Mayotte Hebdo n°1063

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LE MOT DE LA RÉDACTION

LE RÊVE MAHORAIS Le soleil se lève sur l’île aux parfums. Les habitants n’ont pas besoin de se réveiller aux aurores pour aller travailler puisque les routes sont proportionnelles au trafic mahorais. Les enfants prennent le bus scolaire sans craindre de se faire agresser en chemin ou dans leurs écoles. Les travailleurs profitent des mêmes droits que ceux du reste du pays. L’eau coule à flot dans les robinets et les familles ne sont pas obligées d’en stocker pour vivre… Pour toute la population française, ceci est la norme, le stricte minimum. Mais pour les habitants de Mayotte, ceci est un rêve. Le rêve mahorais. Ce qui paraît normal et anodin chez les autres, est un parcours du combattant dans le 101ème département. Ce rêve mahorais est-il réalisable ? Oui si tous les élus parlent d’une même voix et défendent les intérêts du territoire. Cela commence par le projet de loi Mayotte qui doit définir l’avenir du département.

Raïnat Aliloiffa

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tchaks Les ministres Darmanin et Vigier à Mayotte Venus à Mayotte à plusieurs reprises cette année, Gérald Darmanin et Philippe Vigier seront de nouveau sur le territoire, la semaine prochaine. Selon l’AFP, leur temps de présence sur l’île se limitera aux mercredi 1er et jeudi 2 novembre. Il s’agira de leur troisième séjour respectif pour cette année 2023. En effet, le ministre de l’Intérieur et des Outremer avait passé son réveillon sur l’île aux parfums, avant de venir défendre son opération Wuambushu en juin. Son collègue chargé des outremer, nommé ministre en juin, était présent à deux reprises en septembre. L’un comme l’autre veulent montrer qu’ils restent engagés sur leurs terrains respectifs, l’insécurité ou la lutte contre l’immigration illégale pour Gérald Darmanin et la crise de l’eau pour Philippe Vigier. Du côté de la préfecture de Mayotte, la venue des deux ministres n’était pas encore confirmée ce mercredi matin.

Un défilé de coiffures en folies, sous le signe de l’audace Ce vendredi 27 octobre, l’événement “Coiffure en folie” est de retour pour une quatrième édition. Organisé par Chebani Anis et l’association Espoir Majicavo, ce défilé de coiffures se tient au collège de Majicavo-Lamir. Près de soixante-dix modèles arborant des créations de coiffeurs défileront pour le plus grand plaisir des yeux du public. “L’événement a pour but de montrer les talents qu’il y a à Mayotte, qu’on ne voit pas”, avance Chebani Anis. Le public pourra arriver dès 17h, après s’être procuré des billets à Lila Lingerie, à Carrefour ou à Beauté Plus, à Mamoudzou, contre la somme de 15 euros. Des animations et des surprises sont prévues à chaque passage en plus du défilé. Un événement sous le signe de l’audace : Chebani Anis veut comme mot d’ordre le verbe “oser”. “Je trouve dommage que des personnes qui ont des idées, mais qui craignent les commentaires des gens, de ce qu’ils vont dire, ne se lancent pas, car si tu n’oses pas, tu n’iras pas plus loin”, estime l’organisateur, avant d’ajouter que ce rendez-vous sera magnifique.

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Octobre rose marche 4,2 km vers sa fin, dimanche Après un mois d’actions de prévention et de sensibilisation au dépistage du cancer du sein, Octobre rose touche à sa fin. Pour finir en beauté, l’Association mahoraise pour la lutte contre le cancer (Amalca) organise, comme à son habitude, une marche de l’espoir, “Mwendro wa tama” ce dimanche 29 octobre. « C’est une manière de quitter Octobre rose avec le grand public et mettre en avant la sensibilisation, la prévention, mais aussi pour que les personnes continuent à aller se faire dépister », explique Faïna Ousséni, coordinatrice de la vie associative à Amalca. Le parcours de 4,2 km partira du stade Cavani à 14h et fera une boucle pour se terminer au même endroit. 3.000 personnes sont attendues et ont sûrement d’ores et déjà acheté le bracelet nécessaire à la participation à l’événement, vendu 10 euros. Pour les retardataires, les bracelets sont encore présents dans plusieurs points de vente, dont le siège de l’association à M’gombani.

Le nouveau commandant de la gendarmerie a officiellement pris ses fonctions Le général Lucien Barth, à la tête de la gendarmerie de Mayotte depuis deux mois, a pris ses fonctions de commandant officiellement lors d’une cérémonie à la caserne de Pamandzi, vendredi 20 octobre. « Je suis arrivé sur le territoire il y a deux mois. J’ai l’impression d’être un ancien sur Mayotte, au regard des missions que j’ai déjà remplies », admet le général Lucien Barth. Sa prise de fonctions a été retardée parce que l’état-major mahorais attendait la venue du général Lionel Lavergne, le directeur de la gendarmerie en outre-mer. Avant son arrivée à Mayotte, le général Lucien Barth a déjà été affecté aux outremers, en Martinique et en Nouvelle-Calédonie. « Prendre le commandement de la gendarmerie de Mayotte, île que je ne connaissais pas, pour moi, c’est un rêve qui se réalise », estime le général. Dans un contexte de recrudescence des faits de violence, il a profité de cette cérémonie pour réaffirmer aux Mahorais son investissement entier dans leur protection et sa volonté que les enquêtes puissent « faire cesser les troubles et mettre les auteurs sous main de justice ».

