Catalogue d'artiste _ Laurent Cerciat

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Des pierres et des nuages

Dans le cadre de la Résidence d’artistes Mutations d’office proposée par la Ligue de l’Enseignement des Landes, le contexte de travail est l’un des quartiers nord de Mont de Marsan, le Peyrouat. Il s’agit principalement d’immeubles construits dans les années soixante et dans lesquels se mêlent des gens issus de nombreuses ethnies, par migrations diverses ou sédentarisation. Ce quartier est en complète restructuration, de nombreux bâtiments sont détruits. D’autres projets, impliquant la géothermie et un toit végétal (pour la nouvelle crèche) vont voir le jour. Une partie des habitants est relogée ailleurs. Pour ceux qui restent, cette partie de la ville dont le modernisme faisait rêver autrefois et qui par la suite a vu son image ternie, va peut-être redorer son blason, mais en tout cas elle change de visage. Le travail plastique de Laurent Cerciat questionne de diverses manières notre rapport à notre environnement, en lien avec des parcours urbains libres et inhabituels, et le plus souvent avec la nature, les paysages et les jardins. Ici, le végétal entre dans l’urbain de différentes façons : jardin public, espaces verts, jardins privés, friches et délaissés, mais aussi avec la forêt, toute proche, menant aux jardins familiaux. Préalablement aux propositions artistiques personnelles, une collaboration régulière s’est engagée de janvier à juin avec des groupes d’habitants autour notamment de la création de sculptures et de petites architectures en osier, vivant ou sec, dans le quartier et dans ces jardins familiaux, et a instauré une dimension relationnelle et conviviale des plus marquantes. En même temps, Laurent Cerciat a entrepris de rendre compte des changements du quartier en abordant les choses par le détail, par le moyen d’une série photographique débusquant la flore spontanée présente aux environs des chantiers de déconstruction. Il est intéressant d’y valoriser les plantes sauvages puisqu’elles sont bien plus nombreuses que dans le centre-ville et que dans la vaste forêt des Landes. Leur diversité et le nomadisme de leurs semences est aussi un moyen de parler de la diversité des cultures et des populations que l’on y rencontre. Ces rudérales racontent l’activité des hommes. Dans ces images à hauteur de plantes, celles-ci occupent le premier plan tandis que le contexte urbain en mutation se déroule en toile de fond.


Une seconde série photographique propose un nouveau regard sur les arbres remarquables du quartier, que l’on finit par ne plus voir. Là aussi les essences sont nombreuses et beaucoup de ces arbres, présentés ici de manière systématique comme des monuments ou des personnages, étaient probablement déjà là avant l’implantation des bâtiments. La redécouverte de son environnement quotidien, au-delà des échanges humains, peut donc aussi passer pudiquement par une curiosité pour ces présences végétales variées, mais aussi par l’observation d’un jeu de présence/absence. L’herbe repousse là où se dressait récemment un immeuble et les tas de gravats semblent avoir tout oublié de la vie qu’ils abritaient quelques mois plus tôt. Cette dynamique de la disparition et de la ruine est justement l’objet de la vidéo Les pierres rouges, lents panoramiques sur des immeubles abattus, support à un questionnement personnel et direct, sous forme de sous-titres. Une vaste friche du quartier, véritable lieu de passage, recèle une vraie richesse botanique. Laurent Cerciat y a cueilli quelques spécimens séchés aux dimensions étonnantes : une datura par exemple, plante si belle mais si dangereuse, ou encore un chénopode, l’épinard du pauvre. Sa feuille a la forme d’une patte d’oie, d’où son nom. Et si une ville miniature s’était implantée sur ses branches élancées et fragiles ? Le rapport s’inverse, c’est une plante sauvage qui accueille l’urbanisation : ça donne Chénopolis, un jeu sur les dimensions, celles d’un autre monde, d’une très petite utopie. Autres jeux sur les échelles, les Ilots sont des petits morceaux de béton cassé, presque des pierres, provenant des chantiers du Peyrouat. Chacun porte un personnage solitaire perdu dans ses rêveries, quelques arbres en réduction (réalisés avec des racines de plantes sauvages), et devient ainsi un fragment de paysage, comme échoué.


