MIXTE MAGAZINE - #27 - Spring Summer 2021 - Metamorphosis

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MIXTE

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WITH ENGLISH TEXTS

METAMORPHOSIS

PARIS

N°27 fashion

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spring

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summer

2021



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MIXTE N°27

ÉDITRICE ET DIRECTRICE DE LA PUBLICATION DIRECTEUR ÉDITORIAL ET DIRECTEUR DE CRÉATION RÉDACTEUR EN CHEF M ODE RÉDACTEUR EN CHEF PRINT & DIGITAL ADJOINTE PRINT & DIGITAL MODE STYLISTES

PHOTOGRAPHES

MAGAZINE CONTRIBUTEURS

PHOTOGRAPHES

SECRÉTARIAT DE RÉDACTION PRODUCTRICE FASHION PRINT & DIGITAL COORDINATOR CHEF DE STUDIO GRAPHISME

PUBLISHING - ADVERTISING - BRAND CONTENT PUBLISHER DIRECTEUR DE CRÉATION ADVERTISING REPRESENTATIVE AD MINISTRATION EXPERTISE CO M PTABLE CO M PTABILITÉ FOURNISSEURS CONSEIL, DISTRIBUTION FRANCE ET INTERNATIONAL

PHOTOGRAVURE IM PRESSION LOGO ET TYPOGRAPHIE PUBLIÉ PAR SIÈGE SOCIAL PRÉSIDENT-DIRECTEUR GÉNÉRAL DIRECTRICE GÉNÉRALE DIRECTEUR GÉNÉRAL ADJOINT DÉPÔT LÉGAL

Tiziana Humler-Ravera Christian Ravera & Guy Guglieri Franck Benhamou Antoine Leclerc-Mougne Florence Vaudron

Karolina Gruszecka, Caitlan Hickey, Flora Huddart, Alice Lefons, Christopher Maul Thomas Cooksey, Toby Coulson, Marcin Kempski, Cameron Postforoosh, Bojana Tatarska, Tung Walsh

Pierre d’Almeida, Céline Carré, Sarah Diep, Stéphane Durand, Nathalie Fraser, Marie Kock, Tara Lennart, Déborah Malet, Manon Massué, Olivier Pellerin, Théo Ribeton, Olivia Sorrel Dejerine, Anthony Vincent, Aude Walker Julien Thomas Hamon, Jérôme Lobato, Robin Plusquelle, Mehdi Sef, Julien Vallon Corinne Soubigou Marjorie van Hoegaerden Clara Pilczer Fred Auniac Bérengère Marcé, Maycec, Salomé Socroun

Patrick-Antoine Hanzo / patrick.hanzo@wearemixte.com Bertrand Bras / bertrand.bras@wearemixte.com Fabrice Sabatte-Deldycke / fabrice.sd@wearemixte.com

Sandrine Michaut / S2M Expertise et Conseil / sandrinemichaut@gmail.com Denise Tusseau / denise.tusseau@sfr.fr KD Presse / Eric Namont / Alexandre Baret 14, rue des Messageries / 75010 Paris / +33 (0)1 42 46 02 20 Pour commander les anciens numéros de Mixte : www.shop.wearemixte.com WANDS / 75007 Paris / +33 (0)1 53 80 88 40 ETIC Graphic - Groupe AGIR Graphic “Intervalle” dessinés par Les Graphiquants

SAS MIXTE ÉDITIONS 22, rue Saint-Augustin / 75002 Paris / +33 (0)1 83 95 42 08 Christian Ravera Tiziana Humler-Ravera Guy Guglieri À parution. Enregistré sous le numéro 533.384.418.00018 ISBN n° 978-2-9539978-7-3 / ISSN n° 1299-9180

Tous droits de reproduction réservés. Toute reproduction totale ou partielle est interdite sans l’accord de l’éditeur. Mixte n’est pas responsable des textes, photos et illustrations publiés, qui engagent la seule responsabilité de leurs auteurs.

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www.mixtemagazine.com / www.wearemixte.com @ mixtemagazine @ mixte_archive




CONTINUENT DE SQUATTER NOS ESPRITS ÉGARÉS PAR “MISS RONA”, LES RÉCENTS ÉVÉNEMENTS QUE NOUS AVONS TRAVERSÉS NOUS AURONT AU MOINS PERMIS D’APPRENDRE QUE, PEU IMPORTENT LES CERTITUDES ET LES DÉTERMINATIONS, AUCUN ÉLÉMENT, AUCUN ÊTRE, AUCUN MODÈLE N’EST ASSURÉ ; ET QUE, FINALEMENT, TOUT CE QUI NOUS ENTOURE EST SUJET À MÉTAMORPHOSE. DÈS LORS, IL S’AGIT D’AVOIR L’AUDACE DE CHANGER À NOTRE IMAGE CE QUI NOUS DÉFINIT. “TOUS NOUS SERIONS

TRANSFORMÉS SI NOUS AVIONS LE COURAGE D’ÊTRE CE QUE NOUS SOMMES”,

DISAIT

MARGUERITE

YOURCENAR.

MAIS

QUE

SOUHAITONS-

NOUS ÊTRE VÉRITABLEMENT ? ASSURÉMENT UNE SOCIÉTÉ PLUS JUSTE. UNE SOCIÉTÉ RESPONSABLE. UNE SOCIÉTÉ À L’ÉCOUTE. UNE SOCIÉTÉ QUI EMBRASSE FIÈREMENT LES REVENDICATIONS ÉGALITAIRES, QUELLES

ÉDITO

METAMORPHOSIS

MÊME SI, EN CE DÉBUT D’ANNÉE, L’INCOMPRÉHENSION ET LE DÉSARROI

QU’ELLES SOIENT. UNE SOCIÉTÉ QUI NE LAISSE PAS LES ARTISTES, LES SOIGNANTS, LES ÉTUDIANTS ET LES MIGRANTS À L’ABANDON. UNE SOCIÉTÉ EN PHASE AVEC LA NATURE ET L’ENVIRONNEMENT. EN SOMME, UNE SOCIÉTÉ QUI AURAIT FAIT DE LA CONVERGENCE DES LUTTES LE

MAÎTRE-MOT DE TOUS SES COMBATS. VOILÀ DONC LA MÉTAMORPHOSE VIBRANTE, PROFONDE, JOYEUSE ET PROGRESSISTE QUE NOUS DÉSIRONS ET QUI EST INCARNÉE DANS LES PAGES DE CE NUMÉRO SOUS DIFFÉRENTES FORMES : DES SÉRIES MODE COMME “JUST MARRIED”, OÙ LES MANNEQUINS ANANIA ORGEAS ET KENNAH LAU, COUPLE LESBIEN À LA VILLE, VIVENT LIBREMENT LEUR AMOUR DEVANT L’OBJECTIF DE BOJANA TATARSKA, ET “METAMORPHOSIS” DE TOBY COULSON, QUI SE PLAÎT À IMAGINER DES HUMAINS TRANSFORMÉS EN OBJET OU EN ANIMAL ; DES ENTRETIENS DE JEUNES DESIGNERS À L’IMAGE DE KENNETH IZE ET NICOLA LECOURT MANSION, TÊTES DE FILE D’UNE GÉNÉRATION MODE MILITANTE EN PRISE AVEC SON ÉPOQUE ; DES PORTRAITS DE JEUNES ARTISTES ENGAGÉES TELLES QUE LA CHANTEUSE FRANÇAISE CRYSTAL MURRAY, DONT LE TRAVAIL

ASSOCIE

SONGWRITING

ET

FÉMINISME,

OU

LA

DANSEUSE

LIBANAISE YOUSRA MOHSEN DONT LES MOUVEMENTS DÉCONSTRUISENT LES

PRÉJUGÉS

ET

LE

SEXISME ;

MAIS

AUSSI

L’INTERVIEW

DE

LA

PHILOSOPHE FRANÇAISE JEANNE BURGART GOUTAL, QUI NOUS ÉCLAIRE SUR LE CONCEPT D’ÉCOFÉMINISME, OU DE LA MUSICIENNE ET CHEFFE D’ORCHESTRE UÈLE LAMORE, QUI REPOUSSE LES FRONTIÈRES DE LA MUSIQUE CLASSIQUE. LE TOUT COMPLÉTÉ PAR DES DÉCRYPTAGES ET ENQUÊTES QUI REVIENNENT SUR LES MÉTAMORPHOSES D’ANTHOLOGIE DANS LA POP CULTURE ET LA LITTÉRATURE, SUR LE COMBAT ÉCOLOGIQUE ET ANTIRACISTE AU SEIN DE L’INDUSTRIE DE LA MODE, SUR LE CONCEPT DE QUEER ECOLOGY DANS LE MONDE DE L’ART OU ENCORE SUR LES VERTUS DES CHAMPIGNONS SANS DOUTE CAPABLES DE SAUVER LE MONDE... QU’ON SE LE DISE, CETTE MÉTAMORPHOSE A BEL ET BIEN COMMENCÉ. ANTOINE LECLERC-MOUGNE

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D I O R . C O M - 01 4 0 7 3 7 3 7 3 P H O T O G R A P H I E R E T O U C H É E


© Kalyakan

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R O B E TEE-S HIRT E N JERS EY D E COTO N LO U IS VU IT TO N , S ER R E-TÊTE E N D E NTELLE PO RTÉ E N CO L N A R CISSIS M , JU P E E N TU LLE A N CI E LA .

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P H OTO : TO BY CO U LS O N . R ÉALISATIO N : ALIC E LEFO N S . SCU LPTU R ES ET ACC ESS OIR ES : CLARISS E D’AR CI M O LES . M A N N EQ UIN : M AISI E @ I M G M O D ELS . CASTIN G : JU LI E W L. COIFFU R E : A N N A COFO N E. M A Q UILLA G E : SA M A NTA FALCO N E.

2021

P H OTO : CA M ER O N PO STFO R O O S H . R ÉALISATIO N : CAITLA N HICKEY. M A N N EQ UIN : A N G EER A M O L @ KO LLECTIV_ M G MT, BLU E @ N OVA M G MT, SAR AH VA N ESSA @ N O NI. A G E N CY. CASTIN G : TR EA N N A LA W R E N C E ET K ATI E FRYE @ CASTPARTN ER . COIFFU R E : S HIN ARI M A @ H O M EA G E N CY. M A Q UILLA G E : ASA M I M ATS UD A @ ARTLISTPARIS N E W YO R K . SAR AH : S W EAT E N COTO N , M INI-JU P E E N S OI E ET COTO N , C HA U SS U R ES EN CUIR LO U IS VU ITTO N . BLU E : M A NTEA U E N LAIN E ET S OI E, ESCAR PIN S E N CUIR LO U IS VU IT TO N . A N G EER : VESTE E N COTO N , PA NTALO N E N LU R EX ET B OT TES E N NYLO N LO U IS VU IT TO N .

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P H OTO : TU N G W ALS H . R ÉALISATIO N : FLO R A H UDD ART. M A N N EQ UIN : K AILA @ ELITE M O D EL. CASTIN G : CO RIN N E LISCIA @ CO CO CASTIN G . M A Q UILLA G E : PO RSC H E PO O N . COIFFU R E : HIR O S HI M ATS U HITA . D O S-N U EN P ERLES ET JU P E E N M AILLE MIU MIU, BOTTIN ES E N CUIR K ALD A , B O U CLES D’O R EILLES E N VER M EIL STE P H M ETAL , BA G U E M OYA .

SPRING


MIXTE

P H OTO : M ARCIN KEM PSKI. R ÉALISATIO N : K ARLA G R USZECK A . M A N N EQ UIN : AJSA M OVIC @ S M C M OD EL M A N A G EM ENT. CASTIN G : N EILL S EETO . COIFFU R E : PIOTR W ASIN SKI @ VA N D O RS EN ARTISTS . M AQ UILLA G E : A N ETA KO STRZEW A @ R AD EKNIER OD A .

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P H OTO : B OJANA TATARSK A . R ÉALISATIO N : FR A N CK B EN HA M O U. M A N N EQ UIN S : KEN N AH LAU @ N EXT M OD ELS PARIS , A N A NIA O R G EAS @ GIRL M A N A G EM ENT. CASTIN G : R EN É D E BATH O RY. COIFFU R E : S H U H EI NIS HI M U R A @ WIS E & TALENTED . M AQ UILLA G E : LLOYD SI M M O ND S @ A G E N C E CAR O LE.

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SUMMER

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CAP E, P ULL ET PA NTALO N EN G ABARDIN E R E-NYLO N , COL R O ULÉ EN VISCO S E PRADA, LU N ETTES D E SOLEIL EN ACÉTATE HUGO BOSS, SAC ESCARPIN “A . B . CHAR M” EN CUIR ET CHAÎN E CHRISTIAN LOUBOUTIN.

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R O B E E N S EQ UIN S ET G A NTS E N S EQ UIN S ET TU LLE G U CCI .

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2021 202

R O B E E N TW EED , B O DY E N COTO N , SA ND ALES E N CUIR VELO U RS ET O R , CO LLI ER E N M ÉTAL, STR ASS ET R ÉSIN E, CO LLI ER E N M ÉTAL, P ERLES D E VER R E, STR ASS ET R ÉSIN E, B O U CLES D’O R EILLES E N M ÉTAL ET STR ASS CHANEL.

METAMORPHOSIS

P H OTO : TH O M AS CO O KS EY. R ÉALISATIO N : CH RISTO P H ER M AUL. M A N N EQ UIN : M O R G A N FER N A ND EZ. CASTIN G : A N N A KOZIAKOVA . COIFFU R E : FED ERICO G H EZZI @ SAINT LU KE. M AQ UILLA G E : M ATTIE W HITE @ SAINT LU KE.

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SOMMAIRE

SPRING / SUMMER 2021

MODE 148

METAMORPHOSIS par Toby Coulson Texte : Tara Lennart

174

JUST MARRIED par Bojana Tatarska Texte : Antoine Leclerc-Mougne

200

DOUBLE SIDED GAME par Tung Walsh Texte : Marie Kock

226

TRANSFORM MYSELF par Marcin Kempski

240

DON’T MASQUERADE WITH THE GIRLS par Cameron Postforoosh

262

ALTERED REALITY

28

286

REMERCIEMENTS

287

IN ENGLISH

© DR

par Thomas Cooksey Texte : Aude Walker


MAGAZINE 32

BLACK DESIGNERS MATTER L’industrie de la mode est-elle prête à prendre part au combat antiraciste ?

40

CRAZY FOR YOUSRA La jeune Libanaise Yousra Mohsen, danseuse au Crazy Horse et militante contre le sexisme.

48

INSTITUT DE BONTÉ L’art activiste du collectif LGBTQIA+ Institut of Queer Ecology.

54

HUMAN NATURE Le créateur Robert Wun façonne la mode du futur.

60

OLD BUT GOLD La mode post-Covid-19 plus que jamais écoresponsable ?

64

L’ODYSSÉE DE CRYSTAL Crystal Murray, une nouvelle voix bien tracée pour la musique française.

74

MORPHO D’ANTHOLOGIE La métamorphose dans la fiction à travers les âges.

78

HYMNE À LAMORE La compositrice et cheffe d’orchestre française Uèle Lamore réinvente la musique classique.

88

DAMES NATURES Entretien avec la philosophe Jeanne Bugart Goutal à propos du concept d’écoféminisme.

92

NICOLA, ELLE A, ELLE A… La créatrice et son label Lecourt Mansion sophistiqué et engagé.

100

LE ROYAUME UNI Uni Kemp, le rock et l’art de la transformation.

110

CARNET DE VOYAGE La vision poétique et politique du photographe Kyeong Jun Yang sur la transformation identitaire.

120

LE GOÛT ET LES COULEURS Le design responsable de l’artiste Yinka Ilori.

126

LAHEURTE, LA RELÈVE Jérémy Laheurte, le retour de l’acteur prodigue.

130

TOU.TE.S SOUS CHAMPI Et si les champignons pouvaient sauver le monde ?

136

CLIMAT CLÉMENT Portrait de Clément Guinamard, jeune réalisateur et DA qui dynamite les codes et les préjugés.

144

TAKE IT IZE Jeune designer queer, Kenneth Ize redéfinit les normes de genre et le savoir-faire nigérian.

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LU N E K U I P E R S

CONTRIBUTEURS

Lune a grandi en Hollande où elle a étudié les arts visuels et le design, à l’Académie Willem de Kooning. La jeune styliste a collaboré avec le magazine Wallpaper en tant que Fashion Editor. Après avoir vécu près de dix ans à Londres, elle s’est installée à Paris où elle travaille désormais comme styliste freelance. Lune s’inspire beaucoup du domaine des arts visuels et du théâtre dans ses moodboards. Dans ce numéro, elle a habillé la talentueuse compositrice Uèle Lamore, interviewée p. 78.

J U LI E N T H O M A S H A M O N

Amoureux de cinéma, Julien T. Hamon a d’abord étudié le 7e art avant de se consacrer à la photographie. Il collabore régulièrement à M le Monde, GQ, Another, Wallpaper... Pour ce numéro de Mixte, il met en valeur face à son objectif la cheffe d’orchestre prodige Uèle Lamore.

A U D E W A LK E R

Directrice de la rédaction du magazine Stylist depuis sa création en 2013, Aude est également romancière. Elle a écrit Saloon (éd. Denoël, 2008) et Un homme jetable (éd. du Moteur, 2012). Pour ce numéro Metamorphosis de Mixte, Aude a pris la plume, inspirée par la série mode de Thomas Cooksey. Elle nous livre, p. 284, une nouvelle “Altered Reality”.

S TÉ P H A N E D U R A N D

Passé par les rédactions de Vogue et Stylist, Stéphane Durand a réalisé le sujet Queer Ecology “Institut de bonté” à découvrir dans ce numéro p. 48. Stéphane est sensibilisé aux questions de l’antispécisme, de l’immigration, des luttes intersectionnelles et est engagé auprès de plusieurs associations.

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K A R O LI N A G R U S Z E C K A

Originaire de Pologne et styliste de formation, Karolina est fashion director chez Vogue Polska. Elle est connue pour ses idées originales, sa bonne humeur contagieuse et son sens de l’humour. Engagée, elle met un point d’honneur à révéler le pouvoir des femmes dans son travail et à moderniser les éditos mode des magazines auxquels elle collabore. Ceux-là sont toujours audacieux et non conventionnels. Pour Mixte, elle a réalisé le stylisme sur la série “Transform Myself” shootée par Marcin Kempski (p. 226).


J E R Ô M E LO B ATO

Enfant du vidéoclip, Jérôme Lobato est un passionné d’architecture qui puise ses sources d’inspiration autant dans la peinture que dans la musique électronique. Son travail porte sur la mise en scène du corps, les atmosphères urbaines et les souvenirs cinématographiques. Jérôme a collaboré avec différentes maisons et créateurs – Dior, Raf Simons, John Galliano, Bernhard Willhelm, Maxime Simoëns – et titres de presse comme Vogue et Boycott. Dans ce numéro Metamorphosis, Jérôme a photographié la créatrice de mode Nicola Lecourt Mansion, p. 92.

B OJ A N A TATA R S K A

C’est à l’âge de 18 ans que Bojana quitte sa Bulgarie natale et débarque à Paris pour découvrir l’univers de la mode en tant que mannequin. Après une dizaine d’années sous les spotlights, elle entame des études d’art et de communication à la Sorbonne, se destinant à la profession de journaliste. Finalement, c’est derrière l’objectif que la jeune femme se sent le plus à l’aise pour raconter des histoires… visuelles. Collaboratrice régulière de Mixte, Bojana a photographié et mis en scène les mannequins et (vraies) jeunes mariées Kennah Lau et Anania Orgeas, dans la série “Just Married” p. 174.

C É LI N E C A R R É

Passionnée d’art, Céline a travaillé au sein de différentes institutions culturelles, notamment dans le secteur du spectacle vivant, et a collaboré, en tant que journaliste, avec la revue spécialisée L’œil, entre autres. Pour Mixte, elle est allée à la rencontre de l’artiste designer londonnien d’origine nigériane Yinka Ilori (p. 120).

A N T H O N Y VI N C E N T

Diplômé d’un master 2 en journalisme culturel à la Sorbonne, Anthony a participé à la coordination de l’émission littéraire de France 3 Un livre un jour, avant de se spécialiser dans la mode à Grazia puis au Figaro. Il écrit pour Têtu, Paulette, Les Inrocks, ou encore MadmoiZelle. En parallèle, il mène ”Extimité”, podcast cofondé avec Douce Dibondo sur les questions d’identité avec une approche intersectionnelle. Pour ce numéro sur la métamorphose, Anthony a disséqué les mesures antiracistes prises par la mode ces derniers mois dans son sujet “Black Designers Matter” (p. 32) et réalisé l’interview du créateur Kenneth Ize (p. 144).

© DR

D É B O R A H M A LET

Journaliste depuis plus de dix ans basée à Paris, Déborah a débuté dans la presse indépendante gratuite en tant que rédactrice et secrétaire de rédaction avant de collaborer en freelance avec les magazines Glamour et GQ. Depuis 2013, elle traite principalement du lifestyle pour l’hebdomadaire Stylist et décr ypte nos comportements et notre société à travers le prisme de la food, du design et du tourisme. Dans le sujet “Tou.te.s sous champi”, elle nous explique en quoi les fungis représentent le meilleur atout pour la planète.

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© DR

M OSSI A UTO M N E- H IV E R 2020 .


BLACK D E S I GNERS M ATTER BOUSCULÉE PAR LES MOUVEMENTS BLACK LIVES MATTER DE 2020, LA MODE A DÛ ROMPRE SON SILENCE ET PRENDRE DES MESURES CONCRÈTES FACE AUX NOMBREUSES CRITIQUES QUI LUI ONT ÉTÉ ADRESSÉES. MAIS L’INDUSTRIE DES RÊVES EST-ELLE VRAIMENT PRÊTE À ENTAMER SA MÉTAMORPHOSE ET À REJOINDRE CONCRÈTEMENT LE COMBAT ANTIRACISTE ? TEXTE ANTHONY VINCENT.

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Juin 2020. Après la mort de George Floyd aux mains de la police américaine, un raz de marée de carrés noirs, vu alors comme une marque de soutien aux mouvements antiracistes, a envahi les réseaux sociaux. Partant d’abord de l’industrie de la musique, cette initiative digitale contestable a ensuite été imitée par celle de la mode. Mais les posts pieux des marques clamant simplement “Black Lives Matter” n’ont pas suffi à calmer les revendications de nombreux créateurs et créatrices noir.es (Pyer Moss, Christopher John Rogers…) ou racisé.es qui ont, depuis, réclamé des actions concrètes afin de lutter véritablement contre le racisme structurel et systémique du milieu. À l’épicentre de ce séisme social, c’est le Council of Fashion Designers of America (CFDA) qui, le premier, a annoncé un plan d’action dès le 4 juin 2020 : programme de recrutement pour valoriser les talents noirs, un autre de mentorat, des formations “diversité et inclusion” ainsi que des dons à des associations antiracistes. Mais c’est surtout le Black In Fashion Council qui a fait parler de lui (et dont le CFDA s’est aussi rapproché). Nouvellement créé et codirigé par Lindsay Peoples Wagner (exrédactrice en chef de Teen Vogue, fraîchement nommée à la tête de The Cut), ce collectif de créatif.ive.s noir.e.s a proposé quant à lui d’établir un indice d’inclusion, à partir de feedbacks de personnes de l’industrie, pour que les entreprises mesurent leurs progrès. Une démarche suivie au Royaume-Uni par le British Fashion Council (BFC), quand ce dernier a également revendiqué sa prise de position, le 8 juin, en s’engageant à accroître la diversité de son comité de direction et en menant un audit parmi les entreprises membres pour les évaluer sur le sujet. En octobre 2020, le BFC a continué sur sa lancée avec “The Missing Thread”, un projet de valorisation des talents noirs de la mode britannique des années 1975 à aujourd’hui, à travers différentes actions et événements, dont une exposition prévue à l’été 2022. Puis en partenariat avec le magazine i-D, des rayons de la bibliothèque de la Central Saint Martins ont aussi été dédiés à la contribution des personnes noires dans la mode. Ça, c’est pour les pays

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anglo-saxons qui, à la différence du duo latin Paris-Milan, ont l’habitude d’aborder et de traiter explicitement ces questions. Alors, que s’est-il concrètement passé au sein des institutions françaises et italiennes ? La Camera Nazionale della Moda Italiana (CNMI) s’est d’abord contentée de poster un simple carré noir. Jusqu’à ce que Stella Jean et Edward Buchanan (DA de Bottega Veneta dans les années 1990, aujourd’hui surtout consultants pour différentes marques italiennes), rares designers noir.e.s du pays, contactent l’institution fin juillet pour lui proposer un plan d’action. Pour éviter de répéter les récents fashion faux pas racistes des labels transalpins, ils ont suggéré notamment la mise en place d’un indice d’inclusion. Lasse d’être la seule marque “Black Owned” parmi la centaine de maisons composant la CNMI, Stella Jean a également annoncé qu’elle ne défilerait plus lors des Milan Fashion Weeks tant qu’elle serait la caution qui confirme l’exclusion. Pour se défendre, Carlo Capasa, président de la CNMI, a répondu fournir déjà énormément d’efforts, communiquant même la somme des aides financières allouées à l’entreprise de Stella Jean. Un procès en ingratitude qui ne dit peut-être pas son nom dans le but de détourner l’attention d’un manque d’action de la part de l’institution. En tout cas, après les démonstrations de New York et de Londres, et la tiédeur de Milan, les yeux se sont forcément tournés vers Paris, qui n’a rien dit ou presque. Et la réaction quasi mutique de la capitale de la mode a bien évidemment poussé les créateur.rice.s, étudiant.e.s et professeur.e.s à s’exprimer sur les efforts et les changements profonds qu’il reste à mettre en œuvre.

PARIS FAIT DE LA RÉSISTANCE Pas un mot. C’est ainsi qu’on pourrait résumer l’absence de réaction de la Fédération de la Haute Couture et de la Mode (FHCM) quand, en juin dernier, sur son compte Instagram officiel, l’institution n’a rien posté en lien avec les mouvements antiracistes. Pourtant le 2 juin, c’est sur @ParisFashionWeek, un compte beaucoup plus suivi, qu’apparaissait un carré noir sobrement légendé

“Black Lives Matter”. Une communication pour le moins succincte, dont Serge Carreira, responsable des marques émergentes au sein de la FHCM, se défend vivement : “Il est vrai que nous n’avons pas communiqué frontalement à ce sujet. Cela s’est fait de manière plus subtile”. Naomi Campbell a tenu un discours pour la semaine de la couture de juillet d’abord, puis différentes tables rondes et interviews de créateur.rice.s ont été produites et filmées par Canal+ afin d’être diffusées sur le reste de l’année. “Notre calendrier demeure notre meilleure communication : des talents du monde entier viennent défiler à Paris, si bien que 50 % du calendrier se compose de marques étrangères, ce qui est une immense fierté”, poursuit Serge Carreira. Effectivement, on ne le niera pas, cette diversité d’origines chez les designers n’est pas le cas des Fashion Weeks de New York, Londres et Milan, qui sont beaucoup plus concentrées sur leurs talents locaux. “Quand Thebe Magugu ou Kenneth Ize viennent présenter leurs collections à Paris, ils bénéficient d’une réception et d’un soutien précieux. C’est parce que nous voulons être le reflet du meilleur de la création d’aujourd’hui que la Paris Fashion Week est aussi diverse”, poursuit cet ancien de chez Prada et Mary Katrantzou, pour qui il s’agit avant tout de différences de stratégies de communication : “Nous n’avons pas voulu faire de grands effets d’annonce, ni précipiter un plan d’actions. Au contraire, nous avons toujours travaillé à ce que la plus grande diversité puisse s’exprimer ici, et c’est un travail de fond que nous continuons à mener sans en faire un levier de communication. Je remarque d’ailleurs que, pour la nouvelle génération de designers, l’engagement contre le racisme va de soi. Ce n’est pas de l’ordre de l’effort, ni de la performance : cela fait partie intégrante de leur univers et de leurs valeurs.”

DOUBLE STANDARD Seulement, à la difficulté d’émerger en tant que talent noir, s’ajoute surtout celle de se pérenniser, comme en atteste la carrière aux mille vies d’Imane Ayissi : “J’ai été danseur, mannequin, conteur, et aujourd’hui je suis surtout designer.”


Après une dizaine d’années à fouler des podiums et à poser pour des magazines où il s’est parfois senti exotisé, il fonde sa maison en 2001. Se calant d’abord au rythme des fashion weeks de prêt-àporter, avant de changer de timing en 2013 pour présenter ses créations en off des semaines de la haute couture. Stratégie gagnante, puisqu’il devient enfin membre invité au calendrier officiel de 2020. “Pour candidater, en plus des critères exigeants de confection, il faut également bénéficier du parrainage d’autres acteurs du milieu : dans mon cas, cela a été grâce à la maison Saint Laurent et à Didier Grumbach. Ce caractère sélectif est une bonne chose pour faire de la semaine de la couture un précieux écrin, mais cela contribue peut-être aussi au fait que cela demande infiniment plus de temps aux designers qui ne viennent pas du sérail.” Cet entre-soi constitué en mètre étalon n’a peut-être pas encore les yeux sensibilisés au grand artisanat qui préside à la création de tissus traditionnels africains, comme le kente du Ghana, le manjak du Sénégal, les dentelles de raphia du Cameroun, ou encore le faso dan fani du Burkina Faso. Il aura donc fallu près de vingt ans de créations au résilient Imane Ayissi pour accéder au calendrier officiel. Contre deux saisons à Charles de Vilmorin, tout juste diplômé de la chambre syndicale à 23 ans en 2020, et deux ans pour Sterling Ruby, tous deux nommés membres invités au calendrier de 2021, par exemple. Quand on lui demande s’il a l’impression qu’un double standard est à l’œuvre dans la sélection de créateurs, les larmes montent aux yeux d’Imane Ayissi : “Tout ce que je peux dire, c’est que personne ne m’a découvert, rien ne m’a été épargné, je dois perpétuellement faire mes preuves. Cela fait trente ans que je travaille dans ce secteur, et c’est ce qui m’a permis d’en être là où j’en suis aujourd’hui. Si certaines personnes accèdent moins difficilement que d’autres, tant mieux pour elles. Je ne me plains pas, ni ne leur jette la pierre. Je constate juste que lorsqu’on est un designer noir, on est souvent traité comme un perpétuel créateur émergent.” Et on se retrouve

malgré soi en charge de la représentation, comme en témoigne Imane Ayissi : “Être le premier et seul designer d’Afrique subsaharienne au calendrier haute couture est un immense honneur qui s’accompagne d’une aussi lourde pression. C’est une forme d’injonction à la représentation, à l’exemplarité, comme si j’étais l’un des seuls à pouvoir montrer que l’Afrique est debout”.

DE LA DIVERSITÉ À L’INCLUSION Sans grande surprise, l’un des moyens les plus attendus pour pérenniser sa petite entreprise de mode à Paris reste d’obtenir la direction artistique d’une maison patrimoniale. Or il faudrait d’abord qu’on ose vous y imaginer. Les créateurs noirs qui accèdent à ce type de postes en France se comptent sur les doigts d’une seule main : Ozwald Boateng, Britannique d’origine ghanéenne à la tête de Givenchy Homme de 2003 à 2007 ; Olivier Rousteing, Français d’origine somalo-éthiopienne dirige Balmain depuis 2011 ; Virgil Abloh, Afro-américain, tient les rênes de Louis Vuitton homme depuis 2018 ; et Rushemy Botter, Néerlandais d’origine curacienne qui partage la direction de Nina Ricci depuis 2018 avec sa compagne Lisi Herrebrugh. Hormis Olivier Rousteing, adopté par une famille blanche bordelaise, ces hommes ont pour point commun d’avoir grandi en dehors de l’Hexagone, comme s’il s’agissait d’une condition sine qua non pour rendre acceptable, voire cool, le fait de nommer une personne noire à la tête d’un morceau du patrimoine national. Cela signifie-t-il que les talents noirs français n’existent pas ou qu’ils sont incompatibles avec l’idée que l’on se fait du luxe en France ? Pour contrer cette pensée, des Chiefs Diversity Officer (CDO) viennent d’être nommés à la tête des mastodontes de la mode : Kalpana Bagamane Denzel chez Kering, Hayden Majajas chez LVMH, et Fiona Pargeter chez Chanel. Leur mission ? Améliorer l’inclusion, ou faire en sorte que “les personnes se sentent suffisamment considérées, écoutées et à l’aise pour prendre la parole au sein de l’entreprise. C’est là le différenciateur

clé pour permettre à la richesse des équipes de réaliser leur plein potentiel”, résume au journal Le Monde Kalpana Bagamane Denzel, la CDO de Kering. Des ateliers, des conférences, et du mentorat à tous les niveaux de la hiérarchie visent à changer la culture de l’entreprise, et à prévenir ainsi les scandales racistes. Mais encore faut-il pouvoir recruter des talents noirs, au pays des Lumières qui, accroché à son idéal républicain bancal et à son concept rouillé d’universalisme et d’égalité des chances, a encore du mal à voir les couleurs. Cependant, quelques indices nous donnent envie de croire que ça pourrait enfin commencer à changer.

SYSTÈME, QUOTAS ET… “En tant qu’intervenante dans plusieurs écoles de mode, je forme les managers de demain et constate une évolution faible mais positive de la diversité des effectifs”, remarque Ramata Diallo, consultante et professeure en stratégie du luxe. Celle qui a été responsable de collections pour différentes marques françaises pendant dix ans auparavant, explique : “J’apprécie et salue les efforts faits du côté des castings de défilés et de campagnes : ils témoignent d’une prise de conscience nécessaire. En observer les performances sur les réseaux prouve qu’il peut s’agir de stratégies de communications gagnantes. Mais si on voit beaucoup de personnes racisées dans les campagnes de mode, de nombreux progrès restent à faire au sein de l’ensemble des services des entreprises de mode.” En d’autres termes, à Paris, l’industrie brandit encore le drapeau de la diversité opportuniste plutôt que celui de l’inclusivité authentique. Par exemple, quand les ressources humaines d’entreprises du textile sont interrogées sur le manque de diversité au sein de leurs employé.e.s, celles-ci répondent généralement que c’est parce qu’elles reçoivent peu de CV de personnes racisées, et de surcroît suffisamment qualifiées. Hélas, ce serait oublier que le secteur de la mode fonctionne beaucoup (sinon uniquement ?) par recommandation et par l’entre-soi, comme l’a établi la docteure en anthropologie sociale Giulia Mensitieri dans son livre-enquête

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TH E B E M AG U G U A UTO M N E- H IV E R 2020 PA G E D E G A U C H E : EFF R A K ATA TA N TI N E D E PA R I S .


Le plus beau métier du monde, dans les coulisses de l’industrie de la mode (éd. La Découverte) en observant combien ce milieu normalise les inégalités pour mieux paraître homogène et justifier son endogamie. Elle y écrit que “La mode se situe dans la sphère interindividuelle et subjective des asymétries structurelles et systémiques. Cette posture normalisatrice et individualiste est partagée par la majorité des travailleurs de [ce milieu], qui affrontent les inégalités et les dominations de ce monde dans un esprit compétitif.” Eh oui, dans les petits cercles feutrés français incapables de voir le communautarisme qu’ils entretiennent, beaucoup de personnes prennent encore le mot “noir” pour un gros mot, préférant l’édulcorer en “black”. “En France, quand on est arabe et qu’on travaille dans la mode, c’est souvent parce qu’on est chauffeur Uber pendant les fashion weeks”, ironisait tristement dans Le Monde Charaf Tajer, créateur de la griffe Casablanca Paris, installée à… Londres. Alors, comment casser cette dynamique ? Selon la stratégiste Ramata Diallo, les quotas peuvent justement favoriser la mixité dans l’Hexagone, même si l’idée en France reste très contestée : “En politique, on voit bien comment les objectifs chiffrés pour la parité ont pu accélérer les choses. Les Chiefs Diversity Officers recrutés par la mode ne doivent pas être considérés comme des gestionnaires de bad buzz et doivent avoir les mains libres pour fixer des objectifs et mesurer les progrès réalisés.” Là où le pragmatisme des États-Unis et du Royaume-Uni parle directement de quotas raciaux et d’indice d’inclusion, l’histoire de la France fait des statistiques ethniques un tabou encore inabordable.

... AUTO-CENSURE Structurel et systémique, le racisme de l’industrie du vêtement peut parfois même être intériorisé et conduire de nombreux talents à s’auto-saboter, comme en atteste Rachel, étudiante en textile à l’École nationale supérieure des arts décoratifs (ENSAD) : “Quand j’ai été prise dans cette école publique, je me suis demandé si ça avait été par

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discrimination positive. Mes professeures m’ont assuré que non, mais c’est un soupçon qu’ont peut-être d’autres camarades. C’est un doute qui continue de me faire sentir illégitime.” Plusieurs études démontrent en effet que le syndrome de l’imposteur touche davantage les personnes noires, a fortiori les femmes. Christelle, fraîchement diplômée de l’IFM, a également lutté contre cette autocensure : “Petite, je croyais que le seul moyen de travailler dans la mode en tant que femme noire, c’était d’être mannequin. La conscience d’être exclue de ce milieu m’a presque aidée car elle m’a empêché de me bercer d’illusions. À partir du lycée, je regardais chaque année les photos de promo de l’IFM pour y compter les personnes noires : soit il n’y en avait aucune, soit une ou deux.” Après une prépa et une école de commerce, elle a été prise dans cette école de mode, la plus réputée du pays : “On était huit personnes noires sur une promo de 70 élèves, donc c’est clairement en train de s’améliorer, sans qu’il y ait de logique de quota ou de discrimination positive.” Selon elle, le précieux avantage de cette école privée sur ces questions, c’est le rôle proactif des élèves : “L’IFM ne communique pas publiquement sur le racisme, mais les élèves peuvent poser des questions sans tabou en cours, c’est toujours bien accueilli. Au point que cela pourrait donner naissance à un cycle d’enseignement facultatif sur l’appropriation culturelle, par exemple.” Le problème, c’est que l’écart entre ce qui peut se faire en interne et ce qu’on ne peut pas dire publiquement persiste et normalise un modèle qui se retrouve également dans les entreprises, remarque Christelle : “Même si cela reste clivant, Nike peut s’engager contre le racisme car c’est presque attendu d’une marque aussi populaire, dont la culture est tant liée aux personnes noires. En revanche, cela paraîtrait hors-sol de la part de maisons patrimoniales européennes.” Et si Balmain semble être la seule marque à y parvenir, c’est parce qu’Olivier Rousteing permet que cela ne paraisse pas désincarné, opportuniste et/ou déplacé. Pour la jeune

diplômée, les talents noirs existent et l’effort pour les embaucher et les valoriser est un enjeu d’équité sociale : “C’est inconsciemment qu’on peut avoir comme premier réflexe de ne recruter que des personnes blanches, mais c’est consciemment qu’on peut choisir de recruter des personnes racisées. Je me suis toujours autocensurée à l’idée de travailler auprès des grands groupes de luxe français parce que je suis noire. A priori, ce ne sont pas des univers où je me serais sentie autorisée à être moimême, tant le système de domination y est incarné et entretenu.”

LUXE, COLONIE ET BLANCHITÉ “Domination”, le mot est lâché. Rachel, de l’Ensad, rejoint Christelle : “En Occident, on sait regarder les pays asiatiques comme regorgeant à la fois de traditions ancestrales et de prouesses technologiques qui nous semblent futuristes. Mais on regarde encore l’Afrique comme étant restée au stade primitif.” Cette vision allochronique du continent, comme bloqué dans le passé, transparaît dans nombre de collections et de campagnes, selon Rachel : “Les personnes noires sont sur les moodboards et les podiums, mais jamais dans les comités de direction, rarement dans les studios de création, et encore moins à l’enseignement.” Selon cette étudiante d’école de mode publique, c’est son enseignement même qu’il faudrait décoloniser : “La négligence de l’importance des ‘pays du Sud’, comme sources de matières premières, de main-d’œuvre bon marché, mais aussi de savoir-faire introuvables en Occident, me paraît aussi un biais raciste de l’enseignement de la mode qu’on devrait décoloniser. Oublier d’où vient le coton, la soie, le cachemire et les heures de broderies à la main pour plein de maisons européennes, ce sont des œillères racistes.” En effet, l’histoire du luxe occidental est étroitement liée à celle de la colonisation. Le portrait de Marie Antoinette en chemise (1783) par la peintre Élisabeth Vigée Le Brun avait, par exemple, fait exploser la demande en coton, matière première produite à l’autre bout du


monde grâce à l’esclavage. Selon l’historien américain Robert Fogel, ce sont les esclaves qui ont assis la puissance agricole américaine avant l’industrialisation et permis l’installation des chemins de fer, décisive à la prospérité économique des États-Unis. C’est en accompagnant les plus riches dans leur vie quotidienne, comme le sport et les voyages, qu’ont prospéré des maisons historiques telles que Louis Vuitton (fondée en 1854) et Burberry (1856). Le pyjama, la saharienne ou le pantalon jodhpur sont autant d’héritages coloniaux, devenus iconiques dans la mode car nos sociétés occidentales ont souvent associé la domination au prestige. En plus des matières premières venant de pays colonisés pour les transformer en Europe, la colonisation a aussi contribué à imposer des idéaux esthétiques blancs aux quatre coins du monde. Et donc à associer luxe et “blanchité”. Même si une grande part de la confection s’est délocalisée dans les pays du Sud à partir des années 1970, les logos de griffes européennes restent des marqueurs de réussite sociale, qui font rêver à l’international. Et malgré la mondialisation, deux acteurs concentrent l’essentiel du gâteau : LVMH et Kering, qui, à eux deux, généraient près de 79 milliards de dollars de revenus en 2019. Quand bien même l’on voudrait réussir en totale indépendance, l’argent, qui n’a peut-être pas d’odeur, a bel et bien une couleur. Sans capital de départ, difficile de grandir, et encore moins rapidement, dans l’industrie de la mode, qui nécessite généralement d’avancer les frais d’une collection afin de pouvoir la produire. Or ce sont toujours les mêmes profils qui parviennent à lever des fonds. Selon les données 2018 publiées par la société d’investissement Atomico, 93 % des fonds investis dans les jeunes entreprises européennes profitent à des équipes dirigeantes exclusivement masculines. Anthony Bourbon, patron de la start-up Feed, expliquait dans Le Monde, en janvier 2020 : “L’argent de la BPI [Banque publique d’investissement], celui des fonds d’investissement ne va que chez ceux qui

leur ressemblent, des hommes blancs qui ont fait HEC, jamais chez la femme noire qui a la dalle.” Aux États-Unis, où les statistiques ethniques sont plus répandues, l’écart peut être mesuré et donne le vertige : les femmes, les personnes noires et LGBT+ reçoivent moins de 10 % de l’argent investi dans les start-ups, d’après l’investisseuse afroaméricaine Arlan Hamilton interrogée par Les Échos en mai 2019. Selon Fast Company, en 2017, même si les femmes noires comptent parmi les personnes les plus diplômées et les plus entreprenantes des États-Unis, elles recueillent moins de 1 % des fonds d’investissement, extrêmement endogames.

NOIR DÉSIR Mais quelles mesures pourraient être prises concrètement contre ces vieux réflexes ? Selon l’étudiante Rachel, la Fédération pourrait avoir un rôle incitatif à jouer : “Si elle s’exprimait clairement, cela pourrait inciter de grandes maisons et autres institutions, y compris financières, à faire de même. Trop d’entreprises françaises se cachent derrière l’impossibilité de mener des statistiques ethniques pour justifier leur manque d’ambition, de réflexions, et d’investissements sur ces questions. Mais d’autres solutions peuvent être trouvées.” À commencer par l’éducation, suggère la stratégiste Ramata Diallo : “Les préjugés racistes s’inscrivent dès l’enfance. Alors on peut lutter contre, au plus tôt, de manière légère et ludique, pour éviter que cela ne reste un tabou source de crispations identitaires.” Elle, qui donne d’ailleurs des cours sur l’inclusivité à la Paris School of Luxury et croit beaucoup au mentoring d’étudiant.e.s racisé.e.s, espère que ces pratiques se généralisent en France. Enjeux de Responsabilité sociale des entreprises (RSE), la diversité et l’inclusion devraient même figurer dans les chartes de labels de mode éthique, d’après la stratégiste du luxe : “Ces certifications ont l’avantage d’être comprises et identifiées comme des gages de qualité et de transparence par le grand public, qui pourra ainsi mieux se rendre compte des engagements pris et des efforts fournis par

les marques.” Enfin, pour le créateur Imane Ayissi, le storytelling peut aussi contribuer à changer la donne : “En Afrique, comme il est commun de faire réaliser des choses sur mesure chez un tailleur ou un cordonnier, cela ne paraît pas exceptionnel, luxueux. Ce qui est perçu comme un symbole de réussite, c’est le prêt-à-porter européen, qui a su patrimonialiser son storytelling. À nous de faire de même, pour valoriser la richesse de notre patrimoine, afin de rendre le Made in Africa désirable, et les personnes noires fières de leurs racines”. Un message qu’a probablement fait sien Mossi Traoré avec son label Mossi. Lauréat du prix Pierre Bergé de l’ANDAM 2020 et fondateur d’un centre de formation aux métiers de la couture, le créateur noir a présenté sa collection à Paris, en octobre 2020, dans le calendrier officiel et ce, après neuf ans d’absence. Un retour gagnant marqué par un défilé dansant où la voix du rappeur Kery James rythmait le pas des mannequins : “Qu’ils n’essaient pas de me faire croire qu’aujourd’hui le monde est cool, alors qu’hardcore et critique est la situation”. Lors de cette même fashion week, le milieu de la mode parisienne a aussi pu découvrir la première collection de Marianna Benenge Cardoso. Danseuse professionnelle de waacking et créatrice française originaire du Congo, elle a présenté à huis clos “Effrakata”, le premier défilé de sa toute jeune marque Tantine de Paris. Funky, colorée et rétro-futuriste, sa collection était probablement l’une des meilleures surprises en off de la fashion week parisienne. “Là-bas, (au Congo, ndlr), on fait attention à son allure. Pour exister, il faut qu’on te voie !” a raconté Mariana Benenge Cardoso en expliquant les références et inspirations qui ont nourri son défilé, véritable clin d’œil aux tantines africaines, à la culture kinoise, la sapologie et l’opulence chic à la congolaise, le tout avec un soupçon de culture ballroom – c’est le fameux danseur Matyouz, membre de la House of LaDurée qui présentait les tenues en début de podium. On peut se rassurer : le storytelling est bel et bien en train de changer.

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CRAZY FOR YOUSRA UN VENT DE LIBERTÉ ENVOÛTANT SOUFFLE ENTRE PARIS ET BEYROUTH. ORIGINAIRE DU LIBAN, YOUSRA MOHSEN EST LA PREMIÈRE DANSEUSE MOYEN-ORIENTALE À AVOIR INTÉGRÉ L’UNE DES SCÈNES LES PLUS HOT DE PARIS, LE CRAZY HORSE. AVEC SON ÉNERGIE POSITIVE ET SES BELLES LIGNES, LA JEUNE FEMME DESSINE LES CONTOURS D’UN NOUVEAU LIBAN AFFRANCHI DU POIDS DU PATRIARCAT.

TEXTE FLORENCE VAUDRON. PHOTOS MEHDI SEF. RÉALISATION GEMMA BEDINI.

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C A R A C O E N C U I R ET D E N TELLE , J U P E LO N G U E E N L A M É PA C O R A BAN N E , SA N D ALES E N N U B U C K ACN E STU DIO S, C O LLI E R “M ALL A U R Y” E N PALL AD I U M ET P E R LES D’A G ATE J U S T I N E CLENQUET.


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R O B E STR A P LES S 3D E N P O LY ESTE R CO PER NI, B O U CLE D’O R EILLE “S W ELL E A R H O O P ” E N P O LY M È R ES A R G E N T ET C H R O M E LI Q U ID E HUGO KREIT. PA G E D E D R O ITE : R O B E E N B R O D E R I E A N G L A IS E À O U R LET B O U LE J W A N D E R S O N , C O LLI E R “M AD IS O N ” E N PALL AD I U M ET C R ISTAL S W A R O VS KI P O RTÉ À L A C H EVILLE J U S T I N E C L E N Q U E T .


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Pleine de fougue, éprise de liberté, en quête de justice et terriblement inspirante, Yousra Mohsen, 22 ans, est à l’image du Liban d’aujourd’hui. Avec ses sourcils épais, ses boucles brunes et son teint clair, c’est la beauté libanaise par excellence. Ajoutez à cela des jambes infinies et la cambrure signature du Crazy Horse, la jeune femme nous ficherait presque des complexes si elle ne respirait pas une profonde bienveillance et une grande maturité pour son âge. Par son art, la danse, Yousra exprime le désir profond de contribuer à changer les mentalités de son pays natal, de faire rayonner celui-ci et d’inspirer les femmes du Liban et d’ailleurs à s’émanciper et à vivre librement leur féminité et leur sensualité. Une mission noble que cet électron libre s’est donnée, en ayant la force et l’intelligence d’ignorer la malveillance de certains esprits rétrogrades. L’histoire de Yousra nous montre que, quand on cherche le meilleur en soi, on peut se transformer et contribuer à changer le monde.

