Catalogue d'artiste / Stéphane Brahem

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On est toujours plus ensemble qu’on ne le croit, on est beaucoup plus ensemble qu’on ne le pense, dans un sens collectif, lié à l’autre, influencé par sa vision et le nombre. On est jamais seul à penser ce que l’on pense sans que des formes sociales, culturelles influencent, élèvent ou pervertissent cette pensée. « Chacun de nos organismes est une république de 30 milliards de cellules » et l’Humanité... La culture planétaire est le mal du temps et le mot sans temps, son langage nous pense seul, isolé, sa forme nous objective, objectif d’une nourriture sans sujet. Mais cet être là se pense sans y penser, absorbé par l’illimité de son inconscience. —————————————— Ainsi pour concevoir il nous faut considérer turbulence, collision, diaspora. Je ne suis plus moi même, c’est ce que je pense, répétant après moi les mêmes mots : « Je ne suis plus moi même». Un léger sifflement se repend entre les aboiements et autres sonorités quotidiennes, son intensité est plus faible mais sa persistance et sa régularité le rend plus imposant voire même insupportable. ————————————— On ne peut s’empêcher d’aimer, on ne peut s’en empêcher. On ne peut s’empêcher de croire. On ne peut s’empêcher de penser. On ne peut s’empêcher de se faire des images. On ne peut s’empêcher de se faire croire. On ne peut s’empêcher de voir. On ne peut s’empêcher de croire ce que l’on voit. On ne peut s’empêcher d’être hors de soi. On ne peut s’empêcher d’en faire des mythes. On ne peut s’empêcher de respirer. On ne peut s’empêcher de douter. On ne peut s’empêcher de créer une réalité. On ne peut s’empêcher de communiquer. On ne peut s’empêcher de s’affecter. On ne peut s’empêcher de reconnaître. —————————————————— J’y vois le pendant des mots, ceux asservis à la domination. J’y vois le « substitut du dispositif immunologique implanté dès l’enfance contre l’étranger », contre l’étrange, « l’infonctionnel ». J’y vois l’interaction entre le statut du réel et l’esprit qui le réalise, qui librement se représente une identité commune comme une altération constante. J’y vois une exigence indéterminée vers l’amour du futur non comme une conquête mais une procréation collective. J’y vois l’autonomie de la vision reliant ce qui est libre et pouvant ainsi lier, demeurer libre. J’y vois l’émergence comme principe archétypal du vivant et de sa variété. J’y vois l’émergence autour de laquelle gravitent les aspirations, les songes, les désirs, les besoins de désir qui animaient le grand mythe d’émancipation et de communauté. J’y vois parce que la vision me possède et que je peux l’investir de ce qu’il y a de mieux en nous. J’y vois pendant tout le temps où je n’y vois rien, où je ne pense rien et même quand je ne me « prends pas le tête » c’est elle qui me prend. ————————————— Dépassé par un songe, le langage observe ce qui le meut. Tout à l’heure les visages, les flux d’hormones modifiant la conscience. A perdre cette lucidité, mythe des jours. Mais non ce n’est point cela dont me parle cet homme. Il sait dans son ventre qu’il n’y a pas d’autre média pour l’exprimer, ce n’est même qu’une constatation, une fatalité, il n’y a que la peinture pour rendre compte des expériences sensibles qui le traversent. C’est ainsi que s’exprime le monde qui l’habite. Ces quelques mots son fades comparés à la fièvre vitale, à cette joie brute qui s’érige. Elle parie tout dans un acte dérisoire. Il s’y engage et entre dans un jeu dont les inter-retro-actions sont des expérimentations du vivant dans son milieu. Un dialogue est né dont l’autonomie implique la question très ancienne de l’amélioration des relations entre humains, entre l’humain et ce qui le possède. C’est ce qui lui, le possède comme un esprit, une vision d’ensemble, un mieux commun. C’est ce qui lui, nous possède, la distance étant si ténue, les frontières si minces. —————————————————————————————— Je suppose que le répit élémentaire vient de là, non de la distraction mais de l’occupation des lieux, la prise de possession par le point de vue, par l’imaginaire tel qu’il est, c’est à dire : envoûtant. C’est en cela que notre pensée doit trouver des modes d’investigation de l’impensée qui la gouverne. La structure nous pense autant que nous nous en servons pour penser. Structure-Vision. Repenser la structure de notre pensée par la forme et le langage. Envoûtement poétique. Rechercher l’incommunicable par le mode de la « communication » et notamment l’écriture.


