Résidence Mutuum / Leila Sadel / 2017 /

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RĂŠcits







Un porte-clés… Quand vous aviez perdu vos clés, vous les siffliez… Et il disait « Je suis là ! ». Il répondait au sifflet ! Ça n’a pas duré longtemps ça… Ça fait bien une vingtaine d’années !





J’avais un ami qui aimait beaucoup conduire, il faisait des voyages et il partait seul. Il allait souvent en Italie. En 1975, il devait partir avec mon fils, mais il n’est pas parti avec lui, il est parti seul. Et dans le village d’à côté il est rentré dans un mur. Il s’est éclaté la rate. Il a été hospitalisé en décembre et il est mort le 15 janvier et j’ai gardé ce couvre-livre en souvenir de lui et j’y tiens beaucoup. Il vient de Rome, je mets des papiers dedans dont je me sers couramment. Pascale me l’a raccommodé parce qu’il était abîmé.



-­  Pendant le transport, il s’est cassé. Il y avait des bonbons dedans. - C’était un objet que vous aviez chez vous ? - Non, non, à l’hôpital… Ma fille me l’a offert, elle habite en Auvergne maintenant. On se téléphone, on s’écrit.


Je fais fonction d’aumônier. Je m’occupe ici de toutes les manifestations religieuses qui concerne la religion catholique. L’objet que j’ai apporté est un livret qui s’appelle « Prions à l’église ». Il y a chaque jour un Évangile et des textes d’Évangile et de l’Ancien Testament aussi. C’est pour moi une référence, un petit livre que j’emmène à chaque fois que je viens ici ou que je pars pour un ou deux jours, j’ai toujours besoin qu’il soit là. Ce sont des textes qui me remettent un petit peu sur Terre et puis qui me redonnent un peu d’espérance, un peu d’espoir parce que tout n’est pas toujours rose. Je prie le matin, je déjeune, je fais des petites choses puis je m’installe pour faire ma lecture qui me ressource et qui me donne un élan pour la journée. J’ai plein de petits objets chez moi qui sont des souvenirs de personnes mais celui-ci, quand je pars, c’est un réconfort de savoir qu’il est là et que je peux m’y référer en cas de besoin.














C’est un gage d’amour filial ! De moi vis-à-vis de Maman qui faisait quand même tout pour nous offrir un cadeau de Noël. Elle donnait un cadeau aux plus petits et moi j’étais déjà un peu plus grande. Elle m’avait aiguillé vers une lessiveuse parce qu’elle avait dans son idée de pouvoir s’en servir ! Ma fille m’a offert cette lessiveuse alors que j’avais 90 ans, en souvenir de ce cadeau reçu dans l’enfance. Cet objet a de la valeur parce que c’est un objet ancien d’autrefois, qu’on ne trouve plus ! Même les grandes lessiveuses, on ne les trouve plus ! Maintenant il est dans la famille et c’est à la fois un souvenir de la vie entre 1920 et 1940.



J’écoute beaucoup la radio puisque je ne vois pas la télé… J’ai un lecteur de livres enregistrés. C’est un appareil qui permet de passer des cassettes, il est fait de telle façon que le livre reprend à l’endroit où il s’est arrêté. Quand j’appuie, il redémarre à l’endroit où je m’étais arrêtée… Parce qu’avant il fallait tout rembobiné, alors c’était fastidieux ça ! Surtout quand on arrivait à la fin d’un livre ! Et là j’ai des gros livres enregistrés… Pour moi cet appareil a énormément de valeur, il n’y a pas que sa valeur marchande… parce que je passe la moitié de ma journée à écouter des livres.





- J’ai la photo de mon mari à l’intérieur. - Ça fait longtemps que vous l’avez ? - Oh ! Il y a très longtemps ! - C’est un bijou de famille ? - C’est un bijou que l’on m’a offert après le décès de mon mari. J’ai fait faire une petite photo que j’ai découpée pour la mettre dedans. On peut regarder si vous voulez… Voilà le dessus… - Il est gravé ? - Oui un peu… Vous le voyez ? Et voilà le dessous ! Voilà le collier ! On peut l’ouvrir mais moi je n’y arrive pas, je n’ai pas d’ongles et puis comme je tremble… Je ne peux pas l’ouvrir... - C’est de l’or ? - Pas de l’or « or », mais enfin… Je me douche avec, je ne l’enlève pas. Je ne peux pas l’enlever alors je ne le sors pas. Et il ne bouge pas, c’est donc de la bonne qualité !



