

La Vénus d’Ille
ProsPer MériMée
Adapté en français facile par
Brigitte Faucard
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Direction éditoriale : Béatrice Rego
Marketing : Thierry Lucas
Édition : Marie-Charlotte Serio
Couverture : Fernando San Martin
Mise en page : Isabelle Vacher
Illustrations : Conrado Giusti
Enregistrement : Blynd
© Cle International 2025 92 Avenue de France 75013 Paris contact@cle-inter.com
Dépôt légal : avril 2025
Code éditeur : 263976
ISBN : 978-209-039559-4

ProsPer MériMée naît le 27 septembre 1803 à Paris dans une famille cultivée : sa mère est peintre* et son père, professeur de dessin.
Il fait ses études au lycée Henri IV puis fait une licence de droit.
Depuis son adolescence, il est passionné par la littérature. Il fréquente les salons littéraires où il fait connaissance avec des grands écrivains de l’époque : Victor Hugo, Alfred de Musset ou Stendhal.
En 1825, il publie des pièces de théâtre sous le nom de Clara Gazul puis, en 1829, il publie un roman historique :
Chronique du règne de Charles IX.
En 1834, il est nommé inspecteur général des Monuments* historiques. Cela lui permet de voyager en France et à l’étranger (Italie, Angleterre, Espagne et Grèce). Ces voyages sont une source d’inspiration pour écrire ses nouvelles.
En 1840, par exemple, il publie Colomba, après un voyage en Corse et, en 1845, Carmen, après un séjour en Espagne, nouvelle dont Bizet va faire un célèbre opéra.
Ayant une santé délicate, l’auteur s’installe à Cannes où il meurt le 23 septembre 1870.
Les mots ou expressions suivis d'un astérisque* dans le texte sont expliqués dans le Vocabulaire, page 43.
La Vénus d’Ille, la nouvelle fantastique la plus célèbre de Prosper Mérimée, paraît pour la première fois en 1837, dans La Revue des deux mondes. Pour écrire ce récit, Prosper Mérimée trouve l’inspiration dans un voyage qu’il effectue en 1834 dans le Roussillon1, comme inspecteur général des Monuments historiques. Là, il se rend dans la ville catalane d’Ille-sur-la-Têt, près de Perpignan, où il visite un site* antique car des fouilles archéologiques* ont permis de découvrir un temple* dédié à Vénus*. Comme beaucoup de nouvelles de ce genre, le récit est court et très vivant. L’histoire se déroule sur quatre jours et présente un événement surnaturel. Cependant, à la différence d’autres récits fantastiques, ce n’est pas le personnage qui subit les événements qui raconte l’histoire mais un narrateur, un archéologue*, qui constate les faits et qui, peu à peu, malgré son esprit rationnel, est troublé par tout ce qui se passe. D’autre part, l’originalité de ce récit réside aussi dans le fait que l’élément qui cause l’angoisse et la peur n’est pas un fantôme ni un mort vivant mais une statue* qu’on ne voit jamais agir, ce qui laisse planer un doute. À la fin du récit, le lecteur lui-même ne sait que penser ; il est face à deux explications : l’une rationnelle et l’autre surnaturelle. Mais l’auteur ne va jamais vers l’une de ces directions, ce qui oblige le lecteur à trancher et à choisir l’explication que le satisfait le plus.
1. Le Roussillon : ancienne province du sud de la France.
1 CHAPITRE I
Ce soir-là, alors que je descends le dernier coteau du Canigou2, je vois au loin les maisons de la petite ville d’Ille où je me rends.
– Vous savez, dis-je au Catalan qui me sert de guide depuis hier, où habite M. de Peyrehorade ?
– Bien sûr ! répond-il, je connais très bien sa maison. C’est la plus belle d’llle. Il a de l’argent, M. de Peyrehorade ; et il marie son fils à une personne plus riche que lui.
– Et ce mariage, c’est pour quand ?
– Bientôt ! Demain, je crois. Il a lieu à Puygarrig car c’est avec Mlle de Puygarrig que monsieur le fils se marie. Et ce sera un beau mariage !
Un ami, M. de P., m’a recommandé à M. de Peyrehorade, un antiquaire* de la région, pour me faire visiter les environs d’Ille qui sont riches en monuments antiques et du Moyen Âge. Il m’a dit que c’est un homme cultivé et très agréable.
– Je crois savoir, monsieur, me dit mon guide, ce que vous allez faire chez M. de Peyrehorade.
