Mercredi 17 juillet 2019
TABLE RONDE
Alliances improbables
Avec Jean-Martial Morel et René Léa, coprésidents de l’association Kaol Kozh ; Dominique Aribert, pilote du programme Des Terres et des Ailes (Ligue de Protection des Oiseaux) et Lionel Delvaux, chargé de mission Nature et coordinateur à l’Inter-Environnement Wallonie.
Retour sur trois expériences, trois projets de coopérations qui dépassent les habituels clivages et, ce faisant, bousculent les images. Une séquence animée par Stéphane Thépot.
Kaol Kozh, prenez-en de la graine ! Kaol Kozh est une association bretonne qui promeut l’agriculture et les semences paysannes… et vend le fruit de sa production à l’enseigne Carrefour. Retour d’expérience par deux de ses membres, Jean-Martial Morel et René Léa. Jean-Martial Morel : En breton, Kaol Khoz veut dire « vieux chou » ; en russe, « bien commun ». Ça nous convenait bien comme nom pour une association de défense de l’agriculture paysanne. Notre objectif consiste à recenser et préserver les ressources végétales mais aussi à les mutualiser. Nous sommes donc très actifs sur la question des semences paysannes. Peut-être le savez-vous : pour être autorisée à la vente, une semence doit figurer dans le catalogue officiel français. Or les conditions d’inscription dans ce dernier sont plus restrictives qu’ailleurs dans l’UE, ce qui rend difficile l’inscription des semences paysannes notamment. Au sein de notre association se côtoient des jardiniers, des maraîchers, autrement dit des paysans capables de produire leurs propres semences. Comme il leur est impossible de les vendre, ils les échangent et facturent une prestation de service, ce qui est tout à fait légal. La loi française indique que le don, l’échange et la vente constituent des actes commerciaux. C’est pour cette raison que nous avons créé une association pour échanger les semences. Grâce à l’Inra, nous avons accès à de très vieilles variétés libres d’utilisation car non répertoriées dans les catalogues de semences, que nous mettons en culture sur des parcelles test. Puis, nous sélectionnons des variétés hétérogènes que nous proposons ensuite aux maraîchers de l’association pour qu’ils puissent les multiplier et produire des légumes. René Léa : Nous avons commencé à faire de la semence en 2002 lorsque nous avons remarqué que les catalogues de semences, y compris en bio, ne proposaient que des stérilités « mâles cytoplasmiques ». Or ces variétés hybrides sont souvent obtenues via des processus qui mêlent différentes espèces de végétaux. Par exemple, pour les plants de chou ou de brocoli, la caractéristique de stérilité mâle cytoplas-
mique provient généralement du radis. Pour nous, ces techniques relevaient clairement du génie génétique ; il s’agissait d’OGM. En tant que producteurs bio, nous n’en voulions pas, tout comme les consommateurs. Le rapport de confiance entre paysans et consommateurs est primordial. Nous avons créé un cahier des charges intitulé « Bio Breizh » qui nous contraint à ne pas utiliser ces variétés. Au passage, nous en avons profité pour exclure de nos pratiques l’utilisation de serres chauffées ou, au contraire, inclure les haies. Le respect de ce cahier des charges est garanti par Ecocert ; quant au comité de certification, il regroupe paysans, représentants de la société civile, membres d’associations d’environnement et de consommateurs. Puis, nous avons commencé à vendre nos légumes à Carrefour… sous certaines conditions. Premièrement, nous ne voulions pas que notre image « légumes issus de semences paysannes » soit utilisée à peu de frais. Je m’explique : quand Intermarché a fait la promotion des légumes moches, cela a fait beaucoup de buzz alors que l’enseigne n’en a vendu que 700 kg. Nous avons donc demandé à Carrefour de contractualiser sur le long terme, pour une durée de cinq ans. Deuxièmement, nous ne voulions pas d’un contrat au rabais. Le groupe s’est ainsi engagé à payer les légumes un peu plus cher, pour financer le travail de sélection des semences par les producteurs et pallier la baisse des rendements de ces variétés non hybrides. D’emblée, ils ont tout accepté là où les autres enseignes nous regardaient de haut et refusaient de mettre le prix. Certains diront que la grande distribution nous a utilisés. Je dirai que l’inverse est également vrai : nous les avons utilisés. Tous les ans, Carrefour nous achète de plus en plus de légumes. C’est un système qui contente tout le monde, environnementalistes et agriculteurs.
« Des Terres et des Ailes » : un programme pour tous les agriculteurs Sensibiliser tous les agriculteurs aux questions environnementales et non pas seulement ceux engagés dans des démarches d’agriculture biologique. Tel pourrait être le pari du programme « Des Terres et des Ailes ». Témoignage de Dominique Aribert. 25ES CONTROVERSES EUROPÉENNES À BERGERAC P 35