DE YOUSRA À LAÏLA Tous les soirs sur la scène du Crazy Horse, à “la maison” comme elle l’appelle, Yousra est Laïla Liberty. C’est le nom qu’Andrée Deissenberg, la directrice générale du cabaret, a décidé de lui offrir après avoir passé un mois à apprendre à connaître la jeune femme, durant sa formation, avant qu’elle ne débute officiellement sur scène. Un nom qui lui va comme un gant, de velours. “Laïla signifie ‘nuit’ en arabe, et ‘Liberty’, c’est pour mon côté émancipé, libre. J’ai choisi de faire ce que je voulais dans la vie, Laïla Liberty c’est moi, une femme libre.” Sur scène, Yousra se fond entièrement dans son alter ego. Perchée sur ses talons, elle n’a peur de rien et joue à être aussi bien une créature de fantasme pour ceux qui la voient comme telle, qu’un modèle d’empowerment pour celles et ceux qui portent ce regard sur elle. Pourtant, l’idée d’intégrer un cabaret de ce type n’avait jamais vraiment trotté dans la tête de Yousra qui, comme la plupart des jeunes femmes, a été davantage encouragée à taire sa sensualité qu’à l’embrasser. Championne de saut d’obstacles du Liban en 2014, Yousra a longtemps partagé son temps entre le lycée français

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R O B E- C O M BI N A IS O N E N M A ILLE BOYAROVSKAYA, B O U CLE D’O R EILLE TE R R Y E N PALL AD I U M , O R ET P E R LE D’A G ATE JUSTINE CLENQUET.


de Beyrouth, la danse et l’équitation. C’est pendant l’année de son baccalauréat, alors qu’elle fait partie de la prestigieuse école Caracalla Dance Theatre de Beyrouth avec laquelle elle part en tournée, qu’elle décide de descendre de selle pour se consacrer à la danse. “La scène me faisait vibrer. C’est avec Caracalla que j’ai découvert ce que je voulais faire : voyager grâce à un art. Découvrir le monde tout en dansant, c’est une chose magnifique à vivre.” À partir de là, Yousra n’a plus jamais lâché son goal de vue : devenir danseuse professionnelle. Encouragée par sa mère, la femme de sa vie, elle arrive à Paris et intègre l’Académie internationale de la Danse où elle suit une formation qui comprend des cours de classique, de contemporain, de jazz et… de street jazz heels (danse en talons) enseigné par Nadine Timas, danseuse et chorégraphe, véritable ego boosteur pour ses élèves. Les cours de Nadine sont d’un autre genre, ultra-féminins et sensuels. On y travaille les lignes et les courbes, les cambrés, les marches assurées et félines. Surtout, on bosse sur le lâcher-prise, mais pas n’importe lequel, celui qui vient de l’acceptation de la puissance du féminin. Yousra se révèle à elle-même, elle découvre sa féminité, sa sensualité, et se transforme. “Je ne savais pas que j’avais ça en moi, je me suis sentie tellement épanouie.” Un déclic qui lui a permis, encouragée par Nadine Timas, de passer l’audition du Crazy Horse.

BEYROUTH, MON AMOUR Cela fait trois ans que Yousra a quitté son pays et qu’elle a rejoint l’une des plus grandes diasporas du monde (15 millions de ressortissants Libanais vivent à l’étranger, c’est trois fois la population du Liban). Même si elle n’y vit plus, Yousra pense constamment à son pays et a décidé de lui dédier une partie de son temps en soutenant son changement. Le Liban est le seul endroit où elle donne des cours de danse. “Dès que je rentre, je donne des cours de heels. Je parle beaucoup du corps de la femme à mes élèves, qui me regardent alors avec de grands yeux ! Elles n’entendent pas souvent cela à la maison. La sensualité et la sexualité ne sont pas des sujets qu’on aborde. Je leur apprends à sentir leur corps,

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à le toucher, à l’aimer. Ces choses ne sont pas innées, moi aussi je les ai apprises.” Si, en France, on a tout autant de progrès à faire sur la libération du corps de la femme et la manière d’éveiller la nouvelle génération à la sensualité, la tâche est d’autant plus compliquée dans ce pays patriarcal où les femmes bénéficient de moins de 60 % des droits octroyés aux hommes. “Elles sont toujours sous emprise masculine, via le père, le mari, le frère”, confie Yousra, déplorant que ses compatriotes féminines n’aient toujours pas des droits aussi simples que donner la nationalité libanaise à leurs enfants ou divorcer. “Ma mère a mis sept ans à obtenir le divorce, parce que c’est elle qui l’avait demandé !”

TALENT ET ENGAGEMENT Alors, en donnant des cours de danse qui libèrent les corps et la féminité, Yousra contribue à sa manière à changer la société libanaise et à façonner une nouvelle génération qu’elle espère “plus consciente de son corps et plus intelligente émotionnellement.” Son engagement et son talent n’ont d’ailleurs pas échappé aux designers libanais, à l’instar de Karoline Lang qui l’a sollicitée pour chorégraphier la vidéo de sa campagne Automne-Hiver 202021, La Danse des Femmes. En 2019, l’hôtel Intercontinental Phoenicia de Beyrouth avait déjà fait appel à Yousra et à son ami Anthony Nahklé – autre star du heels au Liban et ex-performeur du show Zumanity du Cirque du Soleil – pour danser dans leur film Transitions. Tous deux partaient, perchés sur des talons, dans une danse impertinente à travers le Palace beyrouthin. La vidéo avait été autant acclamée pour son énergie et son caractère audacieux que critiquée par celles et ceux qui la trouvaient indécente (un garçon sur des talons, Oh My God…). On sent chez Yousra le même courage et la même force de résilience que partagent la plupart des Libanais, pour venir d’un pays cent fois détruit et cent fois ressuscité. Elle fait partie d’une génération bien déterminée à mettre dehors des dirigeants politiques corrompus qu’elle décrit comme “une milice, une mafia” et qui s’accrochent au pouvoir depuis plus de quarante ans. Car, depuis la création du Liban, le sys-

tème politique est celui du confessionnalisme, censé n’être que provisoire à l’origine, qui a engendré clientélisme et corruption et où le recrutement d’un individu se fait sur son appartenance communautaire religieuse (sunnite, chiite, chrétienne, druze), pas sur ses compétences. Les grandes manifestations d’octobre 2019 visaient à mettre fin à ce régime confessionnel et demandaient la démission des dirigeants. Le 4 août 2020, l’explosion de 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium qui a pulvérisé le port de la capitale et ravagé Achrafieh, le quartier chrétien le plus ancien de la ville, a été la goutte de trop pour les Libanais. Le mépris et la négligence de leurs politiques ont tué 200 personnes, en ont blessé 10 000 et mis 300 000 à la rue. Yousra, qui est à ce moment-là en voyage en Italie, est anéantie. “J’ai eu à faire quelque chose que je ne souhaite à personne, appeler mes proches un par un pour savoir s’ils étaient vivants.” Passé le choc, elle met toute son énergie à rassembler et partager les infos qu’elle a sur les actions de solidarité qui s’organisent pour son pays et à faire fonctionner ses contacts pour les optimiser. “C’était le minimum que je pouvais faire à mon échelle, utiliser ma petite influence pour aider mon pays qui souffrait.” Il faut dire, qu’encore une fois, le peuple libanais a dû se sortir seul de l’horreur, sans l’aide de son gouvernement, grâce à des groupes de bénévoles qui portaient secours aux survivants et déblayaient les gravats dans les rues tant bien que mal. “Les Libanais sont très fraternels. Quand on souffre, on se rassemble pour surmonter les épreuves ensemble.” Yousra appréhende le choc qu’elle sait qu’elle ressentira quand elle marchera dans les rues de Beyrouth à son retour. Pour autant, sa foi en son pays est inébranlable. Comme beaucoup de ses compatriotes, elle sait que le temps de l’engagement politique est venu, et elle compte bien sur les prochaines élections pour renouveler la classe politique dirigeante. Et c’est aussi au Liban qu’elle souhaite mener le projet professionnel qui lui tient à cœur : ouvrir une agence artistique pour promouvoir la culture et les artistes locaux. Inutile de vous dire que cette tornade bombesque est déjà en train de changer le game bien au-delà du Pays du Cèdre.


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COIFFU R E : JACO B K AJR U P @ CALLISTE A G E N CY. M A Q UILLA G E : KH ELA @ CALL MY A G E NT. O P ÉR ATEU R DIGITAL : A NTOIN E @ A-STUDIO . ASSISTA NT LU M IÈR E : G UILLA U M E LEC HAT.

S W E AT E N V ELO U R S , S H O RTY E N M A ILLE VIS C O S E ET ES C A R PI N S E N C U I R EFF ET LÉZ A RD B R ILL A N T SA IN T L AU REN T P AR AN THO NY VA CCA RELLO , C O LLI E R “S W I R L” E N P O LY M È R E A R G E N T, C H R O M E LI Q U ID E ET P E R LES D’H É M ATITE HUGO KREIT.


M ETA M O R P H O SIS , E PIS O D E 2: LI Q U ID ATI O N I N T H E P U PAL STA G E , VID E O , 2020 . À GAUCHE : L A C O M BI N A IS O N E M BLÉ M ATI Q U E D’I Q EC O .

INSTITUT DE

BON

DEPUIS QUATRE ANS, LE COLLECTIF D’ARTISTES

ET ACTIVISTES LGBTQIA+ INSTITUTE OF QUEER ECOLOGY

PROPOSE

DE

TRANSFORMER

NOTRE

SOCIÉTÉ EN UN SAFE SPACE MONDIAL. TEXTE STÉPHANE DURAND.


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Comme un acte de résistance face à la victoire de Trump en 2016, l’IQECO est né sur Internet de la volonté du sculpteur et cinéaste américain Lee Pivnik, nous démontrant au passage que les réseaux sociaux ne servent pas qu’à lancer des challenges chelous et à vendre sa vieille paire de Converse, mais peuvent aussi permettre de fonder une communauté digitale pour imaginer un futur durable. Guidé par les théories queers, féministes et la pensée décoloniale, refusant de vivre dans une société où la peur prédomine, un collectif d’activistes internationaux incluant aussi bien des artistes, des poète.sse.s, des écrivain.e.s que des chercheur.euse.s, décide alors d’inventer son utopie où tout être vivant, humain et non-humain, tient une place essentielle : “Je n’arrivais plus à créer à cause du contexte politique et de la crise environnementale : c’était trop ! nous explique Lee, à l’origine de ce mouvement. J’en ai parlé autour de moi et j’ai relié les problèmes environnementaux à mon identité queer. J’ai pris conscience de l’influence que les autres espèces ont eue sur la construction de mon identité. J’avais toujours pensé que la nature s’opposait à la culture, cela m’a choqué d’admettre que je ne les avais jamais envisagées comme une symbiose. J’ai donc créé cette communauté artistique de queer ecology pour sensibiliser à cette cause en proposant des curations d’expositions, des productions d’œuvres d’art et des projets culturels.”

LES AD H É R E N T. E . S D’I Q EC O , A RTISTES ET A CTIVISTES , ŒUVRENT POUR D ÉFA I R E LES H I É R A R C H I ES DAN G EREUSEM ENT D EST R U CT R IC ES .

En 2019, l’institut inaugure à Los Angeles Common Survival, sa première exposition à la Gas Gallery itinérante. Face à l’inaction des USA sur les questions environnementales, aux droits LGBTQIA+ sans cesse réprimés et à un avenir de plus en plus incertain, une quarantaine d’artistes sont invité.e.s à s’interroger sur notre rapport à la survie. En résulte une installation où se mêlent photographies, fanzines, sculptures, poèmes et vidéos. Loin du cliché du survivalisme à la papa (aka la famille qui s’enferme fusil à la main dans son bunker construit dans le jardin, après avoir dévalisé les rayons PQ du supermarché), les œuvres présentées proposent toutes des techniques de survie fondées sur l’entraide et le respect du vivant. À l’été 2020, l’IQECO décide de frapper fort et lance son projet Metamorphosis : une série de trois films d’animations visibles sur la plateforme Dis.art, dont le but est d’éveiller les consciences pour sortir l’écologie de son interdépendance toxique au capi-

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A U C E N TR E : M ETA M O R P H O SIS E PIS O D E 1: GRUB EC O N O M IC S , VID E O , 2020 .

Et qui dit communauté dit signe distinctif : les adhérent.e.s de l’IQECO portent tou.te.s une combi couleur lavande créée par Lee et l’artiste Félix Baudry. “C’est un hommage camp aux combinaisons de la Nasa, mais au lieu d’avoir un patch avec une fusée, sur les nôtres trônent une branche d’arbre et un phasme qui symbolisent le mimétisme employé comme stratégie d’évolution. Mais nos tenues sont avant tout un acte militant avec un rappel du triangle rose que les nazis firent porter aux homosexuel.les dans les camps de concentration. Nous arborons fièrement trois triangles que l’on appelle ‘new tomorrow’, ils forment ensemble un paysage représentant un

coucher de soleil sur la mer.” La couleur lavande n’a d’ailleurs pas été choisie au hasard ; elle rappelle la “menace mauve” qu’a subie la communauté gay aux USA en 1950 lorsque le gouvernement jugea les homosexuel.le.s susceptibles de porter atteinte à la sécurité nationale et décida de les évincer de ses services, orchestrant une véritable chasse aux sorcières appelée “lavender scare”, en référence à l’expression “lavender lads” employée à l’époque par le sénateur républicain Everett Dirksen pour désigner les hommes gays. Le logo de l’institut complète cette panoplie militante en étant cousu au niveau du cœur de la personne qui la porte : “Il représente une pierre posée comme un œuf et entourée d’autres pierres. Il fait référence à Roy & Silo, le couple de pingouins gays du zoo de Central Park, qui, voulant imiter les autres animaux, ont construit un nid en y plaçant une pierre en guise d’œuf. Touché par ce geste, le gardien du zoo a remplacé la pierre par un véritable œuf, et les deux pingouins mâles ont élevé ensemble leur bébé. Ce logo rappelle donc avec humour que rien n’est impossible”.

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talisme. On y voit notamment des chenilles rampant sur un avion de chasse en plastique, métaphore de l’armée américaine devenue l’institution la plus consommatrice de pétrole, mais aussi des papillons préférant rester dans leur chrysalide pour ne pas subir l’hétéronormativité imposée par la société. L’idée de génie : demander au rappeur, poète et activiste Mykki Blanco d’être le narrateur de ces trois courts métrages : “C’est essentiel que les gens puissent questionner notre monde qui est en train de s’effondrer, nous confie l’artiste. Ne pas comprendre que nous devons préserver cette planète, c’est comme si nous avancions les yeux bandés. On ne m’a jamais proposé un projet aussi fort que Metamorphosis. Mixer des théories anticapitalistes avec un message écologique sur fond de queerness : un mindfuck absolu !” Cette notion est au cœur de la pensée de l’IQECO : “Pour nous, explique Lee Pivnik, la queerness est le fait de vivre ensemble en prenant en compte les changements futurs : l’espoir, la joie, la souffrance et la considération de l’autre, qu’importe sa sexualité ou son genre”. L’institut concrétise d’ailleurs ce concept lorsqu’il mobilise la générosité de sa communauté afin d’aider des artistes en difficulté, comme elle l’a fait au mois de juillet dernier en relayant un appel au don pour aider la jeune artiste activiste jamaïcaine Adwoa Addae à recueillir la somme nécessaire pour quitter sa famille qui ne reconnaissait pas sa transidentité et s’installer à Miami. Nous inciter à rejoindre leur communauté, tel est l’enjeu d’H.O.R.I.Z.O.N., la nouvelle création de l’IQECO présentée au Guggenheim en janvier. Chacun.e est invité.e à télécharger cette application (disponible sur Mac et PC) pour rejoindre un monde virtuel en perpétuelle évolution, fondé sur l’échange de nos savoirs. Errer dans la forêt permet de recueillir des informations sur la faune et la flore sauvage, un passage en cuisine nous offre l’occasion de consulter les recettes déposées par les membres et de partager les nôtres. À l’heure

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où l’isolement règne, H.O.R.I.Z.O.N. se veut un espace de partage de pensées et de propositions pour affronter ensemble la société de demain. Ce futur que l’on envisagerait apaisé par la victoire de Joe Biden n’est pourtant pas du goût des membres de l’IQECO, comme nous l’explique l’un de ses membres, l’artiste berlinois Nicolas Baird : “Le futur restera un cauchemar si on ne décide pas de travailler tou.te.s ensemble pour le rendre meilleur. S’appliquer à cette tâche en la répétant jour après jour. Nous avons tou.te.s le pouvoir de faire changer les choses, Biden est hors sujet”. Ce qu’approuve totalement Lee : “L’impact des actions individuelles, que l’on soit président ou simple consommateur, sont insignifiantes comparées aux actions collectives. Je pense que Biden a le potentiel de devenir le ‘climat president’, mais la justice climatique ne peut surgir sans réparer les génocides sur lesquels sont construits les USA, et les dégâts qu’ils continuent de perpétrer”. À l’heure où l’activisme de rue reprend ses lettres de noblesse, on peut toutefois se demander si une communauté virtuelle peut faire avancer une cause aussi importante que la survie de la planète. Mykki Blanco en est persuadé : “Je crois qu’une plateforme virtuelle est aussi importante que la protestation sur le terrain. Nous passons une grande partie de notre vie dans l’ombre omnisciente d’Internet. Les réseaux sociaux peuvent servir à nous organiser, à élaborer des stratégies pour ensuite passer aux actions concrètes. L’IQECO est le seul endroit qui offre un cadre d’expression permettant d’établir des connexions entre les idées intersectionnelles. C’est une perspective d’avenir importante et surtout éclairante, une ouverture d’esprit sur toutes ces nouvelles prises de conscience. Interroger notre rapport à la planète pour nous réconcilier avec elle au vu des dégâts que nous lui avons fait subir, c’est déjà faire un pas en avant sur les générations futures”. Un nouvel horizon. queerecology.org


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CI-D ES S U S M ETA M O R P H O SIS , E PIS O D E 3 : EM ERG ENCE, VID E O , 2020 . CI- C O N TR E : F R O M F O LLO W S F O R E P L AY , P R OJ ET Q U I R É U N IT D U 24 M A I A U 9 J U I N 2019 A RTISTES , ÉC R IVA I N . E . S , BI O LO G ISTES , DANSEU R.EUSE.S, P O ÈTE . S S E . S E N R ÉSID E N C E P O U R LE B O FF O FI R E IS L A N D PERFO R M AN CE F ESTIVAL .

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HUMAN N ATU R E 54


DEPUIS SON STUDIO DE LONDRES, LE CRÉATEUR D’ORIGINE HONGKONGAISE ROBERT WUN FAÇONNE LA MODE DU FUTUR AVEC DES SILHOUETTES INSPIRÉES PAR LA NATURE, À MI-CHEMIN ENTRE

MATRIX, L’ANNÉE 3000 ET UN MANUEL DE SVT. ET SI CE DIGNE HÉRITIER D’ALEXANDER MCQUEEN AVAIT TOUT COMPRIS DE LA MODE DU FUTUR ? TEXTE PIERRE D’ALMEIDA.

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Si là, tout de suite, on vous demandait de choper un crayon, du papier, et d’imaginer la robe du futur, qu’estce que vous dessineriez ? Un fourreau avec visière et test PCR intégré ? Une crinoline imprimée en 3D ? Un truc s’approchant à quelques détails près de la robe Balmain que portait Kim Kardashian en 2016 sur le tapis rouge du Met Gala (mi-Robocop, mi-Jessica Rabbit) ? Robert Wun, lui, vous dessinerait probablement une orchidée. Diplômé en 2012 du London College of Fashion, le designer, dont les créations sont souvent comparées à celles d’Alexander McQueen tant la coupe en est soignée, est un passionné de nature avant d’être fan de mode : enfant, il pouvait passer des heures sur la construction d’un vivarium à destination de ses animaux exotiques – caméléons, pythons, salamandres, grenouilles, tortues –, qu’il voulait le plus proche de leur habitat naturel (au point de concevoir lui-même un système de cascade artificielle). Aujourd’hui, cette marotte ne l’a pas quitté (il collectionne toujours les numéros de National Geographic et conserve dans sa chambre pas loin d’une centaine de bouquins consacrés à la nature), mais c’est désormais à la mode que le créateur d’à peine 30 ans applique sa fascination pour le vivant, architecte suprême dont il s’efforce de reproduire les mutations. Ce n’est donc pas un hasard si les plissés de ses robes, les manches ballon de ses



vestes, ou les fronces en accordéon de ses jupes rappellent à vos souvenirs la délicatesse d’une rose de porcelaine ou la complexité d’une passiflore. Pour sa collection Printemps-Été 2021, conçue au début de la pandémie de Covid-19, le designer a ainsi puisé son inspiration directement dans la vitrine d’un fleuriste voisin de son studio, comme il l’explique à Mixte via Zoom : “Londres était en lockdown, toutes les boutiques étaient fermées, et je voyais ces fleurs et ces plantes mourir en bas de chez moi, ces feuilles et ces pétales se recroqueviller sur eux-mêmes. Je me suis dit : ‘faisons une collection sur la décomposition, sur la façon dont les couleurs et les textures parlent différemment quand elles meurent’.”

LE CRÉATEUR D’À PEINE 30 ANS APPLIQUE À LA MODE SA FASCINATION POUR LE VIVANT, ARCHITECTE SUPRÊME DONT IL S’EFFORCE DE REPRODUIRE LES MUTATIONS À TRAVERS SES CRÉATIONS DÉLICATES ET COMPLEXES.

cœur du travail de Robert Wun : une détermination à se libérer du “Western gaze” porté sur la culture et la mode asiatiques, et un rejet des poncifs forcément associés à ce continent par des commentateurs occidentaux en mal de folklore et “d’exotisme” (les baguettes, les dragons, le recours systématique aux idéogrammes, les qipaos en soie… vous voyez le délire). À ce sujet, il explique d’ailleurs avoir essuyé bon nombre de micro-agressions à ses débuts : “À un moment, c’était devenu presque impossible de trouver quelqu’un dans le milieu de la mode, à Londres, qui se fichait de savoir d’où je venais, que mon héritage n’intéressait pas. Des figures très influentes du secteur, le genre de personnes qui détermine qui est considéré comme un ‘talent émergeant’ voulait à tout prix savoir de quelle région de Chine j’étais originaire. On me demandait même si j’avais un visa, ou un petit copain britannique. Aujourd’hui, je n’ai pas peur de dire que c’est parce qu’ils ne savent pas comment ‘vendre’ un designer racisé sans le cantonner à ses origines, et que c’est plus facile pour eux de packager un créateur blanc sorti de Central Saint Martins, à qui ils ne demanderaient d’ailleurs jamais de créer des collections inspirées par leur village du nord de l’Angleterre.” S’il se refuse à jouer les tokens de la scène mode londonienne, cela ne signifie pas pour autant que Robert Wun n’aborde jamais ses origines dans ses créations. Au contraire : l’omniprésence des fleurs ultra-structurées dans ses collections depuis le Printemps-Été 2019 n’est pas seulement due à son amour pour les plantes, c’est aussi sa façon de rendre hommage à la légende chinoise de Hua Mulan (oui, la jeune guerrière cooptée depuis par Disney), dont le nom mandarin peut être traduit par bois, fleur ou – on vous le donne en mille – orchidée.

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En plus de librement explorer sa passion pour les végétaux, Robert a, depuis la création de son label en 2014, eu l’occasion de voir ses pièces portées par Solange, Céline Dion, Lady Gaga, Anya Taylor-Joy, Tessa Thompson, Cardi B (dans le clip de “Money”) ou encore Róisín Murphy (pour une performance sur la BBC, en décembre dernier), de dessiner les tenues d’un spectacle du Royal Ballet de Londres (Meta, chorégraphié par Charlotte Edmonds en 2016), mais aussi de contribuer à la création des costumes d’Effie Trinket (hôtesse fantasque du District 12 de Panem, jouée par Elizabeth Banks) dans le dernier volet de la saga dystopique Hunger Games: Mockingjay Part. 2, sorti en 2015. Un job tombé à point nommé pour cet obsédé du futur, qui cite régulièrement les personnages féminins des films des sœurs Wachowski (Matrix, Cloud Atlas) ou de Ridley Scott (Alien, Blade Runner) lorsqu’on lui pose la question de ses inspirations. Car c’est bien là tout l’enjeu de la mode de Robert Wun : puiser dans le naturel pour créer des silhouettes surnaturelles, et concevoir un ensemble qui pourrait parfaitement être porté

par Trinity (à qui les pièces en cuir de l’Automne-Hiver 2019 faisaient d’ailleurs directement référence) dans Matrix mais incorpore en même temps des éléments empruntés à un pétale, une tige ou une feuille. “Ce que j’adore dans les films de science-fiction, c’est cette capacité qu’ils ont à transposer les problèmes philosophiques que nous rencontrons tous les jours dans un contexte inimaginable pour mieux les aborder. Les films qui parlent d’intelligence artificielle, par exemple, sont un moyen de traiter le désir, l’ambition, ce qu’il peut y avoir de pire dans la nature humaine : notre volonté de devenir Dieu.” Pour le designer, les fringues pourraient d’ailleurs jouer un rôle similaire : “En designant des pièces qui permettent d’oublier l’espace d’un instant que l’on vit dans une société violente et traumatisante, qui transforment momentanément la personne qui les porte et changent la perception qu’elle a d’elle-même, j’ai parfois l’impression de créer de la même manière.” Autre élément au

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OLD BUT GOLD 00


ÉBRANLÉE PAR UNE PANDÉMIE ET UNE CRISE SANS PRÉCÉDENT REMETTANT UNE FOIS DE PLUS EN CAUSE SON MODÈLE INDUSTRIEL OBSOLÈTE (SURPRODUCTION, GÂCHIS, POLLUTION, EXPLOITATION), LA MODE POST-COVID A DÛ ENTAMER UNE VÉRITABLE TRANSFORMATION. ET SI CELA PASSAIT PAR LE FAIT DE FAIRE DU NEUF AVEC DU VIEUX ?

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TEXTE OLIVIA SORREL DEJERINE.

Dans une industrie obsédée par la nouveauté, disons que l’idée de faire du neuf avec du vieux était jusqu’à récemment aussi déroutante et incompréhensible que la gestion actuelle de la crise sanitaire par le gouvernement. Sauf qu’en 2020 avec la pandémie et ses lockdowns généralisés, la question d’un écosystème mode durable et éthique s’est amplifiée au point de devenir une obligation pour les marques. Normal : avec une économie paralysée par le virus, il a fallu faire vivre le biz avec une baisse de la consommation, des marges plus faibles et des stocks d’invendus sur les bras. C’est ainsi que les collections Printemps-Été 2021, entièrement conçues dans le contexte pandémique, ont marqué le début de la révolution la plus improbable que le luxe ait connu avec l’utilisation, par les plus grandes maisons comme par les petits labels, de procédés inédits, de textiles invendus ou de fringues d’anciennes collections. Depuis la lettre ouverte d’Armani en avril 2020, dans laquelle il appelait l’industrie à rompre avec un rythme de production “absurde” et “criminel”, une véritable infiltration du vintage dans la sphère luxe est survenue. À l’image de Marni, qui a créé des manteaux en patchwork et des robes à partir de vêtements existants pour sa collection SS21 ; de Balenciaga et son manteau en “fourrure de lacets” ; de Miu Miu avec sa collection capsule créée à partir de pièces des années 30 à 70 ou encore de Virgil Abloh dont la collection Hommes Louis Vuitton SS21 était régie par les principes de l’upcycling. Pimper le vieux serait désormais la nouvelle philosophie des designers en quête de sens dans un monde qui part en vrille, et surtout l’opportunité de booster leur créativité, tout en questionnant l’obsolescence du système qu’ils ou elles entretiennent. Comme le rappelle un récent rapport du ministère de la Transition écologique et solidaire publié en janvier 2020, entre

10 000 et 20 000 tonnes de produits textiles sont détruits en France chaque année. Alors, pour y remédier et montrer qu’elle est un minimum consciente de son époque et des problématiques qui y sont associées, la mode qui avait (trop) doucement commencé à s’écoresponsabiliser il y a quelques années, semble avoir enfin capté l’enjeu du sujet. Certes les actions des grands groupes textiles sont toujours plus qu’anecdotiques, mais 2020 et sa pandémie auront eu au moins le mérite de provoquer une transformation en profondeur que l’industrie retardait depuis trop longtemps. Tour d’horizon d’initiatives qui nous montrent que la métamorphose écolo a bel et bien été enclenchée.

1. LE LOOK TRASH (POUR DE VRAI) Mi-octobre 2020, le styliste belge Tom Van der Borght a reçu le Grand prix mode au festival international d’Hyères pour sa collection baptisée “7 façons d’être TVDB”. À base de cordes d’alpinisme, de serre-câbles, de tissus rebrodés de perles, ses créations sont puissantes, colorées, troublantes. De la tête aux pieds, visage inclus, les silhouettes bariolées et sculpturales impressionnent. Le credo de TVDB ? “Tu peux les porter si tu oses les porter.” À 42 ans, le créateur souhaite défier ce que la mode trouve désirable. Il remplace ainsi les matériaux de valeur, comme le cuir ou l’or, par des choses que l’industrie de la mode ne considère pas comme étant nobles et fabrique tout luimême, en mixant techniques classiques et matériaux futuristes, alternatifs ou de récup’. Sacs réalisés à partir de peaux de poissons destinées à être jetées, manteaux confectionnés avec des échantillons de fourrure végétale… L’idée est de donner une seconde vie à des produits abandonnés, et surtout d’insuffler une nouvelle réflexion sur la haute couture en shiftant les modes de pensée de l’industrie du luxe.

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2. QUAND LES GRANDS ESPRITS SE RECYCLENT Veste en jean agrémentée de tweed Chanel, trench Burberry cousu inside out, manteau mixant du YSL et du Levis, 1/OFF Paris aborde la mode luxe avec un nouvel œil écoresponsable. À l’origine de cette marque d’upcycling, on retrouve le duo de Néerlandaises Renée van Wijngaarden, directrice marketing, et Xuan Thu Nguyen, directrice de la création, toutes deux sensibilisées au gâchis de l’industrie au cours de leur carrière. La première en ayant été témoin des entrepôts remplis de produits de luxe délaissés lorsqu’elle était cheffe des partenariats chez Vestiaire Collective, la seconde en voyant les tonnes de vêtements abandonnés dans les grosses usines de vêtements que sa famille possédait en Hollande. C’est ainsi qu’il y a deux ans environ est née 1/OFF Paris, dont l’objectif est de réutiliser les vêtements abandonnés pour étendre leur cycle de vie et rendre l’industrie plus circulaire. Avec ses pièces ultra-high standard coupées et remasterisées, 1/OFF s’oppose à l’esthétique traditionnelle du luxe. Pour autant, elle est devenue un véritable go-to, avec des créations vendues dans les grandes enseignes multimarques comme Selfridges et Harvey Nichols.

3. LE PARADIS DE LA CONSO DE MASSE Chiara Rivituso et Matteo Bastiani, les deux designers milanais derrière Camera 60, réinterprètent des sacs à main iconiques de luxe avec des matériaux upcyclés – de la boîte de biscuits Oreo au sac Ikea en passant par l’enveloppe DHL. À la base, spécialisé dans le cuir, le duo s’est mis, pendant le confinement, à transformer des emballages, sacs et autres déchets en plastique qui auraient fini à la poubelle. C’est ainsi qu’une boîte à chaussures Nike est devenue un Saddle bag Dior et qu’un packaging McDo s’est changé en sac Fendi Baguette. Envie de

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savoir comment réutiliser votre boîte à pizza Buitoni ? Direction leur Insta où ils mettent des tutos à dispo. La marque SEVALI, basée à Paris, s’attaque quant à elle à des objets trouvés dans la rue en exploitant le principe de l’upcycling à fond. Le siège d’une voiture se transforme en Combishort, les tickets de métro en robe, l’enveloppe FedEx en bustier, et le matelas en manteau oversize. Avec ses créations uniques, le designer d’origine chilienne Sebastian A. de Ruffray pousse l’imaginaire audelà de ses frontières et a d’ailleurs conquis des stars de la musique – Lisa du groupe k-pop Blackpink, Doja Cat ou encore Rosalia.

4. SAVOIR-FAIRE ET FAIRE SAVOIR Allier bénéfice planète et bénéfice humain, c’est le projet de l’association Renaissance spécialisée dans l’upcycling de luxe. Dans son atelier, à Villejuif, l’organisation forme des apprentis couturiers en réinsertion pour devenir les acteurs de la mode responsable de demain. Des hommes et des femmes de tout âge, qui viennent d’un peu partout (France, Afghanistan, Moldavie…) et qui apprennent lors d’un cursus de six mois à déconstruire puis reconstruire sous une nouvelle forme des vêtements haute couture donnés par des particuliers ou des grandes marques. Imaginé par Philippe Guilet, styliste français passé par Karl Lagerfeld, Donna Karan ou encore Jean Paul Gaultier, l’asso a le soutien des groupes de luxe Kering et Richemont ou encore de la Fondation Sisley et de l’IFM qui veulent tous un pied dans cette révolution verte. Une fois pimpées, ces nouvelles créations sont vendues aux enchères.

5. TECH ME BACK Pour devenir plus transparente, l’industrie de la mode a cherché aussi des solutions dans la tech. En juin, WWF et Google se sont associés pour élaborer une plateforme de data environne-

PIMPER LE VIEUX SERAIT DÉSORMAIS LA N OUVELLE PHILOSOPHIE DES DESIG NERS EN QUÊTE DE SENS D A N S U N M O ND E QUI PART EN VRILLE, ET SURTOUT L’OPPORTU NITÉ DE BOOSTER LEUR CRÉATIVITÉ, TOUT EN QUESTIO N NANT L’OBSOLESCENCE D U SYSTÈM E QU’ILS OU ELLES ENTRETIEN NENT.


mentales qui permettra de donner des insights aux pros de la mode sur la pollution et les émissions de gaz à effet de serre provoqués par leurs décisions commerciales. Burberry a ainsi collaboré à l’automne dernier avec des étudiants d’IBM pour développer un outil de traçabilité pour les consommateurs. Baptisée “Voyage”, cette solution-test utilise les technologies Cloud et Blockchain d’IBM pour collecter la data autour de la chaîne de production de la marque et la rendre compréhensible pour le grand public. À partir de l’application mobile de Burberry, il suffira de scanner l’étiquette ou d’entrer le code identifiant d’un produit pour accéder aux infos. Voyage proposera aussi la possibilité de configurer cet outil en fonction de vos critères préférés – si vous êtes végan.e ou adepte des matières recyclées, par exemple –, et vous pourrez aussi ajouter des renseignements sur le cycle de vie d’un produit que vous avez acheté en précisant s’il a été recyclé, réparé ou upcyclé.

6. ZÉRO GENRE, ZÉRO DÉCHET La vraie mode écolo prend aussi en compte le processus de confection et la déconstruction des normes de genre, à l’image de la marque Tonlé qui, depuis 2008, récupère des chutes de tissus d’usines à Phnom Penh au Cambodge pour les transformer en vêtements genderless. Le label bénéficie ainsi d’un process de manufacture qui produit zéro déchet. Et le principe est poussé à l’extrême : chaque reste de tissu est transformé en fil qui est ensuite tissé dans un autre tissu (l’Inception de la fringue). Sur un même positionnement, Daniel Silverstein transforme les surplus d’autres designers et d’usines de fringues en vêtements genderless. Sa marque de fabrique ? Assembler des chutes pour créer un unique patchwork qu’il appelle “reroll” et dont il fait des tee-shirts, jogging, sweatshirts, etc. En septembre 2020, au lieu de participer à la Fashion Week, il a lancé sur le Net son propre show

“Sustainable Fashion is Hilarious”, un mix de mode et de comédie pour montrer l’absurdité du fonctionnement des défilés et partager son message écolo à un public plus large.

7. QUAND L’OCCASION SE PRÉSENTE À l’image de Cos avec sa plateforme Resell, dédiée à la revente de ses vêtements, l’autre stratégie écolo sur laquelle misent les marques est bien celle du resale. Les grandes marques auparavant frileuses, sont de plus en plus nombreuses à s’engager dans la seconde main, comme Gucci qui s’est associé en octobre au spécialiste de la mode circulaire The RealReal pour vendre ses pièces d’occasion. “En innovant en continu pour rendre ses activités plus durables, Gucci met la barre haut, non seulement pour l’industrie de la mode, mais également pour toutes les entreprises, souligne Julie Wainwright, fondatrice et CEO de The RealReal. Ensemble, nous mettons un coup de projecteur sur le principe de la revente et espérons que cette démarche incitera tous les consommateurs à soutenir l’économie circulaire et à nous rejoindre dans la réduction de l’empreinte carbone du monde de la mode.” Cette nouvelle initiative écolo de la part de Gucci vient s’ajouter à une longue liste de précédentes mesures récemment adoptées par la marque et allant dans ce sens (moins de turn-over, des collections présentées deux fois par an et agrémentées de capsules, une plateforme – Equilibrium – dédiée à la visibilité des initiatives RSE, une série de pièces Off the Grid conçues à partir de matériaux durables). Cela dit, n’oublions pas l’intérêt purement économique d’un tel projet. Si Gucci et les autres se mettent désormais à revendre eux-mêmes leurs propres produits en seconde main, c’est probablement parce qu’ils ne veulent pas être exclus du marché alternatif de la revente qui aujourd’hui pèse pour 9 % dans celui du luxe global.

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L’ODYSÉE DE CRYSTAL À SEULEMENT 19 ANS, CRYSTAL MURRAY

A ACQUIS À TOUTE ALLURE UNE MATURITÉ QUI LUI A DÉJÀ PERMIS DE SE TRANSFORMER PLUSIEURS FOIS. EN 2021, LA JEUNE CHANTEUSE VIENT NOUS CONQUÉRIR AVEC SA FIBRE NÉO SOUL ET SON ÉNERGIE IMPÉTUEUSE. PROPOS RECUEILLIS PAR OLIVIER PELLERIN. PHOTOS JULIEN VALLON. RÉALISATION JOANA DACHEVILLE. CRYSTAL MURRAY EST HABILLÉE EN MIU MIU.


BLO U S O N E N J E R S EY À M A N C H ES E N C U I R , BLO U S E E N O R G A N Z A À C O L E N L A ITO N ST R A S S É , M I N I-S H O RT E N N YLO N , PA N TALO N E N M O LLETO N , BA S K ETS À TALO N S E N C U I R M I U M I U . PA G E D E G A U C H E : BLO U S O N E N J E R S EY ET C U I R , J U P E E N T R IC OT D E S O I E ET C OTO N M I U M I U . S U R TO UTES LES PA G ES , BA G U ES P E R S O N N ELLES .



M I N I-J U P E E N C AD Y B R O D É D E C R ISTA U X , C A RD I G A N E N C OTO N , BA S K ETS À TALO N S E N C U I R M I U M I U . PA G E D E G A U C H E : D O S- N U ET M I N IJ U P E E N C AD Y B R O D É D E C R ISTA U X , M I N I-S H O RT E N G A BA RD I N E D E C OTO N M I U M I U .


M A N TE A U E N C U I R N A P PA L A M É À C O L B R O D É D E C R ISTA U X , P U LL E N C H E N ILLE , M I N I-S H O RT E N G A BA RD I N E D E C OTO N , BA S K ETS À TALO N S E N C U I R M I U M I U .


Issue d’une famille de musiciens, Crystal Murray semble avoir déjà vécu mille vies, à en croire ses nombreuses expériences et son étonnante sagesse. Très tôt, cette Parisienne a fait des salles de concert du monde entier son kindergarten, dans le sillage des tournées de son père, le saxophoniste de free jazz américain David Murray, et de sa mère, la productrice de concerts de musiques du monde Valérie Malot. Jeune femme de son temps, elle revendique son année de naissance, 2001, non comme une odyssée de l’espace mais comme un diplôme de maîtrise pragmatique ès “sociétés connectées”. Influenceuse, avant même que le terme n’existe, au sein du collectif Gucci Gang qu’elle a spontanément créé avec trois copines de collège – notamment Thaïs Klapisch, dont le père Cédric a réalisé son clip August Knows –, elle a ensuite fondé la plateforme Safe Place, qui donne la parole à la jeunesse et l’aide à lutter contre le harcèlement et les agressions. Crystal se consacre désormais totalement à sa musique et a sorti en 2020 son premier EP, I Was Wrong. Ses sonorités néo soul séduisent par l’assurance de sa voix à la raucité lascive et dansante, qui ravive les glorieuses aînées du genre, d’Erykah Badu à Macy Gray. Toujours bien entourée, Crystal vient de créer son label Spin Desire, pour révéler l’effervescence de talents dont elle s’entoure et qu’elle anime, notamment au sein du projet Hotel Room Drama. La première à en profiter est Dian, artiste trans envoûtante qui drape de trap la soul de Crystal, dans leur première livraison “GGGB”, pour Good Girl Gone Bad. Un titre qui sonne comme la promesse

d’une métamorphose pour la chanteuse qui explore, à la faveur de l’inactivité imposée par la pandémie, des pistes plus audacieuses. Sa jeunesse riche de mille influences lui confère aujourd’hui une culture suffisante pour en faire le creuset d’une créativité singulière, qu’on verrait bien la mener sur les traces d’une Solange afro-européenne. L’entretien révèle une jeune femme désireuse de faire bouger les lignes.

MIXTE. Tu as sorti début 2020 ton premier EP puis, en fin d’année, le single “GGGB”. Travailles-tu déjà sur la suite de tes compositions ? CRYSTAL M URRAY. Je suis en train de finir mon second projet. J’ai un peu profité de cette année bouleversée par la pandémie pour me poser sur ma musique. Là, on est plus sur nos sentiments intimes. Ça nous laisse un temps d’introversion avant, j’espère, de revenir de plus belle aux échanges humains, c’est peut-être le moment de se recentrer. J’ai appris à prendre davantage mon temps en studio, à réfléchir à toutes les composantes, de l’instrumental jusqu’aux lyrics. Avec le producteur Sacha Rudy, avec qui j’ai réalisé mon premier EP, on a trouvé un son qui nous correspond à tous les deux. I Was Wrong était une expérience, j’étais assez jeune, dans la découverte. Le second sera un peu plus assumé. Il y a un featuring avec le rappeur Le Diouk qui doit arriver. On va commencer à en parler vers mars avril. M . Comment décrirais-tu la nouvelle direction que tu prends ? C. M . Je dirais qu’elle est sèche et énergique. Les batteries sont plus resserrées, les synthés moins aériens, c’est

ce qui donne un son assez sec. La voix aussi est plus sèche qu’avant, avec moins de réverbération. C’est assez différent du premier EP, car même s’il y a quand même quelques similarités, je me permets trois ou quatre sons assez osés. Je vais un peu dans tous les sens parce que maintenant, je sais où je peux aller niveau voix. Je me suis amusée à l’utiliser sur toute une palette de couleurs, pas seulement la jolie voix soul. Mais il me reste encore plein d’autres voies à explorer, plus je m’aventure dans des mélodies et plus j’en découvre, je n’en suis vraiment qu’au début. M . Quels sont ces sons osés dont tu parles ? C. M . Du rock ! Je me suis un peu inspirée de Betty Davis (chanteuse et mannequin soul-funk américaine à la forte personnalité, mariée un an à Miles Davis qu’elle influencera grandement, lui faisant découvrir le panache psyché du rock de Jimi Hendrix ou de la funk de Sly Stone, ndlr), au niveau de sa capacité à imprimer ses émotions sur sa voix. Ce sont mes chansons thérapies, pour évacuer. Quand je les écoute, je suis moins énervée. Betty Davis est cataloguée blues, mais en fait elle est rock. C’est l’énergie que j’ai en ce moment. Côté voix, tout le monde s’essaie à un truc assez souple, moi je fais des sons grave énervés ! M . Tu fais partie de la Gen Z (la génération née entre 1997 et 2010), pourquoi revendiques-tu ton année de naissance, 2001 ? C. M . C’est une génération assez forte, assez belle. Les 2001 n’ont pas grandi “dans” les réseaux sociaux, mais pendant leur apparition. Il y a une différence entre les 2001 et les 2004, qui,

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PA N TALO N E N J E R S EY S U R M I N I-S H O RT E N G A BA RD I N E D E C OTO N , D O S- N U E N C AD Y B R O D É D E C R ISTA U X , SA N D ALES E N C U I R M I U M I U .


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eux.elles, sont né.e.s “dedans”. Nous, on a une sorte de limite, on se situe à la frontière de la génération surconnectée et de celle qui ne l’était pas encore. Il y a un truc de maturité. Chacun.e des 2001 que je rencontre mène des projets créatifs, que ce soit en écoles d’art, en faisant des vêtements, des bijoux… Les 2001, on les voit, il.elle.s sont assez présent.e.s, au courant des tendances, c’est le bon côté des réseaux sociaux. On est engagé.e.s et on pense grave à nos enfants, à un futur sans limites d’ethnie, de genre, sans cases, sans label. Finalement, dans tout ce marasme des réseaux sociaux, il y a quand même une génération basée sur l’humain. On est tou.te.s des anarchistes. J’adore être une 2001 ! M. Les réseaux sociaux ont tenu une place importante dans ton adolescence, notamment avec ton groupe Gucci Gang… C. M. Gucci Gang, c’était assez naturel. On avait 14 ans, on venait d’avoir des téléphones portables, Instagram commençait et on a mis les mains dans les réseaux sociaux comme ça. Aux États-Unis, ça existait déjà, mais en France on ne connaissait pas encore. Pendant deux ans, on ne savait même pas comment se définir. Et puis, finalement, on nous a désignées comme influenceuses. On faisait des photos sur Instagram avec les fringues de nos frères. Avec les réseaux, c’est devenu quelque chose de big, un vrai phénomène, alors qu’on était juste quatre collégiennes avec une sensibilité artistique. À 14, 15, 16 ans, c’est cool, on t’invite, tu mixes, c’est un peu la vie de rêve. Mais je voulais quelque chose de plus réel. J’ai l’impression que je suis une adulte depuis mes 16 ans, parce

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que j’ai vu les arrière-cours, les gens, la mode. Mais je n’étais pas mannequin, plutôt ce qu’on appelle un talent, et je ne comprenais pas trop l’excitation qu’il y avait autour de tout ça. J’ai préféré me concentrer sur ma musique et toucher le monde par mon travail et pas seulement en étant une fille “cool”. M. Et la Mode, qu’en retiens-tu ? C. M. J’adore les habits. J’allais à l’école à côté de l’Hôtel de Ville, où il y a plein de friperies et j’adore digguer du vintage. J’ai une armoire énorme remplie de belles pièces que j’ai eues pour pas grand-chose. Je ne suis pas dans les habits chers, il y en a déjà beaucoup trop sur Terre ! J’aime superposer, le layering. En ce moment, je fais des collaborations avec des marques d’upcycling sur Instagram. Je leur envoie des robes et elles m’en font des bêtes de sapes ! Par exemple, Olivia Ballard à Berlin, ou Kerne.Milk à Copenhague. J’adore les pièces un peu rares. M. Après Gucci Gang, tu lances les sessions Hotel Room Drama. C’est important le collectif pour toi ? C. M. Hotel Room Drama, c’est une série de vidéoclips et de sons où j’invite des artistes avec qui j’ai envie de collaborer. C’est un peu comme un album que je ferais en live, une sorte de carte blanche. Le dernier en date est un featuring avec l’artiste londonienne Elheist sorti le 24 février. J’ai envie de constituer une armée, de créer un univers artistique fort. C’est notamment ce que je fais avec mon label Spin Desire, que je viens de créer et sur lequel j’ai signé les artistes Dian et Niariu. Aujourd’hui, je suis en mode création, je veux de l’artistique, de la musique, des clips, là où le Gucci Gang c’était juste du “cool”.

M . Tu as déjà beaucoup de clips à ton actif. C’est important l’image, pour toi ?

C. M . C’est intéressant que tu m’en parles. Justement, je me recentre làdessus en ce moment, parce que ça part un peu dans tous les sens. Je suis contente que l’EP I Was Wrong soit sorti et que les gens puissent voir l’évolution, notamment via les clips. Mais entre le morceau “Princess” et maintenant, j’ai l’impression d’avoir vécu quarante mille vies : Gucci Gang, puis l’école, faire la DJ… je suis déjà fatiguée ! Cette année, pour le prochain EP, je suis en train de travailler sur un visuel assez personnel, qui fait vraiment sens pour moi. Il y a eu “Princess”, des images un peu fortes comme sur “August knows”, “GGGB” qui était mon idée, des trucs avec des réalisateurs qui sont mes potes, mais je veux creuser ma propre direction. M . Si tu devais citer tes influences musicales, qui nommerais-tu ? C. M . J’ai grandi dans une famille de musicien.ne.s et mon père est un saxophoniste afro-américain, pour qui le gospel est très important. C’est une musique mystique, chantée dans des églises. Mon père joue du free jazz, ça donne une idée de cette vibe-là. Même si je ne me suis jamais dit que la musique était quelque chose que j’allais faire, je savais que ça me suivrait toute ma vie. Donc je peux citer Marvin Gaye, John Coltrane, du jazz et de la soul, des styles très afro-américains. Et aussi Kelis et Macy Gray. J’aime trop les divas qui créent leurs propres émotions. Pour les artistes d’aujourd’hui, Dian, Serpentwithfeet qui fait du nouveau gospel, Amaarae, Santigold bien sûr, Kid Cudi, Shygirl, Nathy Peluso, Arca, Laylow, et aussi de la techno…


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COIFFU R E : A N N E S O P HI E B EGTR U P @ W IS E&TALE NTED , M A Q UILLA G E : M ARIA O LSS O N @ W IS E&TALE NTED , M A N U CU R E : A N AIS CO RD EVA NT @ W IS E&TALE NTED . S ET D ESIG N : LÉO LACAP E ET G UILLA U M E. ASSISTA NT STYLISTE : LÉO R O U A U LT. ASSISTA NT P H OTO G R AP H E : FLO R E NT VINDI M IA N .

M I N I-S H O RT E N G A BA RD I N E D E C OTO N ET P O LO E N PI Q U É D E C OTO N M I U M I U .


MOR PHO D’ANTHOLOGIE TEXTE THÉO RIBETON.

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ZOMBIES, VAMPIRES, LOUPS-GAROUS, SUPERHÉROS. PEU IMPORTE LA FORME QU’ELLE PREND, LA MÉTAMORPHOSE A TOUJOURS NOURRI ET OBSÉDÉ LA FICTION, SOULEVANT LES QUESTIONS EXISTENTIELLES PROPRES À LA CONDITION HUMAINE : IDENTITÉ, DISCRIMINATION, ENVIRONNEMENT, MALADIES… RETOUR SUR LES TRANSFORMATIONS EMBLÉMATIQUES DE LA POP CULTURE.