Le corps pense. C’est là

l’aventure

éminemment

politique. C’est là l’être debout qui se pense, qui mime l’être et le devient passant de façon imperceptible du Jeu au Je par le biais du récit interne. La relation se crée, le récit se fait, comme le corps s’investit dans la conscience, comme le corps s’investit dans l’espace. La substance rêve à une liberté frayant au chaos même de leurs rapports. Il est là face au vent, opaque, de cette opacité qui protège le divers et la nuance. L’horizon des causalités est sans commune mesure. On sent le MAGMA sous nos pieds, instable, gonflé, liquide puis solide. Il est là le langage jamais fixé par les mots qu’il emploie, par les désirs qu’il signifie. Le corps est le langage, sa source, son imaginaire. Il produit l’individuation ; L’enrichissement de l’être dans la relation. C’est dans la relation que se forme la respiration de l’individu et du collectif. ———————— Accepter en soi cette poétique, cette langue respiration. Se donner la liberté de choix, dans un désir de divers. Une onde sensuelle me traverse, émet son frisson, le manque qu’elle laisse. Le temps d’un bouleversement de son intrusion dans le récit. Il n’y avait pas de mot ici la dernière fois mais la transmission de savoir se fait à chaque instant sur tout support. « Je suis » une relation en continu. « Je suis » cette étendue de l’impalpable en chair et en os. « Je suis », sont les mots de chaque individu et chaque communauté qui se forment dans les échos d’un monde qu’ils imaginent. « Je suis », un autre mythe constitutif d’où nous imaginons le récit de notre vie. ———————— Infiltrant de sons et d’images, le mot, de rêve où le langage trouve une de ses origines. On se raconte l’instant comme un événement, on caresse ses yeux tournés vers ce qui brille. Ce milieu-élément impossible à s’y réduire. Aux signes, passage perpétuel, formule de transformation et ces autres choses qui interviennent pour qu’une langue émerge. On comble la liberté de mythe, on nourrit l’imaginaire pour qu’il nous rassure sur la vie que l’on mène, qui nous mène. Possédé par elle, « moi » je veux aimer cela, réaliser ce en quoi elle me dépasse et imaginer l’infini qui habite, que j’habite. Ce qui est en moi me possède et nous possède mais il n’est jamais généralisable en savoir, il est une particularité de la connaissance. Le consentement communautaire y est menacé, dévoilant l’inaperçu du récit, de l’épique ou du tragique. Chaque acte porte son esprit, aime cette non nécessité et se servant du déséquilible-rééquilibre comme source d’énergie, d’amélioration. ——————— Il serait cet animal sur une planche comme sur une branche, un perchoir. Il serait cet animal que la recherche ne recherche pas, que les fantasmes ne rêvent pas, mais que le vide happe nous rendant à l’ignorance. Il ne serait pas là sinon, chaque matin en prélude, la peau sensible imaginant une caresse chaude aux premières notes du regard à l’angle du mur, tout cela conditionné, investie par l’absence qui serait là le même jour dans ce même corps habité qu’il est toujours, raconté par cette langue sans interruption. C’est avec elle que je choisie. C’est avec elle que l’on agit. Elle excite notre pensée à concevoir. Il serait là autonome de l’image ne cherchant pas la ressemblance qui le nourrit, qui l’accompagne.




Ces modules multidimensionnels ne présentent pas de fonctionnalité identifiée. Seule la volonté de lecture des mots écrits sur les arêtes et dans les angles déclenche chez le spectateur une action physique de recherche de point de vue et de mise au point. Par ce procédé simple et direct, Stéphane Brahem force l’attention au monde dans lequel nous vivons. Lire, regarder, voir relèvent selon ses termes « d’une opération complexe d’extraction et de reconstruction permanente à partir de notre perception visuelle d’une série de surfaces, de contours, de reliefs, de couleurs, de mouvements, d’ombres et de perspectives dans des contextes changeants ». Rendre conscient des mécanismes à l’œuvre est le but recherché. Se décoller d’une perception initiale pour voir autrement, prendre position au sens littéral et physique du terme, sont des réactions auxquelles engage la conception de ces modules. Ils viennent en alerte en invitant le spectateur à un nouveau décryptage tant des lieux que du langage. Ils s’offrent comme formes à provoquer et à projeter.

