OMNI Part 2

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« Je leur ai préparé un chant-danse unique ! »

Ça rit, ça chante, ça danse. Je m’assieds derrière les enfants, sur une grosse pierre. Silence. Cela fait des mois qu’on n’avait pas reçu la visite d’une compagnie itinérante. Forcément, avec les chaleurs écrasantes de l’été, rares sont les voyageureuses qui osent prendre la route. En cette douce soirée de novembre, toute la communauté est réunie sur la place Encercle, même celleux des cabanes, qui vivent à des kilomètres. Les cigales se sont tues, comme prêtes, elles aussi, à assister au chant-danse. Les voiles de la caravane se lèvent et le spectacle commence. La conteuse nous parle d’un temps révolu, elle raconte une légende qui se déroule dans les étoiles. Un frère et une sœur, séparés à la naissance, qui se retrouvent au travers du combat contre les ténèbres, incarné par leur père. Un récit dans lequel une mystérieuse force les guide. C’est une bonne histoire. Je ne la connaissais pas. Les acteurices sautent, cabriolent et s’escriment au son du tambour. Parfois légers et silencieux comme des chats, d’autres fois forts et solides comme des ours. Après les danses, viennent les moments d’émotions avec des complaintes aériennes et cristallines. Des centaines d’yeux humides observent, tandis que les centaines de poumons retiennent leurs souffles. La représentation se conclut sous les applaudissements du public conquis.

« Les chant-danses me manquent trop pendant l’été ! », clame un petit être, sourire jusqu’aux oreilles, au premier rang. Après le spectacle, la compagnie se met à jouer de la musique et nous valsons, tous et toutes. La saison chaude est de plus en plus longue. Et avec elle, l’attente pour retrouver les soirées collectives, les fêtes et les chants-danse. Ces évènements constituent des moments à l’importance majeure désormais. Nous avons beaucoup de travail, il faut s’occuper des cultures, des animaux, des enfants.

Depuis l’effondrement du capitalisme et des organisations étatiques, nous avons dû nous organiser et notre communauté était née, de pas grand-chose. Au début de bric et de broc. Maintenant, après plusieurs décennies, elle tient bien debout. Ce qui avait paru utopique à mes grand-parents s’était réalisé. Chacun.e a trouvé sa place : le village pour les familles qui aiment vivre en société, les chaumières des pâturages pour les amoureux des animaux et les cabanes forestières pour les plus sauvages. Mais tout le monde se retrouve pour les célébrations du début de l’hiver : tandis que la température se radoucit, la vie collective revient, au grand plaisir des enfant.e.s. Les cycles se déroulent sans heurts : saison des semis, saison des fêtes, saison des récoltes, saison chaude. Et tout recommence. Saison des semis, saison des fêtes, saison des récoltes, saison chaude. Notre vie semble très éloignée de celles des générations précédentes. Mais aujourd’hui, je suis l’une des seules à m’en souvenir. « Gran-mamy », c’est comme ça que les petit.e.s m’appellent. Même celleux qui ne sont pas les petit.e.s de mes petit.e.s. Les grand.e.s me nomment « l’Aînée ». Apparemment, je suis la plus vieille. Depuis que le vieux Tristan est mort l’année dernière. Merde. Le temps a passé vite. Je ne dois pas traîner pour trouver l’héritier.e du souvenir.

29 Lutter
Par Thelma Susbielle

谷の風 の ナウシカ reissoD . isuaNac ä d e la Valléedu Vent

Quarante ans ont passé depuis la publication des premières planches de Nausicaä de la Vallée du Vent . Son regard contemporain sur la relation entre nature et humanité est toujours d’actualité.

La colère en sourdine d’une nature maltraitée a finalement permis l’éclosion d’une production animée absolument fantastique, prenant source dans un Japon marqué par les traumatismes indélébiles de la bombe atomique. Un passif qui caractérisera le reste du travail de Miyazaki et du studio Ghibli.

« Si je dessine Nausicaä, je n’en ferai jamais une œuvre animée ». En partant de ce postulat, Hayao Miyazaki s’est lancé dans la création de Nausicaä de la Vallée du Vent . Il ne pouvait se douter que sa carrière serait conditionnée par le succès retentissant de ce conte écologiste. Sans Nausicaä , le studio Ghibli n’aurait jamais ouvert ses portes, Hideaki Anno n’aurait peut-être jamais réalisé son chef d’œuvre Neon Genesis Evangelion et Joe Hisaishi n’aurait sûrement jamais convaincu le public avec ses compositions. Pour ces raisons, OMNI a voulu rendre un vibrant hommage à cette œuvre majeure, en gardant son regard fixé sur l’avenir optimiste proposé par Miyazaki.

Joséphine Lemercier

© 1984 Studio Ghibli

Fevrier 1982

Début de la publication de Nausicaä de la Vallée du Vent dans les pages du magazine mensuel de pré-publication Animage. Au Japon, les chapitres sont pré-publiés et paraissent en volumes reliés si le succès est au rendez-vous.

Fevrier 1983

Un accord de co-production du manga en film d’animation est trouvé entre les éditions Tokuma Shoten et l’agence de publicité Hakuhôdô.

Juin 1983

Sortie du chapitre 16 de Nausicaä de la Vallée du Vent. Mise en pause de la publication pendant 13 mois, le temps de réaliser le film d’animation.

Fin juillet 1983

les ¾ du storyboard du film sont achevés.

1er novembre 1983

Tsukasa Tannai, collaborateur régulier de Miyazaki, rejoint l’équipe du film.

Fevrier 1984

À un mois de la sortie du film, il reste encore 25 000 cellulos à colorier. Miyazaki participe à ce travail, en même temps qu’il peint à l’aquarelle la tapisserie du générique d’ouverture du film.

11 mars 1984

Grande première du film au Japon. Il sort dans 90 salles et réalisera plus de 900 000 entrées (et récoltera près de 742 millions de yens). C’est un succès.

Aout 1984

Reprise de la publication du manga, avec la sortie du chapitre 17 de Nausicaä de la Vallée du Vent.

Timeline de l’oeuvre

1985

Le succès de l’adaptation de Nausicaä de la Vallée du Vent permet à Miyazaki de fonder le Studio Ghibli.

1985

Warriors of The Wind, une version tronquée et réorganisée de Nausicaä de la Vallée du Vent sort aux États-Unis. Les modifications créent une polémique : la sortie internationale de plusieurs films Ghibli sera retardée.

1987

Warriors of The Wind sort en France.

Mars 1994

Fin de la publication du manga au Japon.

23 aout 2006

Le film sort en France dans sa version originelle, sur 80 copies (314 771 entrées sur le territoire).

Les racines d’un chef d’oeuvre
Bien loin de subir ses 40 ans, fêtés en 2022, le chef d’œuvre de Miyazaki amène, aujourd’hui encore, à faire réfléchir sur l’impact que l’humain a sur cette planète. Mais le mangaka l’a bien compris. Si l’on veut apporter un discours réaliste sur notre avenir, l’idéal est de plonger la tête la première dans tous les traumatismes et l’actualité, parfois glaçante, de notre société. Ce que nous propose le manga
Nausicäa de la Vallée du Vent…

Mais avant de se pencher sur les fondations, plongeons-nous d’abord dans l’histoire de la jeune Nausicaä… Le conflit des Sept Jours de Feu éclate, mille ans avant le début de l’intrigue, faisant de nombreuses victimes parmi les humain.e.s ayant déjà détruit massivement l’écosystème. Depuis, le monde est peuplé de bêtes gigantesques - dont les Ômu - et soumis à d’étranges spores toxiques. Un seul endroit résiste à ces poisons : la Vallée du Vent. La princesse du territoire, Nausicaä se retrouve malgré elle mêlée à une guerre l’opposant à l’empire Dork et au royaume Tolmèque. Mais la jeune fille fera tout son possible pour réconcilier une nature longtemps maltraitée et aujourd’hui en colère et les humain.e.s qui ne cessent de reproduire leurs erreurs passées…

L’origine d’un écosystème miyazakien

Sorti en 1982, le manga Nausicaä s’inscrit comme point de départ d’une belle et longue carrière, celle du brillantissime Hayao Miyazaki. Fils d’un ingénieur aéronautique à la tête de Miyazaki Airplanes, le jeune homme développe depuis toujours une fascination pour les oiseaux mécaniques qui fendent le ciel en temps de guerre. Une curiosité dévorante qu’il assouvira enfin dans son manga Nausicäa de la Vallée du Vent, qui donnera naissance au film d’animation connu mondialement. Plus sombre et complexe que sa version cinématographique, le manga questionne les lecteur.rice.s sur la pertinence de se placer comme ennemi.e.s de l’environnement. Il met également en scène une héroïne des plus marquantes. Hayao Miyazaki puise ses inspirations dans un conte de l’époque Heian, La Princesse qui aimait les insectes, où une jeune fille refuse de s’épiler ou de se colorer les dents en noir - comme il était coutume de faire à l’époque - pour rentrer dans les standards de beauté. Hayao Miyazaki réitère donc l’exploit visionnaire de donner vie à une jeune fille qui incarne les combats d’aujourd’hui.

Robots et explosions sur les pages japonaises

Les formats du manga et de l’animation permettent régulièrement de faire passer des messages, comme le fait si bien Nausicäa de la Vallée du Vent. À sa sortie dans les années 1980, il se place à contre-courant des licences nippones (souvent animées) évoquant un futur fantasmé, où l’hypertechnologie et robots géants appelés mecha sont légion (1). L’esthétique si particulière de peut trouver certaines inspirations de Gen d’Hiroshima (1973) qui fut l’un des premiers à représenter graphiquement les explosions sur le modèle de celle du bombardement de 1945, en forme de champignon (2). Disponible dans les programmes scolaires japonais pour aborder cette douloureuse partie de l’histoire du Japon, le manga de Keiji Nakazawa se place comme un des récits fondateurs du médium.

Kami protecteur, à ne pas chercher

Il serait dommage de ne pas se pencher sur la religion au Japon, terreau fertile de moultes œuvres culturelles nippones… À la fois bouddhistes et shintoïstes, les Japonais.e.s jouent un numéro d’équilibriste rare dans le monde. Les kami issus de la religion shintoïste, ont une place prépondérante dans le quotidien de la population, bien que la majorité ne se sente pas religieuse. On les retrouve plus tard dans des créations animées du Studio Ghibli comme dans Princesse Mononoké les sylvains (3) ou encore dans Le Voyage de Chihiro avec les noireaudes, mais c’est avec les Ômu de son premier titre Nausicaä que Miyazaki nous fait entrer dans ces croyances. Ces esprits sont pacifiques, nourris et chéris mais peuvent rapidement provoquer le chaos s’ils ne sont pas respectés, à l’image de l’esprit de la forêt dans le manga…

« gigantisme industriel » et « substances empoisonnées »

Dans l’imaginaire du monde entier, le Japon se place comme une nation proche de sa nature de par ses rites culturels. Mais elle est aussi à l’origine de drames écologiques qui n’ont pas laissé le mangaka insensible. Dans les années 1950, le pays du Soleil Levant entame sa folle course à l’industrialisation, sous tutelle des États-Unis. De ces progrès naissent des dérives fatales. En parallèle d’une déshumanisation du travail et des prémices d’une dégradation significative de la population japonaise éclate un énième scandale lié à la destruction de l’environnement : la maladie Itai Itai. La grande exploitation minière Mitsui pollue les rivières de la région Toyama et empoisonne par la même occasion des milliers d’habitants. Alors que la maladie qui touche le système nerveux est reconnue comme issue de la pollution en 1955, il faut attendre 1971 pour que le gouvernement condamne l’entreprise à des dommages et intérêts. Encore aujourd’hui, la Itai Itai byô est reconnue comme l’une des quatre maladies nippones provoquées par la pollution industrielle. Il semblerait cependant que le scandale de l’usine chimique de Minamata ait bel et bien inspiré le réalisateur… Hayao Miyazaki sous-entend-il que nous venons à peine de vivre nos Sept Jours de Feu et que le futur sera d’autant plus sombre si nous ne trouvons pas notre Nausicaä ?

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À l'origine du mythe

Personnage principal du manga d’Hayao Miyazaki publié en 1982, Nausicaä tire ses origines dans une époque bien antérieure à la fin du XXe siècle et à la publication de Nausicaä de la Vallée du Vent. Plus ancienne encore qu’Aristote ou Louis XIV, notre jeune héroïne capable d’affronter de féroces créatures apparaît en effet pour la première fois dans l’Odyssée d’Homère, il y a plusieurs millénaires (2800 ans, très exactement). Relatant les aventures d’Ulysse, ce récit mythologique a influencé les croyances et les sujets artistiques à travers les siècles, en particulier la figure de Nausicaä, courageuse princesse phéacienne qui aide Ulysse à rejoindre sa terre natale, Ithaque, après de nombreuses et périlleuses péripéties. Alors que ce dernier trouve refuge sur les côtes de l’île de Corfou, Nausicaä lui offre nourriture, vêtements et hospitalité malgré son apparence de sauvage – force est de constater qu’après un énième naufrage provoqué par son ennemi Poséidon, le héros grec est nu, amaigri et… malodorant. Bravant les interdictions de son père – qui n’est autre que le roi – et les possibles dangers d’accueillir un étranger, Nausicaä élabore un plan et conduit Ulysse jusque dans son palais, où il trouve soutien et aide pour rejoindre son pays.

