NOVO N°36

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Un scénario n’est pas un objet littéraire, c’est un objet complètement impur destiné à être trahi, écrasé, détruit, piétiné. et il y a des films qu’on me propose, des maisons d’édition qui m’envoient des livres que je pourrais adapter. Un livre, ce n’est pas un scénario et les bons livres ne font pas forcément les bons films. C’est même souvent les mauvais livres qui font les bons films puisqu’on se débarrasse très vite du livre en tant que tel. La littérature a parfois une finesse que le cinéma n’a pas et vice versa en fonction des sujets. Quand Godard s’empare d’un livre, il n’en reste plus rien… Godard cite tout sans payer : les extraits de film, la musique… C’est la seule personne au monde qui peut se permettre de prendre des extraits de films et de faire des citations d’auteurs sans payer des droits. Personne n’ose l’attaquer. Coller un procès à Jean-Luc Godard, ce n’est pas très smart. S’il devait payer des droits pour tout ce qu’il cite, ça serait énorme. Vous êtes prof à l’Ecal, donc ça s’enseigne le cinéma ? Ça se travaille. C’est comme la littérature. On ne peut pas faire une école d’écrivain, ça n’existe pas. Il n’y a pas de raison qu’il y ait une école de cinéastes non plus. Par contre, quand on est écrivain, on peut rencontrer d’autres écrivains, parler de la problématique de l’écriture, entendre les recettes des autres, mais pas pour les adapter, juste pour essayer de comprendre comment ça fonctionne. Quand vous essayez de faire comme quelqu’un d’autre, ça ne marche jamais. L’école de cinéma est simplement un endroit où on permet à de jeunes auteurs d’essayer.

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Avez-vous toujours besoin d’un partenaire pour écrire vos scénarios ? J’ai écrit des films sans personne, mais c’est agréable d’être deux. Si j’étais toujours tout seul, je ne pourrais pas écrire plusieurs scénarios à la fois. C’est agréable de faire du ping-pong avec des gens qui me permettent de mener plusieurs projets de front. Est-ce une méthode qui vous est propre ? J’ai commencé par travailler avec des gens que j’aimais bien. Julien Bouissoux – qui a écrit avec moi Les Grandes Ondes et La Vanité – m’a envoyé deux de ses livres publiés chez L’Olivier parce qu’il avait vu un de mes films. On s’est rencontrés et on a commencé à collaborer même s’il n’est pas du tout scénariste au départ. Souvent les écrivains sont des bons coscénaristes parce qu’ils ne se posent pas tellement des questions de structures cinématographiques, mais plutôt de personnages et de récit et c’est ce qui m’intéresse. Avez-vous déjà le film en tête une fois que le scénario est prêt ? Surtout pas ! J’espère toujours que le film sera bien mieux que le scénario. Un scénario n’est pas un objet littéraire, c’est un objet complètement impur destiné à être trahi, écrasé, détruit, piétiné. Les comédiens font que le film est bien plus intéressant que le scénario. Je n’aime pas les scénarios, je n’aime pas les écrire et je n’aime pas les lire. Quand je pars en tournage, je dis à tout le monde qu’on ne va pas faire le scénario, qu’on va faire un truc mieux que le scénario ! Il faut vraiment dire dans le scénario ce qu’on veut tourner et en même temps il faut être capable de le dépasser. Quand les gens trouvent un scénario super, c’est comme s’il y avait quinze signaux d’alarme qui s’allumaient. Attention, ils ne vont pas vouloir que je fasse autre chose que ce qu’il y a écrit !

Y a-t-il une part d’improvisation pendant vos tournages ? Ça dépend… Les Grandes Ondes est assez fidèle au scénario, même si beaucoup de choses ont été apportées par les acteurs. La Vanité est également assez fidèle au scénario. C’est le matin, au moment de commencer à tourner que je décide comment on va filmer et comment on va couper. Beaucoup de choses bougent quand on est en train de fabriquer le film. Je pars du principe qu’il faut laisser tout ouvert. La scène de danse dans Les Grandes Ondes, c’est un truc que vous aviez envie de faire dès le début ? Ce n’était pas dans le scénario, mais j’aime bien quand le film sort un petit moment de ses gonds. Dans les comédies françaises des années 70 il y avait souvent un moment musical pour faire avancer l’intrigue comme quand Rabbi Jacob se met à danser. J’aime bien ce truc de comédie pour accélérer le récit. La scène de danse dans Les Grandes Ondes, c’est trois lignes de scénario qui nécessitent deux jours de tournage. Une scène de danse est plus intéressante qu’une scène de dialogue. La scène où Michel Vuillermoz parle en portugais est moyennement drôle dans le scénario, mais elle devient très drôle dans le film parce qu’il le fait brillamment. Quand on réalise une comédie, il faut souvent se méfier de ce qui est drôle sur le papier parce que ça ne sera peut-être pas drôle à l’écran et vice versa. Avez-vous souvent envie d’être drôle, de tirer vos films vers la comédie ? Ce qui est intéressant avec la comédie, c’est que quand vous réussissez à être drôle, vous êtes en communion avec la salle. Le rire est une forme d’intelligence. C’est une façon de faire circuler une idée et si les spectateurs rient, ça veut dire qu’ils ont entendu. Les sujets graves se prêtent bien à la comédie. Dans les années 70, on se moquait davantage du pouvoir qu’aujourd’hui. La série des gendarmes avec Louis de Funès, c’était ça ! Il y avait de l’anarchie, des nudistes, des histoires improbables qui obligeaient les gens à sortir de leur terrain habituel. Aujourd’hui, on glorifie La Poste, on glorifie les douanes et les personnages ne sont plus du


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