Module de résistance 02 est un étai en bois brut installé à l’entrée de l’atelier de l’artiste. C’est un signe qui de manière simple et directe renvoie aux questions auxquelles se confronte Stéphane Brahem dans le cadre de sa résidence à Mutations d’office. Installé dans les quartiers du Peyrouat à Mont de Marsan, il développe au cours de son séjour une activité de construction de bibliothèques avec les habitants. En même temps, il assiste à la destruction programmée de certains immeubles construits dans les années soixante. Cette transformation radicale, géographique, visuelle et relationnelle d‘un quartier est toujours problématique quelles qu’en soient les motivations. Ce contexte donne un relief particulier aux modules multidimensionnels. L’étai, qui appartient aux techniques et aux outils de la construction, devient la métaphore d’une action de destruction et le symbole d’une possible reconstruction. Objet de soutien, il permet le maintien et la continuité d’une situation et prévient sa fragilisation. C’est à cette réflexion qu’invitent les modules multidimensionnels. Blocs tronqués, mots insaisissables et déformés, perceptions visuelles à trouver, ils se présentent en tant que cheminement créatif qui met en jeu l’incertitude présente face à la construction d’une réalité.

Module de résistance 01 met en présence deux contreforts. Installés à l’intérieur d’un bâtiment, dans une zone de passage, ils provoquent une gêne dans les déplacements. En encombrant le couloir qui dessert les salles d’exposition, ils inversent la fonctionnalité du lieu. Ils deviennent des entraves à la déambulation tout en s’opposant à l’occupation statique du terrain. Suscitant deux mouvements opposés, circuler et stationner, les étais provoquent un équilibre instable, contrairement à leur fonction première. Pour se sortir de cette double injonction, le visiteur va devoir créer un nouveau savoir sur cet espace somme toute plutôt banal dans une expérience quotidienne.


Quant aux autres modules, ce sont les mots ou les signes inscrits qui leur donnent leur pleine légitimité. Le dessin d’un carré reporté sur les trois arêtes d’un volume est un indicateur de lecture. Les déformations spatiales qui apparaissent prennent en compte l’approche visuelle du spectateur. Selon que la vue se fait du dessus, du dessous ou sur le côté, la perception reste toujours morcelée. Ce dispositif de lecture des signes fait appel à une capacité de déduction anticipée de la globalité du message. Par ce subterfuge, Stéphane Brahem met en exergue sa prise de position. Il s’insurge contre les impératifs actuels de communication, qui produisent surtout du brouillage. Pour lui, la submersion des mots d’ordre publicitaires renforce l’illisibilité des messages. La vision, censée s’organiser autour d’un point aveugle, est soumise à des procédés d’aveuglement. La polysémie de la langue et la part inconsciente du texte se retournent en suspicion de dissimulation. Les mots inscrits sur les modules multi-dimensionnels, étendue, conforme, isoler-relier, langage immotivé, ont été méticuleusement choisis. « Testés mentalement », selon son expression, ils participent de la construction de l’environnement et de l’invention de notre réalité.

Langage immotivé du Module M n°4 met le fait de parler au cœur de la question. Pris comme une injonction, il maintient une interrogation sur ce qui nous parvient à travers tous les médias, et sur l’intérêt ou la validité des contenus. Le terme « immotivé » renvoie à l’absence de raison ou de nécessité. En même temps, l’interrogation reste ouverte sur ce qui motive, c’est-à-dire ce qui, par le langage, peut se mettre en mouvement.

