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Espaces linguistiques académiques, par Patrick Chardenet

Espaces linguistiques académiques : approche descriptive, le cas de la francophonie universitaire

Patrick Chardenet

Université de Franche Comté UR-ELLIADD (Édition Langages Littératures Informatique Arts Didactique Discours) CEDISCOR-SYLED EA 2290 (Centre de recherche sur les discours ordinaires et spécialisés) Agence universitaire de la Francophonie (Antenne Amérique Latine du Bureau des Amériques)

Résumé

Si le terme « francophonie » est aujourd’hui plus ou moins assimilé dans l’espace académique des établissements d’enseignement supérieur et des pays qui ont le français comme langue officielle, on peut se demander à partir de quels degrés de différence, quels niveaux d’analyse (lexique, syntaxe, sémantique, pragmatique, discours), il est possible de considérer que la variation entraîne la séparation d’une langue en langues (français de France ; français d’Afrique ; français du Québec…). Autant de questions qui justifient l’existence d’un terme qui, à la fois englobe un espace (territorialisé et déterritorialisé) et rend compte de variants qui le composent. Cependant, cette notion qui est une construction d’abord politique, ne va pas de soi pour les non-francophones et que parler par exemple d’hispanophonie, de lusophonie, d’anglophonie, etc... n’a guère de sens pour les acteurs sociaux des espaces qu’elles désignent1. Construire le monde en x-phonies, relèverait en partie d’une perception purement politique et francophone et la « Francophonie » en serait l’avatar. La francophonie existe-t-elle autrement que par les discours qui l’instaurent ? En quoi la notion senghorienne de « participant « serait-elle distincte de celle de « locuteur » ? De deux choses l’une : ou les langues sont des objets sans qualités et la formation discursive francophoniste essentialiste distinguant la francophonie, provoque aussi la construction d’un discours anti-francophone par une rétroaction

1. Dans un ouvrage édité en 2008 par Patrick Dahlet, Francofonía, Hispanofonía, Lusofonía : migración, mestisaje, y creación, à la suite du colloque Rostros de la francofonía- primavera 2008, Editorial Aldus, Mexico, ces termes figurent comme convoqués par le discours francophone français (l’Ambassade de France est l’organisateur du colloque, conjointement avec la Facultad de Ciencias Políticas y Sociales de la Universidad Nacional Autónoma de México). L’un des contributeur évoque à cet égard un effet de camouflage discursif : « Francofonía, Hispanofonía, Lusofonía :he allí tes espacios de camuflaje multipolar ; tres espacios geopolíticos, geoeconómicos, geoestratégicos por excelencia. » (Fabien Adonon Djogbénou, p.53).

de l’instrumentalisation politique des catégories d’ethnicité et de langue, ou bien en les maniant, les participants des langues leur transfèrent leur expérience. Il s’agit ici d’interroger ce que recouvre la notion au regard de la communauté scientifique internationale qui travaille tout ou partiellement en français en participant à l’espace académique francophone.

introduction

Le terme « francophonie » est aujourd’hui plus ou moins assimilé dans l’espace académique des établissements d’enseignement supérieur et des pays qui ont le français comme langue officielle. Même si l’adjectif « francophone » fait débat en tant que déterminant associé à « littérature » par exemple ( y aurait-il une littérature « francophone » et une autre « française » ? ), il en fait moins lorsqu’on y associe le mot « culture » (le pluriel l’emporte souvent avec « cultures francophones »). Et l’on pourrait se demander à partir de quels degrés de différence, quels niveaux d’analyse (lexique, syntaxe, sémantique, pragmatique, discours), on peut considérer que la variation entraîne la séparation d’une langue en langues (français de France ; français d’Afrique ; français du Québec …). Autant de questions qui justifient l’existence d’un terme qui, à la fois englobe un espace (territorialisé et déterritorialisé) et rend compte de variants qui le composent.

Disons que le terme est devenu courant dans les discours sociaux. Mais on doit déjà noter que cette nominalisation notionnelle qui est une construction d’abord politique, ne va pas de soi pour les non-francophones et que parler par exemple d’hispanophonie, de lusophonie, d’anglophonie, etc... n’a guère de sens pour les acteurs sociaux des espaces qu’elles désignent. D’ailleurs si les discours de la Francophonie politique parlent parfois d’ « hispanophonie » et de « lusophonie », ils se gardent bien de parler d’ « anglophonie », d’ « arabophonie », de « russophonie ». Comme pour dire, montrer ou convaincre que les espaces hispanophones et lusophones pourraient avoir un destin partageable avec celui de l’espace francophone. Et comme pour dire que ou laisser croire que les autres « -phonies » ne seraient que des désignation d’entités linguistique sans destin politique.

Bref, construire le monde en x-phonies, relèverait en partie d’une perception purement politique et francophone (Massart-Pierrard, F., 2007) et la « Francophonie » en serait l’avatar.

D’abord parce qu’elle a été inventée par des discours. La francophonie existet-elle autrement que par les discours qui l’instaurent ? C’est une question géopolitique qui est par exemple posée à la société canadienne (Bélanger, N., Garant, N., Dalley, P., Desabrais, T., 2010). À commencer par la notion fondatrice du géographe Onésime Reclus (1886). Il est le premier à employer le mot « francophone » en désignant « ceux qui parlent français », alors qu’il n’utilise pas la même construction en « -phones » pour désigner les locuteurs des autres langues :

« ... très peu de Wallons parlent flamand, tandis que 300.000 à 550.000 hommes de langue flamande et 20.000 de langue allemande parlent français ; le va-et-vient entre la Flandre flamingante et les villes industrielles de notre Flandre à nous, où des centaines de milliers de Belges s’entassent dans les usines, augmente chaque jour le nombre des Nederduitsch francophones »

Il définit ainsi les francophones comme « tous ceux qui sont ou semblent être destinés à rester ou à devenir participants de notre langue », dans un contexte de concurrence coloniale, le choix du critère linguistique, de préférence aux critères ethnique et économique, pour classer les populations, représente une innovation. Mais en ne l’appliquant qu’aux « participants » de la langue française, il en fonde d’une certaine façon, un caractère d’exception englobant qui sera largement exploité avec la fondation politique senghorienne (Senghor, L.S., 1962, p. 844) : « La francophonie, c’est cet humanisme intégral qui se tisse autour de la terre, cette symbiose des énergies dormantes de tous les continents, de toutes les races, qui se réveillent à leur chaleur complémentaire ».

En quoi cette notion de « participant « serait-elle distincte de celle de « locuteur », si ce n’est pour l’affecter de caractères spécifiques : « humanisme intégral » ; « symbiose des énergies dormantes » ? On touche ici, dans les discours creusets de la francophonie, non pas à des qualités intrinsèques à la langue (ce que d’autres depuis Rivarol et encore aujourd’hui, annoncent comme facteur d’universalité au détriment de langues qui ne posséderaient pas ces qualités) mais à l’expérience de ses nombreux participants sur cinq continents, comme somme mondiale qu’illustrent la variation en français et la variété de ses expressions culturelles.

La francophonie serait de ce point de vue, la manifestation anthropologique d’une langue progressivement internationalisée. Et dans cette hypothèse, rien ne peut empêcher d’imaginer que l’ humanisme intégral et la symbiose des énergies dormantes soit des qualités partagées avec d’autres langues dans des situations comparables.