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LU DANS LA PRESSE

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MAYOTTE : LA CRISE DE L’EAU, UN SCANDALE D’ÉTAT ? Publié sur l’Humanité, par Julia Hamlaoui, le 20/10/2023

Délégation de service public à Vinci entachée de conflits d’intérêts, contrats pour la désalinisation non respectés, gestion du syndicat des eaux pointée du doigt par la justice… Des documents révélés par Le Monde mettent en lumière les dessous du scandale de l’eau qui frappe Mayotte et comment l’État a laissé filer. De l’eau, un jour sur trois et pour 18 heures seulement. Une situation intenable dénoncée par les habitants de Mayotte, qui subissent de nouvelles restrictions depuis le 11 octobre. « Je comprends l’exaspération mais cela est le fait de tant d’années où les choses n’ont pas été faites », se défend le ministre des Outre-mer, Philippe Vigier qui s’est rendu dans l’archipel de l’océan Indien fin septembre pour annoncer quelques mesures supplémentaires, complétées par Élisabeth Borne début octobre. Pas de quoi convaincre les syndicats mahorais qui ont déclenché une grève pour le respect d’un droit élémentaire : « de l’eau potable et gratuite pour tout le monde ». Un minimum que la République devrait assurer.

Des marchés raflés par Vinci Mais, elle a au contraire laissé s’installer ce scandale de l’eau qui frappe aujourd’hui Mayotte de plein fouet : d’une délégation de service public à une filiale de Vinci pas exempte de conflits d’intérêts, à des contrats pour augmenter les capacités de l’usine de désalinisation non respectés, en passant par une gestion du syndicat des eaux pointée du doigt par la justice. Et ce sans que les services de l’État ne mettent le holà. C’est ce que mettent en lumière des documents révélés par Le Monde, ce vendredi. À commencer par des échanges entre la préfecture mahoraise et le Syndicat intercommunal d’eau et d’assainissement de Mayotte (Sieam) sur deux nouvelles unités de dessalement de l’eau de mer prévue en 2017 à la suite d’une précédente sécheresse exceptionnelle ayant déjà provoqué une crise de l’eau. « Il est impératif de rendre opérationnelles ces unités de production au plus vite. Il a été convenu que le Sieam confiera cette opération à son délégataire, la SMAE (la Société mahoraise des eaux, filiale du groupe Vinci, N.D.L.R.), par voie d’avenant au contrat de délégation de service public

de production d’eau potable », prescrit la préfecture dans l’un des courriers. Ce marché d’extension de l’usine de désalinisation de Petite Terre est confié dans la foulée à la Sogea-Vinci Construction, une autre filiale.

Contrats non respectés et conflits d’intérêts En 2018, le syndicat des eaux entre en conflit avec la SMAE, estimant que celle-ci se sucre un peu trop. Un constat confirmé par la chambre régionale des comptes, dans un document également cité par le Monde : les recettes augmentent (de 11 à 25,8 millions d’euros entre 2008 et 2018) mais la part reversée au syndicat diminue (de 45 % à 27 % sur la même période). Pendant ce temps, les nouvelles infrastructures prennent du retard et l’usine de dessalement ne remplit pas ses objectifs. Vinci ne respecte pas les engagements pris par contrats et fait valoir des difficultés techniques pour le justifier. L’entreprise menace aussi, au passage, de réclamer 30 millions en cas de rupture de contrat. En 2020, la direction de l’audit de la Commission européenne pointe – parmi de multiples irrégularités – un autre problème majeur : « un conflit d’intérêts non déclaré ou insuffisamment atténué », puisque SMAE et Sogea font partie du même groupe et que la première a été partie prenante de l’attribution du marché à la seconde. Résultat : les fonds européens qui finançaient une partie du projet sont suspendus.

La gestion du syndicat des eaux dans le collimateur du PNF La gestion du Sieam (devenu syndicat mixte, Smeam), à qui Vinci renvoie la responsabilité des

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difficultés, n’est pas exempte de critiques notamment en raison du découpage de ses appels d’offres sous le seuil où la mise en concurrence devient obligatoire. Le Parquet national financier (PNF) a même ouvert une enquête en mars 2020, soupçonnant un usage inapproprié des deniers publics. Dans le collimateur du PNF : le président du Sieam entre 2014 et 2020, Moussa Mouhamadi, des entreprises et des élus locaux, pour des délits de « favoritisme », « recel et complicité de favoritisme », « détournements de

fonds publics », « corruption passive par personne chargée d’une mission de service public ». Moussa Mouhamadi argue pour sa défense que, depuis 2017 et la mise en place des comités de l’eau, les décisions devaient être validées par le préfet. « Le passé, c’est le passif, je le regrette, élude Philippe Vigier, dans les colonnes du Monde. Mais mon boulot, c’est de trouver des solutions. Sous ma gouvernance, je ne laisserai rien passer. »