La fiction de notre ère a débuté par une métamorphose. Celle du poète Ovide qui, en l’an 1, se distingue de ses contemporains en regroupant dans 15 livres composés de 12 000 vers, près de 250 transformations inspirées de la mythologie gréco-romaine (Zeus en taureau blanc, Narcisse en fleur…). “Mon esprit me porte à parler des formes changées en corps nouveaux”, écrit l’auteur dans Les Métamorphoses. En intitulant ainsi son ouvrage, Ovide inventait alors le terme même de métamorphose – inexistant en langue latine et rarissime en grec – mais était aussi le premier à s’intéresser et à conceptualiser le phénomène. Car, des corps qui se transforment, il y en a toujours eu dans la mythologie et cela ne choquait personne, jusqu’à ce qu’Ovide y prête une attention toute particulière. “Dans de nombreux récits grecs, les héros ou dieux changent de forme, sans qu’il y ait objectivation de ces épisodes en tant que métamorphose, explique la latiniste et helléniste Florence Dupont, professeure émérite à l’université Paris-Diderot. Il n’y a pas d’ordre transcendant fixé instituant des règnes, animal, végé-

tal, minéral… Notion aujourd’hui arbitraire, tant les frontières sont floues”. En écrivant ce long poème, Ovide n’a fait qu’inventorier en un recueil ce qui, dans l’Antiquité, ne relevait que de la nature changeante des choses, de l’ordre banalement hybride du monde. Et, de fait, depuis les humains à tête de bison peints sur les murs de la grotte paléolithique d’Altamira jusqu’au Dracula de Francis Ford Coppola, il y a toujours eu un être qui se change en un autre, démontrant que quand deux corps se fondent en un, une histoire commence. Coïncidence heureuse ou force originelle de la fiction ? Pour tenter d’y répondre, Mixte revient sur la vaste histoire des métamorphoses pop culturelles, à travers quelques-unes de ses grandes figures, et les questions existentielles qu’elles nous posent. Prêt.e.s à vous transformer ?

L’ANCIEN MÉTAM ORPHE GOTHIQUE “Parler du cinéma, c’est toujours parler de moi, le vampire.” Dans Le Miroir obscur, une histoire du cinéma des vampires (éd. Rouge profond, 2014), le critique Stéphane du Mesnildot explique que cette créature protéiforme est inséparable du cinéma – de ses origines, donc, mais aussi de son procédé. Car le vampire est “la créature expérimentale du cinéma, lui permettant d’éprouver ses limites : retournant l’image en son négatif, en épuisant le noir et blanc, faisant jaillir sa couleur (le rouge, la couleur par excellence), la plongeant dans des extases psychédéliques”. Les métamorphoses organiques, minérales et lumineuses du vampire (ce dernier peut se chan-

ger en chauve-souris, mais aussi en chien, en loup et même en éléments et choses inanimées comme le brouillard londonien ou les miroitements de rayons de lune), se prolongent dans les métamorphoses photographiques de la pellicule. Le cinéma invente alors sa panoplie d’effets (accélérations, superpositions, filtres, inversions chromatiques…) en se saisissant du vampire dans Nosferatu de Friedrich Wilhelm Murnau (1922), sommet de l’expressionnisme allemand, dans le Vampyr de Carl Theodor Dreyer (1932), ou bien plus tard dans l’adaptation de Coppola (1992). Une liste d’œuvres qui n’auraient pas vu le jour sans le célèbre roman de Bram Stoker, Dracula, dont l’auteur anglais commence à écrire les premières pages en 1897, au moment même où le premier cinématographe des frères Lumière projette ses ombres sur l’écran du Salon indien du Grand Café à Paris (comme par hasard). Si les vertus métamorphiques du vampire sont d’abord associées à l’idée d’une pure puissance, liée à l’invention de formes, elles prennent à l’inverse une connotation métaphorique beaucoup plus autodestructrice et morbide à la fin du xx e siècle. Dans Les Prédateurs, film avec Catherine Deneuve et David Bowie (1983), le réalisateur Tony Scott dilapide ainsi symboliquement une certaine idée du vampire gothique

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(l’œuvre s’ouvre sur une scène de nightclub au son de “Bela Lugosi’s Dead” du groupe Bauhaus, Bela Lugosi étant l’interprète emblématique de Dracula dans les années 1930) et en fait la créature symbolique d’une mort nouvelle : “L’épidémie du sida a déjà commencé quand le film se tourne, et il est marqué par ça parce que le sang est devenu un sang contaminé”, analyse Stéphane du Mesnildot. En atteste la cinglante scène de vieillissement accéléré de John (David Bowie) à l’hôpital, qui résonne très douloureusement avec l’épidémie naissante : transformation mortifère, interprétée par le plus grand métamorphe de l’histoire de la pop music (plus méta, tu meurs). C’est encore quelques années plus tard que le vampire passe dans le giron de la teen pop culture, à travers deux grandes sagas populaires : Buffy contre les vampires de Joss Whedon et Twilight de Catherine Hardwicke. Le vampire y représente alors une figure plus puritaine, incarnant l’amour impossible entre une jeune fille et un homme vampire, en l’occurrence Spike (James Marsters) dans la première et Edward (Robert Pattinson) dans la seconde.

LE FREAK SHOW DES SUPERHÉROS Si le vampire a en effet fini par rencontrer la teen TV et le teen movie, il n’est toutefois pas le grand archétype figurant cette métamorphose universelle qu’est l’adolescence : cette figure, c’est le superhéros. David Honnorat, cocréateur de la newsletter du 7e art Calmos et auteur de Movieland, le guide ultime du cinéma (Hachette), explique que “l’emblème bien connu de cet aspect est Spiderman, notamment à travers les adaptations de Sam Raimi”. Dans le premier volet de la trilogie, sorti en 2002, Tobey Maguire découvre ses pouvoirs comme un adolescent apprivoise son corps qui change – muscles nouveaux, accès de jouissance narcissique et, bien sûr, “éjaculations” incontrôlées de toiles. Le superhéroïsme est une puberté métaphorique. C’est

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cependant loin d’être le seul aspect de la métamorphose superhéroïque. “Une figure qui m’intéresse particulièrement du point de vue de la métamorphose, c’est Hulk, dont l’évolution au cinéma et à la télévision est emblématique de l’évolution du genre.” En effet, dans les premières adaptations de la fin des années 1970 (en téléfilm et en série), Hulk est l’alter ego bestial du Dr. Banner, physicien nucléaire, qui se transforme de façon incontrôlée sous l’effet de la colère. Deux acteurs différents (dont le culturiste Lou Ferrigno) se partagent le personnage. Vingt ans plus tard, les films Hulk (avec Eric Bana), L’Incroyable Hulk (avec Edward Norton) puis les débuts de la franchise Avengers (avec Mark Ruffalo) défont peu à peu la part bestiale de la métamorphose. D’abord, Hulk devient une créature en images de synthèse, un humain augmenté plutôt qu’animalisé ; vient ensuite Avengers (2011), où Banner n’est plus l’esclave d’un monstre intérieur qui lui dicterait ses humeurs, puisqu’il contrôle à l’envi sa transformation en Hulk. “Enfin, dans les derniers volets de la saga Marvel, Hulk lui-même apparaît sous une forme totalement docile, affublé d’un tee-shirt et d’une paire de lunettes, guéri de toute espèce de bestialité, déplore David Honnorat. C’est le signe d’une métamorphose du genre lui-même, qui a fini par se standardiser et évacuer ses tourments intérieurs.” La forme contemporaine du genre superhéros a lissé sa part métamorphique et hybride. Cela n’a pas toujours été le cas, comme chez Tim Burton, dont les deux Batman exaltaient la notion de freak. “La Catwoman de Michelle Pfeiffer, dans Batman : Le Défi, incarne à la fois une métamorphose plus légère, avec une transformation qui est surtout psychologique (elle devient une femme désirante et assurée), et pourtant profonde. Car Burton fait sortir le monstre en elle – mais il est plutôt du côté du monstre : c’est une bestialité souhaitable.” Elle a d’ailleurs des racines au-delà du genre superhéros, par exemple dans La Féline de Jacques Tourneur (1942), œuvre incontournable de l’épouvante hollywoodienne classique, où une jeune créatrice de mode était peu à peu changée en panthère. Quelques années avant Burton, la métamorphose comme devenir bête a connu l’un de ses principaux chefs-d’œuvre,

qui n’est pas sans lien avec son goût du monstre : La Mouche de David Cronenberg. Inventeur d’une machine capable de téléporter des objets, le scientifique Seth Brundle (alias Jeff Goldblum) s’y hybride accidentellement avec une mouche en testant sur luimême la téléportation de tissus vivants. Se transformant peu à peu en être mihomme mi-insecte, Seth tentera dans un dernier accès de désespoir de fusionner avec la femme qu’il aime et qui porte son enfant, lâchant ces derniers mots : “We’ll be the ultimate family. A family of three, joined together in one body... more human than I am alone.” Une transformation qui ne cache pas ses liens avec la plus importante parabole littéraire sur la métamorphose du xx e siècle : La Métamorphose de Kafka, écrite en 1912 et publiée en 1915, récit de l’inexplicable mutation en blatte d’un jeune voyageur de commerce.

LE CORPS POLITIQUE DU ZO M BIE Avec celui des superhéros, le deuxième grand règne de corps métamorphosés sur la pop culture des dernières décennies est celui des zombies. Issus du folklore vaudou, les zombis (sans “e” dans leur forme traditionnelle) sont en Haïti des êtres humains privés de volonté par un poison toxique, comme l’explique l’anthropologue Philippe Charlier dans Les Zombies (éd. Le Lombard). Sous l’emprise d’une “camisole chimique”, ce sont des figures déshumanisées, mais aussi des avatars de l’esclave puisqu’ils peuvent être exploités : “Ce sont des nouveaux esclaves, ils perdent complètement leur libre arbitre” et les prêtres vaudous les utilisent “comme aides ménagères, gardes d’enfants, esclaves sexuels pour certaines femmes (rarement pour les hommes) et surtout dans les champs de canne à sucre”, tel


qu’on le voit dans le premier film hollywoodien à les représenter, Les Mortsvivants de Victor Halperin (1932). Mais aussi dans une variation récente et plus auteuriste sur le motif, Zombi Child de Bertrand Bonello (2018), adapté de l’histoire vraie de Clairvius Narcisse, un Haïtien qui avait été enterré en 1962 et était réapparu 18 ans plus tard. Ce sont les films de George Romero qui en fixent la forme et les enjeux contemporains dès la fin des années 1960, en associant au genre un sous-texte politique constitutif de son ADN. Sorti dans un moment de fortes contestations liées aux luttes civiques et pacifiques, La Nuit des morts-vivants (1968) fait du zombie un avatar du changement de société en cours, comme l’explique le réalisateur lui-même dans un entretien fleuve donné dans le cadre du livre Politique des zombies (Jean-Baptiste Thoret, éd. Ellipses, 2007) : “Les zombies de La Nuit des morts vivants représentent la révolution, ils incarnent le changement, le désir de changement. […] Les autorités résistent, les individus résistent et en résistant, ils se dévoilent, tentent de faire face, de communiquer avec ce changement, de s’en défendre, peu importe. Mais au bout du compte, ils se retrouvent toujours dans l’incapacité de faire face et se font avaler.” Dans Zombie (1978), au contraire, c’est plutôt la zombification liée à la société de consommation qui est dénoncée, à travers le décor du supermarché : les Américains se transforment d’euxmêmes en êtres privés de volonté. En ayant aussi mis l’accent sur la notion d’infection collective, les films de Romero et leurs innombrables rejetons (la série Walking Dead, inspirée de la bande dessinée éponyme, la saga

28 jours plus tard, les différentes adaptations de Je suis une légende, la série de jeux vidéo The Last of Us…) ont peutêtre figuré la métamorphose la plus presciente de la pop culture contemporaine, comme le relève David Honnorat : “Le fait d’être dans une pandémie réveille une multitude de scènes ou de choses qu’on a pu voir dans les films de zombies”. Ces derniers ont plus que les autres mis en scène une métamorphose non seulement du corps mais aussi de l’espace, d’une manière très directement présente : checkpoints, hôpitaux de fortune, villes confinées et désertées reconquises par des animaux… Par ses doubles sens politiques, par les mutations du monde qu’il a étonnamment anticipées, mais aussi par sa nature physique, le zombie est un humain métamorphosé qui nous parle aujourd’hui très directement, parce que “le zombie est aussi une métamorphose bien réelle : c’est le corps en putréfaction, c’est ce qui nous guette tous et toutes”.

LE RETOUR DES LOUPS Si les vampires, dans une certaine mesure, mais surtout les superhéros et les zombies, occupent toujours une position culminante à l’argus 2021 de la pop culture, ils n’ont toutefois plus rien à prouver, et leur assise sur l’imaginaire mondial perd forcément de son intensité à force que le public s’est habitué à cette hégémonie. Climat idéal pour faire émerger depuis la jeune création une nouvelle figure de métamorphose, ou plutôt faire renaître un motif quelque peu oublié : le loup-garou. Il est à l’honneur de deux titres récents issus de la frange indépendante. D’abord The Wolf of Snow Hollow, de Jim Cummings, qui est l’un des principaux espoirs de la scène underground américaine depuis le triomphe de son premier film Thunder Road au festival South by Southwest (“l’autre” grandmesse indé avec Sundance). Ensuite Teddy, de Ludovic et Zoran Boukherma, qui incarne un certain renouveau du cinéma de genre français et devrait sortir en salles au printemps – si salles ouvertes il y a. Ses auteurs défendent le réinvestissement de cette figure artisanale du cinéma de métamorphoses, incontournable de l’horreur pop américaine des années 80 (Hurlements, Le Loup-garou de Londres, le clip “Thriller” de Michael Jackson…), comme un motif qui a beaucoup à dire

de l’époque contemporaine : “En centrant l’histoire sur un jeune garçon marginalisé dans son village, on s’est dit que le loup-garou pouvait résonner avec beaucoup de choses actuelles liées aux complexes de classe, mais aussi à la radicalisation”. Teddy, petit agité sympathique, rebelle sans cause semant gentiment la pagaille dans son village des Pyrénées, glisse dans une désocialisation aggravée et une violence qu’il ne maîtrise pas à mesure que la bestialité s’empare de lui. Même si leur film a une teinte comique, les frères Boukherma en revendiquent l’écho terroriste, rappelant le vocable souvent apposé aux auteurs isolés d’attentat : “loup solitaire”. Future star de la métamorphose pop culturelle ou simple marotte passagère du cinéma indépendant ? En quoi se transformeront les corps dans les temps à venir ? Sans trancher, David Honnorat admet volontiers la métamorphose comme force primitive de la création : “L’enjeu d’une histoire, c’est de métamorphoser son personnage principal. Et par ailleurs, le cinéma en soi est une histoire de métamorphose : plus que n’importe quel art, il repose sur l’imitation et la transformation, et Portrait de la jeune fille en feu est une métamorphose de Titanic.” Mais, par-dessus tout, il rappelle la principale métamorphose, la seule qui importe vraiment : “Il y a une démarche dans la fiction, quelle qu’elle soit, qui est d’essayer d’arracher le lecteur ou le spectateur à ce qu’il est. Lire, voir un film, une série, une pièce de théâtre, c’est se transformer.”

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HYMNE À LA NON CONTENTE DE DYNAMITER LES BARRIÈRES

ENTRE POP ET CLASSIQUE, LA JEUNE COMPOSITRICE ET CHEFFE D’ORCHESTRE SURDOUÉE

UÈLE LAMORE REPOUSSE LE CHAMP DES POSSIBLES AVEC L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE.

PROPOS RECUEILLIS PAR OLIVIER PELLERIN. PHOTOS JULIEN THOMAS HAMON. RÉALISATION LUNE KUIPERS. UÈLE LAMORE EST HABILLÉE EN DIOR.


R O B E E N M O U S S ELI N E VI E U X R O S E D I O R . PA G E D E G A U C H E : V ESTE BA R C O LLECTI O N 3 0 M O N TA I G N E ET PA N TALO N E N L A I N E ET S O I E N O I R ES D I O R , C O L R O U LÉ P E R S O N N EL .

M MORE


Uèle Lamore n’est pas la musicienne de tous les métissages pour rien. Fille d’un sculpteur américain et d’une styliste d’origine centrafricaine, elle part à Los Angeles à 17 ans pour perfectionner sa guitare, avant de poursuivre des études classiques, notamment de direction d’orchestre, au sein du Berklee College of Music de Boston. De retour en France à 24 ans, elle qui raffole des groupes de rock intégrant l’arrangement orchestral, comme Snarky Puppy ou The Last Shadow Puppets, fonde l’orchestre Orage, qui mixe musique classique et pop. Elle collabore ensuite avec des grands noms du milieu, de Max Cooper à Étienne Daho, tout en devenant en 2019 cheffe associée, orchestratrice et arrangeuse pour le London Contemporary Orchestra (LCO). Oklm. Mais Uèle ne s’arrête pas là, elle compose aussi pour des documentaires, des films d’animation et des bandes originales (c’est elle qui a signé la BO de Marcher sur l’eau d’Aïssa Maïga). Son hommage orchestral à Portishead, Glory Dummy, qui devait avoir lieu l’année dernière au Printemps de Bourges, a été repoussé à plus tard (merci, Miss Rona). Mais il en faut bien plus pour mettre à mal Uèle Lamore. Elle profite du confinement pour composer Tracks, son premier EP autopublié à la fin de l’année dernière dont le titre “Austerlitz”, une ode aux trains de Kyoto et de Vitry-sur-Seine qui a donné vie à un clip digne d’un Miyazaki. Aujourd’hui, Uèle a 27 ans et fait vibrer les lignes du monde de la musique avec sa polyvalence et ses multiples influences. Impliquée dans des expérimentations autour de l’intelligence artificielle avec le laboratoire Sony CSL, elle sortira à l’automne son premier album Loom sur XXIM Records, le nouveau label de Sony Music Masterworks.

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MIXTE. Peux-tu nous parler de tes origines franco-américaines et nous dire comment elles ont influencé ton approche de la musique ? UÈLE LAMORE. J’ai reçu une éducation musicale quasi exclusivement anglo-saxonne. Mon père, qui est américain, écoutait beaucoup de musique, des classiques du rock comme The Doors ou Steppenwolf, mais aussi de la musique du sud des États-Unis comme The Allman Brothers, beaucoup de soul… Au point que, quand j’ai travaillé avec Étienne Daho, le seul morceau que je connaissais de lui était sa version de “Comme un boomerang”. Moi je suis guitariste, c’est mon premier rapport direct à la musique. Le premier style que j’ai étudié sérieusement c’était le blues, avec le rock classique, que j’ai appris à l’oreille en le reproduisant sur ma guitare. Puis j’ai appris avec d’autres personnes, mais je n’ai jamais envisagé la musique de manière scolaire. Les meilleur.e.s musicien.ne.s que je connais n’ont jamais étudié la musique. M. Pourtant toi, c’est le choix que tu as fait… U. L. Ce que je suis allée chercher aux États-Unis, c’est l’éducation de qualité qui me manquait. J’ai choisi de suivre des études supérieures musicales, je voulais partir dans un autre pays, j’étais hyper jeune. Pour moi, la musique était synonyme de rejoindre mes potes en studio de répétition, d’aller boire des bières, c’était fun. Ça l’est toujours aujourd’hui ; le système éducatif américain fait tout pour que ça le soit. Mais j’ai vraiment dû me battre pour y arriver, là-bas. Quand vient le moment de t’orienter, si tu dis que tu veux faire de la musique et que tu n’as pas été au conservatoire, on ne te prend pas au sérieux et on essaie de te diriger vers autre chose. Même si je

m’intéressais aussi au journalisme ou à l’archéologie, il a fallu que j’insiste pour aller m’inscrire à un cursus de guitare dans un conservatoire de musique actuelle de Los Angeles. Par la suite, à Berklee, j’ai décidé d’étudier la composition classique, j’en avais marre du cursus guitare. Je me suis dit que tant qu’à être dans une fac chère, même si j’avais la chance de bénéficier de bourses, mieux valait faire progresser mon langage musical. La composition classique, c’est une tradition hyper importante. Il a fallu que je me fasse violence parce que je n’y connaissais rien. Le seul rapport que j’avais avec la musique classique c’était via des films. J’ai quand même une culture européenne autour des grands noms, Verdi tout ça, mais pas plus.

M. Et c’est là que tu as suivi un cours de direction d’orchestre ?

U. L. Oui, c’est venu un peu par hasard, parce qu’à l’école il y avait ce cours de direction obligatoire pour tout le monde. La direction d’orchestre, ça procure un rapport très direct avec les musiciens, leurs instruments. Ça permet d’envisager la musique dans son ensemble, à l’intérieur d’un morceau spécifique, mais aussi d’un point de vue économique. M. C’est facile de diriger un orchestre quand on a une vingtaine d’années ? U. L. Quand tu diriges, tu n’es pas là pour composer un effectif. Toi, ton boulot est juste de faire en sorte qu’il joue le morceau de la meilleure manière possible en accord avec la vision du.de la compositeur.rice. Les chef.ffe.s sont souvent très gentil.le.s et très patient.e.s. En ce moment, je suis en train de composer pour le London Contemporary Orchestra (LCO). C’est différent. Là, je demande ce qu’il me faut : trois cuivres, etc. et les personnes en charge de la gestion du planning des musiciens font


C H E M IS E E N P O P ELI N E BL A N C H E ET J E A N B O YF R I E N D E N D E N I M BLE U D I O R .


R O B E E N TW ILL I M P R I M É M U LTIC O LO R e ET C A R R É “D I O R PA IS LEY” E N C OTO N M U LTIC O LO R E D I O R .



le nécessaire, c’est très codifié. S’il y a une session avec 35 personnes, il faut que ce soit parfaitement organisé, jusqu’à leurs horaires de taxis. C’est un peu comme au cinéma où il faut s’occuper du catering et de tout ce qu’il y a autour pour que ça fonctionne correctement. Mais une fois en studio, on se concentre sur la musique. M. Toutes ces casquettes – composition, direction, orchestration –, ça te demande une grande polyvalence ? U. L. J’accepte ce qu’on me propose si je suis légitime pour le faire. L’orchestration, c’est aussi kiffant que l’arrangement ou la composition. Depuis un an, je compose essentiellement. Quand j’orchestre, je sais que ça va être cool car je dois réviser des trucs hyper techniques. Alors qu’avec la direction, ce que j’apprécie c’est de voir plein de musiciens que j’aime beaucoup. M. Ça te permet d’élargir ta palette musicale ? U. L. Oui, car je suis capable d’aller dans plein de styles différents sans que ce soit très compliqué. Et je peux envisager les choses de manière très différente. Quand j’écris un morceau, je ne pense pas que tout doit être sur un rythme 4/4 avec basse et batterie. Au contraire, j’aime qu’il n’y ait pas forcément de rythmique. J’ai découvert tout ça en étudiant plein d’artistes différents. Par exemple, j’ai écrit l’album Plunderphonia pour le label allemand !K7, qui a une série de projets à la ligne éditoriale très précise : on sélectionne des morceaux rattachés au classique, on en utilise des bouts qui doivent être reconnaissables, à partir desquels on compose une réinterprétation. J’ai choisi Giacomo Puccini, dont j’adore les Arias, mais je l’ai envisagé de manière différente, très pop. M. Avec le département de recherche Sony CSL, tu t’es plongée encore plus dans les logiciels. Est-ce qu’on peut dire qu’il s’agit de musique augmentée comme on parle de réalité augmentée ? U. L. Je ne sais pas si c’est le terme exact. C’est intéressant parce que ce sont des technologies qui fonctionnent de manière particulière. Ce sont des machines qui apprennent constamment. Il y en a une qui génère des mélodies ou des lignes de basse à partir de ce que tu lui fais écouter, et si ça ne te plaît pas, tu lui en fais écouter d’autres et elle génère de nouveaux résultats. Elles ne fonctionnent pas sans être humain. Si tu les laisses tourner seules, les résul-

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tats sont catastrophiques. En revanche, elles peuvent te proposer des choses auxquelles tu n’aurais pas pensé. Des trucs trop simples, ou au contraire trop complexes. J’ai pris ce qu’elles me proposaient et je l’ai retravaillé. Il faut les envisager comme un outil de production. Elles ne font que t’orienter, et ne remplacent pas le musicien. C’est la démarche de Sony Computer Science Laboratories, où les chercheurs viennent tous de l’Ircam (Institut de recherche et de coordination acoustique/musique, situé à Paris à côté du Centre Pompidou, ndlr). En tant que musicienne, ça change de travailler avec des scientifiques, qui sont tous de jeunes passionné.e.s. Le projet qu’on a mené avec Sony CSL est à la limite du classique et du jeu vidéo, entre les deux. Ça m’a fait changer d’état d’esprit. M. Pourquoi ? Tu avais les fantasmes qu’on a tous sur l’intelligence artificielle ? U. L. Carrément. Avant d’essayer ces machines, je m’imaginais des robots prêts à manger les humains ! Je ne savais pas du tout ce que c’était, ni comment ça fonctionnait. Je pensais à la reconnaissance faciale, à Black Mirror. Alors qu’en fait, c’est juste une technologie. Maintenant, je sais vraiment

de quoi on parle, le raisonnement qu’il y a derrière. Certain.e.s de mes potes musicien.ne.s ont peur que ça leur fasse perdre leur travail. Alors que non, c’est juste de la recherche stylée pour faire du son. Et on sait bien qu’au final les boîtes à rythmes n’ont jamais remplacé les batteurs. Mes ami.e.s médecins comprennent mieux ça, car il.elle.s en utilisent tous les jours, par exemple pour les scanners.

M. Tu vas intégrer ces logiciels à ton travail ?

U. L. J’ai déjà plein de projets, dont un qui peut être très utile et pour lequel je suis en contact avec un chercheur car il n’est pas encore parfait. Ça s’appelle Notono. Ça te permet de prendre n’importe quel son, de l’importer dans un logiciel qui fonctionne comme Photoshop. Ensuite, tu peins sur le spectre sonore, avec des pinceaux. En sound design ça va être très intéressant. M. Intégrer ce genre de procédé à l’orchestre, ce n’est pas transformer l’écriture musicale ? U. L. Aujourd’hui, et depuis longtemps déjà, pour faire de la musique, il n’est plus nécessaire de savoir la lire ni de connaître les partitions. Pour l’orchestration, c’est différent. Il s’agit moins de faire de la musique que de décider qui va la jouer. Je travaille parfois avec les orchestres, mais je teste surtout ces outils pour ce que je veux en faire moi : de la production, du sound design. M. Pourtant, on te présente souvent comme une cheffe d’orchestre… U. L. Mais oui, alors que je suis surtout compositrice. L’année dernière, je n’ai fait qu’un seul travail de direction. Mais c’est la mentalité française. Dès que je vais en Angleterre, on ne me parle pas une minute de direction, là-bas on me parle de tout, ici on fait une fixette là-dessus.


C A RD I G A N E N T R IC OT ET PA N TALO N EN DENIM DIOR.


M. En tant que compositrice, tu considères que tout ce qui accompagne l’intelligence artificielle (comme la réalité virtuelle, ce que peut expérimenter Jean-Michel Jarre ou le concept des metaverses, ces univers immersifs) peut servir la création musicale ? U. L. Absolument. J’ai un ami, l’artiste Apollo Noir, qui est en train de travailler sur un truc cool avec des synthétiseurs modulaires connectés qui créent des visuels en même temps que des sons. Les expériences immersives sont toujours très intéressantes en musique. On en a tous déjà fait l’expérience, ne serait-ce que quand on va à une exposition avec du sound design, c’est déjà immersif. Les concerts en réalité augmentée, c’est une autre catégorie d’expression musicale. Ce sont des spécialités qui ont toutes un public particulier. Ça va ouvrir de nouvelles possibilités et créer de nouveaux outils, qui interagiront peut-être avec l’espace, comme l’interface très connue, Massive. Mais ce n’est pas facile à utiliser, il faut être ingénieur. Avant, c’était vraiment un truc de spécialistes, mais c’est en train de se vulgariser. M. Ton EP Tracks est très onirique tout en utilisant des sons très réalistes. Tu souhaitais un dialogue entre technologie et poésie ? U. L. Au final, le but de toute technologie n’est-il pas de nous rapprocher de la poésie ? Les synthétiseurs et l’informatique sont là pour nous aider à illustrer des sentiments, des émotions, et à dresser des portraits soniques de choses très organiques. La musique qu’on compose n’est que la réflexion du monde. J’essaie de transmettre l’émotion de la manière la plus pure possible, même si les outils que j’utilise pour le faire peuvent être complexes. M. L’EP évoque les trains d’Ivry-surSeine et de Kyoto. Le Japon t’inspire ? U. L. Ce pays a une relation à la technologie aux antipodes de la nôtre. Elle y est omniprésente. Dans certains restaurants, il n’y a même plus de serveur mais uniquement des tableaux électroniques. Cependant, leur culture est tellement humaniste et sensible qu’au final les Japonais nous montrent que la technologie et l’humain ne sont pas antinomiques. C’est juste une manière de rendre le quotidien plus feng shui. Les musiques de trains, ça m’a donné un cadre. Parfois les contraintes permettent de trouver plein de solutions

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ingénieuses pour faire ce que tu veux en restant dans un paradigme. Avec Tracks, je voulais faire quelque chose d’ambiant, avec des morceaux assez courts, pas compliqués, minimalistes. Avec le projet de Sony CSL, je voulais aller sur de la musique de jeux vidéo. J’aimerais qu’on m’engage pour en écrire, je ne l’ai encore jamais fait et j’adore, c’est un domaine très important pour moi. La musique d’un jeu vidéo doit accompagner une action sans distraire le joueur. C’est l’inverse de ce qu’on fait pour une musique de film, qui doit devenir un personnage à part entière. Alors que dans un jeu, la musique doit être totalement immersive et correspondre à un univers. M. En ce moment, tu travailles sur Loom, ton prochain album ? U. L. J’ai signé avec Sony en début d’année, sur leur nouveau label XXIM Records. La machine est mise en route, je suis contente, c’est un vrai plaisir d’intégrer une grosse maison comme Sony. L’album est prêt depuis deux ans, je l’ai écrit en 2019, mais il va falloir que je le retravaille de A à Z. Je vais reprendre les démos en février mars, sortir un single et un premier clip en juillet. Je l’ai pensé sur le modèle du poème symphonique, des portraits de paysages spécifiques. Je le vois comme une genèse de la vie, d’un point de vue organique, celui des micro-organismes. Ce sera très orienté pop, trip hop, indie, avec plusieurs invités, un son “Massive Attack-esque”.


V ESTE PALETOT E N L A I N E ET S O I E N O I R ES , C H E M IS E E N P O P ELI N E D E C OTO N BL A N C D I O R . COIFFU R E : CYRIL LALO U E @ W IS E&TALE NTED . M A Q UILLA G E : H O UD A R E M ITA @ W IS E&TALE NTED . ASSISTA NT P H OTO G R AP H E : CO RIN N A SC H U LTE.


DA MES NA TU RES

PROPOS RECUEILLIS PAR SARAH DIEP (COLLECTIF PRESSE-PAPIERS). PORTRAIT ROBIN PLUSQUELLEC.

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À LA CROISÉE DES QUESTIONS ENVIRONNEMENTALES ET DU COMBAT POUR LE DROIT DES FEMMES, L’ÉCOFÉMINISME INCARNE LA MÉTAMORPHOSE D’UN NOUVEAU MILITANTISME DÉSORMAIS PLURIEL

ET

INTERSECTIONNEL.

LA

PHILOSOPHE

JEANNE

BURGART GOUTAL NOUS DONNE LES CLÉS DE CE MOUVEMENT POUR LEQUEL LA CONVERGENCE DES LUTTES N’EST PAS UNE OPTION. Créé dans les années 1970, en France, l’écoféminisme a connu un succès florissant dans le corpus des études sociologiques du monde anglo-saxon, avant de tomber totalement dans l’oubli à l’endroit où il est né. Normal, nul n’est prophète en son pays ; surtout lorsqu’il s’agit de combattre les discriminations et de dénoncer les inégalités. Mais ces derniers temps, le concept a connu un renouveau : on le voit écrit sur les pancartes de manifestations autant que dans le contenu de diverses expositions et même au sein des discours des partis politiques. Ce mouvement mixte, qui souhaite en finir avec les dynamiques de pouvoir et d’oppression du système patriarcal capitaliste, semble ouvrir une voie enthousiasmante vers un monde plus horizontal, vivant et créatif. Arrivera-t-il à métamorphoser notre idéal en réalité ? Après avoir mené l’enquête pendant près de dix ans, la philosophe Jeanne Burgart Goutal en a tiré Être écoféministe, théories et pratiques, un ouvrage mêlant rigueur intellectuelle et sensibilité à la première personne. Si, après ça, vous ne prenez pas les armes pour défendre les femmes et la nature, on ne répond plus de rien.

MIXTE. Qu’est-ce qui pourrait le mieux définir l’écoféminisme ? JEAN NE BURGART GOUTAL. La philosophe écoféministe australienne Karen Warren dit que c’est un umbrella term, ce que j’ai traduit par “mot fourretout”, autrement dit un pot-pourri de choses variées dont on peut se demander ce qui les relie. J’ai fait le choix de ne pas juger ce qui relèverait du “vrai écoféminisme” ou ce qui n’en serait pas. Du coup, le plus petit dénominateur commun de toutes ces approches, c’est la conviction qu’il existe des liens étroits entre la domination des femmes et celle de la nature. Attention, pas

entre les femmes et la nature – c’est un contresens qui amène souvent à dire que l’écoféminisme est essentialiste, qu’il réduit les femmes à être proches de la nature – non, l’idée est que la domination des femmes et la domination de la nature sont intrinsèquement liées : ce sont deux faces d’un seul et même système oppressif. À partir de là, toutes les actions écoféministes visent à défaire ensemble ces dominations. Ça se situe toujours au croisement, à l’articulation, à l’interconnexion, entre féminisme et écologie. M . Vous avez commencé à vous intéresser à ce concept il y a près de dix ans, bien avant qu’on en entende parler. Qu’est-ce qui vous y a amenée ? J. B. G. Je m’intéressais déjà aux inégalités entre femmes et hommes, à l’écologie, la transition au capitalisme, à Nietzsche, Marx, Sloterdijk, Ellul, à la critique de la rationalité moderne occidentale ou du système technoscientifique et, d’autre part, à de Beauvoir, Butler, etc. Mais j’ai toujours étudié ces thèmes de façon séparée, sans faire le lien. C’est en regardant le documentaire de Coline Serreau Solutions locales pour un désordre global que j’ai découvert qu’ils avaient été pensés conjointement par le mouvement écoféministe. Quand j’ai commencé à m’y intéresser, on n’en parlait pas encore en France, alors que je sentais bien, même si le sujet avait l’air pointu, que ça brassait plein d’interrogations contemporaines importantes en matière de justice, d’environnement…

M . Vous avez eu une approche originale, mêlant la théorie à des expériences pratiques personnelles. L’écoféminisme ne prend-il tout son sens que lorsqu’il est vécu ? J. B. G. Effectivement. Dans le livre, c’est beaucoup plus linéaire que dans la réalité. Mais comme l’écoféminisme

est une pensée et un mouvement fondamentalement politiques, les dimensions théoriques et pratiques se sont toujours mélangées. Même si, au début de mes recherches, il n’y avait pas grandchose : le seul collectif que j’ai trouvé était le petit coven de wiccas (clan spirituel dont les adeptes se réunissent au milieu des arbres, ndlr) dans le bois de Vincennes. Aujourd’hui, il y a cette tendance à tenir des grands discours sur ce qu’il faudrait faire, à critiquer le système. Mais le passage de la théorie à la pratique… Et justement, ce n’est pas un “passage” : on ne peut pas transférer des idéaux dans le réel. Il y a tout un travail très complexe. D’où cette préoccupation, qui m’a amenée à faire des immersions sur le terrain, ce qui est assez inhabituel en philo… M . Y a-t-il des notions que l’écoféminisme rejette ?

J. B. G. De par sa nature, il exclut certains pans du féminisme, comme le “féminisme libéral”, c’est-à-dire la lutte pour que certaines femmes privilégiées réussissent à accéder en haut de la pyramide, tout en restant au sein d’un modèle capitaliste et donc fondamentalement écocide. De la même façon, dans la sphère écologiste, on écarte tout le discours du capitalisme vert ou celui de dictature verte, dont l’idée est de préserver quelques ressources pures pour une petite élite et d’instaurer un État autoritaire pour les gérer… Toute écologie qui ne se soucierait pas de justice sociale et tout féminisme qui n’aurait que faire d’une justice environnementale serait incompatible avec l’écoféminisme. M . À quoi ressemble-t-elle, cette utopie écoféministe ?

J. B. G. Elle est telle qu’elle est décrite dans les textes écoféministes des années 1970 ou 80, avec la fibre hippie “flower power” parfois mélan-

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gée à des analyses marxistes ou écosocialistes. Ce sont des petites communautés autogérées, autosuffisantes en matière énergétique et alimentaire, dont l’idéal est que tout serait fondé sur des formes d’économie circulaire, où il y aurait une répartition juste des richesses, du pouvoir de décision. Ça reprend des idéaux qu’on trouve déjà chez les penseur.euse.s anarchistes de la fin du xix e siècle. Le gros changement que leur apportent les écoféministes, c’est l’importance d’une justice dans la répartition des rôles entre femmes et hommes, et un souci environnemental dans les manières de travailler, de produire, de consommer. Il y a eu quelques expérimentations, qui ne s’intitulaient pas toujours écoféministes mais parfois “lesbianisme séparatiste” ou “eco-queer”, dans l’Oregon notamment. Greenham Common, la base de la Royal Air Force en Angleterre où il y a eu un campement écoféministe de 1981 à 2000 (contre l’installation de missiles nucléaires, ndlr), reste l’une des plus longues expérimentations de ce mode de vie alternatif. M. Le mouvement accorde une grande place à l’imagination, aux émotions, à la créativité… Que nous apprend l’activisme écoféministe ? J. B. G. Le mot d’ordre, plutôt que de militer pour l’avènement de lendemains qui chantent, est d’essayer, dans la mesure du possible, de l’incarner ici et maintenant. Lors de la Women’s Pentagon Action (qui a réuni près de 2 000 femmes, le 17 novembre 1980 à Washington, ndlr), par exemple, il y a eu tout un déroulement très théâtralisé, avec d’immenses marionnettes : le temps du désespoir, de la colère… Tout ça est lié à l’idée que créer permet de se réapproprier un pouvoir sur sa vie. On retrouve là une distinction que fait Starhawk, l’écoféministe américaine, entre le “pouvoir sur” – les rapports de domination entre dirigeant.e et peuple, patron.ne et employé.e, patriarche et sa famille, etc. – et le “pouvoir du dedans” – celui qu’on

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trouve dans une graine qui pousse, dans un chant qu’on invente, dans le bébé qu’on fait grandir dans son ventre : une créativité à la fois organique, culturelle et intellectuelle. Selon Starhawk, il s’agit de démanteler le “pouvoir sur”, et d’exalter le “pouvoir du dedans”. Le chant, la danse, la performance, sont des moyens pour redevenir les sujets de notre existence.

M. L’écoféminisme, c’est donc la création, la performance mais aussi une façon de prendre en compte les émotions, non ? J. B. G. Tout à fait. Chez les jeunes militantes écoféministes que j’ai rencontrées, beaucoup ont commencé par s’engager dans des collectifs écolos et elles se sont rapidement retrouvées confrontées à des logiques hyper virilistes. Il y avait un rapport aux émotions qui les dérangeait : la politique ne serait pas de l’ordre de l’émotionnel, mais uniquement de celui de la tactique et de l’intellectuel. Alors qu’en réalité, ce refoulement de l’importance émotionnelle mène les gens à s’engueuler en permanence. Au contraire, les émotions ont clairement leur rôle à jouer en politique. D’ailleurs, si on milite pour l’écologie, c’est parce qu’on est angoissé.e ou désespéré.e face à la dégradation environnementale. Les performances artistiques sont des manières de donner forme à ces émotions, de les manifester, de les extérioriser collectivement. M. Depuis un ou deux ans, l’écoféminisme semble devenu assez grand public, avec énormément d’artistes, de podcasts et de slogans de manifs qui s’en emparent. Que pensez-vous de cette renaissance ? J. B. G. J’y vois un intérêt qui semble sincère, un ras-le-bol qui fait que, de plus en plus massivement, les gens cherchent d’autres modèles, de nouvelles manières de faire. Ce revival de l’écoféminisme doit s’articuler avec une vraie connaissance du mouvement, de son histoire, de sa dimension politique. Si on ne comprend pas que ça suppose un passage à l’acte, ça risque

de devenir un truc religieux : tu prêches l’amour du prochain et tu vas faire des guerres de religion… D’autant plus que c’est souvent porté par des femmes blanches, bien situées socialement, qui font ou ont fait des études supérieures assez longues, etc. – dont je fais partie, d’ailleurs, sans pour autant me définir comme écoféministe. Si on ne déconstruit pas les privilèges qu’on possède, en actes et pas juste dans la tête, et si on se dit écoféministe mais qu’on ne se rend pas compte que tout notre mode de vie repose sur la surexploitation d’autres femmes à l’autre bout du monde, là c’est un peu du vent. M. L’écoféminisme, notamment son aspect spirituel, semble tout de même répondre à un vrai besoin générationnel de retrouver du sens, dans une époque déprimante. J. B. G. Clairement. Très souvent, on dénigre les “trucs de sorcières”, de plantes, de connexion avec la nature, en les taxant d’irrationnels. Mais si la rationalité, c’est voir toujours les choses par le petit bout de la lorgnette sans réfléchir aux finalités, ça devient une folie. On assiste actuellement, avec tous ces confinements, à une dérive de la pseudo-rationalité technique. L’essor de la spiritualité, notamment écoféministe, est un symptôme très intéressant du fait que la machine n’arrive pas à briser complètement ce qu’il reste d’humain en nous, ce besoin de sentir qu’on appartient à un tout, une communauté, au cosmos. M . Faut-il y croire, quelque part, pour comprendre l’écoféminisme ?

J. B. G. Non, justement, c’est un peu ma pathologie en tant que philosophe… Je suis toujours attirée par les milieux de “croyants”, qui ont des convictions fortes, la foi, mais en ce qui me concerne, jamais je n’arrive à y croire à 100 % ! Mais étonnamment, même si on a des réserves, des doutes ou de la distance, c’est transformateur. Chez moi, ça a changé plusieurs choses : déjà, ma manière de percevoir plein de discours, de conversations, de


lectures. Il y a des auteurs que j’adorais, dont j’ai aperçu les énormes biais androcentriques ou antinaturalistes. Ça vaut aussi pour des films, des pubs, des chansons pour enfants, dessins animés, et même les ouvrages de sciences humaines qui semblaient les plus sophistiqués. Ça ébranle vraiment l’édifice de notre culture. Ce sont des transformations vécues parfois comme des crises. M. Quelles sont les métamorphoses qui vous ont le plus impactée tout au long de vos recherches ? J. B. G. Personnellement, j’ai fait les choses de façon chaotique : j’ai lâché mon mec, mon boulot, mon appart, tout, pour vivre en semi-autonomie dans des collines en Provence. C’était une première métamorphose un peu extrême ! À force de lire des chiffres angoissants sur l’état de la planète, je me disais qu’il fallait absolument que je devienne paysanne. Fini l’eau courante, l’électricité ! Puis je me suis rendu compte qu’il ne suffit pas d’énoncer ses bonnes résolutions pour que ça marche ! J’avais commencé à apprendre à jardiner, mais finalement je suis meilleure pour enseigner que pour faire pousser des navets. La vie est un processus de métamorphose, mais beaucoup plus lent et pas autant sous contrôle que ce qu’on aimerait croire. L’épreuve du réel permet de voir quels changements sont possibles concrètement, et lesquels relèvent du pur fantasme. En revanche, j’ai changé mes pratiques d’enseignante. Je fais étudier des philosophes femmes, des pensées non occidentales ; je veille à faire repérer, dans le contenu des textes, tous ces biais sexistes ou ethnocentristes pour enseigner ces outils de déconstruction. M. L’idéal paraît inatteignable et nécessiterait un renversement de toutes les structures ; en même temps, l’écoféminisme ne prétend pas au grand soir et semble s’adapter au réel. Si on admet qu’on n’arrivera jamais à changer entièrement le système, ne devrait-on pas accepter que ces expériences coexistent avec des dynamiques d’oppression ?

J. B. G. Eh bien… peut-être. Au début, toutes les incohérences me paraissaient être des histoires de compromission. En réalité, ce dont j’ai pris conscience sur le terrain, c’est que si tu veux t’insérer dans le réel, il y a une forme de contradiction qui est inévitable. L’incarnation la plus cohérente de l’écoféminisme que j’aie vue, c’est Sylvie Barbe, la femme qui vit dans les Cévennes dont je parle dans plusieurs chapitres de mon livre. Je ne sais pas si on peut aller plus loin qu’elle. Elle vit dans la forêt, dans des yourtes qu’elle a construites elle-même, fabrique ses vêtements… mais elle a un blog, par exemple. M . Comment avez-vous analysé ces contradictions ? J. B. G. Au début, j’étais un peu choquée, et finalement je me suis dit qu’elles étaient vraiment savoureuses. La contradiction fait en quelque sorte partie intégrante de l’écoféminisme. Dans tous ses textes sur la “société conviviale”, Ivan Illich, un précurseur de la décroissance, dit en substance ceci : l’idée n’est pas qu’il n’y ait plus aucune voiture et que des vélos, mais de faire en sorte que le développement du système industriel n’empêche pas qu’il demeure ce qu’il appelle “l’outil convivial”, un système artisanal. Ça suppose de renoncer, peut-être, à la perfection. Starhawk dit aussi qu’on a souvent des récits en tête, avec les gentils et les méchants ; or l’un des aspects de l’écoféminisme est de renoncer ou de dépasser les dualismes. Sans doute, ce sont plutôt des interstices, des résistances… La philosophe australienne Val Plumwood a beaucoup théorisé cette “troisième voie” : dans la “pensée patriarcale”, on serait enfermé.e dans des faux dilemmes, le corps ou l’esprit, le bien ou le mal, le progrès ou la régression, l’égoïsme ou l’altruisme. L’un des enjeux conceptuels de l’écoféminisme, c’est de refuser la façon même dont les problèmes sont posés. Parfois on demande s’il est vraiment progressiste ou réac. Il est les deux à la fois, ou ni l’un ni l’autre. Il n’entre pas dans

la logique exclusive du “ou bien” mais celle du “et”. En fait, il refuse de se situer dans une alternative aussi mal posée. M . Vous citez dans votre ouvrage quelques actions spectaculaires du mouvement écoféministe des dernières décennies. Existe-t-il encore aujourd’hui des initiatives aussi fortes et puissantes politiquement ? J. B. G. Si on considère uniquement les collectifs qui revendiquent explicitement appartenir à ce mouvement, il s’en crée de plus en plus : à Strasbourg, à Paris, à Toulouse. Mais ça reste à petite échelle, sans commune mesure avec des luttes environnementales locales qui ne se disent pas écoféministes mais sont menées par des femmes et qui se positionnent sur des enjeux de violences envers elles ou de contraception. Là, il s’agit de survie, à la fois matérielle et culturelle. En Amérique du Sud notamment, un des gros enjeux depuis quelques années, c’est l’extractivisme minier. Le capitalisme est en train de s’y étendre. On le voit dans le documentaire Ni les femmes ni la terre : des voisines qui, en discutant, s’aperçoivent qu’il y a beaucoup de fausses couches depuis quelque temps. Ça les amène à se réunir autour de cette question, à faire le lien avec l’installation d’un site de Monsanto ou d’une mine. De fil en aiguille, elles se politisent et s’organisent. Évidemment, le rapport de force est un peu décourageant, pourtant ça arrive qu’elles obtiennent la fermeture d’un site polluant… Mais même si on retrouve dans ces luttes l’usage de termes comme “réseau de femmes”, “défense de la Terre mère”, ça me dérange de parler d’écoféminisme parce que ce n’est pas une étiquette qu’elles utilisent. Certaines la rejettent même, parce qu’elle véhicule un imaginaire blanc, occidental, impérialiste. Les mots sont importants.

* Être écoféministe, théories et pratiques (édition L’Échappée, 2020).

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NICOLA, ELLE A, ELLE A... EN

SEULEMENT

FONDÉE

ET

TROIS

DIRIGÉE

ANS,

PAR

LA

SA

MARQUE

LECOURT

CRÉATRICE

MANSION,

NICOLA,

A

SU

S’IMPOSER DANS LE FASHION GAME COMME L’UN DES JEUNES LABELS DÉBUT

EN

PRISE

D’UNE

ÈRE

AVEC OÙ

LA LE

RÉALITÉ VÊTEMENT

DE

NOTRE

SERAIT

ÉPOQUE. ENFIN

LE

AUSSI

GLAMOUR QU’ENGAGÉ ET AUSSI POLITIQUE QUE SOPHISTIQUÉ. PROPOS RECUEILLIS ET RÉALISATION PAR ANTOINE LECLERC-MOUGNE. PHOTOS JÉRÔME LOBATO.