Des poèmes d’Homère au best-seller de Miyazaki

Outre le futur d’Ulysse, Nausicaä influence de nombreux autres futurs, qu’ils soient artistiques ou littéraires, grâce à sa force et son courage qui font d’elle une figure « féministe » avant l’heure, du moins inspirante. La jeune princesse phéacienne inspire en 1942 le « complexe de Nausicaä » au philosophe Gaston Bachelard dans L’eau et les rêves, pour décrire les imaginaires de naïades, de nymphes ou de femmes au bain. Selon le mythe, Ulysse est réveillé par les cris de Nausicaä et ses servantes, occupées à se faire passer un ballon… Ce qui, dès le IIe siècle avant J.C., incite la philosophe Agallis de Corcyre à attribuer à Nausicaä l’invention des jeux à balles ! Mais, entre Bachelard et la philosophe antique, le mythe de la jeune princesse inspire également musiciens et peintres, en particulier classiques, souvent friands de figures fortes dont les origines sont aussi floues que fantastiques : sa rencontre avec Ulysse apparaît ainsi sous le pinceau du maniériste Alessandro Allori en 1580, dans une peinture du Français Louis Gauffier en 1798… Avant, finalement, que des œuvres ne lui soient entièrement dédiées, comme le très célèbre portrait peint par le Britannique Frederic Leighton en 1878 ou, en 1960, l’opéra Nausicaä de la compositrice australienne Peggy Glanville-Hicks. Sans oublier, bien sûr, le manga et l’anime du Japonais Hayao Miyazaki, au sein desquels le courage et la bravoure de la princesse phéacienne, à l’épreuve d’un futur incertain, se trouvent décuplés.

Cinq visions artistiques de l’évolution après l’apocalypse

Chroniques de l’ère Xénozoïque , 1986

Jurassic Parking

Aussi connue sous le nom de Cadillacs and Dinosaurs, cette saga de comics inachevée se déroule dans une Terre reconquise par les dinosaures et créatures préhistoriques, après que les humains se sont réfugiés dans des bunkers souterrains pour échapper à la pollution. Sans pétrole, les voitures tournent au guano de vélociraptors. Une symbiose… inhabituelle entre reptiles et humains qui donne une épopée pulp restée culte.

Adventure Time , 2010

Derrière l’absurde, la peur de la guerre Eh oui ! Même les cartoons les plus loufoques peuvent cacher une vision pessimiste de l’avenir. La Liche, antagoniste principale de la série, est née après l’explosion d’une « bombe mutagénique » qui a creusé la Terre comme un quartier de Lune. Quasiment intuable, le monstre rôde toujours entre les gags comme une épée de Damoclès. Une allégorie qui rappelle la figure de Godzilla, qui cristallisait en 1954 le traumatisme nippon lié aux bombes nucléaires.

Horizon , 2017 Quand les machines deviennent nature

Franchise vidéoludique en trois volets, Zero Dawn , Forbidden West et Call of the Mountain , Horizon explore un futur terrestre où l’humanité, réorganisée en clans de chasseurs-cueilleurs, tente de vivre en harmonie avec une faune et une flore robotisées pour survivre à un grand bouleversement planétaire. Une note plus positive que la majorité des histoires post-apocalyptiques où règnent souvent le malheur, la famine et la peur d’autrui. Malgré tout, Horizon souligne que, si l’on transforme l’ordre naturel pour assurer la survie de notre espèce, nous serons bien forcés de changer de modèle civilisationnel.

All Tomorrows , 2006 L’humanité face au cosmos Écrit et illustré par l’artiste turc C. M. Kosemen, All Tomorrows est un fascinant ouvrage de fiction spéculative diffusé gratuitement en ligne. L’auteur y explore de futures évolutions de l’humanité à travers une grande fresque cosmique, allant des colons martiens amincis par la faible pesanteur de leur nouveau foyer jusqu’aux Gravitals, des sphères de métal où notre conscience est préservée dans des ordinateurs quantiques. Mais au-delà des innombrables déformations physiques, ces humanités restent mortelles. Un memento mori métaphysique qui nous rappelle de profiter de l’instant, car peu importe nos évolutions, nous restons éphémères...

Vesper Chronicles , 2022

Les OGM puissance 10

Menacée par l’effondrement de la biosphère, l’humanité engendre sa propre destruction en relâchant des organismes et virus génétiquement modifiés qui ravagent la planète.

Le salut des survivant.e.s réside dans une poignée de graines détenues par l’oligarchie. Entre biohacking et post-apocalyptisme avec une poignée d’androïdes par-dessus le marché, le film Vesper Chronicles nous rappelle à quel point les végétaux sont les racines de notre écosystème. Et que les modifications génétiques ne sont, au final, qu’un outil à manier avec précaution.

UNE BANDE ORIGINALE FUTURISTE

En 1984, sortait la bande originale de Nausicaä de la Vallée du Vent composée par Joe Hisaishi. Dans cet anime, le compositeur propose une oscillation constante entre instruments japonais traditionnels, envolées orchestrales et sons électroniques, transportant alors le spectateur dans un monde post-apocalyptique, malgré tout, plein d’espoir.

Joe Hisaishi, de son vrai nom, Mamôru Fujisawa se retrouve embarqué dans l’aventure Nausicaä au début des années 1980, à l’époque de la sortie de son deuxième album Information sur un label faisant parti du Tokuma Shoten Group, une compagnie japonaise éditrice de l’anime Nausicaä

Joe Hisaishi est engagé pour réaliser un « image album », une spécificité japonaise qui consiste à composer un LP de musiques préliminaires basées sur des dessins et les story-board. De ce travail titanesque émerge l’album Nausicaä of the Valley of the Wind Image Album: The Bird Man, tant apprécié que Joe Hisaishi en sera nommé compositeur. Ce travail en amont permet alors aux auteur.rice.s et futurs musicien.ne.s d’avoir une idée de l’ambiance musicale du film. Leur processus devient un motif récurrent : Miyazaki propose à Hisaishi un storyboard simple, introduit les personnages, et lui soumet 10 mots-clés à partir desquels il compose. On a essayé d’en deviner cinq d’entre eux.

Organique

Masque à gaz, guêtres jusqu’aux genoux, robe d’exploratrice… Les premières minutes de l’anime offrent une scène d’exploration. Nausicaä, l’héroïne, effectue des prélèvements dans cette fameuse forêt toxique pour l’humain, résultat tangible de la pollution qui a envahi le monde. Alors que le début de l’œuvre de Hayao Miyazaki commençait avec une musique orchestrale puissante pour le générique, le/la spectateur.rice se retrouve plongé.e dans une toute autre ambiance : il et elle se projette tout à coup dans les tréfonds de cette forêt hostile, autant visuellement que sonoriquement. Le compositeur Joe Hisaishi nous plonge dans un univers sciencefictif. La faune et la flore, ou ce qu’il en reste, prennent vie. Quelques notes de synthétiseurs s’entremêlent aux sons de cette jungle post-apocalyptique, peuplée de bruits insectoïdes et de gazouillis étranges. Les deux combinent alors l’idée d’un écosystème menacé où la nature a été détruite tout en gardant cette lueur d’espoir : la nature est, malgré toutes les épreuves traversées, toujours présente. Dans les scènes d’action postérieures, les insectes soumis à la menace transforment leurs chants en cliquetis métalliques, parfois enveloppés de signaux radios déformés. De scène en scène, Hisaishi adopte une posture de mise en relation entre l’organique et l’inorganique.

Rage et espoir

Lors de la première apparition d’un Ômu dans la scène d’ouverture, Hisaishi l’illustre au son de quelques notes de sitar, issues d’un style de musique indien qui ponctuera certaines scènes. Ces moments d’apaisement, caractérisés par un silence assumé contrastent avec les séquences d’embrasement, lourdes et saturées. Les attaques aussi incontrôlées que désespérées des Ômu sont exprimées par la demande explicite de Hisaishi au guitariste Tomoyasu Hotei, à faire « pleurer » sa guitare au moyen d’amplification et d’effets. De même, Hisaishi accorde à ces scènes de colère un univers sonore futuriste doublées de synthétiseurs des années 1980.

Nausicaä a d’ailleurs appris à écouter ces bêtes d’apparence repoussante, mais finalement plus humaines que les populations restantes. Cette peur de l’humain destructeur face à une nature inoffensive est un thème que Joe Hisaishi illustre avec brio.

Une scène phare en témoigne : lorsque l’insecte le plus redouté de la forêt se connecte physiquement à l’héroïne pour analyser la jeune fille. Dès lors, les deux individus se lient et l’animal peut lire en elle : l’orchestre débute, les sons électroniques s’ajoutent, notamment les notes d’un synthétiseur new age et un chant d’enfant (la propre fille de Hisaishi !), dont on peut reprocher la justesse, se fond dans la mélodie. En combinant ces trois éléments, Joe Hisaishi mêle instruments classiques, technologie et chant. La magie de la scène opère et retranscrit sonorement l’idée d’un futur possible. L’espoir que le lien entre nature et humain ne soit pas encore totalement rompu, d’une innocence qui perdure malgré tout.

Air et électronique

Multiples sont les scènes dans Nausicaä de la Vallée du Vent qui ont lieu dans les airs. Tout un paysage sonore se construit au bruit du vent, le vol étant un thème récurrent chez le studio Ghibli, tenant lui même son nom d’un engin d’aviation italien. On le retrouve dans les détails, comme cette scène où Nausicaä utilise un petit instrument aérophone pour communiquer avec les insectes, le rhombe, produisant du son par son tournoiement dans l’air, au bout d’une

Entre les batailles aériennes ou les multiples attaques d’insectes, les protagonistes se retrouvent souvent le corps dans le vide. Et c’est d’ailleurs lors de ces scènes d’action que le compositeur utilise plusieurs synthétiseurs. Par exemple, lorsque le prince Asbel se fait poursuivre par un insecte qui veut en découdre, Joe Hisaishi accélère la cadence. Sur un fond de synthés new age, ce dernier ajoute sur la mélodie principale un orgue synthétiseur. La scène prend alors une sonorité d’attaque spatiale : un thème musical que l’on retrouve souvent pour représenter le conflit, et non plus l’incompréhension, entre la nature, la technologie et l’humain.

Sonorités spatiales, technologiques voire organiques… Joe Hisaishi oscille dans Nausicaä de la Vallée du Vent entre musiques électroniques, musiques orchestrales symphoniques mais aussi entre instruments numériques et traditionnels japonais. Ce mélange des genres mais aussi des époques donne de la puissance à cet anime d’aventure, et permet d’ancrer les spectateur.rice.s dans

par Jeanne Rouxel, Emma Nguyen Camus

Nausicaä, luciole dans la nuit

Nausicaä, héroïne forte et fragile, combative et douce, intraitable et bienveillante, s’avère être un personnage complexe aux motivations nobles. Portée par un désir de sauver l’équilibre d’un écosystème en danger, l’histoire de Nausicaä vibre avec la nôtre : celle d’une jeunesse grandissant dans un monde menacé où la nature reprend ses droits et où l’Humain n’est pas prêt à les abandonner.

Que pouvons-nous retenir du personnage de Nausicaä ? Résonnant à la manière du désormais inoubliable « Faites mieux », prononcé par Jean-Luc Mélenchon après l’élection présidentielle 2022, Nausicaä porte un profond message de changement. Un message qui, tout au long de l’œuvre, transmet avec ferveur une dose d’optimisme à un public découragé par l’ampleur du combat à mener. La princesse de la Vallée du Vent apparaît comme une enfant à l’innocence bafouée, touchée de plein fouet par la menace d’un environnement en perdition. Loin d’être une faiblesse, son jeune âge se révèle être le catalyseur de son engagement et de sa force pugnace. Sur ses frêles épaules repose le destin de toute une communauté.

Autant insurgée contre des humain.e.s que révoltée par la destruction du vivant, ce personnage des années 1980 semble avoir toute sa place dans nos inspirations contemporaines. Nausicaä, nous la retrouvons dans la militante Camille Etienne, réalisatrice de courtsmétrages documentaires destinés à nous réveiller, ou dans l’activiste Greta Thunberg se risquant à tenir tête aux grand.e.s dirigeant.e.s mondiaux avec fermeté. Imaginée quarante ans plus tôt, l’héroïne résolument moderne de Miyazaki grossit le rang des figures politiques jeunes et fortes. Par sa lutte acharnée, son courage à toute épreuve, sa détermination sans égal, Nausicaä apporte à tous.tes le réconfort de croire que tout n’est pas vain, que la lutte et la réconciliation paient et qu’elles ne sont pas utopiques. Elle ouvre la voie pour mener les batailles indispensables contre l’épuisement des ressources planétaires encouragé par la recherche de profit des grandes entreprises, la pollution industrielle et l’inaction des politiques publiques face à l’effondrement du vivant. Contre la menace grandissante du réchauffement climatique, à l’heure où les catastrophes écologiques apparaissent inévitables, cette jeune guerrière pacifiste s’impose en première ligne.

Comme elle, faut-il privilégier la non-violence, pour favoriser un rapport direct au vivant et à la nature ? Puisque son amour inconditionnel pour la nature et les êtres vivants fait effet d’une motivation infaillible, Nausicaä n’utilise en aucun cas les armes de celleux qu’elle affronte. Elle a les siennes : la parole, le soin, l’espoir. À la violence de ses ennemi.e.s, elle préfère la résistance pacifiste. Salomé Saqué, journaliste de Blast, démontre dans son livre Sois jeune et tais-toi (2023, Payot) que des milliers de jeunes s’engagent, résistent et luttent pour leur avenir ainsi que celui des leurs. À celleux qui y croient encore, elle dit : levez-vous, insurgez-vous, n’abandonnez pas et surtout, ne désespérez pas. Si pour Pasolini la disparition des lucioles est une allégorie de l’anéantissement de la beauté dans le monde, la disparition des lucioles peut s’interpréter comme l’extinction de la lumière au profit d’un horizon progressivement assombri. Alors, parce que Nausicaä rayonne, et nous apprend que nous pouvons vivre encore, toujours, longtemps, que nous pouvons conserver une vive lueur d’espérance, nous déclarons qu’elle constitue une luciole dans la nuit. À l’image des filaments dorés des Ômu qui soignent et illuminent, Nausicaä nous éclaire.

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Une éthiqUe de la terre et de l’hUmain

Nausicaä fête ses 40 ans. C’est une œuvre intemporelle… qui n’a jamais été aussi actuelle. Destruction de notre écosystème, soif de pouvoir et de domination, déconnexion de nos racines communes… science-fiction ou anticipation ? La philosophie qu’Hayao Miyazaki y a insufflée est de celles que nous ne devrions pas oublier.

la gUerre, je(U) de désir

« les cités humaines, répandant des substances empoisonnées, furent anéanties (…) et la surface terrestre dans son ensemble prit l’aspect d’un désert ».