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DOSSIER

Un projet de loi pour programmer l’avenir de Mayotte 8 • M ay o t t e H e b d o • N ° 1 0 6 3 • 2 7 / 1 0 / 2 0 2 3


LE PROJET DE LOI MAYOTTE A VU LE JOUR IL Y A PLUS DE DEUX ANS. LE GOUVERNEMENT L’A MIS SUR LA TABLE AFIN DE DÉFINIR LES MESURES PHARES QUI DÉVELOPPERONT LE DÉPARTEMENT. APRÈS UN PREMIER ÉCHANGE QUI N’A PAS ÉTÉ FRUCTUEUX, LES CONSEILLERS DÉPARTEMENTAUX PROPOSENT UNE NOUVELLE FORMULE QUI NE FAIT CEPENDANT PAS L’UNANIMITÉ PARMI LES ÉLUS. 9 • M ay o t t e H e b d o • N ° 1 0 6 3 • 2 7 / 1 0 / 2 0 2 3


DOSSIER

Raïnat Aliloiffa

LE PARCOURS DU COMBATTANT POUR LE PROJET DE LOI MAYOTTE LE PROJET DE LOI MAYOTTE EST LANCÉ PAR LE GOUVERNEMENT DEPUIS MAINTENANT DEUX ANS, À L’OCCASION DU DIXIÈME ANNIVERSAIRE DE LA DÉPARTEMENTALISATION DE L’ÎLE. SON OBJECTIF EST DE FIXER LES GRANDS AXES DE DÉVELOPPEMENT DU TERRITOIRE POUR LES PROCHAINES ANNÉES. CEPENDANT, SON PARCOURS EST SEMÉ D’EMBÛCHES I m m i g r a t i o n c l a n d e s t i n e, d r o i t s sociaux, développement du territoire, modernisation des institutions… Ce sont les quatre grands axes du projet de loi Mayotte proposé par le gouvernement en mars 2021. Il comporte 34 articles et a été rebaptisé « loi pour un développement accéléré de Mayotte ». Comme son nom l’indique, son objectif est de développer le territoire et d’aller vers la convergence des droits d’ici le 20ème anniversaire de la départementalisation. Le préfet de l’époque, Jean-François Colombet avait porté l’initiative. Des concertations publiques ont eu lieu dans les quatre coins de l’île afin de recenser les doléances des Mahorais. Le gouvernement a ensuite présenté une première version aux conseillers départementaux en janvier 2023, mais ils l’ont rejetée à l’unanimité. Ils estimaient qu’elle ne répondait pas à toutes les problématiques du département, notamment sur le volet de l’immigration et des mineurs isolés. Alors que l’on croyait que le projet était enterré, il refait surface il y a quelques mois à l’issue du dernier Comité interministériel de l’Outremer (Ciom) tenu au mois de juillet 2023. « Le gouvernement veut relancer le projet de loi sépicifique à Mayotte pour renforcer l’efficacité des politiques publiques sur le territoire », annonce Élisabeth Borne lors de la conférence de presse qui a suivi le Ciom.

UN TOUR DE PASSE PASSE

veulent développer Mayotte, aller vers la convergence des droits sociaux, et maîtriser l’immigration. Cela signifie que le code de la sécurité sociale, celui de la santé publique et le code du travail devront être pleinement appliqués sur le territoire. Cette nouvelle version conquis davantage les conseillers départementaux à l’exception de celle du canton Mamoudzou 3, Hélène Pollozec. Cette dernière n’adhère pas au changement de statut de Mayotte en département-région. Concernant l’immigration, les élus souhaitent un renforcement de la surveillance en mer, la modification des règles pour les titres des séjours territorialisés, ou encore la suppression du droit du sol. Ce dernier aspect est suggéré par les représentants du conseil départemental, mais ils savent qu’il est anticonstitutionnel et il a donc peu de chance d’être validé par le gouvernement. Quoi qu’il en soit, 25 conseillers sur 26 ont voté pour la dernière version et elle a été envoyée à Elisabeth Borne. Selon la conseillère départementale Maymounati Moussa Ahamadi, « la contribution a été reçue positivement. Une discussion est prévue le 23 et 24 novembre avec la première ministre pour acter les actions à très courts termes. Ces réunions se feront avec les parlementaires. » Si un accord est trouvé, le projet de loi sera présenté au Sénat et à l’Assemblée nationale dans les prochains mois. Une chose est sûre, il est nécessaire pour le territoire, et il n’y a plus de temps à perdre.

Un nouvel exemplaire est proposé aux élus locaux. Ils doivent l’étudier et apporter leurs remarques. L’objectif reste le même pour le conseil départemental et pour Matignon. Les deux parties

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DOSSIER

Propos recueillis par Alexis Duclos

INTERVIEW

« NOUS SOMMES TENUS DE PROGRAMMER L’ÎLE D’ICI LES TRENTE PROCHAINES ANNÉES » CONSEILLÈRE DÉPARTEMENTALE DU CANTON DE DZAOUDZI-LABATTOIR, MAYMOUNATI MOUSSA AHAMADI A ACTIVEMENT PARTICIPÉ À L’ÉLABORATION DES 120 PROPOSITIONS QUI ONT ÉTÉ REMISES AU GOUVERNEMENT. Mayotte Hebdo : Comment avez-vous établi ces propositions ?

ralenti avec plein de projets structurants qui n’y sont pas.

