Dossier pédagogique Le Roi Arthus

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Au final, Le Roi Arthus s’avère proche de l’œuvre de synthèse. S’il emprunte à Wagner sa thématique et certains principes de composition, le premier acte flirte avec Les Troyens de Berlioz, à l’image de l’ouverture des deux opéras qui toutes deux célèbrent un peuple venant de repousser les assauts d’un envahisseur, comme le souligne Jean Gallois. Le dernier acte, lui, apparaît plus clairement comme de la main seule du compositeur et répond à sa volonté de retrouver les fondements d’une esthétique française. Enfin, le vieux roi reflète dans toute sa noblesse l’âme du musicien et son credo, tendu, en dépit de tout, vers un Idéal élevé. Or le mot Idéal est, précisément, le dernier du livret…

« si je pouvais écrire n’importe quoi » À propos du Roi Arthus qui l’obsède, car il entend s’y démarquer du Tristan wagnérien et atteindre au plus haut niveau esthétique – n’écrit-il pas à son beau-frère, le peintre Henry Lerolle : « Il y a longtemps que j’aurais fini (Arthus) si je pouvais écrire n’importe quoi. Mais voilà, je ne peux pas ! ». Exigence liée à son caractère, à sa culture, à ses lectures : ce boulimique possède une bibliothèque d’une rare qualité, d’une étonnante diversité, d’une rare contemporanéité. Et comment oublier sa collection de tableaux où voisinent Delacroix et Corot, nombre d’impressionnistes et nabis – de Manet et Renoir à Berthe Morisot et Gauguin, de Maurice Denis à Vuillard – auxquels répond une centaine d’estampes japonaises dues aux meilleurs maîtres du genre, d’Utamaro à Hokusaï, d’Harunobu à Kiyonaga, de Toyokuni à Kunisada ?… Source : http://www.archivesdefrance.culture.gouv.fr/action-culturelle/celebrations-nationales/2005/arts/ernest-chausson

La Composition L’œuvre est d’une parfaite ordonnance : un prélude orchestral précède les trois actes comprenant chacun deux tableaux. Pour ne citer que quelques particularités liées à son écriture musicale et littéraire, retenons que le traitement de l’orchestre laisse apparaître l’introduction du style symphonique dans l’opéra qui répond aux mêmes exigences que celles du répertoire purement instrumental. Le dialogue se développe continument, sans hiatus, et la musique, en reliant chaque tableau par des interludes, cultive l’art de la transition inaperçue. On ne peut que souligner l’intelligence et la finesse avec laquelle il emploie le timbre des instruments et le moment qu’il choisit pour les mettre en valeur, comme le souligne la présence des cymbales froissées qui interviennent à un seul moment de l’opéra (chiffre 80, deuxième acte, deuxième tableau) – quand la nature frémissante laisse apparaître Merlin – et du célesta inventé quelques années plus tôt. Beaucoup d’ouvrages spécialisés semblent toujours ignorer que Le Roi Arthus, avec Louise de Gustave Charpentier, furent les premiers ouvrages à introduire cet instrument dans le répertoire du drame lyrique. L’apparition de ce timbre nouveau est liée à la scène atemporelle où le chœur des esprits (chiffre 75, troisième acte, deuxième tableau) annonce à Arthus « qu’à l’heure du glorieux Réveil, le front mitré d’étoiles, [il] descendra du soleil », et sa sonorité lumineuse et cristalline contribue à créer le climat d’irréalité qui enveloppe la fin de l’opéra. À signaler également l’emploi des cordes (l’alto et le violoncelle interviennent en soliste dans les moments les plus poignants de l’œuvre), des timbales chromatiques (dans une tessiture aiguë, peu habituelle), de la clarinette contrebasse (au timbre rare), de petites cymbales antiques et de quatre trompettes. Ici, une troisième grande flûte vient s’ajouter aux deux autres. Enfin, Chausson enrichit son harmonie en usant aussi bien des modes anciens que de la gamme par tons dont Debussy devait s’emparer quelques années plus tard. De même, le folklore recréé pour la scène du laboureur apporte une couleur nouvelle. Dans un souci bien français, il n’utilise que très peu les doublures. Les thèmes qui circulent dans la partition s’éloignent du principe du leitmotiv, le compositeur ne les emploie pas de manière systématique, et va même parfois jusqu’à les dissimuler. En décembre 1903, dans la Chronique des arts et de la curiosité, Paul Dukas avait bien remarqué : « Le développement des motifs caractéristiques s’applique avec une certaine indépendance [...] ce sont alors des épisodes musicaux affranchis, ou, du moins, développés à la manière de simples fragments lyriques ou symphoniques et construits d’une manière autonome. » D’une expression et d’une sensibilité toute françaises, le poème, souple et limpide, révèle un caractère très élevé et incantatoire, soutenu par une grande puissance verbale. Animé par la volonté de se rapprocher d’un style noble et très simple, il apporta un soin minutieux à sa rédaction, le reprenant sans cesse jusqu’à trouver l’expression la plus juste. Écrit en vers et prose mêlés, la prose, étroitement asservie aux rythmes, est réservée aux passages de déclamation dramatique, tandis que les vers – où souvent les rimes sont remplacées par des consonances – sont confiés aux passages d’un grand lyrisme. Source : Florence Le Doussal, « Le Roi Arthus : un opéra idéaliste, miroir du rêve créateur d’Ernest Chausson », in : Ernest Chausson (Ostinato rigore. Revue internationale d’études musicales, vol.14), Paris, 2000, pp.129-130. © Éditions Jean-Michel Place, 2000


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