– Oh, ce n’est pas difficile à deviner. À l’heure qu’il est, après cette longue marche dans le Canigou, ce que je veux, c’est dîner.
– Oui, bien sûr, mais demain ?… Vous venez à Ille pour voir l’idole* ! C’est bien ça, n’est-ce pas ?
– L’idole ! quelle idole ?
Ce mot a excité ma curiosité.
– Comment ! on ne vous a pas dit, à Perpignan, que M. de Peyrehorade a trouvé une idole en terre ?
2. Le pic du Canigou (2 785 m d’altitude) est le sommet le plus oriental des Pyrénées.
– Vous voulez dire une statue en terre cuite, en argile* ?
– Pas du tout, en bronze* ! Elle est aussi lourde qu’une cloche d’église. On l’a trouvée au pied d’un olivier.
– Vous étiez présent à la découverte ?
– Oui, monsieur. Voilà comment ça s’est passé. Il y a quinze jours, M. de Peyrehorade nous dit, à Jean Coll et à moi, de déraciner un vieil olivier qui a gelé3 pendant l’hiver. Jean Coll se met à creuser avec énergie et, tout à coup, j’entends bimm … Qu’est-ce que c’est ? je dis. Nous creusons, nous creusons, et c’est alors qu’apparaît une main noire, qui ressemble à la main d’un mort. Moi, j’ai peur. Je vais voir Monsieur et je lui dis :
– Notre maître, il y a des morts sous l’olivier !
– Quels morts ? il me dit. Il vient, voit la main et s’écrie :
– Une antiquité* ! une antiquité !
Il est fou de joie et se met à creuser avec nous.
– Et qu’est-ce vous avez trouvé ? je demande à mon guide.
– Une grande femme noire presque nue, monsieur, toute en bronze, et M. de Peyrehorade nous a dit que c’était une idole d’il y a très longtemps !
– Je vois ce que c’est… Une bonne Vierge en bronze d’un couvent détruit.
– Une bonne Vierge ! Pas du tout ! C’est une idole, on le voit à son air. Elle vous fixe avec ses grands yeux blancs… On baisse les yeux en la regardant.
– Des yeux blancs ? Sans doute incrustés dans le bronze. C’est apparemment une statue romaine.
– Romaine ! c’est ce que M. de Peyrehorade a dit. Ah ! Je vois que vous êtes un savant, comme lui.
3. Être abîmé par le froid.

– Et elle est bien conservée ?
– Oui, monsieur, elle est entière. Et c’est très beau ! Mais je n’aime pas le visage de cette idole. Elle a l’air méchante… et elle l’est aussi.
– Méchante ! Qu’est-ce qu’elle vous a fait ?
– À moi rien, mais à Jean Coll. Quand on l’a sortie et redressée avec des cordes, ce qui était dur à faire, elle s’est renversée tout d’un coup et est tombée sur la jambe de Jean.
– Et votre ami a été blessé ?
– Il a la jambe cassée. En voyant cela, j’étais furieux, je voulais détruire la statue mais M. de Peyrehorade m’a empêché de le faire. Il a donné de l’argent à Jean Coll, qui est encore au lit depuis quinze jours, et le médecin dit qu’il marchera mal toute sa vie. C’est triste car Jean est un très bon joueur de paume4, après le fils de M. de Peyrehorade, naturellement.
Puis mon guide se met à me parler des exploits du fils de M. de Peyrehorade et de Jean Coll au jeu de paume et nous arrivons enfin à Ille.
* * *
Quelques minutes plus tard, je me retrouve en présence de M. de Peyrehorade.
C’est un homme assez âgé, vif et très aimable. Il lit rapidement la lettre de mon ami, me dit de m’installer à une table bien servie puis me présente sa femme et son fils Alphonse.
4. Le jeu de paume est un sport pratiqué en Europe depuis l’Antiquité et très apprécié du xive au xviiie siècle. D’abord pratiqué à main nue, il est devenu par la suite un sport de raquette. Il est l’ancêtre direct de la pelote basque.
Le dîner est savoureux et la conversation avec mon hôte5 fort agréable. En revanche, son fils est peu bavard. C’est un grand jeune homme de vingt-six ans, assez beau et très athlétique mais plutôt froid et prétentieux, me semble-t-il.
