprimé sur Arctic Paper avec certification FSC. Couverture : Jacques Rogge – Photo : Lieven Dirckx Indien U in de toekomst liever de Nederlandse editie ontvangt, gelieve zich te wenden tot info@optima.be

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Les clients existants de l’ancienne Ethias Banque sont les bienvenus pour participer à l’histoire que nous écrivons chez Optima. Ils seront toujours a ­ ssurés d’une offre durable, et la plateforme de distri­ bution en ligne existante est entièrement reprise. Toutefois, nous nous occupons de la suppression progressive du bilan de la banque. Notre client – existant et nouveau – sera ainsi ­ a ssuré d’une banque solide par excellence. Étant donné le climat actuel, cela ne nous­ semble nullement un luxe superflu.


SOMMAIRE

17 D’UNE IMPORTANCE CAPITALE 3 professionnels à propos de leur passion. Erwin Beerens, profession garagiste, les entrepreneurs de la mode Carine, Thierry et Pascaline Smets et Luuk Zonneveld, le directeur de Vredeseilanden.

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reportage

reportage

L’Einstein de Schaffhausen.

La Finlande au naturel.

DES BELGES QUI ONT UN PLAN

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Nathalie Dewez, designer de l’année 2011.

64 

nice to know, nice to have La saison de tous les blancs.

08 

58 MOBILITE

Mercedes SLS AMG. Un nom qui donne des ailes.

MON PLAN Herman Verwilst, le nouveau président d’Optimabanque.

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reportage Ara Starck. Un panneau acoustique pour la Bijloke à Gand.

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il fait parler de lui Jacques Rogge, Le président du CIO.

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SOMMAIRE

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debat

Combien coûtent les nouveaux impôts ?

50 analyse

Tax shelter :  Le mariage parfait entre la culture et l’esprit d’entreprise.

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LE POINT SUR LA SITUATION Nouveau règlement en matière d’héritage et de donation de l’entreprise familiale.

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Loisirs Les délices de la vie.

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OPINION ‘O tempora, o mores’

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li f e st y l e

n i c e t o k n o w, n i c e t o h av e

la desaison tous les blancs Même si vous ne partez pas au ski, vous pouvez profiter d’un environnement tout blanc. Voici quelques conseils lifestyle couvrant toute la gamme des blancs : blanc comme neige, blanc argenté, blanc immaculé, blanc sur une œuvre d’art, sur un iPad … Bref, que du blanc pour chasser les idées noires.

texte valerie du pre

Un bar A cocktails

burlesque

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Il manquait un seul accessoire dans les bagages de Dita Von Teese – artiste burlesque, brillante actrice et grande aventurière. Cointreau a donc inventé pour elle un luxueux bar à cocktails de voyage. Dans cette élégante boîte à chapeaux rétro, elle glissera tous les accessoires

indispensables pour créer les grands classiques parmi les cocktails. Les matières sont nobles et le raffinement est de bon aloi : petits tiroirs habillés de cabochons dorés, poignée art-déco à monogramme et finition cuir grainé blanc.

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Pour sa collection hiver 2011-2012, la prestigieuse Maison Parmentier s’est inspirée de l’élégance intemporelle des vedettes des années ‘70. La classe et la féminité d’une Grace Kelly, d’une Audrey Hepburn ou d’une Jackie Kennedy, des lignes toutes de sensualité, c’est ce qui prime pour cette maison qui privilégie la haute couture et une coupe parfaite. Avis de neige ? Unissez le confort et le luxe en portant ce merveilleux manteau en vison d’Amérique.

Molami est synonyme de design d’avant-garde pour vos oreilles. Non seulement le son répond à toutes vos attentes et les matières exclusives sont également conçues pour le plaisir des yeux … et des oreilles. Nous nous intéressons particulièrement aujourd’hui aux écouteurs Bight Stingray : un modèle novateur, équipé d’un système révolutionnaire EarClick® en exécution pastenague blanche aux accents argentés. Edition limitée pour cet objet design détonant.

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T o m o rr o w I s A n o t h e r Day www.mathieulehanneur.fr

Vis o n d ’A mEri qu e p e arl ‘ E xc ell en t lab el’ www.parmentier.be

un microclimat artistique

De la neige en vue, grand soleil attendu, ou faut-il craindre l’orage ? Un seul coup d’œil à ‘Demain est un autre jour’ de Mathieu Lehanneur et Monsieur Météo n’a plus qu’à aller se rhabiller. Ce dispositif artistique recueille sur la toile des informations météorologiques en temps réel, qu’il traduit à travers une structure en nid d’abeille en image lumineuse d’un ciel nuageux, clair ou instable. L’œuvre change au gré des prévisions météorologiques et n’a donc jamais la même allure. Un microclimat artistique dans votre salon …

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li f e st y l e

ski et technologie high tech 6

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au lit avec stijn helsen 8

S ilv e r S h o e lac e s

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M ON P L A N

H e r m a n V e r w i l s t, l e n o u v e a u p r e s i d e n t d ’ O p t i m a b a n q u e

“Nous avons de grandes chances de reussir” Herman Verwilst connaît l’univers financier et économique comme sa poche. En sa qualité de professeur à l’université de Gand, il enseigne la stratégie et l’organisation des institutions financières. Il a également l’expérience de la politique, ainsi que celle de la banque – il aura été le dernier CEO de Fortis. Herman Verwilst (né en 1947) devient donc le président d’Optimabanque, et ce à un moment où le secteur financier recherche plus que jamais une nouvelle orientation. Il a expliqué à Capital ce qui l’attire dans le nouveau modèle lancé sur le marché par Optimabanque. texte jeroen lissens

Pourquoi opter pour Optimabanque ? « Optimabanque, soit le financial planner Optima qui reprend les rênes d’une banque : il s’agit là d’une initiative tout à fait intéressante et qui a de bonnes chances de réussir. Particulièrement dans le contexte économique actuel : ces derniers temps, toutes les banques sont tenues de revoir sérieusement leur modèle commercial. Poussés ou non par la crise et par une législation plus sévère, tous les grands groupes sont actuellement en pleine phase de repositionnement. Beaucoup de change­ ments donc, et on cherche un nouveau modèle d’approche clients. »

« La réussite du modèle de planification financière élaboré par Optima se remar­ que d’autant plus dans un tel contexte. Tant au niveau de la clientèle que de l’entreprise elle-même : impossible d’attirer 14 000 clients sans réussir un certain nombre de défis essentiels. Le modèle de services financiers Optima, basé sur un audit approfondit de la situation et des attentes du client, a fait la preuve de son efficacité. » Quel est votre role dans ce cadre ? «  Compte tenu de mes antécédents, je jouerai un rôle bien particulier dans la

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transformation d’Optima vers un groupe de prestations de services avec une offre bancaire. Nous devons passer à la vitesse supérieure avec une offre bancaire proposée à nos clients, sans perdre de vue pour autant la philosophie qui est celle d’Optima : une connaissance unique de ce même client par le biais du modèle de financial planning. » «  Concrètement, cela signifie qu’en ma qualité de président du conseil d’administration de la banque, je me concentrerai sur le suivi, le contrôle et la réflexion de notre stratégie. Le conseil d’adminis-


M ON P L A N

“Poussés ou non par la crise et par une législation plus sévère, tous les grands groupes sont actuellement en pleine phase

de repositionnement.”

que président dans la reprise/l’intégration de la CGER, Krediet Aan De Nijverheid, Mees Pierson et de la Générale de Banque, ndlr), et je compte bien mettre toute mon énergie à réaliser ce nouveau défi. »

tration contrôlera également la politique suivie par le comité directeur. Ce faisant, il faut tenir compte des intéressés au sein de l’entreprise. » Le changement sera-t-il sensible ? « Du fait de la reprise d’Ethias Banque et de la réglementation en la matière, Optima doit absolument faire sienne la culture d’entreprise d’un groupe bancaire. Une partie de ma mission consiste à parachever l’intégration de ces deux univers et à créer une nouvelle culture propre, dans la continuité de la dynamique Optima. Au cours de ma carrière, j’ai déjà participé à quelques intégrations de ce type (Herman Verwilst a été impliqué en tant

Avez-vous encore d’autres mandats ? «  Je suis toujours chargé de cours à l’université de Gand, une mission qui est la mienne depuis plus de trente ans et que je remplis avec beaucoup de plaisir. Je suis également impliqué dans la nouvelle version du Fonds Baekelandt, qui vise à assouvir les premiers besoins de capitaux des spin-offs les plus prometteuses de l’université. » Herman Verwilst

“Nous devons passer à la vitesse supérieure avec une offre bancaire proposée à nos clients, sans perdre de vue pour autant la philosophie qui est celle d’Optima :  une connaissance unique de

ce même client par le biais du modèle de financial planning.”

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Quel est votre challenge pour 2012 ? « Mon défi en 2012 ? Valoriser toujours plus le modèle Optima, avec une offre bancaire en prime. Cette entreprise connaît parfaitement ses clients, ce que lui jalousent bien d’autres parties. En effet, une connaissance approfondie des clients constitue une excellente base pour une offre de services adéquate. Une qualité qu’il nous faut encore développer, particulièrement dans la partie francophone du pays. Et toujours sans renier le modèle unique de la planifica­ tion financière. Je suis intimement persuadé que nous avons de grandes chances de réussir. »


DE B AT

E x pertise Op ti m a

combien coutent les nouveaux impots ? Pour remettre de l’ordre dans des finances publiques désastreuses, le nouveau gouvernement Di Rupo s’est mis en quête de nouvelles sources de revenus. Et il semble bien que les entrepreneurs et les indépendants soient dans son collimateur. Explication, par les experts d’Optima. texte jeroen lissens | photos Lieven dirckx Un grand merci au Sandton Grand Hotel Reylof

t h o mas w e y ts

Juriste et fiscaliste, Manager estate planning au Competence Center Optima. p e t e r ma g h e rma n

Manager life and pension, spécialiste épargne, placements et planification de pension. k o e n lamb e rts

Manager life and pension, spécialiste épargne, placements et planification de pension. j o v ia e n e

Associé et manager du Competence Center, le pôle de connaissances réunissant des experts fiscaux et financiers et des juristes au sein d’Optima. Ils sont chargés des audits de planification fiscale, le noyau dur des services proposés par Otpima.

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DE B AT

A première vue, l’impact fiscal du nouveau gouvernement semble acceptable. Le spectre de l’impôt sur la fortune, tant évoqué voici quelques mois, restera dans son placard. Mais en est-on bien sûr ? JO VIAENE : « Les contribuables dont les revenus mobiliers dépassent 20 000 euros vont être frappés d’une taxe de 4% sur la tranche excédant ces 20 000 euros. Cette taxe s’ajoutera à l’impôt de 21% sur les intérêts et dividendes, de sorte que l’im­ position totale passera à 25% alors que précédemment, dans de nombreux cas, ­ elle n’était que de 15%. Dans la pratique, cela revient à taxer les revenus patrimoniaux des Belges. Même si le procédé ne s’appelle pas ‘impôt sur la fortune’, c’est pourtant bien de cela qu’il s’agit. L’impôt sur la fortune s’est donc glissé en passant presque inaperçu dans notre fiscalité. » THOMAS WEYTS : « L’introduction d’une taxe sur le patrimoine des citoyens va ­d’ailleurs à contre-courant d’une tendance européenne, puisque les pays qui exercent un impôt sur la fortune sont en train de le supprimer. L’Autriche (1994), le Danemark (1997), la Finlande (2006) et la Suède (2007) ont compris que lever un impôt sur la fortune coûtait cher, mais aussi que cela provoquait une importante fuite des capitaux vers l’étranger. La France est l’un des derniers pays à appliquer un véritable impôt sur la fortune, et l’on voit un nombre impressionnant de Français fortunés opter pour la nationalité belge afin d’y échapper. »

pouvoirs publics ne parviennent même pas à actua­liser le revenu cadastral : cela fait 36 ans que le fisc travaille avec le même rendement net fictif sur les biens immobiliers. » Le nouveau gouvernement réserve l’exonération du précompte mobilier à certains produits, notamment les assurances-vie de type branche 21 et branche 23. JO VIAENE : « Cela démontre plus que jamais que l’aspect fiscal est à étudier spécifiquement pour chaque produit financier. Plus encore que jadis, dans notre planification financière, nous allons étudier la fiscalité ­ d’un produit, et donc ses conséquences po-

“Les Belges fortunés sont disposés à payer quelque

chose sur les revenus

qu’ils tirent de leur patrimoine.” Thomas Weyts

tentielles, avant de l’adopter concrètement. Pour chaque décision financière, il faut donc commencer par étudier l’impact fiscal. » Le système fiscal, qui est déjà complexe, ne va pas s’en trouver simplifié ? KOEN LAMBERTS : « Le système fiscal ne cesse de se complexifier, et cela prouve surtout qu’il n’y a pas eu véritablement de choix privilégiant une orientation particulière. Je me demande parfois où ils veulent aller avec cette fiscalité. Quel est le plan ? Je n’identifie pas de politique claire, sauf quant au fait qu’ils sont à la recherche de recettes supplémentaires pour les pouvoirs publics. On remarque aussi que la nouvelle fiscalité est le résultat de négociations politiques. En échange de compromis à tel ou tel niveau, un parti peut ‘faire passer’ certaines mesures ailleurs. Mais est-ce une bonne chose pour le contribuable ? » PETER MAGHERMAN : « Heureusement,, tout n’est pas noir. Un bon plan fiscal et financier correspondant à la situation spécifique d’un investisseur peut encore lui permettre de bénéficier d’importants avantages fiscaux. Dans d’autres cas, pour les choses qui changent beaucoup, il peut être utile de faire adapter son plan financier personnel, en fonction de l’actualité. » La Belgique reste un pays où l’impôt sur la fortune est peu élevé, même au vu de la nouvelle législation. Ne fallait-il pas s’attendre à ce qu’il soit adopté un jour ou l’autre ? THOMAS WEYTS : « Ne me comprenez pas mal : je crois que les Belges fortunés sont disposés à payer quelque chose sur les revenus qu’ils tirent de leur patrimoine, comme c’est d’ailleurs le cas dans d’autres pays. Les Belges fortunés sont parfaitement disposés à briser ce tabou, mais il faut leur donner quelque chose en échange. Prendre en contrepartie des mesures qui stimulent l’économie, rendre le fait d’investir ou d’entreprendre plus attrayant. Malheureusement, il semble bien que le gouvernement Di Rupo veuille uniquement

Quelle est la différence entre la taxe sur la valeur ajoutée belge et un impôt sur la fortune ‘pur et dur’ comme en France ? PETER MAGHERMAN : « Perce­ voir correctement un impôt sur la fortune au sens classique n’est pas si simple en Belgique, ne fût-ce que parce qu’il n’existe pas de ­registre de la fortune. Où sont les grosses fortunes ? La réponse à cette question ne s’est pas simplifiée ces dernières années, avec l’internationalisation croissante du trafic des services financiers. Les

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introduire de nouvelles taxes, et qu’il ne soit absolument pas question de compensations, alors même qu’avec une pression fiscale de 54% sur le PIB, la Belgique est déjà la championne du prélèvement par les pouvoirs publics. » PETER MAGHERMAN : « Les impôts doivent être équitables et justifiés, et répartir le fardeau entre les citoyens ; tout le monde est d’accord là-dessus. Et il est vrai que les citoyens fortunés peuvent payer davantage. L’objectif d’un impôt, c’est que tout le monde en profite. » KOEN LAMBERTS : « Nous devons aller vers une fiscalité 2.0, une réforme poussée du système fiscal. Les charges sur le travail sont bien trop élevées, il suffit d’évoquer l’IPP et les cotisations sociales. Ils doivent impérativement diminuer pour stimuler l’économie. Le citoyen acceptera que ce soit compensé quelque part – tant que cela s’opère de manière intelligente. » Ces derniers temps, de plus en plus de voix internationales s’élèvent en faveur d’une ‘taxe des riches’, une sorte d’impôt supplémentaire pour les grosses fortunes. Des personnalités aussi importantes que le super-investisseur Warren Buffet, le deuxième homme le plus riche du monde, se sont prononcées en sa faveur … THOMAS WEYTS : « C’est vrai. Seulement, Warren Buffet paie non pas 54% d’impôt sur ses revenus, mais 17% à peine. C’est évidemment bien différent. Ces pourcentages démontrent qu’il est difficile de comparer la fiscalité des citoyens et entrepreneurs fortunés outre-Atlantique avec le modèle belge. » Affecter plus efficacement les ressources est une autre manière de garder le contrôle des finances publiques. Une nouvelle fiscalité ne devrait-elle pas aller de pair avec des économies au niveau des pouvoirs publics ? KOEN LAMBERTS : « Il faut se concentrer sur un accroissement de l’efficacité des pouvoirs publics. En parallèle, la fiscalité réformée doit mettre l’accent sur la création d’un climat économique sain. Aujourd’hui, de très nombreux indépendants veulent grandir, mais ils constatent qu’embaucher quelqu’un est fiscalement mortel. Les char­

ges sur le travail sont tout simplement trop élevées. C’est dommage quand on sait qu’historiquement, nous sommes un pays de PME. Elles ont été – et restent – la base de notre prospérité, que nous devons à tout prix préserver. » JO VIAENE : « Il faut prendre des mesures contre les dizaines de milliers de personnes et de sociétés qui ne prennent même plus la peine ne fût-ce que d’introduire une déclaration fiscale. A nos yeux, c’est essentiel. C’est une fortune en déclarations d’impôt qui est ainsi perdue. Pour qui travaille et entreprend, et subit donc les conséquences du nouveau régime, ce type de situation apparaît particulièrement injuste. » Les pouvoirs publics ont récemment fait des efforts pour ramener en Belgique des capitaux étrangers. La nouvelle fiscalité ne risque-t-elle pas de provoquer une nouvelle débâcle ? THOMAS WEYTS : « Commencer par récupérer de l’argent, puis annoncer peu après l’arrivée d’un impôt sur la fortune, n’était évidemment pas une bonne idée. » JO VIAENE : « Tant qu’il n’y aura pas d’harmonie entre les divers systèmes fiscaux européens, il y aura fuite des capitaux entre les divers pays, ou vers d’autres destinations. Mais cela n’a jamais été notre stratégie. » Les fortunes ne continueront-elles pas à rester hors d’atteinte via les paradis fiscaux ? THOMAS WEYTS : « La question est de savoir si dans ce cas, ces fortunes sont encore accessibles. Je m’interroge sur la durabilité de ce type de structures. Surtout à long terme, par exemple en matière de succession. Ceux qui optent pour ce type de solutions entraînent leurs enfants avec eux, qu’ils le veuillent ou non. Tous les avocats fiscalistes le déconseillent, et c’est logique : chacun veut avant tout se sentir rassuré quand il s’agit de son patrimoine. En échange, les gens acceptent un certain degré de taxation. »

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“L’aspect fiscal est à étudier spécifiquement pour chaque produit financier.” jo viaene


DE B AT

Optima

expertise

Des couts supplementaires de 10 000 a 20 000 euros par an n’ont rien d’exceptionnel Quelles sont les implications concrètes des nouvelles mesures fisca­les pour un entrepreneur indépendant ? Un rapide exemple donne des chiffres hallucinants. Par facilité, nous émettons l’hypothèse que notre entrepreneur fait passer tous ses revenus dans une société et qu’il l’utilise pour payer ses frais. Dans la société, le gérant utilise une belle voiture et un espace de bureau, qui fait partie de l’habitation utilisée à titre privé pour le reste.

Voici un bref aperçu des changements qui attendent notre gerant :

• La méthode de calcul de l’avantage en nature pour la voiture est totalement différente. Elle repose sur le prix catalogue (options incluses) et sur les émissions de CO2. L’utilisation d’une BMW série 5 (530i), achetée récemment, entraînera désormais une charge supplémentaire d’au moins 2 500 euros (ou 208 euros par mois). • L’avantage en nature pour l’électricité et le chauffage est à nouveau modifié, lisez augmenté, de 11%. • L’avantage en nature pour l’habitation même est quasiment doublé. Pour une maison dont le revenu cadastral est de 2 000 euros, l’avantage passe de 6 666 euros à 12 666 euros par an. • L’impôt sur les dividendes, qui étaient auparavant bien souvent taxés à 15%, est augmenté au moins à 21% et à 25% à partir de 20 000 de revenus mobiliers (intérêts et dividendes).

g [ suite à la page 16 ]

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DE B AT

Quid du Luxembourg, qui reste un havre important pour de nombreuses fortunes belges ? PETER MAGHERMAN : « Le Luxembourg reste surtout attrayant pour son immense savoir-faire fiscal. Le pays a d’ailleurs brillamment résisté à la récente crise. Il est donc logique qu’il exporte ce savoir-faire. La différence avec les autres pays, c’est que ce n’est pas le capital du client qui est exporté, mais la solution luxembourgeoise. La discrétion est l’un des grands atouts luxembourgeois, ce qui permet d’y maintenir son patrimoine à l’abri des regards de l’entourage et de la famille …  » Quel est aujourd’hui le sentiment des clients avec qui vous vous entretenez ? KOEN LAMBERTS : « La protection du patrimoine est un thème très actuel. Le Belge qui confie aujourd’hui son argent à une banque qui a trop prêté à la Grèce, par exemple, court d’immenses risques. Vous ne prêteriez pas votre argent à un Irlandais, un Grec ou un Américain pour qu’il achète un bien immobilier et soit ensuite incapable de vous rembourser ? Sans oublier que les pouvoirs publics détiennent de nombreuses actions dans des banques qui ont aujourd’hui perdu beaucoup de leur valeur. » KOEN LAMBERTS : « Les questions concernant le rendement exact de l’argent ont cédé le pas à une demande de confort et de tranquillité d’esprit. » La crise a provoqué des pertes dans le portefeuille de nombreux investisseurs. PETER MAGHERMAN  :  «  Les in­ves­tis­­seurs qui ont profité de rendements élevés pendant des années se sont mis à considérer des risques élevés comme ‘normaux’, alors que ce n’était pas le cas. Lorsque les marchés trébuchent, et que l’heure est aux pertes, ils sont déçus et cela se comprend. Mais il est important de considérer les risques qu’ils ont pris consciemment. Et n’oublions pas que la crise la plus aiguë est tôt ou tard suivie par un redressement. Qui veut en profiter doit donc se demander si son portefeuille est structuré de façon adéquate. Un investisseur recherchant la sécurité – comme c’est de plus en plus souvent le cas – est alors bien obligé d’adapter son profil de risque. » KOEN LAMBERTS : « Personne n’est à l’abri

de la crise. Plus le temps passe, et plus la sécurité du patrimoine devient prépondérante. Concernant le rendement, tout dépend du délai en fonction duquel on considère son patrimoine. L’investisseur qui a une vue sur le long terme aura peut-être de la marge pour intégrer certains risques dans son plan financier personnel, parce qu’en cas d’épilogue moins avantageux, il aura encore le temps de rectifier l’une ou l’autre disposition. En revanche, une personne ayant un horizon à court terme, par exemple un investisseur plus âgé, aura sans doute plutôt avantage à rechercher des solutions qui lui assurent des vieux jours sans trop de soubresauts. » THOMAS WEYTS : « Et c’est précisément là que résident les avantages d’un bon plan financier : un aperçu de la situation et des attentes de l’investisseur, combiné à notre savoir-faire financier et fiscal, permet de concevoir un plan qui rassemble tous les objectifs à moyen et long terme. C’est donc une répartition saine du patrimoine, et une bonne protection qui reflète les besoins du client. » La question de la tranquillité d’esprit ne découle-t-elle pas aussi du fait que les pouvoirs publics ne sont plus détenteurs de l’infaillibilité ? Tant en matière de finances (dette publique) que de politique … JO VIAENE : « Parfois, il faut rechercher une certaine stabilité. Regardez ce qui est arrivé dans les actions au porteur qui étaient encore en circulation. Initialement, on avait jusqu’à fin 2013 pour les convertir en actions nominatives. Mais soudain, il a fallu que tout aille très vite – pour fin 2011, une nouveauté qui a été communiquée à peine un mois à l’avance. D’innombrables patrons de PME ont dû se ruer d’urgence chez le notaire. Autre exemple : la taxation élevée sur les voitures de société, qui va ponctionner lourdement le contribuable dans certains cas. Pour l’entrepreneur qui vient d’acheter ou de prendre en leasing une nouvelle voiture selon l’ancien régime, cela représente pas mal d’argent. Il semble quelque-

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“Les questions concernant le rendement exact de l’argent ont cédé le pas à une demande

de confort et de tranquillité d’esprit.” Koen lamberts


Optima

expertise

• Les intérêts sur les créances du compte courant sont également portés à 21% (ou 25%). • Le revenu pris en considération pour le calcul de la règle des 80% en matière de pensions complémentaires est plafonné. • Les capitaux des assurances de groupe ou des engagements individuels de pension sont taxés davantage s’ils sont versés avant l’âge de 63 ans. • Les provisions de pension internes pour chefs d’entreprise doivent être confiées à un assureur externe, avec paiement d’une taxe de 1,75%. Les primes futures seront dès lors également soumises à une taxe de 4,4%. • La déduction d’intérêts notionnels est davantage réduite : le taux passe de 3,8 à 3,5 voire 3%.

fois que l’on change les règles du jeu en cours de partie. » THOMAS WEYTS : «  A cause de cette incertitude fiscale, de très nombreux entrepreneurs ne souhaitent plus investir en Belgique. Indépendamment de savoir si la déductibilité des intérêts notionnels était une mesure intéressante, le fait qu’on les remette aujourd’hui en question suscite une grande incertitude parmi les décisionnaires étrangers. Ce n’est pas ainsi que l’on crée un climat d’investissement stable. » PETER MAGHERMAN : « C’est la même chose pour les panneaux solaires, et dans une moindre mesure pour les titresservices : du fait même de son succès, le système est devenu intenable à court

Plusieurs autres interventions ont été an­non­cées, mais n’ont pas encore été concrétisées. Mais cet exercice donne d’ores et déjà des chiffres hallucinants. Il ne sera nullement exceptionnel qu’un chef d’entreprise indépendant ou un titulaire de profession libérale paie dès 2012 une addition supplémentaire de 10 à 20 000 euros. Ajoutons à cela que ce même groupe de personnes participe au paiement d’une série d’autres nouvelles réformes fiscales, de la ­réduction du bonus logement à l’écrêtement des avantages de l’épargne à long terme en passant par la diminution des incitants pour investissements écologiques. L’On oublie bien souvent que les chefs d’entreprise sont visés dans les deux régimes fiscaux : l’impôt des ­sociétés et l’impôt des personnes physiques.

