Le magazine n°17 · Janv. / Fév. 2022

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Opéra national du Rhin Jan./Fév. 2022

Entretien Lambert Wilson Esprit romantique

Musique Philip Glass Minimalisme et postmodernité

Face à une œuvre Angelin Preljocaj et Bruno Bouché

Histoire Littérature Splendeurs des Le monde merveilleux « musiques dégénérées » de Lewis Carroll

Le magazine, nº17



Éditorial

Tous des oiseaux

2 Entretien

Lambert Wilson. Rencontre avec le comédien et chanteur, invité à Strasbourg pour la soirée « Ballades gothiques ».

8 Le coin de l’Histoire

La musique « dégénérée ». Histoire de la terrible censure musicale et artistique sous le Troisième Reich.

12 Portfolio littéraire

Lewis Carroll. Plongée dans un univers merveilleux et déluré, où le non-sens fait loi.

26 Une histoire sans fin

Les Oiseaux. D’Aristophane à Hitchcock, tour d’horizon des œuvres mettant en scène le peuple des oiseaux.

28 Top 3

Philip Glass. Trois pièces musicales du compositeur américain à écouter au moins une fois dans sa vie.

30 Rencontres

Partages d’anecdotes et d’émotions avec les six nouveaux danseurs du Ballet de l’OnR.

32 Face à une œuvre

Angelin Preljocaj & Bruno Bouché. Les deux chorégraphes se racontent à travers une œuvre d’art qui les a marqués.

36 Retour sur…

Carmen, Les Ailes du désir, Kamuyot & L’Enfant et les sortilèges à l’OnR.

43 Brèves 48 Calendrier

« Cela vit, je l’ai éprouvé, cela reste en moi ! » Ainsi s’exprime le personnage de Bonespoir dans les dernières mesures des Oiseaux de Walter Braunfels. L’Athénien a passé quelque temps dans le royaume des volatiles, il a su les convaincre de fonder une ville utopique qui aura duré le temps d’un rêve – et lui-même aura connu une révélation au contact d’une dame Rossignol au chant séduisant. Mais l’utopie a vécu et le Rossignol s’est envolé. Bonespoir décide de retourner dans le monde des hommes. Mais il a changé. Ce qu’il a ressenti l’a enrichi et transformé. Il repart donc en s’écriant, les yeux embués de larmes : « Ach, ich habe gelebt ! » – « J’ai vécu ! » À l’Opéra national du Rhin nous espérons aussi que vous, spectatrices et spectateurs, vivez des émotions nombreuses et que vous repartez de nos spectacles un peu changés ! C’est parce que nous croyons en cette force d’ébranlement de l’opéra et de la danse que nous vous proposons sans relâche de nouveaux spectacles et des œuvres à (re)découvrir. Ainsi, en ce début d’année 2022, nous voulons vous entraîner sur des sentiers en friche. Notamment sur le chemin qui mène à ces Oiseaux de Braunfels justement, vrai chef-d’œuvre à la musique enchanteresse, au livret charmeur, porté par le nouveau directeur musical de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg Aziz Shokhakimov et le metteur en scène Ted Huffman. L’OnR n’est pas peu fier de présenter ce bijou lyrique de 1920 en création française, événement qui sera retransmis par ARTE Concert. Mais du côté du Ballet de l’OnR, ce sont aussi des voies nouvelles qui s’ouvrent : celles qui conduisent à une création mondiale majeure sur le thème d’Alice au pays des merveilles, dans une chorégraphie du tandem formé par Jonathan Lunn et Amir Hosseinpour, sur une partition inédite d’un des plus grands compositeurs d’aujourd’hui, l’Américain Philip Glass. Une fois encore l’OnR crée l’événement et attire les regards du monde entier sur sa programmation, une captation audiovisuelle étant prévue là aussi. Cette ambition pour notre maison, nous la souhaitons parce que l’OnR a un rôle à jouer dans le concert des maisons lyriques de France et d’Europe. À ce titre, il prendra une part active aux événements célébrant la présidence française de l’Union européenne. Mais sa mission première, c’est d’être un lieu de production dynamique, ouvert sur le monde et désireux de faire vivre la création tout en explorant le répertoire jusque dans ses recoins les moins fréquentés. Nous voulons d’autant plus porter ces projets d’envergure que le contexte actuel est une fois de plus déstabilisé par la pandémie qui, depuis presque deux ans, nous a fait basculer dans un monde d’incertitude et de fragilité. Après les perturbations que le covid-19 à causées sur certaines représentations de notre Carmen de fin d’année, nous voulons continuer de défendre le spectacle vivant. Bec et ongles. Alain Perroux, directeur général de l’OnR

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Lambert Wilson © Carole Bellaiche / HK OnR, le magazine  nº17  Janvier/février 2022

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Entretien

Lambert Wilson Sur les cimes du romantisme Quand il n’est pas en tournage, Lambert Wilson est probablement en train de répéter une pièce de théâtre ou une comédie musicale, à moins qu’il ne se prépare à endosser le rôle d’un récitant aux côtés d’un orchestre philharmonique. Mais le plus souvent, il fait toutes ses activités en même temps. Il est à Strasbourg pour la soirée « Ballades gothiques » avec le baryton Konstantin Krimmel. Discussion avec un artiste d’une rare sensibilité, autour de sa passion pour la musique. Par Louis Geisler musique, prendre des cours de chant puis interpréter des comédies musicales, maintenant du chant classique. Pour mon travail d’acteur, j’ai appris des langues étrangères pour pouvoir jouer en anglais et en italien. Ma curiosité me pousse à aller vers des univers que je ne connais pas. Je ne veux pas m’enfermer dans une routine. J’essaie de choisir des projets qui m’apportent de la nouveauté. Cela a longtemps perturbé mon image mais je ne m’en préoccupe plus aujourd’hui : elle m’échappe de toute façon. La possibilité de rencontrer les artistes qui font les grandes mises en scène de théâtre et les grands films, c’est un miel dont j’essaie de me nourrir. Parfois on tombe sur des génies et l’on s’enrichit énormément. D’autres fois, c’est moins nourrissant. On ne sait jamais quand on va rencontrer un créateur ou une créatrice qui va changer notre vie.

Quels genres de musique écoutez-vous ?

Je suis branché en permanence sur France Musique et Radio Classique, sauf lorsque je fais du sport : j’écoute de la musique pop et tous les tubes du moment, pour me donner de l’énergie et par curiosité. Quand on songe à la diversité de votre filmographie, de votre discographie et de tous les rôles que vous avez interprétés ou chantés sur scène, on a le sentiment d’avoir en face de soi un artiste passionné et très éclectique.

Il n’y a que l’art et l’amour qui comptent pour moi. J’essaie de m’engager dans la vie de mes contemporains par le biais de l’art. Il m’est arrivé d’être militant pour différentes causes et associations mais je me replis un peu sur moi-même depuis l’apparition des réseaux sociaux. Je trouve que tout y est déformé ou vilipendé, donc je n’ai plus très envie de prendre la parole. Ce qui peut sembler de l’éclectisme est en faite de la curiosité. Le mot-clé pour moi c’est « apprendre ». J’aime énormément apprendre. C’est ce qui m’a poussé à faire de la

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Vous n’aimez pas l’ennui.

Je m’ennuie vite. J’ai besoin de changer rapidement d’univers. Le problème, c’est que je m’intéresse à beaucoup de choses. J’ai tourné deux

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Entretien Je baigne dans le romantisme en ce moment. En décembre dernier, j’ai été le récitant d’une magnifique pièce de Berlioz, Lélio, présentée à la suite de sa Symphonie fantastique et dirigée par Tugan Sokhiev à la Philharmonie de Paris. C’est une période qui m’a toujours passionné et fasciné, dès l’adolescence. D’abord par la peinture, avec les paysages et les nuits de Caspar David Friedrich. Puis, par l’opéra, avec Werther de Massenet. Et enfin par la littérature, avec des auteurs comme Musset et Lamartine. L’essence du « mal du siècle » a trouvé un certain écho en moi. Je peux être l’une des réincarnations, au XXIe siècle, de cette note particulière, cette chose frémissante et torturée au cœur du romantisme. Des lieder comme Le Roi des Aulnes de Schubert me parlent énormément. Dans le récital que nous présentons avec Konstantin Krimmel à l’Opéra national du Rhin, il y a un texte de Madame de Staël que j’aime particulièrement. Elle y évoque cette étrangeté germanique qui fait des Allemands des gens sages dans la vie mais complètement fous dans leur imagination et leurs rêves. C’est la clé parfaite de ce répertoire.

films cet été et, depuis l’automne, je me consacre au chant. J’ai beaucoup de projets musicaux, notamment autour de Bach avec le groupe baroque La Diane française, Liszt avec le pianiste Roger Muraro, l’univers du big band avec Bruno Fontaine… Cela demande énormément de discipline. Il faut trouver le temps de pratiquer le chant quotidiennement, et ce n’est pas toujours facile durant les tournages. Il peut aussi y avoir des problèmes d’agenda. Récemment, j’ai dû malheureusement renoncer à un projet qui me tenait énormément à cœur avec William Christie. Je devais être le maître de cérémonie dans un spectacle sur Molière et la musique. Cette décision a été d’autant plus difficile à prendre que je suis allé au devant de lui pour auditionner. Cela a dû vous paraître étrange de vous retrouver de nouveau à faire des auditions, et surtout devant un chef d’orchestre baroque comme William Christie.

Je crois que c’était surtout étrange pour lui : il ne s’attendait pas du tout à ça ! (Rires). J’ai chanté des extraits que je connais très bien de l’Ode à sainte Cécile et d’un opéra de Haendel. Je voulais lui prouver que je n’étais pas qu’un acteur qui pouvait faire de la comédie musicale. En France, je n’auditionne pas pour les films, mais ce n’est pas le cas pour les projets internationaux, pour lesquels il faut sans cesse auditionner. Il faut être habitué à se remettre à zéro, à faire taire son orgueil et à reprouver ce que l’on est capable de faire. Je trouve cela très bien. Je serais très heureux d’auditionner plus souvent en France : cela me permettrait éventuellement de toucher des metteurs en scène qui ne s’intéressent pas à moi et leur montrer que je peux faire des choses très différentes. Quand on a une carrière un peu établie, on est prévenu de ce que l’on dégage et on a du mal à s’échapper de certaines cases. Donc, auditionner, c’est aussi une façon de faire table rase, et j’adore ça.

Vous interpréterez également trois mélodrames de Liszt : Leonore, Le Moine triste et Le Garçon de la lande. Il s’agit de compositions spécifiquement dédiées à un texte déclamé.

C’est la première fois que j’interprète de vrais mélodrames. Cette proposition de concert est merveilleuse et extrêmement rare. Et, vu le répertoire, Strasbourg est le lieu idéal pour le faire ! En revanche, j’ai fait énormément de spectacles en tant que récitant dans des œuvres romantiques. C’est parfois difficile stylistiquement, car il faut assumer, en tant qu’acteur, cette fièvre, ces images, ce langage très poétique et enflammé… mais j’adore cet excès. Est-ce que la musique vous aide à construire vos interprétations ? Ou est-ce une contrainte ?

Lorsque l’on est récitant, on crée une ambiance qui prépare un morceau musical, qui lui-même influence la reprise de la parole. C’est un défi excitant. La musique est une aide dans le mélodrame. Je pense qu’il faut être soi-même musicien pour bien l’interpréter. Et puis, savoir lire une partition rassure les chefs d’orchestre, qui tremblent toujours à l’idée de faire de la musique

Fin janvier, vous serez présent à Strasbourg pour un concert, en qualité de récitant et en compagnie du jeune baryton Konstantin Krimmel. Vous interpréterez notamment des textes de Goethe, Nerval et de Madame de Staël. La soirée s’intitule « Ballades gothiques ». On est en plein romantisme noir. Est-ce une période que vous aimez particulièrement ?

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Entretien © Carole Bellaiche / HK

« Lorsque l’on est récitant, on crée une ambiance qui prépare un morceau musical, qui lui-même influence la reprise de la parole. C’est un défi excitant. La musique est une aide dans le mélodrame. Je pense qu’il faut être soimême musicien pour bien l’interpréter. » OnR, le magazine  nº17  Janvier/février 2022

avec des récitants, car les acteurs peuvent parfois être perdus dans la musique. Dans toutes ces évocations du romantisme, il y a quelque chose qui renvoie à une forme d’adolescence écorchée.

Je l’assume totalement. Je me suis rendu compte que, malgré mon âge, je pouvais encore incarner ce type de héros purement romantique, comme dans Lélio. Mais, en replaçant politiquement la question du romantisme, l’âge n’a plus vraiment d’importance. On sent chez Musset ou Berlioz le mal d’une génération écrasée par des pouvoirs autoritaires. Ce sont des êtres blessés par le monde. Ce fameux mal du siècle, on peut le réinterpréter aujourd’hui, car on a autant de raisons qu’eux d’être dégouté. J’en reviens à Lélio, dans lequel le récitant dit que seuls l’art, l’amour et

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Entretien pas être assez préparé. La pire chose que l’on puisse me dire, c’est : « On a l’impression que tu prends beaucoup de plaisir. » Or, ce n’est pas mon plaisir qui compte, c’est celui du public. Je n’ai pas envie d’être un amateur éclairé. Si j’ose apporter ma petite pierre à un édifice, il faut qu’elle ait une certaine valeur.

l’amitié comptent. Le reste n’est que fadaises et propos mortifères. Les priorités du monde pragmatique l’assomme… Et moi aussi ! Je pourrais sans doute, jusqu’à la fin de mes jours, incarner ce romantisme adolescent. Finalement, le romantisme, c’est une lutte un peu suicidaire, contre un état du monde géré par des pères monstrueux et sanguinaires.

