L’épopée de La Marseillaise

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Le coin de l’Histoire

L’épopée de La Marseillaise Chant guerrier devenu un hymne national connu et repris dans le monde entier, La Marseillaise est née à Strasbourg en 1792, sous la plume de l’officier Rouget de Lisle, grisé par la ferveur patriotique de la révolution en cours. La longue histoire de La Marseillaise, véritable épopée musicale et politique, est célébrée cet automne par une exposition pluridisciplinaire au musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg ainsi qu’un concert participatif avec les artistes de l’OnR. Par Monique Fuchs l’armée révolutionnaire, d’où peut-être l’idée de passer commande d’un chant de guerre destiné à galvaniser les troupes ! Quant au compositeur, Rouget de Lisle, devenu militaire par décision paternelle, il s’est fait connaître par quelques opéras et même un Hymne à la liberté dont la musique a été écrite par Pleyel pour la fête de la Constitution à Strasbourg le 25 septembre 1791. En avril 1792, Pleyel est en Angleterre et Rouget se retrouve seul pour composer paroles et musique. Il utilise un vocabulaire guerrier, outrancier à nos yeux, mais courant à l’époque. La partition est envoyée chez Dannbach pour être imprimée. Réclamée le 29 avril par Achille du Châtelet, maréchal de camp en poste à Sélestat, à de Dietrich, ce dernier avoue : « nous nous sommes refroidis à son sujet parce que l’air n’est pas très marchant. » Grâce à ces échanges entre du Châtelet et de Dietrich, la paternité de Rouget de Lisle quant à la composition et aux paroles est incontestable. Et pourtant, à défaut de connaître le succès à Strasbourg, la partition se répand en France et est chantée par Mireur à Marseille puis par les volontaires qui vont de

La composition de La Marseillaise

1792 : nous sommes en pleine Révolution française et celle-ci inquiète les autres monarchies d’Europe, soucieuses de ne pas voir les revendications françaises gagner du terrain. Côté révolutionnaire, la crainte d’être envahis pour restaurer la monarchie incite ceux-ci à demander à Louis XVI de déclarer la guerre à son beau-frère, le roi de Bohême et de Hongrie, en avril 1792. Cette nouvelle parvient le 25 avril à Strasbourg, place forte située à proximité immédiate de la frontière. Le maire de la cité l’annonce lui-même sur les places et carrefours de Strasbourg en se faisant précéder du chant Ça ira, composé en 1790 lors des fêtes de la Fédération. Trouve-t-il ce chant peu satisfaisant ? Nul ne le sait, toujours est-il que ce maire, Frédéric de Dietrich, demande à Rouget de Lisle, capitaine du génie en poste à Strasbourg, de composer un Chant de guerre pour l’Armée du Rhin. Frédéric de Dietrich est acquis aux idées révolutionnaires et en même temps conscient de l’impréparation et du peu de moyens dont dispose OnR, le magazine  nº16  Novembre/décembre 2021

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Isidore Pils, Rouget de Lisle chantant la Marseillaise, 1849. Dépôt du Musée du Louvre, Paris au Musée Historique de Strasbourg. Photo Musées de Strasbourg, M. Bertola. OnR, le magazine  nº16  Novembre/décembre 2021

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Le coin de l’Histoire Luxembourg, le tableau fait l’objet d’un dépôt du Louvre à Strasbourg après la Première Guerre mondiale.

ville en ville jusqu’à Paris qu’ils rejoignent fin juillet. C’est ainsi que le Chant de guerre de l’Armée du Rhin est devenu le Chant des Marseillois puis tout simplement La Marseillaise. À Strasbourg, la première trace imprimée de La Marseillaise remonte au 7 juillet dans les Affiches de Strasbourg. Après la victoire de Valmy le 20 septembre, La Marseillaise est chantée en lieu et place du Te Deum. Ce n’est que le 27 octobre 1792, après la victoire de l’Armée de Savoie, qu’elle sera enfin chantée officiellement à Strasbourg : alors que les Marseillais avaient assuré le succès du Chant de guerre de l’Armée du Rhin, Strasbourg tardait à l’utiliser.