“Les impôts doivent

être équitables et justifiés, et répartir le fardeau entre les citoyens.” peter magherman

L’année 2011 a été marquée par un nombre de faillites record. Il est d’ores et déjà clair que les entrepreneurs et les indépendants ­n’auront pas vraiment la vie facile en 2012.

Jo Viaene Administrateur Optima Group

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terme. Alors que l’on aurait mieux fait d’instaurer un tarif moins élevé pour certains services. » JO VIAENE : « Et il y a aussi l’accroissement de l’incertitude juridique : par exemple, le fisc ne doit plus tenir compte de la qualification juridique d’un acte. Aux yeux du fisc, un ‘usufruit’ peut très bien devenir une ‘location’, et se trouver soudain beaucoup plus lourdement taxé. Les contribuables doivent presque aller en justice pour faire valoir leur droit devant un tribunal, mais tout le monde est loin de laisser les choses aller aussi loin. L’importance d’un avis concluant et d’informations pertinentes n’en est que plus grande. D’ailleurs, pour un nombre croissant de contribuables, l’arbre cache désormais la forêt. Tous les fiscalistes plaident la simplicité. La fiscalité actuelle est inutilement complexe, et crée une frustration inutile. » Si l’environnement reste aussi volatil, un plan de qualité aura-t-il encore un sens ? THOMAS WEYTS : « Une chose est sûre : demain ne sera pas fiscalement meilleur. Il y aura une harmonisation avec les pays voisins, mais la situation du Trésor public fait craindre qu’il s’agisse surtout de mesures qui joueront en défaveur de l’épargnant belge. Il est donc plus que jamais opportun d’entreprendre dès aujourd’hui les bonnes démarches pour s’assurer une certaine tranquillité d’esprit. Qui a dit que le tarif de zéro pour cent pour les dons de la main à la main en Belgique durerait encore cinq ans ? Cet avantage n’existe plus dans aucun pays voisin. En ce qui concerne la réorganisation des patrimoines, le transfert aux enfants, il vaut mieux agir aujourd’hui. Il ne s’agit pas de haute tech­nologie financière et fiscale, mais simplement d’une question de simple bon sens. Mieux vaut agir en profitant des tarifs avantageux d’aujourd’hui et précéder le fisc qu’attendre une fiscalité qui, de toute manière, restera en mouvement. »


D ’ UNE I M P O R TA N C E C A P I TA L E

3 p r o f e s s i o n n e l s a p r o p o s d e l e u r pa s s i o n

D’UNE

IMPORTANCE

CAPITALE cari n e , t h i e rr y e t pascali n e sm e ts

e rwi n b e e r e n s

luuk zonneveld

Erwin Beerens, Carine, Thierry et Pascaline Smets, et Luuk Zonneveld à propos de ce qui les passionne. Ce à quoi ils accordent une importance capitale et attribuent leur succès. Après tout, l’argent ne fait pas le bonheur. TEXTE Iris De Feijter | PHOTOS guy kokken

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D ’ UNE I M P O R TA N C E C A P I TA L E

profession garagiste

ERWIN BEERENS « Mon père a débuté comme boulanger à Anvers. Il a ensuite développé son entreprise avant de gérer une boulangerie industrielle et un commerce de gros en produits alimentaires. J’ai plus appris avec mes parents qu’à l’école. Au terme de mes études secondaires, j’ai commencé à travailler dans l’entreprise familiale, dont j’ai repris le flambeau avant de la revendre à une multinationale en 1989. Il m’a fallu y travailler pendant encore cinq ans, une période de grande frustration. En 1994, je me suis mis en quête d’un nouveau défi, d’abord dans l’industrie alimentaire, puis dans le secteur automobile, choix logique compte tenu de ma passion pour les voitures. Le garage Volkswagen et Audi que j’ai finalement acheté était très bien situé et réalisait de belles ventes, mais connaissait des problèmes de personnel. Après la mise en faillite, j’ai pu recommencer à zéro. Je préfère acheter une entreprise malade plutôt que saine, et qu’il faille payer trop cher. Il s’agit toutefois de détecter de prime abord ce qui n’a pas fonctionné lorsque l’on achète une entreprise en faillite. Les premières années – entre 1994 et 1998 – j’ai fait de bonnes affaires, grâce à une conjoncture élevée. L’entreprise a prospéré. J’ai racheté d’autres garages et me suis lancé dans l’occasion, le leasing et le transport. Une diversification qui nous a permis de traverser sans trop de problèmes la crise de fin 2008. »

“ En achetant une voiture de collection, on fait d’une pierre deux coups :  rendement

à long terme et plaisir à court terme.”

valeur. « Ma grande passion, ce sont les voitures de collection. Depuis 2004, nous avons également un département classic cars chez Beerens, un marché qui a connu une croissance exponentielle. Les mauvais résultats boursiers ont poussé de nombreuses personnes à opter pour un investissement plus avantageux. En achetant une voiture de collection, on fait d’une pierre deux coups : rendement à long terme et plaisir à court terme. L’indice top HAGI rend l’évolution de la valeur des voitures de collection depuis 1980. La classic car moyenne est ainsi passée de 100 (en 1980) à 3 000 (aujourd’hui), et le plafond est loin d’être atteint. Le marché chinois présente surtout une forte marge de croissance. Mais attention : toutes les voitures rétro ne sont pas de bons investissements. Mieux vaut opter pour des véhicules rares, qui jouissent d’une image culte, le top du top étant Porsche, Ferrari et ma préférence à moi :  Bugatti. Même si je suis de près l’évolution des combustibles durables, je ne pense pas que la conduite électrique est la solution d’avenir – je me demande si elle est tellement écologique …  La production de la voiture et de l’électricité, le recyclage de la batterie : il faut tout prendre en compte. A mon avis, l’avenir est plutôt à l’énergie solaire ou à l’hydrogène. Aujourd’hui, nous sommes tous d’accord pour affirmer que les émissions de CO2 doivent être réduites. Et les voitures compactes gagneront certainement en popularité avec la nouvelle législation Di Rupo. » « Le marché automobile belge est saturé : on compte déjà aujourd’hui deux véhicules par permis de conduire. Il ne faut donc plus compter sur une quelconque croissance. Il faut pourtant que nous ayons notre part d’un gâteau déjà rétréci. De plus en plus de clients cherchent une voiture sur Internet, mais finissent par l’acheter dans un garage. Je ne crois pas à la vente en ligne : une auto, c’est une grosse dépense. La plupart des gens exigent un parcours d’essai et comptent sur un bon service après-vente. »

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Après avoir revendu l’entreprise alimentaire de ses parents à une multinationale, Erwin Beerens a racheté en 1994 un garage en faillite dans le port d’Anvers. Aujourd’hui, il possède 14 garages et vend 20 000 véhicules par an.


D ’ UNE I M P O R TA N C E C A P I TA L E

entrepreneurs de mode

carine, thierry et pascaline

smets

“Répondre à la demande du public, cela ne

correspond pas à notre philosophie.”

« Notre Smets Premium Store a ouvert ses portes le 15 décembre 2011 : une nouvelle construction en béton située Chaussée de Louvain. Sur une superficie totale de 4000 m2, nous y vendons des objets mode et design, mais il y a également un café, un restaurant et un vaste parking. Nous avons délibérément quitté les sentiers battus, avec une adresse à deux pas de la place Meiser. On n’y voit pas (encore) de nombreuses enseignes, mais le quartier est en plein développement. Nous sommes en outre fort proches des principales voies d’accès à la capitale ainsi que des studios, notamment ceux de la VRT et de la RTBF. Le projet représente un investissement de 12 millions d’euros, ce qui est lourd, particulièrement à notre époque incertaine. Mais lorsqu’il a démarré en 2006, il n’était pas encore question de crise. D’ailleurs, nous ne nous préoccupons pas outre mesure du malaise financier actuel, mais plutôt de la crise écologique, qui est bien plus grave. C’est la raison pour laquelle nous travaillons ici de la manière la plus durable possible. Nous n’utilisons que des ampoules économiques, nous avons installé un système de chauffage économique et nous récupérons les eaux de pluie pour les toilettes et le lave-linge. »

vision. En 1986, Carine Smets lançait son propre magasin de vêtements pour enfants. Aujourd’hui, son mari Thierry (directeur financier) et sa fille aînée Pascaline (directeur artistique) sont impliqués dans l’entreprise familiale, qui compte 26 boutiques. Le plus récent point de vente – le premier hors Luxembourg – a ouvert ses portes en décembre dernier à Bruxelles. Un mélange de mode, de design, d’art et de gastronomie sur 4000m2.

« En Belgique, nous sommes de parfaits inconnus, mais dans notre pays d’origine, le Grand-Duché de Luxembourg, le nom de Smets est une véritable référence. C’est d’ailleurs tout à fait logique, car en 25 ans, nous y avons ouvert 25 boutiques. Nous avons commencé par une boutique pour enfants, suivie plus tard par des boutiques prêt-àporter dames, des magasins destinés aux hommes, des concepts stores et des outlets. D’accord, le Luxembourg est un pays fantastique, mais il ne compte que 500 000 habitants. Nous nous sommes donc vite sentis à l’étroit et nous rêvions d’expansion internationale. Bruxelles représentait un choix évident, car nous connaissons fort bien la Belgique : Thierry est Anversois et nos six enfants ont fait leurs études dans ce pays. Bruxelles est par ailleurs le carrefour de la mode, du design et de l’art. Pourtant, à long terme nous aimerions nous faire une petite place à Paris. » « L’art contemporain est notre passion commune, que nous aimons partager avec nos clients. Vous trouverez des pièces de nos collections privées dans toutes nos boutiques. Une vidéo du britannique Julian Opie orne par exemple la façade de Smets Premium Store. Nous n’acquérons que des œuvres d’artistes toujours en vie – généralement jeunes. C’est notre manière d’apporter notre contribution à l’art. » « Contrairement à ce qui se passe avec un monobrand store, un pointe de vent multimarques parvient à marquer l’offre de son empreinte. Tout ce que nous proposons ici, nous l’aimons, et c’est ce qui rend cet endroit unique. Il est évident qu’une telle sélection ne plaira pas à tout le monde, mais peu importe. Nous sommes venus à Bruxelles pour proposer notre propre vision de la mode, et pas pour nous adapter au marché belge. Répondre à la demande du public, cela ne correspond pas à notre philosophie. »

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D ’ UNE I M P O R TA N C E C A P I TA L E

le directeur de Vredeseilanden

LUUK Zonneveld « Le modèle classique de coopération au développement – le Nord, riche, qui apporte aux pays pauvres du Sud les fonds et les connaissances – est aujourd’hui dépassé. Les rapports de force ont bien changé dans le monde actuel. Le manque de vivres n’est plus le problème des seuls africains. La Belgique, qui importe pratiquement tous les aliments, est également concernée. Les grands groupes agroalimentaires, craignant de ne plus disposer à terme de suffisamment de matières premières, investissent actuellement dans les relations directes avec les producteurs et optent de plus en plus souvent pour des produits durables et équitables. Unilever a même promis de ne plus acheter que des produits de ce type d’ici à 2020, une initiative qui devrait servir de levier pour la production alimentaire mondiale. »

“Pour nous, les paysans ne sont donc plus des

pauvres, mais des micro-entrepreneurs.”

fair trade. « Pour Vredeseilanden, la solution de la pauvreté et des problèmes alimentaires se trouve dans une agriculture à échelle réduite et à organisation familiale, un modèle qui représente de 80 à 90% des exploitations agricoles. Contrairement à ce que l’on observe dans l’agriculture industrielle, nous pouvons y réaliser d’importantes hausses de productivité et de rendement avec des investissements peu importants. De plus, ce mode de culture durable ne fatigue pas les sols. » « Pour nous, les paysans ne sont donc plus des pauvres, mais des micro-entrepreneurs. Nous étudions avec eux les débouchés possibles, la meilleure manière de réaliser une plus-value, etc. Ils ont ainsi une chance de se construire une existence valable. Stimuler l’entreprenariat local, c’est à mes yeux la meilleure forme de coopération au développement. Nous limitons au maximum les transferts d’argent. Notre principal coût : le personnel local chargé d’accompagner les paysans. » « Jadis, seuls les organismes caritatifs, les ONG et les pouvoirs publics étaient concernés par la coopération au développement. Aujourd’hui, de nombreuses entreprises s’en soucient également et jouent dans ce contexte un rôle très important. Une relation commerciale entre l’Afrique et la Belgique peut avoir plus d’impact que le fait de creuser un puits ou de verser de l’argent. Jusqu’au tournant du siècle, l’Occident écoulait des sommes très importantes vers les pays en voie de développement tout en leur achetant du café à des prix sacrifiés, ce qui ne laissait aucune chance à la population locale. » « Dans les années ’80, j’ai lancé avec quelques autres le label Fair Trade. Notre objectif : proposer aux paysans un salaire équitable en échange de leurs produits. Tout a commencé avec le café Max Havelaar. Il a fallu attendre au moins dix ans avant que notre part de marché devienne visible. Le lancement des bananes équitables Fair Trade a annoncé la véritable percée du label, qui est aujourd’hui utilisé dans 25 pays. »

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Depuis 2008, Luuk Zonneveld est le directeur de Vredeseilanden : une asbl concernée par des thèmes tels que l’alimentation et l’agriculture des pays en voie de développement. Avant cela, Luuk Zonneveld avait travaillé pour Oxfam et lancé le label Fair Trade.



r e p o rta g e

i wc Sc h a ff h ause n

L’Einstein de Schaffhausen Il paraît qu’il doit vérifier sur le calendrier perpétuel qu’il a lui-même conçu depuis combien de temps il travaille chez IWC (International Watch Company). C’est avec ce module révolutionnaire que Kurt Klaus a sauvé l’entreprise de la faillite. Et qu’il a gagné tous les honneurs et la reconnaissance de ses pairs. Après près de 55 ans, il veut aujourd’hui s’arrêter. « Je n’ai jamais travaillé pour moi, mais pour IWC. » texte Bert Voet photos lieven dirckx

Le lendemain de son 77ème anniversaire, nous avons rendez-vous avec Kurt Klaus chez le bijoutier Heursel à Gand, où la vendeuse lui demande avant même que l’interview ait démarré s’il n’est pas trop fatigué. « Je ne suis jamais fatigué », rétorque-t-il un peu sèchement. Le légendaire horloger porte au poignet une IWC Da Vinci Perpetual Calendar Edition Kurt Klaus, la série spéciale avec son effigie gravée au dos du boîtier. Une montre lancée en 2007, cinquante ans après son arrivée chez IWC.

des cadeaux, une réception …  Après cela, je suis retourné dans mon bureau et je me suis remis au travail. Depuis, je travaille comme indépendant. Il est vrai que j’ai signé un contrat spécifiant que je ne pouvais travailler que pour le compte d’IWC. En fait, je suis considéré comme un des salariés, même si je dois facturer mes heures. Le principal avantage de la pension ? Je suis libre. Lorsqu’il fait beau ou que je n’ai pas envie de travailler, je fais l’école buissonnière l’espace d’une après-midi. Ou d’une semaine. »

Il y a de cela huit ans, il prenait officiellement sa retraite. « L’heure de la pension légale obligatoire, oui. Un départ à la retraite en bonne et due forme : avec

Des collectionneurs Pourtant, il n’a pas arrêté de travailler à 65 ans. Il parcourt le monde pour rendre visite aux clients

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et concessionnaires, et pour des événements liés à IWC. Cette fois-ci également, il est venu à Gand tout spécialement pour un collectionneur. « Un de nos meilleurs clients vit non loin d’ici. Ce soir, il invite chez lui huit de ses amis. Je commenterai d’abord une présentation PowerPoint sur le développement de mon calendrier perpétuel. Ensuite, je donnerai un cours d’horlogerie. Après cela, les personnes présentes démonteront un mécanisme avant de tenter de le remettre en place. A la fin, il faut que le mécanisme fonctionne. » C’est ainsi que Kurt Klaus entretient la fascination du public pour les plus étonnants ouvrages d’hor-


r e p o rta g e

logerie. En effet, aussi étonnant que cela puisse paraître, la plupart des clients d’IWC ignorent ce que renferme leur montre. Et pourtant, pour le prix qu’ils ont payé, ils auraient pu acquérir une belle voiture ou même une maison. « A la fin d’une telle soirée, ils ont au moins quelques notions de la complexité de l’ensemble. Le calendrier perpétuel renferme par exemple un minuscule rouage qui accomplit un seul tour en cent ans. Croyez-moi, cela fascine l’assistance, qui réagit même parfois d’une manière émotive. « Personnellement, je n’ai jamais été un collectionneur. Ma passion, c’est l’intérieur de la montre. Evidemment, je possède plusieurs pièces et j’ai conservé certains prototypes. Cette montre par exemple, je ne la porte certainement pas tous les jours ma robuste montre de pilote est réservée à cet usage. En fait, c’est ma femme qui porte les plus beaux modèles. »

Bernard Claeys

Tout ou rien Jusqu’à l’année dernière, Kurt Klaus était encore activement impliqué dans le développement et la fabrication de nouveaux mécanismes. « Après ma retraite, un jeune m’a remplacé au poste de directeur de ce département, que j’avais dirigé pendant 30 ans. Mais dans la pratique, j’étais toujours responsable. L’année dernière, j’ai encore travaillé sur le nouveau tourbillon de la ligne portugaise. C’est moi qui ai décidé d’arrêter : ils n’ont plus besoin de moi. Les jeunes ingénieurs sont capables de poursuivre dans la même voie. Je suis absolument incapable de continuer un petit peu. Soit je développe un mécanisme en entier, soit je ne fais rien. Et il arrive un moment où il faut bien s’avouer qu’on fatigue. » Quoi ? Il avoue qu’il est fatigué ? « La technologie évolue à une allure folle », admet-il. « Pour continuer,

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je serais forcé d’assimiler toutes sortes de nouvelles connaissances. Et ça, je l’ai déjà tant fait dans ma vie, au cours des 55 années écoulées. Je me souviens de tout ce que j’ai inventé, mais concevoir de nouveaux mécanismes, je n’y songe même plus. »

Horloger ou ingenieur En 1957, Kurt Klaus se présente chez IWC. Aujourd’hui, il est l’icône de l’entreprise au moment où il la quitte. Etait-il un enfant prodige ? « Tout gamin, je ne pensais déjà qu’à fabriquer des objets. Les jeux ne m’intéressaient pas vraiment. J’étais fasciné par les petits trains, les roues, les rouages. Et surtout, je voulais toujours tout remonter moi-même. Donc oui : la passion pour la mécanique de précision m’est venue très tôt. J’avais le choix : les instruments de précision ou l’horlogerie. Entre 1951 et 1955, j’ai suivi des cours d’horlogerie à Soloturn. Nous appre-


r e p o rta g e

“Un client américain qui voulait apprendre à sauter en parachute a réalisé dans l’avion qu’il avait toujours sa Destriero au poignet. Il a réalisé son saut,

s’est légèrement blessé au pied, mais sa montre était intacte.”