Ainsi s’ouvre le premier tome du manga Nausicaä de la Vallée du Vent de Hayao Miyazaki. La guerre et la course à l’armement sont un thème récurrent du célèbre mangaka, marqué par le climat de peur qui traverse la société japonaise suite au traumatisme nucléaire. Dans Nausicaä, des chevalières en armure côtoient des fantassins au fusil et des machines volantes : les peuples s’y déchirent dans une course à l’arme la plus puissante (et la plus horrifique). Au cœur de ces conflits : le désir humain, prédateur et insatiable, dans une conception proche de celle de Schopenhauer qui fait du désir le moteur du conflit et de la souffrance. Ce désir les rend aveugles. En créant l’arme suprême pour se combattre, les humain.e.s ont détruit leur propre environnement : la mer de décomposition aujourd’hui les chasse.

Un conte éthico-écolo ?

Augustin Berque réfléchit aux rapports de la société japonaise à son espace. S’ils sont multiples : « écologiques, techniques (exploitation), esthétiques, axiologiques (valeurs) », ils forment ensemble un tout unitaire et complexe inspiré de la sensibilité chinoise. En effet, dans la philosophie japonaise le milieu n’est pas seulement ce qui entoure l’individu, il est fûdo*, ce qu’Augustin Berque se propose de traduire par « médiance » afin d’insister sur la relation qui lie l’homme à son environnement en abattant la distinction occidentale du sujet et de l’objet.

L’écologie présente au sein de Nausicaä, n’est ainsi pas à entendre dans le sens occidental mais doit se comprendre à partir de la culture shintoïste pour laquelle toute chose à une âme. Enfant de la campagne, empreint de ces rapports culturels, Miyazaki donne à la nature – et plus généralement à la vie - une forme nouvelle de sacralité. Il partage avec Kant l’idée que la Nature ne peut se résumer à une machine, ou à un sol riche en ressources, mais constitue un tout, sans début ni fin, horizon de notre passé et de notre futur. Dans Nausicaä, quand les humain.e.s luttent contre la forêt et la mer de décomposition, ils et elles risquent en fait d’empêcher la purification naturelle et précipitent leur destruction. Leur obstination et leur aveuglement sont symboliques d’une espèce qui a perdu le contact avec ses propres racines et se déconnecte de son écosystème. Pour Raphaël Colson « Miyazaki renvoie à cette problématique de la société technoindustrielle et cette volonté d’écraser et dominer la nature ». Entre la domination de la nature qui définit la culture occidentale et la soumission à cette dernière qui caractérise la culture indienne, le mangaka propose une troisième voie : celle de l’harmonie. C’est cette troisième qu’incarne l’héroïne messianique à travers son empathie. À plusieurs reprises, elle s’offre en sacrifice afin d’épargner des vies, qu’elles soient humaines ou non. Position morale proprement kantienne dans laquelle les actions sont dénuées de tout égoïsme. Cette empathie universelle est celle qui fait le pont entre humain.e.s et insectes mais aussi, entre les communautés elles-mêmes.

Une Utopie commUnaUtariste

« Dans mes films, je représente mon idéal d’être humain. Celui que j’aurais voulu devenir, celui que j’aurais voulu rencontrer, celui que j’aurais voulu voir sur la Terre » confiait le réalisateur au journaliste Jérome Delorme dans une interview de 2006. À travers Nausicaä, c’est la nature humaine qui est observée, et interrogée. Le manga nous amène à méditer sur une question essentielle : celle du vivre ensemble, au-delà de la peur et de la colère et surtout, de l’incompréhension qui séparent. Le petit royaume de la Vallée du Vent, dénué des prétentions au pouvoir et à la domination, tant sur la nature que sur les autres royaumes ne représenterait-il pas ainsi, un idéal communautaire ?

*
le FUdo est Un concept developpé par tetsUro WatsUji, disciple de l’ecole de kyoto, dans Un oUvrage parU dans les annees trentes, et maniFestement marqUe par sa lectUre d’etreetle tempsde heidegger

Quel.le Survivaliste Es-Tu ?

Nous, on a envie d’être comme Nausicaä : upcycler des armes, en leur amputant tout pouvoir de destruction. On veut surtout continuer à rêver vie nomade et tiny house . Du coup, on se pimp notre ride façon 2050. De secondemain, résistante et tout terrain. Fais le test, choisis ce qui t’inspire le plus, tu en apprendras beaucoup sur toi.

Quel véhicule blindé t’assure de rester à l’abri ?

v Un char Leclerc, car nous sommes de grand.e.s patriotes. Ah ! La douce France gaulliste. On en serait presque nostalgique… Apparemment non, pas trop. Claustrophobes et paniqué.e.s du vide s’abstenir, tes muscles vont finir en tétanie : c’est pas bien grand, à peine chouette pour un seul corps. Souplesse et imagination te permettront de faire des merveilles !

x Un Panzerkampfwagen VIII Maus, qu’on appellera « Maus » pour des raisons évidentes. On va loin dans l’upcycling, car ce char commandé par les nazis est resté à l’état de prototype. Poids lourd bien ancré sur ses appuis, il nous donne l’occasion de déclarer sans avoir à fléchir des genoux : « je vis dans une Porsche ».

t Un M109 4 ou 6 places, au choix ! Petit canon auto-moteur spacieux qui a donné du sien dans les conflits les plus sanglants des États-Unis, il t’accompagnera dans moult contrées imaginaires. Le M109, c’est un voyage au Vietnam, en Irak, en Afghanistan. Que de bons souvenirs !

Choisis ton flingue, choisis ton DIY du dimanche :

x Un FAMAS, l’emblématique fusil d’assaut de l’armée française. Sa production a été délocalisée en Corrèze, donc on soutient l’économie locale. Sa forme complexe lui octroie un fantastique potentiel de couteau suisse. Économe à patate, décapsuleur de bière, tu pourras même y fixer un couteau à steak. Précaires s’abstenir, il est l’un des fusils les plus chers : 1 500 euros.

v Pour les rats, un M16 fera l’affaire. Moitié du prix, nettement moins joli, il est utilisé par une trentaine de pays. Faire ce choix, c’est être dans la norme, mainstream, un peu banal.e. Sa sangle lui permet de prendre peu de place. Vous pourrez glisser dans son canon de jolies fleurs. Ses excroissances du bas se reconvertiront avec plaisir en porte-bijoux.

Le compte est bon ?

Tu as le plus de v : Style sarouel, ZAD et repas CROUS à 1€.

Tu es LE/LA babos urbain.e par excellence. Alors que tu pourrais vivre dans un confort 100% classe moyenne avec électricité et eau courante, tu refuses, par principe, de filer un seul kopeck à une corporation. Tes valeurs sont belles, mais ta déco un peu plus sale. Manitou de la récup, ta vie rime avec trouvailles et bonnes affaires. Chez toi, ça sent le vieux grenier, ce qui n’enlève rien à l’ambiance chaleureuse que tu crées avec un budget ne dépassant jamais 20 balles. Ça donne envie de rester pour débattre communisme, effondrement et Koh Lanta.

t Un AK-47, voyons les choses en grand ! Piou Piou Piou, kalash kalash comme dirait Marina qui passe et domine. C’est l’arme préférée de tes rappeurs préférés. Facile d’entretien, délicatement rustique, franchement abordable, capable de survivre dans tous les milieux, il ne déçoit pas. Son chargeur courbé est multifonction : porte-serviette, porte-torchon, porte-sac poubelle, les possibilités sont infinies !

Dans quel casque tu te laves les mimines ?

t Un SCh-40. On voyage dans le temps et l’espace, direction l’URSS. Pour lui redonner l’éclat de jadis, tu peux peindre de petites étoiles rouges dessus. Et puis parce que c’est le S, enculé.

v Un casque Adrian. C’est un morceau d’Histoire qui soutint le crâne écrabouillé d’un de tes ancêtres dans les tranchées de la Grande Guerre. Petite touche vintage, mais attention, pas adaptée aux petites bourses.

x Un SPECTRA. Cocorico, et si on utilisait le casque de combat de nos soldats français ? Profond et doté de petites excroissances en dur pour protéger les oreilles, elles limiteront les éclaboussures lors du brossage de dents.

Où décides-tu de survivre ?

v La plaine du Larzac. Elle vous séduira par ses morceaux de cailloux empilés sur 1000 km2 de surface. Illégal d’y stationner ? Sur la route entre Millau et Saint-Affrique, tu trouveras sur le trottoir d’en face une jolie base militaire. De quoi passer inaperçu.e et créer des liens indéfectibles avec le voisinage. Bonus, si tu as une conscience décarbonée, c’est un peu le Jérusalem de l’écolo. x Le Nevada. Parce qu’America, f*ck yeah. Là où la taille monstrueuse des bagnoles rivalise avec ta boîte de vie, où on s’avale des kilomètres de bitume en plein désert à la recherche de l’Eldorado. Tu te concocteras un quotidien très tir à la carabine, je mange et bois du sable, j’apprends à faire de la meth. Le choix des moustachus à grand chapeau sera-t-il le tien ?

t La Sierra Nevada. Un Nevada, certes, mais moins bifteck. Direction les monts enneigés de la péninsule ibérique. Un peu de relief, quelques châteaux dressés par-ci par-là pour la culture, et un climat qui te fera rôtir huit mois sur douze. Mais que coûte une rigueur olympique en tartinage de crème solaire face à une faune et une flore endémiques ?

Un max de x ?

Tu es : Un.e con.ne de première catégorie. Déso.

Tu croques la vie à pleine dents et ne penses qu’à ta gueule. Pourquoi ?

Parce que tu es pété de thunes. Partisan.e du more is more, tu n’as aucune limite. Tout est gros, brille, bref, ça envoie. Tant pis si des enfants ont miné le diamant qui recouvre ta table, ou si des braconniers ont tué l’animal qui te sert de tapis. C’est pas le bilan humain ou carbone de ta consommation qui te préoccupe, de toute façon. Tu te fiches d’être problématique parce que le futur, c’est pour les pauvres.

C’est le t qui domine ?

Tufting, poterie et robe à fleurs

Foisonnant de plantes et bibelots qui pendouillent partout, ton appart ressemble plus à une cabane dans les bois qu’à une chambre de bonne dans le 20e, ce qu’il est en réalité. C’est que le Covid t’a bien piqué : tu as soudainement vieilli de 70 ans. Maintenant, tu rêves de faire ton pain et de cueillir des fleurs histoire de toujours avoir un bouquet frais sur ta table. Car tu es avide de DIY, tout est fait par ta main, de tes tapis à tes cadres en passant par ton PQ. Tu es persuadé.e d’être talentueux.se, mais le thé qui dégouline par les trous de ta tasse moche te rappelle le contraire.

39 Dossier
Guns et Introspection :

Anime post-apocalyptique : nature, cosmos et Hideaki Anno

Le deuxième long métrage du maître de l’animation, Hayao Miyazaki, est l’adaptation de son œuvre papier : Nausicaä de la Vallée du Vent. Sorti sur grand écran en 1984, il est acclamé par la critique et ouvre le début d’une carrière phénoménale.

« J’ai commencé à dessiner le manga parce que j’étais sans travail en tant qu’animateur. » explique l’auteur en 1993. Après avoir essuyé plusieurs refus de la part des studios, c’est finalement sous forme de bande-dessinée que Miyazaki sort l’histoire de la princesse Nausicaä, dans le magazine japonais Animage. Pris par le temps et les impératifs de production, Miyazaki s’en remet à Animage pour se trouver un bras droit. Son choix se portera sur l’un des futurs géants de l’anime japonais, Hideaki Anno. La contribution d’Anno sur Nausicaä de la Vallée du Vent marque l’avènement de sa carrière fulgurante et les prémices d’une relation père-fils spirituelle. La confiance que portera Miyazaki à son élève sera telle qu’il lui laissera la charge d’animer la scène du réveil du Géant du Feu. Selon la légende, Miyazaki aurait même laissé carte blanche à Anno et validé le travail final du jeune prodige sans émettre une quelconque opposition. Grâce à son succès foudroyant, une version filmique de Nausicaä de la Vallée du Vent est enfin mise en place en 1984. Ses seize chapitres achevés — soit à peine un quart de l’œuvre complète — justifient les nombreuses différences entre les deux versions de l’œuvre. Cette première collaboration sera sans précédent pour la carrière du jeune Hideaki Anno, désormais reconnu comme un monstre de l’animation japonaise. En 1995, il réalise le classique du dessin animé nippon Neon Genesis Evangelion dont les personnages des Anges ne sont pas sans rappeler les traits du Géant du Feu de Nausicaä, perpétuant le dessin d’une collaboration mythique.

