N°01a - 12/04/17
APRÈS SA RESTAURATION... Le projet “Sauf…(territoires)” est un dispositif artistique développant différentes actions sur plusieurs années (2012, 2013 et au delà) et, qui a pour objet, les territoires autour du golfe de Fos. Ces actions reposent sur trois thèmes majeurs : l’industrie, les habitants et l’environnement. Elles se composent d’interventions artistiques, de débats, de promenades (Gr 2013) avec la participation active des habitants. La notion de résidences artistiques est parmi ces actions, au cœur de ce dispositif. C’est pourquoi la rencontre avec le Tétrodon nous a semblé primordiale en tant que lieu d’accueil pour les résidences mais également pour une meilleure lisibilité de notre projet. En effet, cette architecture étant mobile, le Tétrodon sera déplacé plusieurs fois au cours de l’année 2013 et placé principalement à des endroits de grande visibilité. Une fois restauré, le Tétrodon, architecture médiatrice, permettra d’établir des liens entre des artistes en résidence dans celles-ci et les habitants des territoires. Cette structure ne manquera pas de susciter la curiosité et permettra de s’interroger notamment sur l’évolution de vos territoires pendant ces 50 dernières années.
TÉTRODON OU LE DESTIN DU POISSON COFFRE
L’équipe de “Sauf...(territoires)”
À la fin des années soixante et du grand mouvement de contestation dans lequel l’école des beaux arts et les architectes eurent une part non négligeable, de nouvelles formes d’habitat virent le jour d’abord sous forme de recherches ou d’expérimentations. Accompagnées d’une critique plus ou moins directe de la valeur patrimoniale de la
Le Tétrodon actuel
plaquette design et logo ©C Galatry pour pcpi - 2011
maison et d’un regard plus ludique sur la construction, la décade aura vu l’émergence de nouvelles formes architecturales. Période optimiste d’utopies fertiles, de croissance économique et de renouveau technique, l’alliance de la grande industrie et des trouvailles d’artistes ou de jeunes architectes, allait bousculer les sacrosaints principes des pères fondateurs du modernisme...
Un projet phare du dispositif “ S au f ...(territoires)” A s s o c i a t i o n ‘ p a r c e p a s s a g e , i n f ra n c h i . . .’ 7 3 b d B a i l l e - 1 3 0 0 6 M a r s e i l l e Te l : 0 6 0 8 0 6 9 7 8 6
MODULES ET LIBERTÉS Pascal Haüsermann, formé à l’école de Genève et aux études d’ingénierie à Londres jusqu’en 1962, cultive les maisons bulle en béton (les Domobiles en 1971 avec Patrick Lemerdy), ou en métal comme à Madras où il vient de décéder le 1er novembre 2011. Arthur Quarmby, lui, travaille avec Ionel Schein sur la maison tout en plastique (1956) va développer les coques en polyester et leurs assemblages sous la forme d’épis (Corn on the Cob 1962) qui influencera le groupe Archigram. Ces deux tendances vont marquer les années ‘soixante’, elles se rencontrent sur les principes de la série modulaire et de la liberté d’expression tant pour les auteurs que pour les habitants. En France, des groupes se forment comme le Groupe International d’Architecture Prospective, autour de Michel Ragon en 1966 ou en 1971 autour du thème de la “Maison Évolutive”.
CONTENU Le projet de Jacques Berce, et Enrique Ciriani de l’AUA se situe dans la période de maturité de ces expériences : après la bulle à six coques de J. B. Maneval en 1964 avec Elf Aquitaine et La Maison Saint-Gobain de Jean Prouvé en 1965. Le Tétrodon, du nom du célèbre poisson coffre, semble selon les témoignages des protagonistes issu d’une réflexion sur un habitat mobile autour de la structure d’un conteneur lui même dédié au transport. Développé dans les années ‘cinquante’, le conteneurs est le résultat d’un effort de standardisation du transport de fret international basé sur une section de 8 pieds de large et 8,5 de haut avec des longueurs variant de vingt à quarante pieds (1ft=30,48 cm); à l’intérieur de ces volumes on peut loger ce qu’on veut, des caisses, des boîtes, du vrac parfois même des humains. Sur cette donnée, encore débutante dans les années ‘soixante’, J. Berce et E. Ciriani, vont chercher à amplifier le volume de base par l’adjonction de modules fonctionnels sous forme de doubles coques en polyester isolées par une mousse polyuréthane. Accrochées aux parois entre longerons
et montants métalliques, les coques sont dédiées à des activités spécifiques: sommeil, repas, cuisine, sanitaires. L’espace central reste libre, articulant l’espace servi des coques à l‘espace servant du conteneur; ici les auteurs empruntent aux principes fonctionnels redéfinis par Louis Kahn à cette période.
DESIGN ET AGENCEMENT La structure de base elle même est utilisée comme élément d’assemblage grâce aux fameuses pièces de coin caractéristiques des conteneurs qui autorisent les simples empilements ou l’arrimage à une structure mère, comme l’imaginait Peter Cook pour le projet de Plug in City en 1969. À la structure standardisée du conteneur, vient s’ajouter l’espace modulaire des coques dimensionnées pour les fonctions qu’elles accueillent. Un vrai travail de design se fera sur les diverses coques, à l’image des productions de Jo Columbo tel le Total Furnishing Unit (1971) entre mobilier et architecture qui propose une réponse globale aux besoins de l’individu : cellule bains, cellule cuisine, cellule nuit et unité centrale. Jacques Berce qui n’est pas architecte, travaille avec Annie Tribel pour le dessin d’aménagement : sol pastillé Pirelli, portes de placards stratifiés, étagères suspendues, bloc cuisinette équipé, avec son rideau à enroulement, sanitaires avec lavabo, douche, double cloison de distribution des fluides, porte-savons, porte-serviettes, étagères. Les portes des sanitaires sont sur le modèle des cabines de navires. Enfin tout un monde intérieur est conçu avec une grande attention, Agnès Delmotte, la femme de Jacques Berce, choisi les tissus de l’opération de Fos chez Quentin d’Helemme.