Pilots Watch Chronograph

nions à calculer les rouages, mais nous dessinions également des montres. Rien de bien compliqué, évidemment. Je voulais toujours faire quelque chose de spécial. Et oui : j’étais un des meilleurs de la classe, particulièrement en ce qui concerne la théorie de l’horlogerie. Cela se rapprochait parfois des matières étudiées par les ingénieurs. Encore aujourd’hui, c’est ce qui m’intéresse le plus, ce que j’admire aussi : pas tellement les montres en elles-mêmes, mais ces minuscules mécanismes, hyper-compliqués et pour lesquels il s’agit de trouver des solutions. Je suis également impressionné par la technologie d’un iPhone ou d’un iPad, mais ce n’est pas aussi magique. De toute manière, je n’ai aucune idée du fonctionnement de mon smartphone. » On aimerait imaginer qu’IWC a été chercher ce jeune et talentueux horloger sur les bancs de l’école, mais la réalité est moins idyllique. « Je suis tout simplement né non loin de Schaffhausen, et je voulais retourner dans cette région. Je n’avais dès lors pas le choix : IWC est le seul fabricant de montres en Suisse alémanique. » « Ma plus grande chance a été ma collaboration avec Albert Pellaton, le directeur technique de l’époque. Mais il n’était pas que cela, il était aussi un inventeur, un horloger, le chef de production ! Albert Pellaton, c’était monsieur IWC. Il a tout d’abord fallu que j’apprenne à connaître l’entreprise et la notion de qualité qui y régnait. J’ai fait à peu près tous les

travaux d’assemblage, d’entretien et de réparation – on nous confiait parfois des objets datant du 19ème – mais après deux ou trois ans, Albert Pellaton et moi entretenions d’excellents contacts. Il m’a donc choisi comme assistant ! A partir de ce moment, j’ai pu réaliser des prototypes et travailler sur de nouvelles constructions. Une de mes principales tâches consistait à réaliser des mécanismes de plus en plus précis. Nous avons connu de belles réussites dans ce domaine. Nos montres comptaient parmi les plus précises du marché. » « Il faut dire qu’Albert Pellaton était dur, tout le monde le craignait. Mais c’est lui qui m’a quasiment tout appris sur la véritable construction des mécanismes. Après lui, personne n’a plus eu une telle influence sur moi. J’étudiais aussi énormément, je réfléchissais, je tentais des trucs. Il n’y avait pas encore d’ordinateurs. J’utilisais un gros bouquin avec des tableaux de logarithmes, comme on me l’avait appris à l’école. Il m’a fallu dix ou quinze ans pour maîtriser totalement la construction d’une nouveauté. Avec une formation d’ingénieur, cela aurait été plus rapide. Mais la base du métier d’horloger, ce n’est pas d’être un ingénieur, c’est précisément

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le contraire. Il faut d’abord être un horloger. J’ai vu arriver pas mal d’ingénieurs en micromécanique, mais quand nous leur demandions de développer un mécanisme, cela ne marchait pas. Pour cela, il faut connaître la montre à fond. »

Porsche C’est alors que tout a basculé en Suisse : les montres électroniques à quartz, hyper-précises et bon marché, sont venues menacer les coûteuses merveilles mécaniques. « Dans les années 70, nous sommes tombés au plus bas. Nous sommes passés de 300 à 150 salariés. Des horlogers, des mécaniciens et des ouvriers ont été licenciés, mais aussi des ingénieurs et des constructeurs. Moi-même, j’ai eu beaucoup de chance : j’ai pu rester. Mais je me sentais très seul. » Il reste silencieux un long moment. « Quand nous avons été forcés de ne plus travailler qu’à temps partiel, c’est ce que j’ai connu de plus dur pendant toutes ces années. Je ne savais plus bien moimême comment nous allions nous en sortir. Nous n’étions même plus sûrs de recevoir un salaire. Tout le monde avait peur. Nous travaillions quatre jours par semaine. Le cinquième jour, j’étudiais comment


r e p o rta g e

“Lorsque je me promène dans l’usine et que j’observe de jeunes horlogers, en train

duction horlogère pour tenir tête aux Japonais. VDO a également racheté Jaeger-LeCoultre. Au début des années ’80, VDO a été repris par Mannesmann, qui considérait les deux manufactures comme les joyaux de la couronne, qu’on aime, même s’ils ne rapportent pas grand chose. Quoi de plus prestigieux que de posséder deux manufactures horlogères suisses ? »

Da Vinci

de monter et de régler, je pense : c’est

exactement le même travail que je faisais il y a 50 ans.”

Les bijoux de la couronne « Lorsque j’ai présenté ce calendrier à la direction, on m’a pratiquement ri au nez : les montres à quartz étaient en train de conquérir le marché. Mais ils m’ont autorisé à réaliser une centaine de pièces à titre expérimental. Nous avons alors réalisé un fort beau boîtier et en 1977, nous avons présenté cette montre au salon de Bâle. Deux jours plus tard, elles étaient toutes vendues. Une belle réussite ! Cela nous a évidemment motivés à poursuivre. Nous savions qu’il restait des clients fascinés par les complications mécaniques. » N’a-t-il vraiment jamais douté ? Après tout, l’industrie tout entière menaçait de s’écrouler. Kurt Klaus hésite un long moment avant de répondre. « Je n’étais pas sûr à 100%, mais presque. »

intégrer des calendriers dans les montres de gousset, encore assez prisées à l’époque. IWC avait toujours produit des montres de qualité, mais pas trop compliquées : l’heure, parfois la date, c’est tout. J’ai alors pensé : si je parviens à ajouter quelques éléments, les gens seront peut-être à nouveau intéressés par nos montres. Il faut que nous inventions quelque chose qui ne se trouve pas sur une montre à quartz. Quelque chose de compliqué! » « C’est alors que j’ai créé un calendrier complet, les aiguilles indiquant la date, le jour de la semaine, le mois et la phase de la lune. Il ne s’agissait pas encore d’un calendrier perpétuel : à la fin de chaque mois, il fallait régler la montre. »

« J’étais seul pour ce qui est de la construction des mécanismes. Nous employions un designer qui créait les boîtiers. La collaboration avec Ferdinand Alexander Porsche, pour la ligne de montres Porsche Design, nous a également valu un peu de travail et nous a permis de mettre fin au système de chômage partiel. Je continuais personnellement à travailler sur les montres de gousset. De fort beaux exemplaires parfois, mais cette époque semblait vraiment révolue et nous nous sommes donc bientôt concentrés exclusivement sur les bracelets montre. C’étaient les débuts de la Da Vinci. » Entre temps, la famille Homberger avait revendu IWC à VDO. « Là, nous étions sauvés. VDO était une grosse entreprise de Francfort qui fabriquait des instruments de mesure pour l’industrie automobile. Et le grand patron était en fait un horloger. C’est alors qu’est née l’idée de démarrer une importante pro-

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En 1980, un ingénieur visionnaire nommé Günter Blümlein devient le nouveau patron et réorganise l’entreprise. « Il a fait un travail fantastique », estime Kurt Klaus. « Les autres marques ne développaient plus de nouvelles montres mécaniques. Certaines commençaient même à produire des mécanismes à quartz. IWC n’a jamais fabriqué de montres à quartz, même s’il en a commercialisé. Nous étions bien obligés de le faire pour survivre. Nous achetions les mécanismes – notamment à Jaeger-LeCoultre. » « Avant l’arrivée de Monsieur Blümlein, il arrivait que je sois en conflit avec le management. Mais avec lui, jamais : nous nous entendions parfaitement. Il n’était pas seulement mon chef, il était un véritable ami. (Moment de silence) Nous avons eu des discussions bien sûr, mais toujours constructives. Un jour, j’ai voulu placer dans une montre une image des phases de la lune sans calendrier perpétuel, pour suivre la tendance. Il était furieux. ‘IWC ne suit pas la tendance, IWC crée la tendance!’, maugréa-t-il. »

Le grand moment C’est donc avec l’appui de Günther Blümlein que Kurt Klaus s’est lancé dans le développement d’une montre plus compliquée. « J’estimais qu’un calendrier perpétuel était le plus intéressant pour un bracelet montre. Le plus pratique aussi : il ne faut plus jamais le régler. Des calendriers perpétuels existaient déjà sur des bracelets montre – notamment chez Patek Philippe – mais ces mécanismes étaient terriblement compliqués, tant à la production qu’à l’utilisation. Lorsque la montre avait été arrêtée, il fallait à nouveau régler le calendrier avec des boutons distincts pour le jour, la semaine, le mois, l’année et la phase de la lune. Je tenais à simplifier tout cela. Günther Blümlein voulait aller encore plus loin : un bracelet montre avec un calendrier perpétuel sur un chronomètre, cela n’existait pas encore. Mais j’étais le seul constructeur chez IWC et nous n’avions pas beaucoup d’argent. Il n’était pas possible de fabriquer un mécanisme complet. L’idée, c’était de ne réaliser que ce calendrier et de le placer comme module dans un mécanisme existant. Cela nous permettrait aussi d’en faire plus. »


r e p o rta g e

Voilà ce qui a donné naissance à la renommée de Kurt Klaus. « J’ai opté pour un mécanisme automatique Jaeger-LeCoultre avec chronomètre. L’idée de base consistait à utiliser l’indicateur temps existant pour actionner le module calendrier. Ce mécanisme renfermait déjà une correction rapide des dates, avec la couronne en première position, ce que j’utilisais pour synchroniser correctement le calendrier perpétuel complet et la phase de lune. » Il a travaillé sur ce principe entre 1980 et 1984, et sans ordinateur à l’époque ! « Entre temps, je m’occupais aussi d’autres produits, même si j’ai été vraiment concentré sur cette invention les deux dernières années avant le lancement. Günter Blümlein était d’ailleurs le seul à y croire vraiment. Les autres pensaient : il fait n’importe quoi, ça ne marchera jamais. » « Je me souviens de l’instant où j’ai terminé le premier prototype, où je l’ai placé dans le mécanisme sous le microscope et où j’ai observé son fonctionnement. Pendant des heures. J’ai pris des photos en Polaroid. Le soir, j’ai suivi le passage du 28 février au 1er mars 1984. C’était la première fois que je le voyais vraiment : ça fonctionnait ! Mais ce n’était pas fini, pour moi. » La montre se voulait un hommage au génie universel et inter générationnel de Léonard De Vinci, avec son calendrier magique programmé pour 500 ans : vos arrière-petits-enfants pourront observer le passage du prochain siècle sur cette montre. En avril 1985, IWC présentait trois prototypes au salon de Bâle – une révolution qui a fait le tour du monde. Tout à coup, les autres calendriers perpétuels étaient obsolètes.

« Même lorsque nous avons continué avec des systèmes plus compliqués, j’ai toujours tenu compte de la possibilité de produire en série, à la différence des horlogers indépendants qui fabriquent des mécanismes fantastiques, des tourbillons dans tous les sens, etc. Très peu pour moi. » Il est clair que Kurt Klaus a sauvé IWC avec la Da Vinci. D’aucuns vont même jusqu’à prétendre que cette invention a initié le renouveau de l’industrie horlogère suisse des montres mécaniques. « Ils ont tous remarqué notre réussite, et ils ont suivi », affirme Kurt Klaus. Mais le héros national, n’était-ce pas Nicolas Hayek, l’homme qui se cache derrière le Groupe Swatch ? « Monsieur Hayek a produit un nombre incalculable de montres Swatch, mais ce n’est pas de la haute horlogerie », commente Kurt Klaus. Pourtant, avec l’argent qu’il a gagné avec Swatch, Nicolas Hayek a bien racheté des petits ateliers  « Et même des grands », précise Kurt Klaus. « Et des usines, notamment pour le chronomètre de Valjoux. On peut dire que Nicolas Hayek a sauvé Valjoux, comme VDO a sauvé IWC. Mais IWC avait toujours une longueur d’avance en ce qui concerne le rétablissement de la haute horlogerie. Ce n’est que bien plus tard que Monsieur Hayek a racheté des marques de prestige comme Blancpain et Breguet. Il y a même eu des entretiens visant le

« Nous avons livré les premiers exemplaires dès le mois d’août, mais pour moi, le vrai grand moment a été celui de la vente de la 500ème montre. Quelle réussite ! Fabriquer un beau mécanisme est une chose, parvenir à le vendre, c’est autre chose ! Je n’ai jamais travaillé pour moi, mais pour IWC. Je tenais à faire un produit. » « Après deux ou trois ans, nous produisions 2 000 Da Vinci par an, un phénomène inouï pour un calendrier perpétuel. Le module de Kurt Klaus ne renfermait ‘que’ 82 pièces : beaucoup moins que chez les concurrents. « La correction très simple avec une couronne, alliée à l’industrialisation : c’était la clé de notre réussite. Ainsi que le prix. La première Da Vinci dans un boîtier en or coûtait 14 750 Francs Suisses – je ne l’oublierai jamais. On ne trouvait pas de produits similaires à moins de 20 000 ou 25 000 francs. »

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rachat de IWC et de Jaeger-LeCoultre, avec qui nous formions un groupe. Mais nous étions trop chers. »

Technologies de pointe Après la Da Vinci, Günther Blümlein voulait surtout que Kurt Klaus – entre temps surnommé ‘l’Einstein de Schaffhausen’ – continue à travailler. Il a donc proposé une répétition minute – un mécanisme qui fait entendre les heures, les quarts d’heures et les minutes d’une simple pression sur un bouton. Il a accueilli un nouveau collègue, Giulio Papi. « J’ai tout de suite su que nous devions garder ce garçon parmi nous. Il avait des idées formidables. Nous avons collaboré pendant quatre ans, notamment sur la répétition minute de la Da Vinci, dont nous avons placé le mécanisme entre le chronomètre et le calendrier perpétuel. En 1990, nous avons présenté notre Grande Complication, un mécanisme automatique à chronomètre, répétition minute, calendrier perpétuel avec représentation numérique de l’année et de la phase de lune. » « Même si j’affirme que j’ai toujours visé l’industrialisation, l’assemblage reste compliqué. Au moment où l’horloger réceptionne les 657 pièces achevées, il en a encore pour quatre semaines de travail. Pendant les sept premières années, nous avons vendu cinquante exemplaires par an. Ensuite, nous sommes tombés à une trentaine – ce qui n’est toujours pas trop mal pour une montre qui coûte à peu près 200 000 euros. »


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Portuguese Automatic

Entre temps, bien des choses avaient changé. « Depuis 1988, j’utilise un ordinateur. Je me souviens du tout premier, une énorme machine. Mais ce n’est qu’un outil, même s’il a modifié l’industrie tout entière. Il y a d’abord eu la fabrication des mécanismes réglée par ordinateur, ensuite on a vu arriver les premières machines assistées par ordinateur pour la production des pièces et des boîtiers et aujourd’hui, les deux sont reliés en ligne. Ces changements me fascinaient. Aujourd’hui, je peux dessiner n’importe quelle forme. Je l’envoie à la machine par câble en fibre de verre, je démarre le programme et la pièce est parfaitement coupée. Super. C’est cela la véritable industrialisation. En fait, ce n’est plus de l’horlogerie. » Rire. « En ce qui concerne la production de pièces, l’horlogerie opère une pause en faveur des technologies de pointe. Ensuite, elle refait surface, lorsque ces pièces sont traitées et polies à la main et lorsque les montres sont assemblées. »

toujours en production après plus de 50 ans. Ce fut une grande réussite et la tendance des grosses montres s’est poursuivie : aujourd’hui, on en voit partout. Ensuite, nous avons décidé de réaliser un mécanisme automatique totalement neuf. » Ce ‘Caliber 5000’ a été un autre tournant dans la vie de Kurt Klaus. « Nous y avons travaillé pendant cinq ans et en 2000, la Portugaise Automatique était prête. Par la suite, j’ai légèrement modifié mon calendrier perpétuel pour cette Portugaise, et c’est une de nos meilleures ventes. L’année dernière, nous avons lancé une Portugaise Grande Complication. »

« Lorsque je me promène dans l’usine et que j’observe de jeunes horlogers en train de monter et de régler, je pense : c’est exactement le même travail que je faisais il y a 50 ans. D’accord, ils ont un tournevis électrique pour les pièces relativement importantes, ou des appareils de dosage qui forment des gouttes d’huile identiques pour la mécanique de précision, mais ils assemblent toujours le tout avec une extrême précision. Pour régler un échappement, ils utilisent les mêmes outils que nous avions à l’école. »

Kurt Klaus a dirigé le groupe qui a développé ce modèle, qui coûtait environ 350 000 Francs Suisses. L’exemplaire le plus coûteux était, à ce qu’il paraît

Toujours pour ce 125ème anniversaire, IWC a lancé un même nombre d’exemplaires Il Destriero Scafusia – ‘le destrier de Schaffhausen’, avec lequel la marque a probablement réalisé à l’époque la montre mécanique la plus compliquée dans le monde (elle compte 760 pièces).

une montre avec un bracelet en platine destinée à un fermier du Texas, qui la portait pour surveiller ses troupeaux. Kurt Klaus confirme. « Un autre client américain qui voulait apprendre à sauter en parachute avait réalisé dans l’avion qu’il avait toujours sa Destriero au poignet. Il a réalisé son saut, s’est légèrement blessé au pied, mais sa montre était intacte. Cela peut sembler fou, mais nous fabriquons des objets d’usage courant. En guise de test, nous avons confié une Portugaise Tourbillon à un joueur de golf professionnel. Il a disputé un tournoi avec la montre au poignet, sans aucune anicroche. Il s’agit là d’une réelle performance, car les chocs que subit une montre aussi fragile en de telles occasions sont vraiment impressionnants. » IWC a récemment lancé la nouvelle Portugaise Sidérale Scafusia, une merveilleuse montre avec un module astronomique qui indique outre le temps solaire également le temps sidéral, ainsi que des indications astronomiques, avec une précision absolue. Il s’agit de la montre la plus complexe jamais produite par IWC, et qui coûte 750 000 Francs Suisses (plus de 600 000 euros). Un groupe d’ingénieurs a développé ce mécanisme avec Ben Moore, un professeur d’astronomie qui dirige à l’université de Zürich l’Institut de Physique théorique, la chaire occupée à l’époque par …  Einstein. « Ils produiront de cinq à dix exemplaires par an », explique Kurt Klaus. « Il s’agit d’un projet de prestige. Et en fait, du contraire de ce que j’ai moimême fait. IWC ne pourrait pas survivre rien qu’avec des montres de ce type. Nous avons vraiment besoin de la gamme de base, à des prix raisonnables – les montres de pilote, la Portofino, l’Aquatimer. »

Portuguese Grande Complication

Un fermier du Texas « Pour fêter notre 125ème anniversaire en 1993, nous avons lancé une nouvelle série de la Portugaise. Elle faisait référence au modèle de 1940, lorsque IWC avait réalisé pour le marché portugais quelques montres bracelet avec le mécanisme d’une montre à gousset. Nous avons utilisé le même mécanisme,

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L E P O I N T S U R L A S I T U AT I ON

nou v e au r egl e m en t

La transmission des entreprises familiales en Wallonie et a Bruxelles Si divers régimes ont été mis en place au niveau national depuis 1980 en vue de simplifier la transmission des entreprises familiales, les trois Régions ont depuis lors pris les choses en main. Ainsi, en Région Wallonne, il est possible depuis 2005 de faire donation d’une entreprise familiale à un taux dit « réduit » de 0%. Ce même taux s’applique à la succession d’une telle entreprise. En Région Bruxelloise, les successions et les donations d’entreprises familiales sont soumises à un taux de 3%. texte Guillaume Breyne, responsible audit center

La region Wallonne

lien familial, ni être une personne physique. La donation doit porter sur un droit réel, de telle sorte qu’il puisse s’agir de la pleine propriété, mais aussi de la nue-propriété ou de l’usufruit de cette entreprise.

Les conditions applicables en Région Wallonne en matière de droits de donation et de succession sont strictement les mêmes. Nous examinerons dès lors ici la donation d’une société tout en gardant à l’œil que ces dispositions s’appliquent aussi en cas de succession. Remarquons avant tout qu’il n’y a pas de condition spécifique quant à la qualité du bénéficiaire de la donation. Celui-ci ne doit donc pas être lié au donateur par un

Guillaume Breyne

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Entreprise unipersonnelle Il est permis aux indépendants exerçant leur profession sous la forme d’une entreprise unipersonnelle de transmettre celle-ci en bénéficiant du taux de 0%. Le législateur wallon, pour parler de l’entreprise unipersonnelle, invoque la


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trans­m ission ‘d’une universalité de biens, d’une branche d’activité ou d’un fonds de commerce’. Pour simplifier les choses, il s’agit donc de l’ensemble des biens affectés à son travail par un indépendant qui n’a pas créé de société. En ce sens, les biens immobiliers affectés à l’habitation sont exclus de ce taux réduit de transmission (à tout le moins pour la partie qui n’est pas affectée à l’exploitation). L’entreprise doit exercer une activité commerciale, artisanale, agricole ou fores­tière, une profession libérale ou une charge ou office. Il convient de se référer au sens usuel des termes pour ce qui con­ cerne les activités industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou forestière. Par profession libérale, il faut compren­ dre les avocats, médecins, dentistes, architectes, comptables, réviseurs d’entre­prises, vétérinaires, experts, ingénieurs conseils  … Par ceux qui exercent une charge ou un office, il convient de comprendre les notaires, les huissiers de justice … D’autres conditions demandent à être respectées, à savoir que, dans une période de 5 ans qui suit la donation :  • l’activité soit poursuivie; • le personnel soit maintenu au moins à 75% • les avoirs affectés à l’activité ne soient pas réduits. Le cas particulier des entreprises agricoles Depuis fin 2009, un régime spécifique pour la transmission des entreprises agricoles a également été introduit. En effet, s’il était jusqu’alors possible de transmettre une telle entreprise tout en bénéficiant de ce taux réduit en droit de donation, il convenait de transmettre l’universalité des biens composant celle-ci, à savoir donc le matériel agricole, les bâtiments affectés à l’exploitation, les terres utilisées pour celle-ci … Il est désormais p ­ ossible de transmettre l’exploitation agricole en bénéficiant du taux 0% tout en conservant la pleine propriété des t­ errains agricoles

affectés à cette exploitation et de les soumettre à un bail à ferme (ce qui permet de conserver les revenus produits par ces terres, malgré la donation du reste de l’entreprise unipersonnelle). Ces terrains, jusqu’alors conservés en pleine propriété, peuvent par la suite faire l’objet d’une nouvelle transmission au taux de 0% par donation ou par succession.

“Depuis fin 2009, un régime

spécifique pour la transmission des entreprises agricoles a également été introduit.”

La société familiale Au-delà de la transmission à titre gratuit d’une entreprise unipersonnelle, le législateur wallon a aussi prévu la possibilité de transmettre un droit réel sur les titres d’une société familiale en bénéficiant de ce taux de 0%. Cependant, des conditions quelque peu restrictives sont à respecter pour que ce taux de 0% puisse trouver à s’appliquer. Si la société concernée est une holding, et sans aller dans le détail de cette situation, cette dernière peut aussi bénéficier de ce taux réduit, mais les conditions à respecter doivent alors l’être dans le chef de la société elle-même ou de la société et de ses filiales. Les conditions lors de la donation Par ‘titres’ qui peuvent bénéficier de cette donation au taux réduit, il faut ­entendre les actions, parts bénéficiaires, droits de souscriptions et parts d’une ­société, mais aussi les certificats se rapportant à de tels titres. Les conditions principales pour bénéficier du taux réduit sont que, au moment de la donation, la société familiale doit soit occuper dans l’Espace Economique Européen du personnel engagé sous contrat de travail

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à la date du décès, soit occuper dans l’Espace Economique Européen pour seule main d’œuvre l’exploitant et son conjoint ou cohabitant légal, ses parents au premier degré et alliés. De plus, et c’est ce qui exclut les sociétés immobilières et patrimoniales dans cette Région, elle doit exercer à titre principal une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou forestière, une profession libérale, une charge ou un office. Notons cependant que si une société exerce une activité prévue par cette législation, et une autre activité non prévue (immobilière par exemple), il convient de vérifier quelle est l’activité réellement et habituellement exercée par la société et ce, notamment sur base de ses statuts et du chiffre d’affaire. A partir du moment où l’activité prépondérante de la société est une activité industrielle, commerciale …, c’est l’intégralité de la société qui peut bénéficier de ce taux de 0%. Enfin, les titres de la société familiale qui sont transmis doivent représenter au moins 10% des droits de vote à l’assemblée générale. Si au moins 50% des parts ne sont pas détenues par le cercle familial (dans un sens assez large, à savoir notamment les frères et sœurs du défunt, son conjoint ou cohabitant légal, les descendants des frères et sœurs, les ascendants …), les actionnaires doivent aussi conclure un pacte d’actionnariat par lequel ils s’engagent à respecter les conditions d’application du taux réduit.