J’ai apporté des cahiers, j’écris tous les jours sur mes cahiers que je tiens à jour. Ce sont des cahiers journal. Je les annote et je marque les dates, je m’y retrouve parce que je les numérote. J’écris sur ce qui m’arrive sur le moment, j’écris tous les jours. Par exemple ce cahier journal est du 3 mai 2016 au 9 juin 2016. De la page 1 à la page 100. C’est mon 83ème cahier, et j’en ai 90. Je les classe, je les garde, je les numérote et je m’y retrouve. Quand c’est intéressant je le souligne. J’écris pour moi. Je garde très précieusement ces cahiers, je les classe, je les mets dans des boîtes en carton que je demande à mes sœurs.




Pour venir ici, j’avais des tas et des tas de photos ! Et alors un jour avec mes enfants, on a pris toutes les photos et je leur ai dit : « Prenez ce qui vous intéresse ». Le feu était allumé, toutes les photos familiales, on a tout brulé pour que ça n’aille pas trainer ailleurs ! Et eux ont gardé les photos qui pouvaient leur plaire et plaire à leurs enfants. Tout le reste, les photos de mes parents, j’en ai gardé quand même quelques-unes, un album de famille, mais autrement toutes les photos de mes neveux, de mes sœurs, les photos de mariage, tout au feu ! J’ai dit, je sais où elles sont ! Je sais qu’elles n’iront pas sur un trottoir.




- Regardez ce qu’il a sous le cou ! Ça personne ne le sait… - C’est une cloche ? - Non ! Les anciens de la guerre de 14 le savent ! En 17 quand la France a été déclarée perdue, mon père était là-bas au front. Alors ils mettaient des bourricots chargés des grenades des blessés dans les tranchées. Mais ils gueulaient tellement à 4h du matin, que les Boches leur tapaient dessus ! Alors ils leur mettaient un billot de bois dans la gueule comme ça, puis ils leur serraient la gorge pour qu’ils ne gueulent pas ! Pour que les Allemands ne les entendent pas ! Et puis là les guêtres ! Il en a perdu 3 ou 4… Ils portaient des guêtres parce que quand les obus tombaient dans les tranchées, ils leur broyaient les jambes ! C’est les vieux qui m’ont donné cet âne !





- Il a été amputé de quelque chose… Non ! Il n’a pas été amputé puisqu’il y a l’anneau… - Qu’est-ce que c’est ? - La représentation du sigle du Stade Toulousain… Un club de rugby qui détient le plus grand nombre de championnats de France et qui détient le record du nombre de coupe d’Europe ! - Et vous avez joué… - Oh non ! J’ai pas joué ! Mais pour moi c’était LE club ! Ici les Girondins ils ont l’UBB ou Agen, moi ça a toujours été le Stade Toulousain ! Je suis resté fidèle toute ma vie au Stade Toulousain ! - Quelques troisièmes mi-temps ?! - Oui, mais on ne songeait pas forcément au Stade Toulousain parce que je jouais à Saint-Gaudens ! Je jouais au stade Saint-Gaudinois, alors je faisais les troisièmes mi-temps là-bas ! - Ça fait longtemps que vous suivez le Stade Toulousain ? - Ça fait… Voyons, j’ai 84 ans, je suis le Stade Toulousain depuis l’âge de 17 ans à peu près... 17, bon mettons 20 ans, ça fait 64, 64 et 3… 67 ans que le Stade Toulousain est entré là-dedans ! Ce qui est dommage, c’est qu’il y a une partie de la coloration qui a foutu le camp ! - Oui, ça fait partie de la vie de l’objet aussi… - Je l’avais comme porte-clés sur la clé du véhicule. Comme je n’ai plus de véhicule, il est devenu « un objet » !