Maymounati Moussa Ahamadi : Le comité interministériel de l’outremer (Ciom), en juillet, a donné l’occasion pour Mayotte de parler de la contribution du territoire. Elle servira à l’élaboration de la loi qui est faite par le gouvernement et pas par le Département de Mayotte, je le rappelle. Dans ce qui a été fait, l’idée était

M.H. : On a vu qu’un travail de concertation a eu lieu.

« LES IDÉES VIENNENT DU CŒUR DE LA POPULATION » de reprendre ce qui a été mis en place avec le préfet Jean-François Colombet au mois de mai 2021 avec la concertation publique. On a repris les thématiques et ce que voulaient déjà à cette époque les Mahorais. Ce qu’on a mis en plus, c’est par rapport à l’actualité. On a eu depuis l’opération Wuambushu, une crise de l’eau plus qu’excessive et une insécurité monstrueuse. On a également un territoire où le développement est

M . M . A . : Nous sommes tenus de programmer Mayotte d’ici les trente prochaines années. Et les idées viennent du cœur de la population. J’ai entendu des vertes et des pas mûres pour dire que ce qui est fait n’est pas forcément bien. Je rappelle que toutes les institutions y ont participé. Il y a tous les élus locaux, tous les parlementaires, les collectivités, les collectifs et l’association des anciens élus. Tout le monde a été invité à participer. M.H : En 2021, les Mahorais avaient participé à la concertation, mais l’année d’après, les élus du conseil départemental avaient émis un avis défavorable, estimant ne pas avoir été assez écoutés. Comment éviter le même schéma ? M.M.A. : Il y a la temporalité qui va être définie. À Mayotte, on a déjà une cellule technique composée d’élus départementaux, de techniciens du Département et d’un cabinet d’avocats. Il est important aussi d’intégrer les questions d’actualité. Par exemple, Mayotte n’organisera pas les Jeux des Iles


M.M.A. : Si on regarde la thématique sur la compensation des transferts de compétences, oui. On parle ainsi de la dotation globale de fonctionnement. Ce n’est pas une politique de rattrapage, mais je dirais de clarification. Ce sont des montants qui sont dus et doivent augmenter en fonction de la population. Il y a des points, certes, où l’on demande des remises à niveau. Il y a d’autres points où il faut qu’on arrête de se dire qu’il faut agir dans un, deux ou trois ans. À un moment, il faut des actions immédiates, à moyen et à long terme permettant de faire évoluer Mayotte dans un développement accéléré. M.H : Qu’est-ce qui vous gêne dans les premières critiques ? M.M.A. : On a fait du tapage, on a parlé de toilettage institutionnel pour faire peur à la population, alors que ça n’a rien à voir avec un toilettage. C’est plutôt vers une équité sociale et économique vers quoi on devrait aller en tant que département. M.H : Il y a beaucoup de choses proposées et certaines ne seront jamais dans une loi Mayotte. On peut penser au conditionnement de la scolarité des élèves de nationalité étrangère qui va à l’encontre du droit à l’éducation. de l’océan Indien en 2027. Très bien, on demande maintenant à intégrer la Commission de l’océan Indien en tant que département français. C’est un travail d’équipe à faire avec les parlementaires. J’espère que cela va engager Mayotte dans une phase de développement accéléré. M.H : En quoi est-ce important de défendre ce travail préparatoire ? M.M.A. : Il faut se rappeler que la dernière loi programme pour Mayotte date de 1987. Ensuite, on a eu des contrats de convergence, pas mal de choses, puis les fonds européens. Mais il n’y a pas eu une programmation territoriale. Notre génération a de la chance d’avoir un document entre nos mains pour engager Mayotte dans les trente prochaines années. On programme l’avenir des hommes et des femmes de ce territoire, les futures infrastructures, l’emploi, l’économie, la formation, l’agriculture. Si nous ne nous engageons pas dans cette voie alors que nous sommes asphyxiés par tant de problématiques, cela veut dire qu’on n’a pas compris notre rôle d’élu. Je salue d’ailleurs Ben Issa Ousseni (N.D.L.R. le président du conseil départemental) d’avoir fait l’effort de dire qu’il n’y a ni opposition ni majorité pour ce projet de territoire. Le président de notre groupe d’opposition, Elyassir Manroufou, m’a donc désigné pour défendre ce projet. M.H : On parle de programmation, mais ce qui ressort du texte, c’est davantage du rattrapage.