“Au-delà de la transmission à titre gratuit d’une entreprise unipersonnelle,

le législateur wallon a aussi prévu la possibilité de transmettre un droit réel sur les titres d’une société familiale en bénéficiant de ce taux de 0%.”


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Dans un délai de 5 ans après la donation Non content de devoir respecter certaines conditions lors de la donation, l’exonération de droit de donation réclame aussi le respect de conditions complémentaires dans un délai de 5 ans après celle-ci. En effet, une activité (mais pas spécialement la même) visée (industrielle, commerciale …) doit être poursuivie par la société, le personnel doit être maintenu à concurrence d’au moins 75% et le capital ne peut être réduit. Enfin, le siège de direction effective de la société transmise ne peut pas être transféré dans un Etat non membre de l’Union Européenne. Ces mesures ayant évidemment pour objectif d’éviter que le bénéficiaire de la donation ne vide la société de sa consistance après avoir bénéficié d’un taux très favorable. A défaut de respect de ces conditions dans les 5 ans, les droits normaux de donation (à savoir le taux de 3% pour les donations mobilières, ou les taux progressifs) devront être payés, majorés évidemment de l’intérêt légal au taux fixé en matière civile.

ne soit pas frauduleuse ou due au contribuable. Nous pouvons dès lors raisonnablement envisager qu’une crise économique pourrait être invoquée pour justifier, par exemple, la diminution du nombre de personnes occupées par l’entreprise.

“En Région de Bruxelles Capitale,

Pas d’application de la réserve de progressivité En plus de la réduction des droits de succession afférente à ce taux 0%, l’application de ce taux réduit n’entraîne pas non plus de réserve de progressivité des taux sur les autres biens tombant dans la succession. Il n’en est pas de même, nous le verrons, en Région Bruxelloise.

les entreprises familiales peuvent aussi bénéficier d’un taux réduit en droits de succession et de donation mais qui est ici de 3%.”

Cependant, la force majeure peut libérer le continuateur du payement de ces montants. Ceci nécessite dès lors, sur base du droit commun, un événement postérieur à la naissance de l’obligation et indépendant de la volonté de celui qui l’invoque, qui n’a pas pu être prévu, ni empêché par lui, qui rend impossible l’exécution de son obligation. Sur base de récentes informations obtenues de l’administration fiscale wallonne, une faillite pourrait ainsi être considérée comme un cas de force majeure et ce, pour autant qu’elle

Les créances Si les titres de la société concernée peuvent bénéficier du taux réduit, il en est de même des créances sur celle-ci, qui sont définies comme étant une avance faite par un actionnaire à une société, à partir du moment où ce prêt est en rapport avec l’activité économique de l’entreprise. Cette créance bénéficiera du taux réduit, mais uniquement dans la mesure où le montant nominal total des créances n’excède pas la partie du capital social réellement libéré à la date de l’acte authentique de donation. Cette transmission de créance doit être liée à la transmission d’actions de telle sorte qu’il n’est donc pas possible de transmettre uniquement le compte courant de la société, tout en conservant la pleine propriété des actions de celle-ci.

La region Bruxelloise En Région de Bruxelles Capitale, les entreprises familiales peuvent aussi bénéficier d’un taux réduit en droits de succession et de donation mais qui est ici de 3%. Les conditions étant ici différentes pour la donation et pour la succession, voyons ce qu’il en est pour chacun de ces cas en nous contentant d’examiner le cas de la transmission d’une société. La donation Pour bénéficier du taux de donation de

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3% en Région Bruxelloise, il convient que la donation porte sur la pleine propriété d’au moins 10% des droits de vote à l’assemblée générale. Si les actions ou parts qui font l’objet de la donation représentent moins de 50% des droits de vote, il convient de produire un pacte d’actionnariat (par lequel ces actionnaires s’engagent au respect des conditions) portant sur ce quota de 50%. Le donataire doit, dans l’acte authentique de donation, s’engager à conserver la pleine propriété des parts ou actions pendant une durée interrompue de cinq ans. Qui plus est, le siège de direction effectif de la société doit être situé dans un Etat membre de l’Union Européenne, et la société doit avoir pour objet une activité industrielle, commerciale, artisanale ou agricole, une profession libérale ou une charge ou office. Il ne peut dès lors être question de transmettre uniquement l’usufruit ou la nue-propriété de ces parts ou actions en profitant de ce système. La succession En droits de succession, il faut aussi que l’activité exercée par l’entreprise transmise soit une exploitation industrielle, commerciale, artisanale ou agricole ou l’exercice d’une profession libérale. La succession doit comprendre la pleine propriété de titres d’une telle société dont le siège de direction est situé dans un Etat membre de l’U.E. De plus, l’ensemble des titres qui sont ainsi transmis doit représenter au moins 25% des droits de vote à l’assemblée générale (si les titres qui ont été transmis représentent moins de 50% des droits de vote à l’assemblée générale, un pacte d’actionnariat doit en outre être conclu portant sur au moins 50% des droits de vote). Les titres transmis doivent être ceux d’une petite ou moyenne entreprise. On entend en cela une entreprise qui emploie moins de 250 personnes et dont le chiffre d’affaires annuel n’excède pas les 40 millions d’euros ou dont le montant total du bilan annuel n’excède pas les 27 millions d’euros, et qui respecte le critère d’indépendance selon lequel une grande entre-


Transmettre votre société en région Flamande Un résumé prise ne peut posséder 25% ou plus du capital de cette petite ou moyenne entreprise. Si l’on veut conserver le taux réduit et ne pas payer les droits normaux et progressifs des droits de succession, certaines conditions sont aussi à respecter et ce, dans les 5 années après le décès. Ainsi, l’activité principale de l’entreprise doit être poursuivie en Belgique pendant au moins cinq années après le décès ; le nombre de travailleurs salariés dans l’entreprise doit être maintenu au moins à 75% et ce, d’année en année, durant les cinq premières années après le décès. Enfin, Le capital social d’une société ne peut pas diminuer à la suite de versements ou de remboursements au cours de cette période.

“Si l’on veut conserver le taux réduit et ne pas payer les droits normaux et progressifs des droits de succession, certaines

conditions sont aussi à respecter et ce, dans les 5 années après le décès.”

Cependant, une différence majeure avec la Région Wallonne est que « les parts des ayants droit dans les valeurs nettes visées ( … ) sont ajoutées à leur part dans la valeur imposable des autres biens, pour l’application des tarifs progressifs ( … ) sur la transmission de ces autres biens  ». C’est ce que l’on appelle plus communément la réserve de progressivité. Par l’application de celle-ci, les biens soumis à un taux réduit sont malgré tout repris dans la base imposable totale de l’héritier et ce, afin de fixer les taux applicables aux autres biens. De ce fait, les autres biens seront soumis à des taux supérieurs en raison de la progressivité des taux des droits de succession.

Nouveau reglement en matiere d’heritage et de donation de l’entreprise familiale Un nouveau règlement en matière d’héritage et de donation de l’entreprise familiale est entré en vigueur en Flandre depuis le 1er janvier 2012. Récapitulatif des grandes lignes de ce nouveau règlement flamand.

La condition de charges salariales devient la condition d’activite

L’ancienne condition de charges salariales est devenue non pertinente dans le nouveau règlement. Une condition d’activité s’applique depuis le 1er janvier 2012. Concrètement, il s’agit d’une entreprise familiale : une entreprise qui vise l’exercice et l’exploitation personnelle par le donateur ou le testateur d’une entreprise industrielle, commerciale, artisanale ou agricole ou d’une profession libérale. Ou d’une société familiale dont le siège est situé dans l’EEE (Espace économique européen) qui satisfait à ces conditions. Qui est exclu du nouveau régime favorable ? Les sociétés qui n’exercent pas d’activité économique réelle. Une société patrimoniale pure est considérée comme n’ayant pas d’activité économique réelle. Quand le législateur estime-t-il qu’il s’agit d’une telle société ? Il examine les « postes bilantaires » des comptes annuels ou des comptes annuels consolidés pour une société holding et vérifie si pour « au moins un des trois exercices comptables précédant la donation/le décès, il s’avère cumulativement que : • les rémunérations, les charges sociales et les pensions représentent 1,50% ou moins du total des actifs • les terrains et les bâtiments représentent plus de 50% du total des actifs ». Il s’agit en l’occurrence d’une présomption réfutable. Il ressort de l’exposé des motifs que les sociétés de gestion sont également exclues. Elles ne créeraient pas de valeur d’entreprise économique. Mais le texte du décret ne dit rien à ce sujet. Modification de la condition de participation

Au moment du décès ou de la donation, les actions doivent appartenir à part entière au moins à 50% au testateur/donateur et/ou à sa famille. Citons un autre assouplissement : il suffit de détenir 30% des actions si le testateur/donateur possède avec un autre actionnaire et sa famille à part entière au moins 70% des actions. Ou 90% avec deux autres actionnaires et leur famille. Societe holding ?

Que se passe-t-il si une société ne satisfait pas à ces conditions, mais détient toutefois 30% des actions d’au moins une filiale directe qui satisfait, elle, aux conditions et qui possède son siège dans l’EEE ? Elle est alors malgré tout considérée comme une société familiale. Il n’est pas tenu compte des petites-filles ou arrières-petites-filles sous-jacentes.

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Dans ces conditions, les actions de « sociétés holdings » entrent également en considération pour l’exonération de droits de donation ou les droits de succession réduits. Toutefois, la donation ou le taux réduit restent limités à la valeur des actions de la société (holding) dans la (les) filiale(s) directe(s) exerçant une activité autorisée et possédant son (leur) siège dans l’EEE.

Dans ce cas, le taux normal est dû proportionnellement ; • le siège de la société ne peut pas être déplacé dans un Etat qui n’est pas membre de l’EEE, et ce, pendant trois ans à compter de la date du décès du testateur ou de la date de l’acte authentique de donation. Plusieurs autres formalités doivent également être respectées, mais nous ne les approfondirons pas.

Donation : les 2% deviennent 0%

Désormais, le taux applicable à la donation d’une entreprise ou société familiale devant un notaire belge est de 0%. Les droits de succession flamands a 0% passent a 3 ou 7%.

Il n’est plus question d’une exonération, mais d’un taux réduit. Concrètement, le taux s’élève à 3% pour un héritage en ligne directe et entre époux ou partenaires cohabitants et à 7% pour un héritage entre toutes les autres personnes. Entreprise familiale Ou il s’agit de la donation ou de la liquidation de la pleine propriété, de la nue-propriété ou de l’usufruit d’actions d’une société familiale dont le siège est situé dans un Etat membre de l’EEE. Sociétés familiales Ou il s’agit de la donation ou de la liquidation de la pleine propriété, de la nue-propriété ou de l’usufruit d’actions d’une société familiale dont le siège est situé dans un Etat membre de l’EEE. Conditions de conservation

Entreprise familiale Pendant trois ans, à compter de la date de l’acte authentique de donation ou du décès du testateur : • vous devez poursuivre l’activité de l’entreprise sans interruption ; • vous ne pouvez pas utiliser les biens immobiliers à titre non principal aux fins d’habitation. Société familiales Pendant trois ans, à compter de la date de l’acte authentique de donation ou du décès du testateur, la société doit satisfaire aux conditions suivantes : • la société familiale doit continuer à satisfaire aux conditions d’une société familiale ; • l’activité de la société familiale doit être poursuivie sans interruption. Chaque année, vous devez établir des comptes annuels et éventuellement les faire publier conformément à la législation comptable de l’Etat membre où le siège est établi ; • le capital ne peut pas diminuer pendant trois ans à la suite de distributions ou de remboursements, à compter de la date du décès du testateur ou de la date de l’acte authentique de donation. Que se passe-t-il si le capital diminue à la suite de distributions ou de remboursements pendant cette période ?

Compte courant ?

Le nouveau règlement ne parle nulle part de créances sur une société (C/C). Il ressort de l’exposé des motifs qu’elles n’entrent pas en considération pour une exonération des droits de donation ou une réduction des droits de succession. Periode suspecte

Jusqu’il y a peu, le Code des droits de succession stipulait que les biens donnés par le testateur au cours des trois années précédant son décès, sans paiement de droits de donation, étaient soumis à des droits de succession. Cette période « suspecte » de trois ans est désormais étendue à une période de sept ans, du moins en ce qui concerne les actions et les actifs qui peuvent bénéficier de la nouvelle exonération, mais qui sont malgré tout transmis d’une autre façon (par ex. par don manuel d’actions au porteur ou par une donation devant un notaire néerlandais). Concrètement, cela signifie que lorsque vous souhaitez donner une entreprise ou une société familiale qui entre en considération pour une exonération de droits de donation, mais que la donation s’organise malgré tout d’une autre façon (sans enregistrement en Belgique), vous devez désormais tenir compte d’une période de sept ans. Selon les auteurs du décret, les donations de sociétés patrimoniales qui n’ont pas été enregistrées en Belgique sont également soumises à la nouvelle période de sept ans. Une lecture littérale du texte législatif laisse toutefois supposer qu’une période de trois ans continue de s’appliquer à ce type de donations. Par conséquent, il convient que les auteurs du décret apportent des éclaircissements sur ce point. Cette période de 7 ans s’applique uniquement aux donations réalisées depuis le 1er janvier 2012. Conclusion

Il était prévu que la mesure de crise temporaire serait évaluée vers le milieu de l’année 2011. Récemment, les règles relatives à l’héritage et à la donation d’une entreprise familiale ont été radicalement modifiées et un tout nouveau règlement a vu le jour. Les règles et conditions (de forme) pour bénéficier de l’exonération des droits de donation et du taux réduit des droits de succession ont globalement été harmonisées. La transparence s’en trouve accrue. Aviez-vous déjà élaboré une planification successorale ? Dans l’affirmative, vous devez avoir conscience que les techniques telles que les donations sans paiement de droits d’enregistrement doivent être réévaluées. Vérifiez si une régularisation s’impose.

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ARA STARCK

STARCK l’artiste peintre Moulin à paroles, artiste peintre, Parisienne, musicienne, ballerine et fille du designer Philippe Starck :  voici Ara Starck elle-même ! Tout récemment, Ara Starck s’est rendue à Gand afin de lever le voile sur une réalisation acoustique conçue pour la nouvelle salle de concert De Bijloke. Le panneau acoustique a été réalisé avec l’aide d’Optima. Ci-dessous, une interview exclusive de l’artiste pour Capital. texte Iris De Feijter photos lieven dirckx

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A ne pas manquer : d’ici peu, le centre Muziekcentrum Bijloke résonnera d’accords de guitares et de mélodies pop. Ne vous y trompez pas, le bastion de la musique classique n’est pas en passe de devenir un temple de la pop. Il accueillera tout simplement The Two : la nouvelle formation de l’artiste française et annexe musicienne Ara Starck. « Lorsque j’ai découvert la salle il y a deux ans, j’ai eu le coup de foudre. Depuis, je n’ai cessé de rêver du spectacle que j’y donnerais un jour », nous confie une Ara Starck enthousiasmée.

cinq étoiles. Starck junior : « Dans notre famille, nous avons un accord tacite : nous ne travaillons pas ensemble. Pourtant, cette mission m’allait comme un gant. J’ai donc usé d’un subterfuge et d’un pseudonyme pour déposer mon projet. Lorsque mon père a appelé le numéro que j’avais indiqué pour annoncer que j’avais été choisie, il a d’abord cru qu’il s’était trompé. Il est tombé des nues lorsque je lui ai avoué que c’était bien mon projet. Bon, d’accord, il s’est fâché, mais ça lui est vite passé.’

Ara Starck fait référence à la Kraakhuis : la nouvelle salle de concert de la Bijloke. Il s’agit d’une ancienne infirmerie, un lieu magique, avec son énorme hauteur sous plafond et ses fresques pré-Van Eyck. Pourtant, le son n’y était pas terrible, et il a fallu y remédier à l’aide d’une toile acoustique. D’où l’idée d’en faire une œuvre d’art, et de faire appel à Ara Starck. Un enchaînement logique : De Bijloke tenait à recruter un ou une jeune artiste de renommée internationale et en 2008, Ara Starck avait déjà peint une toile monumentale pour le plafond de l’hôtel Meurice à Paris. Il s’agissait d’ailleurs de sa première collaboration avec son illustre père, le designer Philippe Starck, chargé à l’époque de relooker le palace

De la peinture et des brosses

“Sur scène, le public vous fait payer la moindre erreur. Mais quand on

parvient à entamer le dialogue avec son public, la récompense est grande.”

La réalisation de l’hôtel parisien est bien différente du projet de Gand. La toile du Meurice, qui filtre la lumière traversant une verrière, n’a en effet aucun impact sur l’acoustique. Le procédé est également tout autre. « La toile du Meurice, qui couvre 145m², est composée de quatre triangles, chacun de la taille d’un studio parisien. J’ai loué une grande salle de cinéma en guise d’atelier, ainsi qu’une grue, qui me hissait à 4 mètres audessus de la toile, ce qui me permettait de voir ce que l’on pourrait ensuite admirer depuis le sol. » « A Gand, il était impossible de travailler avec de la peinture et des brosses : une toile peinte perd ses qualités acoustiques. De plus, la peinture risquait de se craqueler suite au treuillage de la toile. J’ai donc réalisé une esquisse qui a ensuite été imprimée sur la toile. » L’artiste tenait absolument à éviter les coutures dans son projet. Pourtant, aucune imprimerie au monde n’est en mesure de traiter une toile de 22 mètres sur 6. Après plus d’une année de recherches, le Muziekcentrum a enfin trouvé l’oiseau rare : Showtex. Cette entreprise anversoise, qui possède des filiales dans de nombreux pays, venait effectivement d’acquérir une machine capable d’une telle prouesse et le projet d’Ara Starck a donc finalement vu le jour. Que voit-on au juste sur cette toile ? Des mains. « Pour moi, la musique c’est de l’émotion pure. Et tous les musiciens – sauf les chanteurs – utilisent leurs mains pour exprimer cette émotion. Ces mains entrelacées nous parlent dès lors d’échanges et d’émotions. Au niveau des matières choisies, j’ai combiné la terre de Sienne – un pigment roux-brun tiré de la glaise italienne – et le fusain. »

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La salle de dissection Impossible de trouver une tâche plus adaptée à la personnalité d’Ara Starck. Pour elle en effet, la musique et les arts plastiques sont intimement liés. « Les autres artistes s’inspirent de beaux paysages ou d’une visite au musée. Mes sources d’inspiration ? Un concert réussi ou la voix fantastique d’un Lou Reed ou d’un Robert Wyatt » explique-t-elle. « Je peins depuis toujours, mais il me manquait quelque chose. Un artiste peut travailler sur une toile pendant des jours, des semaines ou même des mois sans que quelqu’un voie ou commente son œuvre, ce qui est très confortable. Alors que sur scène, le public vous fait payer la moindre erreur. Mais quand on parvient à entamer le dialogue avec son public, la récompense est grande. » Il y a trois ans, Ara Starck se lançait dans la musique avec David Jarre – petit-fils de Maurice et fils de Jean-Michel, les deux illustres compositeurs. Entre temps, le duo a sorti deux CD et est parti en tournée dans le monde entier. « David compose et j’écris les textes, bien plus autobiographiques que ne le sont mes peintures. Pour moi, un texte est beaucoup plus abstrait qu’une image, ce qui n’est pas le cas pour tout le monde. Le jour où un critique musical m’a demandé de quoi parlait la chanson Coma, je n’ai su que répondre. Je ne tenais pas du tout à lui expliquer d’où cela venait ; c’était beaucoup trop personnel. » Ara Starck n’appartient donc pas à cette génération d’artistes expressionnistes qui font exploser leurs tripes sur la toile. « La technique est primordiale à mes yeux. A l’académie, j’ai tenu à étudier la peinture à l’huile et l’anatomie du corps humain, ce que mes professeurs ne trouvaient pas indispensable. J’ai dès lors approfondi ma technique en me servant des livres et je me suis inscrite en cours d’anatomie à la fac. Je me suis donc retrouvée avec des étudiants de première année de médecine dans l’amphi de dissection – une expérience terrible, mais passionnante en même temps. Et j’étais douée : j’ai même eu droit aux félicitations du jury », déclare-t-elle fièrement. Pourtant, à observer son œuvre, on ne voit que très rarement des anatomies correctes. « Je travaille toujours avec les mêmes modèles, que je place dans des positions bizarres – parfois presque


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impossibles physiquement parlant. Ensuite, je les déforme souvent. Cela peut sembler bizarre, mais c’est précisément là que les cours d’anatomie me sont utiles. Il faut connaître une matière à fond pour être capable de la malmener. Une représentation réaliste ne m’intéresse guère. Sinon, une photo suffirait. »

Des tutus Ara Starck a grandi à Paris, mais est ensuite partie à Londres pour y suivre les cours de l’académie des beaux-arts. « La première journée que j’ai passée à l’académie de Paris a été horrible. Le sol était jonché de bouteilles de vodka et tous les types qui traînaient là se prétendaient artiste. Vraiment pas mon genre …  Le lendemain, j’ai fait mes valises et je suis partie pour The Slade à Londres. J’y avais mon propre atelier – gigantesque – et tous les professeurs étaient des critiques d’art inflexibles. J’ai vite réalisé que je n’étais pas une artiste, mais un peintre. » Après ses aventures londoniennes, la Française traverse l’océan, direction New York. Pourtant, après deux années passées en Amérique, elle retrouve ses racines et Paris. « J’ai toujours adoré voyager. Enfant déjà, mes parents m’emmenaient partout et neuf fois sur dix, je ne voulais plus rentrer à la

maison. Ma famille est dispersée dans le monde entier et moi-même, je n’ai aucun lieu que j’appelle mon chez-moi. Je peux vivre n’importe où. » Parlons de sa maison : n’y voit-on que des objets design signés Starck ? « Haha, vous devriez la voir : on dirait un marché aux puces. Je n’ai pas du tout le sens de la déco ni de l’aménagement d’intérieur. J’admire le travail de mon père, mais je respecte bien plus encore son esprit et sa créativité. Ce que j’ai en commun avec lui, c’est que nous sommes tous deux des drogués du travail. Je ne dors que trois heures par nuit et ne pas travailler me rend nerveuse. Je n’ai rien de la Parisienne branchée, qui est de toutes les soirées. Je n’aime que peindre et faire de la musique, des disciplines que je tiens à approfondir sans cesse. » « Là où je n’ai vraiment aucune ambition, c’est dans ce qui me passionne : le ballet et le Japonais. Cela fait deux ans que j’étudie cette langue. Je me débrouille comme un manche, mais j’adore. Même chose avec le ballet. Je suis obsédée par les tutus depuis ma plus tendre enfance. J’en possède toute une collection, que je porte régulièrement. J’assiste à des représentations de ballets classiques chaque fois que c’est possible. A mes yeux,

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une ballerine représente le summum de la beauté. Une telle grâce …  Je suis des cours de ballet, hé oui …  J’avoue que c’est plutôt bizarre, à 33 ans …  Mais j’adore ça et je fais des pointes depuis l’âge de cinq ans. » Il n’est pas question pour le moment d’un spectacle de danse avec Ara Starck. Mais un spectacle tout court, c’est prévu. « Le Directeur, Daan Bauwens, m’a promis que nous aurions l’occasion de nous produire bientôt. Mais nous devons encore convenir d’une date. Je sais déjà exactement ce que je veux faire. Pour une fois, la guitare et la batterie seront remplacées par un violon et un violoncelle. »

“Là où je n’ai vraiment aucune ambition,

c’est dans ce qui me passionne.”