À la fin du repas, alors que je veux partir, mon hôte me dit :
– Monsieur, vous êtes chez moi, je ne vous laisse pas partir. J’ai beaucoup de choses à vous montrer dans cette belle région. Vous devez absolument voir tous les beaux monuments qu’on trouve ici : phéniciens, celtiques, romains, arabes, byzantins, vous verrez tout !
– Je ne veux pas déranger, lui dis-je, surtout dans les circonstances actuelles…
– Ah ! vous voulez parler du mariage de ce garçon, dit-il en me coupant la parole.
C’est après-demain. Et vous êtes invité. Demain, je vous réserve une belle surprise.
– Je crois deviner la surprise que vous me préparez. Mon guide m’a parlé de votre découverte.
— Ah ! il vous a parlé de l’idole, car c’est ainsi qu’ils appellent ma belle Vénus… mais je ne veux rien vous dire. Demain, au grand jour, vous la verrez, et vous me direz si j’ai raison de croire que c’est un chef-d’œuvre*.
Mme de Peyrehorade, qui voit que je suis fatigué, déclare alors qu’il est temps d’aller se coucher.
La conversation se poursuit encore un peu puis mon hôte décide de me conduire à ma chambre. Nous montons un escalier et arrivons dans un long couloir.
– À droite, me dit mon hôte, c’est l’appartement que je destine à la future Mme Alphonse. Votre chambre est au 5. Une personne qui donne l’hospitalité.
bout du couloir, à gauche. Il faut, ajoute-t-il avec un petit rire, isoler les jeunes mariés. Vous êtes à un bout de la maison, eux à l’autre.
Nous entrons enfin dans ma chambre puis mon hôte me souhaite une bonne nuit et se retire.
* * *
Une fois seul, j’ouvre la fenêtre pour respirer l’air frais de la nuit, délicieux après un long dîner. En face se trouve le Canigou, que je trouve d’un aspect admirable car, ce soir, il est éclairé par une lune resplendissante. Je reste quelques minutes à contempler sa silhouette merveilleuse. Au moment où je vais fermer ma fenêtre, j’aperçois la statue qui se trouve sur un piédestal* à environ quarante mètres de la maison. Elle est placée près d’une haie6 qui sépare un petit jardin d’un vaste carré parfaitement uni : le jeu de paume de la ville.
À la distance où je suis, je ne peux pas voir l’attitude de la statue ; je peux voir qu’elle mesure plus d’un mètre et demi.
C’est alors que deux jeunes de la ville passent sur le jeu de paume, assez près de la haie. Ils s’arrêtent pour regarder la statue ; l’un d’eux lui dit à voix haute :
– Te voilà donc, vilaine ! C’est donc toi qui as cassé la jambe à Jean Coll ! Moi, j’ai bien envie de te casser le cou.
– Avec quoi ? dit l’autre. Elle est en bronze, c’est plus dur que je ne sais quoi.
– D’accord, mais je dois souhaiter le bonsoir à l’idole, dit le premier.
6. Haie : file de petits arbres qui limite un jardin, un champ.

Il se baisse, puis je le vois lancer quelque chose avec force – sans doute une pierre. Aussitôt un coup sonore retentit sur le bronze. Au même instant, le jeune garçon porte la main à sa tête en poussant un cri de douleur.
« Elle me l’a rejetée ! » s’écrie-t-il.
Et mes deux voyous7 partent en courant.
La pierre a apparemment rebondi sur le métal et a puni le garçon.
Je ferme la fenêtre en riant de bon cœur.
« Encore un vandale8 puni par Vénus ! »
Sur ce, je vais me coucher et m’endors tout de suite.
7. Mauvais garçon.
8. Personne qui abîme, détruit (des pièces artistiques) pour le plaisir.
2 CHAPITRE II
Il fait jour quand je me réveille. Près de mon lit, il y a, d’un côté, M. de Peyrehorade, en robe de chambre ; de l’autre, un domestique avec une tasse de chocolat à la main.
– Allons, debout, le Parisien ! Vous êtes des paresseux à la capitale ! dit mon hôte pendant que je m’habille rapidement. Il est huit heures, et encore au lit ! Moi, je me suis levé à six heures. Vous devez absolument voir ma Vénus. Allons, buvez vite cette tasse de chocolat de Barcelone… un délice !
Je finis de m’habiller, avale mon chocolat et descends au plus vite au jardin et là, je me trouve devant une admirable statue.
C’est bien une Vénus, et d’une merveilleuse beauté !