Rassurez-moi, vous prenez quand même un peu de plaisir dans votre métier ?

La lutte suicidaire et l’écrasement dont vous parlez cachent aussi une pulsion de vie et un besoin de révolte.

Je prends énormément de plaisir dans la musique. Plus que dans mon métier d’acteur. Mais la musique est une maîtresse intransigeante. Si ça se passe bien, c’est sublime. Sinon on est totalement désespéré : on veut tout arrêter… mais on finit par recommencer le lendemain. Les plus fortes émotions de ma vie sont toujours liées à la musique. L’un de mes plus beaux souvenirs est d’avoir chanter les rôles de Pangloss et Voltaire dans Candide de Bernstein, mis en scène par Robert Carsen au Théâtre du Châtelet et à la Scala de Milan.

Les génies torturés que j’ai évoqués ont réussi à sublimer cet écrasement par la création. Leur message est, en somme : « Vivons pour l’art et vivons pour créer. » C’est une philosophie qui me convient. Les gestes qui comptent dans la vie sont toujours ceux qui sont gratuits. Et c’est le propre de l’art. On laisse une trace absurde dans l’univers, aussi éphémère que celle d’un avion qui se désagrège en quelques heures dans le ciel. Mais on la veut jolie, intéressante, personnelle. Et pour cela, il faut énormément travailler et ne pas être amateur.

Effectivement, tout le monde ne peut pas dire : « J’ai chanté à la Scala de Milan ! »

Amateur, vous ne l’êtes pas.

Parfois, si. Il m’est arrivé, à cause de mon grand appétit, de faire trop de choses à la fois et de ne

Quand j’étais un jeune acteur, pendant que les autres restaient au café pour discuter de façon

Konstantin Krimmel À seulement vingt-huit ans, le jeune baryton germano-roumain Konstantin Krimmel compte parmi les chanteurs les plus prometteurs de sa génération. Après avoir remporté de nombreux concours, il a rejoint cet automne le prestigieux ensemble de l’Opéra de Munich. Salué par la critique, son premier album Saga (2019) propose un voyage envoûtant et troublant au fil de pièces de Robert Schumann, Franz Schubert et Carl Loewe inspirées par des récits issus des mythologies nordiques et germaniques. Il en présente plusieurs extraits à l’Opéra national du Rhin lors de la soirée « Ballades gothiques » dont il partage l’affiche avec Lambert Wilson.

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© Marlene Ulrich

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Entretien

« Les gestes qui comptent dans la vie sont toujours ceux qui sont gratuits. Et c’est le propre de l’art. On laisse une trace absurde dans l’univers, aussi éphémère que celle d’un avion qui se désagrège en quelques heures dans le ciel. Mais on la veut jolie, intéressante, personnelle. Et pour cela, il faut énormément travailler. »

interminable sur l’avenir du théâtre, j’allais en cours de chant. J’ai agi pour pouvoir un jour vivre ce genre d’expérience. Il faut avoir les moyens de son rêve. Aujourd’hui, je me donne comme nouveau défi de chanter Bach. Souvent, les acteurs sont un peu paresseux, en France tout du moins. Dans les pays anglo-saxons, le système et les formations sont très différents. Les acteurs sont tenus de savoir faire plus de choses, pour une raison très simple : il y a beaucoup plus de candidats que de places. Il faut être prêt à tout, parce que c’est un « job » : si l’on vous propose une comédie musicale, il faut être capable de chanter. Cette mentalité anglo-saxonne vous mène finalement vers des activités qui vous étoffent et vous enrichissent. En France, il est plus facile de faire la moue et de se pincer le nez quand on est établi. Est-ce qu’il y a un musicien, un compositeur ou un chanteur que vous aimeriez incarner un jour au cinéma ou au théâtre ?

J’ai toujours du mal à répondre à cette question… Heureusement, les gens ont des idées pour moi ! Je n’avais par exemple jamais songé à jouer de Gaulle ou Cousteau. Sans parler de les incarner à l’écran, il y a des compositeurs que j’aurais aimé rencontrer. J’aurais adoré rencontrer Ravel, Rachmaninov, Tchaïkovski… J’aurais eu deux ou trois choses à leur demander. J’ai aussi longtemps été obsédé par Puccini. Pour interpréter un personnage historique, il faut toujours un trait physique, quelque chose qui l’évoque ou vous en rapproche. Finalement, Rachmaninov ne serait pas si mal pour moi. Je suis toujours fasciné par ses portraits photographiques, avec son côté dépressif, son air grave, ses poches sous les yeux, son œil sombre, ses mains énormes… Il y a une telle douleur dans son visage. C’est un être entre deux époques : il est toujours dans la musique tonale mais refuse violemment l’atonalité. Quand j’étais adolescent, j’habitais avec mes parents à Clairefontaine-en-Yvelines – c’était bien avant l’installation de la Fédération française de football ! (Rires) Rachmaninov y a vécu quelques mois lors de son séjour en France, une période très difficile pour lui. La forêt aux alentours évoque un peu la forêt russe, avec ce mélange de bouleaux, de bruyère et de lande. J’aimais imaginer Rachmaninov marchant dans cette forêt, en train de composer un morOnR, le magazine  nº17  Janvier/février 2022

ceau qui serait né là-bas et que je connaîtrais par cœur… Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai toujours eu l’impression d’avoir un lien avec lui, à cause de ce village.

Retrouvez dans la programmation : RÉCITAL

Konstantin Krimmel & Lambert Wilson Ballades gothiques Lieder et mélodrames de Schubert, Loewe, Schumann et Liszt Strasbourg, Opéra Sam.  29  janv.

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20h


Walter Braunfels au Lac de Constance (1940) OnR, le magazine  nº17  Janvier/février 2022

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Le coin de l’Histoire

La génération sacrifiée de la « musique dégénérée » Depuis une trentaine d’années, on a redécouvert la face cachée du XXe siècle musical : toute une génération de musiciens nés à la fin du XIXe dont les œuvres furent interdites par les nazis puis les destins brisés par l’exil ou la mort. Et comme s’ils devaient être frappés d’une double peine, ces artistes restèrent oubliés longtemps après la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Retour sur l’histoire de cette génération à laquelle l’Opéra national du Rhin consacre un pan de sa programmation pendant plusieurs saisons, en commençant par la création française des Oiseaux de Walter Braunfels en janvier 2022. Par Alain Perroux Entartete Musik – « Musique dégénérée ». L’affiche en rouge et noir arbore une illustration éloquente qui se voulait alors infamante : un saxophoniste noir en frac et haut de forme arbore une étoile de David. Cette réclame annonce une exposition organisée à Düsseldorf au printemps 1939 et construite sur le modèle de celle tenue l’année précédente à Munich pour stigmatiser l’art plastique dégénéré (« entartete Kunst »). Il s’agit d’exposer des photographies, affiches, partitions, enregistrements et autres documents rattachés à des compositeurs mis à l’index par le régime nazi depuis six ans qu’ils sont au pouvoir.

œuvres d’artiste « constructivistes » ou gauchistes comme Paul Hindemith ou Kurt Weill), influence du jazz (musique « nègre » venue d’Amérique et dont l’opéra Johnny spielt auf d’Ernst Krenek est l’emblème). Mais c’est l’origine juive de nombreux compositeurs qui vaut le plus souvent leur mise au ban – laquelle recoupe généralement les catégories mentionnées plus haut, mais permet de condamner aussi certaines figures du passé. Ainsi les musique de Mendelssohn, Meyerbeer ou Mahler viennent elles rejoindre celles d’auteurs contemporains comme Franz Schreker, Erich Wolfgang Korngold, Alexander von Zemlinsky, Erwin Schulhoff ou Berthold Goldschmidt. Les grandes figures internationales de la modernité en musique ne sont guère épargnées : Igor Stravinsky est fustigé pour ses audaces de même que Béla Bartók, lequel a demandé à figurer dans l’exposition, considérant qu’il était honorifique d’être associé à ces compositeurs vilipendés par les nazis.

L’idée centrale est celle d’une « pureté » de la musique allemande, en phase avec la notion de « pureté de la race ». Pour glorifier cet art qui, depuis des siècles, règne au cœur de la culture germanique, les nazis censurent toutes sortes de musiques frappées de ce qu’ils considèrent comme des tares intolérables : emploi de l’atonalité (promue par la Seconde École de Vienne, soit Arnold Schoenberg et ses disciples Alban Berg et Anton Webern), « bolchévisme musical » (frappant les OnR, le magazine  nº17  Janvier/février 2022

Pour avoir un aperçu de l’idéologie véhiculée par cette exposition, il suffit de citer le cartel consacré à l’École de Vienne, signé par le commissaire

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Le coin de l’Histoire d’exposition Hans Ziegler : « L’atonalité, en tant que résultat de la destruction de la tonalité, représente un exemple de dégénérescence et de bolchévisme artistique. Étant donné, de plus, que l’atonalité trouve ses fondements dans les cours d’harmonie du Juif Arnold Schoenberg, je la considère comme le produit de l’esprit juif. » Bel exemple de ces amalgames d’extrême-droite où se mêlent jugements esthétiques, discours décliniste et racisme primaire (antisémitisme en l’occurrence).

tous trois emprisonnés dans le camp tristement célèbre de Theresienstadt, où une intense activité musicale avait cours (ce dont les nazis se servirent pour un film de propagande donnant une vision très adoucie de la vie concentrationnaire). Certains autres comme Walter Braunfels partirent dans une forme d’« exil intérieur » : destitué et réduit au silence car considéré comme « demi-juif », Braunfels se retira de la vie publique, quitta Cologne pour aller s’installer au bord du Lac de Constance. Après la guerre, il retourna à Cologne où il retrouva son poste à la tête du Conservatoire, et il continua de composer. Mais sa musique était passée de mode.

Cette exposition inaugurée par un discours de Goebbels est le symptôme de la violente politique d’épuration culturelle opérée par les nazis dès leur accession au pouvoir. Entre 1933 et 1934, les nombreux compositeurs taxés de « dégénérescence » avaient vu leur musique interdite d’exécution. Dans la foulée, ceux d’entre eux qui occupaient des postes importants se virent congédiés : Franz Schreker, qui dirigeait le Conservatoire de Berlin, Walter Braunfels, qui avait fondé celui de Cologne, ou encore Schoenberg, qui enseignait à l’Académie prussienne des arts, ont été contraints de démissionner à cause de la Loi allemande sur la restauration de la fonction publique du 7 avril 1933.

C’est là le drame supplémentaire que vécurent ces musiciens : ceux qui étaient encore vivants et actifs après la guerre eurent à souffrir de la tabula rasa imposée par les nouvelles générations après le traumatisme provoqué par le deuxième conflit mondial. Pour les compositeurs et les commentateurs qui cherchaient à trouver du sens dans une vision de l’histoire dirigée par l’idée de progrès, seul le mouvement post-sériel, héritier de la révolution portée par Schoenberg et ses disciples,

Ayant perdu toute voix au chapitre parce qu’ils n’ont plus d’emploi officiel et parce que leur musique est réduite au silence, les compositeurs cloués au pilori réagissent de diverses manières. Nombre d’entre eux choisissent les chemins de l’exil. C’est ainsi que Zemlinsky, Korngold, Weill, Krenek et Schoenberg se retrouvent en Amérique. Certains y font fortune en se réorientant : Erich Wolfgang Korngold, Miklos Rosza ou Franz Waxman deviennent des compositeurs de musique de films à Hollywood, tandis que Kurt Weill signe des comédies musicales à succès pour les théâtres de Broadway. Les plus âgés se mettent en retrait tout en composant encore, notamment Schoenberg et Zemlinsky, qui meurt en 1942. Paul Hindemith, pour sa part, se réfugie en Suisse avant de traverser l’Atlantique. D’autres choisissent de rester. Certains ressortissants de pays annexés par l’Allemagne hitlérienne finissent par être internés dans des camps de concentration et meurent à Auschwitz : c’est les cas des compositeurs juifs de Prague comme Viktor Ullmann, Pavel Haas ou Hans Krása, OnR, le magazine  nº17  Janvier/février 2022

Retrouvez dans la programmation : CONFÉRENCE

Les Oiseaux et la musique d’Aristophane Strasbourg, Opéra Mer. 18  janv.

19h30

OPÉRA

Les Oiseaux

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Strasbourg, Opéra Mer. 19  janv.  Sam. 22  janv.  Mar. 25 janv.  Jeu. 27 janv.  Dim. 30  janv.

20h  20h  20h  20h   15h

Mulhouse, La Filature Dim. 20  fév.  Mar. 22 fév.