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j a c q u e s r o gg e , p r e s i d e n t d u C o m i t e I n t e r n a t i o n a l O ly m p i q u e

“le

commerce est une pour le

sport”

En 2002, Jacques Rogge (69 ans) a été le premier président du CIO à opter pour l’ambiance du village olympique plutôt que pour le luxe douillet d’un hôtel cinq étoiles. Cela fait dix ans aujourd’hui que le Comte Rogge, originaire de Deinze, vit et travaille avec vue sur le lac de Genève – quand il ne parcourt pas le monde pour rencontrer chefs d’états et autres personnalités. Mais une fois par mois, il revient ‘à la maison’, où il rentrera pour de bon en 2013. En effet, les Jeux Olympiques de Londres seront le théâtre de son dernier fait d’armes. « Nous sommes les lobbyistes du sport. » texte Bert Voet | photos lieven dirckx

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il f ait parl e r d e l u i

“La phase préparatoire des Jeux de Londres ne diffère de celle de Pékin que par

le nombre d’heures que je passe dans des avions.”

Nous avons rencontré Jacques Rogge fin septembre à l’occasion de l’événement ‘Informele top van Gent’ organisé dans la Kunsthal de la Sint-Pietersabdij, une initiative du Festival van Vlaanderen regroupant des decisionmakers gantois venus de divers horizons. Or comme decisionmaker, Jacques Rogge vaut son pesant d’or. Il est impossible de ne pas s’en apercevoir : le docteur Rogge a vieilli, ce qui s’explique notamment par les quelques 150 vols par an qu’il a à son actif. Il a lui-même dit un jour qu’il avait perdu en spontanéité depuis qu’il était Président du Comité International Olympique (CIO). Ann Bovijn, son épouse, a une autre vision de la chose. «  C’est vrai que jadis, il avait son franc-parler, ce qu’il ne peut plus vraiment se permettre au poste qui est le sien aujourd’hui. Mais même s’il doit se montrer plus diplomate, son caractère n’a pas changé. » Sa fonction de premier plan – « pas une fonction, un mandat », nous corrige-t-il – ne lui donne d’ailleurs pas droit à un salaire, seulement au remboursement de ses frais. « Une fort belle tradition », estime-t-il. Cela n’empêche pas le couple d’apprécier énormément la vie à Lausanne, même s’il retrouvera définitivement sa ferme flamande en 2013, fin du mandat. Qu’y a-t-il au programme après cela ? « Je ne sais pas par où commencer? », plaisante Jacques Rogge. « Mon épouse et moi avons en commun une passion pour l’art moderne, et nous aurons enfin le temps de visiter les galeries d’art. J’ai en outre des tonnes de bouquins à lire. En ma qualité de président d’honneur, je resterai impliqué dans les grandes manifestations et j’irai régulièrement assister à des compétitions. On me réservera toujours un siège aux Jeux Olympiques. Et puis, j’aurai à nouveau le temps de faire de la voile et de jouer un peu au golf. Je veux accompagner mes petits-enfants dans l’apprentissage de la voile. Vous le voyez, nous n’avons pas besoin du CIO pour être heureux. »

Totale agressivite Le sport, c’est le fondement même de la vie de Jacques Rogge, une vie des plus riches. En 1968, 1972 et 1976, il a participé aux Jeux Olympiques. Il a été seize fois champion de Belgique de voile et deux fois champion du monde en Finn Class. « Mon grand-père était coureur cycliste professionnel, mais c’est mon père qui m’a inoculé le microbe », raconte-t-il. « Ingénieur de profession, il s’adonnait au sport en amateur. Il a couru les 4x100 mètres chez KAA Gent et a été champion de Belgique d’aviron. Nous habitions sur les bords de la Lys et c’est là qu’est née ma passion de la voile : nous avions de l’eau presque devant notre porte. Je n’avais qu’une dizaine d’années lorsque j’ai commencé la compétition. Entre tous ces jeunes sportifs, la camaraderie régnait. Plus tard, mon esprit de compétition s’est concentré sur des sorties en pleine mer. Rien que mon bateau et moi, et l’horizon à n’en plus finir. Que demander de plus beau ? » Jusqu’à l’âge de 35 ans, un Jacques Rogge apparemment pondéré est membre de l’équipe nationale de rugby. « Un sport de totale agressivité », dit-il dans une de ses interviews. Aujourd’hui, il nuance ces propos : « agressivité, c’est un bien grand mot. Ce qui est certain, c’est que c’est un sport de contact, et qui exige beaucoup des joueurs. Mais vous connaissez la boutade : rugby is a game of hooligans played by gentlemen, football is a game of gentlemen played by hooligans. Je crois que c’est assez vrai. J’étais déjà adulte quand j’ai découvert ce sport, à l’occasion de vacances en Cornouailles. On ne jouait pratiquement pas au rugby en Belgique à cette époque, mais j’ai fini par découvrir l’ASUB à Bruxelles, le meilleur club du pays. Plus tard, j’ai même créé le Ghent Rugby Football Club. » Je confie à Jacques Rogge que j’ai définitivement perdu le goût du sport à l’école. Rien que des obligations, un véritable dressage, un incommensurable ennui …  « Certains apprécient les performances et la discipline et d’autres privilégient le jeu, la convivialité. Un bon entraîneur ou prof de sport est capable de faire cette distinction et il parvient à stimuler aussi bien les joyeux lurons que les bêtes de compétition. Mais il ne faut pas mettre l’accent sur les performances, surtout avec les plus jeunes. »

Un pneu creve Jacques Rogge a réussi à combiner le sport de haut niveau avec sa carrière de chirurgien orthopédiste. « Ce n’était pas ça le plus dur : en tant que chirurgien, j’étais libre de poser mes horaires.

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Non, le pire a été l’époque où j’étais étudiant : me lever tôt, faire mon jogging, du powertraining l’après-midi, et après les cours, repartir à l’entraînement …  Toutes mes vacances étaient consacrées au sport. On peut faire beaucoup de choses en une journée, mais un tel programme ne réussit qu’avec une volonté de fer. Il est vrai que j’avais la chance de mémoriser très vite mes cours, ce qui était bien pratique. » C’est pendant ses études qu’il a rencontré sa femme, une radiologiste qui finira par abandonner sa carrière pour assister à toutes les compétitions. « Elle m’a toujours soutenu et a beaucoup sacrifié pour moi », déclare Jacques Rogge qui ne fait pas mystère du fait que sans elle, il ne serait jamais parti pour Lausanne. Ann Bovijn voit les choses sous un autre angle. « Nous avions tous deux le même but. Le soir, autour de la table avec les autres barreurs, on discutait de la course : c’était super et cela a donné naissance à un groupe d’amis ayant les mêmes objectifs. » Mais n’était-ce vraiment pas trop difficile, par moments ? « Pas du tout, exception faite de ce pneu crevé en route vers le sud de la France. Mais j’ai connu certaines épouses qui n’étaient pas autant enthousiastes. Elle minimalise les choses, et c’est tout à son honneur », sourit Jacques Rogge. « Mais il faut savoir que nous ne sortions jamais en boîte, car je devais être en forme pour la compétition du dimanche. Jamais de restaurant le dimanche midi, pas de véritables vacances …  Tout était toujours axé sur la compétition. Et nos enfants nous accompagnaient, eux aussi. »

Une photo dans le journal Il parle du sport avec philosophie. « La compétition se joue avec vos adversaires, mais aussi avec vous-même : vous voulez vous prouver quelque chose et tester vos limites. J’aime les sports très physiques – surtout au niveau olympique : c’est vraiment très dur. Et puis il y a l’ambiance liée au sport, qui est super. Cette convivialité, ce respect mutuel …  Pierre de Coubertin l’a parfaitement résumé : l’important, ce n’est pas de gagner, mais de participer. Le fair play – le respect des règles et de l’adversaire – et surtout : donner tout ce que l’on a. Tout le monde ne peut pas être un champion, mais tout le monde peut aller jusqu’au bout de ses capacités. Celui qui fait du jogging récréatif et qui va sans cesse au-delà de ses limites est l’égal d’un athlète. Beaucoup de gens se dépassent ainsi sans pour autant avoir leur photo dans le journal. Pensez donc à ces milliers de cyclotouristes qui grimpent le Vieux Kwaremont ou le Mont Ventoux et dont personne n’a jamais entendu parler. » « La majeure partie de ce que nous réalisons est génétiquement programmé. Rechercher et dépasser ses limites, c’est une manière de donner du sens à sa vie. Une façon de répondre à cette grande question existentielle : qu’est-ce que je fais ici, sur terre ? D’accord, ce n’est pas la réponse à tout et cela ne résout pas tout, mais c’est une forme d’accomplissement personnel. La sensation d’avoir fait quelque chose de sa vie. Et c’est valable à tous les niveaux. » Entre 1989 et 1992, Jacques Rogge a été président du Comité Olympique et Interfédéral Belge (COIB), et président de l’Association des Comités Nationaux Olympiques Européens entre 1989 et 2001. Toujours en 1991, il est élu membre du Comité International Olympique (CIO) dont il devient dix ans plus tard le président, prenant la suite de l’Espagnol Juan Antonio Samaranch. « Ce sont les collègues qui vous élisent démocratiquement. Il faut convaincre la majorité que votre plan est le meilleur. Lorsque la nouvelle est tombée à Moscou, j’étais heureux, oui. J’avais attendu ce moment. Mais sans fausse modestie, je dois avouer que je pressentais que je serais élu. Je n’ai donc pas sauté de joie sur ce podium. Lorsque je suis revenu dans ma chambre à l’hôtel, j’ai dû me frayer un chemin parmi les micros et les caméras, une énorme cohue. Impressionnant, mais pas vraiment agréable …  Je pensais en mon for intérieur : après tout, il ne s’agit que d’un organisme sportif, même s’il est très important. Je ne suis pas un homme d’état, je n’ai pas remporté un prix Nobel, je ne suis pas une vedette comme Eddy Merckx. »

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Jacques Rogge, jeune champion olympique de voile en 1968 à Mexico.

“Rien que mon bateau et moi, et l’horizon à n’en plus finir. Que demander de plus beau ?”


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Un roadshow Comment a-t-il marqué son empreinte, ces dix dernières années ? « C’est toujours difficile à dire. Ce n’est pas l’histoire d’un seul homme, mais d’une équipe. Depuis le début de mon mandat en 2001, nous avons vécu des Jeux Olympiques de très bonne qualité – la conséquence d’une étroite collaboration avec les comités organisateurs locaux, ce qui était nettement moins le cas avant. La qualité, c’est quand tout baigne : le transport, la logistique, la sécurité, l’hébergement, la construction des stades, un beau programme avec de nouvelles épreuves de temps en temps, des athlètes heureux, des records d’audience et, bien entendu, les rentrées financières. »

“Ma première responsabilité est la suivante : veiller

sur l’organisation et protéger les athlètes.

C’est là ce qui importe, et pas ce que je ressens personnellement. Je n’ai pas à exprimer d’opinions personnelles.”

« Nous avons bien travaillé. Au cours de mon mandat, les revenus ont augmenté de 40% par Olympiade, jusqu’à représenter 4,9 milliards de dollars. Chaque dollar est généré par les droits télévisuels et de marketing. Nous avons signé des contrats avec dix grosses multinationales et avec les grandes chaînes télévisées, dont l’European Broadcasting Union en Europe et la National Broadcasting Company aux Etats-Unis. La contribution moyenne d’un sponsor s’élève à 120 millions de dollars. Cet argent, ils ne nous le donnent pas pour nous faire plaisir. Ils exigent de la qualité et un audimat élevé. La cérémonie d’ouverture des derniers Jeux d’été a été vue par 4,8 milliards de personnes, soit un peu plus que pour la coupe du monde de foot FIFA. » « Pour les convaincre, il faut commencer par les approcher de la bonne manière. Comme dans les affaires, je fais donc mon roadshow : je prends l’avion direction les Etats-Unis ou l’Asie et je rencontre des CEO et les conseils d’administration de quatre ou cinq sponsors potentiels, pour leur vendre ma soupe : ‘Les gars, ce que je vous propose, ce n’est pas rien.’ Il faut dire que les Jeux sont fort bien organisés et qu’ils véhiculent un message basé sur des valeurs éthiques. Notre réputation en matière de bonne gestion représente un facteur essentiel dans ce contexte. Sans éthique, nous les perdrions. »

Fernando Echaverri et Anton Paz (Espagne) lors de la ‘Tornado Modal Race’ aux Jeux Olympiques de Beijing en 2008. Ils ont gagné la médaille d’or.

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Le dopage et les paris truques Sa volonté de lutter contre le doping est quasiment légendaire. « Aujourd’hui, nous entamons la même bataille contre les paris truqués et la manipulation des compétitions », nous confie le Monsieur Propre du sport. « Partout dans le monde, des compétitions sont manipulées. En Belgique, nous avons connu l’affaire Yé, en Allemagne il y a eu le cas Bochum, avec plus de 200 arrestations, en Italie et en Chine, on observe des cas similaires. Il s’agit là de la principale menace pour le sport, après celle du dopage. » « Le CIO a entrepris la lutte contre le dopage en 1965. Avec le temps, nous nous sommes aperçus que nous avions besoin de l’appui des pouvoirs publics et en 1999, nous avons créé l’Agence Mondiale anti-dopage (WADA), qui fonctionne fort bien. Prétendre que le dopage finira par disparaître entièrement, c’est aussi naïf que d’affirmer qu’il n’y aura bientôt plus d’infractions au code de la route. Mais nous pouvons affirmer aujourd’hui que le dopage a sérieusement baissé. Dans la lutte contre les paris truqués, nous devons également pouvoir compter sur les législateurs et la justice. Nous ne pouvons pas faire d’écoutes téléphoniques ni fouiller des valises ou faire des perquisitions. Les services de police le font et nous aident dans ce sens. » Beaucoup de gens se demandent pourtant si le sport n’est pas mort ? « Non », Jacques Rogge est formel. « Il est tout à fait vivant au contraire – et extrêmement populaire. Le sport, c’est un merveilleux outil d’éducation. Quand je vois la joie apportée par un simple ballon dans un camp de réfugiés, je suis heureux, moi aussi. Un conteneur de ballons, de raquettes, de chaussures de sport, de maillots : pour ces enfants, c’est tout simplement magique. Ces jeunes n’ont souvent pas la moindre perspective d’avenir, aucun espoir d’une vie meilleure. Malgré cela, le sport leur redonne le goût de la vie. Non, le sport n’est pas mort. Bien sûr, tout n’est pas rose, mais c’est à nous de nous battre pour améliorer les choses. »

La redistribution des revenus « En 2009, j’ai créé les Jeux Olympiques de la Jeunesse (réservés aux 14-18 ans), organisés pour la première fois l’année dernière à Singapour. En janvier 2011, Innsbruck sera la ville hôte. Les Jeux traditionnels sont totalement axés sur la compétition. Le niveau est également très élevé aux JO de la Jeunesse – les meilleurs juniors mondiaux y participent – mais nous avons prévu en parallèle un programme éducatif, traitant notamment d’un mode de vie sain, d’un régime adapté, de prévention des blessures et de maladies transmissibles telles que le Sida et l’hépatite B. Les valeurs sociales – notamment le respect de l’environnement et la prévention du dopage – sont également au programme. C’est une belle réussite. Il faut dire qu’à cet âge, il est encore possible d’avoir une certaine influence sur les jeunes alors qu’à 25 ans, il n’écoutent plus personne. » « Même si notre politique est moins spectaculaire que celle des JO en matière de responsabilisation sociale, c’est ce qui me donne le plus de satisfaction. Nous redistribuons 94% de nos revenus. La majeure partie de l’argent va aux fédérations des pays en voie de développement, qui en ont un grand besoin. Et parallèlement aux grands stades consacrés aux sports de l’élite, nous construisons en collaboration avec l’United Nations Development Programme et les pouvoirs publics locaux des centres sportifs pour la jeunesse. Il s’agit d’infrastructures très simples et relativement bon marché, avec une piste couverte, une piste d’athlétisme, des terrains de foot et de basket et éventuellement des courts de tennis, des piscines, une école et un dispensaire pour les soins d’urgence et dentaires. Ces centres, implantés à la périphérie d’un gros bourg ou d’une petite ville, sont exploités par des gens du pays. Je viens de rentrer d’un périple au Rwanda, au Mozambique et au Burundi. C’est fou de voir l’importance que prennent de tels projets dans ces pays. Des millions de gamins sautent de joie à l’idée de faire du sport. »

Le temps de l’amateurisme « Le commerce est une bénédiction pour le sport », affirme Jacques Rogge. « Il a démocratisé le sport. Il fût un temps où l’univers sportif rejetait toute idée de commerce. Le temps de

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“ C’est tout de même bizarre :  nous réclamons

120 millions de dollars aux sponsors et leur annonçons ensuite qu’ils ne pourront pas faire de publicité dans les stades … et ils sont d’accord !”


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l’amateurisme : ceux qui gagnaient de l’argent avec le sport étaient rejetés, seuls les nantis pouvaient s’y adonner. Avant l’ère de la télévision, les Jeux Olympiques ne concernaient que l’Europe, l’Amérique du Nord, l’Argentine, le Brésil, le Japon, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Aucun pays sous-développé n’avait les moyens d’envoyer des athlètes aux JO. Les moyens dont nous disposons aujourd’hui nous permettent de payer la sélection, la préparation, l’infrastructure, les voyages et le séjour de tous les athlètes participant aux JO. Aucun pays ne manque plus à l’appel. » « Mais il faut veiller à ce que l’argent ne domine pas le sport », convient-il. « Et poser des limites. Lorsque les sponsors veulent aller trop loin ou lorsque les chaînes télé nous demandent d’organiser une compétition à une heure du matin, nous devons être capables de refuser. Finalement, ils comprennent parfaitement la valeur du produit qu’ils soutiennent. Tant que j’aurai mon mot à dire – et même après, espérons-le – il n’y aura pas de publicité dans les stades. C’est tout de même bizarre : nous réclamons 120 millions de dollars aux sponsors et leur annonçons ensuite qu’ils ne pourront pas faire de publicité dans les stades … et ils sont d’accord ! Ils admettent que les Jeux sont quelque chose de spécial, qu’ils véhiculent une image à laquelle ils souhaitent être associés. » Que pense-t-il de la discussion à propos d’un Tour de Flandre sans Mur de Grammont ? Estime-til que là aussi, le commerce est une bénédiction ? « C’est surtout une affaire d’émotions », dit-il. « Je ne suis pas un spécialiste en la matière, mais des gens bien informés – tel qu’Eddy Merckx – me disent que le nouveau Tour de Flandre sera aussi dur, si ce n’est plus. Grimper deux fois le Vieux Kwaremont ? C’est au moins aussi laborieux que de franchir le Mur. »

Politique « La phase préparatoire des Jeux de Londres ne diffère de celle de Pékin que par le nombre d’heures que je passe dans des avions. Il existe évidemment une différence de culture : les contacts avec les Chinois ne sont pas les mêmes qu’avec les Britanniques. Mais pour le reste, les préparatifs sont identiques : le programme est le même, les exigences techniques aussi. » Jacques Rogge a toujours essayé de tenir son mandat à l’écart de la politique. En vain : il occupe presque automatiquement une sorte de fonction diplomatique. « Nous restons à l’écart de la politique idéologique et liée à un parti. Mais lorsque je visite un pays, je m’entretiens généralement avec le chef d’état, le premier ministre ou le ministre des Sports, pour ouvrir certaines portes et le dialogue entre les comités locaux et leurs propres dirigeants politiques. Ensuite, nous discutons de problèmes concrets liés à la politique sportive. »

“Il m’est arrivé de me trouver à une ou deux places avant ou après Kadhafi sur la liste

Forbes des hommes les plus puissants de la planète. C’est pour dire …”

« Depuis un an et demi, le CIO s’est vu accorder le statut d’observateur aux Nations Unies, ce qui nous permet de faire entendre notre voix à l’Assemblée Générale. J’ai ainsi eu l’occasion de m’exprimer récemment à New York sur les maladies non transmissibles telles que le diabète, l’obésité et le cancer, et sur le rôle que peuvent avoir le sport et l’éducation physique dans leur prévention. Nous entretenons également des liens étroits avec l’Union Européenne et l’Union Africaine, afin de veiller à ce que ces entités supranationales développent également une politique sportive adéquate : nous sommes en quelque sorte des lobbyistes, un groupe de pression en faveur du sport. » Quand nous disons à Jacques Rogge qu’il occupe la 67ème position sur la liste Forbes des hommes les plus puissants de la planète, il éclate de rire. « Oui, cela me fait rire à chaque fois. Il m’est arrivé de me trouver à une ou deux places avant ou après Kadhafi sur cette liste. C’est pour dire … » Ce pouvoir, n’en a-t-il vraiment aucune conscience ? « Non. J’ai évidemment de l’influence dans le monde du sport, mais pas de véritable pouvoir. Surtout pas dans le sport. Je suis bien incapable d’obliger quiconque à faire quoi que ce soit contre son gré. » Sa sphère d’influence ne dépasse-t-elle vraiment pas le monde du sport ? « Je me demande où je pourrais exercer quelque influence en dehors du sport », rétorque-t-il. Et pourtant, on attend

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il f ait parl e r d e l u i

parfois bien plus de Jacques Rogge. Pendant les préparatifs des Jeux de Pékin, des défenseurs des droits de l’homme et de l’environnement ont fait pression sur lui pour qu’il s’exprime publiquement. Il a opté pour la voie de la diplomatie, et certains hommes politiques lui ont ensuite reproché d’avoir eu une attitude amorale. Lors des protestations des Tibétains, Jacques Rogge a déclaré sans ambages que le CIO était en crise. « La course aux flambeaux a été utilisée comme symbole par tous ceux qui étaient contre la Chine et pour les Tibétains. La politique a pris en otage un événement sportif. Notre principal souci était pourtant comme toujours d’organiser les JO. Et nous y sommes parvenus : ce fût une belle réussite. Mais cela n’a pas été la période la plus facile. » Ces critiques l’ont-elles touché ou le laissaient-elles de marbre ? « J’ai continué à faire ce que je devais faire pour le Mouvement Olympique. Cela n’a pas plu à certains, qui m’ont donc attaqué personnellement. Ce n’est pas très agréable, mais ce n’était pas la première fois que j’avais à affronter la critique. En 1980, je menais la délégation des participants belges aux Jeux de Moscou. Les Soviétiques avaient envahi l’Afghanistan, Jimmy Carter estimait qu’il fallait boycotter les JO et Wilfried Martens, notre premier ministre à l’époque, le suivait dans cette voie. Nous avons refusé, pas parce que nous approuvions l’invasion de l’Afghanistan – cela n’avait rien à voir. Mais parce que nous tenions à séparer le sport de la politique. Les politiques pouvaient prendre des sanctions commerciales à l’encontre de l’Union Soviétique, rappeler leurs ambassadeurs, etc. Mais de grâce, ne pas se servir des athlètes dans ce but. » A-t-il songé à s’exprimer en public à Pékin sur les droits de l’homme ? « Je ne peux pas faire cela, je risquerais de nuire à l’organisation tout entière. Nous tenons évidemment à ce que les droits de l’homme soient respectés – le CIO est basé sur des valeurs. Nous l’avons d’ailleurs prouvé en excluant l’Afrique du Sud à l’époque de l’Apartheid. Mais cette fois, nous ne pouvions pas lancer de message politique. Je ne m’exprime pas sur le bienfondé d’une telle déclaration, mais les conséquences auraient été désastreuses pour l’organisation tout entière. Et ma première responsabilité est la suivante : veiller sur l’organisation et protéger les athlètes. C’est là ce qui importe, et pas ce que je ressens personnellement. Je n’ai pas à exprimer d’opinions personnelles. »

les jeux olympiques de londres 2012 Entre temps, nous nous échauffons en vue des 27èmes Jeux Olympiques, qui se dérouleront du 27 juillet au 12 août 2012. Londres, qui l’a emporté sur Paris, New York, Madrid et Moscou lors de la sélection de 2005, avait déjà organisé les Jeux en 1908 et en 1948. Quelque 28 stades accueilleront les événements, mais le centre névralgique des Jeux est l’Olympic Parc, à l’est du centre ville, qui compte notamment un stade pouvant accueillir jusqu’à 80  000 personnes et le village olympique. Dix nouvelles voies ferrées sont prévues pour les visiteurs, avec une capacité de 240 000 passagers par heure. On dénombre 26 sports et 39 disciplines au programme. Environ 10  500 athlètes participeront aux Jeux. Les 35 000 billets d’entrée belges ont trouvé preneur depuis longtemps. Kim Clijsters vise une médaille d’or, avant d’arrêter progressivement la compétition. On attend aussi beaucoup des frères Borlée et de l’équipe d’estafette 4x400m, du saut en hauteur avec Tia Hellebaut et du tennis de table avec Jean-Michel Saive, pour qui ce seront ses septièmes Jeux ! Quant à Jacques Rogge, ce seront ses troisièmes et derniers Jeux d’été, mais avant de faire ses adieux au CIO en 2013, il envisage d’accepter les boxeurs professionnels aux Jeux de Rio de Janeiro en 2016 – jusqu’ici, seuls les amateurs y étaient autorisés. C’est aussi grâce à Jacques Rogge si le cricket fait à nouveau partie du mouvement olympique, ce qui ne sera toutefois visible au plus tôt qu’aux Jeux de 2020. Dès les Jeux terminés, le Parc Olympique se verra réorganisé en de nombreux usages. Il se transformera en un des plus vastes parcs urbains aménagés en Europe depuis 150 ans. Outre des équipements de sport, une nouvelle université est également prévue et le village olympique sera transformé pour en faire 3 600 appartements.

