Les actes du Cresat n°12

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est fixé sur moi et risque de m’aveugler et de me faire prendre « la grosse tête » tout en me la faisant perdre ! D’une part, contextualiser ma recherche me permet d’affirmer qu’elle n’est pas la production de mon seul « génie » : je suis intellectuellement autant que moralement fille de mon temps, celui des années 1970 où je fus étudiante en histoire (j’ai eu le bac en 1971), celui de ces années 1970-1990 qui furent l’âge d’or des sciences humaines en général (comme le démontre le succès éditorial du livre de Jacques Monod qui est au fond un livre de philosophie) et de l’Histoire en particulier (je pense au succès populaire de Montaillou, village occitan de 1294 à 1324, d’Emmanuel Leroy-Ladurie, paru en 1975). « Le Hasard » ou plutôt les hasards. La formule s’est imposée à moi parce qu’elle dit bien que mes choix de recherche ne se sont pas situés sur une ligne droite ni logique, et encore moins sur une ligne planifiée à l’avance. Nul GPS à mon époque pour me faire aller « au plus vite » d’un point, d’un sujet de recherche déterminé à l’avance à un autre point-sujet de recherche déterminé à l’avance. Le récit que je vais faire de mon itinéraire de recherche ne doit pas commettre le pêché de récit téléologique. « La Nécessité » : mes choix de recherche se sont par contre imposés à moi comme des nécessités morales, essentielles, existentielles même. Les années 1980 virent « la mode », mode intellectuellement stimulante, des ego-histoires. La synthèse en est faite en 1987 dans les Essais d’ego-histoire dirigés par Pierre Nora et publié chez Gallimard. Mes « maîtres » Maurice Agulhon, Pierre Chaunu, Georges Duby, Raoul Girardet, Jacques Le Goff, Michelle Perrot et René Rémond y répondent à la consigne que leur fixe Pierre Nora dans son introduction : « Des historiens cherchent à se faire les historiens d’eux-mêmes… Ni autobiographie faussement littéraire, ni confessions inutilement intimes, ni profession de foi abstraite, ni tentative de psychanalyse sauvage. L’exercice consiste à éclairer sa propre histoire comme on ferait l’histoire d’un autre, à essayer d’appliquer à soi-même, chacun dans son style et avec les méthodes qui lui sont chères, le regard froid, englobant, explicatif qu’on a si souvent porté sur d’autres….». Je veux tenter de faire la même chose, à ma mesure, modestement. J’ai également lu le livre de Georges Duby, L’histoire continue, paru chez Odile Jacob en 1991, où il a, à propos de son ouvrage sur la bataille de Bouvines, cette formule qui m’est restée parce qu’elle m’a marquée : « Si j’en étais resté aux événements, si je m’étais contenté de reconstituer des intrigues, d’enchaîner « des petits faits vrais », j’aurais pu partager l’optimisme des historiens positivistes (…). Mais si, historien de la société féodale, je n’entends pas limiter ma curiosité à ces détails, si je cherche à comprendre que qu’était une bataille, la paix, la guerre, l’honneur, pour

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