NOVO 39

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Qu’est-ce que tu as envie de montrer de Solange ou de toi-même à travers ton livre ? C’est peut-être une manière de faire un petit point sur tout le discours qui a été produit pendant quatre ans. De pouvoir retrouver le fait que je suis aussi une productrice de discours, avant même la technologie et qu’il y a quelque chose de clairement intemporel et d’un peu élevé dans la démarche de Solange. J’aime le fait qu’elle puisse revendiquer une sensibilité littéraire, qu’elle puisse toucher les gens qui jamais, n’auront accès à YouTube ou aux réseaux sociaux. L’image et la vidéo apportent des freins en plus : ma diction, mes mimiques, ma voix, les découpages etc., le livre est la version déparasitée de moi-même. C’est une entrée physique chez les gens, loin de la virtualité. Un livre, c’est une voix intérieure, c’est m’inscrire dans un temps un peu plus long. Tu as placé Narcissime 2.0 au début du livre. C’est un choix marquant. Dans ce texte, tu dis qu’être sur Internet participe de ton besoin de reconnaissance. Puis, plus tard, que tu as peur de décevoir les gens qui te regardent. Il y a quelque chose de paradoxal : tu as peur de rencontrer les gens et en même temps, tu cours vers eux. Pourquoi ? Il y a la frontière illusoire de la virtualité. Les gens me demandent souvent si c’est vraiment un personnage. Certains me demandent : “Peux-tu me rassurer et me dire qu’elle existe vraiment ?” Je pense que le lieu où Solange s’exprime, c’est vraiment cette virtualité-là. Cette virtualité me désinhibe complètement. C’est une sorte de vitrine idéale. Bien sûr, qu’il y a un paradoxe : quand je publie une vidéo, il y a une disponibilité, une ouverture, de l’amour, on pourrait fouiller des questions psychanalytiques. Je pense qu’il y a quelque chose chez moi qui arrive mieux à s’exprimer devant une foule anonyme que devant des personnes bien distinctes. YouTube me permet ça, ce sentiment de la foule innombrable partout, tout le temps, c’est très puissant. C’est très grandiloquent mais Solange a un côté un peu déesse : il y un absolu qui s’exprime qui ne tiendrait pas du tout la route dans la vraie vie. Il y a ce fantasme d’absolue générosité. Ce « toi » à qui je m’adresse, parfois, je me dis que c’est moi-même. Rendre compte

de quoi il est composé est impossible : ce toi, il est cosmique. À la fin du livre, Ina arrive. Chronologiquement, ça correspond aussi au chemin que tu empruntes dans tes vidéos : il y a un peu plus d’Ina. Je ne suis pas très sensible à la fiction. L’inquiétude provient plus du public que de moi-même, il est un peu mon baromètre. Parfois, je me dis qu’il faut que je me distancie un peu plus, que je revienne à une Solange d’il y a trois ans. En ce moment, j’en suis là : je me demande si je l’ai vraiment perdue. C’est un souci de la créatrice envers sa création qui sent que son public demande quelque chose. Je suis encore trop au contact des commentaires même si j’essaye de prendre de la distance. Je ne peux pas les occulter mais ils sont le reflet d’une certaine réalité parfois, j’essaye de m’ajuster. C’est vertigineux de se dire qu’une partie du public préfère Solange, quelqu’un qui n’est pas moi. Il faut composer avec cet équilibre et faire ce que je veux en gardant en tête que c’est délicat. Tu parles de commentaires, comment composes-tu avec la méchanceté, voire la violence de certains internautes ? Ça me touche moins qu’au début. Je les lis moins. Le pire, c’est que ce ne sont pas que les mauvais qui vous affectent. Même les gens qui ont des bonnes intentions y arrivent avec cette sensation de connaître les pensées qui vous concernent. Avec Internet, on a accès à ce que pensent les gens de nous en permanence, ça leur donne un grand pouvoir. J’essaye de lutter. Un type m’a récemment demandé de me suicider avec lui… Parce qu’il y a ce côté “je m’ouvre à toi” chez Solange, les gens se déversent, s’abandonnent, ça relève de la thérapie. Est-ce qu’il y a des propos que tu regrettes ? Dans J’aime regarder les filles, je suis globalement en accord avec ce que je dis. Je dis que quand on trouve une fille jolie, entre femmes, on devrait pouvoir se le dire. Au final, je trouve qu’on n’a peut-être pas à valoriser la beauté. Les commentateurs m’ont fait prendre conscience de ça… La vidéo Pas féminine parle aussi de ça. Globalement, cette vidéo fait du bien mais celles et

ceux qui sont très militants cherchent et trouvent la petite bête, je trouve ça dommage. On m’a dit que j’avais oublié les trans qui ont besoin de se sentir féminines, on m’a parlé de « féminisme blanc ». Dans cette vidéo, je dis que tu as le droit de ne pas être féminine, je pense que c’est super rare d’entendre “ne porte pas de talon, ne te fais pas les ongles”. Il y a des gens à qui la vidéo a fait du bien. On ne peut pas plaire à tout le monde et quand on s’empare d’un sujet pointu, on devient l’ennemie des pointilleux. La vidéo dont tu es la plus fière ? Ce serait peut-être J’ai couché avec Paris que j’ai faite cet été : le planking au petit matin. Parce que ça amène une nouvelle dimension, un côté plus performance que j’aimerais exploiter davantage. Une vidéo que tu voudrais faire et pour laquelle tu manquerais de courage ? Avec Léa Seydoux, j’ai eu peur. [Mon réveillon avec Léa, #léaCdur Solange a regardé toute la filmographie de Léa Seydoux durant 53 heures d’affilé, ndlr]. Parfois, j’ai envie de m’élever contre le cinéma français, ce système de commission, de réalisme sociale, qui pour moi est sur-représenté et ne m’intéresse pas. Le problème quand on est surexposé c’est de parler de sujets délicats. J’aime être seule chez moi et pouvoir tout dire. J’aime fouiller les tabous, l’envie et la jalousie. C’est ce que j’ai fait en tentant d’expier la jalousie que j’éprouve envers cette actrice, en tentant de la guérir. Pour toi, ça veut dire quoi être intelligent ? [Elle réfléchit longuement] Je dirai, se poser vraiment les questions, comme si sa vie en dépendait. Se poser toutes les questions, comme si on n’avait aucun élément de réponses. Soirée Solange et les vivants le 21 avril au Star St Ex, à Strasbourg www.cinema-star.com Solange te parle, Ina Mihalache, éditions Payot www.solangeteparle.com

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