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Rassurez-vous, si vous faites encore partie des retardataires qui ne savent toujours pas mettre un visage sur Lecourt Mansion (on ne vous jette pas la pierre), cela risque de changer très vite. Pour y remédier, il suffit d’aller faire un tour sur votre feed Instagram. Vous vous rendrez compte à quel point, en l’espace de quelques saisons, la marque a pris de la place – oklm – dans le vestiaire des mastodontes de l’entertainment (Kendall et Kylie Jenner, Lady Gaga…) comme dans celui de la jeune garde de la pop française et internationale (Christine and the Queens, Yseult, Aya Nakamura, Kiddy Smile, Ichon…). Normal. Non contente d’habiller les icônes pop et mode du moment, sa fondatrice et créatrice Nicola (“Nix” pour les intimes) en est aussi devenue une quand elle a été choisie pour incarner deux campagnes “major” de l’année 2020 : une pour le parfum Le Mâle de Jean Paul Gaultier et une autre pour les accessoires Valentino. Mais ça, franchement, c’est juste du bonus bien mérité. Car ce qui fait vraiment la force de Nicola, c’est qu’elle a su débarquer avec une identité de marque plus que légitime et un positionnement en béton dès ses débuts : celle d’une maison à l’esprit couture qui manie aussi bien le glamour que le savoir-faire et la maîtrise technique, le tout en redéfinissant l’écosystème mode et en envoyant balader les normes de genre à grands coups de fierceness. Une énergie qui lui a permis de remporter, en 2019, le Prix du label créatif de l’Andam (dans le petit monde enchanté de la mode, c’est comme si elle avait gagné une Palme d’or) et de s’installer dans la liste des designers qui ont su prendre le pouls de leur époque et qui ont déjà commencé à forger le récit de la mode de demain. Le tout avec audace, affirmation, discernement, sagesse et humilité. Nicola, elle a vraiment ce je-ne-sais-quoi que d’autres n’ont pas.

MIXTE. Avec quelques années de recul maintenant et plusieurs collections à ton actif, comment définirais-tu ta marque ? En quoi a-t-elle changé depuis que tu l’as créée ? NIX. J’ai toujours défini mes créations comme du “evening wear”. Le terme m’est venu car j’ai pris conscience que je faisais des vêtements du soir, de fête. Et, d’une certaine manière, vu de ce côté-là, ça n’a pas évolué. À chaque fois que je crée une robe, c’est avec l’idée de pouvoir la mettre pour sortir le soir. Ça vaut d’ailleurs pour n’importe quelle pièce – les tailleurs, les pantalons, les bustiers, les jupes crayons, les tops en jersey ou en satin – et pour n’importe quel type de look – casual, executive… En revanche, la nouveauté, cette saison, c’est que j’ai commencé à travailler sur ma première ligne de prêt-à-porter avec une volonté de m’approprier un peu plus les codes du “day time”, et de me rapprocher d’une silhouette qu’on verrait normalement davantage le jour. En fait, j’essaie d’atténuer les aspects contraignants du vêtement du soir, tout en lui conservant une fragilité et l’idée d’une certaine flamboyance.

M. Tu utilises souvent ce mot de flamboyance pour parler de tes créations. Le concept, né à la cour de Versailles, est

aussi à l’origine du camp, cette esthétique mettant en avant l’allure, l’attitude, l’opulence et le too much. Pourrais-tu dire que tu t’inclus dans cette mouvance ?

N. Absolument. C’est un état d’esprit que je peux tout à fait relier au camp. Ça ne fait aucun doute. Il y a dans le camp quelque chose de la stature, du port, de l’allure d’une manière générale, qui me parle beaucoup. Ce côté “in your face”, “raw”, presque aveuglant. M. Tu vas même parfois jusqu’à te qualifier de “pie qui aime les choses brillantes et colorées”… N. Parce que les pies sont toujours attirées par la lumière, et c’est un peu pareil pour moi. Cette flamboyance, c’est comme une lumière qui m’apporte de l’énergie, du bien-être. J’en ai besoin. Je suis une personne très solaire ; à tel point que, la nuit, la lune me fait du bien. Au final, je crois que mon style et mes créations ne sont que la réflexion de cet état d’esprit. M. Tu es aussi connue pour ton travail ultra-élaboré sur les coupes et le choix des matières. On sent que tu accordes beaucoup d’importance au savoir-faire et à l’artisanat. Il y a un aspect couture chez toi, presque haute couture. D’où cela te vient-il ? N. Je ne me définis pas comme une créatrice de haute couture à proprement parler car il s’agit d’un label bien particulier et encadré. Cela dit, c’est vrai que, chez moi, l’artisanat tient une place importante. Tout sort de l’atelier, rien n’est fait en usine : avec ma team, on ne travaille qu’avec des artisan.e.s. Je forme également des équipes de couturières, et les personnes qui veulent collaborer avec moi sont bien évidemment elles aussi attirées par cette particularité. Je crois que ça doit venir du fait que j’aime tout simplement le travail manuel. Quand je pense à un vêtement, j’imagine ensuite la façon dont je vais le matérialiser, le construire, et quelle technique je vais lui appliquer. Si je dois, par exemple, créer quelque chose de structuré à partir d’un tissu qui ne l’est pas, je vais tout de suite penser à y ajouter un organza ou le renforcer avec un coutil. Cette manière de faire, un peu expérimentale, rend le processus forcément plus artisanal et donc plus manuel. M. Crois-tu que ce soit quelque chose qui manque actuellement chez les jeunes créatrices et créateurs de ta génération ? N. Je ne dirais pas que ça manque puisque je suis là, moi ! D’autant que je n’ai pas non plus l’impression d’être la seule. Les designers qui travaillent autour de moi sont des passionné.e.s de coupe et il.elle.s savent vraiment créer des vêtements géniaux sans forcément savoir coudre. D’une manière générale, un.e créateur.trice a une telle capacité d’observation, qu’il ou elle peut savoir parfaitement comment le vêtement va tomber sans pour autant connaître les techniques de couture sur le bout des doigts. Cependant, je crois vraiment que la notion d’artisanat et de savoir-faire dont on parle manque terriblement dans le récit actuel de la mode. M. C’est-à-dire ? N. L’industrie a tendance à oublier que la mode, c’est avant tout faire et fabriquer des vêtements. Certes, il y a un aspect sociologique très important à entretenir, dans le sens où le

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vêtement est le premier langage d’une personne. Il définit une société, un environnement. Hélas, on a tendance à privilégier uniquement ces notions, au risque de délaisser l’aspect purement technique. C’est dommage. En ce qui me concerne, quand j’ai commencé à créer, je me posais beaucoup de questions sur la création en tant que telle. Je me suis d’abord dit qu’on n’avait pas besoin de créer d’autres vêtements. J’ai essayé de me détacher de cette envie de produire et de fabriquer. J’ai retourné le problème dans tous les sens et je suis finalement arrivée à la conclusion qu’il ne fallait pas cesser de créer parce que ça consiste à faire vivre un savoir-faire, un patrimoine, une histoire, des corps de métier. Bref, toute une industrie dans ce qu’elle a de plus noble. Je crois que l’idéal, en tant que créateur ou créatrice, c’est de réussir à associer ces deux perspectives : construire un écosystème avec lequel on est en accord, tout en continuant à faire des vêtements dont la fonction première reste de montrer qui on est au monde extérieur. M. Tu viens de mentionner le sujet de l’écosystème d’une marque. À quoi s’apparente le tien ? N. Il est à l’échelle de Lecourt Mansion : il se développe lentement mais sûrement, ce qui d’ailleurs me permet de le penser de façon sustainable. Par exemple, je fais un vrai travail de sourcing et de récupération pour les matières. Et vu que j’ai cette obsession pour la technique et que je sais que les matières ne vont pas réagir de la même manière, j’en viens à prendre en compte l’impact écologique de chaque étape. J’ai cette image en tête d’un arbre qui aspirerait le dioxyde de carbone et expirerait de l’oxygène. Oui… Je le vois comme ça, mon écosystème. Comme quelque chose qui aspire le négatif et expire du positif. M. Tu as dit commencer à travailler sur une ligne de prêtà-porter. Cela sous-entend davantage de pièces et une plus grande production. Est-ce que ça ne vient pas mettre à mal cet écosystème dont tu viens de nous parler ? N. Le but de mon prêt-à-porter, c’est qu’il soit justement sustainable. Cela se concrétise notamment par le fait de réaliser des pièces en édition limitée, avec des ressources de matières limitées. En gros, dès que je commence, je sais exactement quelle quantité de pièces je vais pouvoir réaliser avec le tissu que j’ai. Et, au vu de l’industrie actuelle, j’aurai suffisamment de matière existante à disponibilité pendant un moment. Je suis vraiment dans l’idée de réutiliser et de recréer des choses qui ont été produites à grande échelle. Pourquoi ne pas le faire, par exemple, à partir de tissus de mobilier ? Quand on regarde un cuir de canapé, il peut très facilement devenir bustier. En fait, j’ai toujours créé de cette façon, en utilisant les trucs que je voyais autour de moi. Avant même de me lancer dans la mode, je faisais de la customisation. Si tu poses la question à ma mère, elle te dira sans doute que mon premier vêtement était un bout de rideau dans lequel, enfant, j’avais découpé des trous et que j’avais ensuite demandé à ma petite sœur d’enfiler. J’ai toujours eu cette passion pour la transformation. C’est d’ailleurs ce que j’avais fait quand j’avais confectionné ma toute première collection à l’école,

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avec des bouts de tissus anciens récupérés, entre autres, de mes arrières grands-parents et que j’avais amassés pendant des années. M. Ces questions liées à l’éthique (upcycling, consommation…) ont encore pris de l’ampleur avec la pandémie de Covid-19 qui a beaucoup remis en cause le fonctionnement global de l’industrie de la mode (nombre de collections, surproduction, deadstock…). D’un autre côté, cette dernière a aussi durement impacté les jeunes labels indépendants comme le tien. Comment as-tu vécu ces récents événements ? N. 2020 est l’année qui a suivi mon obtention du prix de l’Andam. Du coup, j’avais entrepris beaucoup d’investissements avec mes deux présentations précédentes. Mais, à cause de la crise sanitaire, beaucoup de mes commandes ont été annulées. Je ne suis pas aigrie pour autant car j’ai aujourd’hui la chance de pouvoir continuer à faire ce que j’aime. Il faut savoir en tirer le positif : quelque part, cette période étrange m’a permis d’approfondir ma réflexion, de savoir un peu plus ce que je voulais faire et là où je voulais vraiment aller. Une chose est sûre : il faut continuer à travailler et à faire vivre cette industrie, mais de manière correcte. J’ai espoir qu’on aille toutes et tous dans ce sens, car je vois qu’autour de moi, dans ce microcosme qu’est la mode et qui finalement influence aussi une bonne partie du monde extérieur, de plus en plus de personnes se remettent en question et changent la donne. Regarde Jean Paul Gaultier. Il est l’un des premiers, bien avant la crise, à avoir réduit son nombre de collections et à être sorti du calendrier officiel de la fashion week en assénant cette fameuse phrase : “Trop de vêtements tue le vêtement”. Pour avoir grandi dans les années 1990 et 2000, marquées par l’opulence de la mode et du luxe, ça m’a particulièrement marquée et influencée. Il a tout simplement refusé d’accepter le rythme qu’on lui a imposé et a préféré faire de la mode à sa manière. Il a eu totalement raison. Trop produire tue la créativité. En tant que créateur.trice, il est primordial de trouver un rythme qui soit bon pour soi. C’est ce que je compte faire pour moi et, qui sait, peut-être que ça inspirera d’autres gens à suivre leur propre route. Le milieu de la mode a tendance à vouloir tout standardiser, c’est à ça, je crois, qu’il faut faire attention. Car appliquer des standards à la création, c’est au final les imposer aussi aux gens et aux manières de faire. La solution serait de créer ses propres standards dans son propre écosystème et faire en sorte qu’ils se répondent entre eux. M. En 2020, la mode a aussi particulièrement été ébranlée, après la mort de George Floyd, par les combats antiracistes et les mouvements Black Lives Matter qui ont dénoncé le racisme systémique de l’industrie. Tu avais d’ailleurs appelé à manifester avec le collectif La Vérité pour Adama, en juin 2020, devant le Tribunal de Grande Instance de Paris. Pourquoi, selon toi, la mode a-t-elle encore du mal à clairement remettre en cause et déconstruire les discriminations qu’elle entretient ? N. Parce que ces problématiques rejoignent la question de la standardisation que je viens d’évoquer. En matière de représentation, les standards de la mode sont ce qu’ils sont



depuis bien trop longtemps : c’est-à-dire être blanc.he, être maigre… À partir du moment où on cherche à imposer ce modèle et à vouloir atteindre une sorte d’idéal, on perd le principe même de diversité et on finit par créer et nourrir tout un système de dominations et de discriminations. S’il y a peut-être une bonne chose à retenir de 2020 sur ces questions, c’est que les discussions se sont vraiment ouvertes. D’une part, l’invisibilisation des personnes racisées a diminué et, d’autre part, je crois qu’on a aussi arrêté de se voiler la face en reconnaissant que, malgré tout ce qu’on veut bien nous faire croire, la mode n’est pas un joli monde où règne la diversité. M. Qu’est-ce qu’on pourrait faire pour changer ça ? N. Ce qu’il faudrait déjà ne plus faire, c’est entretenir ce principe de “call out” et de “cancel culture” stérile. Il ne faut pas entrer dans un schéma binaire et se dire : “nous on est les gentil.le.s et eux, ce sont les méchant.e.s”, en pensant justement que ça fera de nous de bonnes personnes si on dénonce les erreurs et les comportements problématiques de certain.e.s. Dénoncer quelqu’un sans aller plus loin dans le débat et l’éducation, ça ne fait pas de toi une personne géniale, mais simplement une qui constate. Il faut intégrer le fait que quiconque a mal agi peut être aussi victime de discrimination ou alors a pu agir sans prendre conscience de son pouvoir ou de son privilège. Si on veut que ce soit vertueux, il est primordial de conscientiser les personnes concernées qui ont fait une erreur. Moi aussi, par le passé, j’ai pu être virulente et catégorique, car ayant subi tout un tas de discriminations, ça me rendait malade de voir d’autres personnes rabaissées de la même façon. Ça m’était insupportable, par exemple, de voir quelqu’un agir de manière légère sans se poser de questions, surtout s’il s’agissait d’un homme blanc cisgenre hétérosexuel. Maintenant, je sais qu’avant de tout rejeter en bloc, il faut faire l’effort de conscientiser, même si on fait encore face à beaucoup de stigmas et de stéréotypes. La plupart des femmes noires qui vont dénoncer le racisme vont être taxées du syndrome de la “angry black woman”. Quant à moi, si je dis quelque chose de façon vindicative, je vais sûrement passer pour la folle trans qui ouvre sa gueule. Après tout, si on compte le nombre de fois où j’ai été agressée en 2020 avec les privilèges qui sont les miens, tu te dis qu’il y a beaucoup de merde à gérer dans ce monde. Malgré ça, j’essaie d’avoir une approche pacifique, claire, nette et précise, même si parfois j’ai encore peur de réagir de façon violente. Il faut des armes pacifiques et culturelles. La mode et les vêtements peuvent devenir l’un des meilleurs outils de savoir et de transmission. Cela dit, je n’ai pas non plus envie d’être trop corrosive ou de passer pour la meuf qui étale sa culture sur le sujet et qui, à côté, fait des robes à paillettes ! Ce que je sais, c’est que j’en apprends de plus en plus tous les jours, que je déconstruis au maximum. Je suis davantage consciente de ma réalité et de celle des autres. Car, bien

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évidemment, ma réalité n’est pas la tienne, pas plus que celle de mon plan cul d’hier ! M. Ce type de discours et tes prises positions t’ont rapidement cataloguée jeune créatrice militante dans les médias et l’univers de la mode ; d’abord de par ton envie de déconstruire les normes de genres à travers tes vêtements, mais aussi de par ta transidentité. Quel regard portes-tu sur ce statut ? Te considères-tu clairement comme militante ? N. Je suis une femme trans. C’est une réalité. Quand je crée, c’est forcément autour de ce que je connais. L’extérieur m’influence, et le fait de subir des discriminations de manière permanente et quotidienne va forcément influer sur mon travail. Comme je te l’ai dit, on est dans une ère où la notion sociopolitique du vêtement est très mise en avant. Du coup, ma démarche créative peut sembler politique en tant que telle. En revanche, même si mon corps l’est, et que par extension ma vie l’est aussi, je ne suis pas une femme politique. Je suis d’abord une créatrice qui aime parler du vêtement parce que c’est son métier. Je suis une citoyenne engagée, mais je ne veux pas que la question du militantisme vienne desservir ce que j’ai vraiment à dire avec ma mode. C’est-à-dire garder en tête l’idée d’un écosystème sustainable, être inclusive et me rendre abordable le plus possible dans le respect de toutes mes croyances sociopolitiques. Ce dont j’ai avant tout envie, c’est d’habiller les gens. Et de le faire du mieux possible. M. Les designers ont souvent en tête l’identité de la personne qui incarne leur marque, comme s’il.elle.s s’inventaient un personnage. Selon toi, qui incarne le mieux ta marque ? Y a-t-il un type “Lecourt Mansion” ? N. J’aime que chaque personne puisse s’approprier mes vêtements, donc je ne veux pas définir un type en particulier. Le fait de décrire aussi précisément ma clientèle potentielle me dérange. Dans un monde idéal, pour moi il n’y aurait pas une “personne type” qui porterait du Lecourt Mansion, mais une pluralité d’hommes et de femmes. M. Qu’auraient alors en commun ces personnes ? N. Elles seraient passionnées. Beaucoup seraient artistes, peintres, musiciennes… Ce seraient des personnes créatives, qui vont chercher autre chose que ce qu’on leur a dit. Parce que c’est ça qui me plaît, et que c’est clairement avec elles que je m’entends le mieux et par lesquelles je suis attirée.

M. Que veux-tu que ces personnes se disent ou ressentent quand elles portent l’une de tes créations ? N. Le moment où j’ai réellement le sentiment d’avoir réussi une robe, c’est quand je suis en cabine avec une amie, une cliente, ou une mannequin, et que j’entends juste un “Wow” spontané. Là, je me dis : “Ok, I did my job”. Si la personne se voit et s’aime dans mes vêtements, c’est gagné. Ce que je veux, c’est qu’elle puisse se sentir forte, que ça lui procure une sorte de pouvoir, qu’elle en tire le meilleur d’elle-même. J’ai envie de lui permettre de ressentir cette puissance. Qu’elle soit fearless, empowered, confiante. Flamboyante.



INSPIRÉ

DU

GLAM

ROCK,

MAIS

TOURNÉ

VERS

L’INTELLIGENCE

ARTIFICIELLE, LE GROUPE NEW-YORKAIS UNI, FONDÉ PAR L’ARTISTE ET MUSICIENNE KEMP MUHL, EST PASSÉ MAÎTRE DANS L’ART DE LA TRANSFORMATION ET DE LA TRANSFIGURATION. TEXTE NATHALIE FRASER.

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LE ROYAUME


UNI


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L’état du corps physique, le décalage entre apparence et réalité, est une préoccupation importante pour Kemp, dont la beauté “classique” n’a pas toujours été évidente à assumer, surtout pour un esprit aussi bouillonnant : “Je suis née avec ce physique très mainstream et j’ai toujours été frustrée par cela. Quand j’étais mannequin, on me proposait des jobs très commerciaux car j’avais le look qui correspondait, alors que je ne me considère pas comme une personne très commerciale !” Passionnée par l’idée que l’art trouve une valeur quand il se frotte au grotesque ou à l’expérimentation (elle cite Hieronymus Bosch ou Dali parmi ses peintres préférés), Kemp rejette les canons de la beauté traditionnelle et cherche, via Uni, à explorer les horizons. Justement, la pandémie actuelle a ouvert une brèche : les concerts physiques étant impossibles, c’est via une série de clips – ou plutôt des courts métrages – que le groupe distille les titres prévus pour un premier album. En tant que réalisatrice et conceptrice, Kemp a puisé dans sa passion pour l’art et le cinéma afin d’y explorer des références aussi diverses que Stanley Kubrick, Alejandro Jodorowsky, John Waters ou l’artiste Tony Oursler. Le dernier clip, Predator’s Ball, propose des scènes orgiaques dignes de The Rocky Horror Picture Show, et met en scène un casting ultra-diversifié. “Je suis contre les idées traditionnelles de la beauté, explique Kemp. J’étais super contente de pouvoir travailler avec des mannequins comme Caitin [Stickels] ou Brooks [Ginnan] que je trouve tellement sublimes, et qui sont devenu.e.s des ami.e.s depuis”, explique-t-elle, en évoquant ces deux activistes d’une beauté différente, dont la carrière est en éclosion. Pour une musicienne adepte du live, le confinement (qu’elle a vécu en huis clos avec “mon mec, sa mère et mon chaton” dans leur ferme isolée de l’État de New York) a d’abord été frustrant, avant de se transformer en opportunité créative : “On avait l’habitude de travailler tous ensemble avec le groupe, maintenant c’est moi qui crée seule au studio. J’en ai profité pour me former aux logiciels Logic Pro et Ableton, je sais même programmer une batterie électronique. Cet état de solitude m’a forcée à trouver d’autres pistes esthétiques”. Depuis toujours, la jeune femme est passionnée par la technique et l’acte de créer : “Lorsque j’étais mannequin, c’était super frustrant, car j’avais souvent l’impression d’en savoir

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plus sur le fonctionnement des appareils photos que certains des photographes avec qui je travaillais”. Avec l’argent de ses campagnes et cachets, elle a commencé une vaste collection de machines vintage, vieux compresseurs, platines et consoles d’enregistrement qu’elle utilise pour ses projets musicaux, depuis The Ghost of a Saber Tooth Tiger (duo psychédélique fondé avec son compagnon Sean Lennon en 2008, ndlr). Audelà des objets, Kemp a eu la chance d’orbiter autour de quelques êtres parmi les plus mythiques de la galaxie rock, et d’en tirer les leçons et les inspirations nécessaires : belle-fille de l’artiste et musicienne Yoko Ono, elle a également joué de la basse pour Lou Reed ou Jack White des White Stripes, assuré la première partie de Beck ou des Smashing Pumpkins, collaboré avec le cinéaste résolument rock’n’roll Jim Jarmusch… “Ce sont tous des artistes dont je suis fan depuis l’enfance, donc je suis consciente de la chance immense que j’ai eue de pouvoir les côtoyer. J’ai sauté sur chaque occasion de les questionner sur leur méthode, leur approche, mais surtout de savourer les histoires incroyables qu’ils avaient à raconter.” Mais, contrairement à ces précédentes expériences, Uni est “son” groupe, formé avec le guitariste David Strange, et surtout le chanteur Jack James, dont le charisme androgyne et la silhouette vertigineuse fonctionnent à merveille avec la vision de la fondatrice, dans une drôle d’inversion des rôles genrés de muse et de Svengali classiques : “David est le premier avec qui je travaille et qui me soutient. D’habitude les chanteurs sont plutôt difficiles… Lui est totalement ouvert à mes propositions et en plus, il adore jouer la comédie, incarner des personnages. On vient tous les deux de l’univers de la mode, considéré comme soi-disant créatif, mais on y a tellement été étouffés que c’est une joie maintenant de pouvoir faire ce qu’on veut. Même si on doit commencer tout en bas de l’échelle : contrairement à mes autres projets, Uni ne bénéficie pas d’une notoriété qui ouvre des portes. C’est un travail de passion, on ne gagne rien pour l’instant”. Au-delà d’un premier album, qui ne sortira pas sous une forme classique car “cela n’aurait pas de sens vu la conjoncture actuelle”, Kemp imagine pour Uni un opéra-rock très complexe, inspiré par l’univers de l’intelligence artificielle, et dans lequel Jack aura le premier rôle (“Je n’ai aucune envie de jouer la comédie – quand j’étais mannequin, on me disait que j’avais de la personnalité et que je devrais devenir actrice. J’ai passé quelques castings, mais j’étais vraiment nulle”, reconnaît-elle). La fin de la situation actuelle, Kemp l’imagine avec philosophie : “Le jour où nous pourrons reprendre les tournées est encore bien loin”. Elle préfère tirer des liens avec l’Histoire : “La fin de la peste noire a été un renouveau pour l’humanité, avec la signature du Magna Carta et les prémices de la Renaissance. Je pense qu’on verra l’émergence d’une nouvelle société et de nouveaux formats, même si j’ai vraiment hâte de retourner à des concerts”. Cette adepte des métaphores est habituée à voir le bon côté des choses. Après tout, le nom de son groupe l’exprime à merveille : “Uni est le nom japonais de l’oursin. C’est un aliment que j’adore, mais surtout je suis fascinée par ce qu’il incarne et par une culture qui choisit de manger ce genre de choses. Aux États-Unis, on consomme du pain de mie, au Japon, on ne s’effraie pas de l’apparence de cette chose noire, constellée d’épines. On l’ouvre et on découvre qu’à l’intérieur, il y a quelque chose d’exquis”. uni-bomber.com

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“Nous sommes en pleine transformation”, explique Charlotte Kemp Muhl, dite Kemp. Elle parle de son groupe, Uni, mais aussi de l’univers du rock, de la musique en général et de la société dans laquelle nous vivons. Kemp est bien placée pour le savoir : ex-mannequin, cette trentenaire est avant tout une artiste et une tête pensante qui cultive un rôle actif d’actrice/ observatrice depuis des décennies. Compagne de Sean Ono Lennon – le fils de John et Yoko – depuis quatorze ans, Kemp est en quelque sorte la directrice artistique d’Uni autant que sa fondatrice. “Au départ, le groupe était calqué sur les influences très classiques des années 70 et du glam rock. Mais je me suis rendu compte qu’il y avait une forme de plafond de verre dans ce milieu. Tou.te.s les artistes qu’on admirait – Bowie ou T-Rex, par exemple – ont eu du succès justement parce qu’il.elle.s regardaient vers l’avenir et non pas vers le passé. Donc, même si j’adore l’ancien, j’ai compris qu’il fallait faire évoluer notre esthétique pour dépasser ce stade. Nous vivons une époque vraiment intéressante, qui se dirige vers un futur menaçant, donc je voulais qu’on s’en inspire, qu’on aille vers les univers de l’intelligence artificielle, du transhumanisme.”


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C A R N ET V O Y A

DE G E

À TRAVERS SA SÉRIE METAMORPHOSIS, QUI A REÇU LE PRESTIGIEUX PRIX ZEISS PHOTOGRAPHY AWARD 2020, LE PHOTOGRAPHE D’ORIGINE SUD-CORÉENNE KYEONG JUN

YANG

A

DOCUMENTÉ

EN

QUELQUES

CLICHÉS

L’HISTOIRE DE JULIE CHEN, SA COMPAGNE D’ORIGINE CHINOISE VENUE VIVRE AU PAYS DE L’ONCLE SAM. UN REGARD AUSSI POÉTIQUE QUE MÉLANCOLIQUE SUR LA QUESTION IDENTITAIRE, L’IMMIGRATION, LES NOTIONS D’ORIGINES ET DE DÉRACINEMENT, MAIS AUSSI SUR LES TRANSFORMATIONS QUE SONT INDÉNIABLEMENT AMENÉS À VIVRE TOUS LES HUMAINS. D’OÙ QU’ILS VIENNENT ET OÙ QU’ILS AILLENT.

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TE XTE FLO R E N C E VA U D R O N .


B A S K ET. J U LI E STA N D S C O V E R I N G A L A U N D R Y BA S K ET. “S O M ETI M ES I STILL W A N T TO B E A KID . I W IS H H ID I N G A W AY C O U LD AV O ID T H E I N EVITA BLE .” PA G E D E G A U C H E : B UT TE R F LY. A N I R O N B UT TE R FLY IS I N A P OT I N F R O N T O F J U LI E’S A PA RTM E N T. “I D O N’T B ELO N G H E R E . I D O N’T B ELO N G A N Y W H E R E . T H E F O R C E T H AT D R IV ES M E IS M Y BI O LO G IC AL N E ED S . B UT I’M L A C KI N G S O M ET H I N G T H AT C A N N OT B E F O U N D . I D O N’T K N O W W H AT TO S E A R C H F O R . I A M C H I N ES E B UT N OT C H I N ES E . I A M A M E R IC A N B UT N OT A M E R IC A N .”

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Kyeong Jun Yang est la preuve vivante qu’avec de la volonté, du talent et une bonne dose de pragmatisme, les rêves peuvent se concrétiser. Cet étudiant en journalisme à l’université du Texas à Austin, aux États-Unis, et photographe autodidacte, était convaincu de son talent pour la photographie. Mais il savait également qu’il allait lui falloir de la détermination et savoir tirer profit de ses années de vie étudiante. “Il y a deux ans, Julie et moi sommes allés voir une expo photo. Sur le chemin du retour, je lui ai dit que je savais que je n’allais pas pouvoir devenir photographe professionnel car je devrais gagner de l’argent sans tarder après l’obtention de mon diplôme. Je lui ai dit que je voulais faire tout ce qui était possible tant que j’étais encore étudiant, que je voulais publier un livre et exposer mes photos dans un lieu où des gens pourraient voir mon travail.” Un an plus tard, en mars 2020, Kyeong Jun Yang publiait son premier recueil photographique, préparait une exposition à Londres et remportait son premier prix, le ZEISS Photography Award. Créé en 2016, ce concours récompense chaque année des artistes internationaux pour leur esthétique unique autour d’une thématique particulière. En 2020, le sujet portait sur la découverte, dans sa dimension scientifique, sociologique, technologique ou simplement humaine. Les candidats étaient invités à explorer les révélations, les inventions, mais aussi… les transformations.

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À travers sa série Metamorphosis, Kyeong Jun Yang raconte l’histoire de sa compagne, Julie Chen, qui avait 4 ans quand ses parents ont divorcé, puis 12 quand elle a rejoint sa mère, remariée à un Américain, pour vivre avec eux aux États-Unis. Son père, resté en Chine, lui avait promis “un meilleur environnement et un plus bel avenir” là-bas. Bruts et sans retouches, les clichés en noir et blanc racontent les pensées d’une jeune femme en quête d’identité. “J’ai commencé la série Metamorphosis peu de temps après avoir rencontré Julie. Je m’intéressais beaucoup aux questions liées aux origines, à l’immigration, qui suscitent beaucoup de débats au Texas. Seulement, on ne parle pas beaucoup des immigrés asiatiques, donc j’ai décidé de raconter notre histoire.” Née Shiqi Chen, Julie a été confrontée, dans son adolescence et encore aujourd’hui, comme beaucoup d’immigrés, au mal du pays et au regard de l’autre qui lui rappelle toujours un peu plus sa différence. Une dissemblance qu’elle a dû apprendre à apprivoiser et que Kyeong Jun Yang a mise poétiquement en lumière, par exemple à travers la photo intitulée “Eyes”. Ce cliché fait référence à un moment douloureux dans l’adolescence de Julie : “Pendant longtemps, j’ai détesté mes yeux monolides. Ils m’ont défini avant que je ne puisse me définir moi-même dans ce pays étranger. Je ne voulais pas me sentir une étrangère ici”. Le photographe a immortalisé également les marques physiques que

le choc culturel a inscrites sur le corps de sa compagne avec “stretch marks”. Sans tabou, Kyeong Jun Yang y dévoile les vergetures de Julie qui apparaissent comme les vers d’un poème racontant une histoire. Celle d’une jeune femme confrontée à des différences culturelles, donc aussi alimentaires, entre son pays d’origine et son pays d’adoption. “Les mauvais moments passent aussi vite que les bons. Quand j’ai réalisé ce qui avait changé, j’ai compris que les marques sur mon corps racontaient l’histoire bien mieux que moi-même.” Quand on l’interroge, Kyeong Jun Yang insiste sur la portée non politique de sa série. Son intention n’est pas de dénoncer la xénophobie et le racisme autour de la question de l’immigration, mais de raconter les transformations physiques et émotionnelles que traverse un individu déraciné de sa culture d’origine. La dernière photographie qui conclut Metamorphosis s’appelle “Butterfly” et s’accompagne d’une réflexion de Julie sur la notion d’enracinement. “Je ne me sens pas appartenir à ce pays. La force qui m’a amenée ici est d’ordre biologique. Le manque que je ressens ne peut être comblé, je ne sais où chercher. Je suis chinoise mais pas vraiment chinoise, je suis américaine mais pas vraiment américaine.” Des paroles qui nous rappellent que la quête d’identité, qu’elle soit sous forme de voyage ou d’exil forcé, est autant une métamorphose physique que spirituelle, indissociable de la complétude de l’être.


P U PA . J U LI E L AY S D O W N O N T H E B ED S LE E PI N G . “LO O KI N G T H R O U G H A TU N N EL, Y O U C A N S E E LI G HTS F R O M T H E E XIT B UT N OT H I N G O F ITS D ETA IL . T H E D A R K F E ELS W A R M E R T H A N T H E LI G HT W H E N Y O U A R E I N H E R E TO O LO N G . T H E D ESTI N ATI O N IS P R ES E N TED I N F R O N T O F M Y EY ES . I BLI N K ED TW IC E , B UT IT D O ES N OT G ET CLE A R E R . I D ID N’T W A N T TO C O N TI N U E , H ID I N G B EC O M ES N ATU R AL W H E N Y O U A R E STU C K I N T H IS STATE .”

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PA R E N T S . A P H OTO T H AT J U LI E C H E N TO O K O F H E R PA R E N TS . “FILI AL O B ED I E N C E IS E M B ED D ED I N T H E C H I N ES E C U LTU R E . I W A N TED TO B E M E , B UT I C O U LD N’T B E F R E E .”

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E Y E S . J U LI E S H O W S O N E O F H E R W O R ST M E M O R I ES I N M ID D LE S C H O O L . “I U S ED TO H ATE M Y M O N O LID S . T H EY D EFI N ED M E B EF O R E I C O U LD D EFI N E M Y S ELF I N T H IS F O R EI G N C O U N TR Y. I D ID N’T W A N T TO STAY A S A F O R EI G N E R .”

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S T R ETC H M A R K S . J U LI E STA RTED TO H AV E ST R ETC H M A R KS A FTE R S H E STA RTED TO E AT H I G H - C ALO R I E F O O D I N T H E U . S . “H A RD D AY S FLE W BY J U ST A S E A SY D AY S D ID . W H E N I R E ALIZ ED W H AT H AD C H A N G ED , O N LY T H E M A R KS O N M Y FLES H C O U LD TELL A B ET TE R STO R Y T H A N M Y S ELF.”

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TU R TLE N E C K . J U LI E STA RTED TO STAY I N D O O R W IT H H E R ELECTR O N IC S A FTE R S H E I M M I G R ATED TO T H E U . S R AT H E R T H A N G O I N G O UTSID E TO P L AY W H IC H D EV ELO P ED H E R TU RTLE N EC K SY N D R O M E . “H ALF O F M Y LIF ETI M E A G O , I S P E N T M Y S U M M E R S O N T H E STR E ETS O F M Y H O M ETO W N . T H E LU X U R Y O F M Y C H ILD H O O D W A S S O O N R E P L A C ED BY ELECTR O N IC S A N D A H U N C H ED O V E R P O STU R E .”

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B U S R ID E . J U LI E G O ES TO S C H O O L R ID I N G A B U S F U LL O F C H I N ES E P E O P LE I N A U STI N , TE X A S . “SIT TI N G I N A B U S F U LL O F C H I N ES E , F R A N KLY I F ELT M O R E LIK E A N A M E R IC A N . O U R D IFF E R E N C ES C A N’T B E D ISTI N G U IS H ED , O N LY TO B E F ELT.”

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C H I N A TO W N . A L AD Y L AY S D O W N I N T H E S H AD O W U N D E R C H I N A TO W N ST R U CTU R E I N A U STI N , TE X A S . “H O M E IS FA R A W AY, S O T H E O N LY C H A N C E I G ET TO R EC O N N ECT IS AT T H E LO C AL C H I N A TO W N . EV E R Y O N E H E R E IS A N I M M I G R A N T. S O M E H O W T H IS P L A C E F E ELS M O R E LIK E H O M E .”

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LAURÉAT 2020 DE LA TRÈS CONVOITÉE MÉDAILLE LONDON DESIGN, YINKA ILORI PARTAGE DEPUIS PRÈS DE DIX ANS SON AMOUR DES COULEURS HÉRITÉES DE SES ORIGINES NIGÉRIANES. À TRAVERS DES INSTALLATIONS ET DU MOBILIER RECYCLÉ, L’ARTISTE LONDONIEN PLURIDISCIPLINAIRE A PEU À PEU TRANSFORMÉ NOTRE ENVIRONNEMENT URBAIN EN UN ESPACE REMPLI D’HISTOIRE ET DE MÉMOIRE VIVES. IF C H A I R S C O U LD TALK , 2015 , C O LLECTI O N D E C H A IS ES R ECYCLÉ ES . PA G E D E D R O ITE : A L A R G E C H A I R D O ES N OT M A K E A KI N G , E X P O SITI O N A U C E N T R E A F R IC A I N D E LO N D R ES , 2017.


LE

GOÛT ET LES COULEURS

© Veerle Evens

TEXTE CÉLINE CARRÉ.


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© Studiostagg

L’U N E D ES VITR I N ES D E L’E N S EI G N E LO N D O N I E N N E S ELF R ID G ES , FI N 2020 . PA G E D E G A U C H E : LIF E WTR , I N STALL ATI O N P O U R P E P SI , LO N D R ES , 2017.

L’interview commence. Apparaît à l’écran un jeune homme rayonnant, installé devant l’une de ses créations colorées. Son enthousiasme n’est visiblement pas affecté par les confinements sanitaires sans fin qui rythment depuis des mois sa vie comme la nôtre. Cette joie si communicative ne peut être que celle de l’artiste-designer anglo-nigérian Yinka Ilori, qui propage ses bonnes ondes par un graphisme coloré inspiré de tissus africains qui fait sa signature et son succès. Basé à Londres, l’artiste trentenaire a déjà été exposé à New York, Milan, Stockholm ou encore Francfort dans plusieurs festivals de design et d’architecture. Du mobilier à ses créations in situ pour de nombreuses enseignes, en passant par des affiches et couvertures de livres, ou sa toute récente collection d’accessoires pour la maison, Yinka Ilori imprime sa marque. L’un de ses terrains de jeu privilégié est l’espace urbain, dans lequel il déploie ses installations architecturales et ses peintures murales. En juin dernier, à Londres, il ornait un mur de Blackfriars Street du message “Better days are coming I promise”, en soutien au National Health Service britannique alors en pleine lutte contre le coronavirus. Ses dons de coloriste et ses messages pleins d’humour et d’optimisme sont une perpétuelle célébration du métissage culturel dont il est issu. Né en 1987 dans la capitale anglaise

de parents nigérians, Yinka Ilori grandit dans le quartier nord d’Islington. Un premier voyage au Nigeria à l’âge de 11 ans constitue un choc esthétique. Ce pays, qu’il a longtemps imaginé à travers les récits familiaux, le submerge de couleurs. “Vous entendez beaucoup parler de votre culture et du pays dont vous êtes originaire, vous vous construisez une image mentale de ce à quoi ressemble cet endroit. Quelqu’un vous raconte les paysages, c’est ensoleillé, chaud, incroyable, magique. La première fois que je suis allé au Nigeria, je me souviens avoir vu tellement de couleurs ! Dans l’architecture, parmi les voitures, sur les gens, et aussi dans la nourriture. Être entouré de tant d’énergie était très excitant pour moi”, se souvient-il. Le contraste avec l’atmosphère des rues londoniennes devait être plutôt saisissant. D’autant que ce même voyage dans son pays d’origine le marque autrement : “Grandir à Londres vous fait comprendre quelle est votre identité et vous apprenez aussi ce que signifie être une personne noire. Pour la première fois, en Afrique, je n’étais pas inquiet d’être noir. Je pouvais aller dans un parc ou dans des magasins chics sans être soucieux”. À Londres, Yinka vit néanmoins une enfance heureuse, fortement imprégnée de cérémonies et fêtes de la communauté nigériane qu’il décrit comme “une permanente

explosion de couleurs”. Un avant-goût des voyages qui émailleront son adolescence, comme autant d’évasions dans ces paysages lointains et familiers dont il capte les couleurs pour réenchanter la grisaille anglaise. Yinka Ilori se fraye un chemin entre ses deux cultures. En 2009, il sort diplômé de la London Metropolitan University en mobilier et design d’objets, et c’est toujours à Londres qu’il créera son studio éponyme en 2017, rassemblant autour de lui une équipe d’architectes et de designers, en impliquant les communautés locales, comme lors de sa première commande publique, Happy Street, réalisée en 2019 dans le cadre du Festival d’architecture pour l’autorité locale du London Borough of Wandsworth dans le Grand Londres. Il transforme un sombre tunnel sous le pont ferroviaire de Thessaly Road en un passage baigné de couleurs et de lumière – jour et nuit – pour piétons et cyclistes. Chaque mur du souterrain est recouvert de 56 panneaux en émail fabriqués dans un matériau peu coûteux et durable. Pour la palette colorée, Yinka Ilori choisit 16 teintes inspirant le bonheur et le bien-être. L’artiste a en effet à cœur de créer des atmosphères apaisantes, conviviales et gaies. Les couleurs sont aussi pour lui un vecteur de mémoire lui permettant de raconter des histoires. Adepte du recyclage de mobilier depuis

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P L AYL A N D , I N STALL ATI O N I M M E R SIV E C O M M A N D É E PA R PI N TE R EST P O U R LE C A N N ES LI O N F ESTIVAL 2019. G ET U P STA N D U P N O W , 2019, I N STALL ATI O N D’E N C AD R E M E N T D E P O RTES ET D E M E U BLES C O M M A N D É E PA R LE C O N S E R VATE U R Z A K O V É S E R VA N T D E TO ILE D E FO ND AUX Œ U V R ES D’A RT E X P O S É ES À L A S O M E R S ET H O U S E D E LO N D R ES Q U I C ÉLÉ B R A IT L’I M PA CT D E 50 ANS D E C R É ATIVITÉ N O I R E E N G R A N D EB R ETA G N E ET A U D EL À .

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© Andys Stagg

ses débuts en 2011, tout ce qu’il touche se teinte de paraboles nigérianes traditionnelles – que lui racontaient ses parents lorsqu’il était enfant – et de motifs inspirés du wax (ce tissu et cette technique d’impression originaires d’Indonésie, symboles de la colonisation, qui ont été introduits en Afrique par la politique d’expansion et d’exploitation coloniale néerlandaise avant de devenir ultra-populaires au xixe siècle, ndlr). Lors de sa première exposition solo en 2013 à la Old Shoreditch Station intitulée It Started With a Parable, Yinka Ilori y démonte des vélos qu’il recrée sous les yeux des visiteurs.euses durant six semaines, en parallèle du Festival du Design de Londres. L’un de ses objets recyclés de prédilection est la chaise, dont il réalise l’une de ses premières collections en 2015, If Chairs Could Talk. “Cette pièce de mobilier rassemble les gens. Vous pouvez vous y asseoir pour discuter, mais aussi pour pleurer, vous reposer, faire l’amour. Elle imprègne notre rapport physique à l’espace qui nous entoure. Elle peut aussi conférer du pouvoir, un sentiment de supériorité : si je vous mets sur une chaise installée sur un socle ou sur une scène, ce sera la même chaise, mais vous aurez un sentiment de puissance.” Une expérience de l’assise et de l’ego à laquelle le designer convie le public, en 2017 au Centre Africain de Londres, avec son installation immersive A Large Chair Does Not Make a King, intitulé qui n’est autre qu’un proverbe africain. Des plateformes surmontées d’une chaise décorée sont disposées aux quatre coins de la pièce. Les visiteurs.euses doivent gravir les marches pour s’y asseoir, se retrouvant finalement tou.te.s à la même hauteur sur un piédestal, comme dans la fameuse scène du salon de coiffure du film Le Dictateur de Chaplin, dans laquelle les personnages Hynkel et Napoloni actionnent tour à tour le système d’élévation de leur siège, rivalisant de hauteur jusqu’au ridicule. La même année, Yinka Ilori crée des chaises monumentales lors d’une exposition à l’est de Londres, pour la marque d’eau en bouteille de Pepsi, baptisée LIFEWTR, dont il conçoit aussi le graphisme. Toujours en 2017, l’artiste-designer élargi la palette de couleurs de l’entreprise sociale Restoration Station, dont les bénévoles utilisaient habituellement des tons monochromes pour restaurer des chaises anciennes. Il réalise avec

eux une collection singulière et multicolore, tout en wax, vendue ensuite aux enchères pour récolter des fonds. “La couleur est une invitation au design. Elle suscite des conversations, favorise le bien-être, et elle est également accessible à tous. Cet aspect social et communautaire est quelque chose d’important dans la conception interculturelle de mon travail”, souligne Yinka Ilori. Une dimension sociale qu’il décline en France en 2020 avec COLORAMA skatepark, espace couvert pour les skateurs à La Condition Publique à Roubaix, dans le cadre de Lille Capitale mondiale du Design 2020 et d’Africa 2020 initié par l’Institut français. Il réalise le décor mural et conçoit les modules avec des matériaux recyclés, en partenariat avec la Fondation Décathlon. Le développement durable est d’ailleurs une autre composante au cœur de la démarche artistique de Yinka Ilori, comme le montrent les trois vitrines entièrement constituées de matériaux recyclés qu’il a conçues à l’automne dernier pour l’enseigne commerciale britannique Selfridges en réponse à sa campagne Project Earth. Les pétales des grands tournesols sont, par exemple, constitués de brosses à cheveux, les structures modulaires de bambou. La première vitrine est dédiée à chaque lever de soleil qui augure un changement. La deuxième est dédiée aux fleurs qui fleurissent malgré les temps difficiles et la troisième rend hommage aux 40 millions de kilomètres de forêt qui renouvellent l’air sur Terre. Son tout dernier projet, l’installation In Plants We Trust (janvierjuin 2021) est une célébration de la nature qui s’immisce dans l’urbanisme, commandé par l’agence multiculturelle Alter-Projects pour sa galerie publique londonienne en plein air Wander Art. Le mobilier rectiligne est une superposition de strates colorées formant un passage rétroéclairé coiffé de plantes tropicales dans les rues des quartiers de Mayfair et Belgravia. Par ces interventions dans l’espace public, dans les centres d’art jusqu’aux halls d’hôtels et pop-up store d’enseignes de renom, Yinka Ilori partage ses récits à plusieurs auditoires, à travers ce langage universel qu’est la couleur. Sans doute cherche-t-il à transmettre à tou.te.s une autre perspective propice à l’évasion, qu’il définit comme le pouvoir du rêve qui, de l’imaginaire, triomphe de l’impossible pour se projeter sur la toile de nos réalités.

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© Brett Lloyd pour Dior Men

VESTE ET PA NTALO N “M O D ER N TAILO RIN G” E N TOILE D E LAIN E G RIS E I M P RI M ÉE M ICR O PI ED-D E-PO U LE, S N EAKER B27 D I O R M E N .

PROPOS RECUEILLIS PAR THÉO RIBETON.

A H E U R T E A RELÈV

ET D’UNE TRANSFORMATION QUI LUI ONT APPRIS QUE RIEN NE SERT DE COURIR.

L’ACTEUR MANNEQUIN JÉRÉMIE LAHEURTE RENCONTRE MIXTE AU TERME D’UNE RENAISSANCE

L’APRÈS VIE D’ADÈLE PLUTÔT LABORIEUX EST DERRIÈRE LUI.


Démarrer sa carrière par une Palme d’or, même dans un rôle secondaire : l’idée ferait rêver beaucoup de jeunes acteurs. Jérémie Laheurte en a pourtant fait une expérience douce-amère, qu’il ne recommanderait peut-être pas. Le copain éconduit de La Vie d’Adèle (2013), qui allait devoir s’effacer pour permettre à l’héroïne d’Abdellatif Kechiche de se révéler à elle-même et vivre sa grande histoire d’amour, c’était lui. Et le triomphe ne fut pas autant le sien que celui d’Adèle Exarchopoulos et Léa Seydoux. Les années suivantes ont été un relatif désert, comme si les hautes promesses de ce faux départ refusaient de s’exaucer. Il lui a alors fallu accepter peu à peu de reprendre un rythme modeste : renoncer aux premiers rôles qu’il échouait à décrocher, et entamer une reconquête patiente, faite de partitions secondaires (devant la caméra des sœurs Coulin ou de Hafsia Herzi), de mannequinat, avec un pied dans le jeune cinéma d’auteur, un autre dans la mode. Aujourd’hui, il est en tête d’affiche d’une série Canal + (Paris Police 1900), et égérie de la nouvelle campagne Modern Tailoring, la ligne de costume pour hommes de Dior créée par Kim Jones et photographiée par Brett Lloyd.

MIXTE. Ta carrière a démarré par un court métrage, Marseille la nuit, qui a eu une belle histoire et a été sélectionné aux César. Est-il important pour toi ? J É R É M I E L A H E U R TE . Absolument. Je me rappelle avoir passé le casting avec Karim Leklou. On a fait une impro, je devais jouer un type pas très sympathique, assez bizarre : à la fin, ils pensaient que j’étais comme ça. L’impro avait débordé, et comme ils ne me connaissaient pas, le doute subsistait. Je me suis dit : “Merde, ils m’ont pris pour un barjot !” Finalement, ils m’ont rappelé, et j’étais content parce que j’avais déjà vu Karim dans un film. J’avais l’impression que je commençais à être dans le game. C’était un tournage difficile. Il y avait quelque chose de l’ordre du film de genre, du thriller urbain assez excitant.