15h  20h


Le coin de l’Histoire

1933 Accession au pouvoir des nazis et début de l’épuration de la scène artistique et culturelle allemande. 1939 Première exposition consacrée à la « musique dégénérée » organisée à Düsseldorf. 1947 Walter Braunfels retrouve son poste à la tête du Conservatoire de Cologne. 2022 Création françaiseà l'OnR des Oiseaux, opéra de Walter Braunfels. Walter Braunfels (1882-1954)

semblait apte à maintenir un fil entre le passé et l’avenir. Après 1945, les œuvres d’un Zemlinsky, d’un Schreker ou d’un Korngold étaient perçues comme les reliquats d’un post-romantisme épisodique et ne paraissaient plus dignes d’être programmées. Korngold, qui était encore vivant et nostalgiques de ses succès d’enfant prodige à Vienne, tenta un come-back en Europe qui se solda par un échec : son nom était tombé dans l’anonymat.

publie à intervalles réguliers des premiers enregistrements d’opéras et d’œuvres symphoniques de Krenek, Korngold, Zemlinsky, Schreker, Ullmann, Schulhoff, Braunfels et tant d’autres. Cette série s’appelle précisément : « Entartete Musik ». Célébrée par la critique internationale, elle marque durablement les esprits, notamment chez les programmateurs. Depuis lors, Korngold est redevenu un nom souvent mis à l’affiche : son opéra La Ville morte est désormais programmé et enregistré sans cesse (sa création française eut lieu à l’Opéra national du Rhin en 2001), Schreker figure de plus en plus souvent au menu des théâtres européens (l’OnR programmant en 2012 la création française de son chef-d’œuvre Le Son lointain) et Zemlinsky n’est plus un inconnu dans les salles de concert.

Ainsi donc, à l’oubli forcé qu’imposèrent les nazis pendant treize ans s’ajouta l’amnésie injuste d’un monde musical qui avait besoin de se projeter vers l’avenir, fut-ce en sacrifiant toute une génération de créateurs qui, dans les premières décennies du XXe siècle, avaient enthousiasmé les foules mélomanes. Mais l’amnésie ne triomphe pas toujours. Grâce à quelques musiciens qui n’avaient pas oublié et grâce à des chercheurs passionnés, les musiques jadis considérées comme « dégénérées » ont été peu à peu redécouvertes et reprogrammées. Au sein de ce mouvement né dans les années 1970, un coup d’accélérateur fut apporté par une série de disques. Dans les années 1990, le label Decca OnR, le magazine  nº17  Janvier/février 2022

Transformant l’insulte en marque distinctive, l’étiquette infamante de jadis est devenue label de qualité. Et la « musique dégénérée » vient régénérer le monde musical à l’aube du XXIe siècle. Siècle qui sera, parions-le, celui de tous les métissages.

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Lewis Carroll (1832-1898) OnR, le magazine  nº17  Janvier/février 2022

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Portfolio littéraire Lewis Carroll « Dites-moi, je vous prie, de quel côté faut-il me diriger ? » « Cela dépend beaucoup de l’endroit où vous voulez aller, dit le Chat. » « Cela m’est assez indifférent, dit Alice. » « Alors peu importe de quel côté vous irez, dit le Chat. » « Pourvu que j’arrive quelque part, ajouta Alice en explication. » « Cela ne peut manquer, pourvu que vous marchiez assez longtemps. » Alice comprit que cela était incontestable ; elle essaya donc d’une autre question : « Quels sont les gens qui demeurent par ici ? » « De ce côté-ci, dit le Chat, décrivant un cercle avec sa patte droite, demeure un chapelier ; de ce côté-là, faisant de même avec sa patte gauche, demeure un lièvre. Allez voir celui que vous voudrez, tous deux sont fous. » — Lewis Carroll, Les Aventures d’Alice au pays des merveilles (1865)

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Portfolio littéraire

Théorème du non-sens En 1865, le professeur de mathématiques et diacre Charles L. Dodgson prenait le nom de plume de Lewis Carroll pour inventer un univers haut en couleur et déluré, régi par les lois du non-sens. Cent-cinquante ans plus tard, son monde merveilleux continue d’enchanter petits et grands et d’inspirer de nombreux artistes, à l’image du compositeur américain Philip Glass qui signe avec Alice une nouvelle partition créée par le Ballet de l’Opéra national du Rhin. Par Louis Geisler

L’étrange dualité de Charles L. Dodgson

bien le même goût. Non-sens ? Oui, absolument ! Bienvenue dans l’univers sens dessus dessous de Lewis Carroll, nom de plume du très sérieux professeur Charles L. Dodgson. Charles L. Dodgson naît en 1832 dans le petit village de Daresbury dans le Cheshire. Il grandit dans une famille d’origine irlandaise de onze enfants au presbytère de Croft-on-Tees. Comme plusieurs de ses frères et sœurs, il souffre d’un bégaiement marqué, qu’il qualifie poétiquement d’« hésitation ». Dans sa bouche, son nom de famille devient : « Do-do-do-dod-dod-dodgdodgson », ce qui ne manque pas de susciter les railleries et l’handicape dans sa vie sociale – il dépassera ces mauvais souvenirs en se caricaturant lui-même avec le personnage du Dodo rencontré par Alice au cours de ses aventures au pays des merveilles. Dodgson suit docilement le chemin tout tracé qui lui a été dévolu par sa famille et la société victorienne. Comme son père, il rejoint l’Église anglicane et fait des études de mathématiques avant de devenir professeur à Oxford, ville qu’il ne quittera presque jamais de sa vie. Malgré son côté « rangé » et conservateur, il nourrit plu-

Imaginez au milieu du XIXe siècle, en pleine époque victorienne, un professeur assez conservateur, passionné de logique, enseignant les mathématiques au très réputé Christ Church College d’Oxford, bien propre sur lui et officiant comme diacre de l’Église anglicane. Secouez bien fort tous ces ingrédients dans un shaker (comme le vodka-martini de James Bond : surtout pas à la cuillère !), et vous obtiendrez un Charles L. Dodgson, cocktail un peu amer et ennuyeux mais so british ! Imaginez maintenant un esprit libre et rebelle, à l’humour corrosif, adepte des jeux de mots farfelus et qui a fait du non-sens sa philosophie de vie. Nettoyez votre shaker, mettez y tous ces nouveaux ingrédients, secouez, et dégustez un Lewis Carroll, mélange hallucinatoire et jouissif, qui a autant inspiré les surréalistes des Années folles que les Beatles dans leur période psychédélique ou les sœurs Wachowski pour imaginer l’univers de Matrix. Posez votre verre, re-goutez le premier cocktail (mais avec modération !) et découvrez avec stupeur que ces deux breuvages, aux saveurs si différentes, ont bel et OnR, le magazine  nº17  Janvier/février 2022

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Portfolio littéraire sieurs passions artistiques, notamment pour le dessin, la photographie et la littérature, et ne peut se départir de son air rêveur. Il fait parti de ces êtres supérieurement intelligents, enfermés dans un paradoxe mental : pleinement conscient des règles qui régissent le monde – aussi bien les règles sociales que mathématiques et physiques –, il en ressent l’absurdité et la vacuité avec d’autant plus de force qu’il se vit comme un perpétuel étranger sur des terres hostiles. Sa seule échappatoire, c’est l’écriture, qui lui permet de démontrer par l’absurde le non-sens du monde en poussant sa (non)-logique jusqu’à l’extrême. Dans sa jeunesse, il rédige des revues destinées au cercle familial aux noms bigarrés – notamment La Comète, Le Parapluie du presbytère et Misch-Masch – qui regorgent de problèmes logiques, de contes truffés de notes de bas de pages très sérieuses à la manière des publications scientifiques, d’articles sur des créatures inventées – le « lori », les « poichons », la « colombe à aile unique » – et de poèmes ponctués de croquis et dessins. Devenu professeur, il rédige de féroces articles anonymes, notamment pour ridiculiser les projets architecturaux entrepris au Christ Church College, qu’il associe dans ses Pamphlets oxoniens au style du « grotesque primitif ». Mais c’est à travers deux romans, devenus des classiques de la littérature enfantine mais offrant différents niveaux de lec-

ture, que le talent littéraire de Dodgson et son imagination débordante vont prendre toute leur ampleur. La création du pays des merveilles

Dodgson a toujours apprécié la compagnie des enfants qui semblent incarner à ses yeux l’innocence d’un paradis perdu. À la fin des années 1850, il se lie d’amitié avec la famille Liddell dont le père, Henry, éminent linguiste, enseigne au Christ Church College. Le 4 juillet 1862, Dodgson propose une promenade en barque à trois des filles Liddell : Lorina, Edith et Alice. Durant la balade, il invente pour les distraire les aventures abracadabrantesques d’une charmante petite fille, un peu paresseuse, perdue dans un monde extraordinaire, dans lequel les lapins blancs portent des montres, les chats sont grimaçants et où l’on joue au croquet avec des flamants roses. L’histoire plaît tellement aux petites qu’elles demandent à Dodgson de mettre par écrit ce monde merveilleux. Celui-ci leur remet deux ans plus tard le manuscrit des Aventures d’Alice au pays des merveilles (Alice’s Adventures in Wonderland) qu’il publie en 1865 sous le nom de Lewis Carroll – inversion de ses deux prénoms grossièrement latinisés : Charles Lutwidge. Illustré par John Tenniel, le livre est un succès retentissant. Poursuivant sur sa lancée, Dodgson

Alice au cinéma Dès les années 1930, les studios Disney envisagent d’adapter l’œuvre de Lewis Carroll au cinéma, en mélangeant des images d’animation avec des prises de vues réelles. La Seconde Guerre mondiale retarde le projet qui est finalement repensé pour devenir un film d’animation classique. Sorti sur les écrans en 1951, Alice au pays des merveilles réunit certains personnages et histoires tirés à la fois des Aventures d’Alice au pays des merveilles et de sa suite, De l’autre côté du miroir. Le film est boudé par les spectateurs et la critique pour les libertés prises par les scénaristes avec l’œuvre originale. Il devient culte à la fin des années 1960 grâce au mouvement hippie et au psychédélisme. Les studios Disney produisent dans les années 2010 deux nouvelles adaptations en images de synthèse et prises de vue réelles dont la première est confiée à Tim Burton, réalisateur à l’univers tout aussi foisonnant que celui de Lewis Carroll. OnR, le magazine  nº17  Janvier/février 2022

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Portfolio littéraire en écrit une version adaptée pour les tout-petits et publie une suite en 1871, De l’autre côté du miroir (Through the Looking-Glass), dans laquelle sa jeune héroïne découvre un monde où tout est inversé. Si Dodgson continue en toute discrétion sa carrière de professeur de mathématiques, Lewis Carroll, lui, gagne en popularité et devient l’auteur préféré d’une jeune génération qui l’inonde de lettres, auquel il met un point d’honneur à répondre, mais uniquement à celles qui portent son véritable nom – une absurdité qui trouve un certain sens dans son univers. En 1876, il publie un recueil de huit poèmes humoristiques, La Chasse au snark (The Hunting of the Snark), sorte de parodie de Moby Dick dans laquelle un boulanger flanqué d’un castor, d’un banquier et de toute une équipée improbable part à la conquête des mers pour capturer un redoutable snark, animal non-identifié dont l’étymologie anglaise semble néanmoins indiquer qu’il s’agit du mélange improbable d’un requin (shark) et d’un escargot (snail). Il publie un dernier roman en deux volumes, Sylvie et Bruno (1889-1893), mais la complexité de sa double narration – deux histoires sont racontées en parallèle : l’une à l’époque victorienne, l’autre dans un monde imaginaire – ne trouve pas son public. En 1885, il reprend contact avec Alice Liddell, désormais Mrs. Hargreaves, pour publier un fac-similé du manuscrit original des Aventures d’Alice au pays des merveilles. Il a toujours nié s’être inspiré d’elle pour créer son célèbre personnage, malgré leur nom commun. Nul doute qu’Alice doit bien certains de ses traits à la petite Alice Liddell. Cependant, il semble bien que ce personnage perdu dans un univers de non-sens soit en réalité une projection de Dodgson lui-même face au monde réel. Comme le fait remarquer le chat du Cheshire à Alice avec la plus grande lucidité : « tout le monde est fou ici. »

1832 Naissance de Charles L. Dodgson à Daresbury (Cheshire) dans une famille conservatrice d’origine irlandaise. 1856 En marge de ses cours au Christ Church College, Dodgson se lance dans l’art photographique naissant. 1862 Au cours d’une promenade en barque, Dodgson invente l’histoire des Aventures d’Alice sous terre pour distraire trois petites filles : Lorina, Edith et Alice Liddell. 1865 Publication sous le nom de Lewis Carroll des Aventures d’Alice au pays des merveilles, grand succès suivi six ans plus tard par De l’autre côté du miroir. 1876 Publication de La Chasse au snark, poème en huit parties fondé sur le non-sens et les mots valises.

Retrouvez dans la programmation : DANSE

Alice

Louis Geisler est le dramaturge de lʼOpéra national du Rhin. Il collabore régulièrement avec le Festival d’Aix-en-Provence, l’Opéra de Dijon et différents metteurs en scène.

Mulhouse, La Filature Ven. 11 fév.  Sam. 12 fév.  Dim. 13 fév.

