
17 minute read
La politique, le politique et le chercheur en langues, par Geneviève Zarate
La politique, le politique et le chercheur en langues éléments pour un débat collectif
geneviève Zarate
Institut national des langues et civilisations orientales
note préliminaire :
Cet article se réfère aux échanges qui se sont tenus lors de la journée du 19 juin 2015. Avant cette date (en janvier 2015) et depuis cette date (en novembre 2015), la France a été touchée par des attentats qui ont tout lieu d’être inclus dans la réflexion ici annoncée. La puissance de ces événements mérite à elle seule un développement spécifique qui n’est pas inclus ici. La montée de la xénophobie est aussi un autre axe de réflexion programmatique. L’article s’en tient donc à la réflexion proposée en juin, en espérant que s’ouvriront d’autres volets de réflexion collective.
1. un CHERCHEuR / LE CHERCHEuR En LAnguES
Pour ouvrir un débat qui engage les fondations du métier de chercheur et la vie d’une association, il me semble déontologiquement nécessaire de préciser à partir de quelle expérience, bien sûr personnelle, mais aussi institutionnelle, cette réflexion s’est construite. En tant que membre fondateur de l’ASDIFLE et professeur émérite des universités à l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales (INALCO, Paris), mon point de vue s’est construit à partir des années 80, au cœur des institutions qui assuraient la formation en France des enseignants de FLE (le Bureau pour l’Enseignement de la Langue et de la Civilisation françaises à l’étranger, le BELC), puis le Centre de Recherche et d’Etudes pour la Diffusion du Français, le CREDIF), institutions que j’ai vues ensuite se détricoter. Initialement membre fondateur de l’ASDIFLE, j’ai été impliquée étroitement dans les évolutions de ce champ1, telles que l’universitarisation de la formation des enseignants de FLE, la redéfinition de ces positions dans un espace dominé par une hyperlangue, l’anglais2. Enfin le champ des langues, envisagé à travers la tradition de l’INALCO et du point de vue des langues modimes3, là où 93 langues peuvent être catégorisées à l’envi comme « orientales »
1. Porcher L. Champs de signes. États de la diffusion du français langue étrangère. Paris, Didier, (Collection Essais), 1987. 2. Derivry-Plard M. Les enseignants de langues dans la mondialisation. La guerre des représentations dans le champ linguistique de l’enseignement, Paris, Éditions des archives contemporaines, (Collection Pluralité des Langues et des Identités et Didactique), 2015. 3. Les langues Moins Dites et Moins Enseignées sont dites « Modimes ».
ou « petites »4 ou « du monde », se lit à la fois sous l’angle d’une histoire française, nationale ou patriotique, scientifiquement dominée, mondialisée, selon les différents credos déclinés dans l’institution, au fil de son histoire et de sa contemporanéïté.
Ces basculements institutionnels, dans lesquels le chercheur est sommé de reconstruire à chaque fois sa place, structurent donc la réflexion ci-dessous, mais bien au-delà d’un vécu strictement individuel. Enfin, les injonctions qui découlent du système internationalisé d’évaluation de la recherche universitaire contraignent le chercheur, qui investit ses recherches sur une ou plusieurs langues, à diffuser ses travaux à partir d’une seule, l’anglais a minima, quitte à être en contradiction avec les valeurs qu’il défend, la pluralité linguistique par exemple. Ces retournements de l’histoire conduisent à une vision spécifique, partiellement détachée du contexte national français, en quête d’une échelle plus large. Même si le point de vue totalement mondialisé reste un artefact de la pensée, cette quête se nourrit de déplacements successifs dans l’espace géographique de la recherche.
2. ALERTE ! LES inDiCES D’unE SoCiéTé MonDiALiSéE gouvERnEnT LE CHAMP SCiEnTiFiQuE !
Rappelons quelques éléments déjà présentés lors d’une intervention précédente5 qui mettent en perspective la relation entre politique et recherche. On part de la définition suivante de la mondialisation : processus de mise en relation des différentes parties du monde par la multiplication des flux de toute nature (hommes, marchandises, capitaux, informations et valeurs)6 .
