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La Dame de pique, l’un des plus grands chefs-d’œuvre de Tchaïkovski, s’invite sur les scènes de l’OnR. Dans cet opéra de l’amour impossible, la mort semble être l’aboutissement inéluctable de cette œuvre tragique et fascinante. La Dame de pique, opéra russe par excellence Inspiré par La Dame de pique d’Alexandre Pouchkine, l’opéra de Tchaïkovski remporte un succès phénoménal dès sa création en 1890 au Théâtre Mariinsky, à SaintPétersbourg. Représenté douze jours plus tard à Kiev et l’année suivante au Théâtre Bolchoï à Moscou, cet opéra s’est rapidement imposé comme l’un des grands chefs-d’œuvre de Tchaïkovski, au même titre qu’Eugène Onéguine. On retrouve d’ailleurs dans ces deux œuvres la même tension dramatique portée par tout le génie orchestral de Tchaïkovski. Le compositeur russe savait parfaitement mettre en musique les fragilités de l’âme, ses blessures et ses abîmes insondables. Après avoir refusé le scénario une première fois, Tchaïkovski donne son accord en 1889 et compose La Dame de pique en 44 jours, du 31 janvier au 15 mars 1890. Le livret est écrit par son frère, Modeste Tchaïkovski, mais Piotr le modifie pendant qu’il compose et rajoute ses propres paroles pour deux airs. Sur les vers de son frère Modeste, Piotr Ilitch Tchaïkovski parvient à donner aux trois personnages principaux une dimension dramatique époustouflante : la Comtesse, « la dame de pique », apparaît sous deux natures (humaine et surnaturelle) et réapparaît aux yeux d’Hermann à la fin lorsqu’il a perdu, sous la forme d’un spectre effrayant. Puis Hermann, héros romantique au destin tragique, est déchiré par sa passion amoureuse et sa passion du jeu jusqu’à l’extrême. Et enfin, Lisa, que l’amour passionné pour Hermann conduira aux limites de la folie et à la mort. Bouleversant, cet opéra au romantisme à fleur de peau, teinté d’un soupçon de fantastique, exerce une véritable fascination sur le spectateur qui se retrouve plongé dans les rues de Saint-Pétersbourg en compagnie d’un héros cherchant à défier le Destin. Tous les ingrédients sont là pour faire de La Dame de pique l’opéra russe par excellence. On y voit notre héros, Hermann, sombrer peu à peu dans l’addiction obsessionnelle au jeu et emporter dans sa folie ceux qu’il aime et affectionne. Il perd pied au fur et à mesure que sa tentative de se rapprocher de sa bienaimée échoue et finit par abandonner.

photo Monika Rittershaus

Le tragique destin d’Hermann et de Lisa à Saint-Pétersbourg à la fin du XVIIIe siècle, Hermann, jeune officier, cherche à conquérir Lisa, jeune fille promise au prince Eletski, et dont la grandmère est une vieille et étrange comtesse. De France où elle a vécu, cette dernière rapporte un secret lié à trois cartes qui lui a permis de gagner des sommes considérables... Hermann et Lisa se rencontrent en secret, Hermann fait part de sa flamme à la jeune

femme, laquelle lui avoue à son tour son affection. Il décide alors de voler le secret de la Comtesse pour s’assurer une fortune matérielle qui augmenterait ses chances auprès de la famille de Lisa. S’introduisant dans la chambre de la vieille femme, Hermann la supplie, la menace. La comtesse meurt d’effroi face à l’emportement du jeune homme. Lisa entre dans la chambre et découvre son amant et le corps inanimé de sa grand-mère. Elle le somme de partir, en pleurs. Le fantôme de la comtesse apparaît face à Hermann et finit par lui livrer le secret des trois cartes : trois, sept et as. Après un dernier entretien avec Hermann, Lisa se rend compte que tout est perdu et se jette dans les eaux glacées de la Néva. Hermann de son côté est en proie à la folie. Jouant des sommes considérables au casino, il finit par tout perdre : la carte gagnante n’était pas l’as, mais la dame de pique. Il se tuera à son tour, sous l’emprise d’une folie dévastatrice.

Un personnage d’opéra étrange et complexe Après un magnifique cycle Janáček, une incontournable mise en scène de La Bohème, une remarquable Tosca et un Rigoletto magique, Robert Carsen revient sur les scènes de l’OnR avec une de ses œuvres favorites. Il nous livre ici « une version plus intime de l’œuvre, plus proche du modèle de Pouchkine et de l’intention initiale de Tchaïkovski »*, en supprimant le premier grand tableau du chœur d’enfants et la pastorale du deuxième acte (Tchaïkovski avait ajouté ultérieurement au livret quelques éléments qui sacrifiaient au goût de l’époque). Comme toujours dans les mises en scène de Robert Carsen, l’histoire est intelligemment remise en question : ici, il se « concentre entièrement sur les événements qui entourent le personnage principal, Hermann »* et racontera l’œuvre de son point de vue. « On ne saisit pas réellement qui est Hermann, mais on apprend un certain nombre de choses à son sujet. Hermann est un personnage d’opéra étrange, très inhabituel et très complexe*. » « Cette histoire représente un parallèle puissant avec notre époque, où les gens veulent être riches […] en ayant parfois tendance à oublier qu’avoir suffisamment, c’est déjà beaucoup*. » Ainsi, c’est le milieu du XXe siècle que Robert Carsen choisit pour sa mise en scène, inspiré par « l’atmosphère étrange du film d’Alain Resnais L’Année dernière à Marienbad, avec des gens très riches, privilégiés, sur lesquels finalement le film ne nous apprend rien »*. Portrait d’un milieu fermé dont Hermann ne fera jamais partie.

nouvelle production Opéra en trois actes Livret de Modeste Tchaïkovski d’après Alexandre Pouchkine Créé au Théâtre Mariinski de Saint-Pétersbourg le 19 décembre 1890

Direction musicale Marko Letonja Mise en scène Robert Carsen Réalisation de la mise en scène Christian Räth Décors Michael Levine Costumes Brigitte Reiffenstuel Lumières Robert Carsen et Franck Evin Chorégraphie Philippe Giraudeau Hermann Misha Didyk Lisa Tatiana Monogarova Le comte Tomski Roman Ialcic Le prince Eletski Tassis Christoyannis La comtesse Malgorzata Walewska Pauline Eve-Maud Hubeaux Macha Gaëlle Alix La gouvernante Violeta Poleksic Tchekalinski Jérémy Duffau Sourine Andrey Zemskov Tchaplitski Peter Kirk Naroumov Nathanaël Tavernier Le maître des Cérémonies Sunggoo Lee Chœurs de l’OnR Direction Sandrine Abello Orchestre philharmonique de Strasbourg Hermann Wien, représentée par Alkor-Edition Kassel

Coproduction avec l’Opernhaus Zürich

* Entretien réalisé par Beate Breidenbach à l’Opéra de Zürich, au cours des répétitions du spectacle en avril-mai 2014. Traduction Odile Demange. La dame de pique • Croisements • 7


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