M. La révélation, c’est évidemment La Vie d’Adèle. Quel souvenir en gardes-tu ? J. L. C’est le plus beau film de ma jeune carrière. Un souvenir à la fois

magnifique et très mélancolique. Quand j’entends la musique de la bande-annonce, quand je vois passer une image du film, j’ai les larmes aux yeux. Ça représente beaucoup de choses pour moi. C’était la première fois que je me sentais légitime, adoubé par un maître du cinéma. M. Vous avez tourné davantage que ce qu’on voit dans le film, je crois… J. L. Oui, deux mois et demi environ. Je me rappelle qu’un jour, Ghalia Lacroix, la coscénariste, m’avait mis en garde : “C’est super ce que vous faites, mais rappelle-toi que ce n’est pas ça le film”. C’est vrai que j’avais l’impression qu’on aurait pu faire un autre film dans le film. M. Ça a été frustrant pour toi de te découvrir un peu évacué au final ? J. L. Évidemment. D’autant plus que, quand tu commences, tu ne sais pas comment fonctionne le découpage, l’envers du décor. J’avais des soupçons quand même, parce que je savais que notre intrigue n’était pas la principale, et que le film n’allait pas durer six heures. Mais j’avais envie d’y croire – il y avait des scènes vraiment jolies. Je n’ai aucune amertume pour autant : quand tu vois le film dans sa globalité, malgré sa durée, et tous ses extrêmes, tu vois qu’il a un équilibre intouchable. M. Kechiche a la réputation de faire souffrir ses acteurs. Qu’en dis-tu ? J. L. C’est faux, et je tiens à ce que ce soit écrit noir sur blanc. Ça a même été difficile de ne pas forcément retrouver cette qualité de relation avec un metteur en scène par la suite. J’avais une confiance absolue dans sa méthode et dans son regard. Il y a des metteurs en scène qui disent : “C’est bon, on l’a”… et tu doutes. Tu te dis qu’on peut faire mieux, qu’on peut aller plus loin, qu’on peut chercher autre chose. Lui quand il dit : “On l’a”, tu sais que c’est le meilleur truc qu’on aurait pu faire. J’ai le souvenir d’une extrême liberté : je suis à l’origine de certaines idées, comme le fait que mon personnage joue du hang drum (et pas de la guitare comme c’était initialement prévu, je trouvais ça vu et revu). C’était un terrain d’expériences sans fin. Quand il nous disait d’un air désolé : “Ce soir, on va tourner un peu tard”, je pensais que c’était génial, je ne voyais pas le

problème. Et quand Abdel disait : “On la refait” pour la quinzième fois, j’étais surexcité.

M. Comment as-tu vécu l’exposition ? Est-ce que c’était difficile d’être en retrait des actrices ? J. L. Ce n’était pas facile, effectivement. Kechiche avait décidé de faire de moi une espèce de caution masculine, il voulait que je fasse partie de la tournée promo. C’était excitant, mais aussi un peu angoissant, parce que je savais que le film était focus sur les deux actrices. Nous, on était la brigade, on avait aidé à faire le gâteau, mais on n’était pas les chefs. Je savais que ça n’allait pas avoir les mêmes conséquences pour elles que pour moi. Il allait falloir que je travaille. M. Quelles ont été les conséquences pour toi ? J. L. À double tranchant. Tout à coup, on me faisait des propositions pour participer à des castings pour des premiers rôles, au lieu de me laisser grandir doucement. Et j’arrivais en finale de tous ces castings, mais on ne me choisissait pas, parce que je n’avais jamais fait de premier rôle, ou parce qu’il y avait un mec plus connu que moi. J’avais l’impression d’une malédiction. En plus de ça, je partageais mon quotidien avec Adèle, et même si j’étais content de ce qui lui arrivait, j’étais aussi stressé par le décalage. Ça me faisait bader. M. Dans les années suivantes, tu as été dirigé par plusieurs réalisatrices en vue, même si c’était pour y jouer des rôles secondaires, dans Voir du pays de Delphine et Muriel Coulin, ou dans Tu mérites un amour de Hafsia Herzi. Préfères-tu un second rôle dans un film d’auteur ou un premier rôle dans un autre plus standardisé ? J. L. Le dilemme n’est pas là. Si je ne crois pas à l’histoire, ça ne m’intéresse pas d’y aller. Après, on ne va pas se mentir, il m’est quand même arrivé de m’engager dans des projets où j’adorais le film et mon personnage, mais où j’aurais quand même aimé que mon rôle soit plus important. M. Est-ce que Voir du pays, avec ton petit rôle de soldat de retour d’Afghanistan, a justement représenté un redémarrage sur des bases moins exposées et plus saines ?

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J. L. Totalement. J’arrivais au terme de cette série noire d’échecs pour des castings de premiers rôles. Je devenais fou, je lisais des scénarios et j’avais tellement envie d’avoir le film que j’essayais de ressembler à mon personnage, de me transformer, pour finalement me vautrer. Je me suis dit qu’il fallait changer d’approche. Je me suis imposé un détachement, et une authenticité : ils auront du Jérémie Laheurte et rien d’autre, tant pis si ça ne plaît pas. Et ça a marché. Mon rôle dans Voir du pays était plein de sensibilité, dans un film très collectif où j’ai eu le sentiment qu’on a voulu me donner ma juste place. J’avais le choix entre ça et un premier rôle dans une série : j’ai dit non à la série, ce qui m’a valu d’être un peu malmené. Et finalement, on est allés à Cannes ! M. Quand on voit le film aujourd’hui, on a l’impression que le tournage devait ressembler à une colo de jeunes espoirs : il rassemble beaucoup d’acteurs qui se sont révélés peu après. J. L. Ouais, c’était un peu ça. On était enfermés dans cet hôtel, avec ses neuf piscines – au bout de trois semaines, tu commençais à être dans un mindset bizarre. C’était une espèce de thalasso figée, étrange. Et effectivement, c’est fou, avec Karim Leklou (Le Monde est à toi), Alexis Manenti (César du meilleur espoir masculin en 2020 pour Les Misérables), Damien Bonnard (Les Misérables)… on révisait nos prochains castings ensemble. Il y avait des acteurs plus âgés qui étaient angoissés parce qu’ils n’avaient pas encore percé, d’autres plus jeunes pleins d’espoir ou de crainte. Et finalement, ça a marché pour tout le monde. Elles ont eu du flair (Delphine et Muriel Coulin, ndlr).

M. Si on cherche des thématiques communes à tes rôles, on trouve facilement un élément de virilité questionnée, à travers des archétypes comme celui de l’ex toxique, des métiers connotés comme policier ou soldat. J. L. Complètement. J’ai parfois l’impression d’être un mâle alpha, bagarreur, capable de mettre des coups de pression, et pourtant quand je me vois dans un film je me trouve d’une fragilité ! Mais quand je le joue, je ne m’en rends pas compte. C’est une ambivalence qui fait partie de moi. Je ne suis

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certes pas du genre à cacher des émotions, j’accorde beaucoup d’importance à la sensibilité, je peux parler très librement à des gens que je ne connais pas. Je n’ai aucun problème à révéler mon intimité : pour moi, c’est simplement discuter avec d’autres humains sur la substance de la vie. Ça doit venir de là… M. Est-ce que c’est particulier d’incarner actuellement un policier, comme tu le fais dans Paris Police 1900 ? J. L. Bien sûr, et la série assume cette résonance. J’ai revécu un sentiment que j’avais éprouvé quand on montait les marches à Cannes avec La Vie d’Adèle, et qui coïncidait avec une grande marche des fiertés dans toute l’Europe, au moment où la France s’apprêtait à légaliser le mariage homosexuel. C’est dingue comme des metteurs en scène peuvent être au rendez-vous de leur temps de façon inexplicable. Et Paris Police m’a fait cet effet. Pourtant, quand j’ai démarré le projet, je pensais au passé, à des polices politiques liées à des périodes particulières, à la Gestapo, à la Stasi. Je ne pensais pas aux problèmes de la police d’aujourd’hui. Finalement, cela fait aussi écho à l’actualité. On retrouve cette scission entre le peuple et sa police, cette angoisse face à une autorité qui parfois n’a aucune intention de te défendre, et parfois même veut te nuire. Ça parle de la condition des femmes à cette époque, et de l’antisémitisme français. Mon personnage est en crise face à ces dérives et le rôle que joue la police dans un tel contexte. M. Tu es un acteur athlétique. Est-ce que c’est lié à une envie de cinéma de genre, de cinéma d’action ? J. L. Oui et non. J’ai toujours fait beaucoup de boxe, de sport. J’ai l’impression de savoir faire beaucoup de petites choses, mais pas suffisamment pour percer dans ces domaines finalement. Or le cinéma, justement, c’est le terrain parfait, c’est un couteau suisse formidable. Par exemple, j’ai une vraie fascination pour la polyvalence physique de Tom Cruise, sans me comparer à lui, bien sûr. Il sait tout faire, exécuter toutes les cascades, piloter tout et n’importe quoi, sauter en parachute… Si j’ai joué des policiers, des militaires, c’est peut-être que j’aime la discipline

physique que ça impose. Et évidemment, je me dis que ça peut inspirer des projets.

M. Est-ce que les itinéraires américains d’acteurs européens comme Matthias Schoenaerts ou Tahar Rahim, récemment nommé aux Golden Globes, ça te fait envie ? J. L. Bien sûr. Mais les Anglais, les Suédois ont une compatibilité naturelle avec les États-Unis. Pour les Français, c’est moins évident ; même si, quand on ouvre la porte, on se rend compte que ça peut marcher. M. Et dans tout ça, que t’a apporté le mannequinat ? J. L. Des choses assez antagonistes. Beaucoup de commentaires inutiles et d’incompréhension, qui m’ont desservi : les gens du cinéma sont méfiants par rapport à ça. Dans les films, j’aime qu’on me salisse, qu’on me bouscule ; je ne me sentais pas mannequin à la base. Mais au final, c’est le mannequinat qui m’a permis de mettre un pied dans le monde artistique. J’avais 17 ans, un type m’a dit qu’il faisait un casting pour Yves Saint Laurent. J’ai bossé très jeune pour Stefano Pilati qui était alors directeur de la création du prêt-à-porter de la Maison et ça a commencé à me fasciner d’une manière cinématographique. Pilati avait une personnalité complexe, il titillait ma fibre artistique. Et en même temps, je détestais être un portemanteau. On me payait pour ma disponibilité : parfois, j’arrivais à 9 heures et je repartais à 17 heures, j’avais attendu toute la journée dans un placard sans rien faire. Quel est l’intérêt ? Et en même temps, ça m’avait déjà fait quitter le sentier de l’école, ça m’avait fait mettre un pied dans la création. C’est probablement le mannequinat qui m’a poussé à être acteur. Ça m’a à la fois rapproché et éloigné du cinéma, je sentais qu’on se disait qu’étant mannequin je ne pouvais pas être acteur. Avec la mode, j’ai fini par faire comme pour le cinéma : n’aller que là où ça m’intéressait. C’est comme ça que j’ai rencontré Kim Jones, et j’ai trouvé en lui une personnalité, une intelligence, un talent comme je cherche à en trouver chez les metteurs en scène. La mode, pour moi, c’est un truc de mentor, de même que le cinéma.


© Brett DR Lloyd pour Dior Men

DANS PARIS POLICE 1900, O N RETROUVE CETTE SCISSIO N ENTRE LE PEUPLE ET LA POLICE, CETTE AN GOISSE FACE À U NE AUTORITÉ QUI PARFOIS N’A AUCU NE INTENTIO N DE TE DÉFENDRE, ET PARFOIS M ÊM E VEUT TE N UIRE.

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“M U S H R O O M CITY”, W W M U S H R O O M S S E R I E D E S E A N A G AVI N .

TOU.TE.S

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C H A M

TEXTE DÉBORAH MALET.


SOUS EN VOULANT ATOMISER LES MODES DE VIE ET DE CONSOMMATION ANTHROPOCENTRIQUES DANS LESQUELS NOUS SOMMES ENRACINÉ.E.S – DE LA MODE À NOTRE HABITAT EN PASSANT PAR NOTRE ALIMENTATION ET NOTRE BIEN-ÊTRE, LE CHAMPIGNON ET SES EFFETS THAUMATURGIQUES SONT BIEN PARTIS POUR NOUS AIDER À SAUVER LE MONDE. FOCUS SUR UN SPÉCIMEN CENSÉ NOUS PERMETTRE D’ENTAMER NOTRE MÉTAMORPHOSE.

P I

L’histoire étonnante du champignon et l’engouement grandissant qu’il suscite d’année en année sont dignes d’un conte de fées à la Cendrillon. À première vue, on n’aurait pas forcément misé un copeck sur cette souillon (no offense) et pourtant, elle est devenue aussi désirable qu’une invitation à un spectacle de Booder après des mois de confinement cumulés durant lesquels on nous avait martelé : “la bamboche, c’est terminé”. Il aura suffi que la mode pointe ses projecteurs sur le champignon et que sa mannequin star Bella Hadid “Embrace the Beauty of Mushrooms” (dixit Vogue US en octobre dernier) pour qu’enfin la majorité d’entre nous lui donne du crédit. Si Bella, comme on s’en doute, n’est pas franchement calée en mycologie (oubliez toutes blagues gynécologiques), ça ne l’empêche pas de jouer les passionarias de fungi – le terme scientifique pour désigner les champignons (fungus au singulier) –, que ce soit en l’affichant sur le tee-shirt qu’elle porte pour bricoler une balançoire ou sur ses ongles manucurés par la nail artist Mei Kawajiri. Mais la Bella n’est pas la seule à qui le champignon a tapé dans l’œil : JW Anderson a imprimé des amanites tue-mouches sur des teeshirts, pulls et hoodies ; Olympia Le-Tan et l’artiste Ana Strumpf ont également piqué ce champignon toxique sur des minaudières ; Gucci l’a peint sur une veste en cuir de biker et lui a fait passer un message sur des tee-shirts clamant “Not a Human Voice” ; Vivienne Westwood en a fait des bijoux, tandis que Miu Miu l’a pris au pied de la lettre en imaginant pour sa collection Resort 2020 des couvre-chefs en forme de chapeaux de champignon (vous saisis-

sez l’effet Inception ?). La marque plus confidentielle Eden Power Corp dédie, quant à elle, aux fungi sa collection Printemps-Été 2021 avec ses looks de zadistes shootés dans la champignonnière Les 400 Pieds de Champignons à Montréal, et a fait appel à la société Amadou pour imaginer un bob à base de mycélium, ces multiples filaments qui composent l’appareil végétatif du champignon. Il n’y a pas que la mode que ce dernier fascine. Phyllis Ma en a fait le sujet haut en couleur de ses natures mortes. L’artiste photographe se fournit en modèles non pas dans les agences de mannequins, mais dans la ferme urbaine Smallhold de Brooklyn et les forêts au nord de New York pour immortaliser tout ce beau monde dans son magazine autoédité Mushrooms & Friends. Les fungi ont même vu les portes des musées s’ouvrir à eux.

APPUYER SUR LE CHAM PIGN ON En 2019, à Paris, le Centre Pompidou accueillait La Fabrique du Vivant regroupant des œuvres biomimétiques comme le fauteuil du studio néerlandais Klarenbeek & Dros issu de l’impression en 3D de mycélium vivant. Entre janvier et avril 2020, c’est The Art, Design and Future of Fungi à la Somerset House de Londres qui attestait de la vigueur des champignons. Parmi les œuvres des artistes Hamish Pearch, Seana Gavin, Cy Twombly, Takashi Murakami et Alex Morrison, une création a particulièrement retenu l’attention. La combinaison funéraire de la Sud-Coréenne Jae Rhim Lee, qui contient des spores pour réduire plus rapidement notre corps, en cas d’inhumation, en compost assaini de ses toxines. Fascinant, non ?

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Curatrice de l’exposition, Francesca Gavin avance une première explication très lubrique à cette obsession pour le monde fongique : “Leur aspect phallique et génital, évidemment ça interpelle. Il n’y a qu’à voir la popularité que les vidéos de champignons en train de pousser rencontrent sur Instagram… Plus sérieusement, dans notre société standardisée et industrialisée, on veut tous se reconnecter à la nature. Plus on en apprend sur les champignons, plus on en reconsidère le fonctionnement. Le champignon n’est ni une plante ni un animal, quoiqu’il se rapproche tout de même davantage de l’animal et partage avec nous un ancêtre unicellulaire commun.” Un juste retour des choses lorsqu’on sait que cet organisme vivant a longtemps pâti de notre complexe de supériorité et de la hiérarchie des espèces (on ne dit pas merci à Aristote). Car force est de constater que c’est vers la bande à fungi que scientifiques, entrepreneur. euse.s et grosses bourses du CAC 40 se tournent pour trouver le salut, ou du moins des solutions à l’urgence écologique et humaine dans laquelle nous nous sommes empêtré.e.s. Le champignon est peut-être notre seul espoir pour repenser nos différents modes de vie et de consommation, mais aussi pour assurer notre survie si jamais “tout est chaos”, comme dirait Mylène Farmer. Francesca n’a pas tort : “Que vous soyez intéressé.e par la nature, la bouffe, l’architecture, le design, l’économie, les arts, etc., les champignons touchent tous les domaines et peuvent tracer de nouvelles voies pour penser l’avenir, surtout au moment où elles sont nécessaires.”

WON’T YOU TAKE ME TO FU N GI TOW N Dans un avenir galopant, le conseil d’ami.e que l’on peut d’ores et déjà vous prodiguer c’est de ne surtout pas développer une allergie aux champignons. Car non seulement vous mangerez, mais vous porterez, vous vous ferez une beauté, meublerez et habiterez champignon (comme les Schtroumpfs, oui). En octobre dernier, le groupe de luxe Kering détenu par François-Henri Pinault annonçait, aux côtés de Stella McCartney, Adidas et Lululemon, la création d’un consortium avec la société américaine Bolt Threads fabricante du

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Mylo, un textile à base de mycélium cultivé pour imiter à la perfection le cuir, certifié sans pétrole ni cruauté animale et garantissant une meilleure traçabilité de la matière première. À cet effet d’annonce suivirent rapidement des actes, puisque dès cette année 2021, certaines de leurs créations commercialisées sont intégralement faites de ce “faux cuir” révolutionnaire. “Le Mylo est obtenu à partir d’un processus de culture très efficace et à faible impact : la pousse n’excède pas deux semaines et les émissions de gaz à effet de serre ainsi que les besoins en eau sont beaucoup moins drastiques que ceux engendrés par la fabrication de cuir animal”, soulignent les deux fondateurs diplômés en biochimie et bio-ingénierie dans leur communiqué. Bolt Threads est la partie visible de l’iceberg, tant d’autres startups œuvrant depuis plus de dix ans à l’introduction du mycélium dans la chaîne de production durable. Fondée en 2004 par Aniela Hoitink, l’entreprise néerlandaise Neffa a vu sa matière MycoTex, garantie sans pesticide et biodégradable, auréolée par la Fondation H&M du Global Change Award en 2018. La startup californienne MycoWorks, créée en 2013, a levé en novembre dernier 45 millions de dollars, auxquels ont participé notamment l’actrice Nathalie Portman et le chanteur John Legend, pour financer son textile Reishi en vue de développer des partenariats avec des marques de luxe. La société new-yorkaise Ecovative Design fondée en 2007 et spécialisée dans le packaging 100 % compostable s’est diversifiée dans le mobilier. Tandis que l’entreprise indonésienne Mycotech Lab, qui parie sur la “myco-technology” comme nouveau matériau de construction, s’est associée en 2017 à l’architecte allemand Dirk Hebel pour façonner MycoTree, une structure en mycélium et en forme d’arbre capable de porter le poids d’un immeuble de deux étages.

IL VA Y AVOIR DU SPORE La food n’est pas en reste, puisqu’il n’est plus seulement question d’aller à la cueillette aux champignons mais d’en faire également un substitut convaincant à la barbaque. C’est le fer de lance des sociétés Meati et


SCIENTIFIQUES, ENTREPRENEUR.EUSE.S ET GROSSES BOURSES D U CAC 40 SE TOURNENT VERS LES FU N GI POUR TROUVER DES SOLUTIO NS À L’URGENCE ÉCOLO GIQUE ET HU MAINE DANS LAQUELLE N OUS N OUS SO M M ES EMPÊTRÉ.E.S.

Atlast Food Co. (la branche “animal free meat” d’Ecovative), boostées par un chiffre alléchant : 68 milliards de dollars, le poids en 2024 du marché mondial des Fungi comestibles, selon les estimations du biologiste américain Merlin Sheldrake. Le moment est donc opportun pour commander des kits DIY et made in France afin de cultiver ses propres pleurotes de chez La Boîte à Champignons et Fungus Sapiens. D’autant que les fungi garantiraient notre survie en cas de catastrophe naturelle ou humaine (guerre nucléaire, impacts d’astéroïdes, tout ça tout ça), selon Bryan Walsh auteur de End Times publié en 2019. D’après lui, les champignons sont de véritables warriors dans un environnement apocalyptique où la lumière naturelle viendrait à manquer, puisqu’ils n’en ont pas besoin pour “rise & shine” et se développer. Même la Nasa est en orbite autour de la planète Fungi. En juillet dernier, le Cladosporium sphaerospermum, qui pousse dans la zone contaminée de Tchernobyl, a été envoyé à bord de l’ISS pour être examiné. Conclusion : il pourrait être intégré dans les combinaisons des astronautes afin de constituer une couche protectrice aux radiations cosmiques, susceptibles de provoquer des cancers et une détérioration de l’ADN. Et ce n’est pas fini, puisque l’agence spatiale américaine envisage d’utiliser le mycélium pour faire pousser comme des champignons des habitations sur Mars et la Lune… Hallucinant.

PASSE, PASSE LE MYC Le champignon est cet ami qui nous veut du bien, surtout en l’an 2 Covid où tout le monde aspire à plus de “selfcare”. Et le parallèle avec le chanvre et le CBD n’est pas fortuit, tant ils puisent leurs racines dans les médecines traditionnelle et holistique. Loin d’être un courant de niche, Shiseido a enrichi ses soins Ultimune d’extraits de Reishi, tandis qu’Origins s’est octroyé les services d’Andrew Weil, “le gourou de la médecine holistique”, pour développer ses cosmétiques Mega-Mushroom. Riches en vitamines D et B et courtisés par les naturopathes pour leurs bienfaits adaptogènes (antioxydant et boosteur de système immunitaire), le Reishi et

le cordyceps sont présents dans les compléments alimentaires et poudres comestibles commercialisés par les jeunes sociétés françaises Mycelab, Hygée et Maison Loüno. Petit mémo : on retrouve même la trace de champignons dans des antibiotiques comme le Penicillium notatum à l’origine des pénicillines. L’adage “bon pour le corps et l’esprit” ne s’est jamais autant vérifié qu’en mycothérapie. Pas surprenant donc que, dans le contexte actuel où l’on s’en remet à tout ce qui est mystique, les thérapies “psychédéliques” (terme qui signifie “révéler l’âme”) attisent la curiosité. Comme nous le rappelle Marion Neumann, cinéaste mycophile et psychonaute dont le documentaire intitulé The Mushroom Speaks débute sa tournée en festival dès avril en Suisse et au Danemark, “le champignon a influencé maintes cultures dans leur spiritualité et leurs coutumes, notamment par des substances psychoactives comme l’amanite, la psilocybine et l’ergot de seigle (donc le LSD). Et, partout sur Terre, les civilisations païennes ont, à travers des substances psychotropes, exploré différents états de conscience : la coca au Pérou, la mescaline et la psilocybine en Amérique Centrale, l’ayahuasca ou yagé en Colombie, le soma védique en Inde, probablement tiré de l’amanite tue-mouches…” Deux documentaires débarqués début 2020 sur Netflix mettent d’ailleurs les pieds dans le plat à champignons magiques : Have A Good Trip, où des personnalités comme Ben Stiller, Sarah Silvermann ou A$ap Rocky font part de leurs expériences sous psychotropes, et The Goop Lab de Gwyneth Paltrow, dont le premier épisode est consacré à un “healing trip” sous champis en Jamaïque. Dans les deux cas, les producteurs n’ont pas omis de préciser qu’après 50 ans d’interdiction, les villes et États américains comme Denver et l’Oregon dépénalisent tour à tour la consommation voire la possession et la culture de plantes, et donc de champis, hallucinogènes. Même la FDA (agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux) autorise à nouveau les études portant sur les effets positifs des substances hallucinogènes dans le traitement de la dépression, de la dépendance ou de l’état de stress post-

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traumatique, reprenant là où s’étaient arrêtés les écrivains Timothy Leary, Richard Alpert (alias Baba Ram Dass) et Terence McKenna.

M USH’ LOVE Des pionniers dont les travaux intéressent Marion Neumann, pour qui “il est nécessaire de recontextualiser et réévaluer dans le débat public, les psychédéliques non pas comme des drogues, mais comme des outils qui, s’ils sont utilisés de manière responsable, peuvent aider à favoriser la guérison”. Même son de cloche du côté de Jennifer Tessler, surnommée Lodé, cofondatrice en 2016 à Londres de l’organisation Alalaho qui coordonne des retraites “psilocybine-assistées”, cette substance qui est au champignon ce que le THC est au cannabis. Rien d’illégal dans tout ça, puisque lesdites retraites ont lieu aux Pays-Bas et ont fait l’objet de recherches menées par l’Institut de Maastricht : “Nos journées sont rythmées par des cercles de parole, des balades, de la méditation et des séances de yoga, puis vient la cérémonie psychédélique où les participant.e.s ingèrent les truffes sous forme d’infusion. Le ‘trip’ dure cinq heures avant une redescente graduelle durant lesquelles nos ‘facilitators’ les accompagnent”. Preuve qu’on n’est pas là pour déconner, chacun.e remplit en amont un questionnaire et passe des tests pour évaluer sa santé physique et mentale auprès de psychothérapeutes : “Parmi nos participant.e.s, des banquier.ère.s, des vétérans de guerre, des retraité.e.s (notre doyenne a 78 ans), des adeptes de wellness, qui ont en commun le besoin d’évacuer leurs angoisses, dépression, burnout”. Qui aurait cru que le “be aware” de Jean-Claude Van Damme pourrait nous aider à nous sentir mieux au xxi e siècle ? ”La psilocybine permet d’améliorer l’humeur en cas de dépression car notre cerveau augmente son entropie : nos réseaux cérébraux perdent de leur spécificité et se mettent à communiquer entre eux de façon anarchique, ajoute Marion Neumann, qui ne souhaite ni banaliser les éventuelles conséquences négatives, ni glorifier l’usage incontrôlé de substances psychoactives. Ce chaos cognitif débloquerait nos schémas de

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pensée embourbés dans une rigidité pathologique. Ce qui provoquerait une révision radicale de nos priorités de vie et expliquerait notre plus grande flexibilité comportementale.” Selon le médecin Deepak Chopra interrogé dans Have A Good Trip, cet éveil des consciences sous psychotropes a même permis aux mouvements écologique, féministe ou encore antiraciste de naître dans les années 1960. Pour Lodé, il est évident que les substances psychédéliques nous poussent “à voir les choses sous un autre angle, sans être toujours au centre (du monde, ndlr) et à reconsidérer ‘l’autre’, même l’infiniment petit, sans vouloir le dominer ni le contrôler”.

C’EST LA CHAM PIGN ONS LEAGUE Ne pas tout contrôler, c’est effectivement ce que nous apprend le règne fongique, à l’heure où les États durcissent toujours plus leur politique de contrôle des individus et de leurs libertés individuelles (coucou, la loi Sécurité globale !). Les champignons échappent tellement à notre surveillance, que “l’on estime que, sur les 15 millions d’espèces vivantes, sur Terre, près de 6 millions seraient des champignons. Mais seul 1 % a actuellement été classifié. Peu d’entre eux ont été étudiés au-delà de leur forme basique et de leur fonction, et moins de 100 espèces ont été intégrées de manière signifiante au sein des activités humaines. Des chiffres qui en disent long sur notre compréhension limitée de leurs façons de vivre et de ce qu’ils ont à nous offrir”, souligne Marion Neumann qui, fin 2020, coorganisait avec l’artiste Frédérick Post le festival Mos_Espa à Genève dont la baseline était “le mycélium est le message !” C’est également ce qui ressort de l’ouvrage Le Champignon de la fin du monde : sur la possibilité de vivre dans les ruines du capitalisme, d’Anna Lowenhaupt Tsing, paru en 2017 en France. L’anthropologue américaine s’est intéressée au matsutake, premier organisme à resurgir des sols irradiés d’Hiroshima en 1945 et vivant dans l’anarchie la plus totale. Il est incultivable en laboratoire et échappe ainsi à toute logique productiviste et industrielle de l’humain.e, qui veut que les éléments naturels et le

vivant soient obligatoirement standardisés et brevetés. Un symbole de la désobéissance en opposition à cet “Âge de l’Homme, mieux nommé capitalocène”, comme le souligne la philosophe Isabelle Stengers dans la préface dudit bouquin. À la manière d’un Jon Snow, il faut se rendre à l’évidence que “we know nothing”. Mais on peut toujours compter sur le mycologue américain Paul Stamets, auteur de Mycelium Running: How Mushrooms Can Help Save the World, pour nous donner des leçons d’humilité et nous ouvrir les yeux sur ce monde qui nous échappe. C’est lui qu’on retrouve au cœur du documentaire Fantastic Fungi, réalisé par un autre passionné, Louie Schwartzberg, et raconté par Captain Marvel, alias l’actrice Brie Larson. Sorti en 2019, il explique, avec ses effets spéciaux à éclipser Avatar, comment le modèle fongique, qui vit en réseau interconnecté et en symbiose avec les autres espèces, devrait être appliqué à plus grande échelle, c’est-à-dire la nôtre. Coopération et mutualisation entre les “vivants” sont également les mots d’ordre de Marion Neumann, pour qui il serait temps de rétablir l’ordre naturel car “les êtres fongiques sont les plus anciens maîtres du monde et sont à l’origine de la vie sur Terre. Il y a environ deux milliards d’années, le corps mycélien a ouvert la voie aux plantes, aux animaux et à tout le processus de l’évolution. Ce n’est que récemment que l’on considère l’évolution comme étant en grande partie le résultat de la collaboration liée au monde fongique – et non pas seulement d’une ‘survie du plus fort’. Les champignons influencent toute la vie sur Terre. Les recycleurs jouent un rôle essentiel dans la redistribution des nutriments dans le monde. En tant que constructeurs des sols, ils conçoivent des écosystèmes entiers – et je ne parle même pas de tous les champignons dans notre corps ! Sans le savoir, ce sont nos compagnons permanents.” Un article paru dans le magazine américain spécialisé Fungi en 2008 et intitulé “Fungi & Sustainability”, en concluait ainsi : “Si le pire devait arriver, nous pouvons être sûrs que les champignons sauveront à nouveau notre planète”. Et dire qu’on a longtemps cru que ce serait les chats…


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“FA I R Y VILLE: H O M A G E TO R IC H A RD D AD D ”, M U S H R O O M S S E R I E D E S E A N A G AVI N .


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CLIMAT CLÉMENT

DIRECTEUR

ARTISTIQUE

ET

JEUNE

RÉALISATEUR,

CLÉMENT

GUINAMARD REDÉFINIT AVEC AMOUR ET DOUCEUR LA POP CULTURE FRANÇAISE À COUPS D’IMAGES DE MODE, DE FILMS ET DE SCÉNARIOS. TEXTE ANTOINE LECLERC-MOUGNE. PHOTOS MEHDI SEF. RÉALISATION GEMMA BEDINI.

C O M BI N A IS O N M U LTI P O C H E E N OT TO M A N M O I R É TEC H N I Q U E DI O R ME N , C H A U S S U R ES E N C U I R EG O NL AB , C O LLI E R E N PALL AD I U M JUSTINE CLENQUET . PA G E D E G A U C H E : V ESTE CI G A R E O V E R SIZ E E N L A I N E DR Ô L E D E M O N S IEUR, C H E M IS E E N P O P ELI N E D E C OTO N MA I SO N K I T S U N É , LU N ET TES “D U ALI M A 25” E N A C ÉTATE P A W A K A .


Si jamais vous rêvez de voir le plus gros casting ciné et musique de tous les temps derrière un écran, pas besoin de vous taper un énième spin-off movie soporifique tiré de la saga Marvel (no offense). Tout ce que vous avez à faire, c’est de regarder Grand Amour. Produit par la société Les Monstres dans le cadre de la campagne d’appel à dons #fetelamour, portée par l’association AIDES qui lutte contre le VIH/sida, ce moyen métrage d’une heure, sorti digitalement en juillet 2020 et diffusé tout l’été sur MyTF1.fr, a connu un succès retentissant. Normal. L’œuvre a réussi à réunir pour la bonne cause la crème de la crème de la pop culture francophone : Chiara Mastroianni, Laurent Lafitte, Yseult, Marina Foïs, Juliette Armanet, François Sagat, Nicolas Maury, JoeyStarr, Doria Tillier, Aloïse Sauvage, Guillaume Gallienne, Yousra Mohsen, Raya Martigny, Félix Maritaud… Bref, une A-list d’une quarantaine de personnalités à faire pâlir n’importe quel red carpet de festival et qui, à travers différentes séquences tournées dans les chambres du mythique hôtel Grand Amour à Paris (d’où le nom), réaffirme la liberté d’aimer, par-delà les désirs, les genres et les sexualités tout en abattant les tabous et les préjugés sur le VIH/sida. À la réalisation de ce coup de maître, on retrouve Nicolas Mongin et surtout Clément Guinamard, arrivé sur le projet de façon plutôt inattendue, qui signe là son tout premier film en tant que coréalisateur et scénariste. Si pour le moment son nom ne vous dit pas grand-chose, rassurezvous, ça ne saurait tarder. “Un jour, pendant le confinement, en avril 2020, alors que j’en étais à mon 17e gâteau au chocolat, que je n’en pouvais plus, que je tournais en rond et que j’avais déjà regardé 250 films, Hélène Orjebin – une amie et collègue de longue date,

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qui travaille pour la boîte de prod’ Les Monstres – m’appelle, nous explique le jeune réalisateur. Je décroche et elle me dit direct : ‘j’ai un projet de dingue pour toi. AIDES vient de nous appeler. Ils veulent qu’on organise une levée de fonds pour les soutenir et on voudrait que tu sois le directeur artistique du projet’. Moi j’étais là, en pyjama… Je n’y croyais pas.” Si Hélène Orjebin et Nicolas Mongin contactent Clément, c’est justement parce qu’ils croient en son talent et en son potentiel. Et surtout parce qu’ils connaissent son travail, ses références et ses inspirations allant des écrits d’Hervé Guibert au cinéma de Christophe Honoré. “Des personnes qui ont permis que le SIDA ait aujourd’hui une place dans la culture”, reconnaît-il. Passionné d’images, Clément est à l’origine un gars de la mode qui touche un peu à tout : stylisme, photographie, direction artistique. Originaire de Dijon, il est arrivé à Paris le bac en poche et les valises remplies d’ambition et de créativité, notamment grâce à des parents qui l’ont laissé s’exprimer et se cultiver librement depuis son plus jeune âge : du chant, de la danse, des petites vidéos maison réalisées avec ses ami.e.s lycéen.ne.s de l’époque, le tout complété par son amour de la nouvelle vague (À bout de souffle) et des années 80 (La Boum), son envie d’être scénariste et sa passion pour les comédies musicales (Jacques Demy) et la chanson française (Céline Dion, Johnny Hallyday…) ainsi que l’univers de la mode (c’est sa grand-mère maquilleuse qui lui achète, en 2004, son premier Vogue avec Kate Moss en couverture. Un choc). Après avoir été refusé en fac de ciné, Clément ne désespère pas et fait comme tous les jeunes étudiants en “hess”, des petits boulots pour joindre les deux bouts. Il devient vendeur chez AMI. C’est là qu’il peau-

fine sa culture du vêtement et qu’il se lie d’amitié avec le créateur de la marque, Alexandre Mattiussi, qui, au bout d’un moment, accepte de le “mettre dehors” pour qu’il “vive enfin sa vie”. Clément se lance donc en freelance pour différents médias et assiste la styliste Linda Addouane avec qui il conçoit ses premières pubs et premiers éditos mode. Un parcours qui lui permet de rejoindre, en 2018, l’équipe du magazine Please au poste de coordinateur éditorial. Un moyen pour lui de bousculer les codes de la beauté et des représentations en mettant, par exemple, en couverture une bobybuildeuse habillée en Gucci. “J’ai toujours cherché à faire incarner la mode par des gens qui ne sont pas forcément du milieu et j’adore réinterpréter les codes de la culture populaire pour le luxe, raconte-t-il. Mon rêve, ce serait de faire le come-back de Loana en Gucci. Ça ne ferait peut-être rire que quatre personnes à Paris, mais ce serait finalement revaloriser quelque chose qui a marqué notre vision de la culture populaire et qui, à l’époque, était injustement considéré comme du mauvais goût. Qu’on le veuille ou non, le ‘mauvais goût’ inspire la mode et le luxe. Comme la fois où Britney Spears avait porté son string par-dessus son jean.” Récemment, pour le magazine Lula, dont il vient d’être nommé Fashion Editor, Clément a photographié sa première série mode et a choisi une fille qui “n’était pas du tout mannequin et qui pourrait être la fille d’Adjani”. “C’est ça que j’essaie de faire dans mes projets, ajoute-t-il. Mettre en avant d’autres beautés. Ce qui m’intéresse particulièrement, c’est de raconter des histoires d’une nouvelle façon, de les dépoussiérer. Que ce soit à travers le vêtement, l’écriture, la chanson, à partir d’un fait du quotidien… J’observe beaucoup ce qui se passe autour de


PA N TALO N ET C H E M IS E E N L A I N E LOUIS VUITTON , C H A P E A U E N V ELO U R S C ÔTELÉ AMI.


C O M BI N A IS O N ET SA C BA N A N E H O M M E P LIS S É ISSEY MIYAKE, BA S K ETS E N C U I R MAISON KITSUNÉ X PUMA.

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moi quand je marche dans la rue. Je suis toujours un peu tête en l’air, à capter des choses qui vont ensuite me donner envie de développer des situations, des émotions. C’est un peu ma source d’inspiration première.” Raconter des histoires, les pimper, les renouveler, c’est clairement ce qui définit le mieux le travail de Clément. “Ce que j’aime, c’est prendre à contre-pied toutes les références et les incarner d’une manière différente”, explique-til. Logiquement, c’est aussi ce qu’il a mis en œuvre quand il est arrivé sur le projet Grand Amour. C’est lui qui, pour cette campagne de prévention, a proposé de réaliser un vrai film scénarisé avec une liste d’acteur.rice.s, chanteur.se.s et personnalités de renom, plutôt que de produire simplement des appels au don classiques. “Je voulais apporter quelque chose de plus frais, de plus inattendu et replacer les artistes au cœur de projet”, décrypte Clément. Persuadé de sa vision, il défend ses idées avec conviction et il obtient finalement le soutien de ses collaborateur.rice.s tout comme l’aide de personnalités qui comptent dans l’industrie du cinéma, tel Laurent Lafitte qui, probablement porté par la beauté du projet comme tou.te.s les autres qui se sont lancé.e.s dans l’aventure, a accepté d’être metteur en scène associé pour l’épauler ainsi que son coréalisateur Nicolas Mongin. Résultat, ce métrage, que Clément définit comme “un geste pour la culture”, est préparé en trois mois et tourné en cinq jours “alors qu’une production de ce type prend généralement deux ans”. “J’ai l’impression que, toute ma vie, toutes ces années où j’ai évolué, toute mon expérience, tous les boulots que j’ai faits et tous les projets auxquels j’ai participé étaient en quelque sorte le moodboard général de ce que je savais faire et qui m’a permis de concrétiser Grand Amour, analyse Clément, pensif.

À TRAVERS SON PARCOURS, CLÉMENT GUINAMARD BOUSCULE LES CODES DE LA BEAUTÉ ET DES REPRÉSENTATIONS.

Pour moi, c’était aussi la récompense d’avoir été simplement sympa depuis toujours. Même quand j’étais juste assistant sur les shoots, j’ai toujours été celui qu’on rappelle après ; sûrement parce que je traite les gens comme il se doit. Dans ce métier, tu n’as rien sans rien. Malheureusement, je dois reconnaître que, peu importe l’investissement et le talent, tu deviens quelqu’un à partir du moment où ton nom est exposé.” Clément en a fait récemment l’expérience douce-amère quand, dès la sortie et la diffusion de Grand Amour, il a par exemple reçu des messages de soutien et de félicitations de la part d’anciens camarades de classe alors qu’à l’époque, justement, dans les couloirs du collège et du lycée, il était dénigré : “Pour moi, le harcèlement scolaire a été la pire des choses. Mon premier rapport à la différence ce sont les autres qui me l’ont violemment mis dans la gueule alors que moi je me trouvais complètement normal. Je n’avais pas encore exprimé quoi que ce soit, qu’on avait déjà affirmé pour moi très jeune que j’allais être homosexuel. On me traitait de pédé et mon corps était martyrisé par les autres parce que j’étais très mince, voire maigre. J’étais la tapette, la victime… J’ai des souvenirs ignobles où on me prenait la main et on la collait sur mon casier avec de la superglue en me disant : ‘Tiens, c’est du sperme !’”. Des moments d’humiliation intenses qui ont certes provoqué de gros traumatismes, mais dont Clément a réussi à opérer un retournement de stigmate.

“À l’époque, des profs de langue m’ont encouragé à écrire, à prendre la parole, à m’exprimer, parce que c’était le seul moyen de survivre à toute cette violence. Le rejet que j’ai subi a aussi été ma force. C’est la raison pour laquelle je me bats, pour être accepté et ne plus être défini par des étiquettes en rapport avec mon intimité.” Cette histoire personnelle que Clément a vécue, emplie d’homophobie et de discrimination, fait étrangement écho à celle de Grand Amour dont le message, dans un cadre plus large, dénonce évidemment la sérophobie, la queerphobie et toute haine née de la différence. Un sujet qui lui tient particulièrement à cœur, puisqu’il écrit actuellement l’adaptation ciné de la comédie musicale Starmania de Michel Berger, un autre conte moderne racontant les déboires et combats de personnes mises au ban de la société. “Toute la violence que j’ai subie, je l’ai finalement métamorphosée en émotion, explique Clément. S’il y a une chose à retenir de tout cela, c’est qu’il faut avoir confiance en qui on est et en ce qu’on a à raconter dans ce milieu de l’image. Car même si on a l’impression que tout a déjà été dit et montré, on peut toujours trouver un moyen d’exprimer les choses d’une nouvelle manière. Il faut être capable de tout transformer pour pouvoir se définir soi-même et pour ne plus jamais laisser personne d’autre le faire à notre place. Le plus beau conseil qu’on m’ait donné, c’est ça : ne pas laisser le regard des autres devenir la définition de soi.” Preach boy !

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K N IT V EST E N C OTO N M O U LI N É HERMÈS, B E R M U D A E N V ELO U R S C ÔTELÉ A M I, LU N ET TES TW E N TY O N E E N A C ÉTATE G .O .D E Y E W E A R , B O U CLE D’O R EILLE S W I R L E A R D R O P E N P O LY M È R ES , C H R O M E LI Q U ID E ET P E R LE HUGO KREIT. COIFFU R E : JACO B K AJR U P @ CALLISTE A G E N CY. M A Q UILLA G E : KH ELA @ CALL MY A G E NT. O P ÉR ATEU R DIGITAL : A NTOIN E @ A-STUDIO . ASSISTA NT LU M IÈR E : G UILLA U M E LEC HAT.


TAKE IT IZE

SES COLLECTIONS REDÉFINISSANT NORMES DE GENRE ET SAVOIR-FAIRE NIGÉRIAN FONT SENSATION. À L’AUBE DE SA COLLABORATION AVEC LA MAISON KARL LAGERFELD, LE JEUNE CRÉATEUR QUEER KENNETH IZE EST CONVAINCU QUE LA MODE A LE POUVOIR DE CHANGER LES MENTALITÉS. PROPOS RECUEILLIS PAR ANTHONY VINCENT.

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En février 2020, lors de la dernière fashion week parisienne de l’ère préCovid-19 (cette époque magique où l’on pouvait encore la jouer collé-serré au front row des défilés sans risquer de créer un cluster), le créateur nigérian Kenneth Ize présentait son premier défilé au sein du calendrier officiel. Un succès total mettant en lumière son savoir-faire novateur, le tout amplifié par un final à couper le souffle incarné par Naomi Campbell elle-même venue clôturer le show. Six mois plus tard, le créateur réitérait ce succès audacieux avec une présentation de 13 looks, organisée devant une fresque peinte en direct par l’artiste congolaise trans Maty Biayenda au Palais de Tokyo. Autant dire que Kenneth Ize, né à Lagos, formé en Autriche et présentant désormais à Paris, sait déjà comment tisser sa toile et son storytelling. Passé par les Arts appliqués de Vienne, où il a étudié sous la direction d’Hussein Chalayan et de Bernhard Willhelm, Kenneth s’est fait remarquer par son travail élaboré de l’aso oke, cette étoffe tissée à la main pour des tenues traditionnelles nigérianes. Un savoir-faire unique mis au service de silhouettes gender-fluid, affûtées, colorées et effrangées qui lui a permis d’atteindre la finale du LVMH Prize 2019 puis de collaborer avec la maison Karl Lagerfeld pour une collection capsule prévue à l’été 2021. Depuis son atelier fraîchement construit au Nigeria grâce à l’argent de la collaboration, Kenneth nous raconte l’importance de l’autonomie et du patrimoine pour penser le futur résilient de la mode.

MIXTE. Quand t’es-tu intéressé à la mode et quand as-tu su que tu voulais en faire ton métier ? KENNETH IZE. Mes parents, comme beaucoup de gens, ne voyaient dans la mode que la partie commerciale, et non ce qu’elle peut avoir de créatif. Donc, en grandissant, je n’ai jamais pensé à travailler dans cette industrie, encore moins en tant que designer. Ce sont des amis, à la fin du lycée, qui m’ont fait comprendre que je pouvais m’épanouir dans ce milieu. Ça leur paraissait évident. Enfant, je voulais devenir docteur, mais peut-être que créer des vêtements est une manière de prendre soin des gens… M. Cette forme d’autocensure au départ, n’était-elle pas liée au fait d’être un jeune homme noir et queer ? K. I. Sans doute. Je viens du Nigeria où être queer n’est pas accepté ni vraiment autorisé. Ici, les droits des personnes LGBTQIA+ ne sont pas pris en considération. Malgré tout, je me sens déjà très privilégié de pouvoir m’exprimer librement. Mais je n’en suis qu’au tout début, j’ai encore tant de batailles à mener et certaines d’entre elles passent notamment par la mode, où je cherche justement à montrer la pluralité et la fluidité des expressions de genre. Se servir de codes masculins pour habiller les femmes, et inversement, contribue à déconstruire les normes de genres. En tant que membre de la communauté LGBTQIA+, je vis comme une mission de contribuer à ces réflexions et représentations.

depuis lequel interroger le reste du monde. Peut-être que c’est ma queerness qui influence ma façon de m’habiller : selon les jours, j’ai envie d’exprimer plus ou moins de masculinité ou de féminité. Ce qui est certain, c’est que ces explorations me servent, m’inspirent à créer pour ma marque. M. Tu as récemment inauguré ton atelier au Nigeria. Quelle place occupe ton pays et son histoire dans ton processus de création et de production ? K. I. Avec ma marque et mon atelier, je voulais d’emblée créer quelque chose qui soit porteur de sens, de culture, et en rapport avec mes racines. Avoir vécu en Autriche m’a aussi aidé à mieux comprendre le Nigeria. Son artisanat me donne encore plus envie de croire en mon pays d’origine car il incarne son ingéniosité, son histoire, son patrimoine. Je suis honoré de pouvoir y créer des emplois et de participer à la valorisation de ses savoir-faire séculaires. Cette éducation contribue à la sécurité de notre patrimoine et à son futur. Que les techniques autour de l’aso oke existent encore après tant de siècles dit beaucoup de sa valeur. Et puis, c’est grâce au Nigeria que je suis passé de dirigeant salarié unique à employeur d’une trentaine de personnes. M. Quel regard portes-tu sur l’impact social de ta marque, localement et aux yeux du monde ? K. I. L’industrie textile et l’artisanat existent ici aussi, donc clairement je veux y participer. Si on souhaite vraiment soutenir quelque chose, il ne suffit pas d’en récolter les fruits : il faut aussi s’occuper de ses racines. Beaucoup

M. Justement, en quoi ta queerness

© Virgile Guinard

influence-t-elle ton travail ?

K. I. J’y puise énormément, elle me procure un tel sentiment de liberté… C’est par elle que j’arrive à me comprendre, et cette connaissance devient une force mais aussi un point de vue

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d’associations et d’ONG veulent “aider l’Afrique”, mais elles restent trop à la surface. Éduquer, pratiquer, valoriser notre artisanat, de manière à le faire grandir et perdurer, favorise pleinement notre autonomie. Je crois que ma plus grande joie serait que les structures que je contribue aujourd’hui à renforcer ou à créer puissent s’épanouir sur des générations. C’est ça dont j’ai envie, quand je réfléchis en matière d’impact. M. Peux-tu nous en dire plus sur les spécificités de l’aso oke ? En quoi rendent-elles ce tissu si pertinent pour la mode aujourd’hui, selon toi ? K. I. On détruit la planète, notamment parce que l’industrie du vêtement produit et jette beaucoup trop. On a perdu le sens de la modération qui nous permettait de respecter l’artisanat. C’est comme si on ne savait plus combien de temps cela peut prendre de tisser une pièce en partant de simples fibres. C’est pour ça que je crois beaucoup en l’éducation, car on a besoin de prendre conscience à quel point l’humanité peut être destructive. L’intérêt de l’aso oke, c’est qu’il est écoresponsable, car sa production ne consomme pas d’électricité et ne pollue pas. C’est en cherchant des moyens de produire sans avoir à allumer mon générateur électrique que cette méthode de tissage m’est apparue comme la meilleure solution. Au Nigeria, on a encore des problèmes d’électricité ou de drainage des eaux, donc l’aso oke m’émancipe de ces complications. Et surtout, cela nous fait travailler de manière artisanale, en communauté, cela tisse aussi des liens humains, de Vienne à Lagos, en passant par Paris et Amsterdam (où siège une partie de l’entreprise Karl Lagerfeld, ndlr). Ces vêtements sont des ponts vers cette partie de ma culture.

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et Kenneth Ize ont en commun la passion du travail bien fait. C’est ce qui a rendu notre collaboration fructueuse malgré les circonstances compliquées par la pandémie de Covid-19.