La traduction de cette définition dans le champ des langues se note en termes de course à l’excellence, les universités du monde entier étant invitées à concourir vers cet objectif ultime. Hors excellence, toute université fait le lit de sa propre disparition, c’est du moins l’implicite sur lequel ce discours fonctionne. Ces enjeux de visibilité internationale ont pour corollaire l’opacité des décisions : nul ne peut tracer le / les auteurs de ces discours internationaux qui les justifient, seule chaque nation en porte le projet. Par exemple le rapport « Quelle France dans 10 ans ? » du Commissariat français général à la stratégie et aux prospectives7 propose pour 2025 10 universités élevées au rang de « pépites ».
Le parangonnage du savoir scientifique (ou benchmarking) active cette course collective : le classement de Shanghaï ou Academic Ranking of World Universities (inventé par l’Université Jiao-Tong de Chine), le programme PISA (Program for International Student Assessment) de l’OCDE, le World Innovation Summit for
4. Alao G., Argaud E., Derivry-Plard M., Leclercq H., « Grandes » et « petites » langues. Pour une didactique du plurilinguisme et du pluriculturalisme. Berne, 2008 (Collection Transversales). 5. Zarate G. L’évolution socio-politique du champ du FLE / S dans un espace mondialisé, à travers la position de chercheur, in : Cahiers de l’ASDIFLE, n°26, 2015, p. 57-66. 6. Le Monde, 19 mai 2010. 7. www.strategie.gouv.fr
Education (WISE) de la Qatar Foundation sont soit au premier, soit en arrièreplan de ce discours sans auteur. Le modèle des « sciences dures » s’implante dans le champ des sciences humaines et sociales. L’anglais devient la langue emblématique de la science, les Massive Open Online Courses ou MOOCs promeuvent en France l’enseignement à distance, dans le droit fil d’Udacity (mis en place en 2012 par l’université de Standford), de Coursera (créée par une start-up américaine en 2012 et suivi par plus de 33 universités américaines), d’edX (créée par Harvard et le Massachussets Institute of Technology8).
L’anglais est également langue d’enseignement et occupe une place désormais centrale dans les politiques d’établissement, car il permet d’attirer les étudiants de tous pays, un critère utilisé comme marque d’excellence. Dans l’extrait du programme de Sciences Po Paris ci-dessous, cette logique monolingue se dénomme « multilingual and multicultural ». Ce tour de passe-passe sémantique s’obtient en valorisant les propriétés du public, obéissant ainsi aux règles d’un marketing international qui transforme le client en produit de vente.
Extrait de la brochure de Sciences Po Paris
3. LES LAnguES ET LA / LE PoLiTiQuE
Pour distinguer deux niveaux à la notion de « politique » et aller au-delà des intuitions premières, remettons-nous en à Marcel Gauchet : « le » politique précède « la » politique qui est la base de toute société. « La » politique, pouvoir obtenu selon
8. Voir à ce sujet le dossier du Courrier international, n°1148 (31 octobre – 7 novembre 2012), intitulé Harvard pour tous. Les cours des grandes universités sont accessibles en ligne. Une révolution.
un processus électoral, inclut la presse et les médias pour discuter de la chose politique9. Notre position est ici que le chercheur doit être conscient de la coexistence de ces deux définitions et qu’il doit savoir repérer laquelle des deux il mobilise à un moment donné.
Au niveau de la politique, il n’est pas indifférent de savoir quelle(s) langue(s) utilisent nos gouvernants quand ils négocient à niveau international, par-delà les règles de la diplomatie qui veulent qu’ils s’expriment dans leur langue nationale en situation officielle. Une petite enquête, menée par nos soins pour cette intervention avec l’aide du conservateur de la Fondation Charles de Gaulle, nous apprend que le Général de Gaulle parlait allemand et avec plus de difficultés que l’anglais (Mémoires de guerre et Mémoires d’espoir). Pierre Maillard, agrégé d’allemand, conseiller diplomatique à l’Élysée et aussi le « Monsieur Allemagne » du Général, travaillait avec lui à la traduction de ses discours en allemand et à leur prononciation. Plus généralement, le général de Gaulle ne manquait pas, par courtoisie, de dire quelques phrases dans la langue du pays dont il était l’hôte. Ces coulisses de la communication politique méritent considération, au vu des choix géopolitiques, européens et transatlantiques, du Général. D’autres exemples, plus actuels, permettraient de poursuivre la réflexion dans le même sens.