Conforme du module M N°1 insiste. Conforme vise l’adéquation normative qui risque d’abraser la part singulière de chacun au profit d’une adaptation sociale qui refuserait les aspérités (qui par définition font motif). Cette interrogation sur le conforme prend d’autant plus de pertinence qu’elle apparaît dans une zone d’habitation sociale issue de l’habitat moderniste. En se référant à l’idéal d’une architecture industrielle, ce mot résonne en regard des normes qui s’imposent tant dans la construction de l’habitat que dans la fondation d’un tissu social cohérent. Dans ce parcours sans hiérarchie, où le spectateur est livré à sa libre interprétation, l’inscription Isoler, relier sur le Module M n°2 prend une valeur particulière. Écrits à l’infinitif, ces verbes invitent à l’action. Ils rendent visibles les deux pôles d’un même mouvement toujours à l’œuvre, celui d’une oscillation perpétuelle entre un monde refermé en lui-même et un monde en relation. « Nous savons beaucoup plus de choses que nous ne croyons savoir » indique Stéphane Brahem. « C’est cette relation à soi — comme autre — que j’envisage à travers ces modules. Une forme de poétique de la relation est mise en jeu à travers cette expérience et, par étendue, à travers toutes nos expériences. » jeanne quéheillard


STÉPHANE BRAHEM Né en 1969 à Paris, Stéphane Brahem sort en 1996 diplômé de l’École d’Enseignement Superieur d’Art de Bordeaux (dnsep, équivalence maîtrise). Depuis 1996, Stéphane Brahem n’a cessé de construire des passerelles entre d’une part une recherche artistique plus libre associant le travail du bois au langage, et d’autre part une connaissance plus technique des matériaux de construction et de leur utilisation en architecture. En 2007, il obtient un Brevet Professionnel de charpentier bois « maison ossature bois bio-climatique ». Il introduit ces savoir-faire dans sa recherche personnelle et notamment au travers de la conception de modules. En 2011, dans le cadre de la résidence d’artistes Mutations d’office, Stéphane Brahem s’engage avec les habitants et associations du quartier du Peyrouat à Mont de Marsan sur le quartier Nord en rénovation de Mont de Marsan, sur la création de bibliothèques à destination des chambres des enfants du quartier et expérimente aussi une série des « modules multidimensionnels ». Entre 2008 et 2010, il œuvre sur le développement des ateliers « Touchons du bois ! » en Région paca et en Aquitaine, en direction des jeunes, des personnes fragilisées, personnes en centre de détention, ou dans le cadre de projets en lien avec les quartiers sensibles. Stéphane Brahem a fondé les ateliers « Touchons du bois ! » avec une volonté d’impliquer les publics dans des projets artistiques collectifs. De 2004 à 2006, il s’implique dans le cadre des actions du collectif « Electron libre ». EXPOSITIONS 2006 2005 2005 2004 1999

Galerie Penone, Lauzanne Exposition permanente à l’Hôtel Cadogan, Londres Exposition à l’Art brut , Paris Exposition collective, Salon d’art contemporain, Anvers Performance « Frontera y cuerpo », Galerie mao, Madrid

LÉGENDE DES ŒUVRES CONFORME / MODULE M N I LE CARRÉ / MODULE M N 4 L’ÉTENDUE / MODULE M N 3 ISOLER-RELIER / MODULE M N 2 DESSINS CARNET DE NOTES CONTREFORTS / MODULE DE RÉSISTANCE 01 J’Y VOIS / PIÈCE SONORE L’ÉTAIE / MODULE DE RÉSISTANCE 02


RÉSIDENCE D’ARTISTES LIGUE DE L’ENSEIGNEMENT DES LANDES VALÉRIE CHAMPIGNY MÉDIATRICE CULTURELLE 122 RUE DU GÉNÉRAL DE LOBIT 40000 MONT DE MARSAN CONTACT 06 48 18 94 21 V.CHAMPIGNY@MUTATIONSDOFFICE.NET WWW.MUTATIONSDOFFICE.NET

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Achevé d’imprimer chez Graphit’s imprimeur (FR) Dépot légal novembre 2011 Éditions Mutations d’office ISBN 978-2-918969-05-1 Collection catalogue d’artiste ISSN 2115-1849 © Mutations d’office Stéphane Brahem Design la/projects


Prix de vente 5 €


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