En 1984, Hideaki Anno a 24 ans lorsqu’il séduit Hayao Miyazaki et se voit confier l’animation de scènes majeures de Nausicaä de la Vallée du Vent, en particulier celles de l’attaque des Ômu vers la vallée et le réveil du Dieu-Guerrier. La même année, il lance le studio Gainax avec son ami Kazuya Tsurumaki, rencontré au département de cinéma du Osaka College Of Art. Le studio connaîtra ses premiers succès avec l’anime Gunbuster et la série phénomène au Japon, Nadia et le Secret de l’Eau Bleue. Des rencontres qui lui ouvrent la porte de la reconnaissance, puisqu’il crée par la suite une des séries animées cultes des années 1990 : Neon Genesis Evangelion, s’achevant ensuite par deux long-métrages. On y ressent une inspiration évidente issue tout droit des studios de Miyazaki : monstres imposants et extraordinaires, héroïnes vaillantes et questionnement de la place et de l’impact de l’humanité. Par ailleurs, la série donne vie à deux téléfilms, Death and Rebirth et The End of Evangelion, tous deux réalisés en 1997. Animateur, mais pas que, Hideaki Anno est aussi réalisateur et scénariste. S’il est une figure majeure dans le monde de l’animation, son thème de prédilection — le post-apocalyptique — s’applique dans tous les domaines cinématographiques, un milieu où il a plus d’une corde à son arc. On le retrouve entre autres à la réalisation de Godzilla Resurgence (2016), au scénario de Shin Ultraman (2022) et dans les deux costumes pour Shin Kamen Rider (2023). Tous reprennent les codes japonais de la fin du monde. Des créatures géantes venues détruire la Terre, elles-mêmes personnifications d’un traumatisme entré dans la mythologie moderne nippone : le bombardement atomique d’Hiroshima et de Nagasaki par les Américains.

quelques dates clés

1954 : Premier film Godzilla, par Ishirô Honda 1979 : Le Château de Cagliostro 1982 - 1994 : Publication de Nausicaä de la Vallée du Vent dans le magazine Animage 1984 : L’adaptation cinématographique de Nausicaä de la Vallée du Vent sort en salle Décembre 1984 : Création du Studio Gainax par Hideaki Anno (entre autres) Juin 1985 : Création du Studio Ghibli par Hayao Miyazaki, Isao Takahata et Toshio Suzuki 1986 : Le Château dans le ciel (Ghibli) 1992 : Porco Rosso (Ghibli) 1995 - 1996 : Diffusion de l’anime Neon Genesis Evangelion sur 1997 : Princesse Mononoké (Ghibli) 1997 : Sortie en salle de Neon Genesis Evangelion: Death and Rebirth

Neon Genesis Evangelion (en français : L’Évangile du Nouveau Siècle) est diffusé sur la chaîne TV Tokyo, avant d’être diffusé en France l’année suivante en VHS. Alors que la Terre est menacée par des « Anges », créatures extraterrestres voulant détruire la ville de Tokyo-3, la NERV — organisation secrète militaire — défend la capitale à l’aide des EVA, géants mi-animaux mi-robots, contrôlés par des pilotes. Shinji Ikari, 14 ans, est l’un d’entre eux. À ses côtés, les deux adolescentes Rei Ayanami et Asuka Soryu Langley occupent le même poste. Le trio porte l’avenir de la planète sur ses épaules. En parallèle de ce décor fataliste s’entremêlent des problématiques d’ordre psychologique, notamment liées à l’âge des protagonistes, mi-enfants mi-adultes. Des thématiques lourdes, dont l’évocation prend tout son sens lorsque l’on sait qu’Anno est lui-même atteint de trouble borderline. Lors d’une interview menée en 1966, le dessinateur déclare : « J’ai écrit sur moi-même. Un ami m’a prêté un livre sur les maladies mentales et ça m’a fait un choc, comme si j’avais enfin trouvé ce que j’avais à dire ». Une nouvelle clef de lecture — parmi beaucoup d’autres — prend place, sous-jacente à celle de ce futur sans avenir : la dimension autobiographique. Chaque personnage incarne une des formes de dépression auxquelles a dû faire face l’auteur : le renfermement sur soi, l’abandon et le sentiment d’impuissance, à quoi s’ajoutent un complexe d’Oedipe et le rejet de la parentalité.

Nausicaä et Evangelion s’opposent tout autant qu’elles se ressemblent. L’une des différences notables est le message et la morale véhiculés par ces œuvres. Nausicaä alerte sur les désastres écologiques et blâme la trop grande gourmandise d’une civilisation industrielle qui n’a cessé de puiser dans les ressources de sa planète. Parallèlement, Evangelion questionne davantage l’aspect éthique de l’intelligence, des avancées technologiques et de la mégalomanie, tout en mettant en avant une dimension politique.

Le point commun de ces deux chefs-d’œuvre réside dans la création d’un univers post-apocalyptique, gouverné par des forces mettant en danger l’avenir de l’humanité. On note également l’importance des personnages féminins. Bien que les deux œuvres aient été réalisées durant les années 1990, les figures féminines n’apparaissent jamais comme des êtres fragiles de second plan. On est loin de Candy ou de Princesse Sarah, personnages caractérisées par une féminité exacerbée et une docilité à toute épreuve. Comme les Evangelions, les Dieux-Guerriers Géants de Nausicaä sont des créatures biomécaniques créées par l’homme. Monstrueusement puissantes, elles sont capables d’anéantir le monde en l’espace de quelques jours.

Les problématiques, liées à l’idée du futur et qui infusent au sein de ces deux scénarios, résonnent d’autant plus aujourd’hui : extinction des espèces, surconsommation des ressources, domination d’une élite riche et exploitation d’un peuple baignant dans l’ignorance. Ces deux histoires, écrites il y a une quarantaine d’années, sont d’une actualité terrifiante. Et c’est sans doute la raison pour laquelle le public manifeste encore tant d’intérêt à leur égard, les deux œuvres étant par ailleurs disponibles sur les plateformes de streaming telles que Netflix.

sur TV Tokyo Rebirth
1997 : Sortie en salle du film conclusif The End of Evangelion 2001 : Le Voyage de Chihiro (Ghibli) 2004 : Le Château ambulant (Ghibli) 2016 : Godzilla Resurgence 2022 : Shin Ultraman 2023 : Shin Kamen Rider

De Nausicaä en passant par Hunger Games, œuvres dystopiques attribuent-elles la fin du

Des œuvres culturelles récentes s’accordent pour imputer l’effondrement de la planète à nos systèmes politiques. Troisième Guerre mondiale, coup d’État ou invasion ennemie, ce versant pessimiste du futur nous est proposé par la dystopie qui, depuis plusieurs décennies, a envahi l’art. Ce genre est d’abord apparu dans la littérature du XXe siècle sous les plumes aiguisées d’Aldous Huxley, auteur du Meilleur des mondes ainsi que Georges Orwell et son livre 1984. Étymologiquement, dystopie signifie « lieu mauvais ». Laurent Bazin, maître de conférence à l’université de Versailles-Saint-Quentin et auteur d’un ouvrage sur le sujet intitulé La Dystopie, identifie les récits dystopiques par « la mise en scène, dans un futur plus ou moins proche, des dérives du monde contemporain ». Il s’agit tout simplement d’une utopie qui tourne mal. Et cet idéal, c’est la démocratie représentative, longtemps perçue comme un système politique parfait et un exemple à imposer aux autres régimes. Mais se pourrait-il que la démocratie ne soit pas l’aune de la modernité, mais plutôt une utopie du passé ? Pourquoi les artistes sont-iels désormais si enclin.e.s à penser au pire, à abandonner nos démocraties représentatives ? Et pourquoi sommes-nous si nombreux.se.s à vouloir les croire?

Dans Nausicaä de la Vallée du Vent, l’héroïne évolue sur une Terre postapocalyptique où la nature, devenue toxique et dangereuse, a repris ses droits après avoir été maltraitée. Si l’ensemble de l’humanité continue sans relâche de la combattre, on comprend vite que c’est le conflit des politiques vis-à-vis de la nature qui a escaladé. Avec sa Troisième Guerre mondiale, à l’issue nucléaire, une partie de la planète a été détruite. Hunger Games, l’œuvre de Suzanne Collins, déclinée en trilogie puis adaptée au cinéma, propose le même élément déclencheur. Les États-Unis, alors découpés en douze Districts, sont dirigés par un despote qui envoie, en toute impunité, les enfants du pays au casse-pipe. Pourquoi ? Pour divertir son peuple et se maintenir à la tête du gouvernement. Avant, bien sûr, que Katniss Everdeen ne débarque et bouleverse sa tyrannie. Un même contrôle sur les populations s’opère dans 1984, pour revenir à la source du genre. Une force sombre, puissante, surplombe chaque individu : Big Brother. Grâce à des écrans truffés partout, dans les logements, dans la rue et même au travail, cette force contrôle et surveille les habitant.e.s de cette Angleterre futuriste pour les empêcher de penser librement. Le quarantenaire poltron Winston essaie tant bien que mal d’y échapper, et dresse une critique acérée de ce régime qui maintient guerres et inégalités en réécrivant perpétuellement son idéologie et son histoire.

Ces trois œuvres dystopiques partent donc d’un même point de départ : la guerre. Mais très vite, on comprend que les leaders politiques ont tout intérêt à maintenir une forme d’instabilité politique, dans le but de se maintenir au pouvoir. Nausicaä, Katniss Everdeen et Winston ont tous les trois en commun la caractéristique de perturber ce statu quo. Pourtant, si le manga de Hayao Miyazaki offre une fin apaisée, 1984 et Hunger Games proposent des conclusions plus acerbes. Ces récits dystopiques se ressemblent surtout par leur critique de la société et leur remise en question de nos systèmes politiques. Ils nous alertent sur les limites des démocraties en imaginant le pire. Les artistes tentent, de cette manière, de montrer comment nos sociétés peuvent s’effondrer en même temps qu’un système politique.

Àla fn, il n’en res ervu esircaled lop i t i q u e *

Àla fn, se à dervuerpé’l e l a c r i s e p o litique *

À la ervuerpé’làseuqipo d e l a cr isepolitique * À rvuerpé’làseuqipotsy e d e la crisepolitique * parAngéline Da Co

ou encore 1984, pourquoi les principales monde au système politique ?

Dans Nausicäa, ce sont divers royaumes indépendants qui s’affrontent parallèlement à leur combat contre la nature. En comprenant que la destruction de leur environnement les maintient dans cet état de guerre, Nausicaä tente de faire d’une pierre deux coups : sauver la planète et rassembler les peuples. Ce qu’elle parvient plus ou moins à faire en se sacrifiant. Une fin plus douce proposée par Hayao Miyazaki qui invoque l’écologie comme ciment d’une société future apaisée. Tout à l’inverse, Georges Orwell maintient son postulat, à savoir que la démocratie prépare simplement la voie à l’installation de tyrans futurs au pouvoir. Par conséquent, tout effort pour sortir de ce cycle quasi-marxiste de lutte de classes est voué à l’échec. Youpi. Entre les deux, Suzanne Collins offre une lecture en demi-teinte. La démocratie n’est certes pas la meilleure manière de gouverner, mais les peuples disposent du libre-arbitre nécessaire pour se révolter. Chaque régime peut remplacer le précédent, mais la violence de l’un ne permet pas de justifier celle de l’autre. Les rebelles doivent se prêter au même jeu que les tyrans pour offrir un apaisement aux peuples, mais rien ne garantit pourtant une forme de stabilité politique pérenne. La paix est donc un choix de chaque instant.

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Malgré l’âge plutôt avancé de ces œuvres – 1984 a été publié en 1949, Nausicaä en 1982 et le premier tome de Hunger Games en 2008 – les artistes dystopiques ont marqué la seconde moitié du XXe et le XXIe siècle. Exit les utopies liées à notre ère technologique, ces visionnaires anticipent une forme d’effondrement politique. Au-delà du pessimisme et du scénario catastrophe qu’ils et elles nous proposent, des liens évidents peuvent être tirés entre fiction et réalité contemporaine. Nous prenons enfin la mesure du temps qu’il nous reste pour sauver la planète, par exemple. Nous constatons aussi une forme de retour des guerres en Occident et de la montée des États totalitaires depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022. Nos démocraties aussi, qui s’appuient sur un système de vote au suffrage universel, sont en crise. En témoignent d’ailleurs les taux d’abstention aux dernières élections présidentielles en France, s’élevant à 26 % pour le premier tour et 28 % pour le second. Les citoyen.nne.s ne se sentent plus représenté.e.s par les membres du paysage politique actuel et délaissent les urnes pour des expressions politiques plus visibles, comme des débats sur les réseaux sociaux. Enfin, dans les démocraties occidentales, les opinions se polarisent grosso modo entre une gauche sociale, progressiste et écologique et une droite libérale, capitaliste au penchant réactionnaire. La menace de l’extrême droite plane et s’est même abattue dans certains endroits du monde. Elle s’incarne avec l’élection de Jair Bolsonaro au Brésil entre 2019 et 2023, Donald Trump aux États-Unis entre 2017 à 2021 ou encore Giorgia Meloni en Italie en 2022. En France, le Rassemblement national des Le Pen grignote progressivement le scrutin présidentiel depuis vingt ans. De telles perspectives inquiètent une partie de la population, qui lui aussi en vient à s’interroger comme les artistes le font depuis soixante-dix ans : notre système politique est-il en train de s’effondrer ? Le futur seul nous dira si nous avons pu éviter que la dystopie ne devienne réalité.

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Entretien avec Geneviève Pruvost:

Nausicaä de la Vallée du Vent met en scène une héroïne qui tente de retisser les liens entre l’humanité et la nature. Au-delà du discours écologique, l’œuvre se lit également à la lumière de théories écoféministes à travers le concept de subsistance, soit la capacité à vivre en communautés autonomes grâce à une proximité de production. Pour définir au mieux cette notion fondamentale des modes de vie alternatifs (dépeints dans le film), nous avons fait appel à Geneviève Pruvost, chercheuse au CNRS, sociologue et spécialiste de la question. Après une thèse dédiée à la féminisation des forces policières, elle s’est intéressée aux modes de vie alternatifs, aux alternatives écologiques en zone rurale, à l’écoconstruction, la néo-paysannerie, la naissance alternative, les luttes environnementales, la politisation du moindre geste, les limites du monde marchand et les façons de faire société en marge.

En septembre 2021, elle publie un ouvrage intitulé Quotidien politique. Féminisme, écologie et subsistance, résultat d’une série d’entretiens s’étalant sur plus de 10 ans. Commencée en 2010, son enquête s’est concentrée sur les zones rurales et semi-rurales de France, à la rencontre de celles et ceux qui vivent l’alternative rurale.

À ce récit d’entretiens s’ajoute un vaste corpus littéraire composé d’ouvrages issus de l’écoféminisme, de l’écologie politique, du municipalisme libertaire et du marxisme autonome. Dans ce livre, elle expose une thèse que Nausicaä ne renierait pas : la réinvention d’un monde commun se doit d’être anticapitaliste, plus écologique et plus égalitaire, tout en revalorisant le quotidien.

Quelle est votre définition de la subsistance ?

La subsistance, c’est tout ce qu’il est possible de fabriquer dans un rayon proche, sans passer par une longue transformation industrielle.

Ça peut aussi bien être la capacité de se soigner que de fabriquer une chaise, c’est ce qui correspond aux besoins de base pour vivre.

Dans quelle mesure est-ce un enjeu majeur ?