M. Qu’a changé ta sélection en tant que finaliste du prix LVMH 2019 ?

K. I. Je l’ai vécue comme une validation de la part de l’industrie, ce qui est précieux pour la croissance de mon entreprise. La compétition ne m’intéressait pas tellement, j’envisageais ça surtout comme une opportunité de rencontrer des personnes importantes et passionnées du secteur, dont beaucoup sont devenues des amies depuis. Je me souviens encore du sentiment de reconnaissance dont j’étais empli à l’idée de décoller de Lagos pour aller à Paris avec tous ces vêtements chargés de culture et d’histoire. M. Tu vas bientôt sortir ta collection en collaboration avec la maison Karl Lagerfeld. Comment voyais-tu Karl avec tes yeux de jeune créateur ? K. I. C’était surtout le designer, la marque que je voyais, pas tant l’homme. Par le passé, j’ai eu un boss qui était fan de son travail, et qui m’a donné envie de m’intéresser à ce génie créatif. Ce qui m’impressionnait le plus chez lui, c’est son éthique de travail doublée de sa passion. Il faisait en sorte que ses fantasmes de mode deviennent réels. Et ce, dans différentes maisons à la fois, c’est ce qui est le plus impressionnant. J’avais énormément d’admiration et de respect pour lui. Collaborer aujourd’hui avec la maison qui porte son nom, je n’en reviens en fait toujours pas. C’est quelque chose que je n’aurais même jamais cru possible, encore moins dans ces circonstances sanitaires et sociales. Cette collaboration m’a permis de rencontrer et de travailler avec tellement de talents ! Cela me rend sentimental. Je crois en la sincérité de mon message, en la qualité de son exécution, et donc j’ai hâte que le plus grand nombre puisse en profiter. Les marques Karl Lagerfeld

M. Que voulais-tu transmettre en particulier dans cette collaboration ? K. I. Mes origines, avant tout ! Et continuer d’œuvrer pour la diversité et l’inclusion. Je souhaite que ma marque, à l’image de cette collaboration, continue d’être un espace ouvert à toutes les formes d’expression. Je n’ai pas une pièce préférée, par exemple, car chacune d’entre elles, chaque look, constitue un chapitre d’une histoire à l’échelle de cette collection capsule. Je l’ai pensée comme un tout cohérent, même si j’ai encore tant de choses à dire ! M. Tu redoutes d’être perpétuellement perçu comme un designer émergent ? K. I. On me demande souvent qui sont mes designers préféré.e.s, mais la vérité, c’est que je n’en ai pas. J’ai toujours eu du mal à considérer les grands créateurs européens comme des modèles, car je ne pensais même pas qu’il me serait possible de travailler dans ce genre d’entreprise. C’est aussi pour ça que j’ai créé ma propre maison : pour être sûr de ne pas me sentir exclu. Et que ça n’arrive plus à d’autres personnes. Je sais que ma marque est chargée d’Histoire, d’artisanat, de patrimoine. Depuis sa fondation, Kenneth Ize est une “heritage brand”. Si les gens me perçoivent éternellement comme un designer émergent, ça les regarde. Ça ne me dérange pas, car émerger signifie croître : je compte bien continuer d’apprendre et de grandir le plus longtemps possible. Au final, je m’amuse tellement aujourd’hui en tant que designer émergent, que je serais ravi de garder cet état d’esprit pour toujours.


© Dennis Erfmann

U N E W O R KI N G S ES SI O N D E K E N N ET H IZ E O R G A N IS É E E N S E P TE M B R E 2020 D A N S LES B U R E A U X D E LA M A IS O N K A R L L A G E R F ELD , À A M STE RD A M .

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METAPHOTOS TOBY COULSON. RÉALISATION ALICE LEFONS. SCULPTURES ET ACCESSOIRES CLARISSE D’ARCIMOLES.

M O R P H


R O B E E N SATI N ET TU LLE LOEWE. C H E M IS E E N C OTO N , V ESTE “S B P E A K L A P EL” ET PA N TALO N E N L A I N E B R O D É E D E B O UTO N S L O U I S VUITTON, B OT TES E N C U I R C H R I S T I A N L O U B O U T I N .

H O S I S


R O B E E N M O U S S ELI N E D E S O I E ET SA N D ALES E N C U I R D I O R , PA N TALO N BI- M ATI È R E MADY BERRY. PA G E D E D R O ITE , M A ISI E : R O B E GUCCI, C O LL A N T- C O M BI N A IS O N E N T R IC OT K E Z A K O . LO U IS : R O B E E N M A ILLE ET PATC H W O R K CHARLE S J E F F R E Y L O V E R B O Y , C H A U S S ET TES J W ANDERSON X UNIQLO. J O S E P H : V ESTE E N C OTO N ET R A M I E , PA N TALO N E N P O LY ESTE R I S S E Y M I Y A K E . N IC O L A : PA N TALO N BI- M ATI È R E MADY BERRY.



TAYLO R : C H E M IS E E N C OTO N BRUNELLO CUCINELLI. K A I : PA N TALO N E N P O LY ESTE R H O M M E P LIS S É ISSEY MI Y A K E . TR E N C H E N C OTO N O R N É D E D E N TELLE DAVID JAMES B E L L . PA G E D E D R O ITE : C O LLI E R S P E R S O N N ELS .




ES M E : R O B E E N C OTO N MOLLY GODDARD, BALLE R I N ES A G L , C H A P E A U D E PA ILLE SAINT LAURENT PAR A N T H O N Y V A C C A R E L LO, S E R R E-TÊTE ANCIELA. VALE R I A N E : C H E M IS E E N C OTO N C E LINE PAR HEDI SLIMANE, J U P E E N C OTO N ET S E R R E-TÊTE E N D E N TELLE NARCISSISM, B OT TES E N C U I R À ST R A S S G U CCI, C O LLI E R P E R S O N N EL .


R O B E TE E-S H I RT E N J E R S EY D E C OTO N L O U I S V U ITTON, S E R R E-TÊTE E N D E N TELLE P O RTÉ E N C O L N A R C I S S I S M , J U P E E N TU LLE A N CIELA.



G A N TS E N S E Q U I N S GUCCI, B O U CLES D’O R EILLES E N M ÉTAL ET C EI N TU R E E N C U I R , M ÉTAL ET STR A S S CHAN E L , A C AD É M I Q U E R E P E T T O . PA G E D E G A U C H E : B O D Y E N M A ILLE MAISON A L A I A , P L ATEF O R M ES À PA ILLET TES NATACHA MARRO , B O U CLES D’O R EILLES I S A B E L M A R A N T .




C H E M IS E E N C OTO N B R U N E L L O C U C I N E L L I , M A N TE A U E N L A I N E LOUIS VUITTON, PA N TALO N E N S O I E C E L I N E P A R H E D I S L I M A N E , C H A U S S ET TES JW ANDERSON X UNIQLO. PA G E D E G A U C H E : C H E M IS E E N M O H A I R F E N D I , V ESTE ET PA N TALO N E N L A I N E SAINT LAURE N T P A R A N T H O N Y V A C C A R E L L O , B OT TI N ES E N C U I R V E R N I CHRISTIAN LOUBOUTIN.


R O B E E N L A I N E ET S O I E F E N D I , SA N D ALES À P L ATEF O R M ES E N C U I R A G L , C H A P E A U C H A M PI G N O N B E N D U F O R T , M ITA I N ES E N M O U S S ELI N E D E S O I E M A I S O N M A R G I E L A , C O LL A N T P E R S O N N EL . PA G E D E D R O ITE : C O M BI N A IS O N J U STA U C O R P S E N D E N TELLE ET R O B E E N TR EILLIS ASHLEY WILLIAM S , V ESTE E N TW E ED I R IS É À C O L ET P O I G N ETS E N SATI N A M O VI BLES CHANEL, C H A U S S U R ES À P L ATEF O R M ES E N C U I R D O R É NATACHA MARRO.



R O B E E N TU LLE A C T N ° 1 , C H E M IS E ET PA N TALO N E N C OTO N S E R G É HERMÈS, P L ATEF O R M ES E N S O I E I M P R I M É E N A TACHA MARRO.



R O B E E N C R Ê P E D E C OTO N A M I , C O R S ET E N L A I N E TR IC OTÉ E O L I V I A R U B E N S , PA N TALO N E N B R O C A RT S I M O N E R O CHA, SA B OTS E N C U I R ET B O IS CLO UTÉ HERMÈS. E N BA S : V ESTE ET PA N TALO N E N J A C Q U A RD D E S O I E GIORGIO A R M A N I , BLO U S E E N S O I E C E L I N E P A R H E D I S L I M A NE, S E R R E-TÊTE C H A R L E S J E F F REY LOVERBOY. PA G E D E D R O ITE , M A ISI E : BLO U S E ET R O B E E N S O I E I M P R I M É E C E L I N E P A R H E D I S L I M A N E , C H A U S S U R ES À P L ATEF O R M ES E N S O I E I M P R I M É E N A T A C H A M A R R O , C H A U S S ET TES P E R S O N N ELLES . B R I A N : BL A Z E R O V E R SIZ E E N TW E ED ET SATI N , M A N C H ES E N S O I E ET J E R S EY D A V I D J A M E S B E L L , C H E M IS E E N C OTO N ET PA N TALO N E N L A I N E B R U N E L LO CUCINELLI.



R O B E E N M A ILLE ET PATC H W O R K C H A R L E S JEFFREY LOVERBOY, C H A U S S ET TES J W ANDERSON X UNIQLO. PA G E D E D R O IT, M A ISI E : BLO U S E ET R O B E E N S O I E I M P R I M É E C E L I N E PAR HEDI SLIMANE.



c a s t


M A N N EQ UIN S : LAR A , NICO LA , TAYLO R ET K AI, ZAK ARIA , S H ELLY, SAKEE M A @ CR U M BA G E N CY, ES M E @ TR OY_ A G E N CY, BRIA N @ A NTIA G E N CYLD N , M AISI E @ I M G M O D ELS , LO UIS @ JU LI E. W L, J O S EP H @ FIRSTLO ND O N . DIR ECTRIC E D E CASTIN G : JU LI E W L @ JU LI E. W L. COIFFU R E : A N N A COFO N E AVEC LES P R O D UITS O RIB E. M A Q UILLA G E : SA M A NTA FALCO N E AVEC LES P R O D UITS M . A .C CO S M ETICS . ASSISTA NTS P H OTO G R AP H E : FR A N C ESCO M ARIA NI, C HARLOT TE HARTLEY. ASSISTA NTES STYLISTE : VALERIA N E VE N A N C E, A N N A KO BAYAS HI.

i n g


M ETA M O R INSPIRÉE

PAR

LA

SÉRIE

MODE

DE

TOBY

COULSON,

LA

JOURNALISTE ET AUTRICE TARA LENNART A IMAGINÉ UN MONDE FANTASMÉ OÙ LA DESTRUCTION DU CONCEPT DE GENRE, POUSSÉE À L’EXTRÊME, AURAIT DONNÉ NAISSANCE À UNE LANGUE, LE NÉONEUTRE. UNE FAÇON D’INTERROGER LES ÉVOLUTIONS DU LANGAGE, REFLET DES MÉTAMORPHOSES DE LA SOCIÉTÉ. TEXTE TARA LENNART.

“Arrête avec ton.ta langage inclusi.f.ve de boomer, comme on disait quand tu étais jeune, et moi, pas né.e. Tu noteras les efforts que je vais faire pour genrer cette conversation au binaire vu que tu peines à comprendre le néoneutre et ses nuances. Tu t’évertues à le voir comme une annulation alors que c’est une fusion. Tu puises dans le passé des références qui te rassurent, c’est typique de ta génération. On dirait que tu copies les traits que tu critiques chez ta mère et chez tout ce que tu appelles ‘la génération Canal +’. C’est fini tout ça, je respecte tes références et ton goût pour la culture, mais il faudrait que tu te fasses à la ‘disparition du genre’, pourrais-tu dire. Tu étais quand même assez jeune quand elle s’est amorcée pour comprendre la métamorphose des concepts et l’abolition des limites construites par un système patriarcal ultra-libéral, et suivre sa destruction. J’en ai assez de jouer les profs, je pars en formation à la permaculture pour trois jours. Tu pourras voir tes autres partenaires et méditer à ta déconstruction.”

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Oulia clôt la conversation en m’embrassant dans le cou avant de partir. J’avais oublié son stage, obsédée par cet article à écrire sur l’évolution du concept de genre et son impact sur la langue. Je voulais questionner les modulations grammaticales et leur signification dans la construction identitaire, rappeler les croyances païennes et chamaniques autour des divinités animales et minérales inscrites dans notre inconscient collectif, deux grandes thématiques qui arrivaient à cette fusion des genres en une pluralité individuelle. J’ai comme l’impression que ça va être compliqué à développer en dix feuillets. Tant qu’on n’a pas croisé de champignaone ou de feu tricolore à unao soirée, iel est impossible de comprendre lao sens actueled de ced concept de “pluralité individueld”. Je fais ce que je peux pour parler et écrire correctement le néoneutre, le langage qui a remplacé l’inclusif, qui a remplacé le binaire. Petit à petit, les langues se sont accordées pour créer une nouvelle place à la multiplicité des

genres, à leurs mélanges, croisements, fusion. La société se métamorphosait au contact des évolutions du langage. Moi qui pensais avoir atteint le top de la déconstruction avec ma maîtrise de l’inclusif, je me faisais traiter de boomer. J’ai fait toute ma scolarité dans la binarité, Oulia a toujours connu lao neutre. Hier, iel m’a fait remarquer (sur unao ton moqueured et légèrement méprisanted) que je genrais “à l’ancienne” lors de nos disputes alors que j’utilisais couramment lao néoeutre en temps normaled, et lao mélangeais avec des règles d’inclusived old school. Maon ex, unao papillonaone architecte d’intérieured, m’a dit lao même chose quand nous nous sommes croised à unaone fête des ex. J’ai rencontré l’ex d’Oulia, unaone ballerine aux granded pattes et revu maon opossum black, c’était sympa. J’ai pris des notes pour mon article, j’espérais qu’il ferait rire la génération actuelle et éclairerait la mienne et encore plus la précédente. Quand j’écris dans ma tête, je perds mon inclusif et reste binaire. Je fais du


P H O SIS MMA et j’écoute du métal, mais je me genre toujours au féminin, mon sexe est mon genre. Pourtant, je suis un garçon depuis que je suis en âge de penser. Je suis écrivain, je suis James Hetfield, je suis policier, je suis aventurier, je suis champion de boxe, je suis James Bond, Luke Skywalker, Zorro, Tintin, Rambo, Batman, Michelangelo, Pete Sampras, Indiana Jones, Gaston Lagaffe, je suis bûcheron, cantonnier, pompier. Je parle de moi au masculin et pense au féminin. Et je me perds dans la mélodie des mots qui se parent de voyelles et de rondeurs, en français en tout cas. L’anglais, l’espagnol, l’allemand, le norvégien ont déjà des genres neutres qu’il est possible de conjuguer et décliner à loisir. Nous, nous découvrons de nouvelles manières d’inclure les genres, les sexes, les chamans, les identifications. Je suis perdude, j’ai lao langue qui fourche et Oulia, Moane ou Cita, ou quiconque dans maon polycule amoureud se moque de moi en me fredonnant “3SEX”, d’Indochine et Christine and the Queens, chanson de ma.mon jeunesse, considéré.e comme très déconstruit.e à lao époque. Pourtant, je vois une poésie folle dans cette disparition des frontières physiques et verbales. Nous assistons à l’émergence de nouvelles incantations, de nouveaux sorciers, des êtres capables d’héberger la puissance de divinités et d’en porter le verbe. À l’époque préhispanique, en Mésoamérique, il y avait un peuple nommé “Mixtèques” et un seigneur nommé Huit-Cerf Griffes d’Ocelot. Nous renouons avec lao sacred millénaire. J’avais eu cette vision pendant un stage d’ouverture des chakras, une rencontre avec l’animal sacré qui sommeille en nous. Au gré des désastres

écologiques et des crises sanitaires, la jeune génération se créait des totems. Le genre se dissolvait dans une quête identitaire d’un niveau proche du spirituel. Ce n’était pas l’espèce humaine qui se métamorphosait, c’était sa représentation, son expression. Nous sommes devenud de moins en moins nombreused à conserver l’équation sexe et genre, à moduler nos attirances selon unaone éventail restreinted. Je ne sais même pas pourquoi je me sens si découragée devant le mouvement du monde. Ça doit être ça, vieillir. Un SMS d’Oulia me conseille (gentiment, je dois dire), de faire unaone cure detox et alignement des énergies dans lao nature. Iel m’écrit que ça me “ferait du bien d’arrêter de chercher à tout contrôler, qu’on est unaone certained nombre à avoir unaone mère tatoued qui écoute encore Indochine, que touted lao monde n’a pas lao chance d’avoir unaone banaled partenaire non binaire motarded qui sait produire des légumes et qui aime bien les fautes d’accords aud néoneutre. Kiss (boomer)”. Je lui écris dans la nuit : “Jae suis avec maed amyes dans unao appartementao et on a touxtes bu unao boisson chamanique. Jae suis là avec ielleux mais jae suis dans lao neige, seuled dans lao forêt polaired”. Les étoiles dansent dans les voiles multicolores des êtres sans fin ni commencement. Jae ne suis qu’unao illusion aud cœur d’unao illusion qui n’a jamais existé que par ses propres projections. Je suis épicène. Je m’allonge dans lao neige pour contempler l’ange multicolore qui éclate dans lao nuit boréaled. Iel m’écrit…

être de ma gorge. “Tu veux de l’eau ? Cligne des yeux si tu m’entends.” Clignement d’yeux. Pourquoi on me parle comme à une enfant de huit ans ? “Qu’est-ce que tu nous as fait ? C’est toi qui as pris plein de drogues et tu te tapes un black-out en descente d’ayahuasca. Ou alors c’était une remontée… C’est bizarre.” Marmonnement pâteux. C’est blanc dans ma tête. “Tu es trempée de sueur. Attends, je vais te mettre une couverture. Reviens dans mes bras.” Ça fait un bruit de décompression dans mes oreilles. Je replop comme un personnage de jeu vidéo. Je reviens à la vie, pour les non-initiés. “Tu peux parler, tu crois ? Tu rêvais, pendant ton blackout ? Comment tu te sens ?” Longue inspiration. Expiration. C’est bon. Je peux décliner mon identité, épeler mon prénom, donner mes mots de passe, serrer ce corps chaud contre moi. “— Tu t’es mangé un putain de bad. C’était impressionnant. — Je… je crois que j’ai vu le monde de demain. Quelque chose de tellement beau… — Tu es sûre que ça va ? Tu arrives à respirer ? — Oui. Il n’y avait plus… de genre du tout, on fusionnait et on créait un non-genre. On revenait à l’expression du sacré des civilisations antiques et on vivait en paix avec des champignons et des crocodiles et des ballerines et des jumeaux. — Tu planes encore ou tu sais où tu es ? — Je sais que je suis dans un triste monde qui n’a pas encore déconstruit le patriarcat. — Sinon, c’est qui, Oulia ?”

“Réveille-toi. Hey… Tu m’entends ?” Grognement sourd qui provient peut-

Bande son : Chemtrails over the Country Club, Lana del Rey. Venus , Lady Gaga.

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JUST MAR RIED PHOTOS BOJANA TATARSKA. RÉALISATION FRANCK BENHAMOU.

R O B E E N S E Q U I N S ET G A N TS E N S E Q U I N S ET TU LLE G U C C I .




R O B E E N S E Q U I N S , G A N TS E N S E Q U I N S ET TU LLE , C O LL A N T GUCCI. PA G E D E G A U C H E : R O B E V O LU M I N E U S E E N S H A N TU N G ET TA FF ETA S D E S O I E L O E W E , A N N E A U P E R S O N N EL .



V ESTE E N FA U S S E F O U R R U R E D ÉC O U P É E A U L A S E R , C U IS SA RD ES “C H EVALI E R” E N P O LY U R ÉT H A N E ET N IC K EL M ÉTALLIS É , C O LL A N T E N N YLO N C H ESTE R FI ELD B A LE N C I A G A .




R O B E E N S E Q U I N S VA LE N TI N O .


A N A N I A : R O B E LO N G U E FLU ID E E N M O U S S ELI N E D E S O I E À C O L E N P LU M ES D’A UTR U C H E , C U LOT TE TA ILLE H A UTE E N J E R S EY C O M PA CT ET C U IS SA RD ES “6 8” E N C U I R V E R N I S A I N T L A U R E N T PA R A N T H O N Y VA C C A R E LLO . K E N N A H : C O M BI N A IS O N E N LYC R A ET N YLO N M U G LE R , ES C A R PI N S E N C U I R À B R ID ES M ÉTALLI Q U ES G I U S E P P E Z A N OT TI .


V ESTE D E T R AVA IL ET PA N TALO N À V O L A N TS E N C OTO N E N D U IT M ÉTALLIS É , C R O P -TO P E N J E R S EY D E C OTO N , C A S Q U E E N C O RD ES D’ES C AL AD ES R ECYCLÉ ES , P L A STI Q U E ET M O U S S E TO M VA N D E R B O R G H T.




K E N N A H : C A P E ET R O B E E N G A BA RD I N E D E R E- N YLO N , C O L R O U LÉ E N VIS C O S E PRADA. A N A N I A : M A N TE A U E N SATI N M ATEL A S S É , D É BA RD E U R E N J E R S EY, C H E M IS E SA N S M A N C H ES E N BY S S U S B R O D É ET AJ O U R É , J U P E E N P LU M ES D’A UT R U C H E ET B OT TI N ES E N R A P H I A F E N D I .


M A N TE A U O V E R SIZ ED E N M ATI È R E TEC H N I Q U E N O I R K E I N I N O M I YA , B OT TI N ES E N C U I R A LE X A N D E R M C Q U E E N . PA G E D E D R O ITE : B O U CLE D’O R EILLE ET C O LLI E R “CL A S H” XL E N O R R O S E C A R TI E R .



K E N N A H : R O B E E N C U I R I S A B E L M A R A N T. A N A N I A : V ESTE E N C U I R CLO UTÉ I S A B E L M A R A N T.



K E N N A H : R O B E E N TU LLE I M P R I M É À M A N C H ES O R N É ES D E P LU M ES D’A UT R U C H E S U R R O B E SA N S M A N C H ES E N TU LLE I M P R I M É M A I S O N M A R G I E L A . A N A N I A : R O B E E N M O U S S ELI N E D E S O I E D I O R .



R O B E E N S O I E B R O D É E D E S E Q U I N S ET BLO U S O N E N G A BA RD I N E D E C OTO N LO U I S V U IT TO N , B OT TI N ES E N C U I R A LE X A N D E R M C Q U E E N .



R O B E “UTILITY” E N C OTO N , R O B E E N V O ILE D E C OTO N ET C H A P E A U “A PIC U LTU R E U R” E N C OTO N ET N YLO N K E N Z O , B OT TI N ES E N C U I R AJ O U R É D I O R . PA G E D E D R O ITE : V ESTE D E M OTA RD E N C U I R S O U P LE À M A N C H ES ET BA S Q U E E N TU LLE A LE X A N D E R M C Q U E E N , C H O C K E R P E R S O N N EL .


M A N N EQ UIN S : KE N N AH LA U @ N EXT M O D ELS PARIS , A N A NIA O R G EAS @ GIRL M A N A G E M E NT. DIR ECTEU R D E CASTIN G : R E N É D E BATH O RY. COIFFU R E : S H U H EI NIS HI M U R A @ W IS E & TALE NTED . M A Q UILLA G E : LLOYD SI M M O ND S @ A G E N C E CAR O LE. ASSISTA NTE STYLISTE : A UD R EY LE PLAD EC . O P ÉR ATEU R DIGITAL : LUIGI @ A W ACS P R O D U CTIO N . ASSISTA NT LU M IÈR E : TH O M AS RIG AD E.


J U ST M A R RI ED COUPLE LESBIEN À LA VILLE, LES MANNEQUINS ANANIA ORGEAS

ET

KENNAH

LAU,

PHOTOGRAPHIÉES

PAR

BOJANA

TATARSKA, NOUS ONT FAIT PART DE LEUR AMOUR ET DE LEUR RÉCENTE UNION, INCARNANT DEVANT L’OBJECTIF UNE CERTAINE MÉTAMORPHOSE DES MŒURS ET DES QUESTIONS DE SOCIÉTÉ. UNE FAÇON DE NOUS RAPPELER QUE L’AMOUR GAGNE TOUJOURS, MAIS QUE LE COMBAT, LUI, N’EST JAMAIS TERMINÉ. TEXTE ANTOINE LECLERC-MOUGNE.

ELLES SE MARIÈRENT. ELLES SE MARIÈRENT, MAIS N’EURENT PAS BEAUCO UP D’ENFANTS. PO UR LE M O M ENT, FORCÉM ENT. PUISQ U’EN FRANCE, EN FÉVRIER 2021, LE SÉNAT A ENCORE JO UÉ AU MALIN EN REJETANT LA PMA PO UR TO UTES. ELLES SE MARIÈRENT, MAIS N’OSÈRENT PROBABLEM ENT PAS TROP SE RAPPROCHER D E PEUR D’ÊTRE AGRESSÉES, M ENACÉES, HARCELÉES. ELLES N’OSÈRENT PAS Q UAND, AU SEIN D E L’EUROPE EN 2021, ENCORE 72 % D ES PERSO N N ES LGBTQIA+ S’EM PÊCHENT D E SE D O N N ER LA MAIN .

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ELLES SE MARIÈRENT, MAIS ELLES N’O UBLIÈRENT PAS Q U’U N PEU PARTO UT, ICI ET LÀ, LEURS JEU N ES AD ELPHES PO UVAIENT, CO NTRE LEUR GRÉ, FORCÉ.E.S, ENCORE ÊTRE ENVOYÉ.E.S DANS D ES CLINIQ UES O Ù D ES THÉRAPIES D E CO NVERSIO N LEUR ÉTAIENT D ESTIN ÉES : ÉLECTROCHOCS, GAVAGE D E PORN O, TRAITEM ENTS HORM O NAUX. TO UT ÇA PO UR U N M O ND E PLUS HÉTÉRO. ELLES SE MARIÈRENT, MAIS N’AURAIENT PAS PU SE MARIER PARTO UT. ELLES SE MARIÈRENT, MAIS N E VOYAGÈRENT PAS N O N PLUS BEAUCO UP Q UAND ENCORE 72 ÉTATS DANS LE M O ND E CO NTIN UENT D’APPLIQ UER D ES LOIS RÉPRESSIVES À LEUR ÉGARD . D ES CHÂTIM ENTS, D ES PU NITIO NS, D ES TORTURES, D E LA PRISO N, D U MITARD . ET PO URQ U OI PAS LA PEIN E CAPITALE. ELLES SE MARIÈRENT, MAIS N E PURENT PAS TROP S’EM BRASSER EN VOYANT Q U’EN FRANCE, EN 2021, U N SIM PLE BAISER PO UVAIT TO UJO URS ÊTRE CO NSID ÉRÉ CO M M E U N TRO UBLE À L’ORD RE PUBLIC PAR LA PRÉFECTURE, PAR LA POLICE, ET Q UE DANS “LES MANIFS PO UR TO US” C’ÉTAIENT BIEN LES MANIFESTANT.E.S Q UI FAISAIENT D ES SELFIES AVEC LES FLICS. ELLES SE MARIÈRENT, MAIS ELLES SURENT Q U’AU SEIN D E LEUR PAYS, AU PLUS PROFO ND, JUSQ U’AU CŒUR, PARFOIS M ÊM E JUSQ U’À L’INTÉRIEUR, ELLES N’ÉTAIENT PAS VRAIM ENT ACCEPTÉES D E TO U.TE.S. Q UE PO UR ELLES, RIEN N E SERAIT JAMAIS SÛR. ELLES SE MARIÈRENT, MAIS ELLES SURENT Q UE RIEN N E SERAIT JAMAIS ACQ UIS EN VOYANT Q UE LE LEAD ER, LÀ-BAS À L’INTÉRIEUR, N E S’ÉTAIT JAMAIS CACHÉ D’AVOIR FIÈREM ENT MARCHÉ CO NTRE ELLES PO UR D ÉN O NCER “LES 7 PÉCHÉS” D’U N TEXTE Q UI ENFIN LEUR PERMIT D E SE MARIER. ELLES SE MARIÈRENT. ELLES SE MARIÈRENT ET EURENT BEAUCO UP D E CO M BATS.

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PA G E D E D R O ITE : TE E-S H I RT E N C OTO N I M P R I M É , M I N I-J U P E E N D E N I M , P O C H ET TE BA N D O U LI È R E ET SA C O V E R SIZ E E N N YLO N I M P R I M É , C U IS SA RD E E N S PA N D E X I M P R I M É B A LE N C I A G A , C H O K E R ET BA G U E M O YA , C O LLI E R C H A Î N ES ET B O U CLES D’O R EILLES “É PI N G LE À N O U R R IC E” E N V E R M EIL S TE P H M ETA L , C EI N TU R E P E R S O N N ELLE .

D O S- N U E N P E R LES ET J U P E E N M A ILLE M I U M I U , B OT TI N ES E N C U I R K A LD A , B O U CLES D’O R EILLES “É PI N G LE À N O U R R IC E” E N V E R M EIL S TE P H M ETA L , BA G U E M O YA .


DOUBLE S I D E D G A M E PHOTOS TUNG WALSH. RÉALISATION FLORA HUDDART.



PA G E D E G A U C H E , Z AVI E R : BL A Z E R E N L A I N A G E A R T S C H O O L , C H E M IS E ET TE E-S H I RT E N C OTO N A M I , J E A N LE VI’S . C EI N TU R E ET C H A Î N E P E R S O N N ELS . F R EYA : R O B E E N M A C R A M É B OT TE G A V E N ETA . J A M ES : V ESTE E N C U I R ET C H E M IS E E N C OTO N TEC H N I Q U E D I O R M E N , D É BA RD E U R E N R ÉSILLE A M I , J E A N LE VI’S , C O LLI E R S P E R S O N N ELS .

J A M ES : V ESTE E N C U I R ET C H E M IS E E N C OTO N TEC H N I Q U E D I O R M E N , D É BA RD E U R E N R ÉSILLE A M I , C EI N TU R E E N C U I R S A I N T L A U R E N T PA R A N T H O N Y VA C C A R E LLO , J E A N LE VI’S , BA G U E E N A R G E N T A L A N C R O C ET TI , C O LLI E R S P E R S O N N ELS . F R EYA : D É BA RD E U R ET C U LOT TE E N C OTO N C R O C H ETÉ , C A RD I G A N E N L A I N E F E N D I , B R A C ELET E N M ÉTAL V E R S A C E , C O LLI E R P E R S O N N EL .



PA G E D E G A U C H E : S H O RT E N C OTO N B R O D É C H A N E L , C H E M IS E E N C OTO N TO G A A R C H I V E S , ES C A R PI N S E N C U I R K A LD A , BA G U E M O YA , B O U CLES D’O R EILLES P E R S O N N ELLES .

C H E M IS E ET J U P E E N S O I E I M P R I M É E G IV E N C H Y, BA G U E “FL A M M E” E N A R G E N T A L A N C R O C ET TI , C R É O LES P E R S O N N ELLES .


PA G E D E D R O ITE : V ESTE E N FL A N ELLE R O S E ET C EI N TU R E E N C U I R ET M ÉTAL O R N É E D’U N M I N ISA C C H A N E L , V ESTE ET J U P E E N G A BA RD I N E D E C OTO N I M P R I M É A LE S S A N D R A R I C H , C O LLI E R ET B O U CLES D’O R EILLES P E R S O N N ELS .

D É BA RD E U R E N S O I E I M P R I M É E , ES C A R PI N S “M ED U SA” E N C U I R , B O U CLES D’O R EILLES E N L A ITO N V E R S A C E , PA N TALO N E N S O I E TO G A A R C H IV E S , BA G U E “FL A M M E” E N A R G E N T A L A N C R O C ET TI .



PA G E D E D R O ITE : C H E M IS E E N S O I E À V O L A N TS B OT TE G A V E N ETA , S H O RT E N D E N I M C H LO É , BA G U E E N A R G E N T A L A N C R O C ET TI , C EI N TU R E C H A Î N E M ÉTALLI Q U E A R G E N TÉ E H I LLI E R B A R TLE Y, C EI N TU R E R O U G E , C O LLI E R S ET B O U CLES D’O R EILLES P E R S O N N ELS .

P U LL À C O L ZI P P É E N J A C Q U A RD D E L A I N E ET C A C H E M I R E B U R B E R R Y, C H EVALI È R E “H Y B R ID ” E N V E R M EIL A L A N C R O C ET TI , J E A N LE VI’S .




PA G E D E G A U C H E , F R EYA : TE E-S H I RT E N S O I E I S S E Y M IYA K E , BA G U E “FL A M M E” E N A R G E N T A L A N C R O C ET TI , C R É O LES P E R S O N N ELLES . K A IL A : C O L R O U LÉ E N FI N TR IC OT AJ O U R É P R A D A , B O U CLES D’O R EILLES P E R S O N N ELLES . Z AVI E R : V ESTE E N C U I R P R A D A , C H E M IS E ET TE E-S H I RT E N C OTO N A M I , C H EVALI È R E “H Y B R ID ” E N V E R M EIL A L A N C R O C ET TI . J A M ES : C H E M IS E E N S O I E I M P R I M É E S A I N T L A U R E N T PA R A N T H O N Y VA C C A R E LLO .

P U LL-D É BA RD E U R E N TR IC OT ET S H O RT E N C R Ê P E A M I , ES C A R PI N S E N C U I R À B R ID ES C H A Î N ES K A LD A , B O U CLES D’O R EILLES ET C H O K E R M O YA , BA G U E E N L A ITO N ET P E R LE D E V E R R E C H LO É , C EI N TU R E E N C U I R VI N TA G E .



PA G E D E G A U C H E : V ESTE ET PA N TALO N E N TW E ED ET L A M É , BLO U S E E N M O U S S ELI N E D E S O I E ET D E N TELLE , C O LLI E R D E P E R LES C H A N E L .

V ESTE E N C U I R ET C H E M IS E E N S O I E LO U I S V U IT TO N , D É BA RD E U R E N C OTO N ET J E A N LE VI’S , M O C A S SI N S E N C U I R D I O R M E N .



PA G E D E G A U C H E : R O B E E N S E Q U I N S ET S H O RT E N LYC R A ET S E Q U I N S J U N YA W ATA N A B E , BA G U ES E N A R G E N T A L A N C R O C ET TI , C O LLI E R S , B O U CLES D’O R EILLES , P E R S O N N ELS .

R O B E E N N YLO N P R A D A , C O LLI E R ET B O U CLES D’O R EILLES “É PI N G LE À N O U R R IC E” E N V E R M EIL S TE P H M ETA L , BA G U E E N L A ITO N À P E R LE D E V E R R E R O U G E ET B R A C ELETS C H LO É , C H O K E R ET BA G U E M O YA .



PA G E D E G A U C H E : C H E M IS E E N C OTO N C R A I G G R E E N , C EI N TU R E E N C U I R S A I N T L A U R E N T PA R A N T H O N Y VA C C A R E LLO , J E A N LE VI’S .

R O B E- C H E M IS E E N M A ILLE TR A N S PA R E N TE D I O R , TE E-S H I RT, B O U CLES D’O R EILLES , C O LLI E R S ET BA G U ES P E R S O N N ELS .



PA G E D E G A U C H E : BLO U S E À J A B OT E N M O U S S ELI N E D E S O I E C E LI N E PA R H E D I S LI M A N E , BA G U E E N L A ITO N ET P E R LE D E V E R R E ET B R A C ELETS C H LO É , B O U CLES D’O R EILLES ET BA G U E M O YA .

P U LL E N J A C Q U A RD D E L A I N E ET C A C H E M I R E D I O R M E N , TE E-S H I RT B R U N O C U C I N E LLI .


PA G E D E D R O ITE : C H E M IS E E N P O P ELI N E D E C OTO N S I M O N E R O C H A , LE G G I N G E N LYC R A K I K O K O S TA D I N O V, ES C A R PI N S E N R ÉSILLE G I A N V ITO R O S S I , B O U CLE D’O R EILLES “É PI N G LE À N O U R R IC E” E N V E R M EIL S TE P H M ETA L , C O LLI E R À G R O S M A ILLO N S E N M ÉTAL D O R É G IV E N C H Y, BA G U E E N L A ITO N ET P E R LE D E V E R R E C H LO É ET BA G U E M O YA .

C H E M IS E E N S O I E C H LO É , M I N IJ U P E E N C R Ê P E O R N É D E C R ISTA U X C H R I S TO P H E R K A N E , M U LES E N G O M M E P R A D A , BA G U E E N A R G E N T A L A N C R O C ET TI , B R A C ELET À B R ELO Q U ES E N M ÉTAL V E R S A C E , C EI N TU R E , B O U CLES D’O R EILLES ET BA G U E P E R S O N N ELLES .




M A N N EQ UIN S : K AILA @ ELITE M O D EL, FR EYA @ P R E M IU M M O D ELS , JA M ES @ S U CC ESS M O D EL ET ZAVI ER @ M M A N A G E M E NT. CASTIN G : CO RIN N E LISCIA @ CO CO CASTIN G . M A Q UILLA G E : PO RSC H E PO O N . COIFFU R E : HIR O S HI M ATS U HITA . M A N U CU R E : EDYTA B ETK A AVEC LES VER NIS O PI. ASSISTA NT P H OTO G R AP H E : O LIVI ER N E W M A N . ASSISTA NT STYLISTE : FER G O’R EILLY.

PA G E D E G A U C H E , K A IL A : TE E-S H I RT D R A P É ET S H O RTY E N SATI N A C N E S TU D I O S , C A RD I G A N H O M M E E N M A ILLE B R U N O C U C I N E LLI , P O C H ET TE E N C U I R À C H A Î N ES E M B O S S É ES C R O C O D ILE G IV E N C H Y, C O LLI E R M O YA , B O U CLES D’O R EILLES P E R S O N N ELLES . Z AVI E R : BL A Z E R E N L A I N A G E A R T S C H O O L , J E A N LE VI’S .

C H E M IS E E N S O I E I M P R I M É E LO U I S V U IT TO N , J E A N LE VI’S .


D O U BLE SID ED LA JOURNALISTE ET AUTRICE MARIE KOCK NOUS LIVRE UNE NOUVELLE

FUTURISTE,

INSPIRÉE

DE

LA

SÉRIE

MODE

DU

PHOTOGRAPHE TUNG WALSH. OÙ IL EST QUESTION D’ÉTRANGES RÉCOLTES D’ÂMES ET DE LEUR MYSTÉRIEUSE MÉTAMORPHOSE. TEXTE MARIE KOCK.

Martin arrivait toujours en dernier. Avec ses airs à la Eastwood, s’installer seul au bar, c’était l’assurance de se faire payer des verres par les femmes qui s’ennuient et les travailleurs au bord du licenciement. Et puis, c’était lui le chef d’équipe et il trouvait ça plus classe d’apporter sa touche finale une fois l’opération commencée. Ce soir, il a sorti son attirail dandy souffrant. Un classique. 32 utilisations, 100 % de réussite. Il ne peut s’offrir le luxe de se rater. Lorsqu’il passe le seuil de la porte, un rapide panorama de la salle lui confirme que, ok, tout est en place. Éric est en school boy tout droit sorti de son cours de poétique, Jeanne en secrétaire ambitieuse et désabusée, Iris tente pour la première fois son look reine des nuits new-yorkaises qui espère qu’ici aussi on saura l’entertainer jusqu’au petit matin blafard. Les habitués du bar devraient tiquer : autant d’inconnus dans un bled, quel qu’il soit, c’était pas courant. Mais après les avoir dévisagés sans discrétion, ils retournaient invariablement à leurs boissons et aux problèmes dont ils ne parlaient à personne. Ce soir, ça devrait bien se passer. Quand il avait été recruté par l’Agence, Martin avait halluciné sur le salaire, fixe + pourcentage, qu’on lui avait annoncé. En une soirée, il pouvait se faire l’équivalent de 48 jours de baratin sur

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les trottoirs à rabattre des adhérents pour une association de défense des fonds marins, des clients pour le bunnies show, des abonnés pour un programme de régime révolutionnaire. Peu importait la came à refourguer, Martin avait le don pour devenir le produit. Pour incarner la marque. Pour faire croire à des gens qui n’en avaient ni le besoin ni l’envie que c’était exactement ça – des nouvelles mensuelles des requins, des jambes interminables ou des pesées réglementaires – qui allait enfin donner une cohérence à leurs vies éclatées. À l’entraînement, il s’était rendu compte qu’il n’était pas le seul à avoir ce talent, mais que l’Agence cherchait aussi d’autres profils que le sien. Martin avait rejoint naturellement les Hableurs. Éric faisait partie des Babies, avec ceux et celles qui avaient la capacité de déclencher chez l’autre une envie irrépressible de les cajoler, de s’occuper d’eux. Jeanne appartenait aux Trophées, les faux inaccessibles qu’on était trop content d’exhiber. Iris était attachée à une caste plus restreinte et instable, celle des Side-Roads, qui donnaient envie de tout plaquer à ceux qui restaient dans leur orbite plus de deux heures. Martin a repéré sa cible. Ce soir, il ne peut pas jouer la facilité. Donc pas de filles qui rêvent désespérément d’ail-

leurs, pas de femmes entre deux âges à qui il jouera Sur la route de Madison, pas de petites vieilles à qui faire revivre les souvenirs heureux si lointains qu’ils en sont douloureux. Ce soir, Martin jette son dévolu sur un presque encore adolescent. Il a le regard qui a faim et peur en même temps, le corps qui ne sait pas encore vraiment comment habiter la veste en cuir un peu trop grande. Assis tout seul au fond de la salle, calé contre l’angle des murs crasseux, il griffonne fébrilement son carnet de la main droite tandis que la gauche bat la mesure à côté du cendrier. Un futur musicien, du nectar pour l’Agence. Si Martin réussit, peut-être que l’Agence le laissera continuer. Il se sait en danger, un rendement en baisse à ce qu’ils disaient. C’était sans compter sur la cadence de travail et les objectifs toujours plus délirants. N’empêche qu’il n’avait aucune envie de disparaître, comme avant lui Stéphane, Lison, Charlie et Max. Des pointures qui avaient perdu leur mojo et qui, un jour, n’étaient plus apparus au briefing matinal. Martin s’approche du simili-rocker d’un pas traînant. Il s’installe à la table à côté, dos à la porte, face à lui. Il commence la synchronisation. Croise les jambes comme lui, adopte la courbure de sa colonne vertébrale, cale sa respiration sur les mouvements de sa


GAME cage thoracique, allume une cigarette avant que l’autre ait eu le temps d’écraser la sienne. Il ne parle pas, attend que l’adolescent prononce ses premiers mots pour adapter sa voix, son vocabulaire, la rapidité d’énonciation. — T’as pas une clope ? J’ai cramé la dernière et je peux pas réfléchir si je fume pas. Martin sort son paquet, l’ouvre et le glisse sur la table. — Merci, mec. Je m’appelle Jérémy, au fait. Martin opine du chef, énonce son prénom, rallume une clope, cale ses expires sur celles de sa cible. — T’inquiète, pour finir mon dernier son j’en ai cramé des tonnes. L’œil de Jérémy s’allume. Il se rapproche. Martin avance sa chaise à son tour et pose son coude sur la table. Sans s’en rendre compte, Jérémy dépose le sien, en symétrie. C’est bon, se dit Martin, c’est parti. La synchro établie, Jérémy va se laisser balader tranquillement, répondre aux injonctions de Martin, se sentir en confiance tout en gardant l’illusion du contrôle, du libre arbitre. S’il le voulait, Martin pourrait le faire arrêter de fumer, aimer la polka ou se dessiner une fleur sur la joue avec le stylo qu’il fait tourner nerveusement dans ses doigts. Mais Martin n’est pas là pour ça. Il est là pour le vider de toute sa substance. Lui faire déverser ses plus grandes aspirations, celles tellement immenses qu’il n’ose même pas se les avouer. Lui faire vomir les colères qui tiennent son cœur enflammé 24 h/24. Dégorger les regrets, les hontes qui ont déjà colonisé son corps. Martin veut récupérer tout ce qui fait de lui un humain, un vrai, pas un de ces morts-vivants qui traversent mollement la vie en se disant que c’est pas

si mal. Martin est là pour glaner les âmes. Martin n’en est pas à sa première moisson, il a même arrêté de compter. Ça le rendait un peu amer de lister les individus qu’il avait laissés derrière lui, apparemment identiques à eux-mêmes, mais vides à jamais à l’intérieur. Il a cessé de compter, mais jamais de se demander ce que faisait l’Agence de la récolte ; ou même de savoir sous quelle forme elle utilisait tout ça. Pendant que Martin et les autres absorbaient toute la vie qui régnait dans le bar, l’Agence se contentait de placer des camions à moins de 200 mètres du lieu du pillage, qui redémarraient une fois qu’ils avaient “tout ce qu’il faut”. Martin commande une nouvelle tournée pour Jérémy et il se demande, pour la énième fois, la forme que pouvait prendre le matériau qu’ils étaient venus forer. Parfois, il s’imaginait des fioles luminescentes alignées sur les étagères d’un hangar tenu secret dans les sous-sols de l’Agence. D’autres fois, il construisait dans sa tête des rotors complexes dont les pales brassaient sans fin des particules invisibles à l’œil nu. Bref, il n’en savait rien. Il se racontait qu’il n’avait pas besoin de savoir, que les âmes, ben, c’était rien de plus que des abonnements Weight Watcher ou des minutes en plus dans la cabine de strip-tease : une monnaie d’échange, un truc dont certains avaient besoin plus que d’autres, un marché dont les gars comme lui pouvaient tirer quelque chose. Sauf que ce soir, face à Jérémy qui lui a déjà descendu la moitié de son paquet et ne se livre pas autant que prévu, il se prend un gros coup de fatigue. Il sent ses propres défenses s’affaiblir. Sa rumination mentale sur l’Agence prend trop de place, il en a marre de n’être tenu au courant de

rien, de n’être qu’un pion dans un jeu dont il ne comprend pas les règles. Il est en colère de n’avoir jamais eu de nouvelles de Stéphane, Lison, Charlie et Max. En avalant une gorgée de bière, il tente de se remémorer la dernière fois qu’il en a bu une pour le plaisir, offduty. Il ne trouve pas. Qu’est-ce qu’il fout là, franchement ? À aspirer la vie d’un jeune type qui ne lui a rien fait et que, malgré tout son professionnalisme, il a beaucoup de mal à ne pas trouver vraiment sympa. Peut-être qu’il lui rappelle un peu ce qu’il était avant ? Un jeune type qui essayait juste de s’en sortir en grappillant un peu de plaisir au passage. Un gars qui ne faisait de mal à personne, juste des trucs dans son coin, avec vaguement l’idée en tête qu’un jour il décrocherait la timbale, peu importe ce qu’il y avait dedans. Il commence à sourire à Jérémy, dans un mélange d’affection et de pitié, pour ce que Jérémy va devenir, pour ce que lui, Martin, est devenu. Il a envie de lui parler, de lui dire d’éteindre sa clope, de se casser en courant du bar. Ça lui brûle les lèvres, et puis ça le brûle de partout. Il a besoin de lui dire, il va lui dire. — Jérémy ? Mais Jérémy ne se penche pas un peu plus vers lui pour entendre sa confession. À la place, il jette un regard entendu à Iris. Qui regarde Jeanne. Qui regarde Éric. Qui regarde Martin. Jérémy récupère son cuir trop grand. Iris, Jeanne, Éric abandonnent à leur tour leurs tables respectives. Tous les quatre sont debout. Ils regardent Martin, contrits et désolés. Au moment de franchir la porte du bar, leurs bouches murmurent des paroles que Martin ne comprend pas, bien qu’elles lui soient destinées. Dehors, les camions noirs sont toujours là.

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TRANSFORM MY SELF PHOTOS MARCIN KEMPSKI. RÉALISATION KARLA GRUSZECKA. R O B E E N S OI E PLISS ÉE, SAC E N R AP HIA À A N S E E N M ÉTAL ET LU N ET TES D E S O LEIL E N AC ÉTATE G U CCI , C HAP EA U E N PAILLE E LI U R PI .



M A N TE A U E N R U BA N S D E P E A U ET C U I R D ÉC O U P ÉS A RTISA N ALE M E N T ET E N TR EL A C ÉS , V ESTE ET BERM UDA EN C OTO N À R ELI EF FLO R AL F E N D I , CHAPEAU E N C OTO N ET C EI N TU R E E N C O RD E ET P LU M ES , C A LC ATE R R A , SA N D ALES E N C U I R M A R S È LL . PA G E D E D R O ITE : R O B E E N FA ILLE D E SOIE À C O L C O R O LLE SM OCKÉ, B O U CLES D’O R EILLES E N M ÉTAL D O R É S C H I A PA R E LLI .




C A P E , P U LL ET PA N TALO N EN G A BA RD I N E R E- N YLO N , C O L R O U LÉ E N VIS C O S E PR ADA , LU N ET TES D E S O LEIL E N A C ÉTATE HUGO B O S S , SA C ES C A R PI N “A . B . C H A R M” EN CUIR ET C H A Î N E C H R I S TI A N LO U B O UTI N . PA G E D E GAUCHE : M A N TE A U E N SATI N M ATEL A S S É , D É BA RD E U R E N J E R S EY, C H E M IS E SA N S M A N C H ES E N BY S S U S B R O D É ET AJ O U R É , JUPE EN P LU M ES D’A UT R U C H E FENDI, M U LES E N CUIR PR ADA , LU N ET TES D E S O LEIL AVI ATE U R EN O P TYL ET M ÉTAL DORÉ TH E M ARC JACO BS.