M.M.A. : Vous avez raison, mais comme les maires sont asphyxiés, on le demande. Peut-être qu’en mettant cela, ça va permettre à l’État de réfléchir à une option annexe. J’avais proposé à Sébastien Lecornu (N.D.L.R. ex-ministre de l’Outre-mer) de créer un réseau associatif annexé à l’Éducation nationale avec des personnes qui ont le Bafa (N.D.L.R. brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur) qui peuvent s’occuper les enfants non scolarisés, notamment les plus petits. Au lieu de rester chez eux et perdre un an, ils pourront rentrer l’année suivante avec des acquis. On a aussi la suppression du droit du sol. On sait très bien que c’est anticonstitutionnel, mais on le dit. Ils verront ce qu’ils veulent le faire. On ne se met pas de barrières sur ce que l’on veut. M.H : En janvier 2022, il y avait des reproches sur le manque de calendrier ou de chiffres pour les propositions gouvernementales. On n’en voit pas plus dans ce texte, pourquoi ? M.M.A. : C’est à l’État de nous dire. Il y a 120 mesures, vous pensez réellement qu’on peut toutes les chiffrer ? Comme l’Evasan, vous pensez qu’on peut connaître le coût pour ceux qui font un diagnostic hors Mayotte (N.D.L.R. proposition numéro 54). La Première ministre va nous dire en termes de budget : « nous pouvons vous donner autant ». On verra en fonction de cela. Mais là, c’est se griller dès la phase de démarrage. Si on demande 400 millions d’euros et qu’ils voulaient nous donner un milliard. On se doit de ne pas être dans l’affront, mais la discussion.


DOSSIER

Propos recueillis par Raïnat Aliloiffa

INTERVIEW

L’ABSTENTION ÉTAIT LA SEULE OPTION POUR HÉLÈNE POLLOZEC

LA CONSEILLÈRE DÉPARTEMENTALE DU CANTON DE MAMOUDZOU 3 EST LA SEULE À S’ÊTRE ABSTENUE LORS DU VOTE DU PROJET DE LOI MAYOTTE AU CONSEIL DÉPARTEMENTAL. ACCUSÉE DE NE PAS S’UNIR AUX AUTRES, ELLE EXPLIQUE LES RAISONS DE SON CHOIX. SELON ELLE, LES PROPOSITIONS FAITES PAR LES ÉLUS DU DÉPARTEMENT NE SONT PAS À LA HAUTEUR DES ENJEUX DE L’ÎLE.

Mayotte Hebdo : Parmi les 26 conseillers départementaux, vous êtes la seule à s’être abstenue lors du vote des propositions du projet de loi Mayotte. Pour quelles raisons ? Hélène Pollozec : Ce projet de loi est une grande opportunité pour Mayotte. C’est pour cela qu’il ne faut vraiment pas se louper. On n’aura pas 50 mille opportunités comme celle-là. Dedans, on doit retrouver toutes les grandes mesures qui feront développer Mayotte. L’idée est d’envoyer un document référence à Paris, les doléances des Mahoraises et Mahorais pour s’en servir de base pour l’élaboration du projet de loi. C’est l’État qui propose une loi où on commencerait à proposer des solutions aux problèmes du département, parce qu’on n’aura pas tout dedans. Maintenant si on parle de la contribution qui a été faite par le conseil départemental, je me suis abstenue pour le moment car on ne mesure pas toute

« IL N’Y A PAS DE RÉELLE PROGRAMMATION »

l’importance de ce texte et j’ai l’impression que l’on va trop vite. On n’a pas pris le temps de se poser autour de la table et de discuter. MH : Qu’est-ce qui vous dérange dans les propositions faites par vos collègues conseillers ? H.P : On y trouve différents points. Il y a le volet institutionnel qui est, selon moi, très peu concerté. On n’a pas pris le temps de

voir tous les changements que l’on proposait, et quels impacts ils auraient réellement à Mayotte. Je donne l’exemple du changement de dénomination. Il est proposé de changer le statut de département de Mayotte en département-région. C’est le premier point de ce projet. Alors qu’en 2009, les Mahorais se sont prononcés à la fois sur un statut de collectivité unique et sur sa dénomination. Sur ce point là, on manque de concertation, on n’a pas pris le temps de poser le pour le et le contre. On sait que dans d’autres territoires français, un changement de dénomination signifie autonomiste voire indépendantiste. Donc pour moi c’est dangereux de faire cette proposition sans demander l’avis des Mahorais. On pense que changer le mot fera venir les dotations régionales, alors que c’est faux. Si un changement de dénomination devait tout changer comme un coup de baguette magique, tous les codes auraient dû s’appliquer pleinement lorsque Mayotte est passé département. Or, on a vu que ce n’est pas le cas. La deuxième chose qui est maladroite dans ce texte c’est le scrutin. C’est un scrutin régional sauf qu’à l’intérieur c’est écrit qu’il faut rajouter une « spécificité Mayotte ». Donc il faut être clair. Soit on s’inscrit dans le droit commun, soit on cherche à faire des spécificités Mayotte et dans ce cas là j’ai bien fait de ne pas voter pour. On veut que les habitants de Mayotte aient les mêmes droits que tout le monde au niveau national, alors on ne va pas recréer des spécificités. Ensuite le texte en lui-même est une liste qui énumère ce que l’on veut mais il n’y a pas