20h   15h/20h   15h

Strasbourg, Opéra Ven. 18 fév.  Sam. 19 fév.  Dim. 20 fév.  Mar. 22 fév.  Mer. 23 fév.

20h   15h/20h   15h  20h  20h

CINÉMA

Alice au pays des merveilles Dim. 20 OnR, le magazine  nº17  Janvier/février 2022

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Strasbourg, Cinéma Odyssée fév.

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Alice Liddell Photographie de Lewis Carroll (1858)

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Les Aventures d’Alice au pays des merveilles. Illustration d’origine par John Tenniel (1820-1914) OnR, le magazine  nº17  Janvier/février 2022

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Œuvres de jeunesse Charles L. Dodgson adopte en 1856 à l’âge de vingt-quatre ans le pseudonyme de « Lewis Carroll » pour signer ses œuvres littéraires, réservant son patronyme à ses ouvrages de logique et de mathématiques ainsi qu’à sa correspondance. Certains de ses écrits de jeunesse antérieurs portent déjà la marque de son goût pour le non-sens, l’absurde, les mots-valises et les chimères. Rudiments du savoir-vivre ou petit guide du dîner en ville Nous qui devons satisfaire l’appétit et le goût du public, nous pouvons en conscience recommander cet ouvrage à tous ceux qui dînent en société sans rien savoir des usages du monde. Aussi regrettable qu’il soit, selon nous, de voir notre auteur se borner à mettre en garde, au lieu de conseiller, il nous faut dire ici en toute justice qu’aucune des affirmations contenues dans l’ouvrage ne viendra contredire les habitudes des meilleurs salons. Les exemples qui suivent témoignent d’une pénétration et d’une richesse d’expérience peu communes. V Au moment de passer à table, l’homme offrira son bras à la dame qu’il escorte ; il n’est pas courant d’offrir les deux. VIII On a sagement renoncé aujourd’hui à la coutume de prendre le potage dans l’assiette du voisin de son voisin, mais non point à celle de demander au maître de maison son avis sur le temps, immédiatement après le premier service. IX Se servir d’une fourchette pour le potage, signifiant du même coup à la maîtresse de maison qu’on réserve la cuillère pour la pièce de bœuf, est une pratique complètement discréditée.

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XI Pour les mets placés devant vous, nul ne peut vous interdire d’y goûter, si vous en avez envie. Toutefois, dans toutes circonstances aussi délicates, conformezvous à l’attitude de vos voisins. XII On a toujours le droit de demander de la compote d’artichaut avec du marcassin bouilli. Il est néanmoins des maisons où l’on n’en trouvera pas. XIII On peut toujours se servir de la dinde rôtie au moyen de deux fourchettes à découper. Mais la méthode manque d’élégance. XVII Nous ne préconisons pas de manger le fromage en tenant un couteau et une fourchette d’une main, une cuillère et un verre à vin de l’autre. Le geste expose à une certaine gaucherie, que la pratique la plus intense reste impuissante à dissiper. XXVI En règle générale, évitez de donner des coups de pied, sous la table, dans les tibias de votre vis-à-vis, à moins qu’il ne soit de vos intimes. La plaisanterie risquerait d’être mal interprétée, ce qui est toujours fâcheux. XXVII Plus que l’observation rigoureuse de l’étiquette, c’est le respect dont jouit son jeune âge, qui dicte la coutume de porter un toast au garçon de la maison, sitôt la nappe ôtée. Article zoologique N° 2 : Le lori Il s’agit, selon nous, d’une variété de perroquet. Southey nous apprend que c’est un oiseau « au somptueux plumoiment ». Personnellement nous pensons qu’il n’en exista jamais qu’un, dont nous allons, dans la mesure du possible, révéler à présent l’histoire à nos lecteurs.

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On ne connaît avec certitude ni la date ni le lieu de naissance du lori. L’œuf dont il sortit fut très probablement, à en juger d’après la couleur de l’oiseau, l’un de ces magnifiques œufs de Pâques que nos lecteurs ont sans aucun doute déjà vus. En tout état de cause, faire éclore un œuf de Pâques est une expérience qui mérite d’être tentée. Son extrême docilité montre à l’évidence qu’il vint à échoir très tôt à Cambeo, ou Cupidon, car nous voyons ce dernier se servir de l’oiseau, sans selle ni bride pour autant qu’on sache, comme d’une sorte de poney de chasse, dans l’Imprécation de Kehama de Southey. Nous n’avons pas besoin de reprendre l’histoire du lori relatée dans ce poème : nos lecteurs s’y reporteront. Aussi en venons-nous directement à la conclusion. Lorsque Kehama eut triomphé des dieux, avant de subir la double brûlure de l’œil noir de Shiva et du breuvage d’Amrita (sans doute une sorte de curry liquide), il est plus que probable que, dans le fracas généralisé qui s’ensuivit, le sort de Cambeo, entre autres, se trouva scellé. Ses biens furent alors vraisemblablement vendus aux enchères, y compris le lori, dont nous avons lieu de croire qu’on l’adjugea au Glendoveer, qui en resta le propriétaire jusqu’à la fin. Après la mort de l’oiseau, nous supposons que le Glendoveer, incapable de renoncer au spectacle de son « plumoiment » le fit empailler, avant d’en faire don, quelques années plus tard, sur les conseils de Kailyal, au musée d’York, où le lecteur intéressé est à même de le voir, moyennant un shilling. Ayant ainsi exposé toutes nos connaissances, et bien davantage, sur ce sujet intéressant, il nous faut ici conclure. Notre prochain sujet sera probablement « les poichons ». Difficulté N° 1 La moitié du monde, ou à peu près, est toujours éclairée par le soleil. À mesure que le monde tourne, cet hémisphère de lumière tourne lui aussi et se déplace successivement d’une partie du monde à l’autre. Supposons qu’on soit à Londres ; et un mardi matin. Une heure plus tard, ce sera mardi matin à l’ouest de l’Angleterre. Si le monde était une terre d’un seul tenant, nous pourrions continuer à suivre le mardi matin (mardi


Portfolio littéraire matin d’un bout du monde à l’autre), pour nous retrouver à Londres vingtquatre heures plus tard. Mais nous savons qu’à Londres, vingt-quatre heures après mardi matin, c’est mercredi matin. À quel point de son tour du monde le jour change-t-il donc de nom ? Où perd-il son identité ? Concrètement il n’y a là aucun problème, puisqu’une grande partie de son voyage s’effectue au-dessus de l’eau ; or, nul ne peut dire ce qu’il fait quand il est en mer. En outre, il existe tant de langues différentes que toute tentative pour suivre de bout en bout le nom d’un jour autour du globe est vouée à l’échec. Mais ne se peut-il concevoir qu’on ait le même continent et la même langue d’un bout du monde à l’autre ? Je ne vois rien qui l’empêche. En ce cas, soit il n’y aurait pas la moindre séparation entre deux jours successifs, ni d’ailleurs entre les semaines, les mois etc., en sorte qu’il faudrait dire : « La bataille de Waterloo a eu lieu aujourd’hui, il y a environ deux millions d’heures » ; soit il faudrait définir une ligne de démarcation, en sorte que, dans une maison, l’on se réveillerait en disant : « Bonjour, mardi matin ! » et dans la maison voisine (de l’autre côté de la ligne), quelques kilomètres plus à l’ouest, l’on se réveillerait quelques minutes plus tard en disant : « Bonjour, mercredi matin ! » Je laisse à d’autres le soin d’évoquer l’état d’absolue confusion dans lequel vivraient en permanence ceux qui se trouveraient habiter juste à cheval sur la ligne. Tous les matins, le nom du jour serait matière à querelle. Je ne vois pas de troisième hypothèse, sauf à permettre à chacun de choisir à sa guise, ce qui serait pire, à tout prendre, que les deux autres solutions. J’ai conscience que cette question a déjà été soulevée, grâce à l’auteur inconnu du beau poème qui commence ainsi : Si le monde entier était gâteau aux pommes, etc. Toutefois la conséquence particulière ici évoquée semble lui avoir échappé, puisqu’il s’en tient aux difficultés qui ne manqueraient pas de résulter dès qu’on voudrait trouver à boire. Toute solution satisfaisante à la difficulté ici exposée sera reçue avec gratitude et publiée. Œuvres de jeunesse de Lewis Carroll, extraits notamment de la revue familiale Le Parapluie du presbytère. Traduction de Jean-Pierre Richard (1990) OnR, le magazine  nº17  Janvier/février 2022

Les Aventures d’Alice au pays des merveilles Les Aventures d’Alice au pays des merveilles ont pour origine une histoire improvisée par Lewis Carroll pour divertir la petite Alice Liddell et ses deux sœurs au cours d’une promenade en barque à Oxford, l’après-midi du 4 juillet 1862. Dans cet univers absurde, où les lois de la logique sont malmenées, Alice va faire des rencontres étonnantes, avant de se réveiller de son rêve. Chapitre premier. Au fond du terrier. Alice, assise auprès de sa sœur sur le gazon, commençait à s’ennuyer de rester là à ne rien faire ; une ou deux fois elle avait jeté les yeux sur le livre que lisait sa sœur ; mais quoi ! pas d’images, pas de dialogues ! « La belle avance, » pensait Alice, « qu’un livre sans images, sans causeries !  » Elle s’était mise à réfléchir, (tant bien que mal, car la chaleur du jour l’endormait et la rendait lourde,) se demandant si le plaisir de faire une couronne de marguerites valait bien la peine de se lever et de cueillir les fleurs, quand tout à coup un lapin blanc aux yeux roses passa près d’elle. Il n’y avait rien là de bien étonnant, et Alice ne trouva même pas très extraordinaire d’entendre parler le Lapin qui se disait : « Ah ! j’arriverai trop tard ! » (En y songeant après, il lui sembla bien qu’elle aurait dû s’en étonner, mais sur le moment cela lui avait paru tout naturel.) Cependant, quand le Lapin vint à tirer une montre de son gousset, la regarda, puis se prit à courir de plus belle, Alice sauta sur ses pieds, frappée de cette idée que jamais elle n’avait vu de lapin avec un gousset et une montre. Entraînée par la curiosité elle s’élança sur ses traces à travers le champ, et arriva tout juste à temps pour le voir disparaître dans un large trou au pied d’une haie.

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Un instant après, Alice était à la poursuite du Lapin dans le terrier, sans songer comment elle en sortirait. Pendant un bout de chemin le trou allait tout droit comme un tunnel, puis tout à coup il plongeait perpendiculairement d’une façon si brusque qu’Alice se sentit tomber comme dans un puits d’une grande profondeur, avant même d’avoir pensé à se retenir. De deux choses l’une, ou le puits était vraiment bien profond, ou elle tombait bien doucement ; car elle eut tout le loisir, dans sa chute, de regarder autour d’elle et de se demander avec étonnement ce qu’elle allait devenir. D’abord elle regarda dans le fond du trou pour savoir où elle allait ; mais il y faisait bien trop sombre pour y rien voir. Ensuite elle porta les yeux sur les parois du puits, et s’aperçut qu’elles étaient garnies d’armoires et d’étagères ; çà et là, elle vit pendues à des clous des cartes géographiques et des images. En passant elle prit sur un rayon un pot de confiture portant cette étiquette, « MARMELADE D’ORANGES. » Mais, à son grand regret, le pot était vide : elle n’osait le laisser tomber dans la crainte de tuer quelqu’un ; aussi s’arrangea-t-elle de manière à le déposer en passant dans une des armoires. « Certes, » dit Alice, « après une chute pareille je me moquerai pas mal de dégringoler l’escalier ! Comme ils vont me trouver brave chez nous ! Je tomberais du haut des toits que je ne ferais pas entendre une plainte. » (Ce qui était bien probable.) Tombe, tombe, tombe ! « Cette chute n’en finira donc pas ! Je suis curieuse de savoir combien de milles j’ai déjà faits, » dit-elle tout haut. « Je dois être bien près du centre de la terre. Voyons donc, cela serait à quatre mille milles de profondeur, il me semble. » (Comme vous voyez, Alice avait appris pas mal de choses dans ses leçons ; et bien que ce ne fût pas là une très bonne occasion de faire parade de son savoir, vu qu’il n’y avait point d’auditeur, cependant c’était un bon exercice que de répéter sa leçon.) « Oui, c’est bien à peu près cela ; mais alors à quel degré de latitude ou de longitude est-ce que je me trouve ? » (Alice n’avait pas la moindre idée de ce que voulait dire latitude ou longitude, mais ces grands mots lui paraissaient beaux et sonores.)