Les déambulations multiples ont jalonné la résidence de Laurent Cerciat. Les prises de vues photographiques en ont été la motivation principale : plantes, arbres, mais aussi passages, raccourcis et sentiers urbains formés à la longue par les habitants. Les soudaines ruptures d’une ambiance urbaine à l’autre, s’en trouvent révélées. À mi-parcours de sa résidence, en mai, l’artiste a proposé une excursion atypique dans le quartier, à travers friches, pavillons et zones en déconstruction, jusqu’aux jardins familiaux. Les gens étaient équipés d’appareils photos et il en reste un chemin d’images. Une autre expérience collective a eu lieu hors les murs, lors de la Nuit de l’Écriture, organisée par la Ligue de l’Enseignement à l’Écomusée de Marquèze. Les participants étaient invités à écrire des textes à propos de la forêt sur des maisonnettes en carton. Une petite ville champignon s’est constituée en une soirée, au pied des chênes. Une ville à lire, qui a ensuite trouvé sa place sous les photographies des arbres du Peyrouat. Enfin, pour inciter les visiteurs de l’exposition en centre-ville à entreprendre une promenade vers les quartiers nord (notamment pour aller découvrir les jardins familiaux), Laurent Cerciat invite à une attention particulière aux plaques de rues. Celles-ci portent pour la plupart le nom de militaires, liés à l’histoire de la base aérienne dont on ne peut oublier la proximité au quotidien. Pendant la durée de l’exposition, avec l’installation de nouvelles plaques, les rues du Peyrouat portent aussi le nom des plantes sauvages qui peuplent le paysage urbain. Ainsi les promeneurs, entre aires de jeux et chantiers, peuvent imaginer les migrations de ces végétaux qui nous rappellent les migrations humaines, et qui après tout un périple poussent entre deux pierres, n’importe où, quand les conditions favorables sont réunies et que passent quelques nuages...



















Me voici au Peyrouat. Ça signifie pierre rouge en gascon, ou quelque chose comme ça. Une résidence d’artistes dans un quartier en déconstruction, ça donne la mesure de l’éphémère des situations. Les choses se transforment autour de vous. Des habitations disparaissent. Des tas de gravats apparaissent. Sur cette pelouse était un immeuble. Là sera la crèche. Elle aura un toit végétal et comme déjà bien des logements elle bénéficiera de la géothermie, trouvaille géniale à la suite de l’échec d’un forage pétrolier en 1976 à deux pas d’ici… etc. Le quartier se conjugue au futur, ou au passé pour les nostalgiques. Comment appréhender son présent ? Par l’idée de la ruine ? La ruine est une lente dégradation, souvent rattrapée par l’érosion naturelle. Et la nature reconquiert le terrain. Ces quartiers en rénovation sont comme mêlés de nature. Au fur et à mesure des démolitions, les écrans que formaient les immeubles tombent et révèlent quelquefois de nouveaux paysages, en dégageant ici un arbre majestueux là une friche luxuriante. Espaces verts, parcs, terrains vagues, délaissés, arbres centenaires ponctuent cette zone urbaine et les nombreux passages et sentiers formés à la longue

par les habitants ont vite attiré mon attention. Même la forêt est toute proche, menant aux jardins familiaux. Ces jardins familiaux où des gens du quartier et moi avons planté de petites architectures en osier vivant. Enraciner des choses pendant que les pelleteuses travaillent, ça crée des liens… J’ai commencé deux séries de photographies : l’une sur les arbres remarquables (une manière de les remarquer à nouveau) et l’autre sur la diversité des plantes sauvages (une manière de parler de la diversité des populations délogées et relogées). Au premier plan, une molène, un coquelicot, et en arrière-plan les chantiers. Le quartier vu par le petit bout de la lorgnette. Ce jeu sur les échelles et les points de vue est toujours instructif et amusant. Comme un japonais contemplerait son jardin sec, on peut regarder ces décombres comme une chaîne de montagnes... En tout cas la diversité florale est importante ici, bien plus que dans la forêt des Landes environnante. De ce point de vue, ce secteur urbain mérite bien d’être considéré comme un îlot, comme la municipalité en a le projet. Je proposerais même que les rues soient rebâptisées du nom des nombreuses plantes sauvages qu’on y rencontre, aux innombrables vertus culinaires et médicinales. De quoi survivre sur un îlot. Pour l’instant, les rues portent les noms de