De deux choses l’une : ou les langues sont des objets sans qualités (Canut, C., 2007) et la formation discursive francophoniste essentialiste (Klinkenberg, J.-M., 2001 ; Canut, C., 2010) distinguant la francophonie, provoque aussi la construction d’un discours anti-francophone (Canut, C., 2012) par une rétroaction de l’instrumentalisation politique des catégories d’ethnicité et de langue, ou bien en les maniant, les participants des langues leur transfèrent leur expérience (Cuq, J.-P., Chardenet, P., 2011). Elles seraient alors, à la fois un moyen (l’artefact langue), un médium (l’interlocution langagière) et un champ de corpus où se manifesteraient les entrelacs de paroles et de discours, dont ceux sur et au nom de la langue, des langues, de la francophonie.

1. DiRE LA LAnguE En y PARTiCiPAnT ET DénoMMER LA SoMME DE

CES ACTES

Nous savons que nous avons pratiquement tous à la naissance la capacité de parler n’importe quelle langue et, si nous ne savons pas vraiment combien de langues un être humain est en mesure de manier dans sa vie, nous les savons nombreuses. Par quoi les langues existent-elles ? Par le fait de parler celles qui sont vivantes et de conserver des traces de celles qui ne le sont plus ? Par le fait de pouvoir en décrire le système ? Ou par le simple fait de les nommer ? C’est certainement par une combinaison des trois, mais on voit bien qu’entre le poids démolinguistique officiel, les représentations de la complexité d’un système et les caractères d’une dénomination, ce qui compte, ce sont les locuteurs, c’est-à-dire la diffusion sur sol (monde des territoires et des flux de population) et hors sol (cybermonde des flux d’informations et d’interactions virtuelles).

Il existe donc institutionnellement, une Francophonie politique.

Il y a dans le monde 80 États et gouvernements qui sont membres de la Francophonie politique représentée par l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) dont dans les Amériques2, deux titulaires qui ont le français comme langue officielle, unique ou partagée : le Canada et la France -via la Guyane et ses presque 700 km de frontière avec le Brésil, et trois pays observateurs en Amérique Latine, le Mexique, le Costa Rica et l’Uruguay. Et si l’on inclue les Caraïbes dans les Amériques : trois titulaires en ajoutant Haïti et un observateur en ajoutant la République Dominicaine.

Il existe une francophonie territorialisée.

L’ensemble des locuteurs vivant dans les pays où le français est langue officielle ou dans des pays où le français n’est pas langue officielle mais où un pourcentage de locuteurs est considéré comme déterminant sur le plan démolinguistique (actuellement, l’Observatoire de la Langue Française, de l’OIF, qui fonde en partie ses données sur les travaux de l’ Observatoire démographique et statistique de l’espace francophone (ODSEF3), estime ce seuil à 20% de la population totale d’un pays).

Il existe une francophonie déterritorialisée.

Celle des flux : les flux de population (migrations ; déplacements forcés de population ; déplacements professionnels et d’études par choix d’internationalisation ; déplacements de services délocalisés par défaillance : santé, études par impossibilité locale) ; les flux d’information et d’interactions virtuelles (Chardenet, P., 2012).

C’est l’ensemble de ces entités constituées d’espaces d’interlocution variés, qui délimitent le périmètre et la surface des usages de la langue qui entrent en relation tectonique avec le périmètre et la surface des usages de ses variétés et ceux des autres langues (Chardenet, P., 2013).

2. Nous reviendrons plus loin sur les spécificités de cet espace pris comme exemple. 3. http ://www.odsef.fss.ulaval.ca/

On peut dire que la Francophonie politique cherche à intervenir sur le status de la langue par des effets variés et variables. Alors que la francophonie des locuteurs tend à intervenir sur le corpus mais aussi sur le status par valorisation du nombre et de la répartition4 .

Cela dit, ces divisions restent des construits théoriques. Les locuteurs, pour la plupart ne sont pas monolingues et ils ont des compétences et des connaissances variables et dynamiques (non fixées, non définitives) des langues de leur répertoire. Dans quelles mesures peut-on décider qu’un locuteur est francophone ? Dans quelle mesure les locuteurs se considèrent-ils comme francophones ? Peut-on dire que tous les locuteurs capables de s’exprimer partiellement en français, sont francophones ? Même si pour telle ou telle raison personnelle, eux-mêmes ne se considèrent pas comme tels ?

Faut-il avoir et manifester une conscience linguistique francophone ou bien sontils potentiellement francophones sans toujours savoir qu’ils le sont ?

C’est tout cela qui rend complexe la détermination de la « -phonie ». Alors, après avoir tenté de répondre à la question du locuteur francophone (Canut, C., 2012 ; Klinkenberg, J.M. 2012 ), se pose celle de savoir de quoi la francophonie est-elle le nom ? De l’ensemble de ses locuteurs concentrés dans des territoires et répartis dans des espaces d’interlocution plastiques et variables (Chardenet, P., 2013) ou de sa politique et ses discours ? Plus ou moins des uns et des autres certainement mais cela ne facilite pas la meilleure (re)connaissance de cet objet enjeu. Difficile de répondre de manière tranchée. Surtout si l’on en reste à un niveau global de surface. Pour connaître vraiment ce que recouvre la francophonie dans ses constantes et des variables, il faudrait pouvoir constituer un gigantesque corpus de tout ce qui se dit en français en 24h dans le monde avec une identification minimum de ses participants et de leur localisation. Un corpus de rêve pour le spécialiste de politique linguistique, mais aussi un cauchemar pour le sociolinguiste ou le linguiste du discours

4. Ces notions sont maintenant classiques et opératoires en aménagement linguistique, depuis qu’elles ont été produites en 1969 par Heinz Kloss et modifiées par Robert Chaudenson pour construire sa grille d’analyse des situations linguistiques : le status, c’est tout ce qui concerne les positions de la langue dans la société ; le corpus désigne le volume de production linguistique réalisé dans la langue, en fonction du nombre de locuteurs et la nature de la compétence linguistique des locuteurs et de leur compétence de communication. De son côté, Bruno Maurer applique la méthode pour analyser la hiérarchie des langues et proposer une politique linguistique éducative au Mali. KLOSS, H., 1969, Research possibilities on group bilingualism : A report, Quebec, International Center for research on Bilingualism (http ://files.eric.ed.gov/fulltext/ED037728.pdf ). CHAUDENSON, R., 2000, Grille d’analyse des situations linguistiques, Paris, Didier Érudition (http :// www.dlf.auf.org/IMG/pdf/grille_lafdef.pdf ). MAURER, B., 2007, « Introduction des langues maliennes dans le système éducatif et effets éventuels sur les hiérarchies sociolinguistiques », dans Chevalier, G., Les actions sur les langues. Synergies et partenariat, Paris, Éditions des Archives Contemporaines.

qui auraient à l’organiser et à l’analyser. Et il faudrait pouvoir faire de même avec un ensemble de langues internationalisées, quel que soit le nom donné à ces entités.

2. ET LA FRAnCoPHoniE univERSiTAiRE ?

Pour pouvoir avancer, essayons de voir ce que cela donne à une échelle plus restreinte, plus précisément à la question posée sur les caractéristiques de la « francophonie universitaire » en appliquant la méthode à cet ensemble.