VERS LA SÉRIE De tous ces possibles, naîtra un prototype réalisé par le Groupe Barbot et exposé dans la cour du Louvre, vert et bleu semble-t-il, Paul Delouvrier, responsable de l’Aménagement du Territoire l’inaugure. Didier Conesfroy un des chefs de projet du Tétrodon se souvient encore avoir joué le figurant d’un soir pour la revue Paris Match. De là naîtra la première commande de Fos Sur Mer, pour le compte de la Sonacotra qui essaye plusieurs habitats légers modulaires dont le Tétrodon.
Par la suite c’est dans le cadre de l’aménagement du littoral Aquitaine que le projet Tétrodon primé lors du sixième concours Programme Architecture Nouvelle, que sera mis en oeuvre le Village de Vacances Familiales du Claouey. Deux autres projets seront réalisés: un centre de vacance en Irak ainsi qu’une base pour des cadres à Mururoa. En quelques années la production du Tétrodon atteindra un stade de série, mais, en 1973, le triplement du prix du pétrole va stopper net l’ économie des projets liés à la carbo-chimie. Jacques Berce s’intéressera encore aux équipements de loisirs mais sous d’autres formes avec les modules Matriochka, Bac Banana, Palmita en toiles et bois.
OBSOLESCENCE Les maisons en plastiques des années soixante s’imaginent comme des objets modernes économiques, plaisants et attirants mais aussi rapidement jetables. Cette durée de vie courte, est un des standards rêvés du début de la consommation
de masse. Les objets naissent dans leur fabrication, vivent, s’usent en rendant un service, et disparaissent, hors d’usage, ce temps de l’usage est appelé l’obsolescence. Le terme d’obsolescence fait irruption dans l’espace de l’architecture en 1967 avec le premier numéro de la revue Utopie d’Hubert Tonka. Un tableau figure cet espace entre éphémère et durable qui mesure la durée de vie des objets. Pour une robe de papier : 2heures, un stylo à bille : 15 jours, un siège en carton : 6 mois, une paire de chaussures : un an, une automobile : 5 ans, une habitation : 60, 100, 150 ans ! Jean Baudrillard écrit ; « L’éphémère est sans doute la vérité de l’habitat du futur. Les structures mobiles, variables, rétractables s’inscrivent dans l’exigence formelle des architectes, et dans l’exigence sociale et économique de la modernité. Mais ni l’éphémère ni le durable ne sont des valeurs absolues et exclusives. »
On lira : Revue Architecture d’Aujourd’hui N°162 1972 Revue Technique et Architecture N° 295 1973 Eve Roy /La question de la mobilité dans les représentations et expérimentations architecturales en Europe de 1960 à 1975, Rives méditerranéennes. Philippe Bancillon : Les Années ZUP : La Maison en plastique en France, Picard 2002 Pascal Blin : AUA, Mythe et réalités, Élécta Moniteur 1988 Catalogue : Architectures expérimentales 1950-2000, Frac Centre HYX, 2003 Architectures de cartes postales : Tétrodon sauvé. Archipostcard.blogspot.com
Par un renversement de paradigme, le Tétrodon de Fos sur Mer, rescapé de l’aventure, retrouvé au fond de l’enclos d’un loueur d’engin, un peu collectionneur, a passé la quarantaine et du même coup d’éphémère il a acquit le statut d’objet durable! Sa sauvegarde entamée depuis plusieurs mois en fait un unicum et sa restauration prend un sens, pour peut qu’on en connaisse les ré-usages à venir.
DÉCRIRE, RESTAURER Le Tétrodon se présente sous la forme d’un conteneur de trente pieds (913,5 x 243,6 x 258,8cm). Équipé d’un coque sanitaire, d’une coque cuisinette, de trois coques couchage, et de quatre coques rangements, à quoi s’ajoutent trois portes à jour vitré ainsi que deux panneaux plans : une fenêtre coulissante et un panneau plein. Plancher et plafond sont dans un état médiocre, certaines coques sont endommagées, dont une percée pour l’installation d’un climatiseur. Un réseau de quatre tirants articulés sur un poinçon semble avoir été ajouté afin de raidir le plancher. L’intérieur est passablement défraichi. Les sanitaires ont leurs équipements en état moyen, et les cloisons menuisées sont endommagées. La cuisinette paraît avoir été transformée avec un plaque cuisson 4 feux, les portes de placard, et les étagères sont en mauvais état. Les rangements sont en assez bon état, les portes sont à réviser. L’état des couchages est passable, sauf pour l’inclusion du climatiseur. Les hublots sont en état divers. Enfin les portes et fenêtres ont été doublés de grilles de défense. L’électricité, la plomberie sont quasi hors d’usage. En première approche la restauration pose peu de problème technique, seulement quelques énigmes, mais il convient de récupérer les documents d’exécution qui existent, de manière à retrouver le sens formel de l’ensemble. Cette phase de recherche documentaire est en cours qui rencontre des témoignages d’un grand intérêt pour l’étude philologique de la restauration. Thierry Durousseau, Architecte - novembre 2011.