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La Chasse au snark. Illustration d’Henry Hollyday (1839-1927) OnR, le magazine  nº17  Janvier/février 2022

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Portfolio littéraire Bientôt elle reprit : « Si j’allais traverser complètement la terre ? Comme ça serait drôle de se trouver au milieu de gens qui marchent la tête en bas. Aux Antipathies, je crois. » (Elle n’était pas fâchée cette fois qu’il n’y eût personne là pour l’entendre, car ce mot ne lui faisait pas l’effet d’être bien juste.) « Eh mais, j’aurai à leur demander le nom du pays. ‒ Pardon, Madame, est-ce ici la Nouvelle-Zemble ou l’Australie ? » ‒ En même temps elle essaya de faire la révérence. (Quelle idée ! Faire la révérence en l’air ! Dites-moi un peu, comment vous y prendriez-vous ?) « Quelle petite ignorante ! pensera la dame quand je lui ferai cette question. Non, il ne faut pas demander cela ; peutêtre le verrai-je écrit quelque part. » Tombe, tombe, tombe ! Donc Alice, faute d’avoir rien de mieux à faire, se remit à se parler : « Dinah remarquera mon absence ce soir, bien sûr. » (Dinah c’était son chat.) « Pourvu qu’on n’oublie pas de lui donner sa jatte de lait à l’heure du thé. Dinah, ma minette, que n’es-tu ici avec moi ? Il n’y a pas de souris dans les airs, j’en ai bien peur ; mais tu pourrais attraper une chauve-souris, et cela ressemble beaucoup à une souris, tu sais. Mais les chats mangent-ils les chauves-souris ? » Ici le sommeil commença à gagner Alice. Elle répétait, à moitié endormie : « Les chats mangent-ils les chauves-souris ? Les chats mangent-ils les chauves-souris ? » Et quelquefois : « Les chauves-souris mangent-elles les chats ? » Car vous comprenez bien que, puisqu’elle ne pouvait répondre ni à l’une ni à l’autre de ces questions, peu importait la manière de les poser. Elle s’assoupissait et commençait à rêver qu’elle se promenait tenant Dinah par la main, lui disant très sérieusement : « Voyons, Dinah, dis-moi la vérité, as-tu jamais mangé des chauves-souris ? » Quand tout à coup, pouf ! la voilà étendue sur un tas de fagots et de feuilles sèches, ‒ et elle a fini de tomber. […] Lewis Carroll, Les Aventures d’Alice au pays des merveilles (1865) Traduction d’Henri Hué (1869)

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De l’autre côté du miroir Dans la suite de ses aventures publiées en 1871, Alice traverse le miroir de son salon et y découvre un monde étrange et inversé – il faut parfois courir pour rester sur place –, peuplé de personnages hauts en couleur, notamment la Reine Blanche et l’œuf Gros Coco (Humpty-Dumpty), capable d’expliquer tous les sens des mots, même inventés. II. Le jardin des fleurs vivantes En y réfléchissant plus tard, Alice ne put comprendre comment cela s’était fait : tout ce qu’elle se rappelle, c’est qu’elles étaient en train de courir, la main dans la main, et que [la Reine Rouge] courait si vite que la fillette avait beaucoup de mal à se maintenir à sa hauteur. La Reine n’arrêtait pas de crier : « Plus vite ! », et Alice sentait bien qu’il lui était absolument impossible d’aller plus vite, quoiqu’elle n’eût pas assez de souffle pour le dire. Ce qu’il y avait de plus curieux, c’est que les arbres et tous les objets qui les entouraient ne changeaient jamais de place : elles avaient beau aller vite, jamais elles ne passaient devant rien. « Je me demande si les choses se déplacent en même temps que nous ? » pensait la pauvre Alice, tout intriguée. Et la Reine semblait deviner ses pensées, car elle criait : « Plus vite ! Ne parle pas ! » Alice ne songeait pas le moins du monde à parler. Elle était tellement essoufflée qu’il lui semblait qu’elle ne serait plus jamais capable de dire un mot et la Reine criait toujours : « Plus vite ! Plus vite ! » en la tirant de toutes ses forces. – Est-ce que nous y sommes bientôt ? parvint à articuler Alice, tout haletante. – Si nous y sommes bientôt ! répéta la Reine. Mais, voyons, nous avons passé devant il y a dix minutes ! Plus vite ! Elles continuèrent à courir en silence pendant quelque temps, et le vent sifflait si fort aux oreilles d’Alice qu’elle avait l’impression qu’il lui arrachait presque les cheveux. – Allons ! Allons ! criait la Reine. Plus vite ! Plus vite !

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Elles allaient si vite qu’à la fin on aurait pu croire qu’elles glissaient dans l’air, en effleurant à peine le sol de leurs pieds ; puis, brusquement, au moment où Alice se sentait complètement épuisée, elles s’arrêtèrent, et la fillette se retrouva assise sur le sol, hors d’haleine et toute étourdie. La Reine l’appuya contre un arbre, puis lui dit avec bonté : – Tu peux te reposer un peu à présent. Alice regarda autour d’elle d’un air stupéfait. – Mais voyons, s’exclama-t-elle, je crois vraiment que nous n’avons pas bougé de sous cet arbre ! Tout est exactement comme c’était ! V. Laine et eau – Êtes-vous capable de vous empêcher de pleurer en pensant à certaines choses ? [demanda Alice] – Mais, bien sûr, c’est ainsi qu’il faut s’y prendre, répondit [la Reine Blanche] d’un ton péremptoire. Vois-tu, personne ne peut faire deux choses à la fois. D’abord, pensons à ton âge... quel âge as-tu ? – J’ai sept ans. En vrai, j’ai sept ans et demi. – Inutile de dire : « en vrai ». Je te crois. Et maintenant voici ce que tu dois croire, toi : j’ai exactement cent un ans, cinq mois, et un jour. – Je ne peux pas croire cela ! s’exclama Alice. –Vraiment ? dit la Reine d’un ton de pitié. Essaie de nouveau : respire profondément et ferme les yeux. Alice se mit à rire. – Inutile d’essayer, répondit-elle : on ne peut pas croire des choses impossibles. – Je suppose que tu manques d’entraînement. Quand j’avais ton âge, je m’exerçais à cela une demi-heure par jour. Il m’est arrivé quelquefois de croire jusqu’à six choses impossibles avant le petit déjeuner. Voilà mon châle qui s’en va de nouveau ! La broche s’étant défaite pendant que la Reine parlait, un coup de vent soudain avait emporté son châle de l’autre côté d’un petit ruisseau. Elle étendit de nouveau les bras, et, cette fois, elle réussit à l’attraper toute seule. – Je l’ai ! s’écria-t-elle d’un ton triomphant. Maintenant, je vais l’épingler moi-même, tu vas voir ! – En ce cas, je suppose que votre doigt va mieux ? dit Alice très poliment, en traversant le petit ruisseau pour la rejoindre. – Oh ! beaucoup mieux, ma belle ! cria la Reine dont la voix se fit de plus en plus


Portfolio littéraire aiguë à mesure qu’elle continuait : – Beaucoup mieux, ma belle ! ma bê-êlle bê-ê-ê-lle ! bê-ê-êh ! Le dernier mot fut un long bêlement qui ressemblait tellement à celui d’un mouton qu’Alice sursauta. Elle regarda la Reine qui lui sembla s’être brusquement enveloppée de laine. Alice se frotta les yeux, puis regarda de nouveau, sans arriver à comprendre le moins du monde ce qui s’était passé. Était-elle dans une boutique ? Et était-ce vraiment... étaitce vraiment une Brebis qui se trouvait assise derrière le comptoir ? Elle eut beau se frotter les yeux, elle ne put rien voir d’autre : elle était bel et bien dans une petite boutique sombre, les coudes sur le comptoir, et, en face d’elle, il y avait bel et bien une vieille Brebis, en train de tricoter, assise dans un fauteuil, qui s’interrompait de temps à autre pour regarder Alice derrière une paire de grosses lunettes. – Que désires-tu acheter ? demanda enfin la Brebis, en levant les yeux de sur son tricot. – Je ne suis pas tout à fait décidée, répondit Alice très doucement. J’aimerais bien, si je le pouvais, regarder d’abord tout autour de moi. – Tu peux regarder devant toi, et à ta droite et à ta gauche, si tu veux ; mais tu ne peux pas regarder tout autour de toi... à moins que tu n’aies des yeux derrière la tête. Or, il se trouvait qu’Alice n’avait pas d’yeux derrière la tête. Aussi se contentat-elle de faire demi-tour et d’examiner les rayons à mesure qu’elle en approchait. La boutique semblait pleine de toutes sortes de choses curieuses..., mais ce qu’il y avait de plus bizarre, c’est que chaque fois qu’elle regardait fixement un rayon pour bien voir ce qui se trouvait dessus, ce même rayon était complètement vide, alors que tous les autres étaient pleins à craquer. […] VI. Le Gros Coco – Vous avez l’air d’être très habile pour expliquer les mots, monsieur, [dit Alice]. Voudriez-vous être assez aimable pour m’expliquer ce que signifie le poème « Jabberwocky » ? – Récite-le-moi. Je peux expliquer tous les poèmes qui ont été inventés jusqu’aujourd’hui..., et un tas d’autres qui n’ont pas encore été inventés. Ceci paraissait très réconfortant ; aussi Alice récita la première strophe : Il était grilheure ; les slictueux toves Gyraient sur l’alloinde et vriblaient ; OnR, le magazine  nº17  Janvier/février 2022

Tout flivoreux allaient les borogoves ; Les verchons fourgus bourniflaient. – Ça suffit pour commencer, déclara le Gros Coco. Il y a tout plein de mots difficiles là-dedans. « Grilheure », c’est quatre heures de l’après-midi, l’heure où on commence à faire griller de la viande pour le dîner. – Ça me semble parfait. Et « slictueux ? » – Eh bien, « slictueux » signifie : « souple, actif, onctueux. » Vois-tu, c’est comme une valise : il y a trois sens empaquetés en un seul mot. – Je comprends très bien maintenant, répondit Alice d’un ton pensif. Et qu’estce que les « toves » ? – Eh bien, les « toves » ressemblent en partie à des blaireaux, en partie à des lézards et en partie à des tire-bouchons. – Ce doit être des créatures bien bizarres ! – Pour ça, oui ! Je dois ajouter qu’ils font leur nid sous les cadrans solaires, et qu’ils se nourrissent de fromage. – Et que signifient « gyrer » et « vribler » ? – « Gyrer », c’est tourner en rond comme un gyroscope. « Vribler », c’est faire des trous comme une vrille. – Et « l’alloinde », je suppose que c’est l’allée qui part du cadran solaire ? dit Alice, toute surprise de sa propre ingéniosité. – Naturellement. Vois-tu, on l’appelle « l’alloinde », parce que c’est une allée qui s’étend loin devant et loin derrière le cadran solaire... Quant à « flivoreux », cela signifie : « frivole et malheureux » (encore une valise). Le « borogove » est un oiseau tout maigre, d’aspect minable, avec des plumes hérissées dans tous les sens : quelque chose comme un balai en tresses de coton qui serait vivant. – Et les « verchons fourgus » ? Pourriezvous m’expliquer cela ? du moins, si ce n’est pas trop demander... – Ma foi, un « verchon » est une espèce de cochon vert ; mais, pour ce qui est de « fourgus », je ne suis pas très sûr. Je crois que ça doit vouloir dire : « fourvoyés, égarés, perdus ». – Et que signifie « bournifler » ? – Eh bien, « bournifler », c’est quelque chose entre « beugler » et « siffler », avec, au milieu, une espèce d’éternuement. Mais tu entendras peut-être bournifler, là-bas, dans le bois ; et quand tu auras entendu un seul bourniflement, je crois que tu seras très satisfaite. Qui t’a récité des vers si difficiles ? – Je les ai lus dans un livre. Mais quelqu’un m’a récité des vers beaucoup plus faciles que ceux-là... je crois que

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c’était... Bonnet Blanc. – Pour ce qui est de réciter des vers, déclara le Gros Coco, en tendant une de ses grandes mains, moi, je peux réciter des vers aussi bien que n’importe qui, si c’est nécessaire... […] Lewis Carroll, De l’autre côté du miroir (1871)

La Chasse au snark La Chasse au snark est un poème en huit « crises » au cours desquelles un équipage improbable (un boucher, un castor, un boulanger, etc.) guidé par l’Homme à la Cloche part sur les mers pour chasser un animal fantastique, le snark. Seconde crise : Le discours de l’Homme à la Cloche L’Homme à la Cloche, lui, tous aux nues le portaient : Un si noble maintien, tant d’aisance, de grâce ! Et cet air solennel ! On le devinait sage Rien qu’à l’expression de son visage ! Il avait, de la mer acheté une carte Ne figurant le moindre vestige de terre ; Et les marins, ravis, trouvèrent que c’était Une carte qu’enfin ils pourraient tous comprendre.


Portfolio littéraire « De ce vieux Mercator, à quoi bon pôle Nord, Tropiques, équateurs, zones et méridiens ? » Tonnait l’Homme à la Cloche; et chacun de répondre : « Ce sont conventions qui ne riment à rien ! « Quels rébus que ces cartes, avec tous ces caps Et ces îles ! Remercions le Capitaine De nous avoir, à nous, acheté la meilleure – Qui est parfaitement et absolument vierge ! » Certes, c’était charmant; mais, vite, ils découvrirent Que le Chef qui, si bien, détenait leur confiance, N’avait, sur la façon de traverser les mers, Qu’une idée, et c’était de secouer sa cloche. Toujours grave et pensif, les ordres quʼil donnait Suffisaient, certes, à affoler lʼéquipage Sʼil criait : « Tribord toute, et tout droit sur bâbord ! » Que diable alors le timonier devait-il faire ? Et puis lʼon confondait gouvernail et beaupré ; Ce qui, lʼHomme à la Cloche le fit remarquer, Souvent arrive sous les climats tropicaux, Quand un navire est, pour ainsi dire, « ensnarké ». Surtout, le gros point noir fut la marche à la voile, Et notre Homme à la Cloche, affligé et perplexe, Dit avoir espéré, le vent soufflant plein est, Que le navire, au moins, ne courrait pas plein ouest ! Mais, le péril passé, nos amis débarquèrent Enfin, avec valises, cantines et sacs ; Pourtant, dʼabord, on fut peu charmé du décor Qui nʼétait que crevasses et rochers à pic. Sentant que le moral baissait, lʼHomme à la Cloche, Dʼune voix musicale, se mit à redire Les bons mots réservés pour les temps de détresse : Mais lʼéquipage, lui, ne fit rien que gémir.