Vue panoramique du stade olympique Parc Olympique de Stratford.

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a n aly s e

T a x S h e lt e r

Le mariage parfait entre culture et esprit d’entreprise Le gouvernement Di Rupo est enfin en selle. Il n’a pas perdu de temps et a immédiatement pris une ribambelle de mesures visant à réduire le déficit budgétaire et à contrôler la dette publique. Les entrepreneurs doivent faire preuve de la plus grande créativité pour résister à cette tempête fiscale qui approche. Les plus futés se tournent vers le secteur culturel par le biais du « tax shelter ». Une symbiose unique se crée ainsi entre le monde des entreprises et l’industrie du film. texte jo viaene, Administrateur Optima Group Photo Lieven dirckx

Fonds

Legislation

Le système du « tax shelter » n’est pas neuf. Cette mesure d’incitation fiscale pour l’industrie cinématographique belge existe depuis 2003. Les débuts ont été hésitants, mais ces dernières années, de nombreuses entreprises se sont tournées vers le secteur audiovisuel. En outre, le système a été perfectionné par des offrants bien organisés ainsi que des intermédiaires et des conseillers qui stimulent la demande. En 2003, 5 millions d’euros ont afflué vers l’industrie. Aujourd’hui, les fonds sont estimés à quelque 150 millions d’euros, soit 7 600 emplois directs. Sur toute la période, le secteur parle de 600 millions d’euros de fonds récoltés.

Bien entendu, les entreprises n’inves­ tissent pas sans raison dans le secteur. Leurs motivations sont notamment d’ordre fiscal. En 2002, une loi-programme a instauré une exonération fiscale pour les investissements dans les productions cinématographiques belges. Cette exonération a été modifiée par la loi-programme du 2 août 2003 et par la loi du 17 mai 2004. L’exonération fiscale est régie par l’article 194ter CIR, une loi qui a fait l’objet de plus amples explications dans une circulaire.

“Ces dernières années, de nombreuses entreprises se sont tournées vers le secteur audiovisuel.” jo viaene

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Qui bénéficie de cette exonération fiscale ? L’entreprise qui investit doit être une société belge ou un établissement belge


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d’une entreprise étrangère. L’article 194ter CIR comporte toutefois quelques exclusions. Ainsi, l’investisseur ne peut pas être une entreprise de télédiffusion ou une entreprise de production audiovisuelle. L’entreprise qui investit le fait, par le biais d’une convention-cadre (à conclure avec l’entreprise audiovisuelle), dans une seule œuvre audiovisuelle. L’investissement se décompose en deux parties : d’une part, l’investisseur acquiert des droits du film et d’autre part, l’entreprise octroie des prêts à l’entreprise de production (maximum 40%). Au total, le budget d’un film ou d’un projet peut être sponsorisé à concurrence de maximum 50% par le biais du système de « tax shelter ». De plus, l’entreprise de production doit préalablement demander un agrément de l’œuvre à la communauté compétente (flamande, française, germanophone). L’œuvre peut être un film de cinéma, une série d’animation, un documentaire ou une fiction destinée à la télévision.

Economie fiscale possible En quoi consiste l’incitant fiscal ? La société peut déduire fiscalement 150% du montant investi de son bénéfice de l’exercice en cours. Par 100 euros investis, elle peut donc économiser au maximum 51 euros en impôt des sociétés (soit 33,99% de 150 euros). Concrètement, l’investissement net s’élève donc à 49 euros. Il s’agit ici de montants maximums  ;  les sociétés qui bénéficient du taux réduit à l’impôt des sociétés, jouissent d’une réduction fiscale plus faible. Les avantages ne sont toutefois pas infinis. L’exonération maximale est limitée par exercice à un plafond technique de 50% du bénéfice réservé imposable avant application de l’exonération pour «  tax shelter ». Ce point est assez technique car les dividendes ou les rachats d’actions ne sont par exemple pas pris en compte. En outre, le maximum absolu est en toutes circonstances fixé à 750 000 euros.

L’exonération peut être appliquée pour la période imposable au cours de laquelle la convention-cadre est signée. Un versement réel n’est dès lors pas nécessaire.

Retour pour l’investisseur Etant donné la récupération fiscale élevée, la société qui investit jouira souvent d’un rendement intéressant. Par 100 euros d’investissement, le rendement doit être d’au moins 49 euros pour atteindre l’équilibre. Mais le rendement dépend du succès de la production «  subventionnée  ». Ces dernières années, les investisseurs ont bien souvent bénéficié de sûretés supplémentaires par le biais de garanties bancaires (sur la partie du prêt) et/ou d’options de vente (sur les droits du film). Par l’option de vente, l’investisseur acquiert le droit de vendre ses droits du film à la société de production après une certaine période et à un prix prédéfini.

“Le système du tax shelter illustre le mariage parfait possible entre les bénéfices privés et la culture, si les bons

incitants fiscaux sont mis en place.”

obtient dans les quatre ans une attestation de l’administration confirmant qu’elle satisfait à toutes les conditions. Et si la société n’y satisfait pas ? Alors la société qui a investi perd toutes les exonérations fiscales des quatre années précédentes. Le bénéfice temporairement exonéré est imposé, avec application des intérêts de retard dus.

Discriminatoire ? Seule une société peut investir dans le système du « tax shelter ». Etrange ? En effet, une personne possédant une société unipersonnelle rentable ne peut pas investir dans cette solution fiscalement intéressante. Je plaide donc en faveur d’initiatives législatives permettant de supprimer cette discrimination, tout en puisant dans une nouvelle source pour le secteur audiovisuel. Et pourquoi le secteur audiovisuel est-il le seul à bénéficier d’un système de « tax shelter  »  ? D’autres segments culturels (théâtre, danse, opéra, etc.) pourraient faire financer leurs productions de façon similaire par le secteur privé. Cela permettrait de réduire sensiblement la dépendance aux subsides des pouvoirs publics. On ferait d’une pierre deux coups. Enfin, les clubs sportifs auraient eux aussi intérêt à pouvoir bénéficier d’un système transparent de sponsoring privé.

Conclusion : L’investissement n’est toutefois pas totalement dénué de risque. Toutefois, moyennant une bonne modulation des garanties et des droits, la société qui investit peut retirer un rendement sensiblement plus élevé que sur des obliga­ tions, des bons de caisse ou des comptes à terme. La récupération fiscale est alors en quelque sorte la cerise sur le gâteau.

Piege Le succès du système de « tax shelter » dépend de la qualité de la société de production. L’exonération fiscale n’est définitive que si la société de production

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Le système du «  tax shelter  » illustre le mariage parfait possible entre les «  bénéfices  » privés et la culture, si les bons incitants fiscaux sont mis en place. La société qui investit a d’assez bonnes chances de bénéficier d’un rendement intéressant, à condition que la société de production parvienne à obtenir les attestations requises en temps voulu. Des garanties supplémentaires peuvent limiter le risque pour l’investisseur. Les expériences positives avec de nombreuses productions incitent à réfléchir sur le succès que ce format pourrait aussi connaître dans d’autres secteurs.



R e p o rta g e

L a F i n l a n de au n at u r e l

Some like it

hot

On vous demande de citer la principale exportation finlandaise et vous rÊpondez Nokia ? Vous avez tout faux, puisque le pays des mille lacs est toujours et avant tout la patrie du sauna.

texte Nathalie Van Laecke photos Isabel Pousset

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R e p o rta g e

“Un trou creusé dans la glace suffisait pour rafraîchir nos

corps en sueur.”

Les Finlandais sont fous de sauna, c’est bien connu. Sur 5,3 millions de citoyens, on dénombre environ 3 millions de saunas, ce qui donne un sauna pour 1,7 habitant. On trouve des saunas partout : dans les maisons, les immeubles, les hôtels, les piscines, les centres sportifs, sur les bords de tous les lacs du pays, dans les bureaux de n’importe quelle société qui se respecte …  Et jusque dans l’enceinte de l’Eduskunta – le parlement finlandais. C’est clair : le sauna est un élément essentiel du mode de vie finlandais. Un phénomène qui n’est pas lié au luxe ou au wellness, mais qui relève de l’indispensable pour les Finlandais. Le climat étant ce qu’il est, cela fait deux mille ans que cette tradition est populaire en Finlande. D’autres peuples ont évidemment exercé l’art de la sudation, mais jamais avec autant de constance et de sérieux qu’en Finlande. Les Finlandais ont même réussi à promouvoir et à exporter cette tradition dans le monde entier. Une tradition qui ne se limite pas au rituel typique alternant le chaud et le froid, puisque tout est ‘made in Finland’, de l’intérieur en bois si caractéristique jusqu’au nom : ‘sauna’. Le sauna a véritablement percé dans le pays dans les années ‘30. A l’époque, les athlètes finlandais qui participaient aux Jeux Olympiques en Allemagne avaient même exigé un sauna dans le quartier qui leur était réservé au village Olympique.

L’art de la sudation Sous sa forme la plus primitive, le sauna n’était pourtant rien de plus qu’une cavité enterrée dans le flanc d’une colline, où des pierres brûlantes diffusaient la chaleur accumulée. Au fil du temps, cette cavité a évolué jusqu’à devenir une cahute en bois avec un poêle, qui faisait office de pièce à vivre et de salle de bains lorsque le froid était intense. A l’origine, il n’y avait même pas de cheminée et de gros nuages de fumée remplissaient l’espace. Ce ‘savusauna’ – ce qui signifie sauna à fumée collectif – représente encore le nec plus ultra pour de nombreuses personnes, même s’il est rare d’en trouver chez des particuliers. Voilà qui pousse de nombreux Finlandais – même si leur sauna privé leur donne entière satisfaction – à se rendre régulièrement dans un authentique savusauna. Suomen Saunaseura ry, la société finlandaise de sauna d’Helsinki (www.sauna.fi), rassemble quelque 3 800 passionnés du sauna traditionnel. Cette association, fondée en 1937, veille au maintien de ce patrimoine culturel national, mais elle propose aussi des saunas à l’ancienne. Le complexe

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de l’association en compte six : trois savusaunas, deux saunas traditionnels chauffés au bois et un sauna électrique moderne. Vous pouvez y faire un essai, mais pour y revenir régulièrement il faut être membre de la société. Marianne Jokela – membre fidèle depuis quinze ans ! – nous fait visiter le complexe. Nous avons de la chance, nous dit-elle : aujourd’hui, c’est le jour des femmes. Si nous étions venues hier, nous n’aurions pas eu le droit d’entrer : en Finlande, on se déshabille avant d’entrer dans le sauna et les hommes et les femmes y ont donc accès séparément. Le sauna mixte est réservé au cercle familial ou aux amis proches. Marianne Jokela se rend au sauna au minimum une fois par semaine, et elle s’est fait ici des amis pour la vie. « Le sauna, c’est un moment et un lieu de détente », nous confie-t-elle de retour au vestiaire. « On se lâche. Il n’y a pas de règles bien définies. Il faut évidemment se doucher avant d’entrer et emporter sa serviette pour la déposer avant de s’asseoir. Mais on est totalement libre de décider quel sauna on choisit en premier ou combien de temps on y passe. La sortie de bain n’est obligatoire qu’à la cafeteria. Ceux qui le désirent peuvent également se faire masser ou frictionner par la ‘washing lady’ – mais ce n’est pas compris dans le programme standard. »


We want more La chaleur a un effet bénéfique sur le corps humain : elle desserre les pores, ce qui nettoie la peau en surface. Mais l’intérieur du corps profite également de ce traitement : avec la transpiration, on élimine des toxines, les muscles se détendent et la circulation sanguine s’accélère sous l’effet de la chaleur et du cool down qui suit. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : supporter d’abord la chaleur, pour ensuite affronter la température extérieure, bien plus basse, de préférence en plongeant dans une eau bien fraîche. Selon Marianne Jokela, le principal atout de Suomen Saunaseura ry réside dans sa localisation. Depuis toujours, la plupart des saunas sont construits en bordure d’un lac, mais de plus en plus de gens vivent en ville, où on n’a pas toujours un lac à portée de la main …  Les bâtiments de l’association sont situés en bordure du golfe de Botnie et il est donc possible de plonger directement dans les eaux bien fraîches. Fraîches, c’est un euphémisme …  Le jour de notre visite, il faisait moins douze dehors et la baie était prise par le gel. Mais un trou creusé dans la glace suffisait pour rafraîchir nos corps en sueur. Marianne Jokela est fan, c’est clair. Pendant les des deux heures que nous passons ensemble, elle ne plonge pas moins de sept fois (!) dans l’eau glacée. « Je suis comme neuve quand je sors de l’eau », me confie-t-elle ensuite.

Nous commençons par ‘The Church’, le plus chaud, et le plus élevé des savusaunas. Aucune trace de fumée – je la sens pourtant – le sauna compte plusieurs étages et tout en haut, la température peut atteindre jusqu’à 150°. Marianne Jokela nous met en garde : « la chaleur est extrême. La température varie généralement entre 60 et 90° dans un sauna, mais certaines personnes apprécient une chaleur encore plus extrême. Some like it hot, some like it cold … and some like it not. Votre corps vous dira s’il apprécie ou non. »

L’etiquette du Sauna A l’intérieur, l’éclairage est indirect, les parois et les bancs sont noirs de fumée, ce qui rend l’ensemble encore plus sombre. On distingue à peine quelques silhouettes, qui bavardent et rient. « Une conversation animée, c’est indissociable de l’expérience du sauna », nous explique Marianne Jokela. « On peut parler de tout, même s’il n’est pas vraiment indiqué de parler du travail, de politique ou de religion. On est là pour se détendre, pas pour s’énerver. » Pendant que nous passons d’un sauna à un autre, elle énonce quelques autres préceptes de l’étiquette du sauna. Il est par exemple primordial de refermer rapidement la porte de la cabine lorsqu’on y entre ou on en sort. Les autres utilisateurs du sauna apprécient également le fait que l’on demande la permission

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Des saunas inspires Que diriez-vous d’une séance de sauna à l’aéroport de Helsinki. Grâce à Finnair Spa & Sauna’s, transpirez une bonne fois avec vue sur le  …  tarmac. Ouvert tous les jours de 10 h à 23h, hall des départs Porte 26. (www.helsinki-vantaa.fi) Pas mal non plus : le saunabus. Plusieurs sociétés en proposent, Unique Lapland en possède même un que vous pourrez louer lors d’un safari en scooter des neiges avec vos amis. (www.uniquelapland.com) Entre janvier et avril, le sauna de neige est ouvert dans l’hôtel Arctic Snow de Rovaniemi  :  seules les banquettes sont en bois, tout le reste de l’intérieur fond peu à peu. (www.articsnowhotel.fi)


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de verser de l’eau sur les pierres, ce qui a pour effet d’augmenter la température et le taux d’humidité. Dans l’une des cabines, un homme se flagelle avec de jeunes rameaux de bouleau. « Pour stimuler la circulation sanguine », commente Marianne Jokela. « Et puis, cela sent si bon ! Evidemment, après coup le nettoyage prend du temps. Proposer aux dames plus âgées de leur flageller légèrement le dos avec ces rameaux, c’est une marque de respect. Les aficionados du sauna croient dur comme fer que cela leur donne droit à une place au paradis », sourit-elle. Entre deux séances, on se détend dans la cafeteria. Un énorme feu ouvert réchauffe la pièce et au comptoir, le choix des mets est vaste, de la tarte aux airelles au pot-au-feu de renne. Marianne Jokela opte quant à elle pour une crêpe fourrée. « Savez-vous que pour de nombreux Finlandais, la vie débutait et se terminait au sauna? », dit-elle. « C’était toujours la pièce la plus stérile et la plus chaude de la maison. Et il y avait toujours de l’eau chaude à proximité. L’endroit était donc traditionnellement choisi pour les accouchements. C’était aussi le lieu où les corps des défunts étaient lavés. » Les Finlandais sont tous d’accord pour souligner l’importance de leur sauna : ils ne peuvent tout simplement pas s’en passer.

Le calumet de la paix

“Malgré le prix élevé, la gondole

sauna fait un tabac.”

En route pour le nord du pays. A Luosujärven, au fin fond de la Laponie, Raimo et Raili Heikkinen exploitent une taverne en bordure des pistes de ski de fond qui traversent les monts Ylläs. Les skieurs s’y réchauffent avec une tasse de café, ou dans le sauna près du lac. Ici aussi, on s’adonne au skinnydipping à travers un trou creusé dans la glace. Raimo a fait chauffer le sauna à notre intention. C’est en effet ce que font les Finlandais lorsqu’ils accueillent des invités : leur proposer une séance de sauna. « En signe de bienvenue », nous explique Raino Heikkinen. « Et

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d’amitié. Mettons que vous vous soyez disputé avec votre voisin et que voulez vous réconcilier, vous lui proposez une séance de sauna, une sorte de calumet de la paix en quelque sorte. » Mais le sauna fait également office de confessionnal : « c’est le symbole de notre culture ‘ouverte’. On s’y met à nu, au propre comme au figuré. C’est l’endroit idéal pour sortir ce qu’on a sur le cœur. Les sujets les plus délicats sont même réservés pour le sauna, où l’on parle sans fards. De toute manière, il est interdit de s’y disputer, you can’t argue in sauna : un lieu destiné à libérer le corps et l’esprit de toute contrainte. On y joue donc franc jeu et rien de ce qui s’y dit n’est divulgué à des tiers. Rien d’étonnant dès lors à ce que les hommes d’affaires concluent certains accords au sauna. Il arrive même que des hommes politiques y tranchent des nœuds gordiens. »

Un sauna gondole Le sauna le plus exclusif du monde se trouve non loin du domaine des Heikkinen. En 2008, la station de ski de Ylläsjärvi a mis en service un ‘sauna gondole’. Depuis lors, il s’agit du seul endroit au monde où il est possible de transpirer en télécabine (www.yllas. fi). Le producteur, Doppelmayr, a fait construire deux de ces ‘œufs’ très spéciaux – l’un des deux ne servant qu’à des démonstrations sur des salons, l’autre étant régulièrement utilisé. « Eh oui, il faut être très créatif en Finlande si on veut découvrir un sauna original », ironise Aki Rundgren – le manager de la station. « La gondole est rechargée en électricité à la station du sommet et elle conserve suffisamment de chaleur pour trois passages de 13 minutes. Et si vous avez trop chaud, vous pouvez toujours ouvrir la fenêtre. Mais il n’est évidemment possible de sortir qu’une fois la cabine redescendue. » La location privée de la gondole n’est pas donnée : 1 500 euros pour deux heures. Mais à ce prix, vous


R e p o rta g e

Des scenes tres ‘hot’ avez droit en prime au luxueux sauna de la station au sommet, qui accueille jusqu’à 15 personnes. Il s’agit en tout cas du sauna le plus élevé du pays, à 718 mètres au-dessus du niveau de la mer. Comment expliquer un tel tarif ? « Trois personnes doivent faire des heures supplémentaires », commente Aki Rundgren. « La gondole sauna ne peut être utilisée qu’après la fermeture des pistes. Et pour ne pas déséquilibrer la cabine, toutes les autres gondoles continuent à fonctionner. Il faut donc quelqu’un pour faire fonctionner le sauna, mais également pour les stations du bas et du haut. » Malgré ce prix élevé, la gondole sauna fait un tabac. Tous apprécient la vue, incomparable et le silence, total. Et non, il n’y a jamais eu le moindre incident. « Mais nous sommes prêts à n’importe quelle éventualité », nous dit-on. « A bord, nous avons prévu un rescue kit avec des peignoirs de bain et des mules. Histoire d’être présentables au cas où les services de secours devraient intervenir. »

Le champion du monde Certains finlandais sont tellement passionnés par le sauna qu’ils n’hésitent pas à mettre leur vie en danger. Depuis 1999, les Championnats du monde de sauna sont organisés selon l’adage ‘If you can’t stand the heat, stay out of the sauna!’. Cet événement annuel est organisé à Heinola (près de Helsinki).

