NOVO N°27

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Par Cécile Becker

(Dé)mystifier

On ne ramène pas simplement des images d’une résidence. D’un voyage de travail, les artistes nous amènent à questionner un pays, ses clichés, sa culture. En quelque sorte à casser notre réel. Une affirmation qui vaut pour Delphine Gatinois et Guillaume Chauvin qui exposent tous deux au CEAAC.

Submergés par les images, on ne se rend pas forcément compte à quel point la photographie a pu bouleverser notre vision du réel. D’un cliché, on tire les fils d’une réalité indéfectible et l’on peut tout aussi bien construire un imaginaire fondé sur du palpable. C’est peut-être sur cette notion que se retrouvent les travaux de Delphine Gatinois et Guillaume Chauvin. Elle évoque les mythes et légendes d’une culture très attachée à la spiritualité, il ramène d’une culture fantasmée une vision plus réaliste. Delphine Gatinois était déjà très attachée aux liens entre texte et image. De fait, ses photographies racontent des histoires et questionnent la contradiction entre fiction et réel, passant de l’un à l’autre. Avec Proies, série de photographies réalisées lors de sa résidence au Mali, elle matérialise ce qu’il y a par-delà la conscience humaine, les croyances et

les rites, et porte un regard nouveau sur les relations entre l’homme et la nature. Corps et nature ne font plus qu’un. Là, un homme masqué se mélange avec le soleil et l’arbre, plus loin, on ne sait plus très bien si ces jambes habillées appartiennent à un homme ou un animal, ailleurs, une cérémonie se prépare sous le regard impassible d’un homme peint. La force de ce travail réside dans le fait que le spectateur touche du doigt le réel mais peut ressentir d’un coup d’œil les liens surnaturels de l’homme avec son environnement. De l’image contrôlée d’une société, Guillaume Chauvin a lui choisi de mettre le réel en lumière. À la frontière du photojournalisme et de l’art – il est d’ailleurs régulièrement publié dans la revue 6 mois et dans le quotidien Le Monde – il documente la vie, la vraie d’habitants de la Russie. Partant d’un rapport peur/fascination à ce pays, il est d’abord surpris par « les normes surréalistes, la multi-nationalité insoupçonnée et les paradoxes historiques ». Il explore le folklore d’une nation ramenée au quotidien : Oleg pose en uniforme dans son champ de pommes de terre, des élèves d’un corps de cadets finissent leur bal pour nous faire passer de la rigidité de l’autorité à un moment de détente où ils s’esclaffent entre copains, des HLM s’élèvent d’une zone enneigée où des gamins s’amusent. Le pays blanc côtoie l’urbanisme, les marques de l’armée sont ramenées à des instants plus existentiels. Entre Sibérie et aujourd’hui est un reportage parsemé d’art dans l’esthétique très marquée, parfois dure des images. Alors que Delphine Gatinois mystifie le Mali, Guillaume Chauvin démystifie la Russie. Deux travaux qui se répondent et qui ont tous deux été le point de départ d’une relation approfondie avec leurs pays de résidences. DELPHINE GATINOIS ET GUILLAUME CHAUVIN, exposition du 7 décembre au 5 janvier 2014 au CEAAC à Strasbourg. www.ceaac.org

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