Si les puissants de ce monde peuvent jouer publiquement de l’usage de la langue nationale du pays dont ils sont le représentant ou bien de leurs compétences en langue étrangère pour rallier la sympathie d’un interlocuteur étranger10, il n’est pas inutile de se poser la question quand les discussions se font loin des caméras de télévision, quand l’empoignade collective est de règle dans une négociation très serrée ou lors d’un appel individuel au téléphone, en urgence et dans la confidentialité. Usage des langues et usage du pouvoir cohabitent, mais le citoyen ordinaire ignore généralement tout des compétences linguistiques de son représentant.
La question est plus troublante encore quand l’homme politique joue avec son histoire migratoire, cas de plus en plus fréquent pour les générations politiques actuelles en France : l’occulte-t-il dans son image publique ? Dans ce cas, il peut être tenté d’opter pour une position plus radicale, plus français que les Français pour couper court à toute remise en question de son patriotisme – on peut penser que le Président Nicolas Sarkozy a choisi cette voie. Ou rejouer son appartenance sous forme d’hommage aux opportunités d’intégration que la société française lui a offertes – pensons par exemple au Premier ministre français actuel, Manuel Valls. Alors que les débats en didactique interrogent les composantes d’une « compétence stratégique », on ne peut que regretter que la politique vise plus à construire une image publique consensuelle, qu’à faire évoluer les représentations collectives de la
9. gauchet.blogspot.com/2007/11. Rencontres démocrates Vincennes, 25 octobre 2007 10. Par exemple, le « Ich bin ein Berliner » du Président Kennedy en 1963, à Berlin-Ouest, ou la prise de parole en français de John Kerry, après les attentats du 13 novembre 2015.
mixité sociale au sein de la nation française, occultant ainsi les évolutions sociologiques effectives, y compris au sommet du pouvoir politique.
Comme on aimerait que l’institution scolaire rende compte de ces stratégies qui consistent à jouer d’une langue à l’autre, à faire entendre les profits qu’un acteur social peut tirer du silence et de l’écoute, de la traduction prise en charge par luimême ou volontairement confiée à un autre, de l’affirmation graduée de ses appartenances multiples… ! Il y a un sérieux coup de rein didactique à donner pour que ces stratégies, utilisées par le pouvoir, soient décodées et accessibles à ceux qui en ont le plus besoin pour exister socialement. On peut penser que la mystification disciplinaire, dévoilée en son temps par Yves Lacoste qui distinguait la « géographie scolaire » de la géographie à l’usage des puissants désireux de disposer d’une description savante de leur territoire11, la « géographie des États-majors », pourrait s’appliquer aussi à l’usage politique des langues au bénéfice des plus démunis en stratégies sociales dans leur confrontation avec l’altérité.
À la condition de penser un enseignement des langues attentif aux dynamiques ou aux cloisonnements, ouvrant - ou handicapant - la mobilité sociale et la construction du lien social.
4. LE PoLiTiQuE ET LES LAnguES
La place du français est auscultée à intervalles réguliers par l’État français. Les rapports remis au Premier ministre, au président de la République, au Sénat, attestent de la grande sensibilité de la nation française vis-à-vis de ce sujet12 que la République met au cœur de ses interrogations sociétales. Les deux rapports récents, remis par des proches du Parti socialiste, actuellement au gouvernement, confirment cette tradition : celui du député Pouria Amirshahi, intitulé La Francophonie : action culturelle, éducative et économique13 ; celui de Jacques Attali, intitulé La francophonie et la francophilie, moteurs de croissance durable14, deux postures distinctes où dominent, pour le premier, l’angle géopolitique, pour le second, l’angle économique. Le premier
11. Lacoste Y., La géographie, ça sert d’abord à faire la guerre. Paris, Maspero, 1976 (rééditions en 2012 et 2014 aux Éditions La Découverte). 12. P. Bloche Le Désir de France : la présence internationale de la France et de la francophonie dans la société de l’information : rapport au Premier ministre, 1999 ; E. Cohen Un plan d’action pour améliorer l’accueil des étudiants étrangers en France, MEN / MAE, 2001 ; J. Legendre Les langues étrangères en France, Sénat, Commission des affaires culturelles, 2003 ; D. Wolton Francophonie et migrations internationales, Cellule de Réflexion Stratégique sur la Francophonie, 2008 ; J. Attali La francophonie et la francophilie, moteurs de la croissance durable. Rapport remis à François Hollande, Président de la République française, 2014 Rapport annuel au Parlement sur l’emploi de la langue française, rapports de la DGLFLF, de l’OIF… 13. Amirshahi P. La Francophonie : action culturelle, éducative et économique, Rapport n° 1723, remis à la Commission des Affaires étrangères, 2012. 14. Attali J. La francophonie et la francophilie, moteurs de croissance durable, Rapport à F. Hollande, Président de la République française, 2014.
décline des positions plutôt classiques et générales - l’avenir du monde de la francophonie exige une politique d’intervention -, mais en appelle vigoureusement à une position plus vertueuse pour les multinationales, françaises à l’origine, afin de juguler la diffusion de l’anglais dans l’entreprise et dans la publicité. Il plaide aussi pour des positions fermes en faveur du français, langue de l’université française.