militaires illustres, du moins je le suppose. C’est une caractéristique de cette ville, je n’avais jamais vu ça ailleurs. Aux arts de la guerre répondent corridas et combats de coqs, on apprécie ici les plaisirs belliqueux. En tout cas ces noms de rues créent un drôle de sentiment, celui d’un calme état de siège, peut-être. Avec de temps en temps un élément sonore qui trouble ce calme : la base aérienne, l’une des plus importantes de France, se trouve à deux pas des habitations. Le bruit des avions qui décollent régulièrement suspend toute conversation et vous transperce le crâne. Tout ça a beau ressembler à un paysage de guerre, rien n’y fait, je cherche toujours du regard les « forces vives » de la nature : ces plantes sauvages, qui ne se soumettent pas à la volonté des hommes, et qui s’adaptent aux pires conditions. Si ces gravats restaient là quelques temps, ils seraient vite recouverts par les rudérales : mauve, vipérine, centaurée, euphorbe, plantain, etc. Dans ce cas, ils auraient une chance de devenir des ruines. Des ruines de béton. C’est plutôt rare. Ce sont les ruines de pierres qui en général déclenchent chez nous une rêverie méditative semblant nous connecter avec l’histoire humaine, l’histoire des paysages qui en portent les marques, et l’histoire de la nature qui les efface. Quel voyage de l’esprit et quel transport des sens nous offrent

donc les ruines ? Un sentiment de fusion entre culture et nature peut-être ? Une émotion singulière en tout cas, liée à notre propre fragilité. Les restes de ces immeubles seront vite évacués, et le terrain, tranquillement déblayé, sera prêt pour de nouvelles constructions. Un cycle presque naturel, mais en accéléré. Après avoir été des maquettes grandeur nature, aux occupants variés, ces bâtiments sont maintenant un gigantesque puzzle. Quelle valeur patrimoniale aurait ce quartier si, dans un projet fou, chaque immeuble avait été abattu pour être reconstitué entièrement ensuite, fragment par fragment ? L’en aimerait-on davantage ? Ces gravats ont un pouvoir poétique très fort : comment sont donc faites nos villes ? Ils sont, pour quelques jours seulement, les vestiges d’une vie encore toute récente. Ils contiennent les rêves modernistes des années soixante, et en même temps des millénaires d’enracinement, de déracinement, de migration et de réimplantation. Les Landes, ce far west... Montaigne avait raison : nous ne sommes jamais que des locataires. Finalement, j’aime l’idée de regarder ces morceaux de béton amoncelés comme autant de vraies ruines... Des ruines rouges.








Via botanica, installation

Les arbres du Peyrouat, extrait de série photographique

Les rudérales, extrait de série photographique

Les pierres rouges, vidéo

Mi-parcours, excursion urbaine

Chénopolis, sculpture

Les îlots, installation

Sans titre, photographie

Les sentiers, série photographique


Laurent Cerciat, né en 1972 à Saint-Gaudens, vit et travaille à Bordeaux. Il fait partie de l’équipe de plasticiens responsables du Lieu d’art À suivre..., du collectif d’artistes Vous êtes ici, et collabore avec l’association d’éducation à l’environnement L’Ortie.

Exposition récentes Les pierres rouges, résidence d’artistes Mutations d’office, Mont de Marsan, 09/2010 Vous êtes ici, Le Cent Quatre et les jardins partagés du 19e arrondissement, Paris, 07/2010 Local to local, Lieu d’art À suivre... Bordeaux, 10/2009 Local to local, Université et Institut Français de Fukuoka, Shiyofuku Art Space, Kurume, résidence Shiyofuku, Japon, 07-08/2009 Calme et arboré, Nouaison résidence d’artistes, Pujols sur Dordogne, 06/2009 Hortus incertum, La Winery – Philippe Raoux, Arsac, 05/2009 Vaine pâture, Médiathèque Assia Djebar, Blanquefort, 05/2009 Vue intérieure, 27 avenue Laumière, Paris, 04/2009



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Achevé d’imprimer chez Graphit’s imprimeur (France) Dépot légal Août 2010 Éditions Mutations d’office ISBN 978-2-918969-00-6 © Mutations d’office - Laurent Cerciat design la/projects

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