S H O RT ET C A RD I G A N E N N YLO N , SA N D ALE E N SATI N BRODÉ D E C R ISTA U X MIU MIU, BODY E N C OTO N I N TI M I S S I M I . PA G E D E D R O ITE : R O B E PATC H W O R K EN G E O R G ET TE ET CHAR M EUSE D O LC E & GABBANA , LU N ET TES D E S O LEIL E N A C ÉTATE M AISO N ALAÏA , CHAPEAU E N LI N ZIM MERMAN N.



PA N TALO N ET R O B E À PA ILLET TES EN M ATI È R ES TEC H N I Q U ES J U N YA W ATA N A B E , SA N D ALES EN CUIR C H R I S TI A N LO U B O UTI N , SA C E N CUIR D E VEAU G RAIN É TH O M BROWNE. PA G E D E D R O ITE : ROBE EN SOIE “TR ÉS O R D E L A M E R”, ÉTU I À ÉC O UTE U R S “M ED U SA” EN SILIC O N E ET C H A Î N E , BA R R ET TE E N M ÉTAL P EI N T VERSACE .




ROBE EN CRÊPE D E SOIE VA LE N TI N O , B O U CLES D’O R EILLES E N L A ITO N JACQ UE M US. PA G E D E GAUCHE : PA R A P LU I E EN SOIE ET C H A P E A U EN CUIR LA NVI N .


C H E M IS E ET PA N TALO N V O LU M I N E U X E N P O P ELI N E D E C OTO N IM PRIM É ANTH EA H A M ILTO N ET SA C E N C U I R LO E W E . PA G E D E D R O ITE : R O B E E N C OTO N L A N VI N , CHAPEAU EN C OTO N MIU MIU, B O U CLE D’O R EILLE EN CUIR ET A R G E N T B OT TE G A V E N ETA .


M A N N EQ UIN S : AJSA M OVIC @ S M C M O D EL M A N A G E M E NT. DIR ECTEU R D E CASTIN G : N EILL S EETO . COIFFU R E : PIOTR W ASIN SKI @ VA N D O RS E N ARTISTS . M A Q UILLA G E : A N ETA KO STRZE W A @ R AD EK NI ER O D A . ASSISTA NTE STYLISTE : K ASIA M IO D U SK A . ASSISTA NT P H OTO G R AP H E : AD RIA N O BR ECZAR EK .


d o n ’ t masquerade with the g i r l s PHOTOS CAMERON POSTFOROOSH. RÉALISATION CAITLAN HICKEY.


A N G E E R : C A RD I G A N À C A P U C H E E N C A C H E M I R E , R O B E E N S O I E I M P R I M É E ET C A S Q U ET TE E N C OTO N C E LI N E PA R H E D I S LI M A N E , ES C A R PI N S E N C U I R G I A N V ITO R O S S I . BLU E : TED D Y E N C U I R , P U LL E N C OTO N ET J E A N E N D E N I M D ÉL AV É VI N TA G E C E LI N E PA R H E D I S LI M A N E , C H A U S S U R ES D E B O W LI N G E N C U I R LO U I S V U IT TO N . D A H ELY : R O B E E N S O I E P LIS S É E , I M P E R M É A BLE E N C OTO N E N D U IT, C A S Q U ET TE E N C OTO N ET B OT TI N ES E N C U I R C E LI N E PA R H E D I S LI M A N E .



D A H ELY : C H E M IS E ET PA N TALO N E N G A BA RD I N E , SA N D ALES E N C U I R P R A D A . BLU E : R O B E E N S O I E ET TIS S U TEC H N I Q U E À ST R A S S , SA N D ALES E N C U I R E M P O R I O A R M A N I . A N G E E R : R O B E E N J E R S EY K E N Z O , B O U CLE D’O R EILLE E N P LE XI G L A S E M P O R I O A R M A N I , SA N D ALES E N C U I R G I A N VITO R O S S I . SA R A H : P U LL E N N YLO N , B R A S SI È R E E N C R O C H ET D E C OTO N , J U P E E N LI N , C U LOT TE E N LU R E X ET B O U CLE D’O R EILLE E N O R A C N E S TU D I O S .


D O S- N U E N C OTO N , M I N I-J U P E E N C U I R À ZIP S , SA N D ALES E N C U I R À TALO N S E N C O R N E ET C O LL A N T G I V E N C H Y. PA G E D E D R O ITE : C H E M IS E E N S O I E ET C OTO N , PA N TALO N E N L A I N E ET S O I , SA N D ALES E N C U I R P E R F O R É ES F E N D I .




PA R K A E N C U I R , PA N TALO N BA G GY E N C OTO N ET M U LES E N C U I R B A LE N C I A G A .



PA N TALO N E N C OTO N ET ES C A R PI N E N C U I R CLO UTÉ À B R ID E C H A Î N E G I V E N C H Y. PA G E D E G A U C H E : S W E AT E N C OTO N B A LE N C I A G A , B O U CLE D’O R EILLE E N A R G E N T ET PI E R R E , BA G U E E N L A ITO N ET N A C R E A C N E S TU D I O S , A N N E A U E N O R B Ô N E U R .



P O LO E N TR IC OT, G ILET ET J U P E E N C U I R B O RD É D E C U I R I M P R I M É , B OT TES L A C É ES E N C U I R I M P R I M É G U C C I .


BLO U S E E N LI N A C N E S TU D I O S , STR I N G E N S E Q U I N S G I V E N C H Y, SA N D ALES E N C U I R P R A D A . PA G E D E D R O ITE : D É BA RD E U R E N C OTO N , TE E-S H I RT E N C OTO N R ÉSILLE I M P R I M É ET PA N TALO N E N C OTO N G I V E N C H Y.




BLU E : PA R K A E N C U I R B A LE N C I A G A , A N N E A U E N O R B Ô N E U R . A N G E E R : H O O D I E E N C OTO N B A LE N C I A G A .



C A RD I G A N E N C A C H E M I R E , B O U CLE D’O R EILLE E N M ÉTAL , ST R A S S , R ÉSI N E ET P E R LES C H A N E L . PA G E D E G A U C H E : R O B E E N TW E ED D E C OTO N O R N É E D E G ALO N S , SA C E N C U I R ET P E R LES , M O C A S SI N S E N C U I R C H A N E L , A N N E A U E N O R B Ô N E U R .



SA R A H : S W E AT E N C OTO N , M I N I-J U P E E N S O I E ET C OTO N , C H A U S S U R ES D E B O W LI N G E N C U I R LO U I S V U IT TO N . BLU E : M A N TE A U E N L A I N E ET S O I E , ES C A R PI N S E N C U I R LO U I S V U IT TO N . A N G E E R : V ESTE ZIP P É E E N M A ILLE D E C OTO N , PA N TALO N E N LU R E X ET B OT TES E N N YLO N LO U I S V U IT TO N .



D A H ELY : BLO U S E SA N S M A N C H ES ET J U P E E N M O LLETO N , C U LOT TE H A UTE E N N YLO N M I U M I U , ES C A R PI N S E N G O M M E ET N YLO N P R A D A . A N G E E R : C H E M IS E À M A N C H ES C O U RTES E N M A ILLE , J U P E E N C AD Y B R O D É M I U M I U , ES C A R PI N S E N C U I R ET P VC O R N É D E C R ISTA U X R O G E R V IV I E R . PA G E D E G A U C H E : C A P E , G ILET ET PA N TALO N E N G A BA RD I N E D E N YLO N , C O L R O U LÉ E N VIS C O S E À D ÉC O U P ES ET ES C A R PI N S E N G O M M E ET N YLO N P R A D A . M A N N EQ UIN S : D AH ELY N U N EZ @ TH ES O CI ETYNYC , A N G EER A M O L @ KO LLECTIV_ M G MT, BLU E @ N OVA M G MT, SAR AH VA N ESSA @ N O NI. A G E N CY. DIR ECTRIC ES D E CASTIN G : TR EA N N A LA W R E N C E ET K ATI E FRYE @ CASTPARTN ER . S ET D ESIG N : R O SI E TU R N B U LL. COIFFU R E : S HIN ARI M A @ H O M EA G E N CY. M A Q UILLA G E : ASA M I M ATS UD A @ ARTLISTPARIS N E W YO R K . M A N U CU R E : AJA W ALTO N @ S EE M A N A G E M E NT. ASSISTA NTS P H OTO G R AP H E : M ATC H U LL S U M M ERS , G ABRI ELLA CLIFFO RD . ASSISTA NTE STYLISTE : S HAY G ALLA G H ER . ASSISTA NTE S ET D ESIG N ER : C HLO E N ELS O N . ASSISTA NTE M A Q UILLEU S E : TO M O M I SA N O - G O N ZALEZ. P R O D U CTIO N : M AY LIN LE G OFF @ R O SCO P R O D U CTIO N , ELEO N O R A TR U LLO (CO O RDIN ATRIC E).


A L T E R ED REA LITY

PHOTOS THOMAS COOKSEY. RÉALISATION CHRISTOPHER MAUL.


R O B E E N LI N ET S O I E I N C R U STÉ E D E D E N TELLES D I O R , C EI N TU R E E N C U I R L A N VI N , B O U CLES D’O R EILLES E N L A ITO N PATO U , C H A U S S U R ES E N C U I R ET LI È G E LI N U S LE O N A R D S S O N , C U LOT TE E R E S , BA S P E R S O N N ELS .


PA G E D E D R O ITE : D É BA RD E U R E N TU LLE B R O D É D E S E Q U I N S A S H I S H , PA N TALO N O V E R SIZ E E N S O I E LO U I S V U IT TO N , BALLE R I N ES “I LO V E VIVI E R” E N C U I R V ELO U R S R O G E R VIVI E R , P ETIT SA C “H O B O” E N C U I R À PISTO N E N M ÉTAL D O R É G U C C I , B É R ET “C O N F ET TIS” B E N N Y A N D A LLO X E D C U R TI S , G A N TS E N D E N TELLE C O R N E LI A J A M E S .

B R A S SI È R E E R E S , J E A N E N C OTO N P EI N T S C H I A PA R E LLI , SA N D ALES E N C U I R L A C É G I A N VITO R O S S I , B O U CLES D’O R EILLES ET B R A C ELET “LV V O LT” E N O R J A U N E , P E N D E N TIF “VIVI E N N E” E N O R J A U N E , R O S E ET BL A N C LO U I S V U IT TO N , C H A P E A U “T R I P P Y” B E N N Y A N D A LLO X E D C U R TI S .



D É BA RD E U R E N R ÉSILLE B R O D É E E M P O R I O A R M A N I , J E A N E N PATC H W O R K D E D E N I M R E B R O D É ET C EI N TU R E E N C U I R D O LC E & G A B B A N A , C H A U S S U R ES E N C U I R ET LI È G E LI N U S LE O N A R D S S O N , G A N TS E N R ÉSILLE C O R N E LI A J A M E S , B O U CLES D’O R EILLES E N L A ITO N PATO U .




BA N D E A U F O U L A RD E N S O I E L A N VI N , PA N TALO N E N L A I N A G E F E N D I , M U LES E N C U I R V ELO U R S C H R I S TI A N LO U B O UTI N , C H A U S S ET TES E N R ÉSILLE C A LZ E D O N I A , C R É O LES ET R A S D E C O U “CL A S H D E C A RTI E R” E N O R R O S E , B R A C ELET ET BA G U E “TR I N ITY” E N O R BL A N C , O R R O S E ET O R J A U N E C A R TI E R .


PA G E D E D R O ITE : R O B E E N TA FF ETA S D E S O I E ET P U LL E N VIS C O S E À D ÉC O U P ES P R A D A .

TU N I Q U E E N C OTO N ET C EI N TU R E E N C U I R TO D’S , M I N IJ U P E E N C OTO N ET ES C A R PI N S E N C U I R V E R S A C E , C R É O LE , CLI P D’O R EILLE , R A S D E C O U , BA G U E ET B R A C ELET “CL A S H D E C A RTI E R” XL E N O R R O S E C A R TI E R , M I N I BA S E N C R O C H ET LI N U S LE O N A R D S S O N .




R O B E E N S O I E D ÉV O R É E , D E N TELLE ET TU LLE G U C C I .


PA G E D E D R O ITE : R O B E E N TW E ED , B O D Y E N C OTO N , SA N D ALES E N C U I R V ELO U R S ET O R , C O LLI E R E N M ÉTAL , ST R A S S ET R ÉSI N E , C O LLI E R E N M ÉTAL, P E R LES D E V E R R E , STR A S S ET R ÉSI N E , B O U CLES D’O R EILLES E N M ÉTAL ET ST R A S S C H A N E L .

TU N I Q U E ET J U P E E N M A ILLE D E C OTO N LO E W E , M U LES “ALISI A” E N C U I R ET R ÉSILLE G I A N VITO R O S S I .




BLO U S E E N G R O S- G R A I N PATO U , J U P E E N TIS S U G A U FF R É I S S E Y M IYA K E , C O LLI E R E N M ÉTAL D O R É V E R S A C E , TO N G S E N C U I R N A P PA K E N Z O , G A N TS E N D E N TELLE C O R N E LI A J A M E S .


SA N D ALES E N C U I R À S E M ELLE E N C A O UTC H O U C D I O R .

ES C A R PI N S E N PATC H W O R K D E C U I R ET SATI N D O LC E & G A B B A N A .


ES C A R PI N S E N G O M M E ET N YLO N P R A D A .

SA N D ALES E N SATI N I M P R I M É À TALO N S B O U LE E N M ÉTAL L A N VI N .



PA G E D E G A U C H E : H O O D I E E N C OTO N , R O B E E N TU LLE À ZI P B O RD É D E C U I R ET G A N TS E N TU LLE B R O D ÉS D E C R ISTA U X , BA S E N VIS C O S E , ES C A R PI N S E N C U I R CLO UTÉ , C O LLI E R C H A Î N E A R G E N TÉ ET M A XI SA C “A N TI G O N A” E N C U I R S O U P LE G I V E N C H Y.

C O M BI N A IS O N E N D E N TELLE D E C OTO N STR ETC H K E N Z O , B OT TES E N C U I R R O K S A N D A , B O U CLE D’O R EILLE LO G O E N M ÉTAL D O R É D O LC E & G A B B A N A , C H A P E A U E N FA U S S E F O U R R U R E B E N N Y A N D A LLO .



M A N N E Q U I N : M O R G A N F E R N A N D EZ . C A STI N G : A N N A K O ZI A K O VA . C O IFF U R E : F ED E R IC O G H EZZI @ SA I N T LU K E . M A Q U ILL A G E : M AT TI E W H ITE @ SA I N T LU K E . M A N U C U R E : M IC H ELLE CL A S S @ LM C W O R LD W ID E LES P R O D U ITS M A G PI E B E A UTY. A S SISTA N T P H OTO G R A P H E : STEFA N E B ELE W ICZ . A S SISTA N TE STYLISTE : L A U R E N H E AV E R . P R O D U CTI O N : D A N N Y N E ED H A M @ R O S C O P R O D U CTI O N . R É G IS S E U R : TILLY F R Y @ R O S C O P R O D U CTI O N .

PA G E D E G A U C H E : M I N I R O B E E N LI N ET S O I E À M A N C H ES AJ O U R É ES , SA B OTS E N C U I R ET B O IS CLO UTÉ H E R M È S .

C O M BI N A IS O N ET R O B E E N O R G A N Z A O R N É D E C R ISTA U X M I U M I U , B OT TES E N C U I R V ELO U R S À F R A N G ES C H R I S TI A N LO U B O UTI N .


ALTER ED ALORS QUE LE PHOTOGRAPHE THOMAS COOKSEY ET LE STYLISTE CHRISTOPHER MAUL ONT IMAGINÉ UNE STORY MONTRANT UNE RÉALITÉ ALTÉRÉE, LA JOURNALISTE ET ROMANCIÈRE AUDE WALKER NOUS EN LIVRE SA VERSION, LA SÈCHE. OU LE RÉCIT D’UNE

FEMME

CENTAURE

À

L’EXISTENCE

HORS

NORMES.

TEXTE AUDE WALKER.

À sa manière d’enfoncer son pouce dans le muscle rhomboïde gauche puis de le laisser fondre le long de la colonne en partant de la vertèbre C7 jusqu’à la D5, elle sait qu’il est déçu. Et s’il y a bien un truc insupportable pour elle, c’est de décevoir son père. Elle sait qu’il va mettre son échec sur le dos des stéroïdes anabolisants qu’elle a tenu à prendre cette année pour préparer la compétition. Il dit qu’avec la force pure qui est la sienne, le blanc de poulet, le kéfir et les compléments alimentaires, c’est amplement suffisant. Il ne comprend pas qu’elle veuille prendre de la masse. Qu’elle tienne à s’injecter tous ces stimulants pour que ses veines soient apparentes et luisantes comme des vers. Qu’elle fasse la belle sur les réseaux sociaux au lieu de rester focus sur l’entraînement. Le silence de son père, qui masse ses muscles essorés par l’effort, lui coule dans la nuque comme un crachat tiède.

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D’habitude, après une compétition, ils rentrent en écoutant du Madball très fort dans la voiture. Le punk hardcore américain, c’est sa berceuse petite enfance qui l’aide à faire retomber l’adrénaline et la dopamine récoltées au fil des épreuves de force. Une fois qu’ils passent le pont blanc avec le petit autel de l’enfant accidenté organisé à ses pieds, il n’a même plus besoin de le lui ordonner ; elle ouvre la boîte à gants et attrape la cagoule kaki. Elle inspire longuement par le nez, goûtant chaque particule d’oxygène ; faire ses adieux à l’air libre, plonger dans son obscurité. Et se laisser guider par son propre père jusqu’à un endroit dont elle ne connaît toujours pas la géolocalisation. Les sons qui accompagnent la procession lui sont très familiers, voire rassurants : la musique qui s’arrête en même temps que le moteur de la voiture, le bip de l’entrée, l’ascenseur qui semble plutôt descendre que monter,

mais elle n’en est pas si sûre, les clés dans la serrure, la lumière qui siffle étrangement, la première porte claquée, puis la seconde en verre blindée qu’il referme derrière eux. Slalomant entre les machines de musculation qui semblent dormir comme du bétail de fer, il l’emmène jusqu’à la table de massage. La cagoule encore enfoncée sur la tête – pour quelle raison, elle ne l’a jamais su. Elle dézippe son hoodie et se place sur le ventre en brassière et legging. Elle peut enfin découvrir sa tête, retrouver une respiration moins empêchée et les murs aveuglants de sa geôle appartement. Sa lumière blanche, presque artificielle, façon prise de vue d’une campagne Calvin Klein parfum lessive des années 90. D’habitude, sur la table de massage imitation cuir, le poids de son costume de muscles gigantesques, son corps d’“Hercule Girl”, “Schwartz Girl”, “Iron Woman” et quoi encore, disparaît.


R E ALITY Elle le quitte et le dépose au vestiaire, redevient, sous les mains de son père, la petite fille malingre et bizarre à la force surhumaine, capable d’exécuter un double salto propre à 2 ans, porter ses deux parents sur son dos à 5 et une plateforme avec dix hommes dessus, à 8. Le tout parce qu’il a su tout de suite qui elle était, a vu ses capacités hors norme alors qu’elle n’était qu’un bébé de quelques semaines. D’habitude, ils débriefent alors la compétition, épreuve par épreuve, dans le détail. Le soulevé de tracteur de 700 kilos. La traction du camion de 7 tonnes. La marche du fermier. Les soulevés de terre. Le jeter de poutre de 100 kilos. La pierre d’Atlas ; son épreuve préférée. La sensation de la sphère minérale sous ses mains, puis sur ses épaules, c’est de la magie. Puis ils font un point musculaire. Car le muscle, entre eux, ils en parlent comme une bête à élever ou un dieu à honorer. C’est un tissu indépendant du reste du corps. Une maison qu’on bâtit en famille, brique après brique. D’habitude, elle aime ces moments avec son père, après l’effort, tous les deux cueillant des boutons-d’or, épuisés et heureux. Mais d’habitude, elle gagne. Depuis cinq ans, depuis qu’il l’entraîne dans le dos du monde, dans l’appartement cartonné de blanc, elle rentre toujours avec le titre de championne du concours de The Strongest Woman in the World. Toujours sans rien dire, il se déplace autour de la table de massage, les mains sur ses cuisses énormes et surbronzées de femme centaure. Le crâne de la fille, couvert de cheveux épars blonds décolorés bute contre le ventre du père, qui semble cette année avoir doublé de volume avec la préparation

du concours. Durant la période de sèche, il a mangé autant qu’elle, sept repas par jour, une planète de blanc de poulet, de blanc d’œuf et de fromage blanc, mais en s’entraînant moitié moins que d’habitude. Depuis son opération, elle le surprend de plus en plus souvent, haletant sur une des machines, les joues marbrées de plaques rouges, les yeux qui roulent derrière les paupières comme s’ils cherchaient une vérité cachée. En temps normal, il ne masse que son dos, puis la laisse aux mains du silence et de la solitude. Il passe de l’autre côté de la porte en verre blindée, s’assure qu’elle est bien fermée et s’en va, ailleurs sur la Terre. Elle s’allonge alors sous le lit, à même le sol, ses muscles dorsaux tapant dans le sommier et s’endort pour une nuit sans fin, à côté de Tipi, son chien en peluche. Là, avec la défaite qui envoie son poison partout, elle ne s’entend plus penser. Elle ne s’entend plus qu’avoir peur, seulement, avoir peur. Trop de tension, faut qu’elle bouge. Elle se retourne sur le dos. Elle ouvre à peine les yeux, n’osant découvrir son visage bouclé. Et elle lui demande des nouvelles de son fils. Est-ce qu’il a pu regarder la diffusion de la compétition ? — Il a honte de toi. Lui qui était si fier de sa mère. Juste ça. Il regarde au-delà d’elle, audelà de la fureur. Après ces semaines de sèche, son estomac est bousillé, le silence est choqué de gargouillis, elle s’excuse auprès de son père. Il ne relève pas. Ses énormes mains planent au-dessus d’elle comme un oiseau mortuaire. De sous ses paupières closes, des larmes coulent sur sa peau statufiée par les anabolisants.

— Tu n’aurais jamais dû prendre cette merde. Elle ne dit rien. Elle sait que ce ne sont pas les stéroïdes qui l’ont amenée à se planter. Elle ne peut pas avouer à son père qu’elle a perdu à cause de la nouvelle épreuve surprise. Pas parce qu’elle n’avait pas été préparée : vu la vie de nonne qu’elle se cogne, elle ne crache jamais sur une bonne surprise. Non, elle a perdu, car l’épreuve en question consistait à retenir deux chevaux de 400 kilos chacun, volontairement excités par deux idiots en short dans le but de les faire partir au galop, comme un feu de forêt. Sous l’injonction de la panique, les chevaux se cabraient fort. Sous leur peau, elle pouvait voir leurs muscles se tordre pour échapper à la psychose humaine. Elle avait décelé dans leurs yeux la terreur ; la sienne. Et après les avoir retenus quelques secondes avec une facilité qui l’avait elle-même étonnée, elle avait lâché les brides, sans réfléchir, ne supportant pas leur peine. Elle pleure ; et son père, gavé de haine, de fromage blanc, la masse. Longtemps. Trop longtemps. Jusqu’à lui faire mal. Jusqu’à ce qu’une tornade de flics apparaisse derrière la porte vitrée et qu’un son proche d’une explosion efface tout et la fasse chuter dans le sommeil occultant, qu’elle ne sait trouver d’habitude que sous le lit de sa cellule, avec Tipi le chien à ses côtés. C’est au soleil qu’elle se réveille, de l’autre côté du monde, sur un brancard. La toute petite main de son garçon de 4 ans est posée sur son biceps brachial gauche. Et ça fait tout de suite comme de l’air frais ventilé au cœur d’une nuit de canicule.

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CONTACTS


IN ENGLISH CRAZY FOR YOUSRA / MIX AND MATCH / ALL ON SHROOMS! / MORPHING STORIES IN POP CULTURE / BLACK DESIGNERS MATTER / A CRYSTAL ODYSSEY

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METAMORPHOSIS

EDITOR’S LETTER

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CRAZY FOR YOUSRA BORN IN LEBANON, YOUSRA MOHSEN IS THE FIRST MIDDLE EASTERN DANCER TO HAVE JOINED ONE OF THE HOTTEST STAGES IN PARIS, THE CRAZY HORSE. WITH HER POSITIVE ENERGY AND GRACIOUS LINES, YOUSRA DRAWS THE CONTOURS OF A NEW LEBANON FREED FROM THE WEIGHT OF PATRIARCHY. WORDS BY FLORENCE VAUDRON. PHOTO MEHDI SEF. STYLING GEMMA BEDINI.

Full of ardour, freedom loving, in pursuit of justice and terribly inspiring, Yousra Mohsen, 22 years old, is the image of modern Lebanon. With her thick eyebrows, brown curls and light complexion, she is the ultimate symbol of Lebanese beauty. Add to this her infinite legs and trademark Crazy Horse camber, if she didn’t exude a deep benevolence and maturity for her young age, we might start feeling self-conscious. Through her art, namely dance, Yousra expresses her deep desire to contribute to changing her native country’s mentality, to make it flourish and to inspire women in Lebanon and elsewhere to emancipate and freely live their femininity and sensuality: A noble mission that this free electron is committing herself to, with the strength and intelligence to ignore the malevolence of certain retrograde spirits. The story of Yousra tells us that when we seek the best in ourselves, we can transform ourselves and help change the world for the better.

FRO M YOUSRA TO LAÏLA Every night on the Crazy Horse stage, her “home” as she calls it, Yousra is Laïla Liberty. This is the name that cabaret’s general manager Andrée Deissenberg decided to give her after spending a month getting to know the young woman during her training, before she made her official debut on stage. A name that fits her like a velvet glove. “Laïla means ‘night’ in Arabic and Liberty is for my emancipated, free side. I chose to do what I wanted in life, Laïla Liberty represents me, a free woman.” On stage, Yousra melts entirely into her alter ego. Perched on her heels, she has no fear and plays at being both a creature of fantasy and a model of empowerment. However, the idea of joining a cabaret of this type had never really crossed the Lebanese woman’s mind, who, like most young women, was encouraged to keep her sensuality quiet rather than to embrace it. Former Lebanese show jumping champion in 2014, Yousra has long shared her time between the Lycée Français de Beyrouth (French high school in Beirut), dance and horse riding. The year of her baccalaureate, when she was a member of the prestigious Caracalla Dance Theatre school in Beirut with which she toured, she decided to get off the saddle and

dedicate herself to dance. “I chose dance because the stage thrilled me. With Caracalla, I discovered what I wanted to do: travelling through an art form. Discovering the world while dancing is a wonderful thing to experience.” From then on, Yousra never lost sight of her objective: to become a professional dancer. Encouraged by her mother – the woman of her life – she travelled to Paris and joined the International Academy of Dance where she took classes in classical dance, jazz, contemporary dance and... street jazz heels. The course, taught by dancer and choreographer Nadine Timas, is a real ego-booster for each of her students. Nadine’s classes are of a different kind, ultra-feminine and sensual. Together they work on lines, curves, arching and developing a confident and feline gait. Above all, they work on letting go, but not just any letting go, the one that comes from the acceptance of the power of feminine energy. “I didn’t know I had it in me, I felt so fulfilled.” Yousra reveals herself, she discovers her femininity, her sensuality. A call that allowed Laïla Liberty to blossom. Nadine Timas encouraged Yousra to audition for the Crazy Horse, which she passed with flying colours.

BEYROUTH MY LOVE It’s now been three years since Yousra left Lebanon and joined one of the largest diasporas in the world (15 million Lebanese nationals live abroad, three times the population of Lebanon). While she no longer lives there, Yousra constantly thinks about her country and has decided to dedicate part of her time to supporting its metamorphosis. Lebanon is the only place where she gives dance classes. “As soon as I return home, I give heels lessons. I talk a lot about the female body to my students, who then look at me with big eyes! They don’t often hear that at home. Sensuality, sexuality, are not subjects that are discussed. I teach them to feel their body, to touch it, to love it. These things are not innate, I had to learn them too.” If in France, there is just as much progress to be made on the liberation of women’s bodies and how to awaken the new generation to sensuality, the task is all the more complicated in Lebanon, a patriarchal country where women benefit from less than 60% of

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the rights granted to men. “There is still a masculine control over women in Lebanon, via the father, the husband, the brother,” says Yousra, deploring the fact that her female compatriots still don’t have access to simple rights such as transmitting Lebanese nationality to their children or having recourse to divorce. “It took my mother seven years to get a divorce, all because she was the one asking for it, it’s scandalous!“ So giving dance classes that liberate bodies and femininity is her way of contributing to changing Lebanese society and shaping a new generation that she hopes will be “more body positive and emotionally intelligent”. Her commitment and talent didn’t escape the notice of Lebanese designers, like Karoline Lang who called upon her to choreograph the video for her AutumnWinter 2020-21 campaign, “La Danse des Femmes” (Women’s dance). In 2019, the Intercontinental Phoenicia Hotel in Beirut asked her and her friend Anthony Nahklé – another heels star in Lebanon and former performer for the Cirque du Soleil show Zumanity – to dance in their film Transitions. Yousra and Anthony, both perched on heels, went on an irreverent dance through the Beirut Palace. The video was hailed as much for its energy and daring as it was attacked by those who found it indecent (Oh My God... a boy on heels). Coming from a country that has been destroyed and resurrected a hundred times over, Yousa shows the same courage and resilience that most Lebanese share. She’s part of a generation determined to kick out corrupt political leaders whom she describes as “a militia, a mafia” and who have clung to power for more than forty years. Indeed, since the creation of Lebanon, the political system, meant to be temporary at first, has been that of confessionalism, which created cronyism and corruption, and where the recruitment of an individual is based on their community affiliation (Sunni, Shiite, Christian or Druze) and not on their skills. The major demonstrations of October 2019 aimed at putting an end to this confessional regime and demanded the resignation of their leaders. On August 4th, 2020, the explosion of 2,750 tons of ammonium nitrates that pulverized the capital’s port and ravaged Ashrafieh, the city’s oldest Christian quarter, was the last straw for the people of Lebanon. The disregard

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and neglect of their politicians killed 200 people, injured 10,000 and put 300,000 people out on the streets. On a trip to Italy at the time, Yousra was devastated. “I had to call my relatives one by one to find out if they were still alive, something I wouldn’t wish on anyone.” After the initial shock, she put all her energy into gathering and sharing information regarding solidarity actions being organised for her country, using her network to optimise them. “Using my small influence to help my country as it suffered was the least I could do at my level.” With no help from the government, Lebanese people had to get themselves out of the horror on their own once again, with the support of groups of volunteers who rescued the survivors and cleared the rubble from the streets as best they could. “Lebanon is a very fraternal country, when we suffer, we come together to overcome hardships as a group.” Yousra is apprehensive about the shock she knows she will suffer when she’s back walking the streets of the city again. Yet her faith in her country is unshakeable. Like many Lebanese, she knows that the time for political commitment has come and she hopes that the next elections will renew the ruling political class. Lebanon is also where she wishes to carry out a professional project that is close to her heart: to open an artistic agency to promote Lebanese culture and artists. Needless to say, this bombastic tornado is already changing the game far beyond the Land of Cedars.

“I TALK A LOT ABOUT THE FEMALE BODY TO MY STUDENTS. SENSUALITY, SEXUALITY, ARE N OT SUBJECTS THAT ARE DISCUSSED. THESE THIN GS ARE N OT IN NATE, I HAD TO LEARN THEM TOO.”


NIX AND MATCH IN ONLY THREE YEARS, THE LECOURT MANSION LABEL, FOUNDED AND DIRECTED BY ITS CREATOR NICOLA BECAME ONE OF THE YOUNG LABELS IN TOUCH WITH THE REALITY OF OUR TIME. THE BEGINNING OF AN ERA WHERE CLOTHING WOULD FINALLY BE AS GLAMOROUS AS IT IS COMMITTED AND AS POLITICAL AS IT IS SOPHISTICATED. INTERVIEW AND STYLING ANTOINE LECLERC-MOUGNE. PHOTO JÉRÔME LOBATO.

If you’ve just climbed the Lecourt Mansion bandwagon and still can’t put a face to the name, don’t worry, this may change very quickly. Just take a look at your Instagram feed and you’ll realise how much, in the space of a few seasons, the label has – quietly – taken its place in the wardrobe of entertainment giants (Kendall and Kylie Jenner, Lady Gaga...) as well as in that of the young guard of French and international pop music (Christine and the Queens, Yseult, Aya Nakamura, Kiddy Smile, Ichon...). Not content with dressing the pop and fashion icons of the moment, its founder and designer Nicola (“Nix” to her friends) also became one of them when she was chosen to star in two major 2020 campaigns: one for Jean Paul Gaultier’s Le Mâle perfume and another for Valentino accessories. But, frankly, this is just the cherry on top. Because what really makes Nicola’s strength is that she knew how to come up with a more than legitimate brand identity and a solid positioning right from the start: that of a house with a couture spirit that handles glamour as well as know-how and technical mastery, all the while redefining the fashion ecosystem and proudly sending gender standards packing. An energy that enabled her to win, in 2019, the Andam Creative Label Award (in the small, enchanted world of fashion, it’s like she won the Palme d’Or) and to establish herself among the list of designers who have expertly taken the pulse of their times and who have already begun to forge the story of tomorrow’s fashion. All this with audacity, assertiveness, discernment, wisdom and humility. Nicola, she really has this je-ne-saisquoi that others don’t have.

MIXTE. With a few years of hindsight now and several collections to your credit, how would you define your label? How has it changed since its debut?

NIX. I’ve always defined my creations as “evening wear”. The term came to me because I realised that It’s what i was creating: evening wear, party wear. And, from this perspective, it hasn’t changed. Every time I create a dress, it’s with the idea of being able to wear it out in the evening. This is true for any piece – suits, trousers, bustiers, pencil skirts, jersey or satin tops – and for any type of look – casual, executive... On the other hand, what’s

new this season is that I’ve started working on my first ready-to-wear line with a desire to adopt daytime codes a little more, and to get closer to a silhouette that we would normally see more during the day. In fact, I try to mitigate the constraining aspects of evening wear, while preserving its fragility and the idea of a certain flamboyance. M . You often use the term “flamboyance” when talking about your creations. This concept, originally born at the Court of Versailles, is also at the root of the camp aesthetic, with its emphasis on allure, attitude, opulence and “over the top” style. Do you consider yourself part of this movement? N. Absolutely. It’s a state of mind that I can definitely relate to camp. There’s no doubt about it. There’s something about camp in terms of its stature, its posture, its general look that speaks to me a lot. This “in your face”, almost blinding “raw” side. M . You even go so far as to call yourself a “magpie who likes shiny and colourful things”... N. Because magpies are always attracted to light, and it’s a bit the same for me. This flamboyance is like a light that brings me energy and well-being. I need it. I am a very solar person; so much so that at night the moon feels good. In the end, I believe that my style and my creations are just a reflection of this state of mind. M . You’re also famous for your ultraelaborate work on cut and choice of materials. We can sense that you attach a lot of importance to know-how and craftsmanship. There is a “couture” aspect to you, almost “haute couture”. Where does this come from? N. I don’t define myself as a haute couture designer in the strict sense of the word because it’s a very particular and well-defined appellation. Having said that, it’s true that craftsmanship plays an important role in my work. Everything comes out of the workshop, nothing comes out of a factory: with my team, we only work with artisans. I also form teams of seamstresses, and people who want to work with me are obviously attracted by this too. I think it must come from the fact that I simply love manual work. When I think about a garment, I first imagine how I’m going to materialise it, build it, and what technique I’m going to apply to it. For example, if I have to create something

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structured out of a fabric that isn’t, I will immediately think about adding a layer of organza or reinforcing it with a ticking. This way of doing things, a little experimental, makes the process inevitably more artisanal and therefore more manual. M. Do you think this is something that’s currently missing amongst young creators of your generation? N. I wouldn’t say that it’s missing because – Hey, I’m here! Especially since I don’t feel like I’m the only one either. The designers who work around me are passionate about cutting and they really know how to create great clothes without necessarily knowing how to sew. Generally speaking, a designer has such a capacity for observation that they know perfectly well how the garment will hang without knowing the sewing techniques by heart. However, I really believe that the notion of craftsmanship and know-how that we are talking about is terribly lacking in today’s fashion narrative. M. Could you expand on that? N. The industry tends to forget that fashion is all about making and manufacturing clothes. Of course, there is a very important sociological aspect to consider, in the sense that clothing is a person’s first language. It defines a society, an environment. Alas, there is a tendency to focus solely on these notions, at the risk of neglecting the purely technical aspect. It’s a pity. As far as I’m concerned, when I started designing, I was questioning myself a lot about creation as such. I initially thought to myself that there was no need to create any more pieces of clothing. I tried to detach myself from this desire to produce and manufacture. I turned the problem upside down and I finally came to the conclusion that we shouldn’t stop creating because it consists in bringing to life a know-how, a heritage, a history, trades. In short, a whole industry in its noblest form. As a designer I believe that the ideal is to succeed in combining these two perspectives: to build an ecosystem we can align with, while continuing to make clothes whose primar y function is to show who we are to the outside world.

M. You’ve just talked about a brand’s ecosystem. What’s yours like? N. It’s at the scale of Lecourt Mansion: growing slowly but surely, which allows me to think about it in a sustainable

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way. For example, I do a real job of sourcing and recovering materials. And since I have this obsession for technique and I know that materials will not all react in a similar way, I come to take into account the ecological impact of each stage. In my head I have this image of a tree sucking in carbon dioxide and exhaling oxygen. Yes... I see it like that, my ecosystem. Like something that sucks in the negative and exhales the positive.

M. You said you started working on a ready-to-wear line. That means more pieces and increased production. Doesn’t that undermine this ecosystem you just told us about? N. The aim of my range of ready-towear clothing is to be sustainable. This is achieved by producing limitededition pieces with limited material resources in particular. Basically, as soon as I start, I know exactly how many pieces I’ll be able to make with the fabric I have. And with today’s industry, I will have enough existing material available for a while. I’m really into the idea of reusing and recreating things that have been produced on a large scale. Why not do this from furniture fabrics for instance? When you look at sofa leather, it can very easily be turned into a bustier. In fact, I’ve always created this way, using the things I saw around me. Even before I started in fashion, I used to do customisation. If you ask my mother, she’ll probably tell you that my first garment was a curtain piece that I cut holes in as a child and then that I asked my little sister to wear it. I have always had this passion for transformation. That’s actually what I did when I created my very first collection at school, with bits of old fabrics I had collected from my great-grandparents – amongst others – and that I had accumulated over the years.

M. These

ethical issues (upcycling, consumption...) have become even more significant with the Covid-19 pandemic, which has greatly called into question the global functioning of the fashion industry (number of collections, overproduction, deadstock...). On the other hand, it also severely impacted young independent labels such as yours. How did you deal with these recent developments? N. 2020 is the year after I won the Andam prize. As a result, I had made a lot of investments with my two previous

“I REALLY BELIEVE THAT THE NOTION OF CRAFTSMANSHIP AND KNOW-HOW THAT WE ARE TALKING ABOUT IS TERRIBLY LACKING IN TODAY’S FASHION NARRATIVE.”

presentations. But because of the health crisis, many of my orders got cancelled. But I am not bitter because today I am lucky enough to be able to continue doing what I love. You have to know how to take the positive out of it: this strange period allowed me to deepen my reflection somehow, to know a little more about what I wanted to do and where I really wanted to go. One thing is certain: we must continue to work and keep this industry alive, but we must do so properly. I hope that we all move in this direction, because I see that around me, in this microcosm that is fashion and which ultimately also influences a lot of the outside world, more and more people are questioning themselves and changing the situation. Look at Jean Paul Gaultier. Long before the crisis, he was one of the first to reduce the number of his collections and to leave the official Fashion Week calendar with the famous phrase: “Too many clothes kills clothes”. I grew up in the 1990s and 2000s which were marked by the opulence of fashion and luxury, so that particularly impacted and influenced me. He basically refused to accept the rhythm that was imposed on him and preferred to do fashion his own way. He was absolutely right. Too much production kills creativity. As a designer, it’s essential to find a rhythm that you feel comfortable with. That’s what I intend to do for myself and, who knows, maybe it will inspire others to follow their own path. The fashion world tends to want to standardise everything, that’s what I think we have to keep in mind. Because when you apply standards to design, you end up imposing them on people and ways of


doing things. The solution would be to create your own standards in your own ecosystem and have them respond to each other. M. After the death of George Floyd in 2020, fashion was also particularly shaken by the anti-racist fights and the Black Lives Matter movements that exposed the industry’s systemic racism. in June 2020, you also called for demonstrations with the collective La Vérité pour Adama, in front of the Tribunal de Grande Instance of Paris. In your opinion, why does fashion still find it difficult to clearly question and deconstruct the discrimination it fosters? N. Because these issues are related to the question of standardisation that I just mentioned. When it comes to representation, fashion standards have remained that way for far too long: being white, being skinny... From the moment you try to impose this model and want to reach some kind of ideal, you lose the very principle of diversity and you end up creating and nurturing a whole system of domination and discrimination. If there is perhaps one good thing to remember about 2020 on these issues, it’s that the discussions have really opened up. On the one hand, the invisibility of racialised people has decreased and, on the other hand, I think we have also stopped hiding our heads in the sand by recognising that fashion is not a pretty world where diversity prevails, despite all that we were led to believe. M. What can be done to change that? N. What should not be done anymore is to entertain this sterile call out and cancel culture. We must not enter into a binary scheme and think to ourselves: “we’re the good guys and they’re the bad guys’’, thinking it will make us good people if we condemn problematic behaviour and mistakes of certain people. Pointing the finger at someone without going deeper into the debate and education does not make you a great person, but just one who takes notice. You have to integrate the fact that anyone who has acted badly may also be a victim of discrimination or may have acted without being aware of their power or privilege. If you want it to be virtuous, it’s essential to make the people involved aware that they have made a mistake. In the past, I too may have been virulent and blunt, because, having suffered a lot of discrimination, it made me sick to see other people

demeaned in the same way. For exemple, it was unbearable for me to see someone acting lightly without asking questions, especially if they were a cisgender, heterosexual white man. Now, I know that before rejecting everything outright, we have to make an effort to raise awareness, even when still being confronted with a lot of stigma and stereotypes. Most black women reporting racism are going to be labelled “angry black women“. As for me, if I say something vindictive, I will probably sound like that crazy trans woman who won’t shut up. After all, if you count the number of times I’ve been attacked in 2020, even with my privileges, you’d think there’s a lot of shit to deal with in this world. In spite of that, I try to have a clear, precise and definite peaceful approach, even if I am still afraid to react violently sometimes. We need peaceful and cultural weapons. Fashion and clothing can become one of the best tools of knowledge and transmission. Having said that, I don’t want to be too corrosive either, or to pass for the chick who shows off her knowledge on the subject while making sequined dresses on the side! What I do know is that I’m learning more and more every day, that I’m deconstructing as much as I can. I am more aware of my own reality and that of others. Because, obviously, my reality is not yours, any more than it is that of my booty call yesterday! M . This type of approach and the positions you’ve taken have quickly branded you as a young activist designer in the media and the fashion world; first of all because of your desire to deconstruct gender norms through your clothes, but also because of your trans identity. What do you make of this label? Do you clearly see yourself as an activist? N. I am a trans woman. This is a reality. When I create, it’s necessarily around what I know. The outside influences me, and being discriminated against on a permanent and daily basis is bound to affect my work. As I said, we live in an era where the socio-political aspect of clothing is very much highlighted. As a result, my creative process may seem political as such. On the other hand, even if my body (and by extension my life) is political, I am not a politician. I am above all a designer who likes to talk about clothing because it is her job. I’m a committed citizen, but I don’t

want the issue of activism to detract from what I really have to say with my fashion. That is to say, keeping in mind the idea of a sustainable ecosystem, being inclusive and making myself as accessible as I can while respecting all my socio-political beliefs. What I want above all is to dress people. And to do it as well as I possibly can.

M . Designers often have in mind the identity of the person who best represents their brand, as if they were inventing a character. Who do you think best embodies your label? Is there a “Lecourt Mansion” type? N. I like that each person can make my clothes their own, so I don’t want to define a specific type. It bothers me to describe my potential customers so precisely. Personally, in an ideal world, there wouldn’t be one type of person wearing Lecourt Mansion in particular, but a plurality of men and women. M . What would these people have in common? N. They would be passionate. Many would be artists, painters, musicians... They would be creative people, who would look for something different from what they’ve been told. Because that’s what I like, and it’s clearly the people that I get along best with and that I’m attracted to. M . What do you want these people to say or feel when they wear one of your creations? N. The moment when I really feel like I’ve made a successful dress is when I’m in a booth with a friend, a client, or a model, and I just hear a spontaneous “Wow”. At this point I think to myself: “Ok, I did my job”. If the person sees and likes themselves in my clothes, it’s a victory. What I want is for them to feel strong, to experience some kind of power and get the best out of themselves. I want to allow them to feel that power. To be fearless, empowered, confident. Flamboyant.

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BY SEEKING TO ATOMISE THE ANTHROPOCENTRIC LIFESTYLES AND CONSUMPTION PATTERNS IN WHICH WE ARE ROOTED (FASHION, HOMES, FOOD, WELL-BEING) THE FUNGUS AND ITS THAUMATURGIC EFFECTS ARE WELL ON THEIR WAY TO HELPING US SAVE THE WORLD. FOCUS ON A SPECIMEN THAT WILL ALLOW US TO BEGIN OUR METAMORPHOSIS. WORDS BY DÉBORAH MALLET.

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SPORE ILLUSTRATED In 2019, the Paris based Centre Pompidou hosted La Fabrique du Vivant (The Living Factory), which brought together biomimetic creations such as the armchair from the Dutch studio Klarenbeek & Dros developed from the 3D printing of living mycelium. Between January and April 2020, The Art, Design and Future of Fungi at Somerset House in London testified to the force of fungi. Among the contributions of Hamish Pearch, Seana Gavin, Cy Twombly, Takashi Murakami and Alex Morrison, one creation from South Korean artist Jae Rhim Lee stood out in particular: her “Mushroom Death Suit”, a burial suit infused with mushroom spores, promotes a quicker breakdown of our bodies into a toxin-free compost. Fascinating, isn’t it? Curator of the exhibition Francesca Gavin offers a first, very lewd explanation for this obsession with the fungal world: “Obviously the phallic and genital aspect of mushrooms is very intriguing. Just look at the popularity of mushroom themed Instagram accounts and mushroom growing videos... More seriously, in a standardised and industrialised society, we all want to reconnect with nature. The more we learn about mushrooms, the more we reconsider how nature works. The mushroom is neither a plant nor an animal, although it is still closer to the animal and shares with us a common unicellular ancestor.” Indeed, scientists, entrepreneurs and stock exchange experts are now turning to the Fungi Gang to find salvation, or at least solutions to the ecological and human emergency we have become entangled in. It’s only fair, considering this living organism has long suffered from our superiority complex and the species hierarchy (thanks Aristotle!). Mushrooms are perhaps our only hope in rethinking our various lifestyles and consumption patterns, but also in ensuring our survival if ever “tout est chaos” (everything is chaos), as French artist Mylène Farmer sings. Francesca has a point: “Whether you’re interested in nature, food, architecture, design, economics, the arts, etc. mushrooms touch every field and can chart new, desperately needed paths for imagining the future.”

“Mushroom city”, WWMushrooms serie de Seana Gavin.

ALL ON SHROOMS!

The fascinating story of the mushroom and the growing popularity it elicits year in year out are worthy of a Cinderella fairy tale: At first glance, we wouldn’t necessarily have bet our last dime on this slattern (no offence), yet after months of cumulative lockdown with the slogan “party’s over‘’ drummed into our ear, it has become as tempting as an invitation to a Booder show. All it took for us to finally give the mushroom some credit was for the fashion world to shine its light on it and for supermodel Bella Hadid to “Embrace the Beauty of Mushrooms” (Vogue US last October). Although as you might expect, mycology isn’t her strongest suit (miss us with the gynecological jokes here), that didn’t stop her from playing fungi’s advocate – the scientific term for mushrooms – either by displaying it on the T-shirt she wears to tinker with a swing or on her manicured nails by nail artist Mei Kawajiri. But Bella isn’t the only one with a mushroom obsession: JW Anderson has printed fly-agarics on T-shirts, jumpers and hoodies; Olympia Le-Tan and artist Ana Strumpf have also embroidered this toxic fungus on minaudières; Gucci painted it on a leather biker jacket and printed it on T-shirts reading “Not a Human Voice”; Vivienne Westwood made fly-agaric inspired jewellery, while Miu Miu took it literally when she designed mushroom cap-shaped headgear for her Resort 2020 collection (are you getting Inception vibes?) For its part, the more confidential brand Eden Power Corp will dedicate its Spring-Summer 2021 collection to fungi with its “zadist fan of mushroom spots” looks, shot at the mushroom farm Les 400 Pieds de Champignons in Montreal, and called on the Amadou company to design a bob out of mycelium (the multiple filaments making up the vegetative apparatus of the mushroom). Mushroom mania isn’t limited to the fashion sphere: Phyllis Ma has made it the colourful subject of her still lifes. The artist and photographer does not find her subjects in modelling agencies, rather at the Smallhold urban farm in Brooklyn and the forests of upstate New York where she captures this lovely bunch in her self-published magazine Mushrooms & Friends. Even museums are opening their gates to fungi.