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Distribuant le grog dʼune main généreuse, Il convia chacun à sʼasseoir sur la grève ; Et lʼon dut convenir quʼil avait grande allure, Cependant que, debout, il faisait son discours. « Amis, concitoyens, Romains, écoutez-moi !  » (Tous, étant friands de belles citations, Lui portant sa santé, poussèrent trois hourras, Tandis quʼil resservait de larges rations.) « Nous avons navigué des mois et des semaines (Par mois, quatre semaines, veuillez en prendre acte), Mais hélas ! Jusquʼici (la chose est bien certaine) Nous nʼavons jamais attrapé la queue dʼun snark ! « Nous avons navigué des semaines, des jours (Par semaine, sept jours, on peut vérifier), Mais de snark, de vrai snark, pour lʼamour de nos coeurs Nous nʼen avons point, jusquʼà présent, contemplé ! « Allons, écoutez, les gars, que je vous répète Les cinq indubitables caractéristiques Auxquelles, en tous lieux, vous pourrez reconnaître Les veritables snarks garantis authentiques. « Dans lʼordre, prenons-les. Tout dʼabord la saveur Le goût, maigre et perfide, mais croquignolet : Ainsi quʼun habit trop étroit de la ceinture Avec je ne sais quel fumet de feu follet. « Son dada de se lever tard, vous avouerez Quʼil pousse trop loin, si je dis que, souvent, Pour déjeuner, le snark attend lʼheure du thé, Et quʼil ne dîne guère avant le jour suivant. « Ensuite, sa lenteur à saisir les finesses. En sa présence, si vous plaisantez un jour, Le snark soupirera comme une âme en détresse, Et jamais, jamais il ne rit dʼun calembour. « La quatrième est sa passion des cabines De bain quʼil véhicule avec lui constamment ;

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Il y voit un appoint à la beauté des sites Opinion sujette à caution vraiment. « La cinquième est lʼambition. Il faut ensuite Vous décrire en détail les traits de chaque sorte, En distinguant ceux qui ont des plumes, et mordent, De ceux portant moustaches et jouant des griffes. « Car, si les snarks communs sont sans méchanceté, Je crois de mon devoir à présent, de le dire Certains sont des boujeums... » Alarmé il se tait Car notre Boulanger vient de sʼévanouir. Lewis Carroll, La Chasse au snark (Délire en huit crises) (1876) Traduction d’Henri Parisot (1979)


Études préparatoires pour les costumes du ballet Alice © Anne Marie Legenstein OnR, le magazine  nº17  Janvier/février 2022

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Une histoire sans fin

Les Oiseaux Dans la longue tradition des fables animalières, le peuple des oiseaux occupe une place de choix. Ses innombrables espèces, à qui l’on a associé au fil du temps certains caractères en fonction de leurs chants, leurs plumages et leurs comportements, servent régulièrement de figures allégoriques pour illustrer la complexité, les aspirations et les angoisses des sociétés humaines. D’Aristophane à Hitchcock en passant par la tradition soufie, petit survol de cette histoire sans fin. Par Louis Geisler  1

Parodie politico-religieuse Les Oiseaux (-414), comédie d’Aristophane Au -Ve siècle, Athènes connait un développement artistique et politique sans précédent. La vie de la cité, dominée par le stratège Périclès, est rythmée par les discours et assemblées publics sur l’Agora. Durant cet âge d’or, Aristophane est l’un des poètes qui participent à l’essor du théâtre naissant. À l’occasion des Grandes Dionysies de -414 (fêtes religieuses durant lesquelles Dionysos était honoré par des concours de théâtre), il imagine une parodie des croyances d’une secte orphique selon laquelle le monde aurait pour origine un œuf cosmique. Dans cette comédie, deux Athéniens, lassés des manigances et de la corruption de leurs semblables, rejoignent le peuple des oiseaux et le persuadent de construire une ville idéale dans le ciel, Coucouville-les-Nuées, afin d’assujettir les hommes et les dieux.  2

Élévation spirituelle et illumination La Conférence des oiseaux (1177), poèmes de Farid al-Din Attar Le soufisme est un courant ésotérique de l’Islam qui prône l’élévation spirituelle pour se rapprocher de Dieu. Au XIIe siècle, le poète persan Farid al-Din Attar en illustre la philosophie mystique dans un long recueil de poèmes. Celuici raconte le parcours initiatique du

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peuple des oiseaux mené par une huppe à la recherche de leur roi, le légendaire Simurgh. Seuls trente d’entre eux parviennent à atteindre le mont Qaf au terme d’un voyage difficile. Ils découvrent alors que le Simurgh (« trente oiseaux ») est en réalité leur moi profond, réalisant ainsi que le divin n’est pas une entité extérieure au monde mais réside dans toute chose. Ce poème plein de sagesse a traversé les siècles et les continents pour inspirer de nouvelles œuvres, notamment le conte philosophique Jonathan Livingston le goéland (1970) de l’Américain Richard Bach, histoire allégorique d’un jeune oiseau que l’amour du vol conduit dans une quête d’absolu.  3

Utopie lyrique Les Oiseaux (Die Vögel, 1920), opéra de Walter Braunfels Durant la Première Guerre mondiale, le compositeur allemand Walter Braunfels met en musique une libre adaptation de la pièce d’Aristophane. Avec beaucoup de délicatesse et de nostalgie, il fait chanter le rossignol, la huppe, le roitelet et bien d’autres pour raconter les aspirations humaines puis l’échec des utopies au fil d’une sublime partition postromantique. La mise au ban complète de Braunfels de la vie artistique allemande dès les années 1930 par les nazis (cf. p. 8) a porté préjudice à la postérité de toute son œuvre, actuellement en pleine redécouverte. Plus de cent ans après leur création, Les Oiseaux sont donnés pour la première fois en France à l’OnR, dans un nouveau spectacle de Ted Huffman en résonance avec le monde contemporain.  4

Menace fantôme Les Oiseaux (The Birds, 1960), film d’Alfred Hitchcock Après avoir fait frissonner les foules avec Sueurs froides (1958) puis Psychose (1960), Alfred Hitchcock, le maître absolu du suspens, récidive en 1963 avec Les Oiseaux qui propulse l’actrice Tippi Hedren au rang d’icône. L’antagoniste du film n’est pour une fois pas un meurtrier mais des nuées de volatiles qui sèment le chaos et la destruction dans une petite ville de plaisance californienne. Aucune raison n’est donnée pour expliquer leur agressivité : les spectateurs sont laissés

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libres par Hitchcock de projeter leurs propres angoisses et névroses sur cette menace sourde et oppressante.  5

Fable écologique Les Rêveurs de la lune (2022), opéra pour enfants d’Howard Moody L’OnR a passé commande au compositeur britannique Howard Moody d’un nouvel opéra dont l’histoire fait écho aux œuvres d’Aristophane et de Farid al-Din Attar : en asséchant le lac des Rêves pour construire une ville dans son lit, les oiseaux ont provoqué une catastrophe en chaîne qu’ils ne pourront résoudre qu’en dépassant leurs peurs et leurs différences. Cette fable sur l’amitié et l’environnement, destinée aux petits comme aux grands, sera créée en février prochain par les artistes de l’Opéra Studio de l’OnR et des élèves des conservatoires et écoles de la région. Retrouvez dans la programmation : OPÉRA

Les Oiseaux Strasbourg, Opéra Mer. 19  janv.  Sam. 22 janv.  Mar. 25 janv.  Jeu. 27  janv.  Dim. 30  janv.

20h  20h  20h  20h   15h

Mulhouse, La Filature Dim. 20 fév.  Mar. 22 fév.

15h  20h

OPÉRA JEUNE PUBLIC

Les Rêveurs de la lune Strasbourg, CMD Dim. 27 fév.    11h/15h Mer. 2  mars.    15h/19h Ven 4 mars.    19h Mulhouse, La Sinne Ven. 11 mars.  Colmar, Théâtre Ven. 18 mars.  Sam. 19 mars.

19h   19h   15h/19h


Top 3

Philip Glass Philip Glass est l’un des compositeurs américains les plus célèbres du paysage musical contemporain. Sa position stylistique, à la confluence des horizons savants et populaires, doit moins à un éclectisme délibéré qu’à la plasticité propre de son esthétique musicale. L’artiste s’identifie mieux que tout autre à deux phénomènes historiques majeurs qui se comprennent mutuellement : le minimalisme répétitif et le postmodernisme. Il signe pour le Ballet de l’OnR une nouvelle partition inspiré du monde d’Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll. Par Camille Lienhard  1

La différence par la répétition Créée en 1970 par le Philip Glass Ensemble, la Music With Changing Parts marque l’un des aboutissements de la première période stylistique du compositeur. Elle révèle l’ancrage musical de Glass dans le minimalisme expérimental américain des décennies d’après-guerre, où l’on trouve les influences de l’improvisation, de la musique indienne et du spiritualisme New Age. La partition, constituée de six parties mélodiques à l’instrumentation non spécifiée, présente une continuité de brèves séquences à réitérer librement. La texture, répétitive de bout en bout, superpose invariablement des flux réguliers de notes rapides et une trame de tenues laissées au choix des interprètes. L’immuabilité de la palette harmonique, limitée aux sept notes d’une même gamme majeure, achève de soustraire ce matériau sonore au discernement discursif classique pour porter l’écoute à la dimension d’une stase vertigineuse. Œuvre pour partie « ouverte » de durée variable, la Music With Changing Parts se découvre et se redécouvre au gré de ses exécutions, parmi lesquelles se distingue tout particulièrement l’enregistrement du compositeur et des musiciens de son ensemble, gravé en 1973.

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L’opéra minimaliste ou le temps sans récit Né de la collaboration du compositeur avec le metteur en scène Robert Wilson, Einstein on the Beach est l’ouvrage phare de la deuxième période stylistique de Glass et, depuis sa création en 1976 au Festival d’Avignon, l’un des opéras les plus emblématiques du répertoire contemporain. Le statisme caractéristique du minimalisme y remodèle les fondations du genre lyrique en affectant jusqu’à son principe narratif : de la vie d’Einstein, on ne trouvera, en fait de récit, qu’un faisceau d’allusions indirectes exonéré de toute chronologie biographique. Le texte lui-même se constitue d’une part musicale qui se borne à l’égrènement hypnotique du nom des notes chantées et des chiffres recoupant le décompte des temps, et d’une autre, purement déclamatoire, composée de divers fragments poétiques sans mention de la figure du savant. Pourtant, si, comme le dit le metteur en scène Bob Wilson, il n’y a pas d’« histoire à raconter car celle-ci a déjà été racontée », un portrait se dessine au travers des références – la relativité, l’arme atomique –, de la scénographie, de la chorégraphie et de la musique. Celle-ci, réduite à l’expression d’un ensemble instrumental minimal, donne à entendre l’intérêt grandissant de Glass pour des tournures harmoniques classiques détournées de leurs fonctions originelles.  3

Le cinéma et l’harmonie postmoderne Une telle tendance s’accuse dans les décennies suivantes. Elle favorise la concomitance et finalement l’intégration à une pensée néo-tonale, et ouvre parlà les perspectives du néo-classicisme et de la musique de film, genre que le compositeur pratique régulièrement à partir des années 1980. Parmi de nombreux ouvrages pour le cinéma, la bande originale de The Hours de Stephen Daldry lui vaut le prix des BAFTA Awards et des nominations aux Oscars, aux Golden Globe et aux Grammy Awards, ainsi qu’un succès prolongé par la publication de la partition d’un arrangement pour piano destiné au

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grand public. Les onze pièces du recueil illustrent l’assouplissement de la logique répétitive radicale des débuts, dont Glass n’a gardé qu’un principe général d’économie, lequel gouverne désormais des enchaînements délibérément « naïfs » d’accords classiques, ingénument prélevés à leurs dynamiques historiques. Camille Lienhard est musicologue. Il enseigne aux universités de Strasbourg et de Lyon 2 et collabore régulièrement avec l’Opéra national du Rhin. Retrouvez dans la programmation : RÉPÉTITION PUBLIQUE

Alice

Mulhouse, La Filature Sam. 5 fév.

19h

AVEC MON COUS(S)IN

Danser avec Alice Mulhouse, La Filature Dim. 13 fév.

11h

Strasbourg, Opéra Dim. 20 fév.