- Je vais vous raconter une cagade qui nous est arrivée un jour avec ma femme quand on est allé à Lourdes. On a décidé de faire le Chemin de Croix… Alors on monte, première, deuxième photo, on continue, photo, photo, photo… Et vous savez à l’époque sur les appareils, il y avait un petit disque qui tournait et qui indiquait le nombre de photos prises… Et là on voyait 25, 26… Normalement c’était 24 ! Je voyais 26, 27, 28… J’ai dit bon, on arrête là parce que je crois le film est fini… Et bien quand on a ouvert l’appareil, il n’y avait pas de film ! - Oh non ! - Et si ! Et vas-y que je te fais la belle photo ! « Mets-toi un peu sur le côté là ! Oui comme ça ! Très bien ! »


Marsouin un jour, Marsouin toujours ! À l’origine de la création de l’infanterie de la marine, c’était des soldats, des fantassins qui étaient embarqués à bord de bateaux à voiles. Ils étaient déposés sur une côte, et devaient faire ceci ou cela… De là a été créée l’infanterie de marine actuelle. Elle a pris plusieurs noms au cours des ans. Moi je faisais partie de la coloniale.





C’est un petit personnage Basque. Il a été fait au moment de la naissance de Eneko qui a un papa Basque, sa maman c’est ma filleule, elle est ostéopathe, son papa est médecin généraliste. Il est de Biarritz, c’est un amateur de surf. Il adore tout ce qui est Basque. Et tous ses enfants ont un prénom Basque, la première s’appelle Elaïa qui veut dire en basque « petite hirondelle ». Le second c’est Peio, Pierre. Le troisième c’est Antxon, Antoine. Je suis attaché à cette famille. La boîte peut s’ouvrir, il y a des dragées dedans.






- Ça fait combien d’années que vous fumez ? - Depuis l’âge de 14 ans ! - Vous avez commencé tôt ! - Oui ! - Combien de paquets ? - Un paquet par jour ! - Oh la la ! - Mais il est encore là en pleine forme Pierrot ! Mais là, maintenant, c’est plus un paquet ! C’est combien ? - Huit ! - Huit cigarettes… Parce que ça coûte cher les cigarettes maintenant… - Huit, quand on lui donne ! - … Dix, quand il va en glaner ! - J’ai vu le coup moi qu’il fait, hein ! Il trouve des copains, il va les trouver et puis alors il s’en va avec la cigarette à la bouche ! Comme si de rien était ! Tu crois qu’on ne te voit pas ! Ben je te vois tiens !








- Où êtes-vous né ? - À Alger. La photo a été prise après l’indépendance. Quand je l’ai connu, ce n’était pas pareil. Les bateaux et tout ça… C’était blanc ! Et là… Il y en a quatre ou cinq qui se baladent ! Ils ont pris la malle ! - Donc vous êtes né à Alger ? - Oui, mon père et ma mère aussi. - Une jolie ville ! - Vous y êtes restés longtemps ? - Mon père est né en 1888, ma mère en 1899, moi en 1932 et mon frère en 1926… On ne sait pas où il est passé. Il a été enlevé par des bandes incontrôlées en tant qu’agent de DPU. On l’a cherché partout, on ne l’a jamais retrouvé. J’ai retrouvé la voiture que 2h30 après, elle était déchaussée, les pneus étaient devenus des savonnettes ! - Vous êtes arrivés en France en quelle année ? - En 1962, quand ils m’ont foutu dehors !






Pour le mettre en berne, nous n’avions pas de ruban noir ! Je suis allée en bas à la lingerie, je me suis trouvé une paire de chaussettes DIM ! J’ai agrafé les chaussettes entre elles et j’ai fait un beau nœud noir ! Je les ai gardé au cas où ! Je ne sais pas à qui elles étaient ! En tout cas elles m’ont bien arrangé pour mettre le drapeau en berne !









L’ancienne croix on la jette dans le feu. Donc celle qui est là je vais l’enlever. Vendredi, je mettrai la nouvelle croix et l’ancienne ira au feu. C’est la tradition. La durée de vie d’une croix c’est un an. Là c’est la croix de Saint-Jean classique, mais à Bazas ils ont la villageoise qui est en papier blanc. Et nous la fabriquions. C’est tout un rituel, il faut les faire à tel moment, on les faisait vraiment dans la vraie tradition. - Et puis des gens en faisaient pour aller les vendre au marché aussi. - Faites attention sur les portes à Bazas, il y en a ! Et même autour de Bazas, à la campagne. Ça se met à l’extérieur, à l’entrée du poulailler, de l’étable… Ça protège des sorciers mais sa première fonction c’est de protéger du feu.