Si on peut s’interroger d’un point de vue sociolinguistique sur ce que recouvre cette dénomination « francophonie universitaire », de facto, à partir du moment où est institutionnalisé sous forme associative, un regroupement d’universités au sein d’une Agence universitaire de la Francophonie (AUF), la Francophonie universitaire politique existe. Mais évidemment, la francophonie universitaire ne se réduit pas à l’AUF, tout comme l’AUF excède la francophonie universitaire (de la même façon qu’au sein de l’OIF, on trouve des pays où les locuteurs de français sont loin de représenter 20% de la population5, il y a au sein des plus de 800 membres de l’AUF, de nombreux établissements dont la direction et les instances académiques et administratives, n’ont aucune compétence en langue française6 .

Parler de « francophonie universitaire », c’est donc d’abord transposer dans l’espace académique, la distinction entre la Francophonie politique institutionnelle avec un F majuscule, et la francophonie des locuteurs (enseignants, chercheurs et étudiants) avec un f minuscule. C’est reprendre les trois composantes : – une Francophonie universitaire politique institutionnelle représentée par les membres de l’AUF et d’autres organismes internationaux ou locaux (exemples : Centre de la Francophonie des Amériques7 ; les « Centres FrancoArgentins installés dans des universités en Argentine8 ; les bureaux permanents d’universités francophones installés dans des universités partenaires en

5. Même parmi les 54 membres de plein droit, un nombre important n’atteint pas ce pourcentage (http ://www.francophonie.org/IMG/pdf/sommet_xv_membres_oif.pdf), pourtant déclaré comme seuil par l’Observatoire de la langue française (http ://www.francophonie.org/Rapports-Publications.html). 6. Le requis minimum d’adhésion est soit un cours en français, soit un cours de français, d’autres critères portant sur la stratégie de coopération avec les établissements dont le français est langue officielle (https ://www.auf.org/auf/les-membres-de-lauf/) 7. http ://www.francophoniedesameriques.com/ 8. Les centres universitaires franco-argentins (CFA) en relation avec les universités nationales de Buenos Aires (http ://www.uba.ar/cfa/), Cuyo et Córdoba ; le Centre Franco-Argentin en Sciences de l’Ingénierie – CAFCI –, entre le CNRS et le MINCYT – Ministerio de Ciencia, Tecnología e Innovación Productiva.

Allemagne, en Argentine, au Brésil9, en Chine, en Afrique du Sud10, à Singapour… et les universités francophones délocalisées comme Université Paris-Sorbonne-Abu Dhabi11) ; – une francophonie universitaire territorialisée : les locuteurs universitaires, enseignants-chercheurs et étudiants vivant dans les pays où le français est langue officielle d’éducation unique ou partagée ; les locuteurs universitaires, enseignants-chercheurs et étudiants vivant dans les pays où le français n’est pas langue officielle d’éducation ; – une francophonie universitaire des flux, déterritorialisée : les mobilités d’enseignants-chercheurs, d’étudiants-chercheurs mais aussi ceux des administrateurs (missions de présidents, de vice-présidents à la recherche ou aux relations internationales) ; les flux d’information scientifique et d’interactions virtuelles de recherche et d’enseignement distant.

Mais, dans cette dynamique, rien n’est fermé, scellé, tout au contraire reste ouvert et plastique. Le fait d’adhérer à un organisme de la Francophonie ne rend pas nécessairement francophone et le fait d’être francophone, n’ est pas un facteur unique d’inclusion en Francophonie. Il y a dans le monde, plus de 800 universités qui sont membres de l’AUF, réparties dans plus 100 pays différents. C’est une des plus grandes associations internationales d’universités mais elle est loin de regrouper l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur et de recherche où l’on enseigne en français ou le français.

Encore moins si on ajoute le potentiel que représente dans les universités où l’on n’ enseigne pas le français mais où il y a des enseignants-chercheurs capables de travailler tout ou partiellement en français et qui pour certains, font partie de réseaux francophones : – les réseaux formels (comme le Réseau Francophone de Sociolinguistique12 , le Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix13 ou l’Association Francophone Internationale de Recherche Scientifique en Éducation14 ,

9. http ://www.letudiant.fr/educpros/enquetes/cooperation-bilaterale-les-universites-francaises-a-l-heure-bresilienne.html http ://www.wbi.be/fr/news/news-item/luniversite-federale-du-pernambouc-accueille-antenne-duniversites-francaises#.VdInKHuKLKY 10. C’est actuellement un mouvement dynamique des Communauté d’universités et établissements (COMUE) françaises, d’ ouvrir des représentations permanentes dans les locaux d’universités étrangères. Les COMUE de Lyon de Lille ; l’Université Sorbonne Paris Cité ; l’Université Fédérale de Toulouse ; Aix-Marseille Université sont parmi les premières à tenter l’expérience. 11. http ://www.sorbonne.ae/fr/ 12. http ://rfs.socioling.org/ 13. http ://cerium.umontreal.ca/recherche/unites-de-recherche/ reseau-francophone-de-recherche-sur-les-operations-de-paix-rop/ 14. http ://www.afirse.com/

l’Association Internationale des Chercheurs Francophones en Microfinance15 , l’Association des étudiants et chercheurs francophones au Japon16…) ; – les réseaux informels et plastiques qui se construisent à l’occasion de projets collaboratifs internationaux de recherche et qui contribuent à nouer des liens scientifiques interpersonnels (un bon exemple de cette dynamique est à l’œuvre depuis 1979 avec le Comité Français d’Évaluation de la Coopération Universitaire et Scientifique avec le Brésil17, qui évalue et pilote des programmes de coopération en matière de recherche et de formation avec le Brésil en travaillant en collaboration avec deux institutions brésiliennes : la CAPES (Coordenação de Aperfeiçoamento do Pessoal de Nível Superior) et l’Universidade de São Paulo.

Dans le processus accéléré d’internationalisation des universités, la langue officielle d’éducation quand elle est explicitement désignée (au niveau de l’État) ou la langue officielle de travail (au niveau des organisations : administrations, associations, entreprises), est certainement la garantie d’un seuil minimum de participation à la communauté linguistique (francophone ou autre) et peut-être, une approche claire et ouverte, d’une politique de développement nécessaire du plurilinguisme académique permettant l’enseignement et la diffusion des savoirs dans plusieurs langues en fonction de contextes d’intérêts stratégiques.

Il y aurait dans le monde environ 396 établissements d’enseignement supérieur où l’on enseigne et recherche en français, langue officielle d’enseignement (ou langue partagée avec une autre).

15. http ://www.leo-univ-orleans.fr/fr/actualites/association-des-chercheurs-francophones-en-microfinance-aicfm.html 16. http ://www.sciencescope.org/ 17. http ://www.univ-paris13.fr/cofecub-ecos/cofecub

Pays N° d’établissements Pays N° d’établissements

France Belgique Canada Maroc 75 42 25 21

Niger Mali Congo Madagascar

10 9 8 7 Haïti 21 Liban 7 Rép. Dém. du Congo 21 République Centrafricaine 7 Algérie 20 Togo 6

Côte-d’Ivoire 15 Burkina Faso 5 Guinée 14 Suisse 3 Bénin 14 Mauritanie 3 Sénégal 13 Djibouti 2 Tunisie 12 Égypte 2

Cameroun 11 Rwanda 1 Burundi 10 Turquie 1 Tchad 10 Maurice 1 Total 396

(Canada : dont 15 au Québec – http ://www.acufc.ca/liste-des-membres)

Il y a aussi les établissements où le français n’est pas la langue officielle ou principale mais où l’on enseigne partiellement en français, langue d’enseignement de certaines filières.