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H.P : Une commission a été créée et c’est une bonne initiative qu’il faut saluer. Mais dans cette commission il n’y a que six personnes. On fait porter l’avenir de Mayotte sur six personnes alors qu’on est vingt-six. Vingt-six ce n’est déjà pas suffisant alors six… Et puis je peux vous assurer que tout le monde ne vient pas aux réunions. On a eu des réunions élargies où la totalité des élus de Mayotte étaient invités mais tous ne sont pas venus. Je suis allée à des réunions où on était quatre et un ou deux en visioconférence. Et il n’y a que mon groupe qui prend cela au sérieux. C’est déplorable. MH : Et pourtant cela fait déjà deux ans que ce projet est mis sur la table. Est-ce que cela va continuer encore comme ça pendant longtemps selon vous ? H.P : Le texte de loi Mayotte ne sera étudié au Parlement qu’après le projet « Asile et immigration ». C’est comme ça que c’est inscrit dans le calendrier gouvernemental. Et c’est aussi inscrit qu’il arriverait dans les six mois après la réunion du Comité interministériel de l’Outremer (Ciom) qui a eu lieu en juillet, donc c’est bientôt. Comme la fois précédente on demandera l’avis du conseil départemental car cela nous concerne et ce sera discuté au Sénat et à l’Assemblée Nationale. C’est pour cela que je dis qu’on s’est pressés en voulant donner le document après un mois de travail alors qu’on nous en donnait six. Il y avait tout un travail de priorisation dans les demandes pour les mesures non négociables, celles à court terme etc. Et rien n’a été fait. C’est juste une liste. MH : Et il y a dans cette liste, des mesures qui paraissent improbables voire anti-constitutionnelles, à l’exemple de la scolarisation des enfants non français… de réelle programmation. Il n’y a aucun chiffre. Et c’est l’une des remarques qui avait été faite par le ministre Philippe Vigier. Il dit que notre texte n’est pas chiffré. On

« ON FAIT PORTER L’AVENIR DE MAYOTTE SUR SIX PERSONNES » a des études plein le placard au département, il suffirait de les ressortir pour avoir des chiffres. MH : La conseillère Maymounati Moussa Ahamadi pense que ça serait contre-productif car les élus pourraient demander un budget en dessous de ce que proposerait le gouvernement… H.P : Plusieurs inspections interministérielles ont eu lieu à Mayotte. Certes ce n’est pas notre métier en tant qu’élu de donner des chiffres. Par contre, il y a des études qui ont été faites qui disent très clairement quels sont les chiffres dont on a besoin. Par exemple, on connaît le budget nécessaire pour l’aéroport et pour le port. MH : Est-ce que vous travaillez ensemble au département pour proposer un projet de loi constructif et solide ?

H.P : Oui et ce sont des choses qui ne valorisent pas Mayotte puisqu’on fait des propositions qui ne sont pas acceptables au vue de la constitution française. MH : Pourquoi les élus du département font ce type de propositions si on sait qu’elles ne passeront pas ? H.P : Je cherche à comprendre aussi… C’est dommage de ne pas avoir attendu les premiers jets du projet « asile et immigration » car les réalités migratoires à Mayotte sont différentes de celles de l’hexagone. Aucun territoire ne peut nous comprendre. Donc il aurait fallu attendre pour voir quelles seraient les propositions pour Mayotte et à l’intérieur de ce projet de loi Mayotte, corriger les oublis qu’il y aurait pu avoir et qui n’auraient pas été pensés par nos parlementaires. Le calendrier nous donne ce pouvoir et c’est dommage de ne pas en profiter. MH : Est-ce que vous en parlez à vos collègues conseillers ? Est-ce que votre voix compte ? H.P : Je pense que beaucoup de mes collègues sont d’accord avec ce que je dis. Maintenant le choix qu’ils ont fait est de voter d’abord puis de voir après. Je trouve que c’est un choix dangereux. C’est pour cela que j’ai décidé de m’abstenir et je l’assume car pour moi le texte n’est pas à la hauteur en l’état des doléances des Mahorais. Mais ça ne veut pas dire que je ne fais pas tout ce qui est en ma capacité pour le faire avancer. J’ai passé trois jours avec le ministre Philippe Vigier lors de la rentrée du Modem et on a parlé de Mayotte tous les jours.

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Agnès Jouanique

DES CAPTAGES ILLÉGAUX DÉTRUITS DANS LE BASSIN DE LA RIVIÈRE OUROVÉNI Une nouvelle opération de destruction de captages illégaux en rivière a eu lieu ce mardi matin, organisée par la Mission inter-services de l’eau et de la nature (Misen). C’est la troisième opération menée depuis début septembre. Ainsi, quatre captages illégaux installés dans un affluent de la rivière Ourovéni ont été démolis.

Ce mardi matin, quatre captages illégaux ont été détruits dans un affluent de la rivière Ourovéni.