Plus de cent participants venus de plusieurs pays n’hésitent pas à prendre place dans un sauna où la température avoisine les 110°. Un demi-litre d’eau est versé sur les pierres toutes les trente secondes, ce qui ne fait qu’augmenter la température. Le champion du monde est celui qui réussit à affronter ces températures extrêmes le plus longtemps. L’année dernière, ce championnat s’est soldé par un accident mortel. Après six minutes en finale, les organisateurs ont dû arrêter la compétition, un des deux finalistes, le Russe Vladimir Ladyzhenskiy, ayant perdu connaissance. L’homme est décédé pendant son transfert à l’hôpital. Son adversaire finlandais, le tenant du titre Timo Kaukonen, a lui aussi été transporté à l’hôpital, souffrant de brûlures au troisième degré. Les organisateurs ont donc décidé de mettre définitivement fin au championnat. Plus amusant – et beaucoup moins dangereux – le Festival du Sauna Mobile a lieu tous les ans à Teuva, sur la côte ouest du pays. Début août, plus de 6 000 Finlandais s’en donnent chaque année à cœur joie dans leurs caravanes, minibus, chars à foins, voitures, cabanes de jardin, cabines téléphoniques, … transformés en saunas mobiles. L’événement est totalement gratuit, il suffit pour y participer d’apporter sa serviette de bain. Et pour une fois, le port du maillot est apprécié. ­­ (www.sauna-ajot.com)

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‘Steam of Life’, c’est un film qui vous donne une idée très précise de ce qu’est la culture du sauna en Finlande. Dans ce documentaire de Joonas Berghäll et Mika Hotakainen, découvrez la métamorphose des robustes et silencieux finlandais une fois refermée la porte de la cabine de sauna. Emouvant.

Le sauna, une invention suedoise ? Vous avez toujours cru que le sauna était une invention suédoise  ? Il s’agit là d’un malentendu que les Suédois aiment entretenir. Ils ont en effet été chercher cette idée en Finlande, un pays qu’ils considéraient comme le leur jusqu’à son indépendance en 1809.


MOBILITE

l a M e r c e d e s SL s AM G

un nom qui des

des ailes

La fameuse villa d’Emil Jellinek ne se trouve plus sur la Promenade des Anglais à Nice. Par contre, la marque qu’il a créée est bien vivante et visible sur les routes un peu partout dans le monde. Et ce grâce à sa fille Mercedes, qui ne s’est pourtant jamais intéressée à l’automobile. texte Bart Lenaerts PHotos Lies De Mol

Il y a de cela plus de 110 ans, un certain Emil Jellinek faisait le beau à La Turbie, un village médiéval surplombant la Côte d’Azur et Monaco. L’homme d’affaires d’origine hongroise, dont la carrière a connu des hauts et des bas, est cette

fois certain d’avoir trouvé la poule aux œufs d’or. L’automobile, voilà qui va faire sa fortune. Non pas ces carcasses brinquebalantes que les français fabriquent dans d’obscurs ateliers, mais des Daimler, qui lui permettront de soulager les plus gros por-

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tefeuilles européens. Il faut dire que ces beaux modèles automobiles sont suffisamment puissants pour faire mordre la poussière à leurs concurrents, et que cette qualité allemande est aussi rehaussée par une élégance raffinée.


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MOBILITE

“Lorsque la SLS ouvre largement ses

flamboyantes portières papillon, avec l’assurance d’un top modèle, l’afflux est immédiat sur la place du marché.”

L’une des premières cibles d’Emil Jellinek n’est autre que le baron de Rothschild, un homme d’affaires aussi riche qu’impudent, le premier dans la région à tomber sous le charme de cette voiture. Alors que les autochtones des alentours se méfient de cette invention, lorsqu’ils ne lui sont pas franchement hostiles, le baron démarre allègrement chaque dimanche matin depuis Nice, direction le Col de la Turbie, en suivant les méandres de la côte. Rusé comme un renard, Emil Jellinek est posté au pied de la montagne avant de le dépasser à mi-pente à bord de sa rapide Daimler. Il lui suffit ensuite d’attendre tranquillement l’arrivée du baron sur la place du village de La Turbie. Evidemment, le baron de Rotschild l’interroge aussitôt sur son bolide. Et tout aussi évidemment, Emil Jellinek le lui vend … Depuis qu’il a conclu un contrat excessivement contraignant pour ces innocents de Stuttgart, Emil Jellinek est le seul à pouvoir vendre des Daimlers hors Allemagne. Il a préparé son coup depuis longtemps, et sa réussite est si rapide qu’elle donne le tournis aux Allemands. Avec l’argent de sa première vente, il commande aussitôt une nouvelle Daimler, plus puissante et encore plus rapide. Sachant exactement ce que veulent ses clients potentiels, Emil Jellinek expédie à Daimler sa liste de spécifications. Le baron de Rotschild s’empresse

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d’acheter cette deuxième Daimler. La nature humaine est ainsi faite – une leçon apprise sur le tas par Emil Jellinek bien des années auparavant.

La voir, c’est l’acheter Un bon siècle plus tard, c’est toujours aussi vrai, je le constate en pilotant une majestueuse Mercedes SLS AMG sur ce même Col de la Turbie. Equipée d’un fougueux V8 et avec 571 CV sous le capot, cette imposante Benz laisse loin derrière elle tous les autres usagers de la route. Le mugissant bolide file vers le sommet, tout en sauvages passages de vitesses et en démonstration de puissance, tandis que son baryton baroque résonne contre les parois rocheuses. Quel spectacle, c’est la fête ! Une fois garé à La Turbie, encore haletant après sa folle épopée, il focalise l’attention des flâneurs. Lorsque la SLS ouvre largement ses flamboyantes portières papillon, avec l’assurance d’un top modèle, l’afflux est immédiat sur la place du marché. Tous veulent connaître sa vitesse maximum, son prix … Mais le véritable défi est posé par les conducteurs de Bentley et de Porsche que la SLS a laissé loin derrière elle. Ils ne s’attardent pas auprès de la Mercedes, ils affichent une discrétion d’agent secret. Eux ne posent aucune


MOBILITE

Emil Jellinek et sa fille Mercedes

question. Ils se contentent de regarder. Mais l’éclat de leurs yeux révèle qu’ils passeront plus tard dans la journée chez un concessionnaire Mercedes qui n’aura plus qu’à leur tendre un stylo pour apposer leur signature au bas du bon de commande. Car la voir, c’est l’acheter. Emil Jellinek le savait déjà il y a plus d’un siècle et Mercedes en fait à nouveau l’expérience aujourd’hui. A une différence près. A l’époque, Emil Jellinek devait expliquer longuement les avantages d’une Daimler et sa qualité intrinsèque. Alors qu’aujourd’hui, chacun sait ce qu’il en est. Mercedes, c’est sans doute la marque la plus forte du monde. Grâce notamment au nom, brillant, qu’Emil Jellinek allait donner quelques années plus tard à toutes les Daimlers.

You win some, you lose some Win on Sunday, sell on Monday, Emil Jellinek l’a parfaitement compris. Il participe donc à des courses avec ses Daimlers, particulièrement à la Nice Speed Week, qui se court ‘départ arrêté’, avec la périlleuse ascension du Col de la Turbie. C’est surtout la plus ancienne course de côtes du monde, empruntant la Route Napoléon, de Nice à Castellane. Emil Jellinek réunit une écurie, des casse-cou prêts à conduire les Daimler à la victoire sur les chapeaux de roues. Tout le monde trouve ça super – sauf les Allemands de chez Daimler, obsédés par la qualité et le détail et qui réussissent à peine à suivre ce rythme infernal. Evidemment, ils sont bien contents de voir qu’Emil Jellinek vend des voitures comme s’il s’agissait de petits pains. Mais en même temps, ils ont conscience de perdre peu à peu le contrôle de leur propre entreprise. Rien ni personne ne peut plus arrêter son ambition aveugle, pas même le malheureux pilote avide comme lui d’honneurs et de reconnaissance éternelle et qui s’écrase en pleine course …

Terriblement exigeant, Emil Jellinek envoie régulièrement ses propres plans techniques aux Allemands, trop lents et trop peu futés à son avis, le tout saupoudré d’interminables tirades. Jusqu’au jour où le pilote d’essai de Daimler Wilhelm Bauer, harcelé par un Emil Jellinek obnubilé par sa soif de victoire, se tue dans l’ascension du Col de La Turbie. C’en est trop pour les Allemands. Leurs voitures de course ont fait une veuve de trop et ils ne veulent absolument plus être mêlés à tant d’audace. Evidemment, Emil Jellinek voit les choses sous un autre angle, estimant que l’on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs.

Il plaint sincèrement la veuve et l’orphelin, mais chaque victoire est synonyme de gros titres dans les journaux, ainsi que de commandes plus importantes encore. Il réclame donc une nouvelle série de voitures de course, encore plus puissantes, encore plus rapides. Les Allemands ne veulent plus associer leur nom à ses aventures ? Qu’à cela ne tienne, cela fait longtemps qu’il pensait à un nouveau nom, bien plus beau : Mercedes, comme sa fille. Non pas pour l’honorer, non, car cette jeune innocente passe tout son temps à jouer du piano ! Mais Mercedes, cela sonne bien, et c’est un nom à consonance internationale.

“Il plaint sincèrement la veuve et l’orphelin, mais chaque victoire est synonyme de gros titres dans les journaux, ainsi que de commandes plus importantes encore.”

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C’est donc ainsi que naît l’un des plus beaux noms de l’histoire de l’automobile. Un nom qui se bâtit aussitôt une solide réputation avec des centaines de victoires … Un rien cynique, le fait qu’en 1955, cette même marque se casse sérieusement les dents dans la compétition automobile. A peine remises de la guerre, les Mercedes Silberpfeile dominent en effet entièrement la saison 1955 … jusqu’au moment où la 300 SLR de Pierre Levegh fonce dans le public du Mans, entraînant dans la mort plus de 80 spectateurs. La course n’est pas stoppée pour autant – c’est comme ça à l’époque – mais le traumatisme est tel pour Mercedes que la marque ne participera plus à aucune compétition pendant plus de 30 ans.

L’etoile sur la calandre Cela fait longtemps qu’Emil Jellinek a disparu de la scène. Les relations avec Daimler ont cessé dès 1907, les deux parties en ayant tout simplement assez. De plus, Emil Jellinek n’est plus intéressé par l’automobile. Face à une concurrence de plus en plus forte, les constructeurs doivent concéder d’im-

portantes réductions plus souvent qu’à leur tour. Emil Jellinek vise une occupation plus prestigieuse, avec des marges et des gains plus importants. Sa fille, qui a donné son nom à l’une des plus puissantes marques automobiles, a eu moins de chance. Elle meurt pauvre, à 39 ans à peine et n’est même pas enterrée dans le caveau familial sur les hauteurs de Nice – qui arbore fièrement le nom Mercedes … Effectivement, Emil Jellinek a légalement fait modifier son nom pour le joli nom de Mercedes, moyennant quelques manœuvres politiques. Cela fait de lui le premier – et sans doute le seul – homme au monde à porter le nom de sa fille, plutôt que l’inverse. Même si Emil Jellinek n’a pas fait grand chose pour ses proches ou pour l’humanité entière, il a imposé son sceau sur l’histoire de l’automobile. Il a posé les bases du marketing à une époque où le secteur n’était encore peuplé que de techniciens aux mains noircies de cambouis. Même si Daimler était soulagé d’être débarrassé de cet ennuyeux personnage, la marque n’a jamais réussi à faire oublier son influence et le nom de

Mercedes. Daimler a pourtant tenté de redonner du lustre à son imposante création. Aujourd’hui encore, la holding qui se cache derrière Mercedes s’appelle  …Daimler. Mais les voitures quittent toutes la chaîne avec l’emblème Mercedes sur le capot ! Dix années de marketing avisé et une bonne dose de victoires en compétition ont apparemment suffi pour graver ce nom dans nos mémoires pour l’éternité. Surtout après qu’un Allemand plus futé que les autres planta une étoile à trois pointes sur la calandre quelques années plus tard. Emil Jellinek opte par la suite pour une carrière bien différente. Etant donné sa facilité de parole et sa propension à dresser les individus les uns contre les autres, il embrasse une carrière diplomatique, avec succès d’ailleurs. Il en a fini avec l’automobile, sauf pour son propre usage : que des Mercedes, évidemment. Pas pour des motifs sentimentaux ou par loyauté envers ces Allemands qu’il a si souvent harangué, mais parce que toute sa vie, il n’a voulu qu’une seule chose : the best or nothing.

Brave new world Il ne reste rien de l’héritage d’Emil Jellinek, sauf un fort beau nom. La villa Mercedes à Nice a disparu sous les assauts des promoteurs immobiliers et l’époque du ‘mon automobile, ma liberté’ est totalement révolue. Emil Jellinek avait d’ailleurs prédit qu’un jour viendrait où les voitures seraient si nombreuses qu’il n’y aurait plus aucun plaisir à les conduire. Mercedes a évidemment changé en même temps que le monde, et propose donc aujourd’hui des modèles compacts et même des urbaines. Mais Mercedes, c’est aussi probablement le seul fabricant au monde à couvrir tous les segments, et à s’en tirer avec les honneurs, ce qui n’est réservé qu’à un label superpuissant. Il n’est pas question de comparer la SLS avec les plus fougueuses Ferrari ou Lamborghini, mais si la Nice Speed Week existait encore aujourd’hui, cette Mercedes accumulerait certainement les victoires avec un aplomb que même Sebastian Vettel ne possède pas. Depuis les mini parcours d’un feu de circulation à l’autre sur la Promenade des Anglais, jusqu’aux virages en épingle du Col de la Turbie : la Benz est à l’aise partout. Même si elle est un peut trop puissante pour se faufiler dans les étroits passages tandis que son poids imposant la freine quelque peu dans les virages les plus serrés…

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MOBILITE

“La SLS promet et offre tant, qu’on dirait qu’elle a été rêvée outre-tombe par un Emil Jellinek qui aurait dicté à Stuttgart son concept et ses caractéristiques techniques.”

Mais elle se révèle vraiment sur la Route Napoléon, avec sa succession de longs virages. Cette fois, la Benz peut faire étalage de son bel équilibre et le moteur V8 6,3 l a toute latitude de grimper dans les tours, tandis que ses rugissements évoluent staccato vers un martèlement rauque à vous donner des frissons dans le dos.

What’s in a name ? Malgré tout, la SLS n’est pas une voiture de sport du genre Audi R8, Ferrari 458 ou Lamborghini Gallardo. Une vocation qui ne sied pas à Mercedes, une marque qui se veut avant tout le rêve éveillé d’une bourgeoisie aisée qui adore se prélasser dans l’ambiance royale de la Côte d’Azur. La SLS est une véritable GT parfaitement équipée pour aligner des milliers de kilomètres tout confort, mais aussi pour faire brillamment ses preuves dès que les Alpes sont en vue. Puissance facteur X, mais aussi parfaitement utilisable dans la vie de tous les jours, la SLS pourrait être un compromis sur roues, si elle n’était pas aussi équilibrée. La SLS promet et offre tant, qu’on dirait qu’elle a été rêvée outre-tombe par un Emil Jellinek qui aurait

dicté à Stuttgart son concept et ses caractéristiques techniques. Sauf qu’Emil Jellinek ne l’aurait jamais baptisée SLS. Sans parler du sigle AMG adossé à son nom : peut-on imaginer moins fantaisiste ? Il s’agit pourtant d’une décision stratégique destinée à faire universellement connaître cette sous-marque de Mercedes après l’échec du flirt avec McLaren et la F1 il y a de ça quelques années. Cela représente un grand pas en avant pour AMG, une entreprise qui a gagné ses premiers deniers au milieu des années ’80 en ‘ornant’ des Mercedes de spoilers voyants et du comble du mauvais goût en matière de tuning. En fait, la SLS aurait tout simplement dû s’appeler 300 SL Gullwing, tout comme les fameux modèles à portières papillon qui ont dans les années ‘50 tout à la fois gagné des courses et inspiré des artistes tels que Picasso. Hélas, quelque part dans les années ’80 et ’90, das Haus a sacrifié ce nom historique sur l’autel du bon goût, pour un sigle SL qui a surtout séduit les mauvais garçons et les coiffeurs. Mercedes et les noms, mais aussi Mercedes et le marketing : ça reste toujours un exercice périlleux. Heureusement, la SLS est tellement spectaculaire qu’elle n’a pas besoin de ça pour voler de ses propres ailes … et à belle allure.

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DE S B E L GE S QU I ON T UN P L A N

n at h a l i e de w e z

Et la lumière fût L’esprit éclairé de la créatrice de lampes Nathalie Dewez Dans le monde du design belge, Nathalie Dewez est – littéralement – une lumière. Des labels internationaux réputés assurent régulièrement la production des créations de lampes poétiques du designer de l’année. « La simple ampoule finira encore par me manquer. » TExte Iris De Feijter photos Thomas Vanhaute

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DE S B E L GE S QU I ON T UN P L A N

Lorsqu’on sonne à la porte de l’atelier de Nathalie Dewez, on s’attend à entrer dans une sorte de magasin de lampes. Rien n’est moins vrai. Ce sont surtout les cartons, le large écran Apple et les piles de papier qui sautent aux yeux dans l’espace principalement blanc. Les deux ou trois lampes qui se trouvent par terre ou refoulées dans un coin ne sont même pas allumées. L’atelier est éclairé par une série de tubes fluorescents, cachés dans le plafond. « Ici et là il y a quelques créations, mais je les garde pour des expositions et des foires. Chez moi, j’ai au maximum un ou deux prototypes. S’il me faut une lampe, je dois aller l’acheter au magasin, comme tout le monde. De toute façon, je n’ai pas l’intention de vivre dans un magasin de lampes’, plaisante Nathalie (née en 1974), qui, après avoir terminé ses études à La Cambre en 2001, se consacre surtout à la création de luminaires et qui a été nommée Designer de l’année en 2011. Pourquoi avez-vous choisi La Cambre ? « C’était clair comme le jour que j’allais faire des études créatives. Mais c’est grâce à ma mère que je me suis inscrite à La Cambre : elle y suivait des cours de sérigraphie. De plus, La Cambre a une bonne réputation et un site magnifique. J’ai choisi la section architecture d’intérieur, mon père préférait cependant l’architecture, au moins une vraie profession selon lui. J’aime l’architecture, mais cela ne me dit rien de dessiner des bâtiments. Ce qui m’intéresse, ce sont les espaces intérieurs. Et le rôle de la lumière en particulier. Les luminaires permettent de changer totalement la structure ou l’atmosphère d’un espace. En effet, la lumière est un instrument très puissant. C’est pourquoi il est tellement intéressant de créer des luminaires. Il y a toujours l’objet et la lumière. Le rapport entre ces deux éléments et l’espace qu’il éclaire : c’est ce qui me fascine énormément. »

luminaires. C’était la première fois que j’avais trouvé ma voie dans l’éclairage, ce qui m’a beaucoup plu. Après mes études, les luminaires n’ont cessé de me passionner. Et maintenant on me demande à tous les coups de créer des lampes. Pourtant à l’avenir, je n’exclus pas de dessiner encore d’autres meubles ou objets. La Cambre m’a appris une leçon très importante : ne jamais cesser d’élargir mes connaissances ! C’est donc exactement ce que j’essaie de faire. C’est aussi pourquoi je demande à Osram de pouvoir y suivre des cours de perfectionnement en éclairage LED et OLED. Ces innovations techniques sont parfois à l’origine de nouvelles idées. » L’ampoule classique familière appartient définitivement au passé, à partir du mois de septembre, elle ne peut même plus être vendue. L’avenir est aux ampoules et LED économiques, voir écologiques. Comment cette évolution influence-t-elle votre travail ?

« Le monde de la lampe passe par une période de bouleversements. Il se développe tellement vite qu’il est presqu’impossible de se tenir informé. Ce qui est nouveau aujourd’hui, sera dépassé dans quelques mois. A mon avis, les LED représentent l’avenir de l’éclairage. Les ampoules économiques ne sont qu’un produit transitoire. Ce qui est logique, car ce n’est pas un bon produit. Leur lumière n’est pas jolie, elles sont chères à produire et sont beaucoup moins écologiques que les autorités ne veulent bien nous le faire croire. En fait, ces lampes contiennent des vapeurs mercurielles et entraînent donc des déchets chimiques. Mais presque tout le monde les jette à la poubelle et par conséquent elles ne peuvent pas être recyclées. Dans les décharges publiques, il y a bel et bien un risque que le mercure s’échappe des lampes; ce qui est très néfaste pour l’environnement. » Alors, pourquoi le LED a-t-il autant de mal à s’imposer définitivement ? « Toutes nos lampes ont une douille à filet et les LED

“ A un certain moment, je dois garder mes distances avec ma création et accepter qu’elle ne réponde pas exactement à mes attentes.”

