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2.2 Écoute objective - modalité d’écoute selon Pierre Schaeffer

2.2 Écoute objective - modalité d’écoute selon Pierre Schaeffer

L'écoute acousmatique est une expérience différente de celle du quotidien qui est stimulée par notre champ visuel. Contrairement à l'écoute quotidienne, elle s'inscrit dans un code déontologique. L'écoute se dissocie de l'objet sonore ce mode d'écoute a été théorisé par Pierre Schaeffer dans l'ouvrage Ouïr, Entendre, Écouter Comprendre 29 Dans ce cas présent, écouter est une activité qui se déroule dans une ambiance sonore où l’on ne prête pas réellement attention. Le verbe ouïr quant à lui intègre le concept de fond sonore. Ce concept est compris comme « l'horizon perceptif » dans lequel des sons particuliers se détachent des vrais objets de l'écoute. Le fond sonore est alors l'ensemble des sons que l'on perçoit en arrière-plan (second plan). Ils n'atteignent pas directement le niveau de la perception sonore mais ils sont présents dans toutes les expériences sonores. Ils ne sont pas à proprement parler au centre de l'attention mais dès qu'un changement opère ils sont remarqués, «je suis enfin instantanément averti d'une modification brusque ou inusité de ce fond sonore dont je n'étais pas conscient » : «On connaît l'exemple des gens qui habitent près d'une gare, se réveillent quand le train ne passe pas à l'heure».30 Le verbe entendre présente une situation où une figure sonore se détache d'un fond. «Ouïr fait référence à une situation où le fond sonore est indifférencié» .31

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Alors le verbe entendre exprime une situation dans laquelle l'attention est active et consciente. C'est le fait de vouloir écouter sans chercher d'informations précises, cependant cela n'est pas un automatisme.

«Si je reste immobile, les yeux fermés, l'esprit vacant, il est bien probable que je ne maintiendrai pas plus d'un instant une écoute impartiale. Je situe les bruits, je les sépare par exemple en bruits ou proches ou lointains, provenant du dehors ou de l'intérieur de la pièce, et, fatalement, je commence à privilégier les uns par rapport aux autres».32 Le fait d'écouter renvoie à une expérience dans laquelle l'attention est captée par une source sonore spécifique.

29Pierre Schaeffer “Ouïr, Entendre,Ecouter, Comprendre” p. 101-108, 1966

Buchet/Chastels, “Ouïr, Entendre,Ecouter, Comprendre après Schaeffer ” p 101-107, 1999

Cf. Jean FrançoisAugoyard “La mise à l’épreuve du modèle psychoacoustique ”

30

Pierre Schaeffer “Ouïr, Entendre,Ecouter, Comprendre” , p.105, 1966 31 Andréa Martignoni, cultures et géographie, revue p.59,p.5, 2006

32 Pierre Schaeffer “Ouïr, Entendre,Ecouter, Comprendre” , p.107, 1966

P. Schaeffer rappelle que l'objet sonore de l'écouteur (individu qui écoute) n'est pas le son qui est porteur d'information, mais le son qui est un indice, par exemple : le son d'un moteur permet d'évaluer la distance à laquelle le véhicule se trouve. Lorsqu'un son est localisé dans l'espace, une direction précise lui est donnée grâce à une activité qui est perceptive. L'écoute est une manière d'avoir une audition active et une perception spécifique d'un espace ou d'un objet.

«C'est ainsi que, lorsque je regarde une maison, je la place dans un paysage. Mais si je continue à m'y intéresser, j'examinerai tantôt la couleur de la pierre, sa matière, tantôt l'architecture, tantôt le détail d'une sculpture, au-dessus de la porte, je reviendrai ensuite au paysage, en fonction de la maison, pour constater qu'elle a une belle vue, je la verrai une fois de plus dans son ensemble, comme je l'avais fait au début. Mais ma perception sera enrichie par mes investigations précédentes». 33 P. Schaeffer illustre son propos en faisant référence à la perception visuelle car, dans l’espace, la forme, les caractères de l’objet se distinguent grâce à une image fixe, car celle-ci est stable. C’est la stabilité d’une image qui diffère largement d’un son. Un son ne s’inscrit pas réellement dans l’espace. L’image d’un objet est spatiale, les changements de perspectives apparaissent lorsque les points de vue sur l’objet changent. Le son et le visuel sont pour cela nettement différents.

Une dernière modalité d’écoute est abordée par P.Schaeffer: «comprendre». Cette modalité s’accorde principalement à la perception du son «en tant que porteur de sens».34 Les sons sont des référents, ils apportent des informations à celui qui écoute, par exemple lorsqu’une personne parle, la voix n’est pas seulement un son produit, on ne s'attache pas à la signification de chaque son produit pour comprendre le discours de la personne. C’est le discours, le sens de celui-ci qui est l’objet même de l’écoute.