Le rapport de Jacques Attali avance une théorie économique des langues dans laquelle la barrière des langues constitue le plus gros obstacle au commerce. À travers 41 portraits de personnalités bien en vue dans différents pays représentatifs d’une planète mondialisée, il plaide pour la reconnaissance du rôle des influenceurs « francophilophones » et dresse trois évolutions possibles de la francophonie : premier scénario, une croissance du nombre des francophones (770 millions en 2060) ; second angle, les besoins en infrastructures des pays francophilophones, en particulier en Afrique ; troisième piste, le développement des nouvelles technologies qui accélère le développement des pays « francophilophones ». Le rapport conforte les positions développées dans le numéro de la revue Hérodote, intitulé Géopolitique de la langue française15 et reprend la théorie du développement démographique du français en Afrique de l’OIF16 .
Deux visions distinctes de la francophonie sont ainsi avancées : la première reprend et aménage sa base historique, fondée sur l’usage de la langue française dans le monde ; la seconde s’inscrit en rupture, plus proche d’une vision anglo-saxonne, fondée sur les échanges et le partenariat économiques, modèle proche de celui du Commonwealth. Le lien avec la langue s’élargit à la francophilie (s’y dissout ?) et cible les décideurs plutôt que les locuteurs. Le projet avance ainsi l’idée d’une « union économique francophone ».
5. ÊTRE CHERCHEuR, EnTRE DEux ET PLuSiEuRS LAnguES… ou
AuCunE
Le chercheur ne peut qu’être sensible à l’injonction du rapport La Francophonie : action culturelle, éducative et économique qui rappelle aux parlementaires que le français est la langue de la République, y compris dans sa politique de l’enseignement supérieur. Rien n’est plus déstabilisant pour le chercheur que de se soumettre à des injonctions dont les auteurs sont invisibles (diffusez vos travaux en anglais), en contradiction même avec l’objet de la profession que l’on exerce (contribuer à la qualité des recherches sur la langue française).
Mais le cœur du débat doit être élargi. Je me souviendrais du rire ironique de chercheurs canadiens en sciences politiques quand je regrettais publiquement devant eux la discordance citée ci-dessous : « vous en êtes encore là ? », signifiaient-ils. Défendre
15. Géopolitique de la langue française, Hérodote, La Découverte, n°126, 2007. 16. La langue française dans le monde, Rapport 2014, section La langue française en Afrique. Site http :// www.francophonie.org/Langue-Francaise-2014,
le français comme langue de circulation scientifique, c’est accepter le risque de la relégation dont souffrent tous ceux qui n’ont pas su s’adapter aux évolutions du monde, alors qu’une des missions du chercheur est de les anticiper, pour influencer le politique dans sa vision de l’avenir.
Le combat est en effet ailleurs. En sciences humaines et sociales, il faut aller bien plus loin que l’hypothèse Sapir/Whorf17 quand on aborde la dynamique des recherches sous l’angle de leur conception nationale et de leur diffusion internationale. La science s’enracine dans le contexte social d’une société et d’une époque et les concepts se modifient en migrant d’une langue à une autre, car ils sont réinterprétés en fonction de chaque nouveau contexte de réception18. Un concept aussi fondamental pour nous que celui de « didactique » se développe en anglais sous une variété de formes, telles que education, teaching and learning, pedagogy, method. On notera que didactics sonne dogmatique, et donc négativement. Là est la limite des dictionnaires disciplinaires qui proposent une traduction bon marché de leurs concepts dans différentes langues, et donc une vision bâclée et naïve de la complexité de la science.
On aimerait que le politique soit à même d’argumenter ce point, autrement plus consistant que l’argument historique de la défense de langue française, point décisif pour la visibilité des recherches faites dans d’autres langues que l’anglais et pour la réception transfrontalière des résultats de recherche dans une Europe dite plurilingue.