C’est important car c’est l’intégralité de ce qui nous fait vivre au quotidien, au travail, en vacances… Le souci, c’est qu’aujourd’hui plus rien n’est produit dans un rayon proche. Ne serait-ce qu’en se levant le matin, pour petit-déjeuner et aller travailler, nous sommes en lien avec tout un monde de un monde de travailleur.se.s à l’autre bout de la Terre.

Comment peut-on faire, quand on habite dans une ville comme Paris, pour avoir un mode de vie tourné autour de la subsistance ?

C’est très récent que la ville soit si loin de la subsistance. Au début, l’expansion urbaine s’est faite en lien avec une ceinture maraîchère, des artisans à l’intérieur des villes, des liens très maintenus avec la campagne.

Aujourd’hui on a repoussé les fonctions alimentaires au plus loin, donc c’est compliqué de réintégrer la subsistance au quotidien. Toutefois, il y a plein de choses qui se créent, par exemple les AMAP qui réinsèrent l’agriculture dans les villes. Et on crée des associations pour retisser des liens qui ont été rompus.

Vous pensez que la perte du lien avec la nature a à voir avec la perte du lien social ?

On n’a pas de lien direct avec les personnes qui produisent des choses, on ne sait même plus où sont les champs ou les forêts. Donc il y a un problème social : quelles sont les conditions de travail des gens ? Il y a aussi un souci d’exploitation : on ne côtoie ni les vaches ni les prés, donc on arrose les parcelles de pesticides car personne ne le voit.

C’est ce que vous expliquez dans votre livre ?

Je m’interroge sur les limites sensibles de ce qui peut nous concerner. Le livre questionne les seuils, les distances… Si l’on veut prendre soin d’un territoire, il faut l’avoir sous les yeux et y revenir périodiquement. La quotidienneté, c’est cette veille périodique par des gens qui arpentent un même territoire. On retrouve un peu ça dans les petits quartiers urbains : entre voisin.e.s, on veille sur les enfants des un.e.s et des autres par exemple. Cela devrait être la même chose avec la nature.

S’occuper de la nature, c’est une lutte féministe ?

Ce en quoi c’est féministe, c’est que cet arpentage quotidien, c’est un arpentage auquel ont beaucoup été assignées les femmes : elles travaillent moins loin, s’occupent des enfants sur des trajets courts… Ce n’est pas un hasard si dans les lieux proches on trouve des femmes, car elles sont plus longuement en lien avec le territoire, et c’est lié avec la division genrée du travail. L’écoféminisme s’intéresse à une redistribution du travail de subsistance. Il doit être partagé entre les deux sexes et non supprimé. Actuellement, la femme au foyer est réduite à la consommation et la subsistance serait un moyen de rétablir l’égalité des sexes avec davantage de prestige, notamment car tout ce qui est d’ordre nourricier y est valorisé.

Pour vous, quelle serait la société idéale ?

J’aime beaucoup l’échelle bio-régionale, constituée par des logiques hydriques avec des bassins versants qui forment des régions. D’un point de vue plus social, ma société idéale est celle d’un exode urbain, avec un repeuplement des campagnes et des gens qui s’en préoccupent non pas en télétravaillant mais en s’impliquant dans la subsistance. Jusque dans les années 1960, la France était un immense jardin : potagers, ruchers, vergers… Ce rapport nourricier au territoire a été perturbé par l’arrivée des supermarchés. Donc ce serait un monde où l’on redistribue la charge de la subsistance sur des échelles pédestres plutôt brèves, avec une relocalisation des activités. Il faudrait aussi une possibilité d’avoir des champs non appropriables permettant à des gens de changer d’endroit. En bref, une vision reterritorialisée mais aussi hyper nomade.

« Si l’on veut prendre soin d’un territoire, il faut l’avoir sous les yeux et y revenir périodiquement

Est-ce que vous auriez une recommandation d’une œuvre sur la nature ?

Déjà Nausicaä , qui est un très beau dessin animé ! Sinon, je vous recommande un petit livre complètement has been mais qui a été un grand best seller des années 1990, Lasoupeauxherbes sauvages d’Emilie Carles. Cette institutrice, fille de paysan, y raconte ses mémoires et comment elle vit dans les alpages de la haute montagne. Elle montre les sociétés de subsistance, tout ce qu’elles ont d’extraordinaires et de mesquin, ce n’est pas du tout dans l’enchantement. Le livre donne à voir la société paysanne avec beaucoup d’humour et de générosité, et plein de gens peuvent le lire.

Des chercheur.se.s ont trouvé la région qui figure en tête de liste des endroits les mieux lotis en cas d’effondrement écologique. Autrement dit, à l’abri du danger si le pire était à venir. Alors, quelle sera notre Vallée du Vent qui nous protégera des fumées toxiques ?

Où irons-nous lorsqu’il sera trop tard pour réparer l’irréparable ? Chaque jour qui passe, un glacier fond, une espèce animale disparaît et un lac s’assèche. Face à cette vision d’effroi, l’esprit humain ne peut s’empêcher de chercher une échappatoire. Mais où se réfugier ? Dans Nausicaä, le choix est vite fait. Un seul endroit demeure un havre de paix au milieu du chaos : la Vallée du Vent, ce petit royaume agricole à l’abri des fumées toxiques et des vents marins. La menace gronde encore, mais ici, au moins, on peut gagner du temps. Et dans la réalité, où peut-on aller ?

Où se situe notre Vallée du Vent ?

Chanceux.se.s que nous sommes, nous connaissons désormais les « endroits du monde les plus adaptés pour survivre à un effondrement mondiale de la société ». Selon plusieurs études publiées entre 2015 et 2022 - par l’Université Anglia Ruskin au Royaume-Uni, Notre Dame aux États-Unis ou encore celle d’Otago en Nouvelle-Zélande -, il apparaît que nos chances seraient les plus hautes dans des pays tels que l’Islande, la Tasmanie ou encore l’Irlande. Mais surtout, il s’avère que notre endroit le plus salvateur n’est point un creux dans les montagnes, mais une île sur les eaux. Oui, c’est la Nouvelle-Zélande qui prend la première place du classement. Résultat surprenant au premier abord : une île comme dernier espoir, quand le principal problème reste la montée des eaux ? Pourtant, c’est bien l’État insulaire d’Océanie qui est désigné à l’heure actuelle comme le plus apte à la survie humaine. Les raisons ? Il dispose d’atouts majeurs : son énergie géothermique et hydroélectrique, sa faible densité de population, ses terres agricoles abondantes éloignées de potentiels conflits, sa stabilité politique mais également son climat tempéré.

L’Eden des ultra-riches

La Nouvelle-Zélande ferait donc office d’Éden au milieu de l’enfer, face aux « perturbations de plus en plus graves du système terrestre, récemment manifestées par des effets à l’échelle planétaire, tels que le changement climatique », selon l’étude américaine. Oui mais voilà, cette bouée de sauvetage risque d’être rapidement assaillie. La preuve en est : les ultra-riches se préparent au pire depuis quelques années, et y mettent les voiles. Peter Thiel, fondateur de PayPal, Larry Page, cofondateur de Google, ou encore Reid Hoffman, créateur de LinkedIn… de nombreux milliardaires de la Silicon Valley ont obtenu leur visa néo-zélandais, en échange d’investissements dans le pays. Au programme : construction de bunkers, installation de générateurs et de panneaux solaires, stockage d’armes… Le tout dans un confort absolu, bien évidemment. « Dire qu’on achète une maison en Nouvelle-Zélande, c’est comme se faire de gros clins d’œil et des coups de coude complices », confiait notamment Steve Huffman, cofondateur de Reddit, à La revue du crieur en 2017. Le même homme s’est d’ailleurs fait opérer contre sa myopie en cas d’effondrement : « obtenir des verres de contact ou des lunettes risque d’être vraiment chiant. Et, sans mes verres, je suis foutu ». Nous voilà donc rassuré.e.s : la Vallée du Vent existe bel et bien sur Terre. Mais visiblement, les places sont déjà prises. Trop tard pour prendre son ticket… quelqu’un a un plan B ?

© 1984 Studio Ghibli

Arriver à bon port

Cétacé. Voilà ce que ne dira jamais la baleine, aka Charlie, dans The Whale , dernier film en date de Darren Aronofsky. Dans ce film où le personnage est systématiquement renvoyé à l’image d’une baleine (entendre qu’il est gros, que la musique est comme un radar maritime, qu’il lit Philip K. Dick), la critique se garde bien de questionner le parallèle avec son obésité. Elle se cachalot, par peur d’importuner. Pourtant, s’il y a bien quelqu’un à importuner, c’est bien ce mauvais élève de Darren Aronofsky, dont la supposée noirceur manque de toucher les spectateur. ice.s, les indiffère tout au plus. En ce sens, TheWhale échoue sur tous les fronts, n’invente aucune forme, ne participe d’aucuns horizons.

La critique se doit d’avoir le dauphin ; c’est-à-dire faire tomber les masques et utiliser la plume pour questionner plutôt que pour caresser, ne jamais critiquer l’art par des tours de tables en forme de cercle, car c’est justement là que ça ne tourne pas rond, qu’il faut se poser des questions. La critique ayant tendance à déserter les lieux de grande écoute (il serait malvenu de dire autre chose que du bien, ou pire, de s’engueuler avec notre belle-sœur attachée de presse), le Wokistan l’endossera. Le Wokistan est un éden pour l’art, le lieu de son plein épanouissement. Pour y entrer, il devra franchir deux sas : le premier est celui de sa qualité (nous n’acceptons que des œuvres bonnes, pardon Darren) ; le second celui de son intérêt moral (nous n’acceptons que des œuvres qui réfléchissent le monde et veulent l’investir, pardon Aronofsky). Le Wokistan embrasse du même geste adversité et inclusion. Dans son Panthéon ne demeurent que les œuvres qui nous construisent, qui font avancer le monde, qui nous rapprochent de celui auquel on aspire.

Nicolas Moreno

Des pages incandescentes Viendraletempsdufeude Wendy Delorme,

Avec Viendraletempsdufeu , Wendy Delorme signe son premier récit de littérature d’anticipation. L’enseignantechercheuse et militante lesbienne rend hommage – ou femmage plutôt – à la littérature au travers d’un puissant roman choral frappant de réalisme et toutefois, plein de poésie.

Cinq personnages racontent leur quotidien qui se révèle très proche de celui que l’on connaît aujourd’hui (collages sur les murs, couvre-feu, cathédrale en flamme) et nous plongent dans leur réalité entravée. Les problématiques sociales paraissent familières : violences policières, patriarcat, crises écologiques, émigration… Et puis, il y a celles et ceux qu’on nomme les Autres et qui vivent dans cette société aseptisée. « L’enfer, c’est les Autres ». Ici, c’est certain.

Les guerrières sous la montagne

Ce titre, formulé comme une promesse, préfigure la révolte à venir. Une révolte qui apparaît rapidement comme nécessaire dans cette société totalitaire, semblable à celle de La Servante écarlate. À l’image de l’œuvre de Margaret Atwood, Wendy Delorme met au centre de son roman une fertilité en chute libre. Avec la mystérieuse Grande Disparition qui a vu mourir une bonne partie des jeunes, la reproduction est en enjeu de taille. Les femmes doivent donc participer à l’effort national. Louise, protagoniste ne désirant pas être mère, l’écrit :

« Ca m'angoisse de savoir que si on n'en fait pas, de marmot, avec mon Raphael, on ne nous pardonnera pas. (...) Deux virgule cinq enfants par femme, c'est le mot d'ordre depuis que je suis nee. » "

L’action se déroule dans une ville au bord d’un fleuve et aux frontières fermées : quitter la ville, c’est pour toujours. En face, une montagne. Et dessous, une communauté de résistantes en marge, utopie collective et féministe qui ouvre le récit. Elles vivent et creusent sous la terre. En écho aux Guérillères de Wittig, cette micro-société choisit de se genrer au féminin : acte de rébellion face à cette société patriarcale, de l’autre côté du fleuve. Une montagne qui écrase et tue, construite telle une métaphore du patriarcat.

Écrire : un acte de résistance

Dans cet univers dystopique, la littérature est interdite et les livres sont devenus des produits de consommation. Les écrivain.e.s et les poètes ont disparu, et comme souvent dans les récits dystopiques, la fiction, la poésie, et l’art en général, sont des menaces à la soumission du peuple au régime. Néanmoins, les personnages de ce roman polyphonique écrivent leur propre histoire. Ils et elles souhaitent laisser une trace, transmettre une mémoire. La littérature est certainement l’art le plus démocratique : il suffit d’un papier et d’un crayon pour s’y engouffrer.

2023

Un projet d’émancipation qui est rendu possible grâce et par l’art d’écrire : c’est bien cela qui est au centre du récit de Delorme. L’autrice égrène des extraits de textes de Rainer Maria Rilke, Monique Wittig ou encore David Foster Wallace, faisant entendre de sublimes passages de la littérature. En inventant ses personnages qui exhument des ouvrages censurés et oubliés, Delorme cite des extraits du manifeste queer de Paul B. Preciado, Un appartement sur Uranus. Précieux ouvrage.

" Les histoires qu'on raconte sont necessaires a l'ame comme l'eau l'est a la terre pour que les plantes fleurissent. "

Le récit de Delorme appelle à la dissidence, mais aussi à la littérature. Il est formulé comme un cri d’amour pour les mots, les récits et les livres. Il appelle à la sororité, à la liberté et à l’amour. Sa prose, incendiaire elle aussi, se déroule, rythmée, presque scandée au fil de pages. Les fragilités et les forces de ses personnages en font des figures mythiques : Rosa, emmurée vivante à la manière d’Antigone, Eve, la mère qui a choisi de quitter la communauté pour son enfant, ou encore Raphaël qui découvre à travers les textes oubliés qu’il n’est pas seul.

Tisser des trajectoires d’émancipation

Cette œuvre complexe tisse entre elles les trajectoires de personnages isolé.e.s au sein d’un monde qui les oppresse. Avec la destruction de l’utopie puis la révolte qui prend place, Delorme construit des récits de résistance. La romancière s’inscrit dans un courant de politisation des récits imaginaires. En mettant en scène ces protagonistes aux prises avec un univers dystopique, Wendy Delorme valorise des trajectoires d’émancipation puissantes et participe à créer des imaginaires de combat sans jamais se départir d’un style léché et fascinant. Une œuvre saisissante qu’on aurait aimé savourer plus longtemps.