Pour comprendre et analyser un paysage sonore selon P. Schaeffer, il est primordial de repérer les sons les plus importants, ils se définissent par leur dominance, leur quantité et leur individualité.

33

Pierre Schaeffer “Ouïr, Entendre,Ecouter, Comprendre” , p.108, 1966 34 Andréa Martignoni Géographie et cultures, 59 |,p.5 2006

Par la suite, il est nécessaire de les traiter en trois catégories : Les toniques, les signaux et les empreintes sonores. ● Les sons «toniques» dans le paysage sonore sont issus de l’environnement dans lequel un individu se trouve, ils sont naturels, humains. Ce sont des sons monotones qui constituent le fond sonore. On retrouve principalement, l’eau (la rivière, la mer et la pluie), le vent, les animaux, mais également les sons artificiels (voiture, sons électriques etc.). Ce paysage sonore constitue selon P. Schaeffer l’identité d’un lieu, il marque le mode de vie des individus qui l’habitent. ● Les sons appelés «signaux» relèvent quant à eux du premier plan. Ils relèvent du collectif, ils sont écoutés de manière consciente et nécessitent une attention. On les qualifie dans la plupart des cas «d’avertisseurs» (les klaxons, les sirènes etc). Certains d'entre eux alertent sur un message à transmettre, comme le klaxon d’un train. ● Enfin, la dernière catégorie, celle de «l’empreinte sonore», donne des informations spécifiques sur un son. Cependant, celui-ci n’est pas un signal car ses caractéristiques lui attribuent une qualité particulière, une valeur ( le son des cloches qui renvoie en Europe à la chrétienté ) .

En revanche, Ray Murray Schafer mobilise ses catégories comme concept de figure et de fond35 . Il partage cependant le même point de vue que Pierre Schaeffer sur l’écoute acousmatique ( écoute aveugle ). Schafer ajoute à cela que la perception du paysage sonore, en particulier l’écoute du silence, nécessite un entraînement. Ainsi, deux paysages sonores se distinguent : celui du Lo-Fi (basse fidélité) et celui du Hi-fi (Haute fidélité). En acoustique, la différence se fait entre le signal et le bruit. Le Hi-fi se définit par un faible niveau de bruit ambiant. Les sons spécifiques se distinguent nettement, le premier plan et le fond sonore sont bien distincts, il y a peu de superposition de sons. Ce cas présent se retrouve en milieu rural plutôt qu’en milieu urbain, également la nuit plutôt que le jour. A contrario, dans un environnement Lo-fi, la surpopulation sonore ne permet pas de distinguer les “signaux acoustiques spécifiques”, de telle manière qu’ils se retrouvent immergés. Il est important de relever que dans une configuration urbaine, la perception du paysage est réduite aussi bien d’un point de vue sonore que visuel.

35 Ray Murray Schafer, “Le paysage sonore, le monde comme musique ” ,2019

Également, Pierre Schaeffer réduit le paysage sonore à un objet sonore, il l'intègre seulement dans la composition musicale. Le paysage sonore est alors décontextualisé de son origine. Il sépare les sons de leur source.

Tableau 1. La typologie de l’objet sonore. Couprie, P. (2001). Le vocabulaire de l'objet sonore. p.6 sur 14

R. Murray Schafer maintient le rapport au lieu et à l’environnement grâce à la pratique de soundwalking (expérimentée dans la deuxième partie de ce travail de recherche). L’objectif consiste à se déplacer dans l’espace en ayant une attention particulière à la perception auditive. D’après R.M Schafer, le paysage sonore est “une composition macro-formelle inachevée” se déroulant tout autour de nous. C’est de cette manière que le soundwalking semble être un bon outil pour devenir acteur, comprendre et analyser le paysage sonore. Guy Debord (1958) complète les propos de Schafer en ajoutant que la promenade sonore (soundwalk) est une dérive acoustique urbaine. Elle peut être utile pour les aménageurs de l’espace pour intégrer au diagnostic et à l’analyse d’un espace, la dimension acoustique. De la même manière qu’elle est utile aux musiciens pour interpréter et raconter le paysage et en produire une nouvelle représentation comme peuvent le faire les compositeurs Steven Reinke36 et Satoshi Yasiyawa37 .

36 Steven Reineke, “Goddess of fire” ,2009 et “Pilatus: Mountain of Dragons” ,2007

37 Satoshi Yasiyawa, “Fanfare Hayabusa” , 2011