NOVO N°17

Page 35

Bestiaire 7 Par Sophie Kaplan

Robert Breer, Porpucine et autres Floats (1) L’exposition que le Musée Tinguely consacre actuellement à l’américain Robert Breer (Détroit, 1926 - Tuscon, 2011) est sa première rétrospective en Europe (2) . Elle rassemble un ensemble important d’œuvres de cet artiste inclassable, qui fut tour à tour peintre, cinéaste et sculpteur et qui fut proche de nombreuses avant-gardes de l’après-guerre (cinétisme, minimalisme, Fluxus), sans qu’on puisse pour autant le rattacher à aucune d’entre elles. Au Tinguely, l’accrochage fait se répondre les peintures, qui correspondent à la première période de l’artiste, alors qu’il habitait à Paris (1949-1959), et les films d’animations (3) (1952 – 2003) : où l’on découvre que, dans les unes comme dans les autres, les couleurs et les formes sont indissociables du mouvement – réel ou implicite. Breer n’a eu de cesse, à travers les différents medias utilisés, de brouiller les frontières entre abstraction et figuration, objet et sujet, espace et temps, image animée et image inanimée, mouvant et immobile. Sans doute parce que l’ensemble de son œuvre est sous-tendue par ce que l’artiste appelle le principe d’“équivalences” et qui fait qu’« un avion biplan = un hot dog = un cuirassé = une tourte = un chapeau = une crème glacée = un bateau à voile = un pantalon sur un cintre, et ainsi de suite » (4).

Au côté des films et des peintures, le Tinguely présente un large ensemble de sculptures, dont une vingtaine de Floats, fameuses “sculptures flottantes” qui évoluent dans l’ensemble de l’espace d’exposition et dessinent des trajectoires aléatoires que viennent modifier les obstacles rencontrés (murs, spectateurs, autres sculptures). Posées sur de petites roues invisibles qui les surélèvent très légèrement et animées par des moteurs silencieux, leur vitesse est si réduite qu’au premier coup d’œil on les dirait immobiles (5). Les Floats ont souvent été rapprochées des formes minimalistes des sculptures de Robert Morris ou de Donald Judd. Mais, si minimalisme il y a, alors l’imagination débridée à l’œuvre dans les sculptures géométriques de Breer ainsi que leur dimension anthropomorphique (on trouve des méduses – la série des Rugs –, un porc-épic – Porcipine –, un gros pain – Silvercup –, un morceau du gruyère – Switz –, etc.), fait de celui-ci un minimalisme atypique, décalé, plein de fantaisie et d’humour. Sur l’un de ses dessins, qui sert d’affiche à l’exposition de Bâle, Robert Breer a écrit : « (almost) everything goes ». Et c’est en effet bien là où se tient la magie cet artiste majeur, dans ce (presque) tout qui (presque) bouge.

(1) Porpucine (sculpture motorisée, mousse découpée, piquants en bois, moteur, 1967-2006) veut dire porc-épic en anglais ; Floats, qu’on traduit en français par ‘sculptures flottantes’, signifie littéralement flotteurs et désigne également les chars de carnaval. (2) Robert Breer, du 26 octobre 2011 au 29 janvier 2012, Musée Tinguely, Paul Sacher-Anlage 2, Postfach 3255 CH-4002 Basel, du mardi au dimanche de 11h à 18h. L’exposition a d’abord été présentée au BALTIC Art Centre de Gateshead, Grande-Bretagne. (3) Quelques films de Robert Breer sont visibles sur YouTube : 69, Blazes, Swiss Army Knife… (4) Robert Breer à propos du travail de Claes Oldenbourg, cité par Laura Hoptman, « Breer dans le monde d’hier, et d’aujourd’hui », Robert Breer, Films, Floats et Panoramas, catalogue de l’exposition au Musée-Château d’Annecy, éditions de l’œil, 2006, p.29. (5) Laura Hoptman parle très justement au sujet de Breer d’ « esthétique du mouvement arrêté», op. cit., p. 32.

35


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.