Après les rivières Mroni Mouala et Bouyoni, une opération de destruction de quatre ouvrages non-autorisés a eu lieu ce mardi matin, dans un affluent de la rivière Ourovéni. Ces captages illégaux ont été construits au travers du cours d’eau afin de le dévier et ainsi permettre l’irrigation de cultures. En sus, un bassin récemment construit dans une zone humide a été également détruit. « Il y a un enjeu très fort en termes de ressources en eau potable », admet

Jean-François Le Roux, chef de service environnement, prévention des risques à la Dealm (Direction de l’environnement, de l’aménagement, du logement et de la mer). Organisées dans le cadre de la Mission interservices de l’eau et de la nature (Misen), ces opérations permettent « d’unir nos forces afin de lutter contre tous ces prélèvements sauvages et illégaux, qui portent un gros préjudice à la ressource en eau et donc, à la potabilisation », indique Ronan Le Goaster, chef du bureau

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gestion de l'eau au sein de la direction de la transition écologique et énergétique (DTEE) au Département. Depuis début septembre, ce sont treize captages illégaux qui ont été démolis, en trois opérations. « De la ressource en moins pour l’eau potable » L’affluent concerné par cette opération est situé dans le bassin versant de l’Ourovéni et de sa prise d’eau pour l’usine de potabilisation. « Tous ces captages qui retiennent l’eau de manière illégale, c’est de la ressource en moins pour l’eau potable », reconnait Jean-François Le Roux. À Mayotte, les rivières appartiennent au domaine public fluvial, propriété du Conseil départemental, dont fait partie cet affluent, ainsi que tous les cours d’eau. Ces différents captages illégaux, qui prélèvent de l’eau gravitairement sans pompe, avaient été précédemment repérés par les agents de la Police de l’eau, de l’Office français de la biodiversité (OFB) et du Département. Ce mardi, une vingtaine de personnes étaient donc mobilisées pour ces destructions, du Conseil départemental, de l’OFB et de la Dealm de Mayotte. La gendarmerie, ainsi que la police municipale de Ouangani et intercommunale de

la communauté de communes du centre ouest étaient présentes pour assurer la sécurité de l’opération.

Un schéma d’entretien des rivières La semaine passée, le Département de Mayotte a délibéré pour la mise en place d’un schéma d’entretien et de restauration des rivières de Mayotte. « Avec cette crise de l’eau, on s’est bien rendu compte qu’il fallait mettre le paquet pour entretenir, préserver, protéger nos rivières », constate Ronan Le Goaster. Une fois le financement bouclé, ce schéma sera mis en place afin de protéger durablement la ressource en eau et devrait contenir près de 400 interventions à réaliser. « On va se lancer dans la reconquête de nos rivières », affirme le chef de bureau. Le volet répressif sera accentué afin de faire cesser ces infractions, notamment en lien avec le parquet et l’Office français de la biodiversité. En complément, le Département a également récemment délibéré sur le principe de la création d’un Office de l’eau, organe de gouvernance de l’eau. n

Une vingtaine de personnes du Conseil départemental, de l’Office français de la Biodiversité et de la Direction de l’environnement, de l’aménagement, du logement et de la mer (Dealm) de Mayotte étaient mobilisées sur cette action.

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LITTÉRATURE

LISEZ MAYOTTE

LA BELLE DU JOUR

AGRÉGÉ DE LETTRES MODERNES ET DOCTEUR EN LITTÉRATURES FRANCOPHONES, CHRISTOPHE COSKER EST L’AUTEUR DE NOMBREUX OUVRAGES DE RÉFÉRENCE SUR LA LITTÉRATURE DE L’ÎLE AUX PARFUMS, NOTAMMENT UNE PETITE HISTOIRE DES LETTRES FRANCOPHONES À MAYOTTE (2015) DONT IL REPREND, APPROFONDIT ET ACTUALISE, DANS CETTE CHRONIQUE LITTÉRAIRE, LA MATIÈRE. La cinquième nouvelle de La Belle du jour (1996) s’intitule « ‘M’béki l’Africain’ ». Le point de départ est un dîner entre amis, entre quatre amis. Ils composent vraisemblablement deux couples : Sally et M’béki d’un côté, Sylvie et JeanMarc de l’autre. M’Béki, le personnage éponyme de l’Africain, apparaît sans doute comme un outsider dans la mesure où les invités sont les amis d’enfance de Sally, des Nétrablais selon le gentilé français qui renvoie à une commune de la Loire : Noiretable. C’est pourtant lui qui anime une bonne part de la conversation : « À qui le dites-vous ? fit M’béki ; mais c’est tout le drame de cette époque coloniale, qui perdure encore, soit dit en passant, dans certaines contrées. Les colons triaient à la volée les autochtones – en général les bénioui-oui – et leur laissaient croire, en leur donnant les moyens, qu’ils pouvaient être presque aussi civilisés qu’eux. C’est ainsi que naissaient des clubs comme celui dont vous venez de parler. Vous savez, les Belges n’étaient pas plus retors que les autres Européens en Afrique. Et que dire de ces parents antillais qui battaient leurs gamins parce qu’ils avaient le malheur de parler créole à la maison ? » (p. 93-94) Le ton est donné et l’on retrouve les thèmes qui préoccupent l’auteur, à savoir la survivance de la situation coloniale ainsi que les violences, réelles comme symboliques, entraînées par cet ordre des choses. M’béki apparaît comme un autodidacte principalement attiré par un sujet et un seul, mais sujet vaste, complexe et multiforme : « Ce genre de discussions, M’béki les affectionnait particulièrement. Il avait beaucoup lu sur la colonisation et la décolonisation, même s’il eut souvent des difficultés à suivre le fil du raisonnement des auteurs. Parfois, il relisait plusieurs fois une phrase ou un paragraphe. Il n’avait