« Disséminer le feu. Tout brûler. Un par un, les grands édifices du pouvoir. Réduire en cendres grises et carcasses calcinées les symboles immuables qui structurent les vies, ordonnent l’obéissance, inspirent à tous la crainte ou la dévotion, tracent en voies rectilignes les vies et les pensées de chacun parmi nous. » - Raphaël

Manuel pour une mort sereine

Melancholia de Lars Von Trier, 2011

Le mariage est annulé, la Terre va disparaître. Ce soir. Justine (Kirsten Dunst), la mariée, n’était de toute manière pas très heureuse. Sa sœur Claire (Charlotte Gainsbourg), avait pour sa part des plans sur la comète, une vie à mener, son fils à élever. Mis en scène avec les principes de l’art du Dogme95, Melancholia est peutêtre le film qui ressemble le plus à Lars Von Trier, l’homme, le dépressif. La résurrection de ce mouvement cinématographique, d’un schéma narratif semblable au Festen de Vinterberg en passant par une caméra épaule et un nombre incalculable de jump cuts, amène une vitalité insoupçonnée dans la première partie du récit, qui porte le nom de la mariée. Le mariage en tant que célébration de la vie, le mariage bourgeois en tant que sommet de l’art de vivre : Wagner en ouverture du film, images au ralenti mêlant tableaux, astres et proches en illustration.

Mais dans la beauté la plus pure des arts humains, entre les notes de Tristan et Isolde, dans la réinterprétation de l’Ophelia de John Everett Millais par Justine, il se loge comme une origine du mal(-être) de l’artiste, satisfait de l’harmonie de l’œuvre pour oublier le chaos du monde. Sensible à la fibre tragique de ces chefs-d’œuvre, le réalisateur les projette dans son film, d’abord à travers le plan de la collision de la planète Melancholia avec la Terre, ensuite dans la différence d’attitude des deux sœurs au moment fatidique. Réfugié.e.s dans une cabane de fortune (huit branches tout au plus), un noyau familial se forme à nouveau entre les deux sœurs et le fils de Claire, comme pour une dernière prière, un ultime rite culturel qui n’appartient qu’à l’humanité. Claire panique, sa respiration irrégulière dicte le mouvement de son torse, ses yeux ne sauraient s’apaiser, allant de Justine à son fils, en quête de réconfort. Justine, elle, ne bouge pas ; son visage est lisse et statique. Sa dépression, du propre aveu de Lars Von Trier, l’a préparée à la fin du monde, elle l’affronte sereinement.

À travers la métaphore de la fin du monde, Lars Von Trier parle de sa propre dépression, et réalise ainsi son film le plus faible, noyé dans un sérieux de pape engourdissant. Perdu dans la contemplation de ses propres états d’âme, le réalisateur ne prend aucune distance avec son propos, cette distance qui justement élevait ses autres films à un stade supérieur, à travers une noirceur ironique (The House That Jack Built), un jeu permanent avec ce qui est raconté (Nymphomaniac, où Joe demande à ce qu’on croit les coïncidences de son récit). Alors si son expression d’un sentiment intime intéresse, sa mise en scène repose sur un académisme paradoxal, fait des révolutions passées du dogme, sans aucune actualisation ni plus value. Ainsi, en dépit d’images devenues iconiques, Melancholia renvoie systématiquement aux névroses du réalisateur plutôt qu’à une véritable et sincère réflexion sur la fin du monde. En ce sens, Melancholia tue peut-être sereinement ses personnages, mais il le fera hors du Wokistan.

Wokistan

Des lendemains qui ne chantent pas Podcast WildWhispers d'Audible

Dans sa fiction audio immersive Wild Whispers, Audible dresse, grâce à une équipe de comédien.ne.s talentueux.se.s et impliqué.e.s, le panorama surprenant d’un monde futuriste. Cinq histoires singulières, indépendantes, qui se répondent entre elles et dessinent ensemble des jours à venir pas très roses.

Le monde d’après. Comme l’image menaçante d’un futur embrumé, l’expression plane sur nos têtes à chaque instant. Plus effrayant encore, elle pourrait bien vite devenir le demain qui toque d’ores et déjà à notre porte. Mais que représente réellement ce monde d’après ? Une brutale réminiscence de tout ce que l’on a fait de mal dans celui d’avant ? Ou la folle découverte de ce que l’on n’imaginait pas encore alors ? Les questions sont vastes, les réponses incertaines, et l’avenir bien sombre. Subsiste alors une question primordiale : quel sera notre point de non retour, celui qui nous fera basculer d’un monde à l’autre ? C’est ce qu’a imaginé le réalisateur Sélim Azzazi dans le podcast Wild Whispers, univers vertigineux où la nature se retourne violemment contre l’humain, sur Audible. Il signe une fresque futuriste aux bruitages soignés, véritablement happants, dans laquelle s’ouvre une fenêtre rafraîchissante, à la fois drôle et effrayante, sur la vie de demain. Au long de ces cinq épisodes écrits par une dizaine d’auteur.ice.s, ce fameux monde d’après paraît bien lointain. Mais plus la catastrophe écologique ravage notre globe contemporain, moins ces quelques vignettes intelligemment écrites sont difficiles à imaginer

Un autre monde dur à habiter

Sur Pandore, planète où les réserves mondiales de pétrole sont épuisées, les conséquences de la crise énergétique secouent les dernières populations qui cherchent encore des ressources. C’est alors qu’une voix ancestrale s’élève parmi le bruit du monde. Mère nature, parole de la planète, qu’importe son nom ; vengeresse, c’est elle qui entraîne l’humain dans les bas-fonds de la folie. « Protège-moi, tue-les tous », somme-t-elle à celles et ceux qu’elle possède. Quelques mots suffisent alors pour anéantir les derniers espoirs de vie humaine. Redescendu.e.s sur terre, nous apprenons alors que les abeilles ont disparu. Seulement reproduites en laboratoire scientifique, elles sont devenues les nouveaux jouets de l’humain qui tente de produire de nouvelles espèces issues de croisement génétique. Dans une société où l’air n’est respirable que pour les classes privilégiées, ces élites deviennent la proie d’une tueuse écologique, venue rendre aux abeilles ce qu’on leur a enlevé en transformant les plus aisé.e.s en grandes ruches humaines. On épargnera volontiers les détails. Nous ne sommes pourtant plus si loin d’un monde où la viande animale, devenue toxique, est remplacée par des protéines synthétiques. Dans ce nouveau scénario horrifique, les plus riches (encore) ne sauraient se contenter d’une vie bien fade sans chair comestible. Et sont alors contraints de se mettre sous la dent la seule viande non contaminée… celle de leurs semblables.

Une nouvelle population qu’il faut apprivoiser

Celles et ceux-là ne sont d’ailleurs plus l’unique présence de vie sur Terre : des robots sont désormais chargés de monitorer la surveillance de planètes inhabitées pour y détecter de la vie. Mais certain.e.s n’ont pas conscience de leur condition d’androïde, et à travers une crise existentielle complexe, se rêvent à être humain.e.s. Nous remplaceront-iels un jour ? Plus qu’avec des collègues métallisé.e.s, peut-être sommes-nous voué.e.s à converser éternellement avec ce que nous détruisons tous les jours : le végétal. Dans un dernier épisode poétique, les plantes parlent, tombent amoureuses et pleurent l’agriculture intensive que l’on fait subir à leurs ami.e.s tomates et avocats. Et si l’humain n’en croit pas ses yeux, force est de constater que les fleurs, les arbres et tout ce qui est vert demeure probablement son seul et unique lien avec une planète dévastée par ses soins.

À l’issue de ce voyage, autant introspectif sur notre condition de géant.e.s que révélateur d’un autre chemin possible, on ne peut que ressentir un trouble croissant dans cette immersion audio très réussie. Les histoires sont superbement portées à la vie par les voix de Béatrice Dalle, Bérénice Bejo, India Hair ou encore Dominique Pinon, qui semblent croire au récit autant que nous. Et rappellent en filigrane que, sous des airs de conte radiophonique bien fictionnel, ces « murmures sauvages » ne sont peut-être plus si dystopiques que ça…

53 Wokistan
par Nina Malleret

Et si Jul était en réalité la lumière au bout du tunnel de l’obscurantisme ? La figure de proue insoupçonnée du progressisme ? Pardonnez-nous pour cette entrée en matière un tantinet barbare, façon polie de ne pas dire putaclic . Mais, maintenant que votre attention est nôtre, permettez-nous, au travers d’un florilège de punchlines tout droit venues des quartiers nord d’une Massilia résolument inclusive, bénie à la fois par la Bonne Mère et par le J — parce que c’est le S — d’essayer de vous convaincre sans fléchir du genou de l’absolu sérieux de notre déclaration. Il pourrait paraître un peu cloche de souhaiter placer sur le haut du panier un petit mec blanc en claquettes-chaussettes. Notre choix peut être résumé en quelques maigres points.

« J’men tape de vos discours... »

En bande organisée, personne peut nous canaliser. Un vers ; quatorze syllabes ; un sonnet qui fait vibrer les stades (le Vélo’) ; un hymne érigé en devise pour un pays qui part à vau-l’eau. D’un pays, disions-nous, qui s’en pine d’obéir, mais qui fait bien prévaloir la valeur du collectif. Une vision qui nous plaît, à nous. A vous, peut-être ? Dans un Wokistan où l’on préfère le bien public et le partage, nous suivons scrupuleusement le modèle de notre nouveau raïs et nique sa mère ceux qui parlent mal de [notre] team

« ... Derrière le bonheur moi je cours »

Le J est un des rares à affirmer ouvertement son total désintérêt pour la thune, en témoigne ses nombreuses punchs à ce sujet : Je m’en fous tellement de l’argent que je dis rien quand ça profite, déclarait-il en 2018 (« Je t’aimais bien », La Zone en personne). Foncièrement anti-capitaliste, hostile à ces démonstrations ostentatoires, il voit la réussite au travers de valeurs plus personnelles, liées à la qualité de son travail, sa créativité, à l’approbation populaire. Plus besoin d’aller chez Lacoste depuis qu’j’suis fait d’or et d’platine (« Bande Organisée », 2020). Dans le futur que nous nous imaginons, nous travaillerons si nous le souhaitons. La productivité ne sera plus un critère, quoiqu’en dise les 230 albums que notre gâtée préférée est capable de pondre à l’année (comme quoi, sans contraintes, on produit encore !). Dans notre futur, nous produirons si nous le souhaitons, et quand nous le souhaiterons, nous ferons profiter la team sans rechigner, sans râler, mais surtout nous aimerons.

Wokistan

« Mama, t’es ma vie, t’es mon sang »

Car si Jul incarne bel et bien une valeur, un sentiment, une émotion, ce ne peut être que l’amour. Cet amour, sa mère en est la première et plus privilégiée des récipiendaires, « Mama, t’es ma vie, t’es mon sang // J’ferai tout pour toi Mama », car, comme il aime à le rappeler, « [Sa] mère c’est [sa] reine ». Il en est persuadé, l’amour filial se doit d’être universel. En adorable fiston, il chante la préciosité de ce lien, tout en gardant à l’esprit l’autre principe cardinal de son art, le collectif. Tel un La Fontaine des temps modernes, un La Rochefoucauld en crocs, il nous délivre ce précieux conseil, mantra d’une vie sous les auspices les plus merveilleux : « Ta mère c’est de l’or, la fait pas pleurer pour de l’argent ».

« Lunette comme Matrix ; Gazeuse, matraque »

Le collectif se heurte aux forces résistantes conservatrices : c’est le propre de leur classe, dans notre nature de les combattre, de notre devoir d’y parvenir. Jul nous enseigne bien que nos énergies individuelles doivent êtres mises au services d’actions oppositionnelles : « Voiture volée ; C’est le son de la gratte ! T’es poursuit ? Rends fou la BAC ! Surveille l’immat’ ; Rend fou la BAC. » Retour à l’envoyeur de la politique de l’emmerdement. Artiste complet, surtout au contact des autres artistes au complet, le rap marseillais renvoie à un système politique complet, dans lequel l’opposition à un État policier ne prend sens qu’en vertu du principe de communion précédemment exposé : « Sur du Alonzo Jul, le quartier caillasse les forces de l’ordre ». En somme : les caillasser, oui ; au nom du Wokistan, surtout.

« On voit que ses fesses gros »

On se plaît à imaginer notre monde du futur comme débarrassé de toute once de misogynie. Nous prions les mains vissées à s’en rompre les phalanges qu’il sera par venu à éduquer nos fils. En cela, Jul représente un défi, un exemple de rédemption à fabriquer. Car si nous souhaitons le propulser à la tête de notre mouvement, d’utiliser ses mots en porte-étendard d’une nation plus juste et utopique un peu con-con, c’est qu’on en a, du pain sur la planche. Mais, c’est le museau enfariné que nous sommes prêt.e.s à mettre les mains dans le camboui. Prêt.e.s à transformer des « De pote à pute, y’a qu’une lettre qui change », des « Trop font les filles sages // Sous son jean se cache un string ficelle » ou encore des « Tu sais qu’une femme qui se respecte, ça vaut plus cher que de l’or » en des tournures nettement moins triviales. A force d’acharnement, nous parviendrons à mettre fin à cette vision bas de plafond et très clairement binaire de la femme. On jure donc, la main posée sur la relique la plus précieuse de Jul - Ma Paranoïa - qu’on s’échinera, s’époumonera même à effacer de sa petite tête de pioche toute once de misogynie.

« Laissez Ju-Ju-Jul tranquille »

À l’arrivée, le doute n’est plus permis. Jul égérie du Wokistan ? Et comment, et à pieds joints ! Une grandeur d’âme (« Jugez moi ça définira pas qui je suis mais qui vous êtes »), une sensibilité à toute épreuve (« Vive l’OM quand ils mettent un but, ils m’mettent les frissons »), une vie autonome dictée par le comblement (« On aime pas les putos ; Les moutons, les matons ; Je les fume comme le pét’ du matin ; C’que j’entends, je m’en tape »), voilà la charte constitutionnelle d’un territoire véritablement autonome, hors des lois battues. Bref, « Tu partages le son gros ? ; mercé ; Tu soutiens la famille ? mercé ; Tu fais le signe JuL ? mercé ». Que nous dira Jul une fois installé sur la scène du Wokistan ? Mercé ! Que lui répondrons-nous, à l’écoute de ses préceptes ? Mercé.