Ces discours occultent un autre débat qui concerne ce que l’on pourrait appeler les « oubliés de la francophonie ». Car ils n’atteignent pas seulement les chercheurs de l’université française, Français nés en France, ou ceux venus ou non des composantes de la francophonie, eux qui ont parié sur le français pour faire leurs études en France et y obtenir la reconnaissance de leurs pairs. Ces discours oublient aussi les francophones en devenir en France, élèves ou adultes en cours d’apprentissage du français que l’on destine à un avenir universitaire où les postures anglophones seront présentées comme étant les plus prestigieuses. Ces discours oublient également tous les chercheurs francophones hors de France qui ont construit leurs choix de vie à partir de la langue française et qui se trouvent pris à revers par la mondialisation de l’université.
17. Issue du croisement des recherches entre anthropologie et linguistique, l’hypothèse des chercheurs Sapir et Whorf veut que les représentations du monde soient dépendantes des langues dans lesquelles elles sont énoncées. Pour en savoir plus : Whorf, Benjamin (John Carroll, Ed.). Language, Thought, and Reality : Selected Writings of Benjamin Lee Whorf. MIT Press, 1956. 18. Voir à ce sujet Zarate G., Liddicoat T. (coord.), La circulation des idées en didactique des langues. Le français dans le monde, Recherches et applications n° 46, juillet 2009.
6. LES REnvERSEMEnTS DE PERSPECTivES EngEnDRéS PAR LA
MonDiALiSATion
Abordée sous l’angle des principes strictement économiques, la langue française doit aussi se penser comme étant prise dans les rets d’une économie de libre-échange. Dans ce cas, elle ne se définit pas comme un seul objet de communication, définition la plus courante en didactique, mais comme un produit dont la valeur contribue ou entrave la production de richesses. On retiendra que cette définition est déjà à l’œuvre, comme le rapport du Député Amirshahi en fournit l’exemple via le groupe Danone et Danone Produit frais France, en citant le rapport de force désormais engagé entre les tribunaux d’arbitrage et les États : « La traduction en français des logiciels fournis par le concepteur en langue anglaise, d’une part aurait un coût élevé et d’autre part, serait un obstacle à l’échange d’informations et à la gestion mondialisée du groupe Danone »19. Cette entreprise utilise donc la marque « France » et l’image internationale réputée de l’industrie agroalimentaire française, mais se refuse à toute contrainte économique de nature linguistique.
Car la dimension économique projette l’individu dans un espace extrêmement concurrentiel et une échelle où il a des difficultés à se faire entendre. Les traités économiques internationaux continuent de se développer20. Le dernier en cours de négociation entre l’Europe et les États unis est le GMT (Grand Marché Transatlantique) ou TAFTA / TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership) où il est prévu que les tribunaux d’arbitrage, déjà sollicités dans l’exemple ci-dessus de Danone, se généralisent et auront autorité sur la législation des États.
Des signaux d’alerte ont été lancés, car les langues pourraient être entendues comme un « service » et ces accords œuvrent aussi « dans le domaine du commerce des services culturels et audiovisuels (ce qui) risque de porter atteinte à la diversité culturelle et linguistique de l’Union »21. Il serait bon que les citoyens s’en saisissent, notamment à travers les ONG ou les associations.
7. ÊTRE DéSARMé ou PREnDRE PLACE DAnS LE DébAT ET AgiR…
Alors que la didactique des langues est centrée sur la classe et les réponses à y donner, on peut penser que l’espace de ses responsabilités a évolué depuis les années 80, même si elle répugne spontanément à en tenir compte. N’est-ce pas le propos d’une association de didacticiens comme l’ASDIFLE de se mobiliser ? Être désarmé ou prendre place dans le débat et agir… Voici quelques éléments pour un débat collectif.
19. Amirshahi P. La Francophonie : action culturelle, éducative et économique, Rapport n° 1723, remis à la Commission des Affaires étrangères, 2012, p. 43. 20. CETA Canada-EU Trade Agreement (en français Accord Économique et Commercial Global (AÉCG) ; TISA Trade in Services Agreement, ou ACS Accord sur le commerce et les services 50 états ; APT Accord de partenariat transpacifique. 21. Jennar R.M. « Les trois actes de la résistance » in Le Monde diplomatique, juin 2014, p. 18.