pas souvent l’occasion de disserter sur la question ; toutes les fois qu’il s’y essayait, ses copains africains le taxait [sic] de nostalgique ou considéraient le sujet comme dépassé, donc sans aucun intérêt. » (p. 95) De façon modeste, Abdou Salam Baco met en scène un lecteur qui peine avec les livres qu’il lit, manière de tendre la main vers le lecteur au lieu de le prendre de haut. Comme dans la nouvelle précédente, l’auteur déplace l’action dans un ailleurs qui peut servir de miroir à Mayotte : « Insulaire d’origine, M’béki était de ceux qui avaient quitté leur pays pour continuer leurs études en Europe. Il était bercé par le rythme des soleils des indépendances qui avaient éclairé l’Afrique dans les années soixante. Oh ! bien sûr, son île natale était encore sous domination étrangère – portugaise pour être précis - mais il avait grandi dans la violence de la PIDE et la résistance héroïque d’Amilcar Cabral et ses amis. » (p. 96) M’béki est présenté comme un insulaire qui vit sous un joug étranger, celui du Portugal, puissance colonisatrice. Il ne s’agit pas ici seulement d’inscrire M’béki dans un lieu d’origine qu’il a d’ailleurs quitté, mais dans une trajectoire, celle de l’étudiant cosmopolite. Le personnage est marqué par les « soleils des indépendances » qui apparaissent moins ici comme une référence littéraire à Ahmadou Kourouma qu’à l’ambiance de la décolonisation en Afrique. Enfin, la référence à Amilcar Cabral fait songer au Cap-Vert. La nouvelle passe en revue un certain nombre de motsclefs du discours colonial sur lequel l’auteur pose son point de vue critique et le transmet, de façon didactique, à son lecteur : « évolué », « mission » - et assistance technique - cachent l’ancienne puissance civilisatrice – « Occidental », « Nègre » ou encore « Sud ».

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La nouvelle se poursuit par une critique du système qui semble hésiter entre une issue par la réforme profonde ou par la révolution. La nouvelle met en scène une soirée qui permet de faire un pas de côté par rapport à ce qui est à la fois une situation coloniale, mais aussi une situation intériorisée, c’est-à-dire une mentalité : « Le drame de la vie de M’béki, c’était de se sentir impuissant devant certains fonctionnaires européens – des coopérants – qui se prenaient pour ce qu’ils n’étaient pas chez eux ; ces simples attachés d’une catégorie inférieure qui se sentent pousser des ailes parce qu’ils étaient dans une île encore sous obédience technique de l’Europe ; ces borgnes au pays des aveugles qui font la pluie ou le beau temps dans ce ‘Far West’ des temps modernes : ces John Wayne d’une époque révolue, qui n’hésitent pas à dégainer dès qu’un Indien un peu audacieux ose leur tenir tête ; ces grands bluffeurs devant l’Éternel qui se croient capables de berner le monde tout le temps. » (p. 108-109) Il y a donc non pas un, mais deux M’béki, celui qui est capable de briller socialement et intellectuellement au cours d’une soirée où il peut disserter sur sa façon de voir le monde et celui qui s’efface et conçoit du ressentiment. Le problème qui apparaît notamment est celui de la liberté de parole. M’béki réussit à développer son discours devant une assemblée lorsqu’elle est bénévole, mais non lorsqu’elle est malévole. Cette deuxième situation n’est pas résumée, comme la première, par un ensemble de lectures, mais par un souvenir cinématographique, celui du western réduit à une production dans laquelle l’homme blanc assassine l’homme rouge qui ose se dresser contre lui. Cette compréhension du western rejoint celle de la bande dessinée tarzanide chez Nassur Attoumani. Christophe Cosker

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MAGAZINE D’INFORMATION NUMÉRIQUE HEBDOMADAIRE Edité par la SARL Somapresse au capital de 20 000 euros 7, rue Salamani Cavani M’tsapéré BP 60 - 97600 Mamoudzou Tél. : 0269 61 20 04 redaction@somapresse.com Directeur de la publication Laurent Canavate canavate.laurent@somapresse.com Directeur de la rédaction Mohamed El Mounir dit “Soldat” 0639 69 13 38 soldat@mayottehebdo.com Rédactrice en cheffe Raïnat Aliloiffa

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Couverture :

Projet de loi pour programmer l'avenir de Mayotte

Journalistes Raïnat Aliloiffa Alexis Duclos Saïd Issouf Agnès Jouanique Marine Gachet Direction artistique Franco di Sangro Graphistes/Maquettistes Olivier Baron, Franco di Sangro Commerciaux Cédric Denaud, Murielle Turlan Comptabilité Catherine Chiggiato comptabilite@somapresse.com Première parution Vendredi 31 mars 2000 ISSN : 1288 - 1716 RCS : n° 9757/2000 N° de Siret : 024 061 970 000 18 N°CPPAP : 0125 Y 95067 Site internet www.mayottehebdo.com

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