11h

DANSE

Alice Mulhouse, La Filature Ven. 11 fév.   20h Sam. 12 fév.    15h/20h Dim. 13 fév.    15h Strasbourg, Opéra Ven. 18 fév.   20h Sam.  19 fév.    15h/20h Dim. 20 fév.    15h Mar. 22 fév.   20h Mer. 23 fév.   20h MERCREDI DÉCOUVERTE

L’Univers d’Alice Mulhouse, La Filature Mer. 23 fév.

14h


Top 3 2

Einstein on the Beach

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The Hours

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Music With Changing Parts

Philip Glass (1937-). OnR, le magazine  nº17  Janvier/février 2022

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Rencontres

Le Ballet de l’OnR

Le Ballet de l’OnR a pour particularité d’être le seul Centre chorégraphique national affilié à une maison d’opéra. Cette saison, six nouveaux danseurs venus des quatre coins du monde ont rejoint ses rangs. Chacun d’entre eux se dévoile à travers son métier, ses passions et ses coups de cœur.

Avery Reiners

Chloé Lopes Gomes

Deia Cabalé

Un chorégraphe qui vous inspire. J’essaie toujours de trouver mon inspiration dans mes collègues et les personnes qui m’entourent. Je me sens très chanceux car j’en reçois beaucoup de la part des danseurs du Ballet de l’Opéra national du Rhin.

L’aspect de votre métier que vous aimez le plus. Ce qui me fascine dans notre métier, c’est la quête de l’excellence et la capacité à se remettre en question. On ne cesse jamais d’apprendre et d’évoluer.

L’aspect de votre métier que vous aimez le plus. Dans notre métier on a la chance de pouvoir rencontrer constamment des artistes, des danseurs avec qui on travaille tous les jours, des costumiers, des photographes, sans oublier les chorégraphes, qui nous inspirent jour après jour. Je n’ai jamais fait d’études supérieures, c’est pour cela que je fonde ma richesse et mon développement culturels sur toutes ces personnes que je rencontre dans mon métier.

( états -unis)

Votre passion secrète. Je suis un grand passionné de musique. C’est quelque chose de très important pour moi. J’apprécie beaucoup d’écouter et découvrir de nouvelles musiques et de nouveaux artistes. Je touche un peu à la guitare – je joue ce que je peux ! Récemment, j’ai commencé à apprendre à jouer de la trompette. Une pièce chorégraphique déterminante dans votre carrière. C’est une pièce intitulée The Lost Dance de Matjash Mrozewski que j’ai eu l’occasion de danser lors de ma première saison en tant qu’artiste professionnel. C’est un souvenir très important pour moi, car j’ai le sentiment que c’est la première pièce que j’ai interprétée en me trouvant réellement comme danseur.

OnR, le magazine  nº17  Janvier/février 2022

( france)

Un chorégraphe qui vous inspire. Le chorégraphe David Dawson. La spécificité du Ballet de l’OnR. J’ai eu l’opportunité de travailler dans plusieurs compagnies, et c’est la première fois dans ma carrière que j’évolue dans un environnement sain et bienveillant. La singularité du Ballet de l’Opéra national du Rhin c’est que nous sommes tous différents, il n’y a pas de « types » de danseurs ! Artistiquement, tout le monde y trouve son compte et apporte sa pierre à l’édifice. Les qualités pour être danseuse ? Il est important de ne pas s’enfermer dans un style. Il faut oser sortir de sa zone de confort et avoir l’envie d’apprendre. À travers la danse, on peut tout dire mais surtout on peut lire à travers l’âme des artistes. À mes yeux, l’humilité et la modestie sont des qualités requises pour devenir un grand danseur.

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( france)

Les qualités pour être danseuse. Selon moi, deux choses sont primordiales pour être une danseuse professionnelle : avoir commencé à faire de la danse tôt et, surtout, être portée par la passion. Les qualités des danseurs se voient facilement dans la manière dont ils s’approprient les diffèrents types de styles chorégraphiques. Il est aussi intéressant de constater que la plupart des danseurs connaissent au moins deux langues, si ce n’est plus. La spécificité du Ballet de l’OnR. Je me suis sentie très bien dès le premier jour en arrivant au Ballet de l’Opéra national du Rhin. Les gens m’ont tout de suite mise à l’aise et je me suis vite sentie la bienvenue, alors que j’avais jusqu’à présent toujours mis du temps à m’adapter dans mes précédentes compagnies de danse. C’est agréable de travailler avec toute cette équipe très professionnelle.


Rencontres

Di He

Jérémie Lafon

Leonora Nummi

Un chorégraphe qui vous inspire. J’adore particulièrement le travail et les créations du chorégraphe israélien Ohad Naharin. J’ai eu la chance en novembre dernier de danser l’une de ses pièces, Kamuyot, que nous reprendrons en juin 2022 avec le Ballet de l’Opéra national du Rhin.

Un chorégraphe qui vous inspire. J’ai (re)découvert récemment le travail de la chorégraphe, danseuse et performeuse islandaise Erna Ómarsdóttir dont l’univers m’intrigue et me bouleverse. J’aime la façon dont elle est remplie de vie, comment elle mêle performance physique et vocale ainsi que la manière dont elle est simplement présente dans l’instant. Elle a aussi collaboré avec Björk, autre artiste qui m’inspire beaucoup, ce qui me donne encore plus envie de découvrir ce qu’elle propose.

Un chorégraphe qui vous inspire. Cette saison, nous présentons la pièce Kamuyot d’Ohad Naharin. Le processus de répétition a été très inspirant pour moi, de même que de prendre durant une si longue période des cours de « gaga » (c’est le nom donné par Oharin à sa danse) et d’explorer ce langage chorégraphique.

(chine)

Les qualités pour être danseuse. On peut faire toutes les blagues possibles en coulisses, mais dès que l’on entre en scène, nous devons immédiatement nous comporter comme de vrais acteurs. La spécificité du Ballet de l’OnR. Tous les danseurs de notre compagnie sont différents. Chacun a ses propres caractéristiques et spécificités. On peut toujours être surpris par l’un ou l’autre. Je pense que c’est quelque chose de très précieux. Votre passion secrète. Je réalise des vidéos. J’ai toujours ma caméra à la main pour capter et enregistrer des morceaux de ma vie personnelle. Je trouve que c’est un bon moyen pour garder le souvenir des bons moments. Une pièce chorégraphique déterminante dans votre carrière. Blushing de Peter Quanz ! Il s’agit d’un très beau pas-de-deux qui évoque l’amour. Je l’ai exécuté un grand nombre de fois. Il suscite toujours beaucoup d’enthousiasme et des émotions toujours différentes.

( france)

Votre passion secrète. Ce n’est pas très secret, mais j’essaie d’apprendre le japonais en autodidacte à mes heures perdues. Apprendre une nouvelle langue demande beaucoup d’engagement, surtout lorsqu’elle est aussi éloignée d’une langue latine et que l’on n’est pas du tout immergé dans la culture locale. J’essaie donc de faire ce travail en écoutant des podcasts et en lisant des livres. Une pièce chorégraphique déterminante dans votre carrière. May B de Maguy Marin. Je ne l’ai pas dansée, mais je l’ai vue il y a quelques années à Paris, et ça a été assez remuant. J’ai eu la sensation d’être investi dans le spectacle en tant que personne. Je me suis senti traversé par ce que traversaient les personnages de la pièce, et je me suis rendu compte que c’était cette humanité simple qui me touchait dans la danse, comme spectateur ou interprète.

( finlande)

La spécificité du Ballet de l’OnR. J’aime particulièrement notre façon de travailler. Nous nous produisons sur scène à Mulhouse, Colmar, Strasbourg et aussi dans d’autres villes en tournée. Cela crée un environnement de travail très intéressant et permet de danser devant des publics très variés. Et bien sûr, j’adore mes merveilleux collègues ! Votre passion secrète. Le yoga et la nage sous la glace – une activité très populaire dans mon pays natal ! J’ai commencé le yoga il y a trois ans. C’est devenu une pratique indispensable pour m’accompagner et m’équilibrer dans mon métier de danseuse. Durant l’hiver en Finlande, nous aimons creuser des trous dans la glace pour se baigner dans l’eau glacée. Cela fait partie de notre culture. C’est une sensation incroyable et c’est très bon pour aider le corps à récupérer. Une pièce chorégraphique déterminante dans votre carrière. À l’âge de dix ans, j’ai eu l’opportunité de danser le rôle d’une petite fille dans le ballet La Sylphide dans la chorégraphie d’Auguste Bournonville. Ce fut une expérience fascinante de danser parmi des danseurs professionnels.

Propos recueillis par Sarah Ginter et Louis Geisler. Photos de Klara Beck. OnR, le magazine  nº17  Janvier/février 2022

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Face à une œuvre

Angelin Preljocaj & Bruno Bouché Les trois soirées des Ballets européens au XXIe siècle réunissent fin janvier à Mulhouse onze compagnies nationales et internationales de danse à l’invitation du Ballet de l’OnR et de La Filature. Pour célébrer ce grand rassemblement auquel prennent part leurs ensembles, les chorégraphes Angelin Preljocaj et Bruno Bouché évoquent leurs univers artistiques respectifs à travers une œuvre de leur choix.

Chaise de Francis Jourdain Photographie d’Angelin Preljocaj

OnR, le magazine  nº17  Janvier/février 2022

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Face à une œuvre

« Dans un fauteuil, on est enfoncé, enveloppé – c’est toujours là-dessus que choisissent de s’installer les animaux. La chaise, elle, est uniquement adaptée à la posture des hommes, elle est taillée pour l’humanité. C’est cela qui me fascine. »

Angelin Preljocaj, chaise de Francis Jourdain (début du XXe siècle) « Je possède cette chaise de Francis Jourdain depuis une vingtaine d’années. La famille de mon épouse l’a acquise avant la seconde guerre mondiale – elle appartenait au peintre Pierre Bonnard. L’ironie, c’est qu’elle trône aujourd’hui dans mon petit atelier, à Aix-en-Provence, où je m’essaie à la peinture. C’est une activité solitaire qui fait contrepoint à la danse, où je passe mon temps entouré de scénographes, de plasticiens, de costumiers… J’aime son épure. Francis Jourdain était le fils de Frantz Jourdain, l’architecte de La Samaritaine. Anarchiste puis communiste, il a défendu un design fonctionnaliste qui m’est cher. Il y a chez lui une esthétique rigoureuse, quasi mathématique, avec de fortes exigences en matière de gravité et d’équilibre : il ne détourne pas le siège de sa fonction première. En architecture, c’est pareil. J’aime les bâtiments du Bauhaus ou de Rudy Ricciotti pour leur structure : c’est de là que vient leur beauté. Je déteste l’ornement gratuit, la décoration futile. Chorégraphiquement, la chaise est un accessoire contraignant et donc stimulant. Elle met le corps humain dans une posture singulière. Assis, il est à la fois actif et en repos : on est installé, serein et, en même temps, on peut se lever rapidement, bondir. C’est une sorte de sas. Et puis, la chaise est capable de nous mettre en lévitation : il suffit de soulever légèrement les pieds du sol pour être en suspension sur un seul point, comme un mobile de Calder. Dans mes ballets, j’essaie d’explorer toute la symbolique de la chaise. J’en ai fait un élément de batifolage dans Le Parc, avec des jeux de chaises musicales ; la délimitation d’un territoire à conquérir dans Paysage après

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la bataille ; un prie dieu dans Suivront mille ans de calme ; un support de réanimation dans Roméo et Juliette. Dans Un trait d’union, j’ai imaginé un duo en l’opposant à un fauteuil. Dans un fauteuil, on est enfoncé, enveloppé – c’est toujours là-dessus que choisissent de s’installer les animaux. La chaise, elle, est uniquement adaptée à la posture des hommes, elle est taillée pour l’humanité. C’est cela qui me fascine. » Texte initialement paru dans M le magazine du Monde du 7 décembre 2017.

Retrouvez dans la programmation : DANSE

Ballets européens au XXIe siècle Mulhouse, La Filature Dim. 23 janv.  Mer. 26 janv.  Sam. 29 janv.

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17h  20h  20h


Face à une œuvre

Bruno Bouché, The Death of James Lee Byars de James Lee Byars The Death of James Lee Byars m’éblouit tout en faisant résonner la sensation très profonde en moi d’être vivant : en célébrant sa propre mort, James Lee Byars semble m’inviter à célébrer la vie dans toutes ses dimensions, jusqu’à sa conclusion.

« J’ai découvert The Death of James Lee Byars au cours de l’exposition Deadline en janvier 2010 au Musée d’Art Moderne de Paris. Cette exposition consacrée à l’œuvre de douze artistes conscients de leur mort imminente, souhaitait restituer ‟l’urgence de l’œuvre à achever et le dépassement de soi.”

Il me paraît réducteur de voir dans cette œuvre un moyen de se préparer un quelconque passage ou comme un travail vers une acceptation de la mort. Au contraire, elle met face à l’éblouissement de la finitude, pensée inacceptable pour tout être humain. Cet éblouissement peut conduire à l’aveuglement s’il ne reste que l’illusion de la toute puissance d’une lumière trop crue. Tout autrement, la force de cette image peut permettre de retourner dans le mystère de nos vies, avec sur notre rétine l’empreinte sublime de cette lumière. Avec son souvenir, pourquoi ne pas œuvrer alors dans l’obscur, sans lui donner finalement raison, y développer une conscience qui dure dans le temps et poursuivre une danse, comme nous y invite la mention « À suivre » de la fin du film de Wim Wenders.