C’est la photo de mon oncle. Et là, c’est mon arrièrearrière-grand-père. Il y a quatre générations ! C’était un coiffeur, un Flamand. Il étudiait à Hazebrouk. - Qu’est-ce qu’il tient dans la main ? - Il tient un rasoir pour faire les barbes et de l’eau parce que les gens n’avaient pas d’eau chaude. Je tiens à ces photos. La photo de mon oncle est… Bizarre ! - Pourquoi dites-vous qu’elle est bizarre ? - Parce que c’était un monsieur qui avait fait des études, qui avait été en Israël et il causait parfaitement l’anglais. Alors il est allé en Angleterre aussi et il a beaucoup voyagé. C’est une photo que j’avais reçue. Il fréquentait pas mal de personnalités. - Vous avez connu votre oncle ? - Oui, je passais mes vacances chez lui. Il habitait à côté de Paris, à Meaux. Il était professeur et interprète pendant la guerre chez les Anglais en Israël. - Sacré parcours ! - Oui d’ailleurs, j’ai refait son parcours en souvenir de lui ! - Ah bon ? - Je suis parti en Israël, en Russie… Cette photo me rappelle aussi mes voyages ! Il m’avait raconté les siens et il rapportait des souvenirs.




On prépare les piluliers une fois par jour. Les roses sont pour le matin, jaune pour le midi, bleu le soir et blanc pour la nuit. On a un code couleur. Là ce sont les gouttes. Et ça ce sont aussi des boîtes pour les médicaments et les résidents ont leurs photos dessus.







- Il y a des videurs qui vident des maisons, qui n’hésitent pas à tout vendre, et même à en mettre dans les bennes à ordures ! - Oui, moi malheureusement, quand on a déménagé des anciens locaux et que l’on est arrivé ici, que certains résidents sont décédés, on a jeté… Et c’était… C’était difficile de jeter ! C’est difficile de jeter le passé des gens ! J’étais mal à l’aise, je disais à mes collègues, on jette le passé des gens ! - Eh oui ! - Une chose anodine, quand malheureusement des résidents décèdent, nous l’annonçons par un petit cadre et une photo. Et la dernière chose que je fais, c’est de prendre la photo et la jeter à la poubelle ! Et bien pour certaines personnes, je me suis dit mince… On finit à la poubelle... C’est lourd mais quelque part… - Oui s’il n’y a personne pour récupérer les affaires… - Certaines familles me demandent les photos alors je les donne, mais symboliquement c’est dur !










- Bernadette ! Tu te souviens toi si on a eu des anecdotes avec les machines ? C’est pas drôle ce qui nous arrive à la lingerie en général ! C’est des stylos dans les poches qui se coincent dans les machines, qui dégorgent dans la blouse blanche… - Et là vous enlevez les badges c’est ça ? - Oui j’enlève les badges parce que les blouses vont resservir à une autre employée, puisque cette employée passe aux soins. Donc ça c’est une badgeuse, et elle sert de débadgeuse aussi. Et là c’est une machine pour inscrire les noms sur les badges. - Je vois que vous portez des gants ? - Oui, quand on passe de ce côté, c’est le côté linge sale, donc là on doit s’habiller, mettre les manchettes, le masque, les gants… Changer de chaussures, mettre des tabliers, les lunettes quand il y a de la vapeur…








Merci aux résidents de l’EHPAD Caillavet à Bazas. Je remercie particulièrement Mr Allafort, Mr Alvez, Mme Belis, Mr Benquet, Mme Bernal, Mme Beuchey, Mme Boiteux, Mr Brillon, Mr Colin, Mme Coussirat, Mr Damiette, Mr Grimault, Mr Guionie, Mme Labonne, Mr Lubrano, Mr Noël, Mr Rami, Mr Rosinha, Mr Rumeau, Mme Rusig et Mr Salva d’avoir accepté de partager avec moi les histoires de leurs objets. Je remercie l’ensemble du personnel de la structure, et particulièrement Mme Luis, bénévole auprès des résidents, le personnel de la lingerie, les aides soignantes, les infirmières et le personnel hôtelier. Enfin je remercie chaleureusement Pascale Garras, animatrice, pour son accompagnement et son soutien tout au long du projet.

Avec le soutien de l’artothèque Mutuum et du Conseil Départemental de la Gironde.


Collection catalogue d’artiste ISSN 2115-1849 Éditions Mutuum artothèque ISBN-978-2-35585-040-0 © Leila Sadel / Mutuum www.leilasadel.fr www.mutuum.fr Design, conception graphique Leila Sadel



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