Mayotte Hebdo n°931

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pendant que ses danseurs, parmi les plus âgés de ceux accompagnés par l’association, enchaînent les sauts périlleux. “ Pour les petits, on cible les collégiens et les primaires pour essayer de leur transmettre l’envie de se dépasser, de se battre, les pousser dans leurs retranchements pour qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes, ça fait aussi partie des valeurs du hiphop. ” Et pour lier un peu plus danse et pédagogie, pour donner davantage d’outils et de confiance aux nouvelles générations, Hip-Hop Evolution a déployé l’académie du hip-hop, à travers laquelle les plus petits revoient également les savoirs de base, en lecture et en calcul notamment. “ Le hip-hop n’est pas qu’une danse, c’est un mouvement à part entière ”, insiste Sophie Huvet. “ Mais Mayotte est une île de la danse, alors le hip-hop peut être une bonne porte d’entrée pour véhiculer certains messages. Ici, la pratique du hip-hop est originelle : elle se pratique dans la rue plus que dans les salles de danse, puisqu'on n'en a pas, elle vient des gens qui ont des choses à dire et qui n'arrivent pas à se faire voir, à se faire entendre. ” En l'occurrence, une jeunesse souvent oubliée des politiques publiques, qui manque de place dans les écoles, et pour qui les MJC sont généralement closes. Et c'est d'ailleurs l'impact social et éducatif de la danse qui a motivé la création d'Hip-Hop Evolution, quinze ans plus tôt… en Bretagne.

"ON EST CAPABLES DE FAIRE MIEUX QUE CE QU'ON VOIT À L'EXTÉRIEUR" En 1997, Abdallah Haribou, dit Basso, 17 ans, quitte Sada pour la ville de Rennes. À l’époque, du fait de l’arrivée tardive de la télévision et d’Internet sur l’île, il ne connaît rien du hip-hop. Il s’installe en métropole avec un autre jeune de Kahani, et ne tarde pas à découvrir que les Mahorais n’ont alors pas bonne réputation. Lorsqu’ils visionnent leurs premières cassettes de breakdance, qu’ils essaient difficilement d’imiter les mouvements qui s’affichent devant eux, ils comprennent que le hip-hop, dans sa dimension sportive et pédagogique, pourrait leur permettre de donner de leur île une bien meilleure image. “ On a appris sans personne, puis on est allé à la rencontre de danseurs reconnus, on a essayé de voir avec les autres jeunes qui pratiquaient cette activité. ” L’énergie est si vive, qu’en 2005, les deux Bboys créent Hip-Hop Evolution afin de promouvoir le mouvement culturel qui les anime, et les valeurs d’effort, d’expression et de cohésion qu’il véhicule. Lorsqu’il retourne s’installer à Mayotte quatre ans plus tard, Basso sillonne l'île à la recherche d'autres Bboys et Bgirls. Les rencontres s'organisent petit à petit, jusqu'à ce qu'en 2011, l'association organise

les premières sélections pour le Battle Of The Year à Montpellier, qui permet aux vainqueurs d'accéder à une compétition internationale. Si Mayotte n'a encore jamais eu cette chance, Bisso, lui, estime qu'"on est capable de faire mieux que ce qu'on voit à l'extérieur, à La Réunion, en Afrique du Sud, en métropole" : "Lors de nos premiers Battle Of The Year, on essayait de danser comme les gars de Paris, de Lyon, de Bordeaux, et ça ne marchait pas. On a notre propre culture et c'est ce petit truc qui peut faire que notre mouvement sera différent du danseur qu'on a en face." Une singularité mahoraise souvent teintée de résilience. En 2016, les qualifications pour le Battle Of The Year sont organisées place de la République à Mamoudzou. Mais lors du concert qui se tient juste avant, des émeutes éclatent dans le public. Les forces de l'ordre interviennent, l'événement est interrompu. "Ça s'est arrêté juste avant la finale. Mais sans elle, on n'aurait pas pu envoyer d'équipe concourir en métropole", se souvient Sophie Huvet. Ni une, ni deux, Basso bataille et finit par avoir accès à la MJC de Sada le lendemain. Les bboys s'y affronteront sans public, et répéteront la nuit précédente à la lueur des phares d'un scooter garés sous le préau d'une école primaire. Sans salles, sans chaussures. "Ils ne créent avec rien", résume Nadja Harek. Aux origines mêmes du hip-hop. n

LE HIP-HOP, AU-DELÀ DE LA DANSE Le mouvement hip-hop s'articule autour de cinq disciplines : le rap, le breakdance, le beatboxing, mais aussi le DJing et le graffiti. S'agissant des deux dernières, "il faut acheter du matériel qui coûte très cher, avoir des autorisations pour taguer", commente Sophie Huvet. D'où leur faible développement à Mayotte. L'île compte toutefois quelques aficionados. Dans le graf, Papajan et ses petits makis, qu'ils utilisent pour véhiculer des messages de paix ou remettre en question notre société sont devenus incontournables. "Pour les matières premières, c'est vraiment le parcours du combattant. Le prix passe du simple au double lorsqu'il faut tout envoyer à Mayotte", concède l'artiste. "Mais je crois que pour s'exprimer, peindre peut être plus efficace que barrer la route."

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