Un hymne national et universel

Après l’orchestration proposée par Gossec le 2 octobre 1792, ce Chant de guerre est chanté à l’opéra, au théâtre, et devient chant national le 14 juillet 1795. Interdit sous Napoléon puis par toutes les monarchies qui se succèdent en France au XIXe siècle, on l’entonne malgré tout au retour de Russie puis lors des révolutions de 1830, 1848 et lors de la Commune. Ce n’est qu’en 1879 qu’il devient définitivement Hymne national. La Marseillaise inspire bien des hymnes nationaux dès la fin du XVIIIe siècle, en Amérique latine notamment. Chant de liberté, elle accompagne les révolutions russes et la Longue Marche de Mao. Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle est chantée par les résistants et entonnée par les prisonniers libérés des camps de concentration. Sa dimension européenne et mondiale se mesure aujourd’hui encore lors des manifestations pour la liberté d’expression et la démocratie.

Le premier lieu d’exécution de La Marseillaise

La famille du maire habitait 17 rue des Charpentiers en avril 1792, mais pouvait peutêtre aussi utiliser les salons du père du maire, place Broglie (dans un immeuble remplacé depuis par la Banque de France). La demeure de Rouget à Strasbourg est revendiquée à plusieurs endroits : Grand Rue et rue de la Mésange, baptisée lors de la Révolution de 1848 rue de La Marseillaise. Dans le sillage de cette révolution, le peintre Pils compose un tableau devenu célèbre à son tour en s’inspirant du récit paru dans Histoire des Girondins de Lamartine pour les personnages. Conservé au départ au Musée du

Monique Fuchs est conservateur en chef du Musée Historique de la ville de Strasbourg.

Les célébrations de La Marseillaise à Strasbourg Le musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg accueille à partir du 5 novembre 2021 l’exposition « La Marseillaise ». Croisant les registres de l’histoire, de la musicologie, des arts visuels et du cinéma, le parcours de cette exposition s’organise autour de trois axes majeurs : l’année de la composition de La Marseillaise, sa diffusion comme chant de guerre, refrain révolutionnaire, ainsi que son rôle patrimonial en France et à l’étranger. L’Opéra national du Rhin s’associe à cet événement en organisant le 6 novembre 2021 un concert participatif, « La Marseillaise pour tout le monde », au cours duquel le public est invité à chanter avec toutes les forces musicales de l’OnR et l’Orchestre de la Haute école des arts du Rhin (HEAR). OnR, le magazine  nº16  Novembre/décembre 2021

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1792 Dans la nuit du 25 au 26 avril, Claude Joseph Rouget de Lisle compose à Strasbourg un chant de guerre pour soutenir l’Armée du Rhin. 1830 Après la révolution de 1830, Hector Berlioz réalise une nouvelle orchestration de La Marseillaise pour solistes, chœurs et orchestre. 1879 La Troisième République proclame définitivement La Marseillaise comme hymne national.


Le coin de l’Histoire

La nuit où Rouget de Lisle fut touché par la grâce Dans son recueil Les Très Riches Heures de l’humanité (1927), l’écrivain autrichien Stefan Zweig raconte douze événements qui ont changé à jamais le cours de l’histoire. Dans « Le génie d’une nuit », il imagine avec ardeur et passion les quelques heures durant lesquelles Rouget de Lisle, compositeur médiocre subitement touché par la grâce, a écrit son unique chef-d’œuvre : La Marseillaise.