WON’T YOU TAKE ME TO FU N GI TOW N A friendly piece of advice: make absolutely sure you don’t develop a mushroom allergy in the near future. Because not only will you eat mushrooms, but you’ll soon wear mushrooms, you’ll apply mushroom make up, you’ll buy mushroom furniture and live in a mushroom house (yes, just like the Smurfs!). Last October, alongside Stella McCartney, Adidas and LuluLemon, the luxury group Kering – owned by François-Henri Pinault – announced the creation of a consortium with American company Bolt Threads, manufacturer of Mylo, a mycelium based textile cultivated to mimic leather to perfection, certified oil and cruelty free and guaranteeing better traceability of the raw material. Announcements to this effect were quickly followed by deeds: starting 2021, some of their commercialised creations are made entirely of this revolutionary “faux leather”. In their press release, the two founders, who have degrees in biochemistry and bioengineering to add “Mylo is obtained using a very efficient and low-impact cultivation process: the growth period does not exceed two weeks and the greenhouse gas emissions and water requirements are much less dramatic than those generated by the manufacture of animal leather,” Bolt Threads is only the tip of the iceberg, as many other startups have been working for more than a decade to bring mycelium into the sustainable production chain. Founded in 2004 by Aniela Hoitink, the Dutch company Neffa saw its MycoTex material, guaranteed pesticide-free and biodegradable, awarded the H&M Foundation’s Global Change Award in 2018. Created in 2013, Californian startup MycoWorks raised – with the participation of actress Nathalie Portman and singer John Legend – 45 million dollars last November to finance its Reishi textile in order to develop partnerships with luxury brands. The New York company Ecovative Design, founded in 2007 and specialising in 100% compostable packaging, has for its part expanded into furniture design while Indonesian company MycoTech Lab, which is betting on “myco-technology” as a new building material, joined forces with the

German architect Dirk Hebel in 2017 to create MycoTree, a mycelium and treeshaped structure that can carry the weight of a two-storey building.

FU N G YOU VERY M USH! And let’s not forget about food: it is no longer just a matter of picking mushrooms, but also turning them into a convincing meat substitute. This is the spearhead of companies like Meati and Atlast Food Co (the “animal free meat” branch of Ecovative), driven by an astounding figure: 68 billion dollars; the estimated worth of the global market for edible fungi in 2024, according to American biologist Merlin Sheldrake. Now may be as good a time to order Made in France DIY kits to grow your own oyster mushrooms at home from La Boîte à Champignons and Fungus Sapiens especially since, according to Bryan Walsh – author of End Times, published in 2019 – mushrooms would ensure our survival in case of natural or human disaster (nuclear war, asteroid impacts and all that..). For him, mushrooms would be our best allies in an apocalyptic environment devoid of light, since they don’t need any to “rise & shine”... and prosper. Even NASA is orbiting around Planet Fungi. Last July, cladosporium sphaerospermum, which grows in the contaminated zone of Chernobyl, was sent aboard the ISS for examination. It was found that it could be incorporated into astronauts’ suits to form a protective layer against cosmic radiations, which can cause cancer and DNA damage. And it’s far from over, as the American space agency is considering mycelium to grow houses on Mars and the Moon... literally like ...mushrooms. Hallucinating.

HOW MANY MYC’S The mushroom is that good friend who means well, especially in year 2 of Covid where everyone is longing for more selfcare. And the parallel with hemp and CBD is not fortuitous, as they all have their roots in traditional and holistic medicine. Far from being a niche trend, Shiseido has enriched its Ultimune treatments with Reishi extracts, while Origins has enlisted the services of Andrew “guru of holistic medicine” Weil, to develop

its Mega-Mushroom cosmetics. Rich in vitamins D and B and courted by naturopaths for their adaptogenic benefits (antioxidant and immune system booster), Reishi and Cordyceps are present in food supplements and edible powders marketed by emerging French companies Mycelab, Hygée and Maison Loüno. A quick reminder: traces of fungi can even be found in antibiotics such as Penicilium notatum, the parent of all penicillins. The maxim “good for body and mind” has never been truer than in mycotherapy. It is therefore not surprising in the current context where we rely on all things mystical, that psychedelic therapies (which means “revealing the soul”) arise curiosity. As Marion Neumann – mycophile filmmaker and psychonaut whose documentary entitled The Mushroom Speaks will start its festival tour in April in Switzerland and Denmark – points out, “the fungus has influenced many cultures in their spirituality and customs, notably through psychoactive substances such as amanite, psilocybin and rye ergot (thus LSD). And all over the world, pagan civilisations have explored different states of consciousness through psychotropic substances: coca in Peru, mescaline and psilocybin in Central America, ayahuasca or yagé in Colombia, Vedic soma (probably derived from fly-killing amanite) in India...” Two documentaries released on Netflix in early 2020 have also rocked the magic mushroomthemed boat: in Have A Good Trip, celebrities such as Ben Stiller, Sarah Silvermann or A$ap Rocky share their experiences with psychotropic drugs, while the first episode of The Goop Lab by Gwyneth Paltrow, is focused on a “healing trip” on shrooms in Jamaica. In both cases, the producers did not fail to point out that after 50 years of prohibition, American cities and states such as Denver and Oregon are in turns decriminalising the use, possession and farming of hallucinogenic plants, and therefore mushrooms. Even the FDA (US Food and Drug Administration) is once again authorising studies looking at the positive effects of hallucinogenic substances in the treatment of depression, addiction or post-traumatic stress disorder, picking up where Timothy Leary, Richard Alpert and Terence McKenna left off.

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M USH’ LOVE The work of these pioneers is of great interest to Marion Neumann who considers “there is a need to reframe the public debate and re-evaluate psychedelics not as drugs but as tools with the potential to help promoting healing if used responsibly”. The same goes for Jennifer Tessler, nicknamed Lodé, who co-founded London-based Alalaho organisation which coordinates “psilocybin-assisted” retreats since 2016. Psilocybin is a substance that is to mushrooms what THC is to cannabis. Nothing illegal about this, since the retreats take place in the Netherlands and have been the subject of research conducted by the Maastricht Institute: “Our days are punctuated by talking circles, walks, meditation and yoga practice, followed by a psychedelic ceremony where the participants ingest the truffles in the form of an infusion. The ‘trip’ itself lasts five hours before our facilitators accompany them as they gradually come down.” Proof that this is a serious matter: each participant fills out a questionnaire and is tested by psychotherapists who assess their physical and mental health: “Amongst our participants, bankers, war veterans, retirees (our dean is 78 years old), wellness enthusiasts, all sharing a similar urge to work through their anxieties, depression, or burn-out”. Who would have thought that Jean-Claude Van Damme’s “be aware” philosophy could be the key to helping us feel better in the 21st century? Marion Neumann, who does not wish to trivialise potential negative consequences or glorify the uncontrolled use of psychoactive substances, to add: “Psilocybin helps to elevate the mood in case of depression because our brain increases its entropy: our cerebral networks lose their specificity and begin to communicate with each other in an anarchic way. This cognitive chaos would unblock our thinking patterns, mired in pathological rigidity. This would provoke a radical revision of our life priorities and explain our greater behavioural flexibility”. According to doctor Deepak Chopra, interviewed in Have A Good Trip, this awareness-raising under psychotropic drugs even allowed the ecological, feminist and anti-racist movements to emerge in the 1960s. For Lodé, it’s clear

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that psychedelic substances push us “to see things from another angle, without constantly being at the centre (of the world, editor’s note), and to reconsider ‘the other’, even the infinitely small, without feeling the need to dominate or control it”.

OHLALALA DON’T FU N G WITH MY HEART! At a time when many countries are tightening up their policy on controlling people and restricting individual freedoms (Looking at you, French Global Security Act...), what the fungal kingdom is teaching us is precisely that seeking to control everything is futile. Mushrooms are so far beyond our surveillance that “it is estimated that, out of the 15 million living species on Earth, nearly 6 million are mushrooms. Yet, only 1% have currently been classified. Few of them have been studied beyond their basic form and function, and fewer than 100 species have been meaningfully integrated into human activities. These figures speak volumes about our limited understanding of their ways of life and what they have to offer” says Marion Neumann, who, at the end of 2020, co-organised with artist Frédérick Post the Mos_Espa festival in Geneva whose baseline was “mycelium is the message!” This is also what transpires in Anna Lowenhaupt Tsing’s The Mushroom at the End of the World: On the Possibility of Life in Capitalist Ruins, published in 2015. The American anthropologist was interested in matsutake, the first organism to resurface from the irradiated soils of Hiroshima in 1945 and living in total anarchy. It cannot be lab grown and thus escapes any productivist and industrial human logic, which requires natural elements and living things to be standardised and patented. A symbol of disobedience in contradiction with this “Age of Man, better known as the capitalocene”, as the philosopher Isabelle Stengers points out in the preface to the book. In the manner of a Jon Snow, we must face up to the fact that “we know nothing”. But we can always count on American mycologist Paul Stamets, author of Mycelium Running: How Mushrooms Can Help Save the World, to give us lessons in humility and to open our eyes to this world that escapes us. He is at

the heart of the documentary Fantastic Fungi directed by Louie Schwartzberg, another enthusiast, and narrated by Captain Marvel, aka actress Brie Larson. The 2019 documentary, with special effects akin to Avatar, explains how the fungal model, which lives in an interconnected network and in symbiosis with other species, should be applied on a larger scale, i.e. our own. Cooperation and mutualisation between the “living-beings ‘’ are also the watchwords of Marion Neumann. For her, it is time to restore the natural order because “fungal beings are the world’s oldest masters and are at the origin of life on Earth. About two billion years ago, the mycelian structure paved the way for plants, animals and the entire evolutionary process. Only recently has evolution been considered to be largely the result of collaborations with the fungal world – and not just of ‘survival of the fittest’. Fungi influence all life on Earth. They play an essential part in the redistribution of nutrients around the world. As builders of soils, they design entire ecosystems – and I’m not even talking about all the fungi in our bodies! they’re our lifelong companions, even if we’re not aware of it”. In 2008 an article in the American trade magazine Fungi entitled “Fungi & Sustainability”, concluded: “If the worst should occur, we can rest assured that fungi will rescue our planet again.” And to think that for a long time we thought it was going to be cats...

SCIENTISTS, ENTREPRENEURS AND STOCK EXCHANGE EXPERTS ARE NOW TURNING TO THE FUNGI GANG TO FIND SALVATION, OR AT LEAST SOLUTIONS TO THE ECOLOGICAL AND HUMAN EMERGENCY WE HAVE BECOME ENTANGLED IN.


MORPHING STORIES IN POP CULTURE ZOMBIES, VAMPIRES, WEREWOLVES, SUPERHEROES: WHATEVER FORM IT TAKES, METAMORPHOSIS HAS ALWAYS NOURISHED AND FASCINATED FICTION, RAISING EXISTENTIAL QUESTIONS INHERENT TO THE HUMAN CONDITION. A LOOK BACK AT EMBLEMATIC TRANSFORMATIONS IN POP CULTURE. WORDS BY THÉO RIBETON.

The first fiction of our era began with a metamorphosis. That of poet Ovid who, in year 1 AD, distinguished himself from his peers by bringing together in 15 books of 12,000 verses nearly 250 transformations inspired by GrecoRoman mythology (Zeus in white bull, Narcissus in flower...). “My design leads me to speak of forms changed into new bodies,” writes the author in The Metamorphoses. With this title, Ovid brought the notion of metamorphosis to the forefront (the term is non-existent in Latin and extremely rare in Greek) and was also the first to take an interest in and conceptualise the phenomenon. Indeed, there have always been bodies undergoing mutation in mythology, and this didn’t shock anyone until Ovid paid particular attention to them. “In many Greek stories, heroes or gods change form without these episodes being defined as metamorphosis,” explains Latinist and Hellenist Florence Dupont, professor emeritus at the University of Paris-Diderot. “There is no fixed transcendental order establishing animal, vegetable or mineral kingdoms… Given how blurred the lines are, this notion is arbitrary.“ By writing this long poem, Ovid did no more than inventory in one collection something that, in Antiquity, was merely a matter of the changing nature of things, of the banal hybrid order of the world. In fact, from the buffalo men painted on the walls of the Paleolithic cave of Altamira to Francis Ford Coppola’s Dracula, there have always been beings changing into others, demonstrating that when two bodies merge into one, a story begins. Happy coincidence or original force of fiction? In an attempt to answer this question, Mixte revisits the vast history of pop cultural metamorphoses, through some of its great figures, and the existential questions they ask us. Ready to transform yourself?

THE OLD GOTHIC SHAPE-SHIFTER “Talking about the movies is always talking about me, the vampire.” In Le Miroir obscur, une histoire du cinéma des vampires released in 2014, critic Stéphane du Mesnildot explains that this protean creature is inseparable from cinema itself – from its origins, but also from its process. Indeed, the vampire is

“the experimental creature in cinema, allowing it to test its limits: turning the image into its negative, exhausting black and white, making its colour (red, the ultimate colour) spring forth, plunging it into psychedelic ecstasies.’’ The organic, mineral and luminous metamorphoses of the vampire (able to turn into a bat, but also into a dog, a wolf and even into inanimate elements and things like the London fog or the shimmering moonbeams), are reflected in the photographic metamorphoses of the roll of film. Cinema then invented its panoply of visual effects (accelerations, superimpositions, filters, chromatic inversions...) by taking hold of the vampire in Nosferatu by Friedrich W. Murnau (1922), in the peak of German Expressionism Vampyr by Carl Theodor Dreyer (1932), or much later in Coppola’s adaptation (1992). A list of works that would not have seen the light of day without Bram Stoker’s famous novel, Dracula, whose English author began writing the first pages in 1897, at the very moment when the Lumière brothers’ first cinematograph cast its shadows on the screen of the Salon Indien of the Grand Café in Paris (as if by chance). If the metamorphic virtues of the vampire were initially associated with the idea of omnipotence, they metaphorically took on a far more self-destructive and morbid connotation at the end of the twentieth century. In The Hunger with Catherine Deneuve and David Bowie (1983), director Tony Scott symbolically deconstructs a certain idea of the Gothic vampire (the film opens with a nightclub scene to the sound of “Bela Lugosi’s Dead” by Bauhaus, Bela Lugosi being the emblematic interpreter of Dracula in the 1930s) and turns him into a creature embodying a new type of death: “The AIDS epidemic has already begun when the film is shot, and it is marked by this because the blood has become contaminated blood,” says Stéphane du Mesnildot. This is evidenced by John’s (David Bowie) striking accelerated ageing scene in the hospital, which painfully echoes the burgeoning epidemic: a deadly transformation, performed by the greatest shape-shifter in the history of pop music… It doesn’t get more meta. A few years later, the figure of the vampire enters teen pop culture via

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two major sagas: Joss Whedon’s Buffy the Vampire Slayer and Catherine Hardwicke’s Twilight. The vampire then represents a more puritanical figure, embodying the impossible love between a young girl and a male vampire, in this case Spike (James Marsters) in the first and Edward (Robert Pattinson) in the second.

SUPERHEROES’ FREAK SHOW If the vampire has indeed made its way into teen TV and teen movies, it is not, however, the great archetype representing the universal metamorphosis that is adolescence: this figure is the superhero. David Honnorat, co-creator of the 7th art Calmos newsletter and author of Movieland, le guide ultime du cinéma (Hachette), explains that “a well-known emblem of this aspect is Spiderman, notably through the adaptations of Sam Raimi”. In the first part of the trilogy, released in 2002, Tobey Maguire discovers his powers like a teenager taming his changing body – new muscles, narcissistic fits of pleasure and, of course, the uncontrolled bouts of web “ejaculations“: superheroism is a metaphorical puberty. However, it is far from being the only aspect of superheroic metamorphosis. “One figure I am particularly interested in from the point of view of metamorphosis is the Hulk, whose evolution in film and television is emblematic of the evolution of the genre.” Indeed, in the first adaptations of the late 1970s (in TV films and series), Hulk is the bestial alter ego of Dr. Banner, a nuclear physicist, who transforms uncontrollably under the influence of anger. Two different actors (including bodybuilder Lou Ferrigno) play the character. Twenty years later, the films Hulk (with Eric Bana), The Incredible Hulk (with Edward Norton) and then the debut of the Avengers franchise (with Mark Ruffalo) gradually distance themselves from the bestial aspect of the metamorphosis. First, the Hulk becomes a creature in CGI (computer-generated images), an augmented rather than animalised human; then comes Avengers (2011), where Banner is no longer at the mercy of an inner monster who dictates his moods, since he controls his transformation into the Hulk at will.

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David Honnorat to conclude: “Lastly, in the final instalments of the Marvel saga, the Hulk himself appears completely docile, wearing a T-shirt and a pair of glasses, cured of any kind of bestiality. It is the sign of a metamorphosis of the genre itself, which ended up standardising and evacuating its inner torments.” The contemporary form of the superhero genre has softened its metamorphic and hybrid aspect. This has not always been the case, as shown by Tim Burton, whose two Batmans exalted the notion of freak. “In Batman Returns, Michelle Pfeiffer’s Catwoman exemplifies a lighter – yet profound- metamorphosis, with a transformation that is above all psychological (she becomes a desiring and confident woman) as Burton brings out the monster in her – but he is rather on the monster’s side: it is a desirable bestiality.” It also has roots beyond the superhero genre, for example in Jacques Tourneur’s Cat People (1942), an essential work of classic Hollywood horror, in which a young fashion designer is gradually turned into a panther. In David Cronenberg’s The Fly (1986) the man/ animal metamorphosis meets one of its main masterpieces, tied to the director’s taste for monsters: Scientific Seth Brundle (Jeff Goldblum) invents a machine capable of teleporting objects, and accidentally hybridizes with a fly by testing the teleportation of living tissue on himself. Gradually turning into a half-man half-insect, Seth tries, in an ultimate fit of despair, to merge with the woman he loves and who is carrying his child, dropping these last words: “We’ll be the ultimate family. A family of three, joined together in one body... more human than I am alone.” A transformation which is reminiscent of the most important literary parable about metamorphosis of the twentieth century: Kafka’s The Metamorphosis, written in 1912 and published in 1915, the story of the inexplicable transformation of a young travelling salesman into a cockroach.

THE ZO M BIE: A POLITICAL BODY Along with superheroes, the second great reign of pop cultural metamorphosed bodies in recent

FROM THE BUFFALO MEN PAINTED ON THE WALLS OF THE PALEOLITHIC CAVE OF ALTAMIRA, THERE HAVE ALWAYS BEEN BEINGS CHANGING INTO OTHERS, DEMONSTRATING THAT WHEN TWO BODIES MERGE INTO ONE, A STORY BEGINS.

decades is that of zombies. Stemming from voodoo folklore, Haitian Zombis (without “e” in Haitian French) are human beings deprived of will by a toxic poison, as anthropologist Philippe Charlier explains in Les Zombies (ed. Le Lombard). Under the influence of a “chemical straitjacket”, they are dehumanised figures, but also avatars of slaves since they can be exploited: “They are new slaves, they completely lose their free will” and the voodoo priests use them “as household helpers, babysitters, sex slaves for some women (rarely for men) and most importantly in the sugar cane fields”, as seen in the first Hollywood film to depict them, Victor Halperin’s White Zombie (1932). But also in a recent and more authoritative variation on the theme, Bertrand Bonello’s Zombi Child (2018), adapted from the true story of Clairvius Narcisse, a Haitian man who was buried in 1962 and reappeared 18 years later. As early as the late 1960s, George Romero was the one to set its cinematic form and contemporary stakes, by adding a political subtext that became part of the genre’s DNA. Released at a time of strong protests linked to civic and peaceful actions, Night of the Living Dead (1968) frames the zombie figure as a symbol of the social change underway, as explained by the director himself in a lengthy interview given as part of the book Politique des zombies (Jean-Baptiste Thoret, ed. Ellipses,


2007): “The zombies in Night of the Living Dead represent revolution, they embody change, the desire for change. [...] The authorities resist, individuals resist, and by resisting, they reveal themselves, they try to face up to it, to communicate with this change, to defend themselves against it, it doesn’t matter. But at the end of the day, they always find themselves unable to cope and they get swallowed up.” On the contrary, in Dawn of the Dead (1978) what is exposed is the zombification of the consumerist society through the supermarket backdrop: On their own accord, Americans transform into beings deprived of free will. By putting the emphasis on the idea of collective infection, Romero’s films and their countless offspring (the Walking Dead series, inspired by the eponymous comic strip, the saga 28 Days Later, the various adaptations of I am Legend, the video game series The Last of Us...) have perhaps represented the most prescient metamorphosis of contemporary pop culture, as David Honnorat points out: “Being in a pandemic reminds us of a multitude of scenes or things that we have seen in zombie films.” More than others, zombie films have not only staged a metamorphosis of the body but also – in a very concrete way – of the space: Checkpoints, makeshift hospitals, confined and deserted towns reclaimed by animals... Through its political double entendre, through the world’s mutations it surprisingly anticipated, but also through its physical nature, the zombie is a metamorphosed human being who speaks to us very directly today, because “the zombie undergoes a very real kind of metamorphosis: it is the rotting body, it’s what is coming for all of us”.

RETURN OF THE WOLVES If superheroes and zombies (and vampires to a certain extent) still occupy a prominent position on the 2021 pop culture stage, they have nothing left to prove, and their place in the collective imaginary inevitably fades away as the public grows accustomed to their omnipresence. The timing seems ideal for a – not so – new figure of metamorphosis to emerge from young creatives’ mind, revisiting

a somewhat forgotten archetype: the werewolf. It is indeed featured in two recent indie films. First with The Wolf of Snow Hollow, by Jim Cummings, who has been one of the most promising talents of the American underground scene since the triumph of his first film Thunder Road at the South by Southwest festival (“the other’’ indie festival with Sundance). Then with Teddy, by Ludovic and Zoran Boukherma, which represents a certain revival of French genre cinema and should be released in theatres in the spring – if by then, theatres are open. Its authors stand behind revisiting this traditional figure of “metamorphosis cinema”, an inescapable part of the American pop horror of the 1980s (The Howling, An American Werewolf in London, Michael Jackson’s Thriller video...), as a theme that says a lot about modern times: “By centering the story on a young marginalised boy in his village, we thought that the werewolf could resonate with a lot of current issues linked to class complexes, but also radicalisation”. Teddy, a sympathetic, restless little boy, a rebel without a cause gently wreaking havoc in his Pyrenean village, slips into aggravated desocialisation and a violence that he does not control as bestiality takes hold of him. Although their film has a comedic touch, the Boukherma brothers claim its echoes to terrorism, recalling the term often applied to isolated perpetrators of attacks: “lone wolf”. Future star of the metamorphosis in pop culture, or just a passing fad in independent cinema? What will bodies be transformed into in the times to come? David Honnorat doesn’t have a definite answer to this question, but readily recognises metamorphosis as a primitive force of creation: “The purpose of a story is to show its main character’s transformation. And moreover, cinema itself is a story of metamorphosis: more than any other art, it is based on imitation and transformation: Portrait of a Lady on Fire is a metamorphosis of Titanic”. Above all, he reminds us of the main metamorphosis, the only one that really matters: “There is a process in fiction, whatever it is, which is to try to wrest the reader or spectator from who they are. Reading, watching a film, a series, a play, is transforming oneself”.

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June 2020. Following the death of George Floyd at the hands of the US police, a tsunami of black squares takes over social media as a sign of support to the anti-racist movement. First taking place in the music industry, the questionable online initiative is soon emulated by the fashion world. However, virtue signaling posts from fashion brands simply stating “Black Lives Matter” are not enough to satisfy the claims of Black and racialised designers (Pyer Moss, Christopher John Rogers…) calling for concrete measures to fight and effectively put an end to structural and systemic racism within the fashion sphere.

BLACK DESIGNERS MATTER SHAKEN BY THE BLACK LIVES MATTER MOVEMENTS OF 2020, THE FASHION WORLD HAD TO BREAK ITS SILENCE AND TAKE CONCRETE MEASURES IN FRONT OF THE NUMEROUS CRITICISMS IT RECEIVED. BUT IS THE “DREAM INDUSTRY” REALLY READY TO START ITS METAMORPHOSIS? WORDS BY ANTHONY VINCENT.

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At the epicenter of this social justice earthquake, the Council of Fashion Designers of America (CFDA) was the first, on June 4th, to put forward an action plan with programs to recruit, promote and mentor Black talent, as well as “diversity and inclusion” trainings and donations to anti-racist charities. However the newly created Black in Fashion Council was the one to truly distinguish itself this year. Cofounded by former Teen Vogue editor in chief and freshly appointed head of The Cut Lindsay Peoples Wagner, this collective bringing together Black creatives has, for its part, offered to establish an inclusion index allowing companies to measure their progress based on feedback from people in the industry. In the UK, the British Fashion Council (BFC) followed suit on June 8th, when it undertook to broaden the diversity of their boards of directors and to audit all member companies to assess them on their efforts to ensure diversity is better represented. In October 2020, the BFC continued its momentum with “The Missing Thread”, a project to showcase Black talent in British fashion from 1975 to the present day through various actions and events, including an exhibition coming up in summer 2022. Later on, sections of the Central Saint Martins library were dedicated to the contribution of Black people in fashion in partnership with i-D magazine. In contrast to the Latin duo Paris-Milan, the Anglo-Saxon countries are used to addressing and dealing explicitly with these issues. So, what actually happened within

the French and Italian institutions? At first, the Camera Nazionale della Moda Italiana (CNMI) limited itself to posting a simple black square. That is until Stella Jean and Edward Buchanan (DA of Bottega Veneta in the 1990s, today mainly consultants for various Italian brands), two of the country’s few Black designers, contacted the institution at the end of July to propose an action plan. To avoid repeating the recent racist fashion faux pas of the transalpine labels, they suggested, among other things, the setting up of an inclusion index. Tired of being the only Black owned brand amongst the hundred or so houses making up the CNMI, Stella Jean also announced that as long as she remained the Black exception to the white rule, she would no longer be taking part in the Milan Fashion Weeks. To defend himself, the president of the CNMI Carlo Capasa replied that he was already making huge efforts, going as far as communicating the amount of financial aid allocated to Stella Jean’s company to prove his point: in essence, a covert ingratitude lawsuit aimed at diverting attention from a lack of action on the part of the institution. Anyhow, after the demonstrations of New York and London and the tepid attitude of Milan, the eyes inevitably turned to Paris, which said little to nothing. The almost muted reaction of the fashion capital naturally prompted designers, students and professors to express themselves on the efforts and profound changes that remained to be implemented.

PARIS THE RELUCTANT The reaction from the Federation of Haute Couture and Fashion (FHCM) could be summarized in a word: Silence. Indeed, last June the institution did not post anything about antiracist movements on their Instagram account. However, on June 2nd, a black square soberly captioned “Black Lives Matter” appeared on the more popular account @ParisFashionWeek. A succinct communication, to say the least, which Serge Carreira, head of emerging brands at the FHCM, strongly defends: “It is true that we didn’t communicate head-on on the subject. It was done in a more subtle way”. In


July, Naomi Campbell gave a speech for the Paris Couture Week, then various roundtables and interviews with designers were produced and filmed by Canal+ to be broadcast over the rest of the year. Serge Carreira continues: “Our calendar remains our best communication tool: talents from all over the world come to Paris to participate in fashion shows, so much so that 50% of the calendar is made up of foreign brands, which is a great source of pride.” Indeed, Fashion Weeks in New York, London or Milan most often focus on their local talents and do not display such a diversity of origin amongst their designers. “When Thebe Magugu or Kenneth Ize come to present their collections in Paris, they benefit from a precious reception and support. It’s because we want to reflect the best of today’s design that Paris Fashion Week is so diverse,” continues this former Prada and Mary Katrantzou executive. For him, it’s above all a question of differences in communication strategies: “We didn’t want to make any big announcements, or rush an action plan. On the contrary, we have always worked to ensure that the greatest possible diversity can be expressed here, and this is a fundamental work that we continue to carry out without making it a communication lever. For the new generation of designers, I also note that the commitment against racism goes without saying. It is not about effort or performance: it is an integral part of their world and their values.”

© DR

DOUBLE STANDARD The difficulty of emerging as a Black talent, however, is coupled with the difficulty of remaining in existence, as Imane Ayissi’s multifaceted career attests: “I have been a dancer, a model, a storyteller, and today I am mainly a designer”. After ten years of walking the catwalk and posing for magazines where he sometimes felt exoticized, he founded his company in 2001. Initially set to the rhythm of ready-towear Fashion Weeks, he changed his pace in 2013 to present his creations in parallel to the Haute Couture Weeks. A winning strategy, as he finally becomes an invited member of the official 2020 calendar. “When applying, on top of

the demanding criteria of the garment industry, you also have to benefit from the sponsorship of other players in the field: in my case, the Maison Saint Laurent and Didier Grumbach. This selectivity is a good thing to make the couture week a prestigious showcase, but it may also contribute to the fact that it takes infinitely more time for designers who don’t come from the same background.” This homogeneous and calibrated elite may still ignore the great craftsmanship that serves as the basis for the creation of traditional African fabrics, such as Kente from Ghana, Manjak from Senegal, Raffia lace from Cameroon, or Faso Dan Fani from Burkina Faso. It took nearly twenty years of creations for the resilient Imane Ayissi to access the official calendar, as opposed to two seasons for Charles de Vilmorin, a 23 years old designer who graduated from the École de la Chambre Syndicale de la Couture Parisienne in 2020, and two years for Sterling Ruby. In this instance they were both appointed guest members on the 2021 calendar. When asked if he feels that a double standard is at work in the designers’ selection, tears come to his eyes: “All I can say is that nobody came to discover me, I was spared nothing, I have to prove myself time and time again. I’ve been working in this sector for thirty years, and that’s what allowed me to get to where I am today. If some people find it less difficult than others, good for them. I don’t complain, nor do I blame them. I just find that when you’re a Black designer, you’re often treated as a perpetual emerging creator.” And you find yourself unwillingly in charge of the show, as Imane Ayissi points out: “To be the first and only designer from sub-Saharan Africa on the Haute Couture calendar is a huge honour that comes with an equally huge amount of pressure. A kind of injunction to represent, to set an example, as if I was one of the only ones being able to show that Africa is standing.”

fashion industry rarely gives this kind of opportunity to Black designers. Case in point, the number of Black designers who have access to this type of position in France can be counted on the fingers of one hand: Ozwald Boateng, British of Ghanaian origin at the head of Givenchy Homme from 2003 to 2007; Olivier Rousteing, French of Somalo-Ethiopian origin, at the head of Balmain since 2011; Virgil Abloh, African-American, who has been holding the reins of Louis Vuitton Homme since 2018; and Rushemy Botter, Dutch of Caribbean origin at the head of Nina Ricci with his partner Lisi Herrebrugh since 2018. Apart from Olivier Rousteing (adopted by a white French family), these men all grew up outside of France, almost like a prerequisite to make it acceptable, cool even, to appoint a Black person as head of a piece of national heritage. Does this mean that Black French talent does not exist or rather that it is incompatible with the idea of luxury in France? To address this issue, Chiefs Diversity Officers (CDOs) have just been appointed at the head of the giants of fashion: Kalpana Bagamane Denzel at Kering, Hayden Majajas at LVMH, and Fiona Pargeter at Chanel. Their mission? To improve inclusion and to ensure that “people feel sufficiently considered, listened to and comfortable enough to speak up within the company. This is the key driver to enable teams to reach their full potential”, says Kering’s CDO Kalpana Bagamane Denzel in Le Monde newspaper. Workshops, lectures and mentoring at all levels of the hierarchy are aimed at changing the corporate culture and thus preventing racist scandals. Even then, recruiting Black talent is proving difficult in the land of the Enlightenment, a country still clinging to its shaky republican ideal and rusty concept of universalism and equal opportunities. However, a few signs give us reason to believe that this may finally be starting to change.

FRO M DIVERSITY TO INCLUSION

SYSTEM, QUOTAS AND...

Unsurprisingly, one of the most effective ways to sustain one’s small fashion business in Paris is to be appointed artistic director of a heritage house. However a biased

“As a speaker at several fashion schools, I am training the managers of tomorrow and I see a small but positive improvement regarding workforce diversity,” says Ramata

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Diallo, consultant and professor in luxury strategy. The woman, who was in charge of collections for various French brands for ten years, explains: “I appreciate and commend the efforts made regarding catwalk castings and advertising campaigns: they are proof of a much needed realisation. Observing their performance on social media proves that it can be a winning communication strategy. But although we see a lot of racialised people in fashion campaigns, there is still a lot of progress to be made in all [the other] departments of fashion’’. In other words, the industry in Paris still waves the flag of opportunistic diversity rather than authentic inclusiveness. For example, when human resources in the textile industry are asked about the lack of diversity among their employees, they generally retort they receive few CVs from racially diverse, and moreover sufficiently qualified people. Alas, this would be forgetting that the fashion industry functions a lot (if not exclusively) by recommendation and a privileged access to contacts in the industry, as the doctor in social anthropology Giulia Mensitieri found in her 2018 book-survey The Most Beautiful Job in the World: Lifting the Veil on the Fashion Industry where she was able to observe the extent to which this environment normalises inequalities in order to better appear homogeneous and justify its endogamy. She writes: “Fashion places structural and systemic asymmetries in the inter-individual and subjective sphere. This normalising and individualistic posture is shared by the majority of workers [in this field], who face the inequalities and dominations of this industry in a competitive spirit”. Indeed, in small and posh French circles, many people still think the French word Noir is an offensive term, preferring to water it down to Black, unable to see the communitarianism they perpetuate. “In France, when you’re Arab and work in fashion, it is often because you’re an Uber driver during the Fashion Week”, jokes Charaf Tajer in Le Monde, having created the Casablanca Paris label in... London. So how do you break this dynamic? According to the strategist Ramata Diallo, quotas can encourage diversity in France, even if the idea remains highly controversial:

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“In politics, it is easy to see how the numerical targets for parity have been able to speed things up. Chiefs Diversity Officers recruited by the fashion industry should not be seen as bad buzz managers and should have their hands free to set targets and measure progress.” Where the pragmatism of the US and UK speaks directly of racial quota and inclusion index, to this day France’s history makes ethnic statistics a taboo best left untouched.

...SELF-CENSORSHIP In the clothing industry, structural and systemic racism can sometimes become internalised and lead to many talents self-sabotaging, as Rachel, a textile student at the École nationale supérieure des Arts Décoratifs (EnsAD), testifies: “When I was accepted into this public school, I wondered if it had been through positive discrimination. My teachers assured me that it wasn’t, but it’s a suspicion that other classmates may have and it’s a thought that continues to make me feel illegitimate”. Indeed, several studies show that the impostor syndrome predominantly affects Black people, and especially women. Christelle, a fresh graduate from the Institut Français de la Mode (IFM), also fought against this selfcensorship: “As a child, I thought that the only way to work in fashion as a Black woman was to be a model. The awareness of being excluded from this environment almost helped me as it prevented me from deluding myself. From high school on, I used to look at the IFM promo photos every year to count the number of Black people: either there were none, or one or two”. After a preparation class and business school, she was accepted at the most prestigious fashion school in the country: “There were eight Black people out of a class of 70 students, so it’s clearly improving, without any logic of quotas or positive discrimination.” According to her, the precious advantage of this private school on these issues lies in the students’ proactive role: “The IFM does not communicate publicly on racism, but students are always welcome to ask questions without taboo in class, so much so that it could lead to an optional teaching cycle on cultural appropriation, for example.” The

ONE OF THE MOST EFFECTIVE WAYS TO SUSTAIN ONE’S SMALL FASHION BUSINESS IN PARIS IS TO BE APPOINTED ARTISTIC DIRECTOR OF A HERITAGE HOUSE. HOWEVER A BIASED FASHION INDUSTRY RARELY GIVES THIS KIND OF OPPORTUNITY TO BLACK DESIGNERS. THE NUMBER OF THEM WHO HAVE ACCESS TO THIS TYPE OF POSITION IN FRANCE CAN BE COUNTED ON THE FINGERS OF ONE HAND.


problem is that the gap between what can be done internally and what cannot be said publicly persists and normalises a model that can also be observed in the business world, says Christelle: “Even if it remains divisive, Nike can be committed to anti-racism because it is almost expected from such a popular brand, whose culture is closely associated with Black people. On the other hand, it would seem out of place from European heritage houses.” And if Balmain seems to be the only brand to achieve this, it is because Olivier Rousteing allows it not to appear disembodied, opportunistic and/or inappropriate. For the young graduate, Black talent exists and the effort to hire and develop it is a social equity issue: “The reflex of only recruiting white people is an unconscious bias but choosing to recruit racialised people is a conscious decision. I have always self-censored myself at the idea of working with the big French luxury groups because I am Black. These are not spaces where I would have felt authorised to be myself from the get go, because the system of domination is embodied and cultivated there.”

LUXURY, COLONY AND W HITENESS “Domination”, that’s what it’s about. Rachel, from EnsAD, agrees with Christelle: “In the West, we acknowledge Asian countries as abounding in both ancestral traditions and technological prowess that seem futuristic to us. But we still see Africa as being stuck at the primitive stage”. This allochronic vision of the continent is reflected in many collections and campaigns, she continues: “Black people are on moodboards and catwalks, but never on boards of directors, rarely in creative studios, and even less so in teaching.” According to this public fashion school student, it is her own teaching that should be decolonised: “Neglecting the importance of the ‘Global South’ as a source of raw materials, cheap labour, but also of know-how that cannot be found in the West, also seems to me to be a racist bias in fashion teaching that should be decolonised. Forgetting where cotton, silk, cashmere and the hours of hand embroidery for many European houses

come from testify to our racist blinkers.” Indeed, the history of Western luxury is closely tied to that of colonisation. For example, the portrait of Marie Antoinette in a Chemise Dress (1783) by painter Élisabeth Vigée Le Brun boosted the demand for cotton, a raw material produced on the other side of the world thanks to slavery. According to American historian Robert Fogel, slaves were the one to establish American agricultural power before industrialisation and enabled the setting up of railways, which were decisive for the economic prosperity of the United States. Historic houses such as Louis Vuitton (founded in 1854) and Burberry (1856) prospered by accompanying the richest in their daily lives, such as sports and travel. Pyjamas, safari jackets and Jodhpur trousers are all colonial legacies which have become iconic in fashion because our Western societies have often associated domination with prestige. In addition to raw materials coming from colonised countries to be processed in Europe, colonisation also contributed to imposing white aesthetic ideals in all corners of the world, and thus to the association between luxury and whiteness. Even though a large part of the clothing industry was relocated to the Global South from the 1970s onwards, European brand logos remain markers of social success internationally. Despite globalisation, two companies are sharing the biggest slice of the cake: between them, LVMH and Kering generated nearly $79 billion in revenue in 2019. Should someone wish to succeed independently, money, which may have no smell, does have a colour. Without start-up capital, it’s difficult to grow, let alone quickly, in an industry that usually requires you to advance the cost of a collection in order to produce it. And yet, the ones managing to raise funds all share the same profile. According to data published by the investment company Atomico in 2018, 93% of the funds invested in European start-ups benefit all-male management teams. Anthony Bourbon, head of the start-up Feed, explained in Le Monde in January 2020: “BPI [Public Investment Bank] money, investment fund money only goes to those who look like them, white men who studied at HEC

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[a renowned French business school], never to Black women with ambition.” In the United States, where ethnic statistics are more widespread, the mind-boggling gap becomes obvious: according to African-American investor Arlan Hamilton interviewed by Les Echos in May 2019, women, Black people and LGBTQ+ receive less than 10% of the capital invested in start-ups. According to Fast Company, even though Black women are amongst the most educated and business minded people in the US, they raised less than 1% of these highly endogamous investment funds in 2017.

STORYTELLIN G AND HERITAGE So what concrete measures could be taken against these tired attitudes? According to student Rachel, the Federation could have an incentive role to play: “If it spoke out unequivocally [on the matter], it could push large companies and other institutions, including financial institutions, to do the same. Too many French companies are hiding behind the impossibility of conducting ethnic surveys to justify their lack of ambition, reflection, and investment on these issues. But other solutions exist.” Starting with education, says strategist Ramata Diallo: “Racist prejudices are learned from childhood. So we need to fight them, in a light and playful way, as early as possible, so that they don’t become a taboo resulting in identity-related tensions”. In fact, she teaches courses on inclusiveness at the Paris School of Luxury and is a great believer in mentoring racialised students with the hope that these practices will become widespread in France. According to the luxury goods strategist, as a Corporate Social Responsibility (CSR) issue, diversity and inclusion should even be included in ethical fashion label charters: “These certifications have the merit of being understood and identified as a guarantee of quality and transparency by the general public, who will thus be better able to appreciate the commitments and the efforts made by the different brands”. For the designer Imane Ayissi, storytelling can also help to change the way things are perceived: “In Africa, it is common to have things made to measure at a

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tailor’s or shoemaker’s so it doesn’t seem exceptional or luxurious. On the other hand, what is perceived as a symbol of success is European readyto-wear, which has managed to make its storytelling about heritage. It is up to us to do the same, to enhance the richness of our heritage, to make Made in Africa desirable, and to make Black people proud of their roots”. A message that undoubtedly resonates with Mossi Traoré and his label Mossi. Winner of the Pierre Bergé prize at ANDAM 2020 and founder of a training centre dedicated to the sewing professions. The Black designer was back in the 2020 official calendar after an absence of nine years, as he presented his collection In Paris. A winning comeback marked by a dancing catwalk where the voice of rapper Kery James punctuated the models’ steps: “Qu’ils n’essaient pas de me faire croire qu’aujourd’hui le monde est cool, alors qu’hardcore et critique est la situation” (“They shouldn’t try to make me believe that today the world is cool, whereas hardcore and critical is the situation”). During this same Fashion Week, the Paris fashion community was also able to discover the first collection of Marianna Benenge Cardoso, a professional waacking dancer and French designer from Congo. Behind closed doors, she presented “Effrakata”, the first fashion show of her very young brand Tantine de Paris. In parallel with the Paris Fashion Week, her funky, colourful and retro-futuristic collection was probably one of the best surprises: “Over there, (in Congo, editor’s note) we pay attention to your looks. In order to exist, you have to be seen,” says Mariana Benenge Cardoso, explaining the references and inspirations that nourished this first fashion show, a real nod to African Aunties, Chinese culture, sapology and Congolese-style chic opulence, all with a hint of ballroom culture – it was the famous dancer Matyouz, a member of the House of LaDurée, who presented the outfits at the beginning of the catwalk. We can be reassured: the storytelling is well and truly changing.


A CRYSTAL ODYSSEY AT ONLY 19, CRYSTAL MURRAY QUICKLY DEVELOPED A MATURITY THAT ALLOWED HER TO TRANSFORM HERSELF SEVERAL TIMES ALREADY. IN 2021, THE YOUNG SINGER IS ON HER WAY TO CONQUER US WITH HER NEO-SOUL SPIRIT AND IMPETUOUS ENERGY. INTERVIEW OLIVIER PELLERIN. PHOTO JULIEN VALLON.

Coming from a family of musicians, Crystal Murray seems to have lived a thousand lives already, as evidenced by her many experiences and astonishing wisdom. Very early on, this Parisian made concert halls around the world her kindergarten, following her father, the American free jazz saxophonist David Murray on tours, and her mother, the world music concert producer Valérie Malot. As a young woman of her time, she claims her birth year, 2001, not as a space odyssey but as a pragmatic master’s degree in “connected societies”. Long before the term existed, she was indeed an influencer within the Gucci Gang collective that she spontaneously created with three college friends – including Thaïs Klapisch, whose father Cédric directed her video clip August Knows – she then founded the Safe Place platform, which gives a voice to young people and helps them fight against harassment and abuse. Crystal is now entirely dedicated to her music and released her first EP, I Was Wrong, in 2020. Her neo-soul sounds and lustful, danceable, raucous voice are reminiscent of the glorious elders of the genre, from Erykah Badu to Macy Gray. Always in good company, Crystal just created her label Spin Desire, to reveal the effervescence of talent that she surrounds herself with and that she animates, notably within the Hotel Room Drama project. Dian, the first singer-songwriter to sign on the label, is a spellbinding trans artist who graces Crystal’s soul with trap-drapes in their first release “GGGB” (for Good Girl Gone Bad). A song that sounds like the promise of a metamorphosis for the singer, who explores more daring avenues in the face of the inactivity imposed by the pandemic. Her youth, rich in a thousand influences, now provides her with enough culture to make it the breeding ground for a unique creativity, and we would see her follow in the footsteps of an AfroEuropean Solange. The interview reveals a young woman eager to move the lines.

MIXTE. You released your first EP at the start of 2020 and then your single “GGGB” at the end of the year. Are you already working on your next compositions? CRYSTAL MURRAY. I am currently completing my second project. This year was shaken by the pandemic and I took advantage of it to concentrate on my music. At the moment, we tend to focus more on our intimate feelings. It gives us a time for introversion before hopefully coming back to human exchanges even more, maybe it’s time to refocus. I’ve learned to take more time in the studio, to think about all the components, from the instrumental to the lyrics. With producer Sacha Rudy, with whom I made my first EP, we found a sound that suits us both. I Was Wrong was an experiment, I was quite young, in discovery. The second one will be a little more confident. There’s a collaboration with rapper Le Diouk that’s due to happen. We’re going to start talking about it around March-April. M. How would you describe the new direction you’re taking? C. M. I would say it’s dry and energetic. The drums are tighter, the synthesizers less airy, that’s what gives it a dry sound. The voice is also drier than before, with less reverberation. It’s quite different from the first EP, because even if there are some similarities, I allow myself three or four rather daring sounds. I’m going all over the place a little because I now have a clear idea of where I can go voice-wise. I had fun using it on a whole colour palette, not just the pretty soul voice. But I still have a lot of other avenues to explore... The more I venture into new melodies, the more I discover… I’m really only at the beginning. M. What are those daring sounds you’re talking about? C. M. Rock! I have drawn a bit of inspiration from Betty Davis (an American soul-funk singer and model with a strong personality, married for a year to Miles Davis whom she influenced greatly, introducing him to the psychedelic panache of Jimi Hendrix’s rock or Sly Stone’s funk, editor’s note), in terms of her ability to imprint her emotions on her voice. These are my therapy songs, to clear my mind. When I listen to them, I’m less

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angry. Betty Davis is labelled blues, but in fact she is rock. That’s the energy I have right now. Voice-wise, everybody goes for something quite supple, whereas I make super angry sounds! M. You’re a part of Gen Z (the generation born between 1997 and 2010), why do you claim your year of birth, 2001? C. M . It’s a fairly strong, fairly beautiful generation. The 2001 natives did not grow up “inside” social networks, but while they were still emerging. There is a difference between the 2001s and the 2004s, who were born “inside”. We have a kind of limit, we are on the line between the over-connected generation and the generation who wasn’t. There’s a maturity thing. Each of the 2001s that I meet carries out creative projects, be it in art schools, making clothes, jewellery... The 2001s, we can see them, they are quite present, aware of the trends, it’s the good side of social networks. We are committed and we think seriously about our children, about a future without ethnic or gender limits, without boxes, without labels. In this social media slump, there is still a generation focussed on humanity in the end. We are all anarchists. I love being a 2001 native! M. Social media played a key role in your adolescence, especially with your Gucci Gang collective. C. M. Creating Gucci Gang felt quite natural. We were 14, we had just gotten mobile phones, Instagram was starting and we got our hands on social media like that. It already existed in the United States, but in France we didn’t know about it yet. For two years, we didn’t even know how to define ourselves. And then, finally, we were designated as influencers. We used to take pictures on Instagram with our brothers’ clothes on. With the advent of social media, it became something big, a real phenomenon, when we were just four schoolgirls with an artistic sensibility. At 14, 15, 16 years old, it’s cool, you’re invited, you’re mixing, it’s a bit of a dream life. But I wanted something more real. I feel like I’ve been an adult since I was 16, because I’ve seen the backyards, the people, the fashion world. But I wasn’t a model, I was more of a talent, and I didn’t really understand the

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excitement there was around all that. I preferred to focus on my music and touch the world through my work and not just by being a “cool” girl.

M. What about fashion, what do you take away from it? C. M. I love clothes. I used to go to school next to Hotel de Ville (Paris City Hall, translator’s note), where there are lots of thrift shops. I love digging up vintage clothes. I have a huge wardrobe full of beautiful pieces that I got for cheap. I’m not into expensive clothing, there are already too many of them on Earth! I love layering. At the moment, I’m collaborating with upcycling brands on Instagram. I send them dresses and they turn them into dope outfits for me! For example, Olivia Ballard in Berlin, or Kerne.Milk in Copenhagen. I love rare pieces. M. After Gucci Gang, you’re starting the Hotel Room Drama sessions. Is the concept of “collective” important to you? C. M. Hotel Room Drama is a series of music videos and songs where I invite artists that I want to collaborate with. It’s a bit like an album that I would do live, a sort of carte blanche. The latest one is featuring the London artist Elheist and was released on February 24th. I want to raise an army, to create a strong artistic universe. That’s notably what I’m doing with my label Spin Desire, which I’ve just created and on which I’ve signed artists Dian and Niariu. The Gucci Gang was just something cool, whereas today, I’m in “creation mode”, I want art, music, videos… M. You already have a lot of music videos under your belt. Is image important to you? C. M. It’s interesting that you mention it. I’m refocusing on that at the moment because it’s going all over the place. I’m happy that the I Was Wrong EP came out and people can see the evolution, in particular via my videos. But between the track “Princess” and now, I feel like I’ve lived forty thousand lives: Gucci Gang, then school, DJing... I’m already tired! This year, for the next EP, I’m working on a rather personal visual, which really makes sense to me. There was “Princess”, some strong images like on “August knows”, “GGGB” which was my idea, some stuff with directors who are my buddies, but I want to make my own path.

M. If you had to name your musical influences, who would you consider?

C. M. I grew up in a family of musicians and my father is an AfricanAmerican saxophonist, for whom gospel music is very important. It is a mystical music, sung in churches. My father plays free jazz, it gives an idea of the vibe. Even though I never thought music was something I was going to do, I knew it would follow me for the rest of my life. I’m thinking of Marvin Gaye, John Coltrane, jazz and soul, very African-American styles. And also Kelis and Macy Gray. I really like divas who create their own emotions. When it comes to current artists, Dian, Serpentwithfeet who does new gospel, Amaarae, Santigold of course, Kid Cudi, Shygirl, Nathy Peluso, Arca, Laylow, and also some techno...

“I WANT TO RAISE AN ARMY, TO CREATE A STRO N G ARTISTIC U NIVERSE. THAT’S N OTABLY W HAT I’M D OIN G WITH MY LABEL SPIN DESIRE, W HICH I’VE JUST CREATED. TODAY, I’M IN “CREATIO N M ODE”, I WANT ART, M USIC, VIDEOS …”


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