Est-ce que votre amour pour les luminaires est né à La Cambre ? « La première année à La Cambre était fantastique. Tout était encore nouveau et original. Puis j’ai découvert le créateur de lampes allemand Ingo Maurer. Un homme extrêmement exaltant. Pas seulement pour ses créations poétiques, mais aussi pour ses réalisations au niveau technique. Dans ce domaine, il était vraiment révolutionnaire dans les années 80. Il a même construit seul un studio complet. Je suis vraiment en admiration devant lui. La cinquième et dernière année de mes études était également super. Je pouvais faire ce que je voulais. J’ai alors terminé mes études en présentant une série de

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DE S B E L GE S QU I ON T UN P L A N

qui y rentrent coûtent (actuellement) très cher : pas moins de 50 euros la pièce. Donc personne ne les achète. Toutes ces nouvelles évolutions des lampes sont tout autant intéressantes que difficiles. Je dessine une lampe en fonction d’une source de lumière spécifique. Il faut tenir compte de la position de la douille etc. Mais parfois, les fabricants ne peuvent pas garantir qu’ils pourront encore fournir une certaine lampe d’ici 6 mois, ce qui rend les choses plus compliquées. Je serai contente lorsque l’évolution aura atteint une certaine stabilité. En d’autres termes : l’ampoule classique vous manque ? « Absolument. C’était une lumière magnifique. Et tellement chaude. J’espère de tout cœur que les LED produiront un jour la même lumière que les ampoules. Mais je ne veux pas donner de faux espoirs. A mon avis, il faudrait laisser le choix entre l’ampoule classique et l’ampoule économique aux consomma­teur et non pas aux autorités. Celui qui préfère con­som-

mer 60watt plutôt que 12watt, devra lui-même payer la facture. De plus, les ampoules classiques ne sont pas chères à produire et dans la poubelle, elles polluent moins que les ampoules économiques. » Vous avez fait vos premiers pas dans le monde du design avec 5 autres créateurs, avec qui vous avez formé le fameux atelier A1. Quel était l’objectif de ce collectif ? « Ce n’était pas un collectif. Chacun travaillait pour son propre compte. En 2003, la designer de meubles, Marina Bautier, a trouvé la maison au numéro 1 de la rue Andenne. Mais l’ancienne boulangerie était trop grande et trop chère pour elle seule. Elle a donc cherché des gens pour la partager. C’étaient Diane Steverlynck, Elric Petit, Benoît Deneufbourg, Sylvain Willenz et moi-même. Au début, on ne se connaissait que vaguement, mais très vite, nous sommes devenu un groupe soudé. En tant que designer débutant, il est très agréable de ne pas se trouver seul dans son atelier, mais de s’entourer d’autres

“Autrement dit, on paye pour travailler ! Il faut un bon moment pour amortir le temps,

l’énergie et le capital investis.” [ CAPITAL 14 ]

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débutants. Le fait de se trouver tous dans la même situation difficile, donne du courage. Et beaucoup plus important : on pouvait discuter de nos projets et s’adresser des critiques constructives. Après 3 ans, l’atelier était devenu trop petit et nous avons déménagé dans un studio plus grand à Anderlecht. Et après la vente du studio, chacun a fait son propre chemin. Mais on se voit encore régulièrement. » Pourquoi les choses n’avançaient pas vraiment au début ? « Je suis designer parce que j’aime créer de nouvelles choses. J’en ai vraiment besoin. Mais c’est coûteux de créer des prototypes. Particulièrement parce qu’il faut créer plusieurs modèles avant d’obtenir une version définitive. Il faut un bon moment pour amortir le temps, l’énergie et le capital investis. Autrement dit, on paye pour travailler! Et ça prend du temps avant de récupérer le temps, l’énergie et l’argent investis. Mais je n’ai jamais envisagé d’arrêter. Pour gagner un peu plus, je suis professeur à La Cambre. Avec beaucoup de plaisir. Je donne des cours en éclairage à la section architecture intérieure. Chaque année, il y a de nouveaux talents parmi les étudiants. C’est fantastique de vivre cette évolution de près. » Une créatrice de lampes doit-elle savoir manier le fer à souder et les lunettes protectrices ? « Je suis designer, pas métallurgiste. Pour les prototypes, je collabore avec plusieurs spécialistes de Bruxelles et des environs. Ils produisent exactement ce que je leur demande et m’aident à résoudre des problèmes techniques. Bien entendu, je dispose de la connaissance de matériaux nécessaire. L’année dernière, j’ai travaillé avec une équipe hétérogène de spécialistes à un luminaire pour le Mudam : le musée d’art moderne au Luxembourg. A l’occasion de leur cinquième anniversaire, ils m’ont demandé de créer un objet lumineux pour le hall du musée : un espace gigantesque. Il fallait donc que ce soit un grand objet, mais pas trop lourd, sinon la verrière ne pourrait pas le porter. En plus il fallait que la lampe soit modulable. Quand le hall est vide, la création est baissée jusqu’au sol. Quand il y a un objet d’art, la lampe est hissée jusqu’au faîte. Un vrai défi, donc. Pour la construction, j’ai collaboré avec Airstar, une société française spécialisée en ballons lumineux. Liebaert, l’usine textile géante à Deinze, a livré la matière semi-transparente et le système de palan vient d’une société qui fait des décors de théâtre. Un projet fascinant, car pour les trois sociétés c’était


DE S B E L GE S QU I ON T UN P L A N

“Mais pourquoi dit-on de la

souris Apple que c’est un objet design et pas du stylo qui se trouve à côté ? Il y a quelque chose qui cloche.”

la première fois qu’elles participaient à une telle construction. Mais j’en suis très satisfaite. » Des marques internationales réputées telles que Ligne Roset et Established & Sons assurent la production de vos créations. Comment se déroule une telle collaboration ? « En général, je fais une ébauche que je leur présente dans l’espoir qu’ils seront intéressés. La plus grande difficulté est de présenter la bonne ébauche à la bonne marque au bon moment. Sinon, un bon projet peut toujours être rejeté. Parfois une marque découvre elle-même mes créations. En 2008, j’ai fait une lampe sur pied et une suspension pour le café-restaurant Wet89 rue de la Loi à Bruxelles. Un peu plus tard, l’entreprise belge Feld a démarré la production de ces deux lampes. Pour Ligne Roset – j’ai déjà créé quatre modèles pour cette marque – je travaille parfois sur demande. Ils m’envoient alors une forme d’ampoule et me demandent de créer un objet autour. De même pour une société scandinave qui m’a demandé il y a 2 ans de créer une lampe. Au début ils m’ont donné carte blanche. Mais chaque fois que je leur présentais mes idées, ce n’était pas exactement ce qu’ils cherchaient. Ce n’est pas évident de répondre à une demande de création. Ça exige beaucoup de temps. » Dans quelle mesure ces marques influencent-elles votre création ? « Je présente plusieurs dessins ainsi qu’un prototype aux producteurs. J’essaie de dessiner mes lampes de telle façon qu’elles puissent être fabriquées sans problèmes et à bas prix. Mais les producteurs modifient toujours le prototype. Souvent l’objet est alors moins réussi à mes yeux, mais en tant que designer, je n’ai plus droit à la parole. A un certain moment, je dois garder mes distances avec ma création et accepter qu’elle ne réponde pas exactement à mes attentes. C’est toujours frustrant. De même pour le prix. Prenons la lampe de bureau Balance : c’est un simple tube en aluminium plié. Je me suis dit : elle

n’est pas chère à produire et donc pas chère à ­acheter. Mais lorsque j’ai vu le prix de vente du producteur Established & Sons, j’en suis restée bouche bée. Mon objectif était de faire une lampe de bureau à un prix raisonnable et en réalité, c’est le contraire. C’est triste, mais curieusement, là non plus, le designer n’a pas droit à la parole. » Pourquoi les meubles design sont-ils tellement plus chers que les tables et chaises ‘ordinaires’ ? « Malheureusement, la plupart des gens associent toujours les mots ‘design’ et ‘cher’. Avant, le ‘design’

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était une simple discipline : la création de produits d’usage courant. Depuis quelques années, le mot est utilisé comme adjectif pour indiquer des objets d’un certain style. Cela implique en même temps une plus-value. Mais pourquoi dit-on de la souris Apple que c’est un objet design et pas du stylo qui se trouve à côté ? Il y a quelque chose qui cloche. Tout a un jour été créé par quelqu’un. Pour moi, les prix élevés constituent un vrai problème pour le ‘monde design’. Je veux créer des objets pour le grand public, pas pour un public élitiste. » (www.n-d.be)


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LOISIRS

nos e x pert s on t c hoisi pou r vous

les

délices de la v o ya g e s

g astr o n o mi e

c u lt u r e

Il semblerait que le Belge épargne dans de nombreux domaines, mais pas dans celui des loisirs. C’est la raison pour laquelle Capital a recueilli des conseils auprès de quatre épicuriens pour l’automne. Découvrez les petites merveilles qui n’attendent plus que vous. Car il faut bien dire que le bien-être – qu’il s’agisse de voyages, de gastronomie ou de culture – vaut aussi son pesant d’or !

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voyages LES C o n s e i l s d e debbie papp y n , j o u r n a l i s t e v o y a g e s

 www.hl-cruises.com

L’A lask a & le Groenland

Nordwest Passage Le grand nord de l’Alaska, le Groenland, le redoutable Passage Nordwest et de nombreuses îles inconnues sont au programme de ce périple. Les autres points forts de l’expédition sont des rencontres avec les ours polaires et les baleines, ainsi que la découverte de la culture Inuit dans ces coins perdus de la planète. Grâce aux petits et flexibles zodiacs, les passagers peuvent mettre pied à terre pour y découvrir des endroits fascinants.

Elu année après année meilleur navire d’expédition au monde, le MS Hanseatic de Hapag-Lloyd a eu droit récemment à une sérieuse transformation. Des cabines raffinées et grand style, un Bistro Lemaire revisité, … Le pont wellness, avec sa piscine et son sauna, s’est aussi refait une beauté avec un nouveau hammam. Grâce à OnAir, tous les passagers ont entre autres un réseau Gsm universel, ainsi qu’un accès Wi-Fi avec adresse mail gratuite, ce qui leur permet d’expédier et de réceptionner des mails dans leur cabine via leur téléviseur à écran plat.

‘On the Trails of Great Discoverers’ du 13 août 2012 au 9 sep. 2012 à partir de 18 065 euros, vols depuis Francfort a/r, vol charter depuis Vancouver vers l’Alaska, séjours à l’hôtel et transferts compris.

En 2012, un des plus beaux itinéraires du MS Hanseatic sera ‘Trails of Great Discoverers’, soit 27 jours pour aller de Nome en Alaska à Reykjavik en Islande.

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LOISIRS

 www.ba.com

New York Cit y

L a Suede

Une expédition avec des huskies Xplore the North est un tour-opérateur belge qui s’est spécialisé dans l’aventure et les expéditions dans le grand nord suédois. Que diriez-vous d’un périple Husky de 6 jours en Laponie suédoise, bien au-delà du cercle polaire ? Si vous optez pour ce raid, vous traverserez 300 kilomètres dans la taïga, avec votre propre attelage composé de 6 fidèles Huskies. Après l’accueil et le briefing au confortable Pinetree Lodge, vous traversez la rivière Torne gelée – une des plus poissonneuses de Laponie – en direction de Törnetrask, quatrième plus grand lac de Suède. Dans cette immensité glacée, vous traversez des hauts plateaux désertiques et d’impressionnantes montagnes à la frontière norvégienne. Vous passez la nuit dans des cabanes de Sami, et le soir, vous avez droit à une séance de sauna bien méritée. Le spectacle de l’aurore boréale est compris dans le prix du voyage …  C’est la passion de la Laponie qui a poussé Brent D’Hooge a créer Xplore the North. Chaque année, il accompagne également quelques expéditions ‘Into the Wild’ – en ski et en pulka – en Laponie et à Spitsbergen. Départ des expéditions husky chaque jeudi du 8 mars 2012 au 12 avril 2012. Prix : à partir de 1 790 euros, tout compris, sauf le vol pour la Laponie suédoise et l’assurance voyage.

Le glamour en plein ciel La nouvelle First class de British Airways a récemment eu droit à un update de …  114 millions d’euros. Espace et confort ne sont pas de vains mots dans cette première classe améliorée, qui ne présente que 14 suites premium (78cm de diamètre, soit quelque 30cm de largeur en plus). Vous aurez droit en prime à une lumière d’ambiance très élégante, à votre propre penderie ainsi qu’à un écran in-flight de 38 cm, donc deux fois plus grand qu’avant, ce qui vous permettra de visionner le contenu de votre choix, via usb. Afin de répondre aux attentes les plus élevées, le personnel de cabine First suit un entraînement premium spécial en vue d’un service personnalisé. ‘L’expérience First’ commence avant même l’embarquement, dans l’espace spécial check-in et tout au long des contrôles de sécurité Fast Track. Les passagers First ont en outre droit à trois bagages (32 kg par valise). Un petit plus bien agréable : les fameux lounges British Airways partout dans le monde et les Galleries Concorde Room et First Lounge exclusifs à Heathrow. Voyager en First, c’est retrouver un peu du glamour d’antan, avec un délicieux repas et un soin thermal Elemis. First depuis Bruxelles vers NYC à partir de 5 290 euros, taxes inclues.

 www.x-adventure.be/xplorethenorth

 www.corinthia.com

Londres

Cure de luxe En prévision des Jeux Olympiques de juillet 2012, les hôtels de luxe ouvrent les uns après les autres leurs portes à Londres. Un de ces hôtels cinq étoiles n’est autre que l’élégant Corinthia (Whitehall Place), aménagé dans les anciens et majestueux bâtiments qui abritaient jadis le Ministère de la Défense nationale. Près de 300 chambres (dont 43 suites), les plus spacieuses de la ville avec une superficie minimum de 45 m². L’emplacement est idéal : d’un côté la Tamise et de l’autre Trafalgar Square et tous les hauts lieux de la capitale. Le plus important centre thermal installé dans un hôtel y a également vu le jour il y a six mois : Espa Life, ce sont quatre étages de marbre noir et une déco d’enfer, avec comme point d’orgue un sauna en verre Klafs en forme d’amphithéâtre. Le restaurant The Northall met l’accent sur le fine dining à la britannique, tandis que le restaurant et bar à huîtres Massimo sert une cuisine teintée sud. Pour déguster un cocktail en compagnie de la jet-set londonienne, rendez-vous au Bassoon, le bar très intime de l’hôtel. A partir de 399£ environ la nuit (avec packRelax & Rejuvenate).

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gastronomie

LES C o n s e i l s d e P E T E R G O O S S E N S , HOF VAN CLEVE

 www.geranium.dk

Geranium Copenh ague

Le bio en ville Qui dit Copenhague pense Noma, le meilleur restaurant du monde. Mais Copenhague regorge d’autres adresses intéressantes. Le Geranium par exemple, tout comme le Noma un haut lieu de la Nordic Cuisine. Ce restaurant 100% bio, situé au cœur même de la ville, vise la difficile équation entre culture et nature. Geranium est synonyme de cuisine légère, dynamique et pure. La mission du chef Rasmus Kofoed : servir des plats qui titillent tous nos sens, qui les défient aussi, et qui les enrichissent. Rasmus Kofoed a remporté la Médaille d’Or lors de l’édition 2011 du Bocuse d’Or, en quelque sorte le championnat du monde des cuisiniers. C’est dire s’il a été déçu de ne pas avoir eu droit à une étoile au Michelin cette année …

 www.joel-robuchon.net

Atelier JoEl Robuchon, Ch a mps-ElysEes, Paris

Au comptoir 26 étoiles au Michelin – une prouesse et un record pour un seul chef. Cette prouesse est signée Joël Robuchon, qui a collectionné ses étoiles dans ses restaurants de Hong-kong, Las Vegas, Londres, New-York, Macao et j’en passe. A Paris, Joël Robuchon a ouvert il y a sept ans son premier ‘Atelier Joël Robuchon’, au cœur de Saint Germain des Prés. Un second a suivi tout récemment, cette fois sur les Champs-Elysées. A l’Atelier, les hôtes ont le choix entre une table et une place au comptoir avec vue sur la cuisine, où la fidèle équipe de Joël Robuchon, dirigée par le chef Yosuke Suga, réalise des prouesses culinaires, l’accent portant surtout sur des produits de terroir et de saison, frais du jour.

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LOISIRS

Yannick A llEno, Le Meurice, Paris  www.lemeurice.com/le-meurice-restaurant

A nna Torfs

Ce que les clients aiment vraiment En 2007, le chef Yannick Alléno fête ses 39 ans, et sa troisième étoile au Michelin. Ce grand chef exerce ses talents depuis 2003 au restaurant Le Meurice, à l’en croire le cadre idéal pour réaliser sa passion. Yannick Alléno y dirige une brigade de 74 personnes. La carte du petit déjeuner et du déjeuner est riche, subtile et variée. Raffinée aussi, sans jamais tomber dans l’extravagance, fidèle aux saveurs des produits et présentée avec un grand souci du détail. La cuisine est moderne, osée parfois. Ce chef se laisse guider par un principe aussi simple qu’efficace : « Je m’efforce en tous temps de penser à ce que les clients aimeront vraiment. »

Couleur et lumière

L’hotel Savoy a Londres

 www.fairmont.com/savoy

La renaissance d’une icône Après une rénovation qui a coûté près de 100 millions de Livres Sterling, l’Hôtel Savoy est redevenu ce qu’il était : l’icône du style londonien. La cuisine proposée par ce haut lieu du glamour et de l’élégance British intemporelle vaut également le détour. Les restaurants et les bars qui ont fait la réputation du Savoy ont retrouvé une nouvelle jeunesse. The Thames Foyer, le centre névralgique de l’hôtel, est un endroit aussi lumineux qu’intime, l’idéal pour un dîner informel ou pour le traditionnel afternoon tea. Le River Restaurant sert une cuisine française contemporaine dans un environnement art-déco avec vue sur la Tamise. The Savoy Grill, à l’époque lieu de prédilection de Sir Winston Churchill, propose sous la direction du chef Gordon Ramsay des mets classiques préparés sur le grill. The American Bar, le grand classique du Savoy, continue aujourd’hui comme hier à préparer des cocktails américains. Un des choix les plus étendus de champagnes au verre vous est offert dans un Beaufort Bar entièrement revisité.

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La perfection en cuisine, c’est un ensemble, qui fait également appel à l’œil. La décoration de table de l’artiste verrière Anna Torfs a donc sa place dans ce contexte. Le verre capte la lumière, la reflète et l’absorbe. C’est le thème central de son œuvre. La couleur et la transparence font appel aux émotions et donnent le ton. Tel un chirurgien, Anna Torfs ‘découpe’ ses objets, laissant voir couche après couche de quoi ils sont faits. Toutes ses créations sont fabriquées à la main, selon les techniques ancestrales du travail du verre. Chaque pièce unique reflète la chaleur dont elle est issue. La première collection est née en 2002, et depuis, Anna Torfs propose deux lignes – Basics et Editions.

 www.annatorfs.com


culture

L e s c o n s e i l s d e Mar c Holt h o f, j o u r n a l i s t e s p e c i a l i s t e d e l a c u lt u r e

 vlaamseopera.be

Le Vlaa mse Opera

Des rumeurs à l’opéra Les rumeurs prennent vie dans la création mondiale de l’opéra Rumor du compositeur allemand Christian Jost (1963), présentée par le Vlaamse Opera. Une rumeur court lorsque l’on découvre le cadavre d’une jeune femme. Les ragots s’intensifient, jusqu’au moment où toutes ces histoires prennent vie d’une manière plus qu’inquiétante. Le livret est basé sur l’œuvre de Guillermo Arriaga, le scénariste de films connus tels que Babel, 21 Grams et Amores Perros. A partir du 23 mars 2012 à Anvers, à partir du 12 avril à Gand. L’opéra sera également retransmis sur Klara (le 31 mars à 20h).

 www.centrepompidou.fr

Ex position au Centre Pompidou

Henri Matisse, un artiste polyvalent Entre le 7 mars et le 18 juin 2012, le Centre Pompidou accueillera une importante exposition des œuvres du peintre Henri Matisse. Les principales périodes de sa carrière y seront présentées. Matisse est connu pour la manière dont il traitait un même sujet de différentes façons. L’exposition comprend une soixantaine de séries d’œuvres de ce type, depuis le pointillisme dont l’artiste a fait l’expérience en 1904 jusqu’aux fameux ‘papiers coupés’ – des œuvres découpées dans du papier de couleur – des années ‘50. Ci-contre, le fameux Nu bleu de 1952.

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LOISIRS

ernest de bav iere

Un prince Bavarois à Liège Gemeentemuseum de L a Hay e

L’année 2012 marquera le 400ème anniversaire de la mort du princeévêque de Liège Ernest de Bavière, dont le règne s’inscrit dans une période clé de l’histoire européenne. C’est l’automne flamboyant de la Renaissance, avec l’avènement du capitalisme moderne, le Maniérisme, la ‘nouvelle science’ de Kepler et de Galilée. Mais c’est aussi l’époque des guerres de religion et des procès de sorcellerie, à la veille de la Guerre de Trente Ans. L’exposition Ernest de ­Bavière, Un Prince liégeois dans l’Europe moderne est à voir au Grand Curtius à Liège jusqu’ au 20 mai.

Les mobiles d’Alexander Calder En 1928, l’artiste américain Alexander Calder arrivait en France où il découvrit l’atelier du peintre Piet Mondriaan. Avant cette visite mémorable, Calder fabriquait des bijoux et d’amusantes sculptures animalières en fil de fer, ainsi que des statuettes représentant son idole, la danseuse Josephine Baker. A partir de là, son œuvre s’est faite plus abstraite, tant en ce qui concerne ses peintures que ses constructions tridimensionnelles, bientôt connues sous le dénominateur de ‘mobiles’. Une importante exposition des œuvres de Calder est organisée jusqu’au 28 mai 2012 au Gemeentemuseum de La Haye (Pays-Bas).

 www.grandcursiusliege.be

 www.bozar.be

une voi x forte et wagnerienne

Jonas Kaufmann, une voix de bronze Remarquable carrière que celle du ténor allemand Jonas Kaufmann : les opéras du monde entier se pressent pour proposer un rôle à cette étoile du firmament vocal. Il se coule dans la tradition des plus grands, dont Dietrich FischerDiskau et Fritz Wunderlich, que l’on cite souvent à son propos. Avec sa voix forte et wagnérienne, Jonas Kaufmann peut s’attaquer à tout le répertoire allemand pour orchestres et récitals, même s’il avoue personnellement avoir un faible pour l’opéra italien. Le 15 avril 2012, Jonas Kaufmann entamera les arias du répertoire italien et français dans la Salle Henry Le Bœuf de Bozar. Et Wagner aussi, évidemment, le rôle de Lohengrin lui allant comme un gant.

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 www.gemeentemuseum.nl


O P I N I ON

N iXXXXXXXXXX l s De V r ien dt

‘O tempora, o mores’

‘Autres temps, autres moeurs’

fiscale. Mais comment définir ce qui est contraire à l’esprit de la loi fiscale ? Personne n’est prêt à payer trop d’impôts. Evidem­ ment, nous voulons tous agir au mieux de nos intérêts fiscalement parlant – dans les limites du cadre légal. Le fisc deviendrat-il un véritable big brother, non content d’éplucher nos comptes, mais qui est également en mesure de requalifier et d’imposer tout simplement des opérations qu’il estime contraires à ‘l’esprit’ de la loi?

En cette époque de crise et de restrictions budgétaires, le réflexe logique consiste à aller chercher l’argent chez les fraudeurs. Il semblerait qu’en Belgique, l’économie parallèle représente plusieurs pourcents du PNB, ce qui induit une concurrence déloyale pour tous ceux qui travaillent honnêtement – et moins de recettes fiscales pour le trésor public. C’est dans ce contexte qu’il convient de situer l’abolition du secret bancaire fiscal. Le fisc disposait déjà d’un arsenal de mesures dans sa lutte contre la fraude fiscale : depuis les délais de sept ans pour les taxations et les contrôles, en passant par les majorations d’impôts, les amendes et les intérêts, jusqu’aux peines de prison et à la saisie. Mais ce qui précède n’était apparemment pas suffisant. L’accord de gouvernement Di Rupo I mentionne son intention de combattre la fraude fiscale par le biais d’une nouvelle législation, permettant de requalifier une ou différentes opérations non imposées de contribuables en une ou plusieurs opérations taxées, sans avoir à apporter la preuve des conséquences juridiques identiques ou similaires.

“Les entrepreneurs pourront-ils compter sur une administration fiscale cohérente et

équitable?”

Nils De Vriendt Coordinator Competence Center Expert Income Tax

Ce faisant, la Belgique neutraliserait définitivement la doctrine du ‘libre choix de la voie la moins imposée’. L’administration fiscale pourrait alors s’attaquer aux constructions contraires à ‘l’esprit’ de la loi

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Cela ne serait pas fait pour redonner confiance aux entrepreneurs belges. Dans un climat d’économies à réaliser, on a facilement tendance à qualifier la quête de réussite et de bénéfices comme ‘n’étant pas très catholique’. L’administration fiscale agira-t-elle de la même manière ? Un nouvel équilibre découlera-t-il d’un mouvement de balancier ? Les entrepreneurs pourront-ils compter sur une administration fiscale cohérente et équitable? Le besoin de transparence est grand, ainsi que de circulaires fiscales claires et précises, dont l’administration ne puisse pas dévier rétroactivement par la suite. Une certaine simplification administrative s’impose également, ainsi qu’un changement de mentalité. Qu’on ne coupe plus la tête à ceux qui se distinguent, qui osent réussir. Au contraire, le message devrait être : encourager et récompenser l’entreprenariat et le goût du travail !


UNE TOUR PRESTIGIEUSE ENTRE LA RUE BELLIARD ET LA RUE DE LA LOI LE COMPLEXE VAN MAERLANT A l’entrée du tunnel Belliard, dans le quartier européen, le futur complexe Van Maerlant est un projet mixte (bureaux, commerces de proximité, espaces publics et un nombre important d’appartements). La plupart des appartements se trouvent dans une tour de 22 étages. L’architecture, remarquable, est le résultat de la collaboration entre deux des meilleurs bureaux d’architecture du pays: A.2.R.C. et Jaspers – Eyers & Partners. Les 174 appartements entièrement équipés, confortables et fonctionnels, offrent une vue imprenable sur le centre ville. Ou comment vivre au plus près des organismes européens.

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