La notion de « Filières universitaires francophones » est un générique qui recouvre des situations très différentes dans le monde. Les déterminants de ces dispositifs sont à la fois académiques (disciplines concernées et niveau d’enseignement) et institutionnels (intitulé donné par une université, intitulé attribué par une opération de coopération bilatérale ou multilatérale qui apporte un appui technique ou budgétaire).

En 2009, on comptait 90 filières universitaires francophones appuyées par l’AUF concernant des cursus disciplinaires variés (agronomie, droit, psychologie sociale, économie, ingénierie, médecine) qui ne s’inscrivent pas tous dans un cadre de diplôme classique de cycle universitaire (LMD ou autre), mais qui intègrent parfois des diplômes professionnels (techniciens, ingénieurs). Les pays concernés se trouvent en Asie, en Caraïbe, en Europe centrale et orientale et au Maghreb, et

concernent près de 2 000 enseignants et environ 8 500 étudiants18. Il y a également les quelques 170 filières françaises de la coopération bilatérale qui prennent des noms divers : « Filières francophones » ; « Chaires franco-brésiliennes » et qui rassemblent environ 12.000 étudiants19 .

Pour compléter ces quelques données globales sur un corpus lisible, je propose d’appliquer quelques loupes sectorielles (à la manière de Robert Chaudenson, pour le projet « Typologie des situations de Francophonie » (1988-1994) et sa « Grille d’analyse des situations linguistiques »20).

Si on applique une loupe sectorielle sur le corpus de la langue française à l’université en tant que domaine de formation d’enseignants, de traducteurs, de spécialistes de linguistique française ou de littérature de langue française, on découvre qu’il y a plus ou moins 2.000 départements universitaires de français dans le monde. Cela représente 10% de l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur et de recherche dans le monde, dont le nombre est estimé à 20.000.

Voilà donc une photographie globale de la francophonie universitaire. Mais à ce stade, on en reste à des niveaux de description institutionnels en dénombrant des structures. Cela reste approximatif dans les détails mais nous obtenons déjà une idée de ses dimensions structurelles. Malgré les difficultés d’accès à des données pertinentes, essayons faire un pas de plus en cherchant à voir ce qui se passe au niveau des individus.

2.1. LES EnSEignAnTS-CHERCHEuRS ET LES éTuDiAnTS-CHERCHEuRS

La production scientifique avec ses publications académiques de formation (mémoires, thèses), ses concours sur appels à projets, ses équipes de recherche et sa diffusion (conférences, communications, articles, livres), constituent des des espaces d’interlocution et représente des données clé pour l’observation.

Il y a d’abord l’ensemble massif des enseignants-chercheurs et des étudiants-chercheurs (master, doctorat) des pays où le français est langue officielle de l’éducation.

Il n’existe pas de données consolidées mais disons qu’en nous fondant sur la cohorte la plus dense, celle de la France, on peut arriver à des approximations (les autres pays ayant soit des systèmes bi – ou multilingues dans lesquels il est difficile de distinguer la langue d’usage, soit des problèmes de données statistiques). En croisant

18. CHARDENET, P., 2010, (entrevue) « Mettre les langues au centre des enseignements supérieurs : des filières universitaires francophones aux compétences plurilingues », dans Recherches & Applications – le français dans le Monde numéro 47, Faire des études supérieures en langue française, FIPF/CLE International, p.118-122 http ://fipf.org/sites/fipf.org/files/09037119_117-192.pdf. 19. MAE-DGCID, Formations supérieures francophones à l’étranger, répertoire 2006 (http ://www. diplomatie.gouv.fr/fr/IMG/pdf/Formationssuprecad-3.pdf). 20. CHAUDENSON, R., 2000, Grille d’analyse des situations linguistiques, Paris, Didier Erudition (http ://www.odf.auf.org/IMG/pdf/grille_lafdef.pdf).

les données existantes, le nombre d’étudiants et le nombre d’établissements et avec des pondérations de taille, je pense qu’on peut estimer cette population des enseignants-chercheurs en pays francophone à environ 250.00021 .

En 2013,on recense 91.000 enseignants en fonction dans les établissements publics d’enseignement supérieur sous la tutelle du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche en France, ce qui devrait porter à un maximum de 100.000 avec les établissements publics sous d’autres tutelles et les établissements privés. Il y avait en 2012, 6.791 enseignants régulier et à temps plein dans les 15 universités francophones du Québec22, ce qui devrait porter à un maximum de 8.000 pour l’ensemble des établissements francophones ou bilingues du Canada. Dans les 42 établissements d’enseignement supérieur en Fédération Wallonie-Bruxelles (Universités, Hautes écoles, Écoles supérieures des arts), on compte un nombre d’environ 8.500 enseignants23 .

Au-delà de ces établissements en contexte de langue française officielle, il faut considérer l’ensemble des enseignants-chercheurs capables de travailler tout ou partiellement en français. Il y a dans le répertoire de l’AUF qui rassemble dans une base de données publique, plus de 8000 chercheurs de toutes disciplines, qui déclarent pouvoir travailler totalement, ou partiellement en français (dont environ 300 en Amérique Latine et près de 150 en Colombie et 110 au Brésil)24. Il y a bien évidemment dans le monde entier, davantage d’enseignants, de chercheurs et d’étudiants qui peuvent travailler en français, ce répertoire comme d’autres pouvant exister localement étant constitué de manière déclarative volontaire, sur la base de publications et de communications en français.

L’Organisation Internationale de la Francophonie annonce 900.000 professeurs qui enseignent le français dans le monde devant 85 millions d’élèves mais ce nombre qui est apparu dans le rapport de 2010 La langue française dans le monde25, sous la forme d’une estimation, est resté le même dans le rapport de 201426 alors qu’entre les deux, la population francophone globale hors pays non francophones de Union Européenne, serait passée de 180 millions à 228 millions (on atteint même 278

21. Les données sont récupérées, pays par pays selon diverses sources UNESCO, OCDE, ministères à la date la plus récente. Quand il n’y a pas de données statistique sur le nombre d’enseignants, le nombre d’étudiants et la dimension de l’établissement (nombre de facultés) est pris en compte pour déterminer un e quantité approximative. À l’échelle globale, la marge d’erreurs est relativement réduite dans la mesure où les pays avec les données les plus fiables (Belgique, Canada, France, Suisse) représentent environ 50% de l’ensemble. 22. http ://www.mesrs.gouv.qc.ca/fileadmin/administration/librairies/documents/Ministere/acces_ info/Statistiques/Statistiques_ES/Statistiques_enseignement_superieur_2014.pdf 23. http ://www.aeqes.be/documents/20130912%20Syllabus%20complet%202013-2014.pdf 24. L’existence de quantités comparables de chercheurs avec les mêmes caractéristiques de compétences dans d’autres pays, en particulier en Argentine, au Mexique et au Venezuela pour l’Amérique Latine, est certaine. 25. http ://www.francophonie.org/IMG/pdf/langue_francaise_monde_integral.pdf 26. http ://www.francophonie.org/Langue-Francaise-2014/

millions en ajoutant les populations de l’Union Européenne ayant appris le français comme langue étrangère). Je n’ai trouvé aucune définition claire de ce que cela recouvre en termes de niveau dans les systèmes éducatifs et si cela inclut (comme je le pense), les enseignants de français langue première. Ce nombre global est donc à relativiser du point de vue académique qui nous occupe, celui de l’enseignement supérieur et de la recherche.