55 Wokistan

L’entrée se fait par une porte en bois, entourée par des lierres grandissants. Dans un lieu imposant aux allures futuristes, fait de béton et de murs blancs, nous voilà bien petit.e.s face à l’immensité des monuments en ruine du peintre du XVIIIe siècle Hubert Robert, desquels jaillit un avenir apocalyptique de destruction. Rotation vers la droite : nos yeux scintillent face à ces nombreux hologrammes projetés contre la paroi, art intangible produit par l’intelligence artificielle, et pourtant bien réel. Quelques pas encore à gauche, les sculptures en carton d’Eva Jospin envahissent le hall d’exposition, comme les quelques témoins de la matière recyclable qui survit malgré le temps qui passe. Dans cet endroit imaginaire à vocation hautement inclusive, qui ne saurait fermer sa porte aux curieux.ses, aux initié.e.s et aux flâneur.se.s, le musée vibre encore.

Et dans le monde de demain, l’art restera. Les expositions seront toujours, nous l’espérons, ces chemins de partage que nous chérissons. Un écosystème de transmission, d’une génération à une autre, de toutes ces idées, ces reliques, ces matières et ces formes. Dans ce futur incertain que nous tentons de célébrer, l’art demeurera ce pont entre les individus, comme un véritable fil rouge entre des électrons libres éparpillés dans le monde. Dans les temps qui viennent, l’art parlera de ce qu’il nous reste et nous racontera. De la Grèce Antique jusqu’au mouvement de l’hyperréalisme, des pans entiers de l’histoire ont été couverts, représentés, documentés. Une question alors : qu’en est-il de l’art de demain ? Quelques réponses dans les pages à venir.

L’art recyclable en 5 artistes contemporains

C’est bien connu : l’art est la matière. Mais pourquoi s’enticher de matériaux à créer lorsque l’on peut réutiliser ce que l’on a sous la main ? Cette interrogation, aussi contemporaine sonne-t-elle, n’est pourtant pas uniquement liée à la crise environnementale que nous traversons aujourd’hui. (Petit) tour d’horizon de quelques artistes contemporains qui récupèrent pour mieux créer.

Si l’upcycling semble être une tendance développée ces derniers temps, certains de nos prédécesseur.se.s pourraient affirmer le contraire. Preuve en est, par exemple, avec Georges Braque. Dès les premières années du XXe siècle, il utilise des matériaux pauvres qu’il combine avec la peinture. Le mouvement du dadaïsme, par la suite, se met à son tour à la page en valorisant les déchets et en leur octroyant une nouvelle signification : celle d’un véritable élément artistique, qu’il convient alors d’associer à des matériaux dits plus nobles. En opposition à la société de consommation et au modernisme, nombreux.se.s sont ceux et celles qui ont œuvré à la réutilisation de matériaux délaissés, dévalorisés, jetés… pour leur donner une seconde vie. En 2023, le recyclage, le tri, l’upcycling ou encore le DIY (pour Do It Yourself) sont à la portée de chacun.e. Et certain.e.s artistes de notre temps, loin d’ignorer les conséquences dévastatrices de la matière tangible sur le monde qui nous entoure, ont choisi de basculer du côté de celles et ceux qui rêvent d’un autre demain, où l’on marche sur de la terre plutôt que sur des déchets.

Nick Gendry

Il a grandi avec les cassettes VHS, les polaroids, les disquettes… et ne les a jamais quittés. Aujourd’hui, Nick Gentry s’inspire quotidiennement de l’impact de la culture internet pour créer. L’artiste britannique, collectionneur d’unités de stockage sonores ou écrites, est désormais un expert en reliques technologiques. Envoyées des quatre coins du monde par ceux qui suivent son travail, elles sont le support direct de ses œuvres. À mi-chemin entre robots et vivants, ses portraits d’individus peints directement sur des cassettes ou des disques (matériaux devenus obsolètes) dessinent une conversation entre le processus digital et celui créatif. Et posent, à travers ces dessins majestueux, une question inévitable : l’humain peutil éternellement être compatible avec sa propre technologie ?

58 Visiter

Eva Jospin

Elle dompte le carton comme personne. D’abord choisi pour sa facilité de procuration, le matériau est aujourd’hui son véritable outil de prédilection. C’est lui qu’Eva Jospin exploite à merveille dans ses sculptures et installations, souvent de très grandes dimensions. Avec une minutie de découpage et de collage impressionnante, la plasticienne française nous incite à penser la pérennité de l’œuvre. Nous plongeons avec elle à l’intérieur de ses paysages de forêts, jardins, grottes ou nymphées pour déambuler à travers l’imagination de la parisienne. En alliant symbolique et inconscient collectif, Eva Jospin laisse libre court à notre interprétation. Et nous convie, dans ses commandes pour le Louvre ou le musée Giverny autant que ses expositions plus intimistes, à arpenter le rêve.

Théo Jansen

On l’appelle (rien que ça !) “le sculpteur de vent”. En 25 ans, Theo Jansen a réalisé une quarantaine de Strandbeest, ces bêtes de plage qu’il construit à l’aide de tubes en plastique. Prévus à l’origine pour des installations électriques, ces matériaux ne sont trouvables qu’en Belgique ou au Pays-Bas, d’où l’artiste est originaire. Son travail, sorte de myriapodes géants réalisés grâce au PVC, se meut grâce à l’unique force du vent. Souvent installées sur la plage ou sur les jetées fortement exposées à l’air, ses œuvres recyclables s’inscrivent dans le courant de l’art cinétique, soit l’art du mouvement. Inspiré par la théorie de l’évolution génétique mêlée à celle du design, Theo Jansen, à la fois ingénieur et créatif, ne dément pas de ce qui fait le coeur de son travail plastique : la poésie, toujours.

Tomo Koizumi

« Je pensais que l’on me rangeait dans la catégorie costumier », indiquait-il au magazine Vogue France en 2021. Depuis, Tomo Koizumi est devenu l’un de ces artistes incontournables, un couturier aux mains d’or, caractérisé par ses créations colorées et majestueuses. Le créateur nippon s’impose désormais comme un esprit libre et hautement exubérant avec ses robes aux couleurs éclatantes, faites de tulle entièrement recyclée à base de bouteilles plastiques. Pour ses collections de mode, il utilise également la soie d’invendus de kimonos, trouvés dans une usine de Kyoto. Son inspiration – qu’il puise notamment dans le manga Sailor Moon ou dans les traditions ancestrales du Japon – et son approche alternative de l’univers du vêtement lui attribuent une étiquette qui lui va bien : effervescent.

Laura Ellen Bacon

Elle n’a plus besoin d’un atelier : la nature est sa matière première. Laura Ellen Bacon s’appuie sur son enracinement dans le monde végétal depuis sa sortie des Arts Appliqués, où elle découvre la tige de saule. Aujourd’hui, elle porte avec elle un florilège impressionnant d’œuvres à très grande échelle, que l’on qualifie même parfois de semi-architecturales. La plasticienne britannique s’installe donc ici et là pour y déployer ses enchevêtrements de nœuds et de liens. Dans ses installations et sculptures presque vivantes, les fibres végétales ne font qu’un avec la pierre. Ombres, jeux de lumières, parfum de l’osier… tout y est pour faire vibrer le matériau et nous donner un frisson imperceptible. Une mélodie de formes naturelles qui n’ont qu’une seule mission : donner corps à l’invisible.

59 Visiter

LE FUTUR AU XVIIIE LA VISION POST-APOCALYPTIQUE D’HUBERT ROBERT

Représenter le futur ? Facile ! Grâce aux avancées technologiques de notre époque, et aux artistes qui s’y sont donné.e.s à coeur joie, c’est un véritable jeu d’enfant. Mais les voitures volantes zigzaguant entre des immeubles à la taille vertigineuse n’ont pas toujours été une évidence. À quoi pouvait bien ressembler le futur chez les peintres du XVIIIe siècle ? Hubert Robert se propose de nous en donner une idée…

Sur un pan de mur de la salle 932 de l’aile Sully, au Louvre, répond au Projet pour la Transformation de la Grande Galerie (1796) la toile Vue imaginaire de la Grande Galerie du Louvre en ruines (1796). De part et d’autre du tableau, la ressemblance est frappante. Les colonnes du couloir principal du musée se font face, mais n’ont plus l’éclat qu’on leur connaît. Le plafond en voûte, écroulé, forme un trou s’ouvrant sur le ciel. La nature a repris peu à peu le dessus, au milieu de morceaux de statues antiques. Seul debout, l’Apollon du Belvédère observe et, de son bras droit levé, nous invite à faire de même.

Cette vision d’un futur apocalyptique par le peintre Hubert Robert s’éloigne bien de l’avenir ultra-technologique qui s’est ancré dans l’imaginaire collectif. Il manque une bonne dose de science-fiction et d’espace intersidéral. Pas très Star Wars donc, mais presque un peu Wall-E. Le petit robot aurait pu se balader dans ces décors aux airs de planète déserte et trouver une pousse de basilic entre deux énormes morceaux de colonnes ioniques. Une vision de l’apocalypse ? Le majestueux Louvre, élément du rayonnant patrimoine français, devenu un squat ? C’est en tout cas une œuvre qui rappelle la formation des peintres européens du XVIIIe siècle, et de Robert en particulier. Il passe beaucoup de temps en Italie, pour observer les Maîtres et surtout les ruines, qui envahissent la ville de Rome à cette époque. « Vue imaginaire [...] » d’un futur parmi beaucoup d’autres possibilités, cette vision, datant du siècle des Lumières, s’inscrit également dans une époque : celle de la Révolution. Le roi se fait couper la tête, et les édifices nationaux sont détruits : le Louvre aurait aussi pu y passer. Cet art du futur existe, et cet établissement détruit – permettant aujourd’hui le rayonnement du patrimoine – semble entièrement faire partie de la vie des personnages dépeints au premier plan. On cuisine, on dessine, on fait les curieux… C’est une branche plausible de l’histoire de l’humanité qui n’a pas (encore) été empruntée.

Mais le développement des sciences (et de la médecine) permet l’approfondissement, du moins l’idée, d’une machine pour aller dans l’espace, et qui aurait pu donner lieu à une peinture moins désenchantée. Les premières esquisses de « vaisseaux spatiaux », par l’ingénieur français Jacques de Vaucanson, font leur apparition en 1738 (et sont aujourd’hui conservées à la Bibliothèque nationale de France). Ce sont les débuts d’une science-fiction qui ne porte pas encore son nom, et s’inscrit plutôt dans la philosophie. Les créatures extraterrestres sont déjà bien présentes dans la littérature : on en trouve chez Voltaire, avec Micromégas (1752). Décrit.e.s comme des géant.e.s, les habitant.e.s de l’étoile Sirius (dont fait partie le personnage principal) font « [...] huit lieues de haut ; j’entends huit lieues de France, qui valent vingt-quatre de nos lieues. [Leur] grandeur n’était rien en comparaison de celle de [leurs esprits]. »

La peinture du français Hubert Robert reste finalement bien terre-à-terre pour un imaginaire pourtant très développé. L’artiste reste classique et ne laisse pas les petits bonhommes verts prendre le dessus. Une impossible avant-garde qui aurait donné une vision de la zone 51 bien avant l’heure. L’œuvre choisit l’aspect politique et esthétique de l’époque, permettant à son auteur un succès de son vivant, plutôt que la guerre des étoiles.

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par Sophie

SIECLE : POST-APOCALYPTIQUE

Sophie Baudouard

LE MUSEE DE DEMAIN, A PORTEE DE MAIN

LE MUSEE DE DEMAIN, A PORTEE DE MAIN

Depuis la loi d’accessibilité de 2005, tous les établissements français accueillant du public sont tenus d’être praticables par tous. te.s. Flanqués de rampes d’accès flambant neuves, les musées se targuent d’ouvrir leurs portes vers leurs trésors à qui osera pénétrer les lieux. Chouette. Mais une fois dans les espaces d’expositions, que faisons-nous des personnes pour qui l’expérience muséale se doit d’être faite différemment ?

Quelles sont les propositions de médiation faites pour celles et ceux en situation de handicap sensoriel ?

« Des dispositifs sont mis en place par les musées. Ils ouvrent certes la voie mais beaucoup restent encore trop oculocentrés, peu ou pas véritablement adaptés aux personnes non ou malvoyantes » déplore Charlotte Mounier, co-conceptrice du podcast Surface Sonores. Le projet, en partenariat avec le Centre Pompidou, s’est donné pour mission de travailler sur des formats auditifs spécialement adaptés à des publics déficients visuels. « À l’origine, nous organisions des visites en binôme in situ, un.e étudiant.e en histoire de l’art accompagnait une personne non ou malvoyante et se chargeait de lui faire une visite guidée, très axée sur la description des œuvres. Mais avec le covid, il a fallu improviser ». Pendant les périodes de confinement, l’envie de reproduire ces mêmes visites avec les moyens du bord s’est manifestée, et des présentations d’œuvres ont été organisées par téléphone. « C’est à partir de ce momentlà que l’idée de Surfaces Sonores est née ! ». Avec des présentations davantage préparées, les équipes se sont appliquées à repenser les méthodes de description des œuvres.