cette nuit, habite son corps. Et la mélodie obéit toujours plus docilement à ce rythme martelé, allègre, qui est le battement du cœur de tout un peuple. Rouget aligne vers et notes de plus en plus vite, comme sous la dictée d’autrui ‒ une tempête comme n’en a jamais connu son âme étroite et bourgeoise s’est abattue sur lui. Une exaltation, une fougue qui ne sont pas siennes, mais une force magique concentrée dans cette minute explosive, élèvent le pauvre dilettante de cent coudées au-dessus de sa propre mesure et le projettent comme une fusée ‒ lumière et flamme rayonnante d’un instant ‒ jusqu’aux étoiles. Pendant une nuit, il est accordé au capitaine Rouget de Lisle de s’asseoir parmi les immortels. Éveillé en lui par les cris d’appel empruntés à la rue, aux journaux, le verbe créateur hausse le ton jusqu’à une strophe aussi impérissable dans son expression poétique que la mélodie :

« C’est dans une demi-inconscience qu’il écrit les premières strophes qui ne sont que la répétition, l’écho des appels entendus : Allons enfants de la Patrie, Le jour de gloire est arrivé ! Puis il s’arrête et réfléchit. Ça va. Le début est bon. Il faut maintenant trouver le rythme exact, l’air qui convient aux paroles. Il sort son violon, fait un essai. Ô miracle ! dès les premières mesures la musique s’accorde parfaitement avec le texte. Il continue d’écrire en toute hâte, déjà enlevé, emporté par une force qui vient de s’emparer de lui. Et soudain tous les sentiments qui explosent à cette heure, la haine des tyrans, la confiance dans la victoire, l’amour de la liberté, tout cela afflue en lui. Rouget n’a plus besoin de créer, d’inventer. Il n’a qu’à versifier les phrases qui, en ce jour unique, volent de bouche en bouche, et il aura dit, il aura exprimé, il aura chanté tout ce que la nation ressent au plus profond de son cœur. Il n’a pas besoin non plus de composer ; car le rythme de la rue, de l’heure lui arrive à travers ses volets fermés, ce rythme fier et provocant qu’on entend dans le pas cadencé des soldats, dans les sonneries des trompettes, dans le roulement des canons qui passent. Peutêtre n’est-ce pas sa propre oreille, n’est-ce pas lui qui l’a entendu mais le génie de l’heure, qui, OnR, le magazine  nº16  Novembre/décembre 2021

Amour sacré de la Patrie Conduis, soutiens nos bras vengeurs ! Liberté, liberté chérie, Combats avec tes défenseurs Quelques vers encore, et le chant immortel, sorti d’une même coulée, d’un même souffle d’enthousiasme, alliant à la perfection paroles et musique, est terminé avant que se montre l’aurore. Rouget éteint sa lampe et se jette sur son lit. La lucidité sensorielle de tout à l’heure a fait place à un état de morne épuisement. Il dort d’un sommeil profond, semblable à la mort. Et effectivement le poète, le créateur, le génie est mort en lui. Mais l’œuvre terminée est là, indépendante du dormeur auquel il a été donné d’accomplir ce miracle durant un accès d’ivresse sacrée. Jamais au cours de l’histoire des peuples un chant n’a été composé si parfaitement à la fois. »

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Le coin de l’Histoire Benjamin Zix, volontaire de l'armée du Rhin Cabinet des Estampes et des Dessins de Strasbourg Photo Musées de Strasbourg, M. Bertola

Retrouvez dans la programmation : CONCERT

La Marseillaise pour tout le monde Sam. 6 nov.

Strasbourg, Opéra

15h & 18h

Renseignements et inscription sur operanationaldurhin.eu EXPOSITION

La Marseillaise Strasbourg, Musée d’Art moderne et contemporain Du 5 nov. 2021    au 20 fév. 2022 Couverture de la partition du Chant de guerre des Marseillois imprimée par Philippe-Jacques Dannbach Bibliothèque des Musées de Strasbourg Photo Musées de Strasbourg, M. Bertola

OnR, le magazine  nº16  Novembre/décembre 2021

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