2.2. LES CoLLAboRATionS SCiEnTiFiQuES ET LES MobiLiTéS

D’autres éléments, plus dynamiques doivent être pris en considération, ce sont les accords interuniversitaires, les collaborations scientifiques entre chercheurs et les mobilités enseignantes et étudiantes. L’intérêt de mieux les connaître, est d’apprécier les interactions, donc des usages variés et variables de la langue française et des autres langues.

2.2.1. Les accords interuniversitaires, sources et objectifs des collaborations

Les accords conclus entre établissements impliquent seulement partiellement la langue française (dans les cas où ils installent des filières francophones et des cotutelles de doctorat) et il faut distinguer entre les accords cadres (qui restent pour la majorité, vides d’engagements réels27), et les accords opérationnels qui engagent des actions concrètes. Là encore dans ce domaine, nous n’avons pas de données consolidées pour l’ensemble des pays francophones, seulement des exemples qui vont de quelques accords cadres, à un répertoire bilatéral relativement exhaustif.

Pour la France par exemple, c’est la coopération avec l’Amérique latine qui rassemble le plus grand nombre d’actions de coopérations universitaires (722) devant l’Asie du Sud et de l’Est (608), le Maghreb et le Moyen-Orient (582), l’Afrique Subsaharienne (418), et l’Asie centrale et mineure (77).

Accords de cooPérATioN iNTeruNiversiTAires

FrANce

AMÉRIque LATINe : 722 ASIe Du SuD eT De L’eST : 608 MAGHReB eT MoyeN-oRIeNT : 582 AFRIque SuBSAHARIeNNe : 418 ASIe CeNTRALe eT MINeuRe : 77

27. Parmi les quelque 155 accords-cadres de coopération qui lient des établissements d’enseignement supérieur français et des universités péruviennes, seulement 30% d’entre eux sont actifs et fonctionnels en 2013.

AcTioNs de cooPérATioN d’uNiversiTés FrANçAises

Amérique lATiNe

BRÉSIL : 242 CoLoMBIe : 129 MexIque : 128 ARGeNTINe : 95 VeNezueLA : 17

En Amérique Latine, les actions de coopération concernent 19 pays mais Les échanges sont réellement significatifs avec 5 d’entre eux, l’Argentine (95), le Brésil (242), le Chili (69), la Colombie (129), le Mexique (128) et le Venezuela (17). Pour mieux comprendre comment la distribution de ces échanges peut impacter l’usage des langues dans les espaces d’interlocution scientifiques, procédons à trois analyses plus détaillées de données disponibles, trois passages de loupes sur l’Argentine, le Brésil et la Colombie.

S’il existe 95 accords formels inter-universitaires en Argentine, on compte un peu plus de 100 projets de recherche bilatéraux, et 300 missions annuelles de chercheurs français.

La liste des établissements français concernés par les 129 accords de coopération entre les universités colombiennes et les universités françaises, met en évidence à une distribution élargie selon les types d’établissements et leur localisation, qui permettent de penser que la francophonie universitaire ici représentée par les établissements d’un pays centralisateur et dominant dans l’espace francophone, se présente de manière relativement diversifiée.

liste des établmts français ayant des accords avec des établmts colombiens

École Nationale d’ingénieurs de Metz (eNIM) université de Poitiers École Nationale d’ingénieurs de Val-de-Loire (eNIVL) École Nationale supérieure des Arts et Métiers (eNSAM ParisTech) Sup. de Co. Montpellier – Business School université Paris II – Panthéon Assas École Nationale d’ingénieurs de Tarbes (eNIT) université de Limoges université Paris xII – Paris-est Créteil Val-de-Marne université Paris I – Panthéon Sorbonne Institu Catholique de Paris (ICP) université Paris VII – Denis-Diderot université Paris VIII – Vincennes-Saint-Denis eSC Rouen – Business School 12 8 8 7 6 4 4 4 4 3 3 3 3 3

eSC Tours université Lyon I – Claude Bernard École Nationale Supérieure des Mines de Nantes (eNSM) eSC Rennes – Business School université Paris x – Paris ouest Nanterre La Défense Institut National Polytechnique de Lorraire (INPL) université Paris III – Sorbonne Nouvelle université de Toulouse I – Capitole université de Cergy-Pontoise université du Maine Mines Paris Tech université Paris xIII – Paris Nord École Supérieure des Technologies Industrielles Avancées (eSTIA) eSSeC École Nationale d’ingénieurs de Brest (eNIB) École Nationale Supérieure des Industries Chimiques Institut d’Économie et de Gestion (IeSeG) université Technologique de Compiègne (uTC) eM Strasbourg – Business School AgroParis Tech université de Lyon III – Jean Moulin École centrale de Nantes Groupe eNI Red n+i École Nationale Supérieure des Techniques avancées (eNSTA – ParisTech) Sciences Po Bordeaux université de Strasbourg École Nationale Supérieure des Mines de Saint-Étienne (eNSMSe) université de Toulouse III – Le Mirail Telecom Bretagne École Nationale Supérieure d’Architecture de Toulouse (eNSA Toulouse) Telecom École de Management École Nationale Supérieure de Chimie de Lille (eNSCL) université Bordeaux II – Segalen France Business School université Bordeaux IV – Montesquieu École Nationale Supérieure de Création Industrielle – Les Ateliers (eNSCI) École Supérieure de Commerce Audencia Nantes – Business School 2 2 2 2 2 2 2 2 2 2 2 2 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1

université de Franche-Comté École Supérieure des Techniques aéronautiques et de construction automobile Institut National Polytechnique de Toulouse (INP Toulouse) université Technologique de Troyes (uTT) Institut Polytechnique La Salle Beauvais 1 1 1 1 1

ISG Paris 1

129

Source : Fiche Curie France-Colombie 2014 ; MAEDI/Ambassade de France en Colombie

Tendance que tend à confirmer la distribution bilatérale des établissements brésiliens et français, acteurs des accords CAPES-COFECUB (de manière relativement comparable entre pôles dominants et pôles secondaires).

Les Universités participant à l’accord Capes-Cofecub

Source : Capes-Cofecub – H. Théry, 2009

En 30 ans (1978-2008), les accords Capes-Cofecub entre universités françaises et brésiliennes ont aidé à développer 659 projets dans tous les champs disciplinaires et ont permis de former près de 2000 docteurs brésiliens. Le géographe Hervé Théry a établi une cartographie de la coopération universitaire France-Brésil à travers une

analyse des accords Capes-Cofecub28, ce qui permet d’en apprécier les distributions et les concentrations. Quant on sait que les financement des projets de recherche soutenus par ce programme, visent principalement les mobilités, il est permis de penser que les immersions ont favorisé des processus d’acquisition de la langue de l’autre en contexte professionnel. Cette hypothèse fondée sur ces données et des contacts avec les équipes, devrait cependant être validée par un travail d’enquête.

Au Pérou, l’IRD – Institut de Recherche pour le Développement29 compte 32 chercheurs expatriés en 2013, répartis entre universités, institutions publiques et organismes privés. Du côté canadien, le CRDI – Centre de recherches pour le développement international a son Bureau régional de l’Amérique latine et des Caraïbes à Montevideo, en Uruguay, qui coordonne des activités dans 33 pays. La plupart des chercheurs et administrateurs de terrain de ces deux organismes sont capables de travailler en espagnol, mais leur langue officielle de travail et de mise en relation avec les établissements partenaires en France et au Canada, se fait partiellement en anglais ou en français (pour le Canada), en français (pour la France).