Elle a le haut du corps nu. Sa main droite est légèrement levée et elle tend son pouce et les deux premiers doigts. Les autres sont repliés. Avec son autre main, elle tient le drap qui couvre la partie inférieure de son corps.
Le corps de cette Vénus est parfait ; l’ensemble est élégant et noble. En fait, je suis devant un véritable chef-d’œuvre. Sa chevelure9 est très belle et sa tête, petite comme celle de presque toutes les statues romaines ou grecques, est légèrement inclinée en avant. En revanche, je suis surpris en découvrant son visage. Il n’a pas la beauté calme et sévère de ce type de statues. Ici, au contraire, j’ai le sentiment que l’artiste* a voulu lui donner une expression mauvaise et même méchante. Dédain, ironie, cruauté se lisent sur ce visage pourtant d’une grande beauté. 9. Ensemble des cheveux.

– C’est incroyable ! dis-je à M. de Peyrehorade, il y a sur le visage de cette Vénus quelque chose de féroce et, malgré cela, il est très beau.
Je continue à observer la Vénus et je me rends compte que cette horrible expression d’ironie est sans doute augmentée par le contraste de ses yeux, incrustés d’argent* et très brillants, avec le vert un peu noir que le temps a donné à toute la statue.
Ces yeux brillants produisent une certaine illusion qui rappelle la réalité, la vie. J’avoue que je me sens un peu mal à l’aise devant cette figure de bronze.
– Maintenant que vous avez tout admiré en détail, mon cher collègue, dit mon hôte, parlons scientifiquement. Que pensez-vous de cette inscription*, que vous n’avez pas encore regardée ?
Il me montre le socle* de la statue, et je lis ces mots :
CAVE
AMANTEM
– Très cher collègue ? poursuit-il en se frottant les mains. Je veux savoir si nous sommes d’accord sur le sens de ce cave amantem !
– Mais, dis-je, il y a deux sens. On peut traduire : « Prends garde10 à celui qui t’aime ». Mais, en voyant l’expression diabolique de la dame, je pense que le sculpteur* a voulu mettre en garde le spectateur contre cette terrible beauté. Je pense que cette phrase signifie : « Prends garde à toi si elle t’aime. »
– Hum ! dit M. de Peyrehorade, oui, ce que vous dites me semble fort intéressant mais, personnellement, je préfère la première traduction. 10. Faire attention.
Comme j’ai pour principe de ne pas contredire les antiquaires, je réponds à mon hôte que la première traduction est sûrement la bonne.
– Ah ! mon Dieu, s’écrie alors M. de Peyrehorade, encore un acte de vandalisme ! On a sûrement jeté une pierre à ma statue !
Il vient en effet de voir une marque blanche un peu au-dessus du sein de la Vénus. Je remarque une trace semblable sur les doigts de la main droite, qui, je suppose, a été faite par l’incident d’hier soir. Je décide de raconter l’histoire à mon hôte. La « punition » donnée par la statue aux jeunes le fait beaucoup rire.
On entend alors la cloche du déjeuner. Nous rentrons et, comme hier soir, le repas est délicieux. Puis M. de Peyrehorade part discuter avec ses fermiers et, pendant ce temps, son fils m’emmène voir la calèche11 qu’il a achetée à Toulouse pour sa fiancée. Il me montre ensuite ses chevaux, en particulier une jument grise qu’il va offrir à sa future femme et me parle enfin de la jeune fille.
– Nous allons la voir aujourd’hui, dit-il. Tout le monde, ici et à Perpignan, la trouve charmante, j’espère qu’elle vous plaira. Ce qui est bien, c’est qu’elle est très riche. Une de ses tantes lui a laissé tous ses biens. Oh ! je vais être très heureux.
Je suis vraiment choqué de voir un jeune homme plus touché par la dot12 que par les beaux yeux de sa future femme.
– Regardez, poursuit M. Alphonse, voici l’anneau que je vais lui donner demain.
11. Voiture à cheval, à quatre roues.
12. Argent, biens qu’une femme apporte en se mariant.

Et il me montre une grosse bague, formée de deux mains entrelacées13 – ce qui me paraît très poétique –, couverte de diamants. À l’intérieur de la bague, on lit ces mots en lettres gothiques : Sempr´ ab ti, c’est-à-dire, toujours avec toi.
– C’est une jolie bague, lui dis-je mais il y a peut-être trop de diamants…
– Elle coûte très cher ! C’est ma mère qui me l’a donnée.