De façon plus générale, les dispositifs de visites adaptés aux personnes en situation de handicap visuel peinent à se détacher du modèle de l’expérience collective. C’est en partant de ce constat que Nicolas Caraty, médiateur au musée d’Aquitaine et lui-même déficient visuel, a mis sur pied le « Parcours Sensoriel ». « L’objectif, c’était d’attirer un public plus individuel, qui n’a pas forcément envie d’être sous le joug d’une association » confiet-il. Tout au long de l’exposition permanente, il est maintenant possible de briser le mythique mantra du « pas touche » et de découvrir certaines œuvres exposées avec les mains. À l’aide de reproductions, d’un souci du détail quant aux matériaux utilisés - au plus proche des originaux - le tout doublé d’un dispositif olfactif et triplé d’un autre auditif, tous les moyens sont bons pour permettre à tous les publics de vivre une expérience muséale hors du commun par soi-même dans les mêmes espaces qu’à l’accoutumé. « Le parcours est très clairement axé sur le bâtiment des collections permanentes mais nous essayons presque systématiquement d’incorporer le dispositif sur les expositions temporaires. Malheureusement, ce n’est pas faisable à chaque fois, tout dépend du sujet ». Il est en effet assez évident d’exhorter l’imaginaire d’une sculpture par la reproduction. Néanmoins, pour ce qui est de la peinture, de la photographie ou d’autres supports nettement moins adaptés, la tâche reste ardue.

« C’est également à ce moment-là que de nombreux.ses auditeur.rice.s nous ont confié ne pas trouver les audioguides proposés par les musées suffisamment adaptés à leur handicap ». En effet, les audioguides sont conçus pour tous les publics et ainsi partent régulièrement, pour ne pas dire systématiquement, du principe que le.a visiteur.euse peut se passer d’une description préliminaire. Que le.la visiteur.euse « voit » l’œuvre dans sa globalité.

« Il est véritablement important de poser un cadre dans un premier temps, avant de passer au particularisme. Pour une personne aveugle de naissance, la description du positionnement d’un corps sans le décrire dans la composition générale de l’œuvre n’a pas vraiment de sens ! ».

« Lorsque l’on voit, on ne se forme pas de la même façon à l’image, au visuel, à l’éducation et aux connaissances visuelles, à la perspective et à la façon d’apprendre à voir qu’une personne déficiente visuelle. C’est donc toujours un gros casse-tête ! » regrette Nicolas. Mais les vannes semblent ouvertes un peu partout en France. Timidement, mais ouvertes. Entre la « galerie tactile » du Louvre, les « Nuits Noires » à Villeurbanne ou encore l’association des Beaux-Arts de Rouen, Bordeaux, Lille, Nantes et Lyon autour du projet « L’Art et la Matière, prière de toucher », les initiatives semblent pulluler. De quoi offrir de nouvelles perspectives pour un champ de médiation encore trop peu exploité.

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À qui l’art par I.A. profite-t-il ?

Est-ce que tout le monde a le droit de prétendre au génie ? Si vous posez la question à un.e fanatique d’art par I.A. (comprenez, la génération algorithmique d’images ou textes jugé.e.s esthétiques), il ou elle vous répondra que oui. Grâce à la technologie, chacun et chacune d’entre nous pourrait monter sur les épaules des géants qui nous ont précédé.e.s et pondre un Picasso, un Manet ou un Kahlo. Je dis bien « pondre », et pas « peindre », car il n’y a aucun geste créateur dans cette opération. Il suffit de rejoindre un site comme Midjourney, saisir son « prompt » –ses consignes – et regarder les mathématiques opérer. Voilà les élites artistiques bien feintées. Le Beau ne serait qu’à une poignée de bits de distance ; s’échiner à perfectionner son art, maîtriser la technique, appréhender la théorie des couleurs seraient les oripeaux moribonds d’une génération obsolète de nanti.e.s des Beaux-Arts, sortes de gardien.ne.s du temple de l’Art. À tel point que nombre d’entreprises signalent déjà recevoir des portfolios bourrés de créations par I.A., leurs expéditeur.rice.s bombant le torse, enhardi.e.s par le profond sentiment d’avoir démontré l’inéluctabilité bien-fondée du progrès.

Oui mais voilà, des idées, tout le monde en a. À moindre d’être victime d’aphantasie, ce trouble qui ôte la capacité d’imaginer – statistiquement rarissime – il est aisé de concevoir un paysage relativement plaisant, un personnage charismatique ou un squelette d’intrigue, et de renseigner ces fragments de création dans un algorithme. Puisqu’ils et elles ne se donnent pas la peine de faire émerger leur potentiel à travers l’entraînement et l’effort, la vaste majorité des gribouilleur.se.s par I.A. se retrouve incapable de créer une œuvre singulière. Des petit.e.s malin.e.s tentent bien de réfuter les accusations de plagiat, faisant remarquer que chaque œuvre d’art est, peu ou prou, un assemblage d’idées agglomérées au fil de notre existence. Oui, mais pour acquérir cette « valeur artistique » si évasive, ces idées sont recombinées et présentées (en principe) avec un contexte nouveau, un regard neuf, bref, ce je ne sais quoi qui fait toute l’unicité d’un.e artiste.

Or, se reposer sur un outil mathématique annihile toute possibilité de création artistique. Si vous donnez deux fois la même idée à un.e même artiste, il ou elle pourra vous proposer des réinterprétations selon vos besoins. Renseignez deux fois le même prompt dans le même générateur et vous aurez des résultats sensiblement similaires, assemblés à partir du travail de vrai.e.s artistes, bien souvent de manière complètement illégale. Le processus est complètement inadapté à des tâches de direction artistique, par exemple.

Sans compter que le culte de l’art par I.A. dissimule un vaste réseau quasi-mafieux de contrebandier.ère.s de l’esthétique, des pillard.e.s engloutissant des téraoctets d’œuvres artistiques contre le gré de leurs pères et mères. De l’imposteur.rice égoïste à l’ingénieur.e ripou, le milieu de l’art par I.A. n’est pas reluisant, bien au contraire. À la façon des NFTs, ce microcosme s’échine à démontrer chaque jour sa nocivité. Clarkesworld, gros éditeur de nouvelles de genre (science-fiction et fantasy), a dû temporairement fermer les écoutilles à cause d’un torrent d’écrits artificiels de très mauvaise facture. Filtrer cet afflux indésirable est devenu trop difficile pour leurs moyens humains. Si la technologie ne profite ni aux artistes, ni aux éditeur.rice.s, ni au public, pourquoi acceptons-nous de laisser une poignée d’illuminé.e.s de la Silicon Valley nous inonder de leurs insanités ?

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QUE VA-T-ON DEVENIR ?

L’évolution future de l’espèce humaine… Un sujet qui fascine autant qu’il effraie, surtout quand les médias l’abordent. Entre les catastrophes naturelles, la crise climatique, la robotisation et les pandémies, chacun.e se demande aujourd’hui ce qu’il et elle va devenir dans les prochaines années.

Tel.le un.e hypocondriaque, inquiet.e de sa petite angine, vous vous dirigez sur Doctissimo. Page trois, vous pouvez lire ce qu’inconsciemment vous espériez ne jamais vivre : « cancer de la gorge ». La liste des symptômes correspond à tous vos maux. Au fil de la lecture, votre cœur s’agite. Et votre monde s’écroule. Ce banal coup de froid qui paraissait être une épreuve surmontable se transforme, en un rien de temps, en cauchemar. Devant cette douloureuse nouvelle, vous relativisez très vite. Trop vite presque. Cette angine vous tuera. Et même si ce n’est pas le cas, le futur s’en chargera.

D’un coup, d’un seul, vous quittez cette maudite page. Pour vous changer les idées, vous vous dirigez vers votre magazine préféré, Vice. Vous espérez tomber sur un article plutôt drôle. N’en déplaise. « Un nouveau rapport prévoit la fin de la civilisation humaine pour 2050 », pouvez-vous lire en gras, alors que vous n’avez toujours pas fait le deuil de votre propre existence. Ce n’est pas, vraiment pas le moment. Alors que votre temps est déjà compté, la faute à cet auto-diagnostic réalisé dix minutes plus tôt, la petite voix dans votre tête vous susurre maintenant que vous n’avez, de surcroît, rien réalisé dans votre vie. Plus terrible encore, vous n’allez sûrement laisser aucune trace de votre histoire dans l’Histoire.

Un constat difficile à digérer. Mais ne vous flagellez pas. Aujourd’hui, en 2023, certains médias - notamment le webzine Trust My Science, dit « le meilleur dans l’actualité scientifique » - se posent d’ores et déjà cette question : « Serons-nous un jour capables de transférer une conscience humaine dans un ordinateur ? » Probablement. Imaginez.

Vous allez pouvoir changer le cours de votre vie, et ce, même avec un corps mort. Si vous n’avez pas eu le temps de réaliser vos rêves les plus fous, c’est peut-être derrière un écran, au chaud dans un système informatique ou bien loti.e dans une carte mémoire, que vous pourrez les accomplir. Vous voyez ? Si un problème a une solution, alors il est inutile de s’en inquiéter.

C’est difficile à concevoir mais vous êtes presque un.e petit.e chanceux.se. Pendant que vous allez vivre dans votre petite bulle informatique bien rangée et bien codée, alors que vous profitez d’une réinitialisation quotidienne pour effacer les péchés d’une vie antérieure, la réalité sur la planète Terre s’annonce tout autre. « Des rats, des moustiques et des corbeaux : voilà à quoi va ressembler la Terre », pouvez-vous lire sur La Vie, le magazine chrétien d’actualité, alors que vous vouliez juste retrouver la foi en vous rendant sur le site. Mais bon. Vous n’êtes vraiment pas en position de vous plaindre, vous qui avez connu de ridicules lancers de colombes lors du mariage de votre meilleure amie Gwen.

Alors oui, avec toutes ces nouvelles, les questions tourbillonnent dans votre esprit. Ambitions professionnelles, voyages, ami.e.s… Peut-être rêviez-vous de fonder votre propre famille, pour éduquer vos enfants avec la meilleure des volontés, pour créer un monde plus juste, plus égal, moins discriminant. Vous pensiez qu’ils et elles allaient peut-être changer les choses, voire les renouveler… Détrompez-vous. De nouveau, un article vous interpelle. Titré en gros, vous pouvez lire : « Nos enfants connaîtront la superintelligence artificielle, les colonies martiennes et la guerre nucléaire. » Qui peut espérer un futur pareil pour sa progéniture ? Pris.e de panique, vous fermez avec violence l’écran de votre ordinateur. Trop, c’est trop ! Vous essayez maintenant de reprendre vos esprits. Vous raclez le fond de votre gorge pour jauger la douleur des maux qui vous ont conduit jusqu’ici. Et finalement, ça va mieux.

Non-identifié

La dernière chronique avant la fin du monde

Lundi, 15h30. Nous en sommes déjà à la troisième réunion de préparation d’OMNI, et au bout du cinquième « effondrement », du sixième « décroissance » et d’une énième proposition d’article autour de la mort, je me dis que, peut-être, il faudrait mettre un peu de soleil dans notre magazine. Je regarde à ma gauche, à ma droite, et je me rends compte que parmi ces aspirant.e.s journalistes déjà ridé.e.s à 23 ans, dont la joie de vivre a été aspirée par le travail universitaire et les espoirs réduits à néant par un marché du travail impitoyable, aucun.e.s n’a l’énergie ni l’envie de se lancer dans une diatribe humoristique. Soit, s’il le faut, j’en prendrai la responsabilité. Mais que raconter de léger dans un magazine qui prédit un avenir damné qu’il nous incombe de sauver ? Je réalise qu’il n’y a bien qu’une seule chose à faire quand l’avenir est obscurci : demander à une voyante de l’éclairer.

Ni une, ni deux, je fais appel à une médium et me voilà place de la Bastille. Point d’antre mystique ou de boules de cristal, nous voila attablées dans un café tout ce qu’il y a de plus normal. Devant moi, quatre feuilles remplies de griffonnages par une dame au demeurant fort sympathique, qui m’explique en une heure qui j’ai été, qui je suis et qui je serai. Qu’on ne s’imagine pas de diableries folkloriques, autres conversations avec les morts et lecture des lignes de la main, la dame ne m’a même pas (à mon grand regret) tiré les cartes. J’ai eu le droit, moyennant la somme de cinquante euros (dont j’attends toujours le remboursement par mon cher comité de rédaction) à une séance de numérologie. Il ne s’agit pas d’arithmétique ni d’une sorte de remake de « Des chiffres et des lettres », mais bien d’un calcul savant qui, selon ma date de naissance et l’addition des lettres de mon prénom, dessine mon chemin de vie.

Aussitôt, vous vous dites « charlatanisme » ! Et je ne saurais vous en empêcher, ayant moi-même peu confiance en les chiffres, suite au traumatisme laissé par l’apprentissage des tables de multiplication étant petite. Sachez pourtant que ces numéros-là ne sont pas maléfiques et que j’ai été bien impressionnée, tant par le professionnalisme de la numérologue que par les prédictions qui m’ont l’air tout à fait vraies.

Sachez donc que mon chemin de vie porte le numéro 8. En plus d’avoir été le chiffre le plus tatoué en 2011, lors de la sainte période dite du « tatouage infinity », c’est aussi le chiffre du « tout ou rien ». Il signifie que je peux être dans l’excès ou au fond du trou, mais jamais entre les deux, et ça tombe plutôt bien, car je ne sais pas faire de grand écart et entre nous, je ne suis pas très souple. Parmi d’autres révélations cosmiques, j’ai appris que j’ai un « grand besoin de stabilité », que les temps de repos me sont nécessaires et qu’il m’est « primordial d’avoir une bonne hygiène de vie ». À ces mots, qu’une brochure d’EHPAD n’aurait pas reniée, me voilà prise de panique. S’il m’est possible de respecter ces consignes aujourd’hui, comment les appliquer en 2060, quand nous vivrons tous sous 40 degrés, que le grand effondrement aura eu lieu et que ma salle de bain aura été remplacée par un champ en permaculture ? Heureusement pour moi, la peur d’être seule que m’a diagnostiquée la voyante est une bonne alliée. Grâce à cette anxiété qui m’attaque dès que mon téléphone s’éteint, je saurai me faire des relations dans ce nouveau monde. Mais voilà qu’on me prédit du succès dans les affaires, et un penchant pour l’exercice de l’autorité. Les chiffres s’additionnent dans ma tête quand tout d’un coup, j’ai trouvé : je sais comment sauver le monde. À la fin de l’heure de voyance, me voilà décidée : lors de l’effondrement, je prendrai la tête de la toute première communauté autonome. Vive la fin du monde, vive ma dictature, et merci la voyante !

ObjetMagazine NoIdntfé

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