NOVO N°36

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Il peut jouer Bach dans l’atmosphère feutrée d’une prestigieuse salle de concert et s’envoler le lendemain pour Ibiza livrer un live endiablé. Le pianiste luxembourgeois Francesco Tristano voyage avec une même vision de la musique classique et électronique : actuelle et tournée vers l’expérimentation.

Veste de costume et t-shirt noirs, Doc Martens aux pieds, l’élégante silhouette de Francesco Tristano est accoudée à un comptoir de l’Interview, emblématique bar du centre-ville de Luxembourg où sont placardées des couvertures du célèbre magazine fondé par Andy Warhol. Jeune et branché, authentique et rétro : le lieu est à l’image du jeune homme. À six ans, Francesco – aujourd’hui reconnu par le milieu classique comme par celui des musiques actuelles – savait déjà ce qu’il voulait : « J’expliquais à ma professeure de piano que plus tard, je ne jouerai que Bach et ma musique », déclare Francesco. Il explique son attachement au roi des instruments et au compositeur thuringien par leur histoire commune, ancrée dans la modernité : « Le piano a été inventé à l’époque de Bach, c’était alors un instrument extravagant et complexe, de haute technologie ; je crois qu’il l’est encore aujourd’hui, avance le musicien. Je veux faire évoluer l’image un peu figée qu’en a le grand public. » Il joue ses premiers concerts à 13 ans, avant de traverser l’Atlantique pour intégrer la Juilliard School. Mais plutôt que les auditoriums du prestigieux conservatoire, c’est la vie nocturne new-yorkaise qui va ouvrir au pianiste de nouveaux horizons, notamment la techno de Détroit. « New York est une ville qui fonctionne à l’inverse de tout conservatisme justement, explique-t-il. C’est là que je suis devenu adulte. » Autour du piano Il baptisera son premier album comme un manifeste : dans Not for piano, le son de l’instrument est trafiqué sans utiliser de synthétiseurs. Il aspire à s’éloigner d’un univers synonyme d’heures de tra-

vail en solitaire, où la rencontre avec le public reste un instant furtif et exceptionnel. « C’est pour cela que j’ai commencé à jouer de l’électro : parce que je voulais la comprendre, utiliser les synthés, mais aussi pour prendre de la distance, confie Francesco. J’aime le piano, mais je ne veux pas qu’il devienne une finalité : je préfère alterner, combiner. » Il n’abandonnera jamais Bach et ses héritiers, se produisant alternativement dans des concerts de musique baroque, dans des clubs et au sein de projets proches de la musique nouvelle, de Cage à Messiaen, ne rechignant pas à faire un détour par le jazz ou vers des projets inattendus, comme sa collaboration avec le danseur Saburo Teshigawara. Signé sur Deutsche Grammophon comme sur InFiné, le label du français Agoria, il collabore avec Moritz Von Oswald sur le projet bachCage et retrouve le Berlinois au côté de Carl Craig sur le live Versus 2.0. « La rencontre avec Carl Craig a été capitale : c’est quelqu’un qui a installé un son depuis les années 90, et ce projet commun a constitué une nouvelle dimension pour lui comme pour moi, explique Francesco Tristano. Ça a été pour tous les deux la découverte d’une génération et d’un milieu différents. » Rencontres et ruptures Aufgang, qu’il formera avec ses « frères » Rami Khalifé et Aymeric Westrich, est peut-être le projet qui lui tiendra le plus à cœur. Avec leur second essai Istiklaliya, les trois compères réussissent un trait d’union magistral entre musique classique et électronique. Ils transcendent même cette notion de mélange en parvenant à donner à leur son une identité propre, se colletant avec les accidents et les ruptures, installant des ambiances

contemplatives ou épiques avec la même réussite. Mais Francesco Tristano se crispe à l’évocation du groupe. Divergences artistiques, embrouilles liées à la maison de disques, il ne précisera pas la nature exacte de son départ. « Je me suis investi corps et âme dans Aufgang, mais c’est du passé pour moi, je ne vois plus du tout Rami et Aymeric », lâche-t-il. Tout juste évoque-t-il ce crossover réussi en se rappelant que chez les disquaires, on peinait à trouver le rayon dans lequel était classé Aufgang. « Ce qui n’est pas très grave, puisqu’il n’y a presque plus de disquaires. Je crois qu’Internet était un moyen plus efficace pour se lier à notre musique, cela lui correspond mieux. » Francesco prépare notamment pour 2016 une collaboration avec Derrick May, un autre monstre de Détroit, et une résidence à Metz pour trois créations dans des configurations différentes, destinées à être jouées à la Boîte à Musiques, aux Trinitaires et à l’Arsenal, salle qu’il affectionne et où il a déjà joué les Variations Goldberg et les Concertos pour piano et orchestre de Bach. Lui qui vit entre Luxembourg et Barcelone aime varier les plaisirs, mais refuse l’étiquette de « touche-à-tout ». « Je ne fais pas «de tout» : je fais de la musique contemporaine et de la musique ancienne, en essayant de toujours observer ce qui se passe aujourd’hui. Celui qui ne le fait pas, j’ai envie de lui dire : tu rates quelque chose ! » FRANCESCO TRISTANO PLAYS BACH IN SOLIDARITY WITH GREECE, le 13 novembre à l’Opderschmelz de Dudelange. www.francescotristano.com

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