NOVO N°52

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FERNET-BRANCA MONDES INTÉRIEURS Par Mylène Mistre-Schaal

La Fondation FernetBranca met en dialogue les créations de cinq artistes femmes et ouvre grand ses horizons. Des visages au bord de l’eau, comme des esprits veillant aux métamorphoses de la nature, une poupée de fusain au regard vide, plus loin, un cabanon solitaire à la lisière des bois, comme un refuge. Une mosaïque de visions aux tons et aux touches diverses s’invite sur les cimaises de la Fondation Fernet-Branca avec pour seul point commun, le médium : peinture et dessin. Un point commun qui ne contraint en aucun cas la singularité, laissant s’épanouir plusieurs univers. La touche vaporeuse, parfois floconneuse de Vanessa Fanuele laisse deviner les lignes d’architectures dépouillées ou l’enchevêtrement d’une forêt. Le temps y est comme suspendu. Avec des titres évocateurs (Sans fin, ni milieu, Éclats sauvages, Presque éternité), la peintre revendique l’évanescence et les « vérités chuchotées ». « La peinture prend forme et je veux, là encore, filtrer l’essentiel. Je la fais volontairement disparaître sous la fluidité de l’eau ou de la térébenthine comme pour éviter de trop cerner le sujet ou encore pour déjouer la séparation entre les choses. » Lui répondent les harmonies grises d’Haleh Zahedi, mises au service de thèmes plus inquiétants. Combats de coqs, hordes de corbeaux ou formes hybrides naissent d’un jeu souvent contrasté d’ombres et de lumières. Un halo étrange porté par une maîtrise du fusain et un sens certain de la dramaturgie qui renoue avec des thèmes expressionnistes. Plus franche, tant par la couleur que par la pâte, Marine Joatton évoque à sa 105

manière la fulgurance de l’impression. La présence de la matière picturale est cruciale pour la peintre, qui cite volontiers Munch, Nolde ou Baselitz comme inspirateurs. Et c’est vrai qu’Angélique, visage aux yeux creux nous évoque un peu les masques grinçants d’Ensor tandis qu’une série de toiles plus pointillistes dévoile une palette aux échos fauves. À mi-chemin, entre peinture et dessin, MarieAmélie Germain, ancienne élève des Arts Décoratifs de Strasbourg travaille le paysage à la manière de vanités silencieuses. Des formats où l’huile dialogue avec le fusain, comme deux parties d’un diptyque. Indépendantes mais complémentaires puisque le motif s’y prolonge troquant la couleur pour le noir et blanc. Les médias « se complètent et se révèlent. Chaque format est une tentative de trouver un équilibre et une forme de justesse. » Les cabanes qu’elle pose sur la ligne d’horizon de ces panoramas soulignent invariablement la jonction entre le ciel et la terre, donnant toute leur dimension aux éléments. Ces paysages dépouillés de présence humaine, « où l’émerveillement et l’ennui se mêlent confusément » intensifient le sentiment de solitude à la différence de ceux de Marie-Hélène Fabra, souvent habités de visages. Dilués dans de vastes lavis colorés, ces derniers évoquent parfois les divinités de la mythologie. Au détour de ses harmonies on croise notamment Narcisse et Echo. Les 5 artistes exposées à Saint-Louis, lèvent le voile sur leur « engagement poétique » en lui donnant plusieurs dimensions. Dans la géographie des sensibilités, plusieurs d’entre-elles situent leur art au-delà du genre, avant tout attachées à leur liberté et à la singularité de leurs émotions. Marie-Amélie Germain le pose comme une question ouverte : « Et si le fait d’être artiste annulait la dimension du genre ? » Vanessa Fanuele et Marine Joatton lui emboîtent le pas : « Je peins un monde intérieur qui n’a pas de genre ». — 5 FEMMES : L’ENGAGEMENT POÉTIQUE, du 25 novembre 2018 au 10 février 2019 à la Fondation Fernet Branca fondationfernet-branca.org


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