Mayotte Hebdo n°931

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est extrêmement en retard alors qu’il regorge de richesses. C’est navrant de voir qu’au delà du rap, tous les artistes qui veulent faire carrière sont obligés de quitter l’île”.

s’ils veulent pas que l’on dérape. Nous on ne demande que ça franchement ! Mais personne veut nous voir aller de l’avant”, lance l’aîné de la bande.

“ON A JUSTE VOULU COPIER”

“ON VOUDRAIT ÊTRE GUIDÉS MAIS ICI IL N’Y A RIEN”

À défaut de ces armes, les jeunes rappeurs du collectif Génération Ayiti prennent alors les leurs. Et, de leur propre aveu, se perdent en route. Ils s’appellent Citron, Kibama Djack, Kiss, Darmi ou encore Jeune Riche et sont à l’origine du dernier clip qui fait tant couler d’encre sur l’île. Sur le parking du Koropa, ils se désolent du procès qui leur est fait. “Pour nous, c’était juste un gros délire, on a vu que le dernier clip avait plutôt bien marché alors on a voulu frapper plus fort pour faire le buzz, c’est tout, on n’est pas des voyous”, bafouille Citron, l’aîné du groupe. “On a juste voulu copier ce qu’il se faisait ailleurs, faire parler de nous”, ajoute Kiss du haut de ses 19 ans. “Le but c’était pas du tout de menacer qui que ce soit, nous on est complètement en dehors des guerres de bande. D’ailleurs, le clip avait été tourné avant qu’il y ait les problèmes entre Kawéni et Majikavo, c’est pas du tout pour les provoquer… Après, c’est vrai que je comprends qu’on ait pas été assez clairs là dessus”, reprend Citron entre deux bouchées de sandwich pain/sardines. “On a juste copié”, le même refrain dans chacune des bouches de ces jeunes rappeurs, ponctué d’un “on n’a pas réalisé les conséquences”. Aujourd’hui, la déception est d’autant plus grande qu’à l’origine, le projet se voulait noble. “En fait, on tourne un clip tous les ans, l’idée c’est de rassembler tous les quartiers de Majikavo, d’oublier les bandes et s’amuser tous ensemble à travers le clip. Ça fait des journées où les grands comme les petits s’investissent, oublient leurs différences et ne sont pas à trainer. L’objectif c’est vraiment ça, de rassembler tout le monde”, expliquent-ils. “Tout ceux qui nous jugent ne voient pas ça, comme c’est important pour tout le monde ici, ils voient juste le clip où on a des armes, c’est dommage”, regrette Darmi, médiateur. Pour eux, la démarche musicale, le message est secondaire. “On regarde ce qui se fait et on fait pareil, pour faire le buzz. Pourquoi les rappeurs de métropole pourraient faire ça et pas nous ?” questionne l’un d’eux. Peut-être parce que les clips de métropole paraissent pour leur public de l’évidente fiction et qu’ici, les chombos et les machettes courent les rues. “Je n’avais pas vu ça comme ça… C’est vrai… Après on explique quand même aux petits que ce n’est qu’un clip, pas la réalité mais bon il y a aussi tous les autres… Bon mais voilà aussi, nous on essaye de faire notre truc pour kiffer et personne est là pour nous accompagner. On vient nous juger après alors que c’est avant qu’il faut venir nous donner des conseils

“On voudrait être guidés mais ici il n’y a rien, je comprends ceux qui disent que le message c’est important et tout mais c’est pas facile quand on est tout seul. Là on se cotise pour tout, c’est nous qui payons les sessions studio, le réalisateur du clip etc. On bosse tous à côté pour pouvoir faire ça alors c’est vrai qu’une fois qu’on est dedans, on pense juste à faire un truc délire”, poursuit son collègue. Manque d’accompagnement, de discernement, erreurs de parcours, les regrets sont légions dans le discours de ces jeunes rappeurs qui, déjà, pensent à se rattraper. “On en a discuté entre nous et avec quelques anciens et pour le prochain projet, on va essayer de rattraper ça, de montrer qui on est vraiment et d’expliquer que ce qui nous importe c’est avant tout l’unité, pas la provocation ou la violence”, assure Darmi. “Mais c’est difficile aussi de faire ça vu notre environnement… J’aimerais parler des vrais choses, expliquer nos problèmes mais c’est dur, l’inspiration a du mal à venir et la vie est déjà assez compliqué comme ça”, confie Citron. “Oui, forcément c’est compliqué pour eux, sans doutes plus que pour nous parce qu’à la place d’une culture émancipatrice, ils sont coincés entre la diffusion massive des images occidentales et leur quotidien violent. Ils veulent faire de la musique, certains ne sont pas mauvais, mais leur seul matériau c’est la violence, celle de l’image et celle de leurs vies”, analyse ZedCee. Alors, comment les faire sortir de l’ornière ? “Il va falloir une politique culturelle très solide pour rattraper ça. Mais c’est indispensable au vu de cette jeunesse qui est comme un volcan. Tout le monde n’est pas doué à l’école alors la musique et le sport, c’est la base pour faire un exutoire”. Si certaines associations ou quelques structures, comme celles qui envoient leur jeunes évoluer aux côtés du MC ont bien compris cet enjeu, le dynamisme reste bien faible à l’échelle du territoire. Un exemple ? “J’avais imaginé reprendre les anciens locaux de Mayotte la 1ère pour en faire le premier conservatoire de Mayotte, que les artistes aient leur maison, leur école… Il y a déjà les studios et tout, c’était un super projet…” Et puis ? “La mairie a préféré y installer son service technique”. On connaît la chanson. n

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