C’était une bague de famille, très ancienne…
– À Paris, lui dis-je, on donne un anneau tout simple, souvent en or*, comme cette bague que vous avez au doigt.
– Cette petite bague-là, dit-il en regardant son anneau tout uni, c’est une femme à Paris qui me l’a donnée, il y a deux ans. Je me suis bien amusé là-bas… mais Mme Alphonse sera bien contente d’avoir celle que je lui offre. Une bague avec des diamants, c’est toujours agréable à porter, non ?
* * *
Ce soir, nous sommes invités à dîner chez les parents de la fiancée de M. Alphonse. On arrive donc au château où on me présente comme l’ami de la famille. Au cours de ce repas, je fais connaissance avec la future épouse de M. Alphonse. Mlle de Puygarrig a dix-huit ans ; elle est délicate et belle. Elle a l’air très bonne mais aussi un peu malicieuse, ce qui me fait penser à la Vénus de mon hôte. Je constate aussi que M. Alphonse ne lui parle pas beaucoup.
En partant, je me dis « Cette charmante jeune femme va épouser un homme qui est intéressé uniquement par son argent, que c’est triste ! ». 13. Entrecroisé.
Une fois à llle, voulant être aimable avec Mme de Peyrehorade, je lui dis :
– Vous êtes des esprits bien forts dans la région ! Vous faites un mariage un vendredi ; à Paris, on ne le fait pas, par superstition.
– Mon Dieu ! ne m’en parlez pas, me répond-elle, moi, je ne voulais pas mais Peyrehorade a insisté alors j’ai cédé.
Mais pourquoi tout le monde a peur du vendredi ?
– Vendredi ! s’écrie son mari, c’est le jour de Vénus ! Bon jour pour un mariage ! Vous le voyez, mon cher collègue, je pense uniquement à ma Vénus. C’est à cause d’elle que j’ai choisi le vendredi.
Puis M. Peyrehorade explique le programme de demain :
– Tout le monde doit être prêt à dix heures précises. Ensuite, on va aller en voiture à Puygarrig. Le mariage civil a lieu à la mairie du village et la cérémonie religieuse dans la chapelle du château. Ensuite, il y a un déjeuner et le soir, on se retrouve à llle, chez moi, où les deux familles vont dîner ensemble.
3 CHAPITRE III
Le lendeMain, à huit heures, je suis assis devant la Vénus, un crayon à la main. Je recommence, pour la vingtième fois, à dessiner la tête de la statue, sans arriver à donner son expression. M. de Peyrehorade va et vient autour de moi, me donne des conseils, puis met des roses aux pieds de la statue et adresse des vœux de bonheur pour le couple qui va vivre chez lui. À neuf heures, il rentre pour finir de se préparer. C’est alors qu’apparaît M. Alphonse, magnifique avec son costume neuf, ses gants blancs et ses beaux souliers. Il regarde mon dessin et dit :
– Vous ferez le portrait de ma femme ? Elle est jolie aussi. À ce moment, commence sur le terrain d’à côté une partie de jeu de paume. M. Alphonse se met aussitôt à regarder, et moi, fatigué car je n’arrive pas à dessiner ce visage diabolique, je me mets aussi à regarder les joueurs. Parmi eux, il y a des Espagnols – des Aragonais et des Navarrois14 – qui sont arrivés hier et qui jouent très bien. Les Illois, malgré la présence et les conseils de M. Alphonse, sont très vite battus par ces nouveaux champions. Les spectateurs nationaux sont consternés. M. Alphonse regarde sa montre. Il est neuf heures et demie. Il a un peu de temps. Il enlève sa veste et ses chaussures, met des sandales et décide de défier15 les Espagnols.
Je le regarde faire en souriant ; je suis un peu surpris.
– Il faut soutenir l’honneur du pays, dit-il.
Alors je le trouve vraiment beau. Il est passionné.
Il ne pense plus au mariage ni sans doute à sa fiancée…
14. Habitants de l’Aragon et de la Navarre (régions espagnoles).
15. Inviter quelqu’un à être son adversaire.
LECTURES CLE
EN FRANÇAIS FACILE
LA VÉNUS D’ILLE
Prosper Mérimée
Un homme achète une statue de Vénus réputée magique. Elle semble prendre vie et son influence maléfique mène à des événements étranges et un meurtre mystérieux.

GRANDS ADOS ET ADULTES
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