Cette œuvre au départ performative, James Lee Byars l’a créée en 1994 alors qu’il lutte contre un cancer incurable. Allongé à même le sol d’une chambre recouverte de feuilles d’or, l’artiste se met en scène dans sa propre sépulture. Il est vêtu d’un costume en or, coiffé de son éternel chapeau haut de forme également doré pour son ultime performance. Cette œuvre me bouleverse et ouvre en moi de vastes interrogations. Elle devient une des sources d’inspiration de plusieurs de mes spectacles, jusqu’à y être très clairement citée dans la scénographie d’Aurélie Maestre pour ma création des Ailes du désir inspirée du film éponyme de Wim Wenders.

Cette mort qui obsédait tant James Lee Byars, il l’a finalement si bien mise en vie, par la mise en scène de sa propre « mise à mort ». Son ultime œuvre matérialise un idéal d’éternité qui diffuse une lumière constante sur l’obscurité de notre fin certaine.

« En célébrant sa propre mort, James Lee Byars semble m'inviter à célébrer la vie dans toutes ses dimensions. » OnR, le magazine  nº17  Janvier/février 2022

Si je réponds toujours favorablement à l’appel d’une nouvelle création, et donc à la confrontation inévitable avec le doute, le vide, les affres avec lesquelles il faudra composer, c’est pour satisfaire cette « quête de danse », cette pulsion de vie qui me convoque à la poursuite de chemins lumineux dans la nuit. »

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Face à une œuvre

The Death of James Lee Byars James Lee Byars (1994)

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Titre courant

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Retour sur…

Carmen Georges Bizet DIRECTION MUSICALE

Marta Gardolińska MISE EN SCÈNE

Jean-François Sivadier Décembre 2021 © Klara Beck

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Retour sur…

Les Ailes du désir CHORÉGRAPHIE

Bruno Bouché Novembre 2021 © Agathe Poupeney

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Retour sur…

Kamuyot CHORÉGRAPHIE

Ohad Naharin Décembre 2021 © Agathe Poupeney

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Retour sur…

L’Enfant et les sortilèges Maurice Ravel TRANSCRIPTION ET PRÉPARATION MUSICALE

Didier Puntos MISE EN SCÈNE

Émilie Capliez Décembre 2021 © Klara Beck

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Brèves Pendant qu’une partie de la compagnie offrait Kamuyot au public de Mulhouse, l’autre moitié de la compagnie renouait avec l’opéra-tango de Piazzolla et Ferrer : Maria de Buenos Aires. Créée pour le Ballet de l’OnR lors de l’édition du Festival Arsmondo 2019 dédiée à l’Argentine, la superbe production de Matias Tripodi a pu être dansée à nouveau lors de six dates en tournée, à Vichy, Albi et Winterthur.

lyrique des 29e Victoires de la musique classique qui se tiendront en mars 2022 en direct du Grand Théâtre de Provence, avec l’Orchestre philharmonique de Nice dirigé par Ariane Matiakh.

* * * Damian Arnold, ténor et membre des promotions 2020/21 et 2021/22 de l’Opéra Studio de l’OnR, a obtenu le Deuxième Prix du Bel Canto Award attribué par la Joan Sutherland and Richard Bonynge Foundation. * * * Wanda Walfisch (Marlène Baleine) est en tournée. La coproduction jeune public de l’Opéra national du Rhin avec le Saarländisches Staatstheater sera à Sarrebrück à partir du 13 février 2022. Jouée entre fin 2019 et début 2020 sur les scènes de Strasbourg, Mulhouse et Colmar, cette adaptation d’un album illustré de Davide Cali et Sonja Bougaeva est destinée aux plus jeunes, dès cinq ans.

* * * Eugénie Joneau, mezzo-soprano et membre des promotions 2019/20 et 2020/21 de l’Opéra Studio de l’Opéra national du Rhin, est nommée dans la catégorie Révélation artiste

France Musique accompagne ls Les Oiseaux de Walter Braunfe

arte

Lundi 10 janvier à 13h dans Musicopolis par Anne-Charlotte Rémond Samedi 19 février à 20h dans Samedi à l’Opéra par Judith Chaine

95.0/91.6 À écouter et podcaster sur France Musique et sur l’appli Radio France OnR, le magazine  nº17  Janvier/février 2022 FM_DemiPage_MagazinRhin_185x120.indd 1

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Ray Smith, Sans Titre (détail), 1989, coll. Würth Inv. 1917, photo : Volker Naumann


F I D E L I O

Fidelio

ondée en 1988, l’association Fidelio rassemble les amateurs d’arts lyrique et chorégraphique désireux de soutenir l’Opéra national du Rhin et de contribuer à son rayonnement.

ndispensable acteur de mécénat, Fidelio reverse à l’OnR l’ensemble des dons collectés. Ainsi l’association choisit les productions qu’elle soutient et contribue aux actions de médiation culturelle de l’institution. ans ce cadre, Fidelio soutient, pour la saison ’21’22, la première édition de l’Opéra nomade L’Enfant et les sortilèges ainsi que les ballets et opéras Alice, Ballets européens au XXIe siècle, L’Amour sorcier/ Journal d’un disparu et West Side Story.

n remerciement de votre engagement dans Fidelio, l’OnR vous accorde le bénéfice du tarif Groupe sur votre abonnement. Si vous devenez membre associé ou supporter de Fidelio, les meilleures places vous sont réservées jusqu’à cinq jours avant chaque représentation.

’association Fidelio mène aussi, depuis sa création, des activités culturelles visant à réunir ses membres autour de valeurs communes et à approfondir leurs connaissances des spectacles présentés au fil des saisons par l’OnR.

l vous sera ainsi donné de participer à des rencontres avec les chefs d'orchestre, les metteurs en scène et les artistes qui créent les spectacles de l’OnR mais également d’assister à des répétitions des artistes du Chœur, de l’Opéra Studio et du Ballet de l’Opéra national du Rhin. utre ces activités, Fidelio organise des visites exceptionnelles des scènes de l’OnR tant à Strasbourg qu’à Mulhouse ou Colmar et fait découvrir ses ateliers de décors et de costumes. N’hésitez plus, passez de l’autre côté du rideau, osez Fidelio.

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Pour nous joindre, écrire à fidelio@onr.fr ou téléphoner au : +33 (0) 3 68 98 75 34

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fidelio association pour le développement de l'Opéra national du Rhin


Jeune public

Des accessoires pour Carmen « A dos cuartos ! Des éventails pour s’éventer, des oranges pour grignoter… » Carmen, acte IV Et des éventails il y en avait ce mercredi 1er décembre : des grands, des petits, certains argentés, d’autres pailletés… Tous confectionnés par une quinzaine d’apprentis accessoiristes dans le cadre des Mercredis découverte proposés par l’Opéra national du Rhin. L’après-midi avait débuté par une présentation de l’éventail au travers des âges et des pays, assurée avec brio par l’équipe du service accessoire de l’OnR. Ils ont ensuite dispensé leurs techniques et partagé leur savoir-faire pour accompagner ces enfants qui ont su faire preuve d’imagination pour confectionner leur propre éventail. Des éventails pliés, brisés ou encore à écran fixe à faire pâlir toutes les andalouses. Reste à attendre des jours plus chauds pour leur donner toute leur utilité, et les agiter sans retenue en attendant l’arrivée du toréador…

21 PARTENAIRES, 12 PAYS, UNE SAISON EUROPÉENNE

2021 - 2022

Les Oiseaux

en direct de l’Opéra national du Rhin le 27 janvier sur arte.tv/concert OnR, le magazine  nº17  Janvier/février 2022

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Calendrier Janvier Ven. 7 Sam. 8 Dim. 9 Dim. 9 Mar. 11 Mer. 12 Mer. 12 Ven. 14 Sam. 15 Dim. 16 Mar. 18 Mar. 18 Mar. 18 Mer. 19 Ven. 21 Sam. 22 Dim. 23 Dim. 23 Mar. 25 Mer. 26 Jeu. 27 Sam. 29 Sam. 29 Dim. 30

Strasbourg

Carmen Cafés lyriques Carmen Projection / Mr. Gaga Kamuyot L’Enfant et les sortilèges Kamuyot Kamuyot Heure Lyrique / Quatre plus quatre L’Enfant et les sortilèges Rencontre autour des Oiseaux Conférence / Les Oiseaux et la musique d'Aristophane Kamuyot Les Oiseaux L’Enfant et les sortilèges Les Oiseaux L’Enfant et les sortilèges Ballets européens au XXIe siècle Les Oiseaux Ballets européens au XXIe siècle Les Oiseaux Récital / Konstantin Krimmel et Lambert Wilson Ballets européens au XXIe siècle Les Oiseaux

Mulhouse

Colmar

La Filature 20h Café de l’Opéra 11h La Filature 15h Cinéma Bel Air 18h Gymnase M. Schoenacker 19h Théâtre de Hautepierre 19h Gymnase M. Schoenacker 19h Gymnase de la Cas. Drouot 19h Opéra 11h Théâtre de Hautepierre 11h/15h Librairie Kléber 18h Opéra 19h30 Compl. sportif de la Doller 19h Opéra 20h Théâtre de Hautepierre 19h Opéra 20h Théâtre de Hautepierre 11h / 15h La Filature 17h Opéra 20h La Filature 20h Opéra 20h Opéra 20h La Filature 20h Opéra 15h

Février Mar. 1er Sam. 5 Ven. 11 Sam. 12 Sam. 12 Dim. 13 Dim. 13 Jeu. 17 Ven. 18 Sam. 19 Dim. 20 Dim. 20 Dim. 20 Dim. 20 Mar. 22 Mar. 22 Mar. 22 Mer. 23 Mer. 23 Dim. 27

L’Université de la danse / Alice Répétition publique / Alice Alice Heure Lyrique / Nous voulons de l’amour Alice Avec mon cous(s)in / Danser avec Alice Alice Rencontre autour d’Alice Alice Alice Avec mon cous(s)in / Danser avec Alice Alice Les Oiseaux Projection / Alice aux pays des merveilles Heure Lyrique / Nous voulons de l’amour Alice Les Oiseaux Mercredi découverte / L’Univers d’Alice Alice Les Rêveurs de la lune

Avec le soutien financier du ministère de la Culture Direction régionale des affaires culturelles du Grand-Est, de la Ville et Eurométropole de Strasbourg, des Villes de Mulhouse et Colmar, du Conseil régional Grand Est et de la Collectivité européenne d’Alsace. Directeur de la publication Alain Perroux Directrice de la communication, du développement et des relations avec les publics Elizabeth Demidoff-Avelot Rédacteur en chef Louis Geisler Iconographie et secrétariat de rédaction Julien Roide Conception graphique Twice studio Illustrations Maïté Grandjouan Impression Ott Imprimeurs Magazine imprimé à 15 000 exemplaires Licences Cat. 2 – PLATESV-D-2020-007052 Licences Cat. 3 – PLATESV-D-2020-007055

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Université 12h30 La Filature 19h La Filature 20h Opéra 11h La Filature 15h / 20h La Filature 11h La Filature 15h Librairie Kléber 18h Opéra 20h Opéra 15h / 20h Opéra 11h Opéra 15h La Filature 15h Cinéma Odyssée 18h Théâtre 12h30 Opéra 20h La Filature 20h Opéra 14h Opéra 20h CMD 11h / 15h

Mécènes Supporters Banque CIC Est, R-GDS, Rive Gauche Immobilier Associés Electricité de Strasbourg, ENGIE Direction Institution France et Territoires, Fondation Société Générale C’est vous l’avenir, Groupe Yannick Kraemer, Humanityssim, Seltz Constructions-Hôtel Cinq Terres Amis Avril, Caisse des dépôts, Crédit Agricole Alsace Vosges Partenaires Café de l’Opéra, Cave de Turkheim, Champagne Moët et Chandon, Chez Yvonne, Cinéma Vox, Kieffer Traiteur, Les fleurs du bien… Artisan fleuriste, Parcus, Weleda Fidelio Les membres de Fidelio, Association pour le développement de l’OnR

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Partenaires institutionnels BNU-Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg, Bibliothèques idéales, Cinéma Odyssée, Espace Django, Festival Musica, Goethe-Institut Strasbourg, Haute école des arts du Rhin, Institut Culturel Italien de Strasbourg, Librairie Kléber, Maillon, Musée Würth France Erstein, Musées de la Ville de Strasbourg, POLE-SUD, CDCN, TNS-Théâtre national de Strasbourg, Université de Strasbourg Partenaires médias 20 Minutes, ARTE Concert, Alsace 20, Canal 32, Coze, DNA – Dernières Nouvelles d’Alsace, France 3 Grand Est, France Bleu Alsace, France Musique, L’Alsace, My Mulhouse, Moselle tv, Or Norme, Pokaa , Radio Accent 4, Radio Judaïca, RTL2, Szenik.eu, Top Music, Vosges tv




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