Par ailleurs, la chaire de recherche invitée au Canada en études brésiliennes fait intervenir cinq universités canadiennes dont une seule francophone (York University, University of Western Ontario, Université du Québec à Montréal, St. Mary’s University, University of Calgary).

Cette permanence de terrain avec des équipes renouvelées dont la mission consiste à développer des accords de partenariat entre établissements, conduit les partenaires à dialoguer en permanence et forment donc des espaces d’interlocution dans lesquels au moins trois langues sont en relation de manière discontinue l’une à l’autre, selon les besoins.

2.2.2. Les collaborations entre chercheurs : vers une typologie des réseaux

Voyons maintenant les données que nous avons au niveau des collaborations entre chercheurs. C’est certainement l’angle le plus intéressant car les collaborations scientifiques impliquent des échanges conceptuels et méthodologiques fréquents, donc des ajustements plurilingues de discours pour faciliter l’intercompréhension (émettre un discours compréhensible par le destinataire ; mobiliser des compétences de compréhension chez le destinataire).

On sait globalement qu’environ 25% des articles scientifiques produits dans le monde sont le fait de collaborations internationales et que la tendance est forte puisque cette proportion n’était que de 15% il y a vingt ans. Cette proportion atteint même 40% en Argentine et au Canada.

28. THÉRY H., 2011, « Une géographie de la coopération universitaire France-Brésil, analyse des accords Capes-Cofecub », EchoGéo, 15 | 2011, Online since 11 April 2011, connection on 24 May 2015. URL : http ://echogeo.revues.org/12296 ; DOI : 10.4000/echogeo.12296 / https ://echogeo.revues. org/12296 ?lang=en) 29. https ://www.ird.fr/

Source : Calculs de l’OCDE, fondés sur Scopus Custom

OECD (2009), Panorama des statistiques de l’OCDE 2009 : Économie, environnement et société, OECD Publishing, Paris. DOI : http ://dx.doi.org/10.1787/factbook-2009-fr

Les Publications individuelles désignent les articles scientifiques n’ayant qu’un seul auteur. Les Collaborations nationales désignent les articles scientifiques ayant 2 auteurs ou plus d’un même pays. Les Collaborations internationales désignent les articles scientifiques ayant 2 auteurs ou plus de différents pays.

La Suisse est le plus collaboratif et l’Inde le moins collaboratif parmi les pays de l’OCDE30 et la France est en 16e position. Mais ce sont l’Allemagne, le Royaume-Uni et les États-Unis qui attirent le plus de collaborations internationales. Il y a donc là un défaut potentiel d’attractivité des collaborations francophones qui ne correspond pas au niveau de reconnaissance internationale des équipes des pays francophones du Nord. Cela peut tenir en partie à une relative résistance à publier en anglais (pas seulement pour des questions de choix de langue mais également pour des raisons de critique des modèles d’évaluation, des critères dominants dans les systèmes d’indexation et du mode de calcul du facteur d’impact) mais aussi, selon les disciplines, à des orientations épistémologiques ou méthodologiques très différentes, en particulier dans les sciences sociales et humaines où s’affrontent parfois, une école anglo-

30. OCDE 2010, Mesurer l’innovation : un nouveau regard. (http ://www.oecd.org/fr/sites/strategiedelocdepourlinnovation/45302688.pdf)

saxonne et une école francophone. Il est difficile de mesurer précisément le poids de telle ou telle cause, il s’agit ici aussi d’une tendance qui s’explique certainement par une multiplicité de facteurs plus ou moins instables.

En matière de collaborations scientifiques, les relations inter-individus sont essentielles non seulement parce qu’elles ancrent l’échange dans l’expérience humaine mais aussi parce qu’elles favorisent l’institutionnalisation de bas en haut. Il s’agit moins pour les acteurs, d’adhérer à des entités existantes, que de les créer au gré des projets. Les réseaux de chercheurs institués de fait par l’activité de projet jouent un rôle important, peut-être davantage que les structures associatives instituées de droit. De fait, avec les technologies numériques, ils existent et fonctionnent (plus ou moins mais pas moins que les associations de droit) dès leur apparition dans le cyber-espace et peuvent disparaître tout aussi rapidement, là où la cessation d’une association de droit engendre des procédures et des actes qui peuvent peser sur les relations. Et l’on voit se développer depuis une vingtaine d’années avec l’apport des technologies de la communication, une véritable dynamique internationale de réseaux scientifiques.

Réseaux internationaux de collaboration scientifique : évolution 1998-2011

(comptage simple de documents scientifiques faisant l’objet d’un co-autorat international)

1998 2011

Source: calculs de l’OCDE, d’après Scopus Custom Data, Elsevier, version 5.2012, juin 2013 Ces schémas (dont la méthodologie et l’explication de lecture fine est définie dans OCDE 2013, Science, technologie et industrie : Tableau de bord de l’OCDE 2013, L’innovation au service de la croissance, Éditions OCDE, tableaux 54 a et 54 b,

p. 58-5931), montrent clairement la croissance du nombre de pôles de partenariat et l’évolution de la densité des échanges ainsi que leurs dérivations de bipolaires vers le multipolaire.

Si le processus de création en France, de l’Institut des Amériques au début des années 2000 a été freiné, accéléré, puis freiné à nouveau en fonction d’intérêts politiques et individuels alors qu’on parlait d’une structure physique d’établissement qu’il fallait implanter avec personnels et budget, il trouve 15 ans plus tard par sa mise en forme réticulaire d’établissements universitaires associés, une vie enfin active et des projets32. On trouve dans les Amériques, des exemples de cette évolution en réseaux et pôles avec une participation francophone. En 2000, le réseau universitaire franco-péruvien Raúl Porras Barrenechea33 a été créé pour permettre le développement des liens entre les deux communautés universitaires (33 universités sont actuellement membres de ce réseau). En 2012 est créé le Réseau sud-américain d’enseignants-chercheurs en langue française et cultures francophones (CLEFsAMSud) qui rassemble aujourd’hui 73 enseignants-chercheurs de la région34. On trouve également des réseaux inter-régionaux informels qui se construisent autour de méthodologies partagées comme ceux qui qui ont permis d’élargir les horizons d’échanges interuniversitaires dans le domaine de la recherche biographique en éducation (Clementino de Souza, E., Passeggi, M. d C., Delory-Momberger, C., Hugo Suárez, D., 2014).

La mise en typologie des réseaux est de nature à nous aider à voir comment y sont résolus les problèmes posés par la communication internationale.

2.2.3. La francophonie universitaire par les mobilités étudiantes

Pour terminer, il faut bien entendu aborder les mobilités étudiantes. C’est un secteur où la participation à la langue du pays de destination est quasiment imposée par le principe même de mobilité : la langue est l’un des objectifs qui motivent les mobilités et c’est évidemment ici que les formations en français langue étrangère ont un rôle important à jouer. Quand mobilités spatiales et numériques s’intensifient, il semble logique que ces phénomènes aient des répercussions sur les rôles des langues.

Selon les chiffres de l’UNESCO, il y avait 3.984 000 étudiants internationaux dans le monde en 2012. Ce nombre a doublé en dix ans et il pourrait encore doubler d’ici 2020. C’est vraiment dans ce secteur que les dynamiques peuvent encore transformer l’impact de la francophonie universitaire car les volontés politiques de financer les mobilités étudiantes qui sont apparues au cours des 10 dernières années, ont précédé

31. http ://www.oecd-ilibrary.org/science-and-technology/tableau-de-bord-de-l-ocde-de-la-sciencede-la-technologie-et-de-l-industrie-2013_sti_scoreboard-2013-fr 32. http ://www.institutdesameriques.fr/ 33. http ://rrpb2.u-bordeaux4.fr/ 34. http ://www.savoirsenpartage.auf.org/groupes/22/

une prise de conscience qui n’apparaît qu’aujourd’hui, de la nécessité d’élaborer en amont et en aval, des politiques linguistiques de préparation au départ et d’accueil.

Source : UNESCO (données de 2011)

Pour cela, il faut considérer trois flux : – les mobilités sortantes des pays non francophones, vers les pays francophones, – les mobilités sortantes des pays francophones, vers les pays non francophones, –les mobilités intra pays francophones.

Toutes ces mobilités ont des effets potentiels sur la place et le rôle de la langue française dans l’enseignement supérieur et la recherche.

Pour ce qui est des mobilités entrantes, la France se positionne toujours au troisième rang avec 271.399 étudiants entrants (soit 12,1 % du total de ses étudiants et 41,4 % du total de ses doctorants).

Sur la base des données dont nous disposons, l’ensemble des mobilités vers les pays francophones peut être estimé à environ 10% de l’ensemble des mobilités mondiales, soit 400.000 étudiants : –6,8% vers la France, – 0,75% vers les universités francophones du Canada (un quart des 3% de mobilités vers le Canada dans des universités francophones, ainsi en 2009, le Québec attirait une proportion de 22,7% des étudiants internationaux venant

étudier au Canada, une performance décroissante depuis le début des années 200035). –2,45% distribué dans le reste des pays francophones.

Les mobilités globales intra-pays francophones

Environ 105.000 étudiants de pays francophones étudient en France (sur les 295.000 étudiants internationaux)36 .

Il y a : –12.000 étudiants français au Québec (2010) –1093 étudiants québécois en France (2010) –20.000 étudiants français en Belgique (2014) –33.899 étudiants marocains en France (2012) –21.935 étudiants algériens en France (2012) –11.869 étudiants tunisiens en France (2012) –8.919 étudiants sénégalais en France (2012) – 8.000 étudiants africains au Maroc (principalement du Sénégal, du Cameroun et de Côte d’Ivoire)

Source : Campus France, L’Essentiel des chiffres-clés, n°9, septembre 2014

Loupes intra-pays francophones

Loupe sur les mobilités sortantes de l’Université du Québec à Montréal vers la Belgique et mobilités entrantes depuis la Belgique : – la Belgique se situe parmi les principaux pays partenaires de l’UQAM pour

35. CAMPEAU, A., 2011, L’importance des étudiants internationaux au Québec, Mémoire de la FEUQ présenté dans le cadre des consultations sur la stratégie d’immigration 2012-2015 du Québec 36. Campus France, L’essentiel des chiffres clés numéro 9, septembre 2014 (http ://ressources.campusfrance.org/publi_institu/etude_prospect/chiffres_cles/fr/chiffres_cles_n9_essentiel.pdf)

la mobilité étudiante au 3e rang suite à la France et à l’Allemagne ; – depuis 2005, plus de 110 étudiants de Belgique ont réalisé 130 séjours à l’UQAM ; – depuis 2001, plus de 340 étudiants en provenance de Belgique ont réalisé 670 séjours à l’UQAM37 .

Loupes Amérique Latine

Mobilités sortantes vers la France (2012) :

Brésil : 5.148 (avant les effets du programme Sciences sans Frontière qui portera à 10.000 étudiants ajoutés et distribués entre 2013 et 2015)

Colombie : 3.363

Mexique : 2687

Pérou : 120038 (1000 actuellement mais 1200 prévu en 2016 dans le cadre du du Programme National péruvien des Bourses et des crédits éducatifs PronabecPrograma Nacional de Becas y Crédito Educativo39).

Argentine : 900

Équateur : 400

À cela, on peut ajouter des dispositifs spécifiques. Ceux liés à certaines formations (les stages obligatoires de master français de 3 à 9 mois selon des conventions inter-universitaires), à certaines universités qui cherchent à valoriser l’expérience linguistique et culturelle de leurs étudiants (comme le « Programa de Movilidad Estudiantil Lenguas 90 » de la Secretaría de Extensión y Relaciones Internacionales de la Facultad de Lenguas de l’Universidad Nacional de Córdoba, en Argentine, qui bénéficie d’accords bilatéraux avec l’Université de Genève et l’Institut de management et de communication interculturels de Paris). Ceux des universités qui ciblent certains secteurs déficitaires (le programme d’échanges d’étudiants de l’Université de Montréal est ainsi mis à jour chaque année40). Ceux négociés entre les États comme les séjours vacances-travail. En 2012, 500 jeunes français (18-30 ans) ont fait un séjour en Argentine (l’Argentine est le premier État sud-américain avec lequel

37. Rapport de la Délégation de la Belgique à l’UQAM, le 12 février 2014 (http ://www.international. uqam.ca/pages/mission_belgique.aspx ) 38. Prévision 2016 dans le cadre du Programme National péruvien des Bourses et des Crédits Educatifs (Pronabec). 39. http ://www.pronabec.gob.pe/ 40. http ://www.international.umontreal.ca/echange/cap-udem/documents/ ClosedorRestrictedPrograms1415_003.pdf

la France a signé un accord vacances-travail41, entré en vigueur en 2011) dont une part d’étudiants en fin de cursus, ont pu tisser des liens avec des étudiants argentins. Le programme brésilien multi-bilatéral Sciences sans Frontières42 entre également dans ce cadre, ce sont environ 15.000 étudiants de la licence au doctorats qui auront bénéficié d’un stage vers une université francophone de Belgique, du Canada, de France et de Suisse, dont le nombre de place est négocié entre les États43. Un projet est également en cours avec l’appui de l’Agence universitaire de la Francophonie, qui vise à construire un programme « Parcours académiques francophones » de mobilités triangulaires pour les étudiants brésiliens, qui vise à proposer des stages associant une universités francophone du Nord ( Belgique, Canada, France, Suisse), à une université francophone du Sud (Algérie, Madagascar, Maroc, Liban, Tunisie, Sénégal)44 .

La Colombie, après le Brésil est le deuxième pays en Amérique latine qui envoie le plus d’étudiants en France. A ce titre, il convient de signaler : – l’augmentation des étudiants colombiens dans les établissements d’enseignement supérieur français, dont le nombre est passé de 2.900 en 2009-2010 à 3.500 en 2013-2014 (dont 74.5% en université et le reste dans les grandes écoles, écoles de commerce et d’ingénieurs). – l’augmentation des programmes de doubles diplômes et des mobilités : 129 en 2014 contre 23 en 2008. – l’augmentation du nombre de boursiers du programme colombien COLFUTURO45 : 161 en 2014, contre 112 en 2011, ce qui fait de la France, le troisième pays de destination de ce programme.

Ces données globales et ces loupes, montrent comment s’organisent et se structurent les mobilités étudiantes à travers une multitude de dispositifs qui expliquent leur croissance au cours des dix dernières années. Des travaux européens (Anquetil, M., 2006, Ballatore, M., 2010, Meunier, D., 2015) insistent sur l’impact linguistique et culturel des mobilités dans la formation, d’autres questionnent l’absence de stratégie des universités, qui consiste à relier les mobilités quelles qu’elles soient, à une

41. Programme Vacances Travail (PVT), Permis Vacances-Travail (PVT), Visa Vacances-Travail (VVT) ou Working Holiday Visa (WHV) en anglais, sont des dispositifs bilatéraux qui recouvrent un ensemble de moyens d’obtention de visas temporaires permettant à leurs détenteurs de voyager dans des pays étrangers tout en y travaillant. Le premier a été conclu et lancé en 1975 et actuellement, une cinquantaine de pays et de régions ont signé des accords de PVT à travers le monde. Parmi eux, la Belgique et le Canada et la France. Dans les Amériques, hormis le Canada, on trouve : l’Argentine, le Brésil, le Chili, la Colombie, le Costa Rica, les États-Unis, le Mexique et l’Uruguay (http ://pvtistes.net/ le-programme-vacances-travail-dans-le-monde/) 42. Programme gelé en septembre 2015 dans le contexte de crise budgétaire. 43. https ://csf-francophonie.auf.org/pt/ 44. https ://www.auf.org/actualites/conference-faubai-2015/ 45. http ://www.colfuturo.org/

offre de formation préalable limitée à l’anglais (Maldonado Pérez, E., 2008 ; Gordo Norma, A. ; Redonder Nidia. S. ; Carminatti, M. 2012) :

« De este análisis, ante la contundente supremacía del portugués (al menos entre los estudiantes de ingeniería, que es el caso que abordamos), seguido por el español y el francés, frente al inglés, en cuanto al aprovechamiento del idioma en caso de movilidad internacional, cabe reflexionar sobre la relación entre el idioma exigido en las carreras de ingeniería (inglés en todos los casos) y el “uso” que de él se hace en esas instancias. En virtud de lo dicho, cabe preguntarse si no sería oportuno considerar un replanteo de los objetivos actuales de la enseñanza de lenguas extranjeras en estas carreras, que incluye como obligatorio el idioma inglés, para proceder a considerar otras propuestas alternativas que mejor puedan satisfacer las necesidades de los estudiantes. » (Gordo Norma, A. ; Redonder Nidia. S. ; Carminatti, M. 2012)

Comme le programme européen Erasmus a été un facteur d’interculturation linguistique des étudiants en Europe, l’ensemble des mobilités sortantes de l’espace francophone et entrantes dans l’espace francophone, représentent un puissant facteur d’exposition à la langue française constitutif de participations à la francophonie universitaire.

Conclusion

Si la francophonie universitaire existe, elle est une réalité complexe qu’il n’est pas toujours facile de saisir tant elle revêt des dimensions et des qualités variables. En parler globalement comme d’un fait établi, revient finalement à la réifier et l’exposer à sa négation. Elle existe comme construction interlinguistique parce qu’existent les autres -phonies universitaires, une polyphonie de langues participant à la production, à l’enseignement et à la diffusion des connaissances dans des régimes variés asymétriques et diglossiques.

On peut néanmoins dégager quelques tendances : – tendance négative comme celle de diminution relative du poids des publications scientifiques en français et dans d’autres langues que l’anglais46 (problématique qui n’a pas été abordée ici car elle exige en soi un développement particulier) ; – tendance positive comme celle de la permanence et du développement des relations inter-universitaires, due principalement à la prise de conscience

46. Si on assiste à une forte croissance des publications en chinois dans un contexte de rattrapage lié au développement économique de ce pays, l’espagnol, dont la croissance démolinguistique est forte dans les Amériques et aux États-Unis en particulier et dont l’apprentissage dans le monde est régulièrement en croissance depuis vingt ans, ne parvient pas à se constituer comme langue de la science (au niveau de publications internationales), tout en restant une langue pour la science (langue de production scientifique et de diffusion scientifique localisée dans son espace).

par les universités francophones, de l’impact de l’internationalisation et aux dispositions qu’un certain nombre ont pu prendre pour être présentes dans les événements de l’agenda académique international. On peut aussi repérer les dynamiques sur lesquelles les orientations politiques devraient pouvoir se fonder : –l’accroissement des mobilités dans tous les sens, – le développement de politiques linguistiques universitaires pour faciliter et capitaliser les mobilités.

Pour conclure, on peut dire que si l’on se fonde sur le seuil démolinguistique à partir duquel les sociolinguistes estiment qu’une langue peut se trouver en danger (inférieur à 100.000 locuteurs, auquel s’ajoute le critère de dispersion), et sur le seuil de visibilité de 20% d’une population dans un territoire administratif défini par l’Observatoire de la langue française pour dénommer le territoire (en l’occurrence un pays) comme francophone, le corpus global de la langue française dans l’espace académique mondial, semble plutôt indiquer un état de force : le français restant une langue internationale dans la production (parce que la production scientifique cumulée est dense), la diffusion (parce qu’il existe encore des revues classées de haut niveau et un résistance au facteur d’impact comme modèle unique) et l’enseignement des savoirs (par des mesures protectionnistes de la langue unique d’enseignement en France). Bien entendu, il faut pondérer cette assertion globale, par l’application de loupes sectorielles qui montrent que pour ce qui est de la diffusion (publication et colloques), le monolinguisme anglais s’est imposé comme moyen de communication unique ou quasi unique dans certaines disciplines (médecine) et qu’il progresse par l’impact des pertes de position sur les comportements. Et c’est là ce qui semble le plus inquiétant : l’affaiblissement du status par les locuteurs natifs eux-mêmes qui ne participent plus. Or ce n’est pas le seul status de la langue française qui est en question, c’est bien celui de la pluralité par le plurilinguisme dans l’enseignement supérieur et la recherche. En analysant le constat fait en 2008 par le groupe d’éditions scientifiques Elsevier, que 37% du total des articles scientifiques publiés entre 1998 et 2008 n’avaient jamais fait l’objet d’une citation47, on peut dire que le critère de « qualité scientifique » tel que calculé sur la base du facteur d’impact ( nombre moyen de citations) n’est certainement pas du tout pertinent (sauf à croire que plus du tiers de la production scientifique mondiale n’a aucun intérêt). Les systèmes d’indexation majeurs comme Science Citation Index ou Scopus48 étant aujourd’hui fondés sur des publications en anglais qui sont quasiment les seules classées, ce sont des pans

47. Scopus, Elsevier, 2009. 48. Elsevier en retient six : Cambridge/Computer and Information Abstracts ; Current Contents/ Engineering, Computing & Technology ; Research Alert ; SCISEARCH ; Science Citation Index ; Scopus.

entiers de la production scientifique qui n’alimentent pas la connaissance globale. Or de deux choses l’une, ou bien la langue hyperdominante du moment49 est imposée comme la langue unique de la diffusion de la connaissance, puis de sa production et de son enseignement à l’université, puis logiquement par effets d’économie, dans l’enseignement secondaire, rendant nécessaire des niveaux de compétence bilingue (objectif dont on peut douter sur le plan didactique, qu’il soit possible d’atteindre massivement50 ; objectif coûteux en moyens massifs à mettre en place et à essayer de façon empirique, sauf à laisser faire une sélection par les mécanismes sociaux). Ou bien l’on cherche à accroître les participations aux différentes -phonies académiques qui existent aujourd’hui, en se fondant sur la richesse de l’existant, le capital linguistique des universités.

BiBliographie des références

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49. À l’échelle historique, l’hyperdomination permanente d’une langue unique reste peu probable, en tout cas ce serait une rupture profonde dans l’anthropologie linguistique, soit que d’autres langues alliant status et corpus, contestent l’hyperdomination, soit que plus la langue hyperdominante s’impose, plus elle se divise en variétés. 50. Au regard de ce que l’